Le texte présenté ci-dessous provient de l'ouvrage suivant :
PAR MGR. GINOULHIAC,
évêque de Grenoble.
Paris, Auguste Durand, Libraire, Rue des Grès, 5. - 1866 -
L'ouvrage comprend trois tomes. Nous citons les chapitres 10, 11 et 12 du Livre VIII, situés dans le deuxième tome,
p. 292 - 310, et les chapitres 1 et 2 du Livre XII, situés dans le troisième tome, p. 152 - 166.
Ces textes sont cités élogieusement par le Père Théodore de Régnon, en sa XIVème Étude, parmi ses « Études de Théologie positive
sur la Sainte Trinité » (éd. Victoir Retaux, Paris, 1898).
L'Étude XIV, intitulée « Dogmatique grecque », se situe dans la Troisième Série - Théories grecques des
Processions divines. La citation se trouve en le T. III, p. 63 - 64.
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Voir la citation dans le chapitre 2, deuxième paragraphe.
Mgr. Jacques Ginoulhiac (1806 - 1875) fut professeur au Séminaire de Montpellier, puis Vicaire Général à Aix-en-Provence, pour être ensuite sacré évêque de Grenoble en 1852.
Il eut une attitude réservée envers le message des visionnaires des prétendues apparitions de La Salette.
Des opinions critiques envers Napoléon III figuraient dans l'une des versions du message transmis par Mélanie, l'une des visionnaires - ce
qui convainquit Mgr. Ginoulhiac que ce mouvement était noyauté par les royalistes. Lorsque la visionnaire désira entrer au couvent des Soeurs de
la Providence, à Corenc, en banlieue de la ville de Grenoble, Mgr. Ginoulhiac s'y opposa, et prit ses dispositions afin que cette personne
se retrouve en un couvent cloîtré de carmélites, à Darlington, en Angleterre. Quant à l'autre visionnaire, Maximin, celui-ci entra au Séminaire
à l'âge de 14 ans. Il aimait y raconter des histoires de pure imagination. En mai 1854, Mgr. Ginoulhiac accusa Maximin d'avoir proféré des
mensonges délibérés, et le fit expulser du Séminaire. - Depuis lors, Mgr. Giloulhiac a mauvaise presse, dans les milieux qui militent en faveur
de la véracité des prétendues prophéties de La Salette !
À propos de la question de l'infaillibilité pontificale, Mgr. Ginoulhiac écrivait
à Mgr. Dupanloup, évêque d'Orléans : « À mon sens, il n'y a pas aujourd'hui de question plus grave que celle-là, et les conséquences d'une
définition semblable seraient désastreuses pour l'Église ». En 1870, lors du Concile Vatican I, Mgr. Ginoulhiac rallia le parti des « inopportunistes », estimant « inopportune » la proclamation
de l'infaillibilité pontificale. Il soutenait que le siège apostolique est composé de tous les évêques, dont le pape est le premier ;
devant la certitude de la proclamation du dogme, demanda que le collège épiscopal fut explicitement associé à l'infaillibilité. Ayant étudié
les Pères anté-nicéens, il savait que la doctrine de l'infaillibilité pontificale était totalement étrangère à la tradition théologique de
l'Église apostolique. Mgr. Ginoulhiac quitta Rome avant la session du 18 juillet, où le dogme de l'infaillibilité fut imposé.
Il dut pourtant
se soumettre à la constitution Pastor aeternus, étant nommé Archevêque de Lyon et de Vienne par l'Empereur Napoléon III,
lors de la même année 1870. Mgr. Ginoulhiac fut toujours l'objet de la méfiance du sière de Rome, qui subodorait en lui des tendances gallicanes.
En 1873, Mgr. Ginoulhiac posa la première pierre de la Basilique de Fourvière. Retiré de la vie active par la maladie dès la fin de 1874, il mourut
à Montpellier, le 17 novembre 1875.
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Objet de cette Étude- CHAPITRE I -
DU PÈRE CONSIDÉRÉ RELATIVEMENT AUX THÉOPHANIES
§ 1. — Doctrine commune aux anciens :
c'est le Fils, et non le Père, qui est apparu aux Patriarches.
Selon un sentiment commun dans l'Église des premiers siècles, c'est le Fils, à l'exclusion du Père, qui a apparu à Adam,
aux patriarches et aux chefs de la république hébraïque. Ils attachaient une grande importance à cette doctrine; jaloux de l'établir par tous
les moyens qui étaient en leur pouvoir, ils ont ordinairement insisté sur trois considérations que nous devons exposer et soumettre à un examen
sérieux, parce qu'elles sont singulièrement propres à nous faire connaître l'idée qu'ils avaient de la dignité de la première Personne divine.
La première de ces considérations est que le Dieu qui a apparu dans l'ancienne loi, étant souvent appelé l'Ange ou l'envoyé de Jéhova, ne pouvait
être la même personne que le Dieu qui l'envoyait, et par là ne pouvait être le Père, parce que celui qui est le Père et le principe de
toutes choses ne peut être proprement envoyé.
La seconde est fondée sur les passages de l'Écriture où il est dit, tantôt que Dieu est invisible, qu'il habite une lumière
inaccessible, qu'aucun homme ne l'a jamais vu et ne peut le voir (I Tim. 1 ; 17; 6 ; 16. Jn. 1 ; 18; Ex. 33 ; , 18 - 20) ;
tantôt que Dieu a apparu aux hommes, qu'il a été vu parmi eux, qu'il a conversé avec eux (Gn. 32 ; 30. Ex. 3. Baruch, 3 ; 3o).
Sans doute, ces docteurs auraient pu concilier ces passages en disant que, si Dieu n'avait pas apparu et était demeuré invisible
dans sa Nature, il avait apparu ou il devait apparaître sous une forme qui lui était naturellement étrangère. Mais, cette explication
n'allant pas au but qu'ils se proposaient, qui était de montrer, soit l'existence de deux Personnes divines, soit la merveilleuse
harmonie qui existe entre la conduite de Dieu sous la dispensation mosaïque et sous la dispensation chrétienne, ils en ont conçu
une autre.
Prenant donc à la lettre et dans un sens absolu les passages que nous venons de citer, ils ont dit que, lorsque l'Écriture
enseigne que Dieu est invisible, que personne ne l'a vu et ne peut le voir, elle parle du Père ; et que, lorsqu'elle déclare que
Dieu a été vu, s'est rendu visible, elle veut parler du Verbe ou du Fils. C'est l'interprétation et le raisonnement de saint
Irénée, de Tertullien, de Novatien et des Pères du premier concile d'Antioche (S. Iren., L. IV, c. XX, n. 7, 11. — Tert., Adv.
Prax., c. XV, XVI. — Novat., de Trin., c. XXVI. Conc. Antioch. L. Labb. Conc., t. I, c. 847).
§ 2. — Expressions étranges et raisonnements singuliers de quelques docteurs anténicéens.
La troisième considération se lie à la précédente, mais elle s'étend plus loin encore. Ce n'était pas
assez de prouver que le Père en fait n'avait pas apparu aux hommes, quelques-uns de nos docteurs voulurent prouver qu'il
n'était pas digne de lui de se manifester sous une forme locale, sensible. Dans ce but, ils firent des raisonnements que
leur étrangeté même nous impose le devoir de rapporter ici avec détail.
Ainsi, Théophile d'Antioche dit que :
Le Dieu de toutes choses ne peut être ni contenu ni rendu présent dans un lieu quelconque ; mais que son Verbe,
par lequel il a fait toutes choses, le peut être.
Theoph, Ad Aut., I. II n. 22.
Tertullien se demande s'il est croyable que :
Le Dieu tout-puissant, qui n'habite pas dans les demeures faites de main d'homme, lui en qui sont tous les lieux, n'étant lui-même contenu dans aucun,
se soit promené le soir dans le Paradis ? » Et il répond que « ces choses n'auraient pas été crues du Fils, si elles n'étaient
écrites, et que peut-être on ne devrait pas les croire du Père, alors même qu'elles le seraient.
Tert., Adv. Prax,, c. XVI.
Novatien, qui imite constamment Tertullien, exagère encore la même pensée :
Si Moïse - dit-il - représente partout Dieu le Père
comme immense et sans bornes, comme n'étant renfermé dans aucun lieu et les contenant tous, de telle sorte qu'il ne monte ni
ne descende, parce qu'il contient et embrasse tout, et si néanmoins il dit que Dieu descendit vers la tour (de Babel), quel
est donc ce Dieu ? Le Père ? Il est donc renfermé dans un lieu ; et comment embrasse-t-il toutes choses ? Un ange ? Mais
cette supposition est contraire à l'Écriture, qui attribue ces manifestations à Dieu. Ce n'est donc pas le Père ni un ange qui
est descendu ; c'est celui dont il est écrit : Celui qui descend est le même qui monte, le Fils de Dieu.
Novat., de Trin,, c. XXV.
Mais saint Justin, qui les avait tous précédés, est allé plus loin, et semble n'avoir pas mis de bornes à ces hardiesses de raisonnement et de langage :
Non - dit-il - le Créateur de l'univers n'est pas celui qui a dit à Moïse qu'il
était le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ; car il n'est personne, pour peu qu'il ait d'intelligence, qui ose dire que l'auteur
et le Père de l'univers a quitté les demeures célestes pour se montrer dans un petit coin de la terre.
S. Just., Dial., n. 60. Opp., p. 157.
Et, comme si ce n'était pas assez, renchérissant encore sur ces paroles :
Prenez garde - dit-il plus bas - de
penser que le Dieu inengendré soit descendu. Le Père ineffable, le Seigneur de toutes choses, ne part pas, ni il ne marche,
ni il ne dort, ni il ne se lève, ni il ne se couche, ne pouvant être contenu dans un lieu ni dans le monde entier, parce qu'il
est celui qui existait avant que le monde fût. Comment donc pourrait-il, ou parler à quelqu'un, ou être vu, aperçu dans une
petite partie de la terre, puisque le peuple ne pouvait au mont Sinaï soutenir l'aspect de la gloire de celui qui était
son envoyé ?
Ibid..
En vérité, lorsqu'on lit pour la première fois de semblables passages, on est effrayé ; et, si on les envisageait seuls, on ne pourrait guère douter que saint Justin n'ait cru que le Verbe n'était qu'un Dieu local, et par là même bien inférieur au Père. Mais lorsqu'on examine les choses de plus près, et qu'on considère la doctrine de ce saint docteur dans son ensemble, on se convainc que telle n'est pas sa pensée, et que, si les expressions qu'il emploie sont singulières et répréhensibles, ses sentiments sont irréprochables. On arrive plus aisément encore à la même conclusion, à l'égard des autres écrivains ecclésiastiques dont le langage est plus mesuré. Nous allons le voir en reprenant par ordre les diverses considérations de ces docteurs, que nous avons exposées.
§ 3. — Le Père ne peut pas être l'ange de Dieu dont il est parlé dans l'Écriture ;
le Fils l'est, et cela ne nuit pas à sa dignité.
La première de ces considérations sur laquelle ils appuyaient leur opinion - que c'était le Fils et non
le Père qui était l'objet des théophanies, est dogmatiquement irrépréhensible. On peut bien prétendre que le raisonnement
qu'ils font n'est pas solide ; que l'ange de Jéhova est simplement un ange, quoiqu'il soit directement appelé Dieu et Seigneur ;
mais on ne peut nier que ces Pères n'eussent le droit de soutenir que cet ange était le Fils de Dieu.
N'oublions pas, en effet,
que le nom d'ange, dans les livres saints, est moins le nom d'une nature déterminée qu'un nom de fonction et d'office (Tert.,
de Carn. Chr., c. XIV), et qu'il ne signifie autre chose qu'envoyé. Et l'on ne peut contester que ce ne soit en ce sens
général que les anciens ont pris ce terme dans les passages que nous examinons :
Le Verbe est l'ange du Père comme il en est l'apôtre - au sens de saint Justin - et il s'appelle ainsi,
parce qu'il est envoyé pour faire connaître aux hommes les volontés paternelles.
Dial., n. 127. Opp., p. 81-221.
Novatien redit plusieurs fois la même chose, et presque dans les mêmes termes, que saint Justin (Novat.,
de Trin., c. XXVI. V. et. c. XXVII). Cela posé, la pensée de ces écrivains est manifeste. Le Père ne peut pas être l'ange
de Jéhova, parce qu'il ne peut être envoyé par aucune Personne divine, n'ayant pas d'origine de son être et n'étant en aucun
sens subordonné à un autre. Si donc l'ange de Jéhova, qui a apparu à Agar, à Jacob, à Moïse, n'est pas un ange par nature,
s'il est Dieu comme l'indiquent le nom et les attributs qu'il se donne, il y a donc en Dieu deux Personnes, l'une qui envoie,
l'autre qui est envoyée : la première est le Père, la seconde est le Fils qui plus tard est venu dans le monde et s'est manifesté
en chair.
De plus, et par les mêmes motifs, il n'est pas de la dignité du Père d'être envoyé , parce qu'il ne relève que de lui-même ;
mais il n'est pas indigne du Fils d'être envoyé, parce qu'il n'est pas indigne de lui d'être engendré par le Père. En juger autrement,
ce serait renverser l'ordre inviolable des Personnes divines. C'est pour cela que le concile d'Antioche disait :
Ce serait une impiété de croire que le Dieu de toutes choses est appelé ange. L'ange du Père, c'est le Fils,
qui est aussi lui-même et Seigneur et Dieu ; car il est écrit qu'il est l'ange du grand conseil.
Conc. Antioch. I, Conc. Labb., L.1, p. 845, 848.
Telle est donc la pensée de ces docteurs. Elle n'implique pas d'autre doctrine que celle que nous avons
déjà exposée, et qui est celle de tous les théologiens modernes comme celle de tous les anciens Pères (S. Iren., Adv. Haer.,
I. IV, c. VI, n. 3) et qui est fondée sur le langage constant de l'Écriture, où il est dit si souvent que le Père envoie le Fils,
qu'il envoie le Saint-Esprit, jamais qu'il est envoyé par l'un ou par l'autre.
Tel est leur raisonnement le plus ordinaire. Il n'y a rien à y reprendre sous le rapport de l'orthodoxie. Nous nous réservons
d'établir, plus tard, qu'il ne laisse guère à désirer sous le rapport de la solidité.
- CHAPITRE II -
LE PÈRE, L'INVISIBLE
§ 1. — Seconde considération.
La seconde considération, qui est fondée sur l'invisibilité absolue du Père, est moins commune chez les
anciens docteurs; et, quoiqu'on en ait étrangement abusé pour les calomnier, elle ne nous paraît pas, à tout prendre, offrir de difficulté
plus sérieuse que la précédente ; car il ne s'agit pas ici, comme nous l'avons déjà remarqué, de justifier leurs raisonnements,
mais de montrer qu'ils ont pu les faire sans porter atteinte à la doctrine de la consubstantialité.
Plaçons-nous donc à leur point de vue. D'une part, ils étaient convaincus que le Fils de Dieu seul avait apparu aux hommes ;
d'autre part, ils remarquaient que l'Ecriture enseigne tantôt que Dieu a été vu, tantôt qu'il ne l'a pas été et n'a pas
pu l'être. N'était-il pas naturel qu'ils se servissent de ces passages pour établir leur sentiment ? qu'ils appropriassent au
Père ceux où Dieu est représenté comme invisible, au Fils qui est l'image, la splendeur du Dieu invisible, ceux où il est dit
que Dieu a apparu ? et que, conséquemment à cette appropriation, ils attribuassent au Père d'être l'invisible par
opposition au Fils, puisque, à leur sens, le Père était demeuré invisible en toutes manières, tandis que le Fils s'était manifesté
sous diverses formes ?
§ 2. — Non que le Père soit invisible de Nature et le Fils visible.
Que si l'on conteste que ce raisonnement dût se présenter naturellement à leur esprit, peut-on contester qu'il soit orthodoxe ?
Sans remarquer ici que nous le trouvons dans saint Hilaire, cet illustre et courageux défenseur de la foi de Nicée, de quel
droit interpréterait-on la pensée des anciens autrement que nous le faisons, et se persuaderait-on qu'à leur sens la Nature
du Père est invisible, tandis que celle du Fils est visible ?
Quoi ! ces écrivains qui ont enseigné si clairement que la Nature
divine est invisible en elle-même, et qui ont enseigné avec non moins d'unanimité que le Verbe est Dieu, auraient cru que le
Verbe est naturellement visible en tant que Dieu, ou en tant qu'il possède la Nature divine ? Saint Justin, qui a si souvent
déclaré que le Verbe est la raison universelle à laquelle le genre humain participe (Apol. I, n. 46. Apol. II,
n. 10 et passim.), tous les docteurs qui ont appelé le Fils de Dieu la raison, la sagesse du Père, auront cru que ce Verbe,
que cette raison, que cette sagesse était naturellement visible, que, par sa Nature, elle tombait ou pouvait tomber sous les sens ?
Mais le plus célèbre d'entre eux, saint Irénée, comme s'il prévoyait l'abus qu'on pourrait faire de son langage sur l'invisibilité
du Père, et pour le prévenir, a déclaré de la manière la plus expresse que :
Le Verbe de Dieu, qui est naturellement invisible, s'est fait visible, s'est rendu palpable au milieu des hommes.
S. Iren., L. IV, c. XXIV, n. 2.
- qu'ainsi il est :
L'invisible qui s'est fait visible, l'incompréhensible qui s'est fait compréhensible, l'impassible qui
s'est fait passible.
L. III, c. XVI, n. 6.
Et l'on croirait, après de semblables affirmations, que ces docteurs ont pensé que le Fils de Dieu est visible en tant que Verbe et dans sa Nature propre ?
§ 3. — Le Fils naturellement invisible, rendu visible sous des formes empruntées.
Prenons donc leur doctrine telle qu'ils nous l'exposent eux-mêmes. Apprenons de Tertullien que :
Le Fils de Dieu, par la condition de sa substance, a été et est invisible, en tant que Dieu, que Verbe,
qu'Esprit, mais qu'il s'est rendu visible avant l'incarnation de cette manière dont il a dit : S'il y a un prophète parmi vous,
je me manifesterai à lui, en vision, en énigme.
Tert., Adv. Prax., c. XIV.
Apprenons de Novatien que le Fils est l'image du Dieu invisible, et qu'il s'est montré aux hommes afin que les hommes s'accoutumassent à voir Dieu en lui-même ; mais que cette image de Dieu, ce Fils de Dieu n'a été vu par les hommes, que « en tant qu'il pouvait l'être » (De Trin., c. XXVII.). Apprenons de saint Irénée que :
Dieu, qui est invisible en lui-même, a apparu aux hommes sous diverses formes ;
- que :
Le Verbe existe véritablement en ce monde, et que, selon ce qui est invisible en lui, il se communique aux puissances invisibles ;
- et jusque dans un des passages qui semblent présenter quelque difficulté, que :
Le Verbe de Dieu s'étant fait, dans l'intérêt des hommes, le dispensateur de la grâce de son Père, il a entrepris
un ordre de dispensations admirable, conservant l'invisibilité du Père, pour que l'homme ne méprisât pas Dieu, et montrant Dieu
visible aux hommes par un ensemble de dispositions extérieures, afin que l'homme ne se perdît pas, en demeurant éloigné
de Dieu.
S. Iren., L. I, c. X, n, 3. / L. V, c. XVIII, n. 3. / L. IV, c. XX, n. 7.
Apprenons enfin de saint Justin que «Dieu a apparu aux hommes, mais autant qu'il était possible à Dieu
de leur apparaître» ; que le Verbe a été fait visible, non en tant qu'il est Verbe et Fils, mais en tant qu'il est « l'ange du
Père et son apôtre qui annonce tout ce qui est convenable, et qui est envoyé pour nous enseigner tout ce que nous devons savoir » ; qu'il
a apparu, non dans la Nature qui lui est propre et qui ne change pas, mais « sous des formes diverses et empruntées, tantôt d'un homme,
tantôt d'un ange, ou sous l'apparence d'un feu ou sous des images incorporelles » (Ad Graec. Coll., n. 21. / Dial., n. 127. V. et. n.
56, 126. / Dial., n. 128. / Apol. I, n. 63).
Après de semblables explications de leur pensée que nous donnent eux-mêmes les docteurs de l'Eglise primitive, il ne serait sans doute
pas nécessaire d'examiner les autres raisonnements qui reviennent à ceux-là et qui ne détruisent pas cette doctrine. Nous pourrions
donc nous borner à ce que nous avons dit, en rejetant la hardiesse de leurs expressions sur l'imperfection et l'exagération si
naturelles à l'esprit humain. Mais, comme notre but, dans cet ouvrage, est de ne mettre de côté aucune difficulté sérieuse,
de ne laisser aucune assertion, aucun raisonnement des anciens qui nous paraisse avoir quelque importance sans l'approfondir,
nous allons soumettre à un sérieux examen la troisième considération que nous avons signalée plus haut, et qui d'ailleurs fait
la principale difficulté.
- CHAPITRE III -
DE LA DIGNITÉ DU PÈRE
§ 1. — Il n'est pas de la dignité du Père de se manifester aux hommes sous une forme locale et sensible.
Quelques-uns de nos anciens docteurs, ainsi qu'on a pu s'en convaincre par les passages que nous avons rapportés,
n'ont pas craint de dire qu'il était indigne de la majesté du Père de se manifester sous une forme locale et sensible, et ils
ont appuyé leur sentiment sur ces considérations : que, résidant dans le ciel, il ne peut en descendre ; qu'il ne saurait
abandonner le ciel pour apparaître sur la terre ; et qu'étant immense, il est impossible qu'il se renferme dans un espace borné.
Ils concluent de là que c'est le Verbe de Dieu seul qui est descendu, et qui s'est manifesté aux hommes.
Ne semble-t-il pas résulter de ce raisonnement que le Fils a abandonné réellement le ciel, lorsqu'il s'est manifesté sur la terre,
qu'il n'est pas immense comme son Père, et par là qu'il ne lui est pas consubstantiel ? Ne nous hâtons pas cependant de tirer
cette conclusion : car ces raisonnements, si étranges qu'ils nous paraissent, peuvent tenir à quelque point de vue qui ne soit
pas incompatible avec la foi de la consubstantialité.
Observons, en effet, que ces docteurs ont pu soutenir qu'il n'était pas de la dignité de la première Personne divine de se manifester,
sous une forme locale et sensible, sans porter atteinte au dogme de l'égalité naturelle du Père et du Fils. Il suffirait, pour
entendre cela, de se rappeler qu'il est indigne du Père d'être envoyé, parce qu'il est sans principe, tandis que cela n'est
pas contraire à la dignité du Fils.
Mais, comme on pourrait supposer, ainsi que l'a fait saint Augustin, que le Père aurait pu
se manifester aux hommes sans être envoyé, nous devons présenter ici une autre observation : c'est que les anciens docteurs
n'envisageaient pas les théophanies racontées dans l'Ancien Testament comme des faits isolés, mais comme se rapportant toutes
au grand mystère de la rédemption de l'humanité ; qu'admettant un plan unique et sévèrement lié dans l'œuvre du salut de l'homme,
ils croyaient que le Fils de Dieu, qui s'était chargé de racheter le genre humain et qui devait à cette fin se manifester en chair,
pour préluder à son incarnation et à ses suites, avait dû la préparer et la figurer par diverses apparitions dans les temps qui
la précédaient, de sorte que ces apparitions avaient une liaison étroite et inséparable avec l'incarnation et la passion
de l'Homme-Dieu.
C'est la doctrine constante de saint Justin, de saint Irénée, de Tertullien, en un mot de tous
les anciens Pères, ainsi que nous le prouverons plus tard. À cause de cela, et sous ce rapport, ils étaient persuadés qu'il
n'était pas digne du Père de se manifester aux hommes, comme il n'était pas de sa dignité personnelle de s'incarner dans le
sein d'une femme, d'en devenir le fils et d'être crucifié. Car, encore une fois, les anciens n'envisageaient pas, comme
le font les théologiens modernes, la question des théophanies d'une manière purement spéculative, et dans ses rapports
avec des états possibles de Providence, mais relativement à l'ordre réel du plan divin. Leur sentiment peut donc bien être
rejeté, mais il peut certainement être soutenu sans que la foi catholique en soit blessée ; et ceux qui considéreront que l'homme
devait être racheté par le sacrifice d'une Personne divine, que ce sacrifice devait être directement offert à une autre Personne
divine et accepté par elle, trouveront sans doute qu'il n'eût pas été convenable que le Père se fût offert à son Fils,
ou à son Esprit, et que, dans l'économie de la Rédemption, l'ordre inviolable des processions divines fût renversé.
§ 2. — Cette opinion n'est pas contraire à la foi en la consubstantialité.
Quoi qu'il en soit, les anciens docteurs le pensaient ainsi, et ils en avaient le droit. Ils pensaient
que, principe des deux autres Personnes, le Père devait conserver, dans l'ordre des desseins extérieurs de sa Providence, les
caractères qui expriment le plus directement la Majesté divine, l'aséité, la toute-puissance, l'immobilité, l'immensité.
Ils
pensaient qu'en fait, ces perfections divines lui étant attribuées d'une manière spéciale et absolue, dans la sainte Écriture,
il ne devait pas en être privé, même en apparence ; car, il faut bien le remarquer, ces docteurs ne faisaient pas des raisonnements
philosophiques ; ils empruntaient tous leurs raisonnements, et les expressions mêmes dont ils se servaient, aux livres sacrés.
Ils disaient donc que le Père « ne pouvait descendre, qu'il ne saurait être renfermé dans aucun lieu, ni dans un petit coin de
la terre, parce que dans l'Écriture il nous est représenté comme immense et comme habitant le ciel ».
En parlant ainsi, ils voulaient
évidemment faire entendre que le Père habitait dans le ciel, qu'il était immense et demeurait tel, dans le même sens selon lequel
ils disaient, avec d'autres docteurs, qu'il était invisible. Et, de même que, suivant leur sentiment et dans leur langage, le Père
est tellement invisible, qu'il ne peut se manifester sous une forme sensible, il est si essentiellement immense, qu'il ne peut
perdre, même extérieurement, le caractère de l'immensité, ce qui eût été s'il se fût manifesté dans un lieu particulier.
§ 3. — En quel sens cette opinion fut-elle adoptée par quelques anciens ?
Si cette explication paraît forcée et trop subtile, qu'on s'en prenne à la pauvreté du langage humain qui
ne peut aborder nos mystères, sans les blesser par quelque endroit ; qu'on s'en prenne à l'imperfection de notre esprit, qui,
dans le désir de trouver des preuves des vérités qu'il admet, les prend où il peut, et, lorsqu'il n'en trouve pas de décisives,
se contente de vraisemblances.
N'est-ce pas d'ailleurs chose certaine, que notre interprétation des passages allégués suffit au but que leurs auteurs se proposaient,
et qui était de prouver qu'il y avait en Dieu deux Personnes réelles et distinguées l'une de l'autre ? Un seul de ces écrivains a-t-il,
même en apparence, renfermé le Verbe en un lieu particulier selon sa Nature divine ? Qu'on les accuse donc si l'on veut de négligence
ou de hardiesse dans leurs expressions, de peu de solidité dans leurs raisonnements ; mais qu'on ne calomnie pas leur doctrine,
qu'on ne leur reproche pas de faire du Verbe divin un Dieu local et secondaire.
En effet, n'est-il pas évident que tout ressent l'exagération dans ces passages ? Pourquoi saint Justin dit-il que le Dieu de
toutes choses ni ne marche, ni ne dort, ni ne se lève ? Si ce n'est pas une allusion aux endroits de l'Écriture où de semblables
actions sont figurément attribuées à Dieu, que signifie ce langage ? Est-ce, par hasard, que le saint docteur les aurait attribuées
au Verbe, selon sa Nature divine, et qu'il aurait eu de lui des idées aussi grossières ? l'antitrinitaire le plus hardi et le plus
ignorant n'oserait le dire.
Pourquoi encore cette pensée, que le Père ne peut être contenu dans le monde entier, parce qu'il existait avant que le monde
fût créé ? Et le Verbe, l'ouvrier, le Créateur de toutes choses, d'après la doctrine reconnue de saint Justin , n'existait-il
pas avant que le monde fût ? Et s'il existait dès lors, il n'est donc pas moins immense que le Père.
Pourquoi enfin ces expressions que le Père demeure toujours dans les cieux, qu'il demeure en sa région, quelle quelle soit (c. X, n. II)?
Ne dirait-on pas qu'il lie le Père aux lieux célestes, qu'il'y renferme, et qu'il méconnaît son immensité, tant il craint que le Père puisse
se manifester aux homme sans descendre localement de son trône, ce qui serait une idée tout au plus tolérable dans un païen ? Il y a donc,
en tous ces passages, ou exagération, ou métaphore.
Le Père demeure dans le ciel parce qu'il manifeste sa gloire aux esprits bienheureux ; le Fils vient sur la terre parce qu'il s'y
manifeste aux hommes. Le Père n'apparaît pas sur la terre, parce que ce serait se dépouiller extérieurement de la majesté qui lui est
propre, descendre au moins en apparence du trône sur lequel il est assis ; mais il administre et gouverne la création par le Verbe qui est
la vertu et la sagesse par laquelle il a fait toutes choses, et ce Verbe lui-même, parce qu'il est Dieu engendré de Dieu, peut être envoyé
dans un lieu particulier (Theoph., Ad Aut., L. II, n. 22) et s'y manifester sans déchoir même extérieurement de sa propre gloire.
§ 4. — Les anciens ont tous professé l'immensité naturelle du Verbe divin.
Les anciens docteurs, en un mot, approprient donc au Père la majesté divine, le séjour dans les cieux et l'immensité ; mais gardez-vous de croire qu'ils en dépouillent le Fils. Car saint Justin vous dira :
qu'il était et qu'il est le Verbe qui est en toutes choses.
Apol. II, n. 10.
Théophile, décrivant ses apparitions, vous déclarera que, d'après les enseignements de la foi :
Il existe toujours dans le cœur de Dieu ;
- que jamais :
- le Père n'est privé de son Verbe, et qu'il est toujours avec son Verbe.
Novatien vous demandera :
Si le Christ est seulement homme, comment donc est-il présent partout où on l'invoque ? Car il n'est pas de la Nature
de l'homme, mais de la Nature de Dieu, d'être « présent partout.
De Trin., c. XIV.
Et Tertullien, pour faire cesser vos doutes, expliquera, avec le fondement des locutions qui vous ont paru si étranges, sa pensée et la doctrine de l'Église :
Nous avons le Fils sur la terre, nous avons le Père dans les cieux ; ce n'est pas une séparation, c'est une
disposition divine. Sachez-le bien : Dieu est présent jusque dans les abîmes, il existe partout. Le Fils, qui est indivisiblement
un avec lui, est aussi partout comme lui. Mais, dans l'économie de la Rédemption, le Père a voulu que l'on regardât le Fils comme
étant sur la terre, lui-même comme étant dans les cieux ; dans les cieux, dis-je, vers lesquels le Fils levait les yeux, priait,
invoquait son Père, et vers lesquels il voulait que nous nous élevassions. C'est pour cela qu'il nous apprenait à prier ainsi :
Notre Père qui es aux cieux, quoiqu'il soit aussi partout.
Adv. Prax., c. XXIII.
- CHAPITRE IV -
LES APPARITIONS DU FILS
§ 1. — Les manifestations du Verbe depuis l'origine du monde.
Tous ceux qui ne sont pas entièrement étrangers à la connaissance des saintes Écritures savent que, suivant
ces divins Livres,Dieu s'est manifesté aux hommes depuis le commencement des temps. Il a apparu et il a parlé d'abord à Adam,
puis aux patriarches et aux chefs de la république judaïque. Les plus célèbres de ces manifestations sont celles qui ont
été faites à Abraham, à Jacob, à Moïse, et qui sont racontées dans les livres de la Genèse et de l'Exode. Ces théophanies
ont eu lieu sous des formes diverses, et celui qui se manifestait est appelé ou Dieu lui-même, ou un homme, et plus souvent
l'ange de Dieu, l'ange de Jéhovah.
Les théophanies ont été interprétées diversement chez les Juifs et chez les chrétiens, selon les besoins de leurs convictions
dogmatiques. Ceux qui ne connaissent pas, et ceux qui méconnaissent la pluralité des Personnes divines, ne voient dans ces
théophanies que des manifestations extérieures, passagères, de l'être divin, soit par lui-même, soit par ses opérations.
L'ange de Jéhovah n'est donc, à leurs yeux, ou qu'un ange créé qui a été l'instrument de l'Être suprême et son représentant,
et dans lequel il a parlé aux hommes, ou bien un être impersonnel, une force, une opération de la Divinité manifestée sous une
extérieure.
Parmi les défenseurs de la Trinité, il en est qui admettent aussi que, par le nom d'ange de Dieu, est quelquefois désigné un
ange créé et indéterminé, par lequel Dieu a parlé aux hommes comme par un instrument, et qui soutiennent que non seulement le Verbe,
ou le Saint-Esprit, mais que le Père lui-même ou la Trinité tout entière s'est manifestée aux hommes. Saint Augustin est, dans
l'antiquité ecclésiastique, le plus célèbre défenseur de cette opinion.
Enfin d'autres docteurs pensent que, par l'ange de Jéhovah, il faut entendre, non un ange en général, mais une personne
déterminée ; que cette personne qui se montre revêtue des attributs divins, qui parle avec l'autorité de Dieu lui-même, qui
est souvent appelée du nom de Jéhovah, est évidemment une Personne divine ; que cette Personne, d'un autre côté, ne peut
être le Père qui ne saurait être en aucun sens l'envoyé de Dieu ; qu'elle est donc le Verbe divin, qui, devant s'incarner
et se rendre ainsi visible aux hommes, a apparu dès les premiers temps et nous a donné, dans ces manifestations, comme
l'image et le gage de son incarnation future.
§ 2. — Doctrine des anciens Pères à cet égard.
Ce sentiment est celui de la généralité des docteurs qui ont précédé le concile de Nicée. Saint Justin l'expose et le soutient avec force dans sa première Apologie, et surtout dans son Dialogue avec Tryphon. Théophile d'Antioche l'admet comme incontestable dans son second livre à Autolyque. Saint Irénée y revient souvent, dans ses livres contre les hérésies. Tertullien en fait le plus grand usage dans ses traités contre les Juifs et contre les hérétiques. Saint Cyprien suit celui qu'il aimait à appeler son maître, dans son livre des Témoignages ; et Novatien, qui tient à la même école, insiste beaucoup sur cette doctrine
S. Just., Apol. I, n. 63. Dial., n. 56, 57, 58, 59, 60, 127. Theoph., Ad Aut., L. II, n. 22. S. Iren., Adv. Haer., L. IV, c. V, n. 2, 3, 5 ; c. VII, n. 4 ; c. X, n. 1 ; c. XX, n. 8, 9. Tert., Adv. Jud., c. IX ; Adv. Marc.,I. 11, c.XXVII; I. III, c. VI, IX ; I. IV, c. X, XIII, XXI, XXII ; L. V, c. XIV; Adv. Prax., c. XIV, XVI. S. Cyp., Test. adv. Jud., L. II, n. V, VI. Novat., de Trin., c. XV, XXV, XXVI, XXVII.
L'école d'Alexandrie, qui nous paraît moins ferme dans ce sentiment, l'enseigne aussi. Le prêtre Clément l'admet dans ses Stromates, et surtout dans son Exhortation aux Gentils, et dans son Pédagogue. Origène fait de même en plusieurs de ses ouvrages.
Clem. Alex., Coh. ad G., n. I ; Paed., L. I, c. VII, XI ; Strom., L. VII ; p. 8, 131, 132,155, 769. Origen., C. Cels., L. VIII, n. 69 ; in Gen. Sel., t. II, p. 45. In Jerem., hom. IX, n. l ; In Matth., t. XII, n. 43 ; In Joann., t. I, n. 9, 34. Et parmi les ouvrages dont l'original est perdu : In Genes., hom. VIII, n. 8 ; In Exod., hom. XII, n. 3 ; In Num., hom. XXVII, n. 5; In Is., hom. I, n. 5; In Matt., comm., n. 28.
Le premier concile d'Antioche (269), tenu contre Paul de Samosate, s'explique à cet égard de la manière la plus énergique (Ap. Labbe, Conc., t. I, p. 846, 847). Tous ces docteurs, dans les passages que nous venons d'indiquer, enseignent que c'est le Verbe qui a apparu aux hommes. La plupart vont plus loin. Ils assurent que c'est le Verbe seul qui a apparu ; et quelques-uns même, que seul il pouvait se manifester, par opposition au Père. Nous ne connaissons, dans les temps qui ont précédé le concile de Nicée, que Clément d'Alexandrie et Origène qui semblent avoir émis quelque doute à cet égard - le premier, dans le cinquième livre de ses Stromates, le second, dans ses tomes sur saint Jean et dans ses livres sur le Cantique des cantiques.
Clem. Alex., Strom., L. V, n. I, p. 648. Origen., In Joann., t. VI, n. 2; In Cant. cant., L. II, Opp., t. II, p. 62.
§ 3. — D'où vient qu'ils attachaient autant d'importance à cette interprétation des théophanies.
Quoi qu'il en soit de cette observation, il est certain que la plupart des anciens Pères ont attaché une grande importance à l'opinion d'après laquelle le Verbe est le sujet des théophanies qui ont eu lieu depuis l'origine des choses. Saint Justin, entre autres, ne craint pas de dire que prétendre que c'est le Père qui a apparu à Abraham, à Jacob et à Moïse, c'est ne connaître ni le Fils ni le Père (Apol. I, n. 63. Sans doute parce que c'est supposer, comme le faisaient les Juifs, que le Père n'a pas un vrai Fils), et Tertullien parle de ce sentiment comme d'une croyance générale dans l'Église (Adv. Marc., L. II, c. XXVII).
§ 4. — Toutes les anciennes hérésies sont réfutées par cette doctrine.
Il ne faut pas s'étonner de l'importance qu'ils attachaient à cette doctrine ; car ils y trouvaient un moyen
de confondre toutes les erreurs opposées à l'enseignement catholique.
À l'égard des païens, ils s'en servaient pour prouver que le christianisme n'était pas une religion nouvelle, mais une religion
toujours enseignée depuis le commencement des temps ; que son auteur n'était pas un homme né récemment, mais le Sauveur et
le Maître unique de l'humanité depuis sa première origine. Ils s'en servaient encore pour leur faire entendre que le Fils de Dieu
était autre que le Père, quoiqu'il fût appelé Dieu comme lui (Clem. Alex., Coh. ad Gent., n. I. S. Just.,
Apol. I, n. 63, etc.).
Par cette doctrine, ils ruinaient aussi le judaïsme ; car toute la dispute avec les Juifs se réduit à établir deux choses : la première,
que le Messie qu'ils ont toujours attendu, ne devait pas être seulement un homme, mais le Fils de Dieu, qui, existant avant tous
les siècles, a voulu se faire homme dans le temps pour nous sauver, la seconde, que ce Fils de Dieu fait omme, ce Messie, est
Jésus-Christ.
Or, pour établir la première de ces deux vérités, rien n'était plus décisif que de montrer que dans les théophanies celui qui
parle et qui apparaît, d'une part, n'est pas un ange créé, puisqu'il est appelé Dieu ; de l'autre, qu'il n'est pas le Dieu
qui l'envoie, puisqu'il est appelé l'ange ou l'envoyé de Dieu, et qu'ainsi il y a en Dieu deux Personnes distinctes.
Il ne restait plus, après cela, qu'à prouver que cette seconde Personne devait se faire homme. Aussi, saint Justin, dans son
Dialogue contre Tryphon, insiste-t-il beaucoup sur ce point (Dial., n. 56, 57, 58.). C'était d'ailleurs abattre le
judaïsme aux pieds de Jésus-Christ que de montrer que ce Jésus était le Seigneur Dieu qu'avaient adoré les Patriarches, et qui,
par Moïse, avait dicté sa loi à Israël (S. Just., ibid. Tert,, Adv. Jud., c. IX).
Il n'est pas besoin de remarquer ici que, par les mêmes motifs, cette doctrine était propre à réfuter les hérétiques ébionites et
modalistes. Car l'ébionisme et le modalisme s'accordent avec le judaïsme en ce point, qu'ils n'admettent pas plus que lui que le
Verbe fût une Personne distincte avant l'Incarnation.
C'est pour cela que Tertullien emploie plusieurs chapitres de son traité
contre Praxéas à établir que le Verbe seul a apparu et a pu seul convenablement apparaître ; que le concile d'Antioche insiste
sur le même point ; et que Novatien, dans son livre de la Trinité, réfute tantôt les Sabelliens, tantôt les Artémonites
par la même doctrine (De Trin., c. XV, XXV, XXVI).
Enfin, c'est spécialement contre les modalistes que l'Église d'Aquilée
avait ajouté à l'article du symbole : Je crois en Dieu le Père tout-puissant, les mots invisible et impassible, entendant
évidemment de la même manière cette invisibilité et cette impassibilité, c'est-à-dire dans ce sens que le Père n'a pas été vu
sous une forme créée, comme il n'a pas souffert dans une nature humaine (Apud Ruf., de Symb. Hier. Opp., t. V).
Mais cette opinion était surtout propre à renverser le gnosticisme qui enseignait la séparation absolue de l'Ancien et du Nouveau
Testament, et prétendait que les révélations anciennes étaient dues ou au génie du mal ou au démiurge, ce dieu subalterne, si
éloigné du Dieu Père de Jésus-Christ.
Car s'il est démontré que l'ange de Dieu dont il est parlé dans les Livres saints, n'est autre que le Verbe divin qui s'est
manifesté plus tard en Judée, la révélation mosaïque et la révélation chrétienne sont donc la suite d'un même dessein : elles ont
toutes deux le même auteur ; et le Dieu de la loi, le démiurge, est le même que le Dieu de l'Évangile et le Père de Jésus-Christ.
Clément d'Alexandrie, et surtout saint Irénée et Tertullien, insistent sur ce point de vue (S. Iren., L. IV, c. V. Tert.
Adv. Marc., L. II, c. XXVII ; L. V, c. XX).
- CHAPITRE V -
LA PROBABILITÉ DE LA DOCTRINE DES THÉOPHANIES
§ 1. — Les fondements sur lesquels les anciens docteurs appuyaient leur sentiment par rapport aux théophanies.
Après ce que nous venons de dire, il est facile de comprendre pourquoi les anciens docteurs tenaient tant
à attribuer au Verbe les théophanies racontées dans l'Ancien Testament. Mais cette doctrine, dont ils faisaient un si grand usage,
était-elle aussi probable en elle-même qu'elle leur semblait utile, et l'appuyaient-ils sur des motifs capables de faire impression
sur l'esprit de leurs adversaires ? Cette question mérite d'être examinée. Car, quoique la foi de l'Église ne dépende pas essentiellement
de la valeur des raisonnements des docteurs qui la défendent, il est bon néanmoins de connaître ces raisonnements, afin de se former
une idée exacte et complète de leur doctrine, et aussi pour ne pas accuser légèrement ceux qui les ont faits, de peu de solidité
d'esprit. Or, les motifs sur lesquels les anciens docteurs appuyaient leur opinion relativement aux théophanies, peuvent être réduits
à trois considérations principales.
La première est spécialement empruntée aux passages de l'Ecriture où celui qui se manifeste est appelé tantôt Dieu, tantôt
l'ange de Dieu, tantôt un homme. Nous avons plusieurs fois résumé les raisonnements des Pères à cet égard, et il est inutile d'y revenir.
S. Justin., Dial., n, 58, 59. S. Cyp., Testim., L. II, n. V, VI. Novat., de Trin., c. XXXVI, XXXVII. V. L. X, c. VIII, et L. XI, c. VI.
Du reste, ils trouvaient une confirmation de leur opinion dans le récit d'une des plus belles théophanies (Gen. 16 ; 24), et aussi dans le passage d'Isaïe (9 ; 6), où le Messie est appelé l'ange du grand conseil.
S. Just., Dial., n. 56, 127. Cône. Antioch. I, apud Labbe, 845, 848. Novat., de Trin., c. XXVII, XXVIII.
Cette première considération n'est pas sans valeur ; de savants théologiens modernes l'ont adoptée, et ils la regardent
comme fondée sur la tradition du peuple juif et sur quelques passages de saint Paul.
La seconde considération que les anciens Pères faisaient valoir est moins solide. Elle s'appuie, ainsi que nous l'avons dit ailleurs,
sur des passages de l'Écriture qui semblent, au premier abord, contraires les uns aux autres, et où il est dit, tantôt que Dieu est
invisible, que personne ne l'a jamais vu, et tantôt que Dieu a conversé avec les hommes et a été vu par eux.
Sans doute on peut concilier ces passages, en distinguant la Nature divine des formes diverses sous lesquelles elle a voulu apparaître
aux hommes, et c'est là l'interprétation la plus probable de ces textes. Mais plusieurs Pères ont pensé que, par cette interprétation,
le sens littéral des premiers passages n'était pas suffisamment respecté : que celui qui est appelé d'une manière absolue le Dieu
invisible, qui n'a jamais été vu, ne peut en aucun sens être dit visible, être regardé comme ayant habité sur la terre,
et été vu de quelque manière (Novat., de Trin., c. XXVI.) ; et par conséquent qu'on ne peut pas dire qu'il ait été vu,
soit en lui-même, soit, dans une forme qu'il aurait prise. De là ils concluaient qu'autre était celui qui est appelé le Dieu invisible,
le Dieu qui n'a jamais été vu, autre le Dieu qui a été vu et qui a habité parmi les hommes. Il y a donc dans la Divinité deux
personnes distinctes : l'une qui demeure absolument invisible, l'autre qui, invisible aussi dans la nature qui lui est propre,
s'est faite visible comme elle l'a pu, en empruntant des formes étrangères et variées d'ange, d'homme, de feu.
Ce qui confirmait ces anciens docteurs dans leur interprétation, c'est que, non-seulement il n'est dit nulle part que le Père ait
été vu, mais que Jésus-Christ a expressément déclaré que personne na jamais vu le Père, hors celui qui est de lui (Jn. 6 ; 46) ;
tandis qu'il est écrit expressément que le Verbe-Dieu, le Fils unique de Dieu, s'est montré aux hommes et a habité parmi eux
(Tert., Adv. Prax., c. XV. V. et. Conc. Ant., p. 848, et Novat., de Trin., c. XXV).
Saint Justin, Théophile, Tertullien et Novatien, poussant plus loin leurs raisonnements sur ce sujet, n'ont pas craint de dire qu'il
n'était pas digne du Père de toutes choses de se manifester aux hommes sous une forme locale, passagère, et que sa majesté,
telle qu'elle nous est révélée dans les livres saints, requérait qu'il demeurât toujours dans son immensité, et ne parût même
pas sortir du séjour de sa gloire. Nous avons expliqué ailleurs, et tempéré par l'ensemble de la doctrine de ces Pères, ce qu'il y a
d'outré dans leurs assertions à cet égard.
Nous devons ajouter ici que ce raisonnement ne leur paraissait pas décisif à eux-mêmes ; que, s'ils lui attribuaient quelque valeur,
c'est à cause des passages de l'Écriture où une personne divine est représentée comme étant au ciel, tandis que l'autre est représentée
comme étant descendue sur la terre (Gen. 19), ou comme montant au ciel (Ps. 23 ; 59), et spécialement de cette parole de saint Paul :
Celui qui est descendu, c'est celui-là même qui monte au plus haut des cieux, pour tout accomplir (Eph. 4 ; 10) -
(S. Just., Dial., n. 127. Novat., de Trin., c. XXV). Mais c'est surtout par suite d'une troisième considération
qui ne manque ni de solidité ni de grandeur. La voici :
Le Fils de Dieu devant, d'après le plan divin, accomplir un jour, par son incarnation et par sa mort, le salut de l'humanité,
ne l'a jamais perdue de vue. L'ayant adoptée, il n'eût pas été digne de lui d'en livrer la conduite à d'autres, au moins en ce qui
concerne la portion qu'il s'était choisie ; et toujours il a dû exercer envers elle, quoique d'une manière différente, les fonctions
de sauveur et de guide. Comme un maître habile et dévoué, il l'a prise dès son premier âge, et, proportionnant ses leçons aux
forces de son élève, il l'a conduite, des ténèbres et de la faiblesse de l'enfance, à travers une jeunesse grossière et orageuse,
à la maturité parfaite.
Devant se manifester un jour aux hommes et habiter parmi eux d'une manière sensible, il se préparait et les préparait eux-mêmes
aux mystères de sa vie humaine, par des apparitions sensibles et passagères. Ainsi, son incarnation n'est pas un fait isolé dans
l'ordre général de la Providence ; elle se lie à toutes les manifestations de la Divinité aux hommes, qui sont avec elle
la suite d'un même dessein, et les théophanies qui sont racontées dans les anciens livres sont les symboles, les préludes et l'essai de
cette incarnation même.
Tert., Adv. Prax., c. XVI. S. Iren., L. IV, c. XIII, n. 4. Ibid., c. XX, n. 7. V. et. S. Just., Apolog. I, n. 63. Dial., n. 127. Clem. Alex., Paed., L. I, c. XI. Strom., L. VI, n. VII.
Soutenir après cela que le Père a été l'objet des théophanies, c'est sortir de ce dessein, c'est renverser
cette merveilleuse harmonie (Tert., Adv. Prax., c. XVI). En admettant au contraire que le Fils, qui devait habiter parmi nous,
a apparu dès les premiers temps, tout se réduit à l'unité, et les enseignements divers de l'Écriture se concilient d'une manière
remarquable. On comprend très-bien que le Fils de Dieu, qui devait se faire homme, soit le Dieu et l'Ange de la Genèse et de l'Exode,
comme il est, dans Isaïe, le Dieu fort et l'ange du grand conseil, et dans Malachie, le dominateur et l'ange de
l'alliance désirée. Il est naturel que ce soit celui qui est l'image du Dieu invisible, qui nous prépare, par ses manifestations
extérieures, à la vision de Dieu son Père (Novat., de Trin., c. XXVI. V. et. S. Iren., L. IV, c. XX, n. 4, 5, 10, 11).
Puisqu'il est certainement le Dieu qui a été vu et qui a habité parmi nous, dont parle le prophète Baruch, pourquoi attribuer à un autre
qu'à lui d'être le Seigneur qui a conduit Israël et lui a donné sa loi ? Enfin, Dieu ayant tout créé par le Verbe, et devant aussi réconcilier
par lui toutes choses, n'est-il pas naturel qu'il administre spécialement par lui tout ce qui a rapport au salut de l'homme, et par
conséquent, que l'ordre général des révélations divines ait été accompli par le Fils et non par le Père (Tert., Adv. Prax.,
c. XV, XVI. V. et. Theoph., L. II, n. 22) ? Que si l'on trouve qu'il ne suit pas rigoureusement de ces considérations que le Père
n'a jamais apparu aux hommes, il en résulte du moins que c'est au Fils que doivent être ordinairement attribuées les théophanies,
et c'est là au fond tout ce que prétendaient les docteurs des premiers siècles.
§ 2. — En même temps que les anciens docteurs prétendaient que le Verbe s'était manifesté,
ils soutenaient que celui qui s'était manifesté était
Dieu, le Vrai Dieu, Celui qui Est.
Il est vrai que c'est une chose clairement enseignée dans les livres saints, que c'est Dieu lui-même, le
Dieu véritable, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, qui s'est manifesté aux patriarches et aux chefs de la nation juive ; et
les anciens Pères ne le nient pas. Bien loin de là, ils l'affirment et l'enseignent tous de la manière la plus constante et la
plus expresse.
Ainsi saint Justin, dans l'Exhortation aux Grecs, dit expressément que c'est Dieu lui-même qui a apparu à Moïse,
que c'est lui qui a dit : Je suis Celui qui suis, et qui a parlé de cette manière afin de montrer son éternité
(Coh. ad Gr., n. 21, 25. Nous attribuons cet ouvrage à saint Justin, sans affirmer cependant qu'il soit de lui) ;
et, dans sa première Apologie et dans son Dialogue, il répète sans cesse que celui qui a apparu est le Dieu d'Abraham,
d'Isaac et de Jacob (Apol. I, n. 63. D al. passim.), titre que le Dieu véritable s'est constamment donné dans les Livres saints, et qui le désigne certainement
d'après la doctrine de saint Justin.
Ainsi saint Irénée, que nous avons vu affirmer de tant de manières que c'est le Verbe seul qui a apparu aux hommes, dit ailleurs
que « Dieu, qui est invisible en lui-même, a apparu sous diverses formes » ; que « c'est Dieu, le seul vrai Dieu, le créateur du
ciel et de la terre, qui a dit à Moïse : Je suis celui qui suis ». Non content d'énoncer ce fait, le saint docteur le prouve par
le passage où Jésus-Christ, réfutant les Sadducéens, leur parlait ainsi : N'avez-vous pas lu que Dieu a dit: Je suis le Dieu
d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob ? Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants.
Or - poursuit saint Irénée - Jésus-Christ a fait voir par là que celui qui a parlé à Moïse dans le buisson ardent,
et qui s'est montré comme le Dieu des patriarches, est le Dieu des vivants, celui au-dessus duquel il n'est pas d'autre Dieu.
L. I, c. X, n. 3. et L. IV, c. V, n. 2. V. et. L. III, c. VI, n. 2 ; c. XV, n. 3.
Tertullien, dans les endroits où il cherche à établir que le Verbe seul s'est manifesté aux hommes, dit expressément que Dieu a été vu1. Les autres docteurs parlent de même dans les passages que nous avons cités plus haut. Mais Origène s'explique à cet égard d'une manière si précise, que nous ne pouvons nous empêcher d'indiquer ici quelques-uns des témoignages qu'il a rendus à cette importante vérité. Il dit donc indifféremment, dans ses ouvrages, que c'est le Verbe qui a substantiellement habité dans les saints de l'Ancien Testament, que c'est lui-même qui a dit à Moïse : Personne ne verra ma face et vivra, que c'est lui qui a agi dans les anges qui sont les ministres de notre salut, et que c'est LE Dieu, le Dieu de toutes choses, qui a apparu aux patriarches, qui conversait familièrement avec eux, et qui a parlé dans l'ange qui apparut à Moïse dans le buisson ardent.
Cnf. Origen., In Jerem., hom. IX, n. 1 ; In Matth., t. XII, n. 43. Comm., n. 28, etc. ; In Joann., t. I, n. 34 ; et C. Cels., L. II. n. 66 ; In Jerem. Sel., c. XVI, n. 16; In Joann., t. VI, n. 7, etc., etc.
§ 3. — Conclusions relatives à l'existence, à la subordination personnelle et à la divinité du Verbe.
Ainsi, c'est une doctrine constante chez les docteurs des premiers siècles, d'un côté, que c'est le
Verbe divin qui ordinairement s'est manifesté aux patriarches et à Moïse, de l'autre, que celui qui s'est manifesté est le
Dieu de toutes choses, le Dieu véritable.
Il est facile de tirer de là plusieurs conclusions également certaines, également importantes :
- La première, que personne ne conteste, est qu'aux yeux des anciens docteurs, le Fils est une Personne distincte du Père.
- La seconde, que le Fils étant l'ange ou l'envoyé du Père, tandis que le Père n'est pas envoyé ; que le Fils étant l'image du Père
qui lui-même n'est l'image de personne, tient du Père son être, son action, et lui est personnellement subordonné.
- La troisième, que cette subordination personnelle n'implique pas une inégalité substantielle ou une inégale participation de
la Nature divine, puisque celui qui a apparu ou qui a parlé aux patriarches a été constamment regardé par les mêmes auteurs
comme étant le Dieu véritable.
Pour appuyer cette dernière considération, nous ferons remarquer ici une différence caractéristique qui existe entre l'opinion
des Ariens, ou des fauteurs de l'arianisme, et celle des anciens auteurs orthodoxes sur les théophanies.
Les Ariens accordaient
que c'était le Verbe divin qui a apparu à Abraham, à Agar, à Jacob, à Josué, parce que si, dans plusieurs de ces manifestations,
il apparaissait comme l'égal de Dieu, dans les autres il semblait représenté comme lui étant inférieur ; mais ils ne voulaient
pas qu'on pût attribuer au Verbe l'apparition faite dans le buisson ardent et les paroles que Dieu adresse à Moïse, et par
lesquelles il déclare qu'Il est Celui qui est. Ce nom que celui qui parle se donne en propre, exprime trop clairement
la Nature parfaite de la Divinité.
Cette distinction a été inconnue aux Pères de l'Église primitive ; et, sans parler des autres, saint Justin, saint Irénée,
Clément d'Alexandrie, Origène, les évêques du concile d'Antioche - ou disent expressément - ou même établissent directement - que :
C'est le Verbe qui a apparu,
qui a parlé à Moïse dans le buisson ardent,
qui y a révélé son nom et dicté ses volontés au législateur des Hébreux.
S. Just., Apol. I. n. 63 ; Dial., n. 58, 59. — S. Iren., Adv. Haer., L. IV, c. X, n. 1 ; c. XX, n. 9. — Clem. Alex., Coh. ad G., n. I, p. 8. — Orig., In Joann., t. I, n. 34, Opp., t. IV, p. 35, B. Conc. Antioch., I, Labb., Conc., t. I, c. 848.