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Apparition ou IncarnationQuels sont les objectifs que nous nous proposons d'atteindre ?
Nous tâcherons de répondre à ces questions :
- quel est le problème qui se pose pour un Dieu qui veut Se révéler à une créature libre et consciente ?
- quelles sont les possibilités logiques de l'union de la divinité et de l'humanité dans une seule personne ?
- quelles sont les fausses solutions apportées à cette question ?
- l'humain et le divin sont-ils présents en Christ, d'une façon identique ?
Nous avons vu que Dieu est une unité-multiplicité, une Nature en trois Personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Nous avons vu également que cette Puissance absolue a désiré faire œuvre de création, susciter quelque chose qui existe
en dehors d'Elle-même. Et pour cela, Elle a limité sa Puissance pour laisser apparaître quelque chose de différent de Lui-même
(ceci contrairement à l’oukaze de la philosophie, pour laquelle un être absolu ne peut qu’exister absolument, et pour laquelle
la notion d’un absolu qui limite sa puissance est contradictoire).La création est donc pour Dieu une autolimitation,
un exercice de faiblesse et de modestie, contrairement à ce que l'on pourrait penser de prime abord.
Ensuite, cette Puissance absolue a désiré se faire connaître par la créature consciente qui a surgi après un long processus
d'évolution, dans l'univers que nous connaissons. Nous-mêmes, si nous avions - par impossible - la faculté d'amener une
créature consciente à l'existence, nous ne manquerions pas de nous faire connaître auprès d'elle... Nous pouvons donc
parfaitement comprendre la motivation qui est celle de Dieu, lorsqu'il veut se manifester à nous.
Nous avons vu qu'à cet égard, une simple apparition est nettement insuffisante. Nous avons constaté que Dieu ne peut pas
apparaître tel qu'Il est, sous peine d'écraser et d'anéantir totalement notre liberté, et notre existence même. Là aussi,
Il doit se limiter, s'amoindrir - ce que nous avons appelé : se livrer à la « kénose » - c'est ce que dit saint Paul dans
l'épître aux Philippiens : « Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui L’égalait à Dieu, mais
Il s'anéantit Lui-même ekenosen prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes » (Philippiens 2 ; 6-7.).
C'est le même processus de modestie et d'autolimitation que celui que nous avons constaté dans le processus de la
création. Et d'ailleurs, la manifestation de Dieu auprès des créatures conscientes et libres est inscrite dans
l'ensemble du projet divin, de toute éternité.
Si Dieu veut se manifester à nous sans mettre en danger - si peu que ce soit - notre liberté, il n'y a pas trente-six
solutions. Il ne peut le faire que d'une seule façon : devenir l'un d'entre nous. Et non seulement devenir un être humain,
mais encore le faire le plus discrètement possible : naître dans un coin reculé et peu connu, de parents qui n'appartiennent
pas à l'élite visible du pays. C'est ce qu'a décidé la première Personne de la Trinité : le Père, et c'est ce qu'a fait
la deuxième Personne de la Trinité : le Fils.
C'est tout à fait révolutionnaire ! Vivant en des vieux pays de chrétienté, nous sommes malheureusement habitués
à cette notion extraordinaire. Tout s'est refroidi, comme dans ces paysages volcaniques où la végétation pousse
là où coulait auparavant une lave en fusion. Et pourtant, il faudrait garder notre capacité d'émerveillement,
et chanter, comme le font les textes liturgiques :
« Comment décrire ce mystère éminent ?
Voici que s'incarne l'incorporel,
le Verbe se revêt de l'épaisseur de la chair ;
l'Invisible se laisse voir, l'Impalpable se laisse toucher,
l'Intemporel prend son début dans le temps ;
le fils de l'homme devient le Fils de Dieu,
Jésus-Christ hier et aujourd'hui, le même dans les siècles ».
26 décembre, Vêpres de la Synaxe de la Mère de Dieu, troisième stichère des Apostiches. Ménée de Décembre p. 349.
Dieu, la deuxième Personne de la Trinité, s'est fait homme. Comment cela est-il possible?
Comment l'humanité peut-elle s'unir à la divinité ? Il existe plusieurs solutions logiques.
Figurons la divinité et l'humanité sous forme de deux liquides : « humanité », et « divinité ».
Dans un laboratoire, ces deux liquides peuvent être versés dans une ou deux éprouvettes. Six manières
de faire différentes peuvent être effectuées. Il faut noter que chacune des solutions, non seulement a trouvé
des gens pour la soutenir, mais à formé un mouvement organisé qui s'est séparé de l'Église orthodoxe.
Ces mouvements ont été appelés « hérésies », du terme grec qui signifie «division». Il est arrivé qu'un
mouvement « hérétique » ait été majoritaire : il s'en est fallu de peu, par exemple, que l'arianisme l'emporte.
Si nous disposons d’une seule éprouvette, nous avons tout d’abord le choix d’y verser le liquide « humanité »
OU le liquide « divinité » :
1) si l'éprouvette est remplie par le liquide « humanité », dans ce cas, le Christ est uniquement humain.
C'est la doctrine de l’Adoptianisme, selon laquelle le Christ est un être humain qui aurait été adopté par Dieu
lors de son baptême dans le Jourdain. Dans cette perspective, le Christ aurait été un homme qui aurait pris
conscience de sa vocation « divine », à un moment de sa vie.
L'Arianisme est une doctrine qui fut élaborée par Arius, prêtre d'Alexandrie (256-336). La philosophie
grecque considère que Dieu est un Absolu immuable : Dieu ne bouge pas ! Et à fortiori, Il n’est pas engendré,
car l’engendrement est une sorte de mouvement… Dans cette perspective, seul le Père est inengendré, et seul Il
est Dieu. Le Christ, quant à Lui, est une sorte de « Dieu second » qui, à titre de Logos, sert d’intermédiaire
entre Dieu et sa création. À ce titre, le Christ est subordonné au Père, notion que l’Église n’a jamais acceptée.
Aujourd’hui, nous ne pensons plus suivant les catégories de la philosophie grecque ; c’est pourquoi la pensée
d’Arius n’est pour nous pas évidente.
Un théologien d’Antioche, Eunome, radicalisa la pensée d’Arius : il affirma que l’Essence divine n’est autre
que le concept même d’inengendré. Cela heurte de front la conviction constante de l’Église, qui affirme
que l’Essence divine est à la fois inaccessible et inconnaissable : on ne peut ni la connaître par les voies
de la simple raison, ni la résumer en un concept philosophique. Certes, le Père seul est inengendré, mais Eunome
en tire comme conclusion que seul le Père est Dieu, le Fils étant en tout dissemblable (anomoios) à Lui. Selon
cette perspective, le Père communique au Fils, non pas sa divinité, mais son énergie, sa puissance créatrice.
L’Église réagit contre l’arianisme strict d’Eunome en affirmant, non pas que le Christ serait semblable au
Père (homoios), mais qu’Il Lui est consubstantiel (homoousios).
C’est cet extrémisme d’Eunome que nous désignons sous le terme d’Arianisme. Nous sommes conscients du fait
qu’historiquement, Arius n’a pas affirmé explicitement que le Christ n’est pas Dieu. D’autre part, notre pensée,
au XXIème siècle, se base sur des présupposés très différents de ceux qui sous-tendaient la pensée d’Arius.
Nous vivons l’arianisme différemment qu’il ne fut conçu au quatrième siècle. Mais il se trouve toujours
une multitude de gens qui se disent « chrétiens » tout en niant la divinité du Christ. C’est ce que nous pouvons
appeler l’arianisme pratique.
Selon cette doctrine – souvent implicite, rarement déclarée comme telle -
le Christ est uniquement humain : dans cette logique, les miracles opérés par le Christ sont autant de
mensonges et la Résurrection du Christ est une affirmation fausse. Le Christ est humain, uniquement humain.
Il donne un message de bienveillance envers le prochain et de bonne conduite morale. Sous ce point de vue,
nous pouvons affirmer que la plus grande partie des Églises chrétiennes actuelles sont pratiquement ariennes,
puisqu'elles négligent le divin, et mettent l'accent uniquement sur l'aspect humain du Christ.
Michel Servet (1511-1553) fut un bel exemple de cet « Arianime pratique ».
À Bâle, en 1530,
Servet affirme ses convictions : selon lui Jésus n'est qu'un homme. Jésus ne peut être appelé figurativement « Dieu » que dans la
mesure où chaque homme est lui aussi capable d'être « Dieu ». De cette façon, Jésus est en réalité, le fils du Dieu éternel,
mais non pas le Fils éternel de Dieu. La distinction est importante ! Quant au Saint-Esprit, il n'est que
l'esprit de Dieu en nous. Lorsque le Christ donne l'Esprit aux disciples, il ne fait que leur léguer sa "mentalité",
l'enthousiasme et les principes qui l'animent.
Servet affirme ainsi, dans son ouvrage Sur les erreurs de la Trinité :
« Ceux qui font une séparation tranchée entre l'humanité et la divinité ne comprennent pas la nature de l'humanité,
dont c'est justement le caractère, que Dieu puisse lui impartir de la divinité. Non point en vérité par une dégradation
de la divinité, mais par une exaltation de l'humanité ». Ceci est condensé en cette sentence : « Ne vous émerveillez pas
que j'adore comme Dieu ce que vous appelez l'humanité ».
Tout cela ne risquait pas d'être admis par Calvin.
Servet fut arrêté le 13 août 1553, lorsqu'il passait à Genève, et le 27 octobre, il est condamné à être brûlé vif en
place publique, par les autorités de la ville. Sébastien Castellion, un autre Réformé, s'éleva contre cette
barbarie, en disant très justement : « Tuer un homme, ce n'est pas défendre une doctrine ; c'est tuer un homme. Servet
ayant combattu par des écrits et des raisons, c'était par des raisons et des écrits qu'il fallait le repousser ».
Quoiqu'il en soit, la doctrine de Servet constitue aujourd'hui la pensée d'un christianisme sécularisé, très largement répandu.
2) si l'éprouvette est remplie par le liquide « divinité », dans ce cas, le Christ est uniquement divin.
C'est la doctrine du Docétisme (du verbe grec dokéô, paraître), suivant laquelle Dieu serait seulement apparu parmi les hommes, sans s’incarner.
Cette pensée fut très présente dans les cercles gnostiques, dans le cadre d’un mépris du corps et du monde matériel :
un Dieu pur esprit et immatériel ne saurait s’incarner sans déchoir !
3) si nous décidons de verser les deux liquides dans l’éprouvette, nous obtenons le mélange « humanité/divinité ».
Dans ce cas, la Nature du Christ serait divino-humaine. Cette solution a l'avantage de la simplicité, mais elle ne
permet pas de penser quelque chose à propos de l'union de l'humain et du divin dans le Christ.
L’affirmation que le Christ ait une seule Nature forme la base doctrinale du monophysisme, mouvement élaboré
notamment par le moine Eutychès, qui vécut à Alexandrie, au cinquième siècle. On parlait d’une seule Nature divino-humaine,
reprenant une formule de Saint Cyrille d’Alexandrie : « une Nature du Verbe de Dieu incarnée ». Mais comme l’esprit de
l’époque penchait vers la divinité, on a tôt fait d’affirmer que le Christ n’a qu’une seule Nature divine, compromettant
par là même la plénitude de son humanité.
Maintenant, imaginons le cas où nous avons deux éprouvettes, identifiés par les étiquettes « humanité » et « divinité ».
Nous avons plusieurs possibilités :
4) soit, la première éprouvette est remplie du liquide « divinité », et la deuxième est remplie de liquide « humanité ».
Toutes deux sont posées sur un support commun, qui est la personne du Christ. Cette solution s'appelle le Nestorianisme,
doctrine qui tient son nom de Nestorius (381-451), qui fut Archevêque de Constantinople de 428 à 431. Selon cette doctrine,
l'humanité et la divinité coexistent parallèlement dans la Personne du Christ : devant le tombeau de Lazare, le Christ
a pleuré en tant qu'homme, et ressuscité Lazare en tant que Dieu.
5) soit, l'éprouvette portant l'étiquette « humanité » est remplie du liquide correspondant, tandis que l'éprouvette portant
l'étiquette « divinité » reste vide.
Il s'agit de ce que nous pourrions appeler l’Arianisme refroidi » ou, pour mieux dire,
un Arianisme qui n'ose pas dire son nom. Ce mouvement n'a pas de nom particulier, mais est très abondamment représenté aujourd'hui.
Nous trouvons fréquemment ce cas dans des Églises qui insistent uniquement sur le côté humain du Christ, tout en ne disant
pas explicitement qu'Il ne soit pas Dieu. Ces Églises continuent de dire du bout des lèvres que le Christ est Dieu,
simplement parce que cela « ferait mauvais genre » de le nier, et parce que cela fait malgré tout partie de l'usage
habituellement reçu. Mais on enlève à la divinité du Christ tout dynamisme : dans cette perspective, la divinité du
Christ n'a plus d’« agir ».
6) soit, l'éprouvette portant l'étiquette « divinité » est remplie du liquide correspondant, tandis que l'éprouvette
portant l'étiquette « humanité » reste vide.
Il s'agit du Monothélisme.
Là, c'est plus subtil... C'est l'inverse de
l’« Arianisme refroidi » que nous venons de décrire. Le Monothélisme s'est développé à une époque où il était plus facile
de penser la divinité que l'humanité : on confessait plus facilement la divinité du Christ que le fait qu'il soit homme.
Pour nous, c'est difficile à imaginer : toute notre époque penche vers l'humain. Ceux qui se sentent concernés par
la personne du Christ affirment facilement son humanité. Par contre, il est beaucoup plus difficile à l'homme contemporain
de confesser la divinité du Christ, qui est plus étrangère à sa mentalité sécularisée.
Lorsqu'on se reporte à ces époques
où le divin était proche et familier, la tentation était grande d’insister uniquement sur le côté divin du Christ,
tout en ne disant pas explicitement qu'Il ne soit pas homme. Ces Églises continuaient de dire du bout des lèvres
que le Christ est homme, simplement parce que cela « faisait mauvais genre » de le nier, et parce que cela fait
malgré tout partie de l'usage habituellement reçu. Mais on enlevait par le fait même à l’humanité du Christ tout
dynamisme: dans cette perspective, l’humanité du Christ n'a plus d’« agir ». Le monothéisme fut soutenu notamment
par Serge, patriarche de Constantinople de 610 à 638, qui milita pour une « solution politique » appuyée par
l’Empereur Héraclius.
Chacune de ces solutions logiques a son inconvénient :
1) L'Arianisme fut combattu par saint Athanase d'Alexandrie (298–373). Celui-ci ici s'appuyait sur les
décisions du concile de Nicée, qui avait affirmé que le Christ est « consubstantiel au Père » - c'est-à-dire :
Dieu. L'argumentation de saint Athanase reposait sur la conviction que ce qui n'est pas assumé n'est pas sauvé.
Si le Christ est uniquement homme, il n'a pas la capacité de sauver l'humanité.
2) Le Monophysisme prête le flanc à la même objection qu'avait soulevée saint Athanase d'Alexandrie:
ce qui n'est pas assumé n'est pas sauvé. Si le Christ est uniquement Dieu, il n'a pas assumé l’humanité :
il n'existe pas de salut pour les hommes.
3) Supposons que le Christ ait une Nature divino-humaine. Le Père et l'Esprit n'ont pas de Nature divino-humaine :
leur Nature et uniquement divine. Il s'ensuit que, si le Christ a une Nature divino-humaine, il possède une Nature
différente de celle des deux autres personnes. De toute évidence, c'est impossible : Dieu est Un, et
les Trois Personnes Père, Fils et Saint-Esprit sont d'une seule et même Nature : la Nature divine.
L'option de la Nature divino-humaine ne peut être soutenue. C'est dommage, car c'était une élégante solution !
4) En ce qui concerne le Nestorianisme, comme l'humanité et la divinité sont deux réalités parallèles -
qui ne se touchent pas, la divinité ne peut pas influencer ou modifier fondamentalement l'humanité,
et a fortiori la sauver.
5) Le Monothélisme, avec son Christ ne possédant qu'une humanité toute passive, inopérante, ne peut
sauver une humanité qui ne serait qu'un fantôme...
6) Quant à ce que nous avons appelé « l'Arianisme refroidi », nous pouvons affirmer que ce qui ne donne
aucune place à Dieu, ne peut être sauvé par Dieu.
Nous constatons donc que l'Église n'a accepté aucune de ces solutions logiques.
Aujourd'hui, il est
très à la mode de considérer le dogme comme étant la pire des choses. Or il faut prendre conscience que
le dogme n'est aucunement une « croyance imposée » - ce qui est effectivement une contradiction dans les termes.
Le dogme (du terme grec « dogma », qui signifie « opinion », « décision ».) est un pont qui est
projeté au-dessus des eaux, d'un rivage à l'autre. Le dogme permet de passer de l'humain au divin et du divin
à l’humain. Le dogme peut être comparé à une clef qui ouvre la serrure, nous donnant la communication avec
le divin.
Certains prétendus théologiens nous disent : « regardez comme sommes intelligents : nous venons
de tordre la clef ». À quoi nous répondrons : « fort bien, le résultat de cela n'est rien d'autre qu’une
porte fermée : désormais la dimension humaine est hermétiquement close, dépourvue de toute communication
avec le divin. Quel grand progrès ! » Le dogme est le subtil équilibre d'une pensée qui préserve la possibilité
de communication entre l'homme et Dieu.
Si aucune des solutions logiques du « mélange divinité/humanité » n'est satisfaisante, comment pouvons-nous
comprendre la présence du divin et de l'humain dans la Personne du Christ ? Ceci n'est pas une question
abstraite, car notre connaissance personnelle du Christ et en jeu.
- Le Christ est la deuxième Personne de la Trinité : il est donc une personne divine - le Fils.
- Le Christ est Dieu, tout comme le Père et l'Esprit : il partage avec les deux autres Personnes divines une
même Nature divine.
- Le Christ s'est fait homme. À partir de sa naissance sur cette terre, il partage avec toute l'humanité une
même Nature humaine.
Le Christ est donc une Personne divine, en deux Natures - divine et humaine. C'est ce que nous dit
le concile de Chalcédoine (451). Avec cette formule, nous tenons en mains la « carte d'identité »
du Christ - si nous pouvons nous permettre d'utiliser cette expression...
Cette « carte d'identité » est vraiment surprenante : nous y cherchons en vain la personne humaine du Christ.
Apparemment, le Christ ne serait pas une personne humaine? Peut-il vraiment être pleinement homme, s’il n’est
pas une personne humaine ?
C'est là où nous touchons un point remarquable: la Nature n'est pas une abstraction qui plane dans les nuages.
Chaque Nature s'exprime en des personnes :
- la Nature humaine s'exprime en les innombrables personnes humaines qui existent actuellement, qui ont été
ou qui existeront un jour ;
- la Nature angélique s'exprime en chacun des Anges...
- En Dieu, la Nature divine s'exprime en les Trois Personnes trinitaires.
Qu'en est-il pour le Christ ? Sa Nature divine s'exprime en sa Personne divine. Par contre, sa Nature humaine
s'en-hypostasie dans la Personne divine. Dans le Christ, l'humanité et la divinité ne sont pas répartis
de façon symétrique. On ne peut pas dire que dans le Christ, il y ait 50 % d'humanité et 50 % de divinité,
régulièrement répartis... Une solution rationnelle de ce type, ne correspond pas à la réalité.
L’en-hypostaton est loin d'être une sorte de pirouette verbale destinée à résoudre ce problème.
Nous devons ce terme à Léonce de Byzance (+541). Ce terme technique demande quelque explication…
Moi, je suis une Personne humaine qui participe, avec le reste de l'humanité, à la Nature humaine.
La Nature - tant humaine que divine - n'existe pas d'une façon abstraite : toute Nature s'investit dans une Personne.
- Le Père est une Personne divine qui participe, avec le Fils et l'Esprit-Saint, à la Nature divine.
- L'Esprit Saint est une Personne divine qui participe, avec le Père et le Fils, à la Nature divine.
- Quant au Fils, le Christ, il est une Personne divine qui existe en deux Natures : la Nature divine qu'il
possède de toute éternité, et la Nature humaine qu'Il a assumée lors de son Incarnation.
En ce qui concerne la Nature divine du Christ, « il n'y a pas de problème » - si l'on me permet cette expression
- car la Personne divine partage avec le Père et l'Esprit-Saint la Nature divine.
Ce qui constitue la spécificité du Christ, c'est que la Nature humaine du Christ s'investit dans sa Personne divine,
la deuxième Personne de la Trinité. En quelque sorte, la Nature humaine du Christ se « raccorde »
obliquement à la Personne divine. La Nature divine s'en-hypostasie dans la Personne humaine du Christ :
l’enhypostasie désigne une Nature qui n’est pas hypostase elle-même, mais qui existe dans une hypostase :
la Nature humaine du Christ existe dans sa Personne divine. Techniquement, l’ousie humaine du Christ
est en-hypostasiée dans l’unique hypostase des deux Natures.
En Christ, la Nature humaine ne s’hypostasie pas dans une Personne humaine, alors que la Nature divine
s’hypostasie dans la Personne divine. C'est ce que nous appelons la dissymétrie de l'humanité et
de la divinité, en la Personne du Christ.
Ce concept d'en-hypostaton exprime le fait que dans le Christ, la Personne divine exprime la totalité de la Nature humaine - celle de toute l'humanité. Le Christ n'est pas seulement un individu dont les actions ne portent de conséquences que pour Lui-même ou pour les personnes qui viendront après lui, en une relation de cause à effet. Cela, c'est le sort de tous les individus humains, mais pas du Christ. Chacun d'entre nous, nous sommes limités dans notre individualité, et nos actes ne valent que pour nous-mêmes. En ce qui concerne le Christ, sa Personne divine sous-tend la totalité de l'humanité, et ses actes impliquent l'humanité tout entière. À ce titre, le Christ est véritablement un être global, tout comme Adam. Le Christ récapitule toute chose en Lui-même, comme le dit saint Paul dans l'épître aux Éphésiens (1 ; 10). La dissymétrie existant en la Personne du Christ est l'une des beautés de la théologie.
C'est aussi une des beautés de la physique : si l'univers avait été rigoureusement parfait, lors de sa naissance il y aurait eu une symétrie parfaite entre la matière et l'antimatière. Dans ce cas, la matière et l'antimatière se seraient mutuellement annihilés, et l'univers aurait été rempli de photons. Ces photons, refroidis par l'expansion de l'univers, n'aurait pas pu produire des particules et antiparticules, et l'univers aurait été uniquement constitué de lumière - sans avoir la possibilité de faire naître des étoiles, des galaxies, et toute la complexité que nous connaissons. Il se fait qu'il y avait une légère dissymétrie à l'origine de l'univers : un milliard et un quark et 1 milliard d'antiquark ont été produits. Après leur annihilation mutuelle, il est resté un quark. Toute la matière que nous voyons aujourd'hui dans l'univers, est le fruit d'une légère différence entre matière et antimatière, au profit de la matière. Il n'y avait pas eu de dissymétrie, rien d'autre que la lumière n'existerait dans l'univers.
La dissymétrie de l'humanité et de la divinité, en la Personne du Christ,
est la clef qui permet de comprendre comment le Christ peut assumer la totalité de l'humanité en sa Personne.
Affirmer que « le Christ n'est pas une personne humaine » est une formulation particulièrement malencontreuse :
il ne saurait manquer quoique ce soit à la Personne du Christ - sauf le péché, qui signifie, suivant l'étymologie
du terme grec : « manquer la cible ». Le péché consiste dans le fait de manquer son but ; il s'agit donc d'un
défaut d'être qui est nécessairement étranger au Christ.
Au lieu de dire que « le Christ n'est pas une personne
humaine », il est préférable d'affirmer cela positivement, en disant que le Christ assume la totalité de la
Nature humaine par l’en-hypostaton.
Comment un homme peut-il être l'Homme - comment un homme peut-il contenir tous les autres ?
Il fait qu'Il ait fait de Lui-même - ou qu'Il soit constitué dès son origine - comme un espace, un espace immense,
un espace illimité, un espace où chacun peut être accueilli, comme chez lui.
L'humanité de Jésus - cette Humanité universelle - est présente à tous les hommes et est capable de les contenir tous.
C'est un monde nouveau, une humanité nouvelle, un Dieu tout neuf, une Histoire qui commence, dont l'Unité se fait jour en Celui
qui est capable de l'unifier en un seul dessein.
Maurice Zundel. Ta Parole comme une source. éd. Anne Sigier. p. 63 - 65.
En ce qui concerne le Christ, du point de vue de son humanité,
il ne peut rien avoir d'exclusif. Car ce qui n'est pas assumé n'est pas sauvé. Et c'est l'intégralité
de l'humanité qui est assumée et sauvée par le Christ. Ce que le Christ aurait d'exclusif en son humanité
ne concernerait pas les autres êtres humains. Donc, en ce qui concerne son humanité, ce qui est relatif au Christ
ne peut être que « commun » aux autres êtres humains, c'est-à-dire appartenant à leur Nature.
L’en-hypostasie
de la Nature humaine par la Personne du Verbe n'a aucun équivalent créé - et est donc ineffable.
Le Christ récapitule ainsi l'humanité entière en sa Personne :
Le Seigneur est Celui qui a récapitulé en Lui-même toutes les nations dispersées à partir d'Adam, toutes
les langues et les générations des hommes, y compris Adam lui-même. C'est aussi pour cela que Paul appelle
Adam lui-même la figure de Celui qui devait venir (Rm. 5 ; 14). Car le Verbe, artisan de l'univers,
avait ébauché d'avance en Adam la future Économie (dans le sens de « dispensation du Salut »)
de l'humanité dont se revêtirait le Fils de Dieu, Dieu ayant établi en premier lieu l'homme psychique
afin, de toute évidence, qu'il fût sauvé par l'homme spirituel.
Irénée de Lyon, Contra Haer. III, 22, 3. Cerf 1984, p. 385.
L'objectif tracé initialement a-t-il été atteint ? ?
Nous avons trouvé les principaux éléments de réponse aux questions posées au début de cette Étude :
- un Dieu qui veut Se révéler à une créature libre et consciente ne peut se contenter d'apparaître :
Il doit se faire l'un d'entre nous, pour partager notre sort, en "s'anéantissant Lui-même" en un
processus extrême d'auto-limitation ;
- les possibilités logiques de l'union de la divinité et de l'humanité dans une seule personne ne sont
pas indéfinies : elles sont au nombre de six ;
- les fausses solutions apportées à cette question ont été rejetées du fait de leur propre incohérence ;
- l'humain et le divin ne sont pas présents en Christ d'une façon identique ; c'est ce que nous appelons l'« asymétrie ».