Orthodoxie en Abitibi

La première création

Étude III : La première Création

- P. Georges Leroy -

Cliquer ci-dessous, pour vous retrouver aux points correspondants du texte :

L'être humain global
La Question fondatrice
Le choix angélique
L'anti-type
Les deux libertés
Divinisation et transparence
Destruction ou récapitulation
Le Fils prodigue

Quels sont les objectifs que nous nous proposons d'atteindre ?

Nous tâcherons de répondre à ces questions :
- l'être conscient apparu dans notre espace-temps avait-il les mêmes caractéristiques que nous ?
- faisait-il face à une exigence, de la part de la Volonté créatrice ?
- cette exigence s'adressait-elle à lui seul ?
- l'être conscient des origines a-t-il répondu positivement à cette exigence ?
- quelle furent les conséquences de cette réponse ?
- trouvons-nous un écho de ces événements cosmiques dans le texte évangélique ?


L'être humain global

Plusieurs personnes, en une seule Nature.

Dans cet univers spécifique, Dieu a créé un être humain global, qui est fait à son image. Dieu étant trois Personnes en une Nature divine incréée, l'être créé qui fait à son image sera, lui aussi, fait de plusieurs personnes, en une Nature humaine créée. Dans le récit biblique, la pluralité des personnes est simplement évoquée par les noms de « Adam » et « Ève » : deux suffisent pour évoquer la pluralité. Il s'agit d'un être humain global, extrêmement différent de notre réalité humaine actuelle.


« Individus » et « personnes ».

Chacun d'entre nous, nous sommes des individus : nous sommes murés dans notre ipséité. Ce n'est qu'au terme d'un long progrès spirituel que nous aurons acquis pleinement notre statut de « personne ». Lorsque nous sommes une « personne », nous sommes pleinement solidaires de l'ensemble du genre humain. En tant qu'individu, nous sommes en proie à la division et considérons avec indifférence ou même hostilité notre prochain. En ce qui nous concerne, nous avons un long progrès à faire avant de devenir authentiquement une « personne ».


Les difficultés d'un Paradis historique.

De nos jours, la science trace un portrait de l'univers et de notre planète, où il n'y a plus de place pour un Paradis situé à l'aube des temps. S'il n'y a plus de place pour un Paradis, il n'y en a pas davantage pour une hypothétique réponse adamite proférée par un aborigène, réponse qui aurait conditionné la totalité de l'Histoire humaine subséquente. Par contre, au IVème siècle, rien n'empêchait de penser que le Paradis soit un lieu précis, entourée de hauts murs, situé quelque part en Mésopotamie, entre le Tigre et l'Euphrate... Saint Grégoire de Nysse, avec la profondeur de pensée qui lui est propre, s'est aperçu des difficultés qu'entraînait la notion d'un Paradis historique et géographique. Pour lui, de toute évidence, Adam est un être global :

Quand le texte dit que Dieu créa l'homme, le caractère indéterminé de la formule désigne l'ensemble du genre humain (…). Adam est désigné du terme général qui s'applique à son espèce. Cette application générale englobe toute l'humanité (…) ; C'est l'ensemble de l'humanité qui est comprise dans cette création du premier homme (…). La plénitude de l'humanité est comme contenue dans un seul corps, par la puissance que la prescience de Dieu a sur toutes choses.
Ce que crée la toute-puissance de Dieu, ce n'est pas une partie du tout, mais en bloc, la plénitude entière de la nature humaine.
Grégoire de Nysse. La Création de l'Homme. DDB 1982, ch. XVI. p. 100. et ch. XXII. p. 120.


La Question fondatrice

Une divine interrogation.

Nous arrivons maintenant un point très important : à cet être global, Dieu pose une question - et cette question, Dieu la pose à tous les êtres conscients, à toutes les générations, dans tout l'univers. Cette question est celle-ci : « veux-tu collaborer à mon œuvre créatrice ou affirmes-tu que l'univers se limite à toi et tourne uniquement autour de toi ? » L'être conscient est totalement libre de répondre « oui » ou « non » à cette question fondatrice. C'est l'exercice de la liberté, qui donne toute sa valeur au « oui » donné par la créature consciente, si celle-ci décide de le faire.


La question posée aux Anges.

Cette question fondatrice n'a pas été posée uniquement à l'être humain. Car il existe d'autres univers, et nous connaissons l'un d'entre eux. Il s'agit de l'univers des Anges, qui est fondé sur d'autres principes que le nôtre. Cet univers est sans matière, constitué uniquement de lumière et d'énergie. Cela montre d'ailleurs que les extraterrestres sont bien certainement considérablement plus différents de nous que nous ne le pensons ! Cela ne « fait pas très sérieux » de parler des Anges... Et pourtant ! Leur existence a eu des conséquences majeures pour notre univers, et leur existence peut nous faire connaître des aspects importants de notre environnement.

Sans matière, les Anges sont des créatures libres et conscientes comme nous ; elles ont une intelligence instantanée, car leur pensée n'est pas ralentie par des influx électrique circulant le long des neurones. À ces Anges, Dieu posa la question fondatrice : « voulez-vous collaborer à mon œuvre créatrice ou affirmez-vous que l'univers se limite à vous et tourne uniquement autour de vous ? »


La relation entre temps et matière.

Dépourvus de matière, les Anges détiennent les avantages et les inconvénients de cette option. Qui dit matière, dit succession temporelle. Le temps - tel que nous le connaissons, nous les humains - est ce dans quoi se déploie la matière en mouvement. Sans matière, pas d'instants successifs. C'est l'inertie de la matière qui permet l'évolution : nous avons besoin de temps pour opérer nos choix, et notre univers est le fruit de l'évolution qui se déploya au fur d’un très long espace de temps. Si nous considérions comme une année de 365 jours l'espace de temps qui s'est écoulé depuis le Big-Bang jusqu'à aujourd'hui, la chute de l'Empire romain se serait produite le 31 décembre à 23 heures 59 minutes 56 secondes... Il y a vraiment beaucoup de temps dans notre univers !


Le privilège de la matière.

C'est le temps qui permit l'évolution - qui elle-même s'est déployée au long de milliards d'années pour l'univers, et de millions d'années en ce qui concerne la vie organique. Cette évolution - modelée par la loi du chaos - donna la prodigieuse variété que contient notre univers. La matière permet la formation d'un temps univoque, qui lui-même permet l'évolution, qui elle-même permet le surgissement de la diversité dans notre univers. Pas de matière, pas de diversité. De fait, dans l'univers angélique, il n'existe que des Anges - eux-mêmes étant le fruit de l'action créatrice immédiate de Dieu, qui les répartit en neuf Chœurs – la diversité étant le fruit de l’action créatrice divine elle-même, et non d’une impossible évolution. À part les Anges, il n'existe aucune diversité d'êtres dans ce type d'univers.

Nous comprenons maintenant la raison pour laquelle le fait que notre univers soit formé de matière, est un authentique privilège. Cela permet la coexistence dans notre univers d'une incroyable variété d'être minéraux, végétaux, animaux et finalement d’êtres humains, eux-mêmes remarquablement variés.


Temps et évolution.

Pour nous-mêmes, êtres humains, le temps nous permet d'évoluer. Pour prendre une décision, nous avons besoin de temps. Nous-mêmes nous évoluons. En ce qui concerne les Anges, rien de tout cela. Leur décision fut immédiate ; elle n'avait pas besoin de processus pour aboutir. Immédiatement après que Dieu ait posé la question fondatrice, le peuple des Anges s'est trouvé réparti en deux camps : ceux qui ont répondu « oui » à la proposition divine de collaboration à l'œuvre créatrice, et ceux qui ont répondu « non » à cette même proposition. Nous avons vu que Dieu rayonne éternellement dans ses Énergies. Ses Énergies peuvent être comprises en termes de lumière incréée. Ceux qui collaborent à l'œuvre divine sont des êtres de lumière ; ceux qui renient Dieu sont de facto des êtres de ténèbres.


Le choix angélique

La présence des Puissances des ténèbres.

Lorsque Dieu posa la question fondatrice à l'être global qui se trouvait dans l'univers paradisiaque – univers à la fois matériel et dépourvu d'entropie - le choix angélique était déjà fait. Les puissances des ténèbres étaient bien là, présentes, aux aguets. Le serpent n'était pas loin...

Pourquoi un serpent ? Cet animal est réputé impur, aux yeux des Juifs. Quelque chose est pur, lorsqu'il est dans sa catégorie. Un poisson est pur, lorsqu'il nage dans l'eau ; un oiseau et pur, lorsqu'il vole dans le ciel. Par contre, un poisson qui rampe sur la terre, comme l'anguille, est réputé impur : sur la terre, on marche ; on ne nage pas ! Par contre, dans la mer, on est censé nager, et non pas marcher... Un être qui marche au fond de la mer, comme un crabe, est évidemment impur. Un serpent, qui « nage » sur la terre, est de toute évidence, impur. Le raisonnement du pur et de l'impur possède une certaine logique.


Les deux Arbres du Paradis.

Dans cet univers paradisiaque, il y a quatre fleuves, comme il y a quatre dimensions de l'espace-temps. Sans doute, dans d'autres univers, se trouvent davantage de fleuves... Au milieu de l'univers paradisiaque, il y a deux arbres : l'Arbre de la Connaissance, et l'Arbre de Vie. L'être global, vivant dans un univers temporel, avait besoin de parcourir son évolution, avant d'accéder à l'Arbre de Vie. La première étape fut une station devant l'Arbre de la Connaissance du bien et du mal. Il est important de préciser que le Mal est présent, non pas comme une donnée créée par Dieu, mais bien par un effet du choix antérieur des Anges. Devant cet Arbre de la Connaissance du bien et du mal, Dieu adressa à l'être global la question fondatrice, dont nous rappelons l'intitulé, au risque de nous répéter : « voulez-vous collaborer à mon œuvre créatrice ou affirmez-vous que l'univers se limite à vous et tourne uniquement autour de vous ? »

Nous connaissons tous la réponse qui a été donnée : une main s'est tendue vers le fruit, l'a arraché de l'Arbre - introduisant la division dans la création - et deux bouches (déjà divisées !) l'ont mangé, c'est-à-dire détruit - introduisant l'entropie dans la création. « Nous serons comme des dieux » : au lieu de collaborer avec Dieu, nous nous posons comme des rivaux, et affirmons que l'univers est fait pour nous uniquement, à l'exclusion de Dieu.


L'anti-type

Un reflet inversé.

Les textes du Nouveau Testament permettent de comprendre ceux de l'Ancien Testament. Pour comprendre ce qui s'est passé dans le Paradis, nous avons dans le Nouveau Testament un « anti-type », c'est-à-dire un reflet inversé, et c'est le Jardin des Oliviers : c’est le reflet inversé du Paradis. Le Christ avait l'habitude d'aller au Jardin des Oliviers, avec ses disciples - tout comme Dieu se promenait à la brise du soir dans le Paradis, avec Adam et Ève. Les disciples étaient emportés par un sommeil invincible, lorsque Jésus était en prière - tout comme Adam fut endormi afin qu’Ève soit extraite de son côté - figure de l'Église jaillie du sang et de l'eau coulant du côté du Christ, en la célébration du Baptême et de l'Eucharistie. Le reflet inversé des pas que Dieu laissait entendre en sa paisible et sereine promenade avec les Premiers Parents, ce sont les pas précipités de la cohorte guidée par Judas. La morsure donnée par Adam et Ève au fruit de l'Arbre de la Connaissance, c'est bien sûr le baiser de Judas. Le fruit est arraché à l'Arbre, comme le Christ est arraché à ses disciples pour être mis en prison. Après que le refus fondamental ait été émis par l'être global, l'entrée du Paradis est désormais défendue par le glaive de feu. C'est avec une épée que Pierre trancha l'oreille du serviteur Malchus - oreille que le Christ guérit immédiatement, car Il n'est pas venu pour condamner mais pour sauver, pour faire entendre la Bonne Nouvelle du Salut.


Le « Oui » de Marie et le « Non » de Ève.

Adam et Ève auraient-ils pu répondre « oui » à la question qui leur était posée ? Dans leur réponse, ils étaient parfaitement libres - tout comme Marie était libre de répondre « oui » ou « non » à l'annonce de l'Archange Gabriel. Car Marie a répondu « oui », en disant « voici la servante du Seigneur : qu'il me soit fait selon ta parole » (Lc. 1 ; 38). Si elle avait répondu « non ; le risque est trop grand : je vais me faire lapider en tant que femme adultère, car je n'ai pas connu Joseph », Dieu aurait dû mettre en œuvre un «plan B », recommencer le processus du salut, laborieusement...

La réponse de Marie est donc l'anti-type de celle d’Ève. Ève et Marie était libre de leur réponse. La différence était que Ève formait avec Adam un être global, représentatif de l'humanité entière. Sa réponse engage donc l'avenir de l'humanité dans son ensemble. Par contre, Marie fait partie de notre univers, atteint par les conséquences du Refus originel. À ce titre, elle est un individu, et sa réponse n'engage qu'elle-même. Comme nous le verrons, il faudra qu'il y ait un autre être global, le Christ, pour effectuer une action dont la portée concerne l'humanité entière.


Les deux libertés

La liberté de « sauter par la fenêtre » est-elle la meilleure des libertés ?

Imaginons un instant qu’Adam et Ève aient répondu « oui, nous voulons collaborer à ton œuvre créatrice ». Leur aurait-il été possible de se maintenir dans cette option de collaboration avec le Dieu créateur sans, à un moment donné, éprouver la tentation de s'y opposer ? Si leur liberté avait été une liberté de choix, à tout moment ils auraient pu changer d'avis - et dans ce cas, le « non » était pratiquement inéluctable.

Notre liberté, pour nous qui vivons dans un monde déterminé par le Refus originel, est une liberté de choix. Lorsque nous nous trouvons au 15ème étage d'un immeuble, à côté d'une fenêtre ouverte, nous pouvons - soit décider de sauter par la fenêtre et de nous tuer sur le trottoir en ciment, 15 étages plus bas - soit, passer raisonnablement à côté de la fenêtre ouverte, et continuer à vivre. Telle est la liberté de choix. Dans notre monde pénétré de négativité, ce que nous avons n'est pas réellement une vraie liberté : « se tuer » n'est pas une option qui puisse nous épanouir.

Dans le monde originel existait la vraie liberté qui est celle de l'épanouissement. Un arbre est vraiment libre lorsqu'il peut croître, porter des fruits, exprimer sa beauté en un magnifique feuillage. Il serait étrange de dire que la liberté de l'arbre serait de choisir éventuellement de dépérir et de mourir... Non, sa liberté est de croître et de devenir le plus bel arbre possible. Il s'agit de la liberté d'épanouissement. C'est de cette liberté-là dont jouissaient Adam et Ève :

Si la divinité est plénitude de tous les biens, et si l'homme est à son image, c'est bien dans cette plénitude que l'image trouvera sa ressemblance avec le modèle. Il y a donc en nous toutes sortes de biens, ainsi que toute vertu, toute sagesse, et tout ce que l'on peut concevoir de mieux. Parmi tous ces biens, il y a la liberté ».

Saint Grégoire de Nysse. La Création de l'Homme. DDB 1982, p. 97.

Après avoir répondu positivement à l'appel divin, ils auraient réalisé leur liberté en devenant toujours davantage co-créateurs avec Dieu. Telle aurait été leur véritable liberté. Au fur et à mesure de leur croissance et de leur épanouissement, ils auraient été toujours davantage établis dans le bien. La question du choix du mal ne se serait plus posée à leur esprit : leur liberté auraient été intégralement positive.

Une telle liberté existe dans la vie spirituelle. Quelqu'un disait: « choisir le doute comme formule de Foi équivaut à choisir l'immobilité comme moyen de transport ».

À partir du moment où quelqu’un a opté pour Dieu et a progressé dans la voie de la prière et de la vie intérieure, il se retrouve bien au-delà de la question de savoir si Dieu existe ou n'existe pas. Cette question ne se pose plus, tout simplement du fait que l'on a d'ores et déjà expérimenté dans notre vie la Présence divine. Personne ne vient nous interdire de douter de l'existence de Dieu. Mais ce doute se révèle contradictoire par rapport à notre expérience de la vie spirituelle. C'est tout-à-fait librement que nous sommes établis en la Confession de Foi en un Dieu aimant et Sauveur. L'« Humanité première », après avoir répondu positivement à l'appel du Créateur, se serait établie de façon stable dans la participation à la vie divine, d'une façon digne du divin - c'est-à-dire antinomique : sans possibilité de retour, tout en gardant la plénitude de la liberté.


Liberté de choix et liberté d'épanouissement.

Il est important de distinguer clairement les deux sortes de liberté : la liberté de choix, et la liberté d'épanouissement. Il nous est facile de comprendre ce qu'est la liberté de choix, car c'est la forme de liberté dans laquelle nous vivons, en ce monde. À chaque instant, nous sommes appelés à choisir entre plusieurs possibilités, dans certaines sont meilleures que d'autres. Lorsque nous grandissons dans la vie spirituelle, nous nous apercevons qu'il est de moins en moins nécessaire de choisir « entre le bien et le mal », car nous prenons conscience des implications négatives de toute action nuisible. L'approfondissement de notre vie spirituelle nous donne une lucidité nouvelle, qui nous fait paraître comme une évidence le fait de s'éloigner de toute action obscure.

Dans l'espace-temps originel, l'« être global » bénéficiait pleinement de sa liberté d'épanouissement, car sa vocation était bien sûr de croître devant son Créateur, et d'être toujours plus transparent vis-à-vis des Énergies divines, afin de pouvoir les transmettre de façon optimale au Cosmos qui l'entourait.

Si nous méconnaissons cette indispensable distinction entre les deux libertés, nous affirmons du même souffle que le mal est coextensif à la création. De ce point de vue, le mal serait une sorte d'ombre indispensable pour « donner du contraste » à l'ensemble du tableau… Le Créateur Lui-même n'aurait rien pu faire d'autre que de faire venir à l'existence un monde constitué d'un mélange de bien et de mal. Cela est basé sur la certitude intuitive que nous avons, persuadés que nous sommes de l'impossibilité de l'existence d'un monde dépourvu de toute dimension négative.


La liberté comme axiome fondateur.

À cet égard, le philosophe russe Nicholas Berdiaev est intéressant : pour lui, la liberté est un axiome fondateur, qui précède le problème éthique de la différenciation entre le bien et le mal - il appelle cette liberté fondamentale et antérieure à toutes choses l'« Ungrund » :

Du néant divin, du « Gottheid », de l'« Ungrund » naît la Trinité, naît le Dieu-Créateur, et sa création du monde constitue déjà un acte secondaire. En partant de ce point de vue, on peut reconnaître que la liberté n'est ni créee ni déterminée par le Dieu créateur, qu'elle est enracinée dans le néant, dans l'« Ungrund », dont Dieu tira le monde, qu'elle (la liberté) est originelle et sans commencement. La distinction entre le Dieu-Créateur et la liberté du néant est déjà secondaire ; elle s'évanouit dans le mystère originel, dans le Néant divin, car c'est de l'« Ungrund » que se révèle Dieu, comme c'est de lui également que se révèle la liberté.

Nicholas Berdiaev, De la destination de l'homme. Essai d'éthique paradoxale, Lausanne, L'Âge d'homme, 1979 (1931), page 41 – 42. Cité dans « La philosophie religieuse russe » Teresa Obolevitch, Cerf 2014, coll. Philosophie & Théologie. p. 192.

Alors le :

– douloureux problème du mal se présente sous un autre aspect et cesse d'être un argument contre l'existence de Dieu (…). Le divin dans la vie se révèle dans les acte créateur, dans la vie créatrice de l'esprit, laquelle pénètre aussi la vie naturelle (…). La liberté a la primauté sur l'être, l'esprit a la primauté sur toute nature figée. Mais la liberté est mystère ; elle n'est pas soumise à la rationalisation. Ce qu'il y a de mystérieux dans la liberté consiste en ce qu'elle crée une vie nouvelle et meilleure et, en même temps, engendre le mal, c'est-à-dire qu'elle possède la faculté de se détruire elle-même. La liberté veut une liberté infinie, un vol créateur dans l'infini, mais elle peut vouloir en même temps l'esclavage que nous constatons aussi dans l'histoire des sociétés humaines.

Extrait de l'ouvrage : « Essai de métaphysique eschatologique » du même auteur, cité dans «La philosophie religieuse russe» p. 193. Cfr. supra.

Selon Berdiaev, la liberté, ontologiquement antérieure à toutes choses - y compris au Créateur - est nécessairement « mystère ». Tout aussi nécessairement, la création est mélangée de négativisme, à cause de la propriété intrinsèque de cette liberté - qui est sa tendance innée à l'autodestruction. Cela permet de résoudre élégamment le problème du mal, en présentant une perspective hautement séduisante.

Suivant ce point de vue, le Créateur lui-même est soumis aux caractéristiques fondamentales de la liberté ontologique, de l'« Ungrund » – précisément de la même façon qu'Il était soumis aux caractéristiques fondamentales de l'Être, dans la philosophie classique. Cette dernière affirmait que Dieu ne pouvait être autrement que l'Être, c'est-à-dire absolu, immuable, étranger à tout changement, à tout accroissement ou diminution. Cette conception de Dieu est évidemment incompatible avec le Christianisme, qui nous montre un Dieu qui s'incarne, un Dieu qui dialogue avec l'être humain, un Dieu qui n'hésite pas à marchander avec l'être humain, et à changer d'avis si l'être humain s'oriente vers Lui, grâce à sa liberté. Selon Berdiaev, la soumission de Dieu lui-même à la liberté ontologique annule toute interrogation quant à l'imperfection du monde :

L'harmonie du monde est une idée fausse et asservissante, dont il faut se libérer au nom de la dignité humaine (…). La conception optimiste de l'ordre du monde justifie l'asservissement de l'homme (…). La pensée objectivante, évoluant dans l'ordre du monde objectivé, est incapable de résoudre le problème de la théodicée : il ne peut être résolu que sur le plan existentiel, où Dieu se révèle comme amour et liberté, comme amour et sacrifice, comme un Dieu qui souffre avec l'homme, qui lutte à ses côtés contre la justice du monde, contre les intolérables souffrances du monde.

Extrait de l'ouvrage : « De l'esclavage et de la liberté de l'homme » du même auteur, cité dans « La philosophie religieuse russe » p. 194. Cfr. supra.

Dieu, quant à lui, ne peut être objectivé suivant des concepts :

La foi en Dieu n'est qu'une rencontre intérieure dans l'expérience spirituelle. Il faut catégoriquement reconnaître que toutes les preuves traditionnelles de l'existence de Dieu – ontologiques, cosmologiques et physico-théologiques – non seulement sont inconsistantes, mais encore parfaitement inutiles, voire nuisibles (…). Dieu est non pas être, mais Esprit. Dieu n'est pas essence, mais existence. On ne peut parler de Dieu que donne le langage symbolique de l'expérience spirituelle.

Extrait de l'ouvrage : « Royaume de l'Esprit et Royaume de César » du même auteur, cité dans « La philosophie religieuse russe » p. 196. Cfr. supra.

Berdiaev s'oppose à tout théologie conceptuelle : « la doctrine de la théologie cataphatique qui considère Dieu comme un être connaissable dans les concepts, est une expression du naturalisme théologique » (Essai de métaphysique eschatologique - cité dans « La philosophie religieuse russe », p. 196).


La capacité de notre esprit à connaître Dieu.

Pour ma part, je diverge ici fondamentalement de la pensée de Nicholas Berdiaev, car j'estime que notre esprit est compatible avec la Sagesse divine. Notre esprit ainsi que notre corps et nos sens, ont été créés précisément pour parvenir à connaître Dieu - et à reconnaître les images de Dieu que sont les autres créatures humaines.

Rien ne nous permet de jeter l'anathème sur les concepts. Nous sommes appelés à découvrir Dieu d'une façon polyphonique : par notre intellect, par notre sensibilité, et au travers-même de la matière. L'un n'empêche pas l'autre, à aucun point de vue. Ce n'est pas parce que nous pouvons efficacement connaître Dieu d'une façon intuitive existentielle, que cela disqualifierait par le fait même notre recherche qui s'élabore en utilisant des mots et en élaborant des concepts.

Dieu s'est révélé à nous, et le Christ nous a parlé et nous parle toujours. Il nous demande de compléter sa Révélation par le fruit de nos réflexions. Il n'a pas révélé ce que nous étions capables de découvrir par nous-mêmes, en exerçant notre pensée. Mais sa Révélation demeurerait incomplète, si elle n'était pas continuée dans l'Histoire par la réflexion et la méditation attentive des Paroles divines, de la part de l'être humain.

Nous vénérons Dieu par notre prière, par notre réflexion, par les rites liturgiques, par notre vénération des saintes icônes, par l'amour que nous portons aux autres. Aucun de ces actes salvateurs ne vient annuler les autres, ni ne leur est contradictoire.

Même si je suis en désaccord avec certains aspects de la pensée de Nicholas Berdiaev, je reconnais la beauté et la pertinence de ses réflexions sur la création et sur la personne humaine :

Le moindre acte de l'homme est créateur et, par lui, est créé ce qui n'existe pas dans le monde (…). L'acte créateur signifie toujours la maîtrise de la nature par l'Esprit est présupposé liberté (…). Pour cette raison seulement, l'homme peut être défini comme une créature se surpassant elle-même.

Extrait de l'ouvrage : « Problème de l'homme » du même auteur, cité dans « La philosophie religieuse russe » p. 200. Cfr. supra.

La personne humaine est une rupture dans l'ordre du monde ; elle est une forme intégrale, non composée de parties ; elle est en corrélation avec d'autres formes sociales et physiques. Mais l'homme est personne spirituelle, alors que les autres formes peuvent ne pas être des personnes. La totalité, l'intégrité, la primauté de tout sur les parties, tout cela n'a de sens que sur le plan de la personne.

Extrait de l'ouvrage : « Essai de métaphysique eschatologique » du même auteur, cité dans «La philosophie religieuse russe» p. 201. Voir supra.

La formation de la personne et due non au monde objectif, mais à la subjectivité, animée de la force que lui communique l'image de Dieu. La personne humaine est un être théandrique (…). L'homme est un être complexe ; il porte en lui l'image du monde, mais il n'est pas seulement l'image du monde, il est aussi celle de Dieu (…) L'homme est une personne, parce que Dieu est une personne, et inversement.

Extrait de l'ouvrage : « De l'esclavage de la liberté de l'homme » du même auteur, cité dans « La philosophie religieuse russe » p. 201. Voir supra.


Divinisation et transparence

Le plan divin.

Quel est le projet divin, c'est-à-dire l'intention profonde du Créateur envers la créature consciente, faite à son image : l'être humain ? Le projet divin proposé à l'être humain est la divinisation, c'est-à-dire le processus menant à une participation pleine et entière à la Vie divine, sans confusion cependant, car la distinction entre Créateur et créature est maintenue.

La création est constituée hiérarchiquement : au sommet, nous avons Dieu, éternellement rayonnant en ses Énergies incréées. Toute la création subsiste dans l'être grâce à un acte créateur continu, de la part de Dieu. Que Dieu détourne – ne fût-ce qu'une microseconde - son attention de sa création, et celle-ci retourne dans le néant, sans laisser aucune trace. L'être humain est le premier à recevoir les Énergies divines.


L'humain comme « fibre optique ».

L'être humain est appelé à transmettre ces Énergies divines au reste de la création animale, végétale et minérale - et par ricochet, aux autres êtres humains. Si l'on peut se permettre cette comparaison, l'être humain est une sorte de « fibre optique » qui est appelée à transmettre la Lumière divine à la création qui se trouve en aval de l'être humain.

Comme toutes les comparaisons, celle-ci est incomplète : l'être humain a la liberté de laisser passer la lumière divine ou de l'arrêter. La « fibre optique », du côté de la création que chaque être humain est chargé d'illuminer, peut être lumineuse ou obscure, suivant la décision libre de l'individu. De plus, l'être humain a la capacité d'agir sur le degré de transparence de cette « fibre optique ». Si l'être humain est devenu entièrement ressemblant à son Créateur, cette « fibre optique » laisse passer une quantité immense de Lumière qui vient vivifier l'ensemble de la création. Par contre, si l’être humain a négligé son être intérieur, a laissé s'obscurcir son âme, sa « fibre optique » s'avère être terne et translucide : elle ne laissera passer qu'une très faible partie de la lumière divine qui lui est confiée.

Ici, nous prenons comme exemple celui de la « fibre optique ». Bien sûr, il est possible de prendre d'autres images, comme celle d'une « onde » :

Vous voyez que, quand un enfant joue au bord du lac et qu'il jette un caillou dans l'eau, la chute de pierre amène une formation de cercles qui s'élargissent de plus en plus et qui finissent par gagner, à peine visibles, l'autre rive. Eh bien, notre vie est justement le foyer d'ondes de lumière ou de ténèbres - selon notre choix - qui se répandent sur le monde entier.

Maurice Zundel. Ta Parole comme une source. éd. Anne Sigier. p. 13.


La gestion du Paradis.

L'« Humanité première » s'est vue confier la mission d'illuminer la création. Après que l'être humain ait laissé passer par soi la Lumière divine, la création aurait progressivement acquis les propriétés mêmes de la divinité : elle se serait « divinisée » à son tour. Elle serait devenue totalement lumineuse et transparente devant Dieu. C'est cela, la « gestion » du Paradis, à laquelle Adam et Ève étaient appelés à coopérer. Après l'achèvement de ce processus, une seule chose aurait manqué : une marche resterait à franchir. Car l'être humain, par lui-même, est incapable d'arriver jusqu'à Dieu. Il aurait fallu que Dieu lui-même lui « tende la main » pour parvenir à la communion plénière à la divinité - tout en restant une créature, bien sûr. Cela aurait été un « passage », une Pâque, pour arriver en la plénitude de la joie et de la lumière, pour atteindre enfin l'Arbre de Vie. Tel était le plan divin pour l'humanité :

Finalement, et par-dessus tout, unissant par amour une Nature créée à l'Incréée (ô merveille de l'amour de Dieu pour nous !) Il (l'être humain) se démontrerait Un et identique (avec Dieu) quant à l'état de grâce, uni tout entier à Dieu tout entier dans une périchorèse totale, et devenu tout ce qu'est Dieu - à part l'identité d'Essence - recevant à la place de lui-même Dieu tout entier, et obtenant, pour prix de son ascension vers Dieu, Dieu lui-même absolument seul.

Saint Maxime le Confesseur. Ambigua in Io. 41, PG 91, 1308b cité dans : La divinisation de l'homme selon saint Maxime le Confesseur. Jean-Claude Larchet. Cerf. coll. Cogitatio Fidei 2009 p. 480.


Destruction ou récapitulation ?

L'impasse ontologique du « Non » humain.

Que s'est-il passé, après que l'être humain global ait répondu « non » à l'appel divin ? Suite à cette décision, la création est engagée dans une impasse ontologique. Plus rien n'est possible. Saint Irénée de Lyon nous apporte une précision utile:

Dieu, comme le rapporte l'Écriture, ne maudit pas Adam lui-même, mais la terre qu'il travaille. Comme le dit l’un des Anciens: Dieu a transféré à la terre sa malédiction, pour que celle-ci ne demeure pas sur l'homme. (...) De la sorte, n'étant pas maudit par Dieu, il ne périrait pas de façon définitive.
Irénée de Lyon, Contra Haer. III, 23, 3. Cerf 1984, p. 388 – 389.

C'est donc l'univers qui s'est métamorphosé, suite au Refus originel. Il reste à savoir ce qui s'est passé...
Prenons ici une comparaison : que faire, lorsqu'un nœud est mal fait ? Il y a deux solutions : prendre une hache et le couper, ou bien faire preuve de patience, et dénouer le nœud en faisant à l'inverse, tout ce qui a été fait pour aboutir à ce mauvais nœud.

Ce qui a été lié ne peut être délié que s'il on refait en sens inverse les boucles du nœud, en sorte que les premières boucles soient défaites grâce à des secondes et qu'inversement les secondes libèrent les premières : il se trouve de la sorte qu'un premier lien est dénoué par un second et que le second tient lieu de dénouement à l'égard du premier.
Ibid, p. 385 – 386.

Il en est de même pour la création.


La Récapitulation.

Que faire, après le « non » que l'être humain global a opposé à son Créateur ? La première solution serait tout simplement de détruire l'univers. Or il se fait que le Créateur ne veut pas de cette solution : c'est la signification profonde de l'épisode biblique du déluge. Quelle que soit la stupidité et l'aveuglement de l'être humain, et même si cette stupidité et cet aveuglement ont les plus graves conséquences pour l'environnement, le monde en lui-même ne sera pas détruit. Après les catastrophes, il subsistera un petit reste, qui servira de base à une nouvelle Alliance. La « section du nœud » à coups de hache est donc exclue. Il ne reste donc plus qu'à le dénouer entièrement, faisant à l'inverse tout ce qui a été accompli jusque-là.

C'est ce qui a été fait : la création a été recommencée depuis le début. C'est ce que nous appelons la Récapitulation. Pour comprendre cela, nous avons, là aussi, un anti-type de l’être humain global des origines ; le Christ. Il est le «reflet inversé» d'Adam : « La mort étant venue par un homme (Adam), c'est par un homme (le Christ) aussi que vient la résurrection des morts » (I Co. 15 ; 21).

Jésus-Christ, le second Adam - c'est-à-dire Celui qui recommence, Celui qui récapitule, Celui qui tient toute la chaîne, qui la porte, qui lui confère - qui lui donne son unité.

Jésus, le second Adam, l'homme qui n'est pas contenu dans la chaîne des générations comme un maillon qui disparaîtrait après avoir transmis une vie éphémère, mais Celui qui porte au contraire toute l'humanité qui recommence en Lui une nouvelle carrière - et qui à travers Lui, trouve son unité divine.

Maurice Zundel. Ta Parole comme une source. éd. Anne Sigier. p. 62 - 63.

Comme nous l’avons déjà vu, les textes du Nouveau Testament expliquent l’Ancien. Le parallèle inversé qui existe entre Adam et le Christ est remarquable : « Le Seigneur est celui qui a récapitulé en Lui-même toutes les nations dispersées à partir d'Adam, toutes les langues et les générations des hommes, y compris Adam lui-même » (Irénée de Lyon, Contra Haer. III, 22, 3. Cerf 1984, p. 385). Avant d'approfondir la notion de récapitulation, il est nécessaire de dresser une sorte de « carte d'identité » du Christ, c'est-à-dire de savoir plus précisément QUI Il est.


Le Fils prodigue

Le Fils prodigue

Au début du récit, il s'agit d'un fils qui considère son père comme étant pratiquement mort...

Avant d’étudier la grande question de savoir qui est le Christ, et après avoir envisagé la notion de Récapitulation, une remarque est encore nécessaire :

Toute cette histoire fondatrice du Refus Originel se retrouve dans le Nouveau Testament. Il s’agit de la parabole du Fils prodigue, qui figure uniquement dans l’Évangile de Luc (Lc 15 ; 11-32):

Un homme a deux fils. Le fils cadet demande à son père « la part de bien qui doit lui revenir » (Patèr, dos moi to epiballon meros tès ousias Lc 15 ; 12. Le terme « ousia » sera utilisé plus tard, pour désigner la « Nature », tant divine qu’humaine. Bien sûr, ici ce terme n’a pas encore ce sens théologique, et désigne simplement « le bien que l’on peut posséder »). En demandant de recevoir ici et maintenant son héritage, le fils cadet considère son père comme mort : normalement, on ne reçoit l’héritage qu’après le décès du testateur… Le père ne proteste pas, et donne sa part au fils cadet. - Il ne faut « pas beaucoup de jours » au fils cadet pour tout vendre, puis il part pour « un pays lointain ». Là, il dilapide son bien (dieskorpisen tèn ousian autou), en vivant « immodérément »(asôtôs).


Le refus du Don.

En fait, le fils cadet jouissait effectivement des biens de son père ; mais il veut la possession de ces biens pour lui tout seul, à l’exclusion de son père, sans les devoir à son père. Il avait d’ores et déjà ces biens, mais il ne veut pas du don, de la part de son père. C’est bien cela, le Refus Originel : « je ne veux pas dépendre de toi ; je ne veux surtout rien recevoir de toi ; l’univers entier se limite à moi, et moi seul en suis le centre et l’aboutissement. Je ne veux rien savoir de mon Père! »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le fils cadet répond négativement à la proposition de son père – c'est-à-dire de Dieu qui pose la question fondatrice à chacune des créatures conscientes : veux-tu collaborer à mon œuvre ? Quand le Refus Originel est proféré, l’univers est récapitulé : l’être humain se retrouve dans un autre espace-temps qui n’est plus le Paradis, mais ce monde marqué par la finitude, la souffrance et la mort. Le fils cadet se retrouve dans « un pays lointain », où règne la famine plutôt que l’abondance paradisiaque.


Une fausse interprétation moralisante.

C’est une déviation du sens de la parabole que de la transformer en un conte moralisant. Dans cette optique moralisatrice, le fils cadet se serait emparé de son héritage pour faire la tournée des Grands-Ducs avec des prostituées ; l’interprétation moralisante donne raison au frère aîné, qui est scandalisé d’un tel comportement à la fois irresponsable et déviant. Or le texte dit uniquement que le fils cadet a dilapidé son bien en vivant « immodérément »… En fait, qui affirme que le fils cadet « a dévoré les moyens de subsistance du père, avec des prostituées » (pornôn Luc 15 ; 30.) ? C’est le fils aîné, qui d’ailleurs ne reconnaît pas le fils cadet comme étant son frère, parce qu’il l’appelle, en présence du père : « ton fils », au lieu de dire : « mon frère ». Le mot « prostituées » n’apparaît que dans le réquisitoire que le fils aîné profère contre son frère cadet. D’ailleurs, le fils aîné n’avait nul moyen de savoir ce que faisait réellement son frère cadet en un pays lointain ! L’optique moralisatrice dévoile une seule et unique signification de la parabole : celle-ci ne ferait que montrer l’amour inconditionnel du père pour ses fils - ce qui est fort bien, mais efface la signification cosmologique du récit. Cela limite considérablement la portée du texte, et présente le danger de montrer Dieu comme étant le « domestique » de nos désirs…


La stérilité du monde de l'exil.

Dès que le fils cadet tient dans ses mains les biens qu’il a arrachés à son père, ceux-ci s’évanouissent, lui coulent entre les doigts, comme du sable. C’est la famine, et « il commença à être privé ». La dilapidation du bien, à cet endroit du texte, n’est pas une question morale, mais bien théologique : le fruit que l’on arrache à l’Arbre de la Connaissance pourrit immédiatement après être croqué ; il est la proie de la corruption. Désormais, il n’est plus question de divinisation, mais bien d’animalité : le fils cadet se trouve en train de « faire paître des cochons ». Il voulait se rassasier des caroubes que mangeaient les cochons, mais « personne ne les lui donnait » (Luc 15 ; 16.). Quoi donc ? Ne pouvait-il se pencher pour les ramasser ? En fait, le fils cadet a refusé le don des biens que lui faisait le père ; exactement de la même façon, le monde se refuse à lui, et ne lui fournit plus que peines et épines, comme à Adam et Ève après la Chute.

Le mal, j'entends le mal absolu qui constitue proprement le péché, est le refus ou la rupture du lien nuptial que Dieu veut contracter avec nous, et, à travers nous, avec tout l'univers.

Le mal rend l'homme extérieur à soi, à Dieu, et à tout.
Le mal éteint l'Esprit (I Th. 5 ; 19).
Le mal fait de nous des choses dans un monde de choses, dont nous subissons la pesanteur en nous et hors de nous.
Le mal empêche Dieu de nous apparaître comme liberté absolue, dès lors que notre liberté ne s'actualise pas en libération de nous-mêmes.
Le sens de la création nous échappe, puisque nous devenons incapables de communiquer à toute réalité l'amour que nous refusons d'accueillir en nous. Notre vision du monde se disloque.
Notre origine se perd dans la nuit des premières synthèses d'acides aminés, puisque nous renonçons à nous faire « origine », aujourd'hui, dans la lumière d'une Nouvelle Naissance liée à notre consentement.
Notre fin plonge dans l'inconnu de la mort, faute d'être identifié avec la Présence cachée en nous, qui est le seul chemin vers nous.
Toutes nos valeurs basculent entre ces deux incertitudes.
Nous ne savons plus où situer notre inviolabilité et notre dignité, notre liberté et notre responsabilité.
Nous ne discernons plus avec clarté le bien du mal, à défaut d'une référence ferme à un absolu qui ne s'affirme plus guère - et par intermittence - qu'à travers des subjectivités passionnelles qui le déforment en le monopolisant.

Maurice Zundel. Quel homme et quel Dieu ? Éditions Saint-Augustin, 2008. p. 164 - 165.


Une stérilité qui s'avère féconde.

C’est au cœur de la stérilité de ce monde issu du Refus Originel, que surgit la lumière de la prophétie. La femme d’Abraham, Sara, était stérile. Suivant l’annonce de l’Ange, elle engendra Isaac (Gn. 11 ; 30, 18 ; 9–15, 21 ; 1-7.). La femme d’Isaac était stérile. Après la prière d’Isaac, Rebecca engendra des jumeaux : Esaü et Jacob (Gn. 25 ; 21 - 26.). La femme de Jacob était stérile. « Dieu se souvint de Rachel, et la rendit féconde » (Gn. 30 ; 22 - 23.), et elle engendra Joseph. La femme de Manoah était stérile. L’Ange du Seigneur lui annonça la naissance de son enfant, et la prévint qu’il doit être Nazir. Elle donna naissance à Samson (Jg. 13 ; 2 - 25.). Anne était stérile. Le prêtre Éli lui prédit la naissance d’un fils, et elle engendra Samuel (I Sam. 1 ; 5 - 20.). Et enfin Élisabeth était stérile. L’Ange apparut à Zacharie, et Élisabeth donna naissance à Jean-Baptiste (Lc. 1 ; 7 - 66.). Ce n’est pas par hasard que se déroule la longue succession de femmes qui étaient frappées de la stérilité caractéristique du monde déchu de la réalité paradisiaque, et que l’appel du Seigneur, de l’Ange ou de la prophétie a pu se faire entendre au plus profond de cette réalité, afin d’y faire surgir la vie.


Le repentir du fils.

Si la vie peut surgir au cœur de la stérilité du monde, le chemin vers la lumière peut être découvert par le fils, en son lieu d’exil. Le fils cadet fait un retour sur lui-même. Il constate que par son comportement, il a perdu sa filiation. Il projette de dire ces paroles de véritable repentir : « mon père, j’ai péché contre le Ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ; traite-moi comme l’un de tes salariés » (Luc 15 ; 18 – 19.). Le fils cadet revint; le père l’aperçut de loin et « fut ému en ses entrailles », il se jeta à son cou et l’embrassa. À cette occasion, le fils cadet répéta sa phrase, mais fut interrompu par le père avant qu’il ne puisse dire « traite-moi comme l’un de tes salariés » - car ce n’était pas le sort que son père lui réservait. Il est intéressant de remarquer que la phrase du fils fut interrompue par le père… Le père réalise la parole du Christ en l’Évangile de Jean : « Je ne vous appelle plus serviteurs (…) Je vous appelle amis » (Jn. 15 ; 15.).


Le retour au Père.

Dans ce monde marqué par le Refus Originel, il est possible de revenir auprès du Père, en opérant un retour sur soi – en cessant de vivre de façon tout extérieure – et en produisant un repentir authentique. Le père fait revêtir au fils cadet « la première robe » - tout comme les justes sont revêtus de robes blanches dans le Royaume (Apoc. 7 ; 9) - puis lui donne un anneau et le chausse de sandales. Le fils cadet reçoit un anneau d’or, comme Job, lorsque son bon droit fut reconnu (Jb 42 ; 11.). Le père dit à son fils, comme l’Époux du Cantique : « que des pieds sont beaux dans tes sandales (Cant. 7 ; 2.)! ». Il s’exclame : « mon fils que voici était mort, et il revit ; il était perdu et il est retrouvé ! » (Luc 15 ; 24.). Le fils prodigue a retrouvé sa filiation : il est restauré à l’état de « fils ». Il a retrouvé la dynamique du Salut, ce Salut qui est passage de la mort à la vie, le Passage, la Pâque de ce monde-ci au Royaume, à la Maison du Père.

Ce passage de l'Évangile nous montre qui est réellement le Père - comme le dit la prière suivante :

Père dont le nom est Tendresse,
Père dont le nom est Jeunesse,
Père dont le nom est Amour,
Père dont le nom est Père,
- et presque dont le nom est Mère,
Père dont le nom est Secours,
Père dont le nom est Indulgence,
Père dont le nom est Patience,
Père dont le nom est Pardon,
Père dont le nom est Caresse,
- et de nouveau : Père dont le nom est Tendresse,
Père qui s'appelle l'Infiniment Bon,
Ô Père, à ceux qui, sous prétexte que tu es quelqu'un de tout-autre, ne veulent pas que ta paternité ait aucun rapport avec la nôtre, et te font ce qu'ils ne voudraient pas être eux-mêmes : une espèce de juge terrible et de pharaon,
- Avec des mots qui seuls ont un goût de Dieu,
Donne-moi, ô Père, de faire connaître Ton Vrai Nom.

François Decorse. Deviens qui tu es. Cité dans « Ton Visage, ma Lumière » Maurice Zundel. éd. Mame 2015. p. 375.


La colère du fils aîné.

Le fils aîné est loin d’être ravi par le retour de son frère ! Il revient des champs. Il s’agit de la terre rude et pénible qu’Adam fut astreint à travailler, dans la peine et la sueur, hors du Paradis. C’est de loin qu’il entend la musique et les danses qui résonnent dans la maison du père, et qui lui sont étrangères. Le fils aîné refuse significativement d’entrer dans la maison et s’indigne. - L’interprétation traditionnelle de la figure du fils aîné consiste en le fait d’y voir le peuple juif, qui a toujours suivi la Loi. Il n’entre pas dans la maison du Père, car il n’appartient pas à l’Église du Christ, et combat vigoureusement la venue de ceux qui sont nouvellement convertis par le Christ, et qui n’appartiennent pas au Peuple Élu. Cette interprétation est certainement valable, mais elle ne laisse plus aucune actualité à ce texte. Et puis, qui sont les « amis » avec lesquels le frère aîné aurait souhaité festoyer, sans pouvoir le faire ? Pourquoi le père n’a-t-il jamais rien donné au fils aîné, alors qu’il tue le veau gras en faveur du fils prodigue ? Nous voyons que cette interprétation traditionnelle laisse dans l’ombre plusieurs aspects du texte.

Et si le fils aîné exprimait un autre aspect du Refus Originel ? Regardons cela de plus près :
- Le fils cadet jouissait des biens de son père, mais n’en voulait pas comme don : il voulait que les biens soient à lui, sans le père ; à ses yeux, son père est mort.
- Le fils aîné, quant à lui, estimait qu’il n’y avait pas de don. Le don n’existe tout simplement pas. Par la même occasion, le don que fait le père est nié. Jamais le fils aîné n’a demandé quoique ce soit au père. Le fils aîné sert le père comme un maître, et il n’a jamais passé outre à un seul de ses commandements. Le père répond à la protestation courroucée du fils aîné : « tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ».


De l'importance de formuler sa demande.

Pourquoi n’a-t-il jamais reçu un chevreau ? L’a-t-il seulement demandé ? Car il faut formuler nos demandes : la veuve obtint justice, à force d’importuner le juge inique (Luc 1 ; 1 - 8.); l’ami importun finit par obtenir un pain pour son visiteur, en s’obstinant à frapper à la porte en pleine nuit (Luc 11 ; 5 - 8.); Jésus affirme : « si vous, qui êtes mauvais (Il ne se fait aucune illusion sur la Nature humaine !), vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les Cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui L’en prient » (Mt. 7 ; 7 – 11. Dans le texte parallèle de l’Évangile de Luc, nous lisons : « combien plus le Père du Ciel donnera-t-Il l’Esprit-Saint à ceux qui L’en prient » Luc 11 ; 13.).

Notre collaboration à l’œuvre divine se marque par le fait que nous formulons notre demande : notre prière ascensionnelle vers Dieu ouvre la voie à la descente des Énergies divines sur nous. Dieu agit si on le Lui demande ; encore faut-il le Lui demander… Certes, la prière de demande est à la fois une force et une tentation : « je Lui ai demandé cela, et je n’ai pas été exaucé ! » Dieu donne ce qu’il veut, quand Il le veut, et sous la forme qu’Il veut. La réponse à une prière peut survenir à la minute qui suit, ou un siècle plus tard… Cette réponse peut surgir sous les formes les plus imprévues, parfois marquées par un certain humour divin ! Dieu nous envoie uniquement ce qui est utile pour notre Salut, pour faire progresser notre connaissance et notre amour des mystères divins. Dieu n’est intéressé ni par notre confort, ni par notre prospérité matérielle, ni par la sauvegarde des institutions humaines, fût-ce même les institutions ecclésiastiques… Bien souvent, nous ne reconnaissons pas à Dieu la liberté que nous revendiquons ardemment pour nous-mêmes. Si nous reconnaissons franchement la liberté de Dieu à notre égard, les aléas de la prière de demande ne poseront plus pour nous aucun problème.


Le chevreau du fils aîné.

Faute d’avoir été demandé, le chevreau du fils aîné n’a jamais existé, et n’a jamais été partagé… Qui prépare un chevreau pour festoyer avec ses amis, dans les Écritures ?

Nous pensons à Gédéon, qui offrit un chevreau à l'Ange du Seigneur, sous le térébinthe d’Ophra (Juges 6 ; 11- 24.). L'Ange du Seigneur donna mission à Gédéon de délivrer Israël de la servitude de Madiân. Or Gédéon était le dernier de la maison de son père, et son clan était le plus pauvre en Manassé (Juges 6 ; 15.).

Bien souvent, l'appel divin retentit aux oreilles de celui qui est le plus mal placé pour y répondre : « ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre la force ; ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l'on méprise, voilà ce que Dieu a choisi ; ce qui n'est pas, pour réduire à rien ce qui est » (I Co. 1 ; 27 - 28.). Gédéon demande un signe, et l'Ange du Seigneur consuma la viande de chevreau et les pains sans levain, posés sur le rocher (Juges 6 ; 20 – 21.).

Après que Gédéon ait profané l’autel de Baal (Juges 6 ; 25 – 35.), Gédéon demanda à Dieu de confirmer son message par le « signe de la toison » (Juges 6 ; 36 – 40.): celle-ci devant rester sèche en une matinée de rosée, et une autre fois, être humide, par une sèche matinée. Les Pères de l'Église ont interprété ce signe comme étant une prophétie de l'enfantement virginal de la Mère de Dieu, comparant l'inexplicable rosée matinale sur la toison de Gédéon, à l'inexplicable semence provenant de l'Esprit Saint, permettant à Marie d'enfanter Jésus.


L'hôte sous le térébinthe.

Gédéon reçoit l'Ange de Dieu, en lui offrant un chevreau. À cet égard, Gédéon s'adresse à un seul hôte, sous le térébinthe. Mais est-il vraiment seul ? Sous le chêne de Mambré, Abraham reçut l’Ange de Dieu, qui s’avéra être Trois (Gn. 18 ; 1 - 8.): « trois hommes », appelés « Monseigneur » - Trois en Un ; l’apparition du Dieu uni-trinitaire. L’Ange de Gédéon pouvait aussi bien être Un que Trois. Si le fils aîné de la parabole avait demandé un chevreau à son père, s’il avait accepté de le recevoir comme un don, sans doute aurait-il reçu les Anges, ses amis.

En ce qui nous concerne, nous ne verrons jamais les Anges, ni la Présence divine qu’ils signalent, si nous considérons le monde avec les yeux du fils aîné - un monde qui existerait en soi, étranger au Don proposé par le Père.


L'histoire du Fils prodigue, ou celle du Père miséricordieux ?

La « parabole du fils prodigue » recevrait sans doute une meilleure dénomination, si elle était appelée la « parabole du père miséricordieux ». Cette parabole, comme nous venons de le voir, illustre le processus du Refus Originel et la récapitulation de l’Univers qui s’ensuivit : la métamorphose du cadre de vie du fils cadet – de la maison du père, où il est authentiquement fils, à un « pays lointain », où règnent la pénurie et l’animalité.

La parabole va plus loin que le récit de la Genèse, car elle indique les balises du chemin qui nous permettra de passer de notre espace-temps marqué par la Chute, au Royaume – de retrouver nous aussi notre filiation : c’est le retour sur soi et le repentir sincère du fils revenant vers son père - repentir précédé et accompagné de l’amour attentif du père.

Le bien est Quelqu'un à aimer, qui peut mourir et qui est mort, en effet, de tous nos refus d'amour.

Maurice Zundel. Quel homme et quel Dieu ? Éditions Saint-Augustin, 2008. p. 174.


Retournons sous le térébinthe...

Revenons à l’histoire Gédéon accueillant l’Ange, sous le térébinthe d’Ophra. Nous pouvons faire nôtres – en toute modestie, bien sûr ! - les paroles de saint Paul : « et que dirais-je encore ? Car le temps me manquerait si je racontais ce qui concerne Gédéon, Baraq, Samson, Jephté, David ainsi que Samuel et les prophètes… » (Hb. 11 ; 32).

À la fin de leur entretien, l’Ange demanda à Gédéon de déposer sur un rocher la viande de chevreau ainsi que les pains sans levain. Avec son bâton, il toucha cette nourriture, et « le feu jaillit du roc, il consuma la viande et les pains sans levain, et l’Ange du Seigneur disparut aux yeux [de Gédéon] » (Juges 6 ; 21.). C’est une fracassante effusion des Énergies divines.

Un tel phénomène se produisit plusieurs fois dans l’Histoire sacrée : lors du sacrifice inaugural célébré par Aaron, « la gloire du Seigneur se fit voir de tout le peuple. Une flamme jaillit de devant le Seigneur, flamme qui dévora sur l’Autel l’holocauste et les graisses » (Lév. 6 ; 9 – 24.). Lors de la construction du Temple, David construisit un Autel et y invoqua le Seigneur; « le Seigneur lui répondit en faisant tomber du ciel le feu sur l’Autel des holocaustes » (I Chron. 21 ; 26.). Le même phénomène se répéta, après la prière de Salomon (II Chron. 7 ; 1.).


Le carnage d'Élie.

Mais bien sûr, l’épisode le plus connu – et le plus choquant ! - est le sacrifice d’Élie, sur le mont Carmel : en présence des prêtres de Baal, Élie construisit un Autel, y disposa les offrandes et fit creuser autour un fossé qu’il fit remplir d’eau. « Le feu du Seigneur tomba et dévora l’holocauste, le bois, les pierres, la poussière, et absorba l’eau qui était dans le fossé » (I Rois 18 ; 38.). Puis commença le carnage : les prêtres de Baal furent emmenés près du torrent de Qishôn, et égorgés par le prophète (I Rois 18 ; 40.). Cette barbarie reflète la sauvagerie des mœurs de l’époque, et l’absolue inexistence de toute idée du droit de l’individu. Cela ne saurait nous étonner, vu le contexte culturel du temps.


La parabole des mines.

Ce qui est beaucoup plus surprenant, c’est que nous retrouvons une allusion à cet épisode dans le Nouveau Testament, et que Jésus lui-même semble cautionner cette barbarie ! Il s’agit de la « parabole des mines » que nous trouvons dans l’Évangile de Luc (Lc. 19 ; 11 – 27, Mt. 25 ; 14 – 30.), équivalente à la « parabole des talents » qui figure dans l’Évangile de Matthieu. Il s'agit de l'histoire bien connue du maître qui s'en va en un pays lointain, donnant à ses serviteurs des richesses de valeur inégale, avec mission de les faire fructifier.

Au retour du maître, chacun présente le fruit de son travail. Celui qui n'a reçu qu'un talent - ou une mine - ne l'a pas fait fructifier et en subit les conséquences. La signification est transparente : le maître qui s'en va en un pays lointain est le Christ qui, après sa mission terrestre, s'en va siéger à la droite du Père, pendant la longue période de temps qui constitue l'Histoire humaine. Au retour du Christ, c'est-à-dire au Jugement dernier, les comptes sont faits, et les actions de chacun, évaluées.

La parabole des « mines » que nous trouvons chez l'Évangéliste Luc, offre des informations supplémentaires, par rapport au texte de Matthieu. L'homme de noble origine s'en alla dans un pays lointain, « dans le dessein de recevoir la royauté et de revenir ». Effectivement, le Christ est « de noble origine », car de descendance davidique ; le Christ est réellement Roi de toute la création, mais Il cacha ce titre pendant sa mission terrestre, afin de ne pas être engagé dans une action politique. À son retour à la Fin des Temps, sa royauté brillera aux yeux de tous.

Le texte de l'Évangéliste Luc précise : « ses concitoyens le haïssaient ». En effet, les grands prêtres et dignitaires du peuple juif haïssaient le Christ, et complotèrent pour Le faire mettre à mort. « Ils envoyèrent une ambassade derrière lui, chargé de dire : nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous ».


L'ambassade envoyée contre « l'homme de noble origine ».

C’est là un passage nettement plus mystérieux : quelle peut bien être cette ambassade ? Jetons les yeux sur la fin du texte de Luc : après que l'on ait enlevé son bien à celui qui ne l'avait pas fait fructifier, le maître dit: « quant à mes amis, ces gens qui ne voulaient pas que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les devant moi ». Voilà le passage litigieux ! Nous sommes extrêmement surpris de retrouver ces lignes dans l'Évangile. Comment Jésus peut-il - même figurativement - ordonner que l'on égorge devant lui ses ennemis ?

Les textes des Écritures s'expliquent et s'éclairent mutuellement. Il est évident que nous avons ici une allusion au prophète Élie, celui qui a égorgé les prêtres de Baal... Et que trouvons-nous dans le texte de sa vie ? Après qu'Élie ait exécuté les prêtres de Baal, Jézabel, la femme du roi Achab, envoie un messager à Élie, avec ces paroles : « que les Dieux me fassent tel mal et y ajoutent encore tel autre, si demain à cette heure je ne fais pas de ta vie, comme de la vie de l'un d'entre eux (les prêtres de Baal) ! (I Rois 19 ; 2) » Elie eut peur ; « il partit pour sauver sa vie », il marcha dans le désert, souhaita de mourir et dit à Dieu : « prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères ». Il se coucha et s'endormit.


La peur d'Élie.

Nous voyons clairement qu'Elie est un anti-type du Christ, c'est-à-dire sa figure inversée.
Cela n’empêche nullement qu’Élie puisse être aussi la figure de saint Jean-Baptiste (Mt. 11 ; 14), en réalisation de la prophétie de Malachie 3 ; 23.

Élie eut peur ;
- par contre, le Christ n'a jamais eu peur, et enseigne à ses disciples de ne pas avoir peur (Lors de la marche sur les eaux : Mt. 14 ; 27, et lors de la Transfiguration : Mt. 17 ; 7).

Comme Élie, le Christ partit dans le désert ;
- mais c'est volontairement que le Christ désire mourir pour notre salut, Lui qui est infiniment meilleur que tout être humain, alors qu’Élie soupire : « je ne suis pas meilleur que mes pères » (I Rois 19 ; 4).

Élie « se coucha et s’endormit » ;
- le Christ se coucha et « s'endormit » pendant trois jours dans le tombeau, mais c'est pour ressusciter et nous apporter la Vie.

Après qu'Élie se soit reposé, un Ange le réconforta (I Rois 19 ; 5 - 8) ;
- le Christ fut Lui aussi réconforté par les Anges, dans le Jardin des Oliviers.

Ensuite, Elie s'en alla rencontrer Dieu sur le mont Horeb.
- Par contre, c'est en tant que Dieu que le Christ donna sa vie, sur le Golgotha.

L’ambassade envoyée derrière le maître, afin de dire : « nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous » - dans la parabole des « mines » - se réfère donc à l’envoyé de Jézabel qui promet la mort au prophète Élie.

Toute la parabole se comprend dans la typologie du prophète Élie, qui fut enlevé au ciel, tout comme Jésus termina sa mission terrestre par l’Ascension.

Quant à Jézabel, elle termina sa vie tragiquement : elle fut jetée par la fenêtre de son palais (II Rois 9 ; 33 - 37.), et les chiens dévorèrent son corps, conformément à la prophétie d’Élie (I Rois 21 ; 23).

Notre promenade dans les Écritures nous a mené bien loin du chevreau du fils aîné !
Lors de la prochaine "Étude", nous reviendrons à notre propos…


L'objectif tracé initialement a-t-il été atteint ? ?

Nous avons trouvé les principaux éléments de réponse à ces questions :
- en ce qui concerne les caractéristiques de l'être conscient qui est apparu dans notre espace-temps, nous avons vu qu'il s'agit d'un "être humain global", UN dans sa Nature humaine, et MULTIPLE selon les personnes.
- la Volonté Souveraine lui a fait part de sa proposition de collaboration à l'oeuvre de la Création.
- cette même Question Fondatrice fut adressée aux créatures angéliques.
- l'être conscient des origines a répondu négativement à cette proposition de collaboration à l'oeuvre divine.
- La réponse négative de l'être humain global entraîna la récapitulation de notre univers.
- ces événements cosmiques trouvent leur écho notamment dans la parabole du Fils prodigue, dont nous avons fait la lecture, en la mettant en relation avec divers textes des Écritures.

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T. des Matières

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