Nous présentons ici la deuxième partie du Cours d'« Histoire de la Théologie byzantine », donné par Mr. Olivier Clément à l'Institut Saint-Serge, dans les années 1983 - 1984. Le texte présenté ici est un extrait des Notes de Cours prises par le P. Georges Leroy, lorsqu'il était étudiant en cet Institut, à Paris.
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L'étude de l'Histoire byzantine en Occident.INTRODUCTION :
L'ÉTUDE DE L'HISTOIRE BYZANTINE EN OCCIDENT
L'étude de l'Histoire byzantine en Occident débute au dix-septième siècle, en France.
Auparavant, lors de la Renaissance, la littérature byzantine fut négligée, car considéré comme « décadente ». Louis XIV
voulait limiter l'influence du Pape, et finança les études de l'Orient chrétien. Les Jésuites commencèrent également à
étudier ce domaine, pour des raisons apologétiques. Le fondateur des études byzantines en France fut Du Cange (1610-1688).
Il écrivit la plus grande partie de son œuvre pendant les trente dernières années de sa vie. Il écrivit une Histoire byzantine,
et deux grands dictionnaires : du grec médiéval, et du latin médiéval.
Au dix-huitième siècle, ce fut l'ère du scepticisme pour la religion : c'était la période de Voltaire. Ce dernier
écrivit que l'Histoire byzantine est « l'opprobre de l'esprit humain, comme l'Empire grec était l'opprobre de la terre ».
En Angleterre, Edward Gibbon (1737-1794) écrivit l'« Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain ». Il était,
lui aussi, inspiré par l'esprit rationaliste du dix-huitième siècle, et admira Voltaire. Pour lui aussi, l'Histoire byzantine
était la période la plus obscure de notre Histoire. L'idée de cette œuvre lui vint pendant son séjour à Rome.
Au dix-neuvième siècle, les savants allemands publièrent les sources et les textes de l'Histoire byzantine. Ces publications
érudites sont toujours la base de notre connaissance en ce domaine. Karl Krumbacher écrivit une « Histoire de la littérature
byzantine ». En Français, Charles Diehl (1919) composa une « Histoire de l'Empire byzantin ». Georges Ostrogorsky écrivit
en Allemand l'« Histoire de l'État byzantin » (1940) dans laquelle il ne donne que l'aspect politique des choses. Vasiliev
écrivit une « Histoire de l'Empire byzantin » qui met l'accent sur l'aspect culturel et religieux. Louis Bréhier écrivit
« Le Monde byzantin » en trois parties : « Vie et mort de Byzance » – « Les institutions de l'Empire byzantin » – « La civilisation
byzantine ». En Grèce, au dix-neuvième siècle, K. Papanigopoulos écrivit l'« Histoire de la civilisation hellénique
(traduit en Français), selon un point de vue très nationaliste - pro-iconoclaste, notamment. K. Adamandos écrivit une « Histoire de
l'Empire byzantin ». En Russie, il s'agissait de déterminer le rôle de Byzance dans l'Histoire russe : un rôle positif,
selon les slavophiles ; négatif, selon les occidentalistes. V.G. Vassilievsky fut le fondateur des études byzantines en Russie,
et reste toujours important, surtout pour l'Histoire des croisades.
F. Dvornik Écrivit (en Anglais) : « Byzantines missions amongst the Slavs ». D. Obolensky écrivit : « Byzantine Commonwealth »,
qui traite des relations entre Byzance et les peuples slaves. En ce qui concerne la théologie byzantine, Hans George Beck donna,
en Allemand : « La littérature de l'Église et la théologie byzantines ». Citons l'œuvre de G. Podskalsky : « Théologie et
philosophie à Byzance » (en Allemand). Le P. Meyendorff donna une synthèse de la théologie byzantine : « Initiation à
la théologie byzantine ». Jugie écrivit à ce propos, en latin, dans une perspective très scolastique.
- CHAPITRE I -
L'EMPIRE BYZANTIN
Le nom « byzantin » est une expression moderne. Les Byzantins s'appelaient eux-mêmes « Romains ».
Pour eux, il n'y a qu'un seul Empire : l'Empire romain. J.B. Burry (1861-1927), auteur d'une « Histoire du Bas-Empire romain »,
considère l'Histoire byzantine comme celle d'un Empire continu : elle commence avec Constantin le Grand. En 800, lorsque Charlemagne
est couronné à Rome, il y a deux Empires - les Byzantins considéraient Charlemagne et les Francs comme des barbares : le seul
Empire est considéré comme étant l'Empire byzantin. La notion d'un seul Empire était très forte, même s'il pouvait y avoir
plusieurs Empereurs. Depuis le septième siècle, l'Empereur s'appelle « Basileus » - c'est un nom biblique, un titre messianique.
Ce titre souligne une relation privilégiée avec le Christ, exprimée par le titre : « Autokrator » - signifiant : « Basileus
du Christ-Dieu ». Le Christ est le vrai Basileus, représenté sur la terre par l'Empereur.
Le rite du couronnement fut emprunté aux Perses par Dioclétien. L'Onction fut empruntée à l'Occident, bien plus tard, au treizième siècle.
L'Empereur païen était considéré comme une personne divine ; l'Empereur chrétien était censé représenter le Christ. C'était
une fonction charismatique et plus qu'humaine ; ce qui fait que la loi de succession n'était pas fixée. Le fils de l'empereur
était appelé « porphyrogénète » – né dans la chambre pourpre. L'Empereur byzantin avait conscience de régner sur l'œcuméné – le monde
entier. Le terme « œcuménique » fut pris par le Patriarche de Constantinople à sixième siècle. Par contrecoup,
le Pape Grégoire le Grand s'appela « Servus servorum Dei - Serviteur des serviteurs de Dieu ». Cela reflète une tension
révélée par le Concile de Constantinople I (382), qui avait placé Constantinople après Rome - tandis que le Concile de
Chalcédoine (451), dans son canon 28, a placé Constantinople et Rome à égalité de privilège.
On parle parfois de Césaro-papisme, terme qui désigne un Empereur qui serait à la fois chef de l'Église. Mais cette
conception est trop simple, car il y eut toujours une tension entre l'État et l'Église. Un bon exemple en fut l'affaire de
la tétragamie, qui montre que le Patriarche pouvait excommunier l'Empereur, coupable d'avoir contracté un quatrième mariage…
Jean Tzimiscès, au dixième siècle, disait que « Dieu a ordonné deux pouvoirs ». Par contre, l'Empereur iconoclaste Léon l'Isaurien,
au huitième siècle, avait déclaré : « Je suis Empereur et prêtre ».
Au sixième siècle, Justinien (527 – 565) avait introduit la conception de la Symphonie entre le divin et l'humain, dans
sa sixième Novelle (Novella lex - loi supplémentaire. Jusqu'au huitième siècle, les Byzantins légiférèrent en latin). C'était
une conception idéale, alors que la réalité connut plutôt une tension - parfois extrême, comme pendant la période iconoclaste.
Du point de vue théologique, la conception de l'harmonie et de la Symphonie présuppose l'avènement du Royaume - et non
point un monde déchu : la pensée théocratique byzantine est fondée sur une eschatologie réalisée. Constantin VII Porphyrogénète
avait écrit le « Livre des Cérémonies », décrivant le cérémonial de la cour. On vénérait l'image de l'Empereur. Ces cérémonies
avaient un caractère liturgique, avec l'emploi de cierges, d'encensoirs, etc. Le rite des Acclamations était un aspect
essentiel de ces célébrations.
- CHAPITRE II -
SAINT JEAN DAMASCÈNE (+ 750)
§ 1. — La situation.
La vie de saint Jean Damascène fut écrite au dixième siècle par Jean de Jérusalem. Cet écrit
comprend bien des éléments légendaires. Saint Jean Damascène est le grand scolastique du Moyen-Âge byzantin. Il est né
dans une famille de sémites chrétiens - selon Jean de Jérusalem. Celui-ci nous dit que le père de Jean Damascène, fort riche,
rachetait des captifs chrétiens, capturés en mer - dont un moine appelé Cosmas.
Jean Damascène a-t-il lui-même occupé l'emploi héréditaire de haut fonctionnaire auprès du Calife ? Nous ne le savons. - L'Empereur
Léon l'Isaurien attaqua les icônes. Jean de Damas, avec son frère adoptif Cosmas de Maïoum, devint moine au monastère de Saint Sabas.
Se retira-t-il suite à une disgrâce ? Les cadres du Calife connurent une progressive arabisation. Sans doute, connu comme iconodule,
fut-il disqualifié auprès du Calife par les Byzantins, et exclu de ses charges.
Ordonné prêtre avant 735 par le patriarche Jean
- comme son frère, il fut un grand hymnographe. Selon l'hagiographe, il aurait eu la main coupée, suite à des intrigues
iconoclastes. Il aurait repris cette main, devant une icône de la Mère de Dieu. Jean Damascène est mort au milieu du règne de
Constantin Copronyme. Jean Damascène a été frappé d'anathème sous le nom de Mansour, par le pseudo-concile de 754, qui
dit qu'il est mort en cette même année. Jean Damascène a été solennellement réhabilité par le concile de Nicée II (787).
Très tôt, Jean Damascène reçut le nom de Chrysoroas - fleuve d'or. Sa pensée a quelque chose de différent de la pensée
des Pères antérieurs. C'est une pensée assez scolastique ; c'est une synthèse sans effort d'exploration. Son Explication
exacte de la foi orthodoxe servira de manuel théologique. Son œuvre comporte trois traités : une Dialectique, ou
réflexion sur le sens des mots - un catalogue d'hérésies - et le « De fide orthodoxa », belle synthèse de la théologie
patristique. Ce qui est nouveau, c'est la synthèse, l'équilibre de l'ensemble, qui intègre la théologie trinitaire
des Cappadociens, la Christologie alexandrine, et des notions prises à Denys et à saint Maxime.
Saint Jean Damascène
sut mettre à jour la cohérence de toutes ces approches. Les définitions du Damascène sont devenues classiques. Grand
écrivain de pièces liturgiques et hymniques (notamment le Canon pascal), il fit passer la synthèse théologique dans la Doxologie.
Jean Damascène analyse le terme de phusis, montrant la pleine validité de la pensée de saint Cyrille d'Alexandrie.
Dans son Traité contre les hérésies, il situe la pensée dans une polémique anti-monophysite. Jean Damascène
les ramène au pire de leur pensée. Il ne veut ni ne peut voir les rectifications apportées par Sévère d'Antioche. Capable
d'une grande finesse de distinction pour appuyer saint Cyrille, Jean Damascène ramène strictement Sévère à Eutychès,
qui réellement escamota la Nature humaine du Christ.
§ 2. — La Christologie de saint Jean Damascène.
LaCchristologie de saint Jean Damascène est chalcédonienne, approfondie et nuancée par les grandes
élaborations du sixième et septième siècle. Il définit l'hypostase comme une existence par soi-même et en relation, tant
avec les autres hypostases divines qu'avec elle-même. Chaque hypostase existe par les deux autres. L'hypostase est un mode
d'existence de l'unité, mais en relation.
Saint Jean Damascène reprend l'enhypostaton de Léonce de Byzance. Dans
le mystère de Dieu, rien n'existe en dehors d'une existence personnelle en relation. Tout existe à l'intérieur d'une
hypostase. Comme l'hypostase n'est pas close, comme elle est en relation, tout le mystère divin ne nous permet pas de
parler de l'Ousia divine en soi, ni d'en faire une sorte de semi-hypostase (Sophia divine…).
Saint Jean Damascène
souligne le fait que l'hypostase de Jésus est celle, préexistante de toute éternité, du Logos, qui assume la Nature humaine
tout en gardant la Nature divine qu'Il a de toute éternité : Il en-hypostasie aussi la Nature humaine. Dans l'Union hypostatique,
nous voyons les deux en-hypostata - leur dualité ne s'exprime jamais en termes de séparation. C'est seulement
une distinction intelligible : kat'epinoian.
Florovsky disait que c'est une Christologie asymétrique : il n'y a pas de symétrie divin / humain. C'est le Verbe divin qui
a l'initiative, dans l'Incarnation. La chair – l'humanité du Christ – coopère avec la Volonté divine. « Le Verbe Lui-même
devint l'hypostase de la chair, de sorte qu'elle fut en même temps chair du Verbe de Dieu et chair animée, rationnelle et
intelligente. C'est pourquoi nous ne parlons pas d'un homme divinisé, mais d'un Dieu qui s'est fait homme. Il crée divinement
en Lui-même l'humain dans le sein de la Vierge, et Il mêle l'Archétype à l'image ». C'est l'assomption de l'humanité par
l'Image selon laquelle elle a été créée.
Jean Damascène insiste sur l'importance du terme « Théotokos ». La
dissymétrie ne porte pas atteinte à la plénitude de l'humanité du Christ. Cette humanité en-hypostasiée reçoit un
principe d'individuation. Jésus n'a pas d'hypostase humaine, mais il est individualisé en tant qu'homme. « Le Verbe a
assumé une Nature individuelle qui est venue à l'existence dans l'hypostase du Logos ». La formule « le Verbe a souffert
Passion et Mort dans la chair » de saint Cyrille peut ainsi être reprise.
C'est le nœud du message chrétien. « Étant Dieu, Il assuma la chair souffrante ; Il devint homme afin de pouvoir souffrir ».
C'est une formule curieuse. Faut-il être homme pour souffrir ? Dieu ne s'est-Il pas incarné parce qu'Il souffrait de la
souffrance du monde ? C'est l'intuition d'Origène, qui fut un esprit contestable et contesté. L'Hypostase du Verbe a assumé
la Nature humaine - qu'il définit par différents caractères : la Nature humaine est créée POUR la déification. La Nature humaine
a comme dynamisme, de participer à la Vie divine. Elle a comme nature, de participer surnaturellement à la Divinité. L'individualité
n'est individualisée que parce que en-hypostasiée par le Verbe. Le Christ est le Nouvel-Adam, prémices de notre Nature – modèle-archétype
à l'Image duquel nous avons été créés. Jean Damascène dit que le Christ est le père de tous ceux qui recherchent la vérité.
Nous existons en Christ, racine de notre être véritable. La Nouvelle Création est cette nouvelle existence en Christ.
§ 3. — L'Anthropologie de saint Jean Damascène.
L'homme est créé en une Nature dynamique, destinée à progresser dans l'intimité divine.
« Adam était en état de déification par participation à la divinité », immortel par grâce. L'homme est supérieur aux Anges,
car il est à la frontière du visible et de l'intelligible. L'homme est aussi un résumé du monde, qu'il porte en lui.
Image de Dieu, l'homme échappe à l'enfermement du monde, en même temps qu'il l'assume en lui. Le Christ est venu pour
assumer l'homme, et l'homme assume le Cosmos pour le réunir au divin. Libre, l'homme est appelé à adhérer à Dieu.
« Dieu nous a fait libres, afin que le bien parvienne à la fois de Lui et de nous ». Dieu collabore avec celui
qui fait le bien – le mal étant de se détacher de Dieu – là où l'élément passionné de notre âme joue de lui-même :
et c'est le mal.
À la suite de saint Maxime, saint Jean Damascène distingue liberté naturelle et liberté/volonté gnomique comme dimension
de l'hypostase créée, déchue et tâtonnante. Chez Adam, la Gnomè désira le contraire de la Volonté divine, portant
atteinte au dynamisme naturel, agissant en sens inverse. Voulant Dieu avec la profondeur de son être, et le refusant par
sa volonté gnomique, l'homme déchiré se soumet à la mort - état de séparation de Dieu et état d'esclavage au démon.
Notre mortalité est une manifestation d'un état de séparation d'avec Dieu. Saint Jean Damascène reprend l'opinion
classique des Pères quant à la création de la femme et la sexualité – ce qui est une vue restrictive du masculin et
du féminin, point de vue qui est non-biblique. À la différence d'Augustin, Jean Damascène ne considère pas que
le mode de reproduction comme tel soit un péché, ce qui est pourtant une conception très commune. Pour saint Jean Damascène,
la reproduction humaine est une grâce qui permet de surmonter la mortalité, en ce qui concerne l'espèce, et non la personne.
« L'homme ayant été vaincu, c'est à ce celui-là même que Dieu permet de vaincre le tyran ».
Dieu veut que l'humanité en
Lui vainque la mort. Ce n'est pas uniquement une action divine. En Christ, l'humain trouve la juste attitude de victoire sur
la mort : « tout entier Il m'assume tout entier, afin de me donner le Salut à moi tout entier ». Ce qui n'est pas assumé
n'est pas sauvé. Chez Saint Jean Damascène, on trouve l'idée que l'humanité du Christ a deux pôles : c'est une humanité
transfigurée dès la conception – et d'autre part, volontairement, l'humanité est voilée dans sa gloire jusqu'à
l'accomplissement de l'œuvre divine.
L'humanité est aussi voilée par les passions qui ne mènent pas à la mort spirituelle : la souffrance, la fatigue, la mort
biologique. Jean Damascène insiste beaucoup sur l'angoisse et les peines du Sauveur, qui sont le point de départ du Salut.
Le Christ fait venir la Vie à partir de ces réalités, qui pour nous sont source de péchés. En Christ, ces mêmes réalités
sont devenues pascales.
En Christ, c'est l'humanité unie à Dieu qui a vaincu la mort. Saint Jean Damascène insiste sur le fait que ce ne fut pas Dieu
seul qui fut l'Auteur et l'Acteur de notre Salut : « Il s'unit à moi tout entier, afin de me sauver tout entier ». - Il ajoute,
défendant les icônes : « J'adore le Dieu qui, pour nous sauver, s'est fait matière ».
Il y a deux pôles dans l'humanité du Christ : un pôle paradisiaque, celui d'Adam avant la chute, et l'autre pôle,
identifié avec notre humanité déchue. Saint Jean Damascène distingue les passions telles que la faim, la soif, la fatigue,
le recul devant la mort – passions liées à la condition humaine, qui ne sont pas en soi pécheresses, et restent sans péché
dans le Christ – alors que pour nous, elles sont souvent les socles et supports du péché.
La passion neutre majeure est la mort, et l'angoisse qui lui est liée. Par notre naissance même, nous sommes sujets
à ces passions neutres, tandis que c'est volontairement que Lui, le vivant, y est entré : volontairement, Il est mort ;
cette acceptation est faite une fois pour toutes. Les Aphtartodocètes disaient que le Christ ne faisait que par condescendance,
ce qui était humain : Il avait faim ou soif parce qu'il voulait avoir faim ou soif, condescendant à notre Nature.
Or en Christ, toutes ces passions assumées conduisent à la joie de la résurrection. Ce n'est pas une pensée désincarnée.
Vécues dans la Foi, ces passions débouchent sur la Résurrection.
§ 4. — Les problèmes de la Christologie byzantine.
Ce Christ, dont on accentue tellement la divinité, est-Il totalement homme ? Peut-on parler d'une
humanité véritable ? Ne peut-on y voir une tendance crypto-monophysite ? Cette humanité en-hypostasiée, transfigurée, déifiée,
est-elle pleinement humaine ? Selon Jean Damascène, le Christ ne possédait pas l'Énergie spermatique est génératrice ; il
serait totalement dés-érotisé. Cette Énergie, selon lui, n'est pas nécessaire à la Nature humaine comme telle. Dans un même sens,
Jean Damascène a dit dans ses homélies, que la Mère de Dieu a été conçue a-pathos, sans péché dès sa conception.
En quoi cela diffère-t-il de l'Immaculée Conception ?
L'autre grand point est celui de l'ignorance de Jésus. Tous les Byzantins interprètent ces textes dans un sens pédagogique.
Et c'est difficilement soutenable. La négation de toute psychologie en Christ confond le psychisme et l'hypostase. l'ignorance
de Jésus témoigne de l'amoindrissement volontaire de l'Énergie divine selon la mesure de son Énergie humaine.
La Christologie byzantine a été peu sensible à l'humble réalité de l'humain dans la Personne du Christ. Jean Damascène nie
la prière de Jésus : « Il n'avait pas besoin d'élever son saint intellect, étant uni en permanence au Père » – ce qui est aussi
une grave déficience dans la pensée théologique grecque. Ce qui domine la pensée néo-chalédonienne est la périchorèse entre
l'humain et le Divin en Christ. Jean Damascène décrit dans son homélie sur la Transfiguration : « un corps terrestre rayonnant
de la splendeur divine – la gloire est venue vers le corps de l'intérieur (dialectique divinité/corps, et non pas divinité/humanité) de
la Divinité du Verbe de Dieu, unie au Corps selon l'hypostase. Il est un seul, Celui qui est Dieu éternellement, et qui plus tard
est devenu homme – la Gloire de la Divinité devient ainsi Gloire du Corps ».
- CHAPITRE III -
SAINT ISAAC LE SYRIEN
Saint Isaac le Syrien joua un rôle décisif dans l'Église - dans le texte syriaque, pour les églises pré-chalcédoniennes - dans le texte grec traduit au neuvième siècle par deux moines de Saint Sabbas, pour les Églises orthodoxes. Saint Isaac est né dans les pays du Golfe Persique, à Bet-Katragé, actuellement un émirat du Qatar. Il devint moine et maître spirituel. Il fut sacré évêque de Ninive, entre 660 et 680, dans une région qui n'appartenait pas à l'Empire byzantin, mais à l'Église nestorienne, dont l'influence est étendue jusqu'en Chine et en Mongolie. Au bout de cinq ans, il prit la fuite dans la montagne. Il vécut longtemps solitaire. Il devint aveugle. Il se fixa dans un monastère (Rabdan Shabbour). Il dicta ses œuvres à ses disciples. Ses disciples étaient frappés par son humilité et sa douceur. Ainsi furent composés ses traités ascétiques. Dans la pensée de saint Isaac, il y a une prédominance de Macaire sur Evagre. On peut remarquer qu'il y existe un côté de « monachisme charismatique » et la tradition d'Origène, avec la prière du Salut universel. La sensibilité syriaque est différente de la sensibilité grecque : les syriaques ont un sens aigu du sentiment d'horreur de la souffrance qu'éprouve la créature, et donc mettent l'accent sur la pitié et la compassion.
- CHAPITRE IV -
LA CRISE ICONOCLASTE
Pourquoi inclure l'image dans la théologie ? L'association entre l'icône et la théologie byzantine
n'est pas une fantaisie artistique. L'icône surgit au terme du discours sur l'Incarnation. C'est l'éclosion ultime de tout
ce qui a été dit. L'iconoclasme fut une hérésie qui fournit l'occasion de l'élaboration théologique. En tout homme, sourd
la tendance à la destruction, notamment celle de l'image, reflet de l'univers extérieur dans son univers intérieur.
C'est aussi un vaste problème culturel. Les premières écritures furent les images, qui définissent un type de rapport avec
l'invisible, une omniprésence du symbole – avec la tentation d'un divin impersonnel où l'homme se dissout, et qui s'exprime
en des forces que l'homme tente de s'approprier.
La Bible refusa l'image considérée en tant qu'idole. Les prophètes
se gaussent des images, et les rejettent totalement à titre de représentation de Dieu, qui est vu comme tout-autre. Là, passe
la limite entre le peuple hébreu et les païens : l'Égypte et Canaan font des idoles. Israël refuse cette tendance à capter Dieu,
et quant à soi, refuse tout narcissisme.
Dans l'Ancien Testament, l'anneau fatal de l'homme et de son reflet, est brisé par la Parole de Dieu réfracté par les prophètes.
L'Ancien Testament refuse de faire de Dieu la projection de l'homme. Les chérubins de l'Arche et l'invocation « fais-moi voir ta Face »
témoigne pourtant de l'attente de l'Incarnation.
Très tôt, dans le Christianisme, il y a des images. Pas immédiatement,
car la méfiance envers l'idolâtrie ancienne demeure. Nous trouvons les premières images dans les catacombes, car les Chrétiens
ont dès le début refusé l'incinération, voulant respecter la dépouille mortelle en signe d'attente de la Résurrection.
La crise surgit au septième et huitième siècle. Elle dura deux siècles, jusqu'au neuvième siècle : le pouvoir fit une campagne
systématique et implacable contre toutes les images. L'Empire est affronté à l'islam, qui est iconoclaste par nature. Mohammed
fait effacer toutes les représentations idolâtriques de La Mecque, sauf celles de la Mère de Dieu tenant l'enfant…
L'Islam est une remontée du Tout-Autre : c'est le Dieu de désert. Malgré l'heurt millénaire avec Byzance, il y eut un dialogue
implicite à la base. Dans un contexte populaire, l'icône se rapprochaiet certes de l'idole ; il arrivait même que l'on confondît
icônes et eucharistie. Une volonté de sécularisation du Christianisme fut également déterminante. Les Empereurs iconoclastes
furent de grands administrateurs, qui voulurent reprendre en main les classes sociales - et surtout le monachisme - qui échappaient
à leur autorité. L'iconoclasme est toujours un anti-monachisme : il y a un parallèle étroit entre l'icône et le moine.
L'iconoclasme refuse le Christianisme eschatologique. Les icônes montrent la perspective du Royaume. L'Empereur se situait
dans la perspective de l'Empire, et confondait le Royaume et la société. Il voulait employer toute l'énergie humaine dans le
temporel ; il voulait tout ramener en-deçà.
- CHAPITRE V -
ÉLÉMENTS DE LA THÉOLOGIE DE L'ICÔNE
§ 1. — L'icône et l'Incarnation s'attestent mutuellement.
L'Incarnation rend possible l'icône, et l'icône témoigne de l'Incarnation. Dès l'Incarnation, nous pouvons « voir » Dieu – nous pouvons et devons Le représenter. L'Incarnation est un événement historique qui engage tout le destin de l'homme en tant qu'Image.
§ 2. — L'icône remet en place toute Anthropologie .
Dans le Christ, l'humain est devenu transparent au Divin ; l'humain a triomphé de la mort et de l'Enfer. Dans le Christ, nous pouvons représenter sans narcissisme le Visage de l'Homme dans l'Esprit Saint. L'humain est pneumatisé en Christ. On peut représenter le visage de l'homme en Dieu, triomphant de l'opacité et du risque d'idolâtrie. L'homme y est défini comme Personne, et la Personne est Visage. L'homme comprend qu'il a retrouvé son visage, son existence personnelle, visage que Dieu regarde – celui qui peut communiquer personnellement et ontologiquement en Dieu. L'accent est mis sur le visage et le regard. Dans la Grèce archaïque, l'homme est vu dans sa beauté végétale – beauté des corps, sans visage. Le corps y est beau comme le tronc d'un arbre. Dans la période hellénistique, apparaît l'individualité, avec un visage scellé par la mort – et la forme idéale du corps humain, fondé sur le nombre d'or, dans son harmonie et sa fluidité. Dans l'art iconique, tout l'humain tend vers le visage. Le visage est le lieu de la plus grande transparence, là où affleure l'Ailleurs. Ce n'est plus la recherche de l'Harmonie, mais la Flamme d'un corps beaucoup plus long que ne l'imposait les canons antiques – où tout se concentre dans le visage. L'Église a réagi au totalitarisme iconoclaste avec une grande rigueur, pour sauvegarder la transcendance du Personnel.
§ 3. — L'icône représente une troisième possibilité de l'Art humain.
Figuratif ou non-figuratif, l'icône ne relève ni de l'un ni de l'autre, mais elle est trans-figurative. Elle vise au spirituel ; par l'icône, il s'agit d'ouvrir l'au-delà de la figure – pressentiment de la déification. La théologie de l'icône se précise à la veille du grand discours byzantin sur la déification, et après le discours christologique des Conciles. La transcendance n'escamote pas la figure. L'icône désigne l'éternel au-travers d'un visage qui, par l'Éternel, trouve une pleine personnalisation. L'art d'un Bouddha taillé dans une falaise est un art dé-personnalisé. Une grande part de l'art occidental est individuelle. L'icône découvre la Personne dans la transparence de l'Éternel. L'icône ouvre une autre perspective que celle du concept. Elle nous appelle à une connaissance qui n'est pas spéculation, mais rencontre et communion. Dans la crise du langage, que ce soit la « langue de bois » ou le langage publicitaire – crise qui est celle d'une civilisation basée sur la parole écrite, l'Église est appelée à témoigner par l'icône. Le concept aboutissait à une illusion de saisie du réel par le langage. L'icône, inséparable de la parole biblique et liturgique, nous permet de situer le langage dans la rencontre et la communion, et par là, de le sauver. Le langage redevient une réalité inter-personnelle.
§ 4. — L'icône est en tension entre le visible et l'invisible.
Dans le visible, l'invisible est présent. L'icône nous apprend à voir le fait que l'Invisible vient à moi dans le regard de l'icône – regard qui me fait exister et me libère – regard qui n'est ni celui d'une mainmise, ni celui de l'indifférence, qui nous ignore et nous pétrifie, nous considérant comme un a-prosopon (appellation de l'esclave dans l'Antiquité). L'icône est sans cesse en tension avec l'Apophase. Il n'y a jamais d'emprisonnement dans l'icône – Dieu se rend participable, échappant à toute captation, et nous donnant toute Vie.
- CHAPITRE VI -
LE NÉO-CHALCÉDONISME ET LE CINQUIÈME CONCILE OECUMÉNIQUE
Rappelons les conditions expéditives dans lesquels s'est déroulé le Concile d'Éphèse, en 431. Ce Concile
fut expédié en un jour par Cyrille d'Alexandrie, venu avec une cinquantaine d'évêques une foule de moines – en l'absence
même de Nestorius. Théodose intervint, puis le Concile reprit avec la présence des légats romains. Nestorius et ses partisans
furent déposés et excommuniés.
À la séparation radicale des deux Natures du Christ, prônée par Nestorius, Cyrille opposait la formule : « une Nature mia phusis
incarnée du Dieu Verbe » – formule qu'il croyait tenir de saint Athanase. Il confondait par là ousia et hupostasis,
désignant comme Nature ce qui est en fait une hypostase. Cette confusion sera le nœud du problème.
Eutychès combattit les Nestoriens à Constantinople, s'appuyant sur la mia phusis de saint Cyrille, mais concevant
l'union des deux Natures en Christ comme un mélange : c'est le Monophysisme. Citons Hybas, chef de l'École d'Édesse, qui présenta
l'Acte d'union entre Cyrille et Jean d'Antioche comme une victoire du parti nestorien – et Théodoret de Cyr, grand théologien
de l'École d'Antioche, vivement opposé aux douze anathématismes de Cyrille et au Théopaschisme.
La position orthodoxe est présentée par le Tome à Flavien, envoyé par le pape Léon Ier au Patriarche de Constantinople :
c'est la symétrie absolue : chacune des Natures opère ce qui lui est propre, en communion avec l'autre. C'est un parallélisme
trop systématique.
En 449, le « Brigandage d'Éphèse » tenta de réhabiliter Eutychès, condamnant massivement tous les tenants de l'École d'Antioche,
comme Nestoriens. La mort de Théodose permet de redresser la barre. La convocation du Concile de Chalcédoine eut lieu en 451.
Ce Concile confessa dans son Horos : « Un même et unique Fils Notre-Seigneur Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme – de deux
Natures, sans confusion, sans division, sans séparation, sans transformation, unies en une seule Personne et une seule hypostase ».
Notons que ce Concile éleva Constantinople au deuxième rang après Rome.
Après Chalcédoine, l'Égypte demeura monophysite, et l'opposition se manifesta en Palestine et en Syrie. Pierre le Foulon,
Patriarche d'Antioche, fit du « Saint immortel, crucifié pour nous », le slogan du parti monophysite. Il introduisit également le
chant du Credo à la Liturgie – y mettant le Symbole de Nicée-Constantinople, pour faire pièce au nouveau Symbole de Chalcédoine.
Les Diphysites stricts, comme Acémètes de Constantinople, refusèrent le Théopaschisme, faute de distinguer clairement entre
Personne et Nature – car c'est Quelqu'un qui souffre.
Il faudra les précisions de Jean le Grammairien, dans son « Apologie du Concile de Chalcédoine » pour montrer la Nature
comme Ousia commune aux Personnes – et les précisions de Léonce de Byzance, pour montrer que tout est personnel : il
n'existe pas de Nature sans hypostase (en-hypostaton) - et finalement les précisions de Léonce de Jérusalem, pour
montrer que le Christ n'a pas d'hypostase humaine particularisée - et donc unissant par le fait même, l'humanité entière.
L'Henotikon de Zénon l'Isaurien, En 432, ne mentionnait plus Chalcédoine, honni par les Monophysites qui y voyaient l'abandon
de la pensée cyrillienne ; il donnait le Symbole de Nicée comme seule expression licite de la Foi. Sévère d'Antioche et
Philoxène de Mabboug sont les deux grands noms du mouvement monophysite. Rome maintint la doctrine du Tome à Flavien,
condamna l'Hénotikon et fit un schisme de trente-quatre ans avec Constantinople.
En 544, Justinien publia un édit condamnant les Trois Chapitres. C'est un assemblage de textes de Théodore de Mopsueste,
Hybas d'Édesse et Théodoret de Cyr. Cette action resta sans effet sur les Monophysites qu'il s'agissait pourtant de réconcilier.
Ce fut refusé en 553, lors du cinquième Concile œcuménique (Constantinople II). Théodore de Mopsueste est condamné dans
son ensemble, tandis que Hybas d'Édesse et Théodore de Cyr le sont dans certains de leurs écrits. Il s'agissait de
laver Chalcédoine de toue soupçon de nestorianisme, mais le danger nestorien n'était pas le plus menaçant, et l'approbation
trop exclusive de la tradition cyrillienne reculera jusqu'à saint Maxime une vision plénière de l'humanité du Christ.
Héraclius élimina le danger perse, par un mouvement tournant qui fut une véritable croisade. Le patriarche Serge émit l'Ekthèse,
imaginant de rapporter l'Énergie non par rapport à la Nature, mais à la Personne, en Christ : il s'agit du Monoénergisme.
Contre cette doctrine s'élèveront saint Sophrone et saint Maxime.
- CHAPITRE VII -
LE SCHISME DE PHOTIUS
Au neuvième siècle, pendant la période post-iconoclaste, nous pouvons observer dans l'Empire byzantin l'existence
d'un parti tolérant et celle d'un parti intransigeant – dont fait partie le patriarche Ignace. Celui-ci fut déposé par l'Empereur Michel III,
du fait qu'il s'était opposé à Bardas, Ministre de l'Empire. L'impératrice Théodora avait été mise à l'écart par Bardas.
Ignace avait refusé d'accepter que Théodora fut reléguée dans un couvent, et refusa aussi de donner la sainte Communion à Bardas.
On choisit comme successeur d'Ignace, un laïc très cultivé : Photius, qui était neutre dans ce conflit. Son exceptionnelle érudition
le faisait respecter. En cinq jours, il gravit tous les degrés. Les évêques ignatiens n'avaient consenti à son élection qu'à la
condition expresse de respecter Ignace comme patriarche. Mais deux mois après son élection, Photius déclare ne pas les reconnaître
comme évêques. En 859,un concile dépose officiellement Ignace. Le pape Nicolas Ier envoie de légats à Constantinople, pour s'informer
de cette affaire. Un concile se rassemble en 861, en leur présence, et confirme la déposition d'Ignace, et l'élection de Photius.
Néanmoins, en 863, le pape prétend déposer Photius.
Le roi des Bulgares, Boris, fut baptisé par les Byzantins. Il voulait obtenir l'autonomie de l'Église de Bulgarie - cependant,
Photius refusa. Boris se tourna vers Rome, qui promit à Boris envoi d'un archevêque, à défaut d'un patriarche.
En 866-67, Photius publie son Encyclique aux Patriarches orientaux, et y critique les usages latins : surtout le filioque.
Des missionnaires francs l'enseignaient en Bulgarie. Le filioque ne figurait pas dans le Credo de l'Église romaine. Il ne
fut inséré qu'au onzième siècle.
En 867, Photius réunit un concile à Constantinople, qui déposa le pape Nicolas Ier. Mais Basile Ier, nouvel Empereur - qui
avait fait assassiner Michel III - déposa Photius lui-même, qui avait interdit à Basile l'entrée dans l'église. Basile
Ier voulut rétablir Ignace. Il s'adressa au pape, car Ignace avait été déposé par un concile, et en présence des légats romains.
En 869, Ignace est rétabli par un concile, considéré comme « œcuménique » par l'Église romaine. Brièvement exilé, Photius
revient pour être nommé précepteur des enfants de l'Empereur. Après la mort d'Ignace, en 877, Photius est à nouveau nommé
patriarche. L'historien Dvornik montra que Photius s'est finalement réconcilié avec Ignace. En 879, un concile à Constantinople
est présidé par Photius. Le pape reconnaît Photius comme patriarche de Constantinople. Le Credo est proclamé solennellement
à Rome, sans le filioque.
Dvornik est un nationaliste tchèque, qui étudia la mission des saints Cyrille et Méthode, et la mission morave.
Hergenröther avait écrit sur le schisme de Photius. Cardinal de l'Église romaine, Hergenröther pris part au concile de Vatican I,
en 1870. Dvornik montra que la condamnation du pape par Photius fut le résultat d'un conflit personnel. Photius n'était pas
systématiquement anti-latin ; il n'a jamais condamné la papauté en tant que telle.
Dvornik a donné à l'Occident une image positive de Photius, à l'inverse d'Hergenröther, qui prétendait que Photius avait
à son propre sujet, les mêmes idées absolutistes que Nicolas Ier avait, sur la papauté. Photius présida le concile 879, alors
qu'il était déposé par le pape, et non reconnu par les Ignatiens. Cependant, Photius présida ce concile car le fils de
l'Empereur étant mort ; ce dernier étant en deuil, et Photius dut le remplacer. Dans ce cas, le patriarche assuma
la présidence du concile, à la place de l'Empereur manquant.
Le livre de Dvornik fait justice d'une légende d'une deuxième condamnation de Photius, après le concile. Ce concile avait
déclaré que le pape était un simple patriarche, et qu'il ne possède aucune autorité sur l'Église universelle. Ainsi donc,
patriarche de Constantinople ne doit pas recevoir de confirmation du pape, à son élection. Le pape avait envoyé un légat,
après ce concile, et le légat avait été arrêté. On a pensé qu'après cela, le pape aurait excommunié Photius une deuxième fois.
Mais Dvornik montre que c'est une légende. Photius, dans sa « Mystagogie sur le Saint-Esprit » - écrite à la fin de sa vie - fait
honneur au pape Jean VIII, car ce dernier a accepté le Credo sans filioque. Les relations entre Rome et Constantinople était
donc en de bons termes à la fin de la vie de Photius. Il n'était donc pas condamné par Rome. Photius mentionne aussi
d'autres papes, en témoignage contre le filioque : par exemple Léon III (800) n'accepta pas le filioque, s'opposant ainsi
aux théologiens de Charlemagne. Il fit graver le Credo sans le filioque, sur des plaques d'argent qui furent suspendues
dans une basilique romaine.
Le schisme photien commença en 863, lors de la déposition de Photius par le pape Nicolas Ier. Les Ignatiens avaient fait appel à Rome. Au quatrième siècle, le concile de Sardique (qui est l'actuelle Sofia, capitale de la Bulgarie) en 343 – 344, émit un Canon qui dit que lorsqu'un évêque est détrôné, il peut faire appel à l'évêque de Rome. Les Ignatiens usèrent donc de ce droit. En 866, Photius écrivit son « Encyclique aux Patriarches orientaux » – œuvre qui est l'effet du conflit entre Rome et Byzance, au sujet de la Bulgarie. Photius porte le conflit sur le terrain doctrinal, avec la question du filioque. Mais en fait, ce conflit était initialement de nature personnelle. Le pape Nicolas avait à l'égard de la primauté romaine, les idées qui seront mises en pratique au onzième siècle, sous la réforme grégorienne. Nicolas croyait au pouvoir absolu du pape sur l'ensemble de l'Église.
- CHAPITRE VIII -
LES RELATIONS ENTRE BYZANCE ET ROME
L'Église byzantine a reconnu la primauté de l'Église de Rome, dont témoignait déjà saint Irénée.
Rome était la capitale de l'Empire. L'évêque de la capitale avait une primauté d'honneur. Avec l'avènement de Constantinople,
Rome ne perdit pas son ancienne grandeur. Le Canon III du concile de Constantinople II place Constantinople après Rome. Le
concile de Chalcédoine accorde des privilèges égaux à Rome et à Constantinople. Mais Rome garde toujours le premier rang.
En Occident, les papes ont reconnu l'Empire byzantin comme romain, jusqu'au neuvième siècle, avec Charlemagne. En Italie,
les pièces d'argent montraient l'image de l'Empereur byzantin. Les papes n'étaient élus qu'après confirmation de l'Exarque
de Ravenne, jusqu'au neuvième siècle. Le titre d'Exarque était très important. C'était un véritable vice-Empereur.
De plus en plus, les papes agirent de façon impériale, après le cinquième siècle surtout. Les papes s'appellent
« Pontifex Maximo », depuis Léon le Grand, au cinquième siècle. C'est un titre impérial. C'est aussi au cinquième siècle
que fut écrite la « Légende de saint Sylvestre ». Selon ce texte, le pape Sylvestre aurait donné à Constantin son approbation,
et lui aurait octroyé les ornements impériaux. La « Donation de Constantin » date du neuvième siècle. Elle donne au pape
tous les privilèges impériaux ; celui-ci pouvait ainsi prétendre pouvoir séculier. Au onzième siècle, le pape Cyricius émit
les « Décrétales ». - Au cinquième siècle, le pape Gélase écrivait que l'autorité sacrée du pape est supérieure au
pouvoir impérial. Cela ne veut pas dire pour autant qu'ils se soient eux-mêmes considérés comme Empereurs.
En 800, Charlemagne put être couronné, car le trône byzantin était considéré comme vacant : l'impératrice Irène avait aveuglé
son fils - d'où le fait qu'on ne la considérait pas comme étant un Empereur réel. L'Empereur byzantin, à cette époque,
était considéré comme le seul Empereur romain.
Les papes se considérèrent comme les successeurs de l'apôtre Pierre. Depuis les papes Libère et Damase, au quatrième siècle,
on appelle le trône romain la « Sedes apostolica ». Au cinquième siècle, Léon le Grand, pape du concile de Chalcédoine,
se servit de ce titre dans ses lettres. Il développa la conception de « Vicarius Petri ». Il se servit du terme impérial
de « Principatus ». Cette doctrine culmina sous Gélase, au cinquième siècle. Il se sert toujours de l'expression « Sedes apostolica »
dans sa correspondance, comme de la conception de la « plenitudo potestatis » : son pouvoir absolu sur toute l'Église.
Selon lui, il a le pouvoir d'absoudre quiconque serait condamné par quelque évêque.
En Occident, Rome est le seul siège apostolique, alors qu'ils sont nombreux en Orient. Cette conception d'une « Sedes apostolica »
ne fit pas impression sur les Byzantins. Mais leur attitude ne fait pas conséquente : il se servirent de ce titre dans leurs
requêtes - ou le nièrent. Flavien, déposé, fait appel à l'Occident, disant vouloir faire usage du « pouvoir apostolique » du pape.
Ce n'est qu'au douzième siècle, que les Byzantins se rendent compte du problème de la papauté. Ce fut après la Réforme
Grégorienne du onzième siècle, qui revendiqua pour le pape un pouvoir absolu sur toute l'Église.
Les théologiens byzantins distinguèrent entre le ministère apostolique, qui est universel, et le ministère épiscopal,
qui est local. Pierre fut un apôtre, et non point un évêque. L'apostilicité d'un siège était secondaire pour les Byzantins,
car ce type de siège était assez abondant. La notion de fondation de Constantinople par saint André ne survint qu'à partir
du septième siècle. L'idée de la Primauté de Pierre vint donc peu à peu, à partir du cinquième siècle, et culmina au onzième siècle,
en Occident.
- CHAPITRE IX -
LA CONTROVERSE DU FILIOQUE
§ 1. — Photius : le Père de l'Humanisme byzantin.
Homme de grande érudition, Photius fut l'auteur de la « Bibliothèque », qui est une compilation de ses lectures. Il eut une prédilection pour Aristote et la dialectique. Il a un grand sens de l'Histoire. Il fut le premier à oser mettre en cause l'authenticité du « Corpus Dionysiacum ». En fait, dans la Bibliothèque, il cite objectivement les objections d'un certain Théodore le Presbytre, sans pour autant donner son opinion personnelle. La « Mystagogie de l'Esprit Saint » est son œuvre la plus importante. Ce fut la première réfutation grecque systématique du filioque. Il montre que la théologie filioqiste dissout l'hypostase du Père dans l'Essence. C'est un modalisme déguisé.
§ 2. — La controverse du filioque.
Le filioque fut inséré au sixième siècle dans le Credo,
au concile de Tolède, contre l'Arianisme, pour proclamer la divinité complète du Fils. Le filioque fut inséré à Rome,
au onzième siècle. Ce fut le point doctrinal le plus disputé par les théologiens byzantins, dans leur controverse
contre l'Occident. Charlemagne chargea ses théologiens décrire une liste d'objections contre le septième concile œcuménique ;
il s'agit des « Capitulaires - les Livres carolins ». Charlemagne ne comprit pas la théologie de l'icône. L'Empereur Constantin
VII avait rompu ses fiançailles avec la fille de Charlemagne, vexant celui-ci. Les théologiens francs n'avaient pas été invités à Nicée II.
Le pape Adrien écrivit une réponse détaillée. Il soutint la théologie byzantine : la doctrine sur les icônes correspond à
l'enseignement du Siège romain.
L'argument principal des théologiens francs et la réfutation de l'Arianisme, et l'affirmation de la divinité du Fils.
Les théologiens francs crurent sincèrement que le filioque figurait dans le Symbole original. Plus tard, quand on réalisa
que c'était une interpolation, on fit des théories en vue de le justifier. Le filioque fut le point principal du
concile d'Aix-la-Chapelle, convoqué par Charlemagne en 809. Théodulphe d'Orléans y fut le théologien le plus important.
Il écrivit « De Spiritu Sancto », à la demande Charlemagne. Ses arguments se basaient sur ceux qui avait été présentés par
Augustin dans son ouvrage « De Trinitate ». Théodulphe d'Orléans voulait montrer l'unité la simplicité divine. Pour Augustin,
Dieu est d'abord une Essence, dans laquelle les Personnes sont des relations réciproques. En tant que telles, les Personnes
divines sont identiques à l'Essence. Elles ne peuvent être pensées qu'en relation. Pour les Cappadociens, Dieu est d'abord
la Personne du Père, à l'origine de tout, et non point l'Essence divine : c'est la notion de « Monarchie du Père ».
Dans cette perspective des Cappadociens, ce sont les Personnes qui possèdent Nature divine, et non point l'Essence divine
qui posséderait les hypostases. Le danger de la théologie augustinienne est le modalisme, qui n'établit pas de distinction
suffisante entre les Personnes. Augustin lui-même rejeta explicitement au modalisme. Dans ses « Confessions », il montre
bien que pour lui, Dieu est bien plus qu'une abstraction philosophique. Par ailleurs, le danger de la théologie trinitaire des Cappadociens
est le subordinationnisme et le trithéisme. Le Dieu vivant de l'Église transcende nos catégories philosophiques.
Photius avait clairement que la controverse du filioque vient de la différence entre deux conceptions de la Trinité : essentialiste
ou personnaliste. Les Cappadociens affirment la relation éternelle du Fils et de l'Esprit. Le Fils est directement originaire
du Père, alors que l'Esprit ne l'est qu'à-travers, ou par l'intermédiaire du Fils, dit saint Grégoire de Nysse, dans son
épître à Ablabios. Photius dit que le Saint Esprit provient du Père par le Fils. Mais il n'en parle que dans le contexte
de l'Économie du Salut : l'Esprit est envoyé dans le monde par le Fils. Plus tard, Grégoire de Chypre et saint Grégoire Palamas
parleront de la relation éternelle entre le Fils et l'Esprit.
Qui est le Saint-Esprit ? Il est à la fois Personne – puisqu'on peut le prier – et le Don. Saint Grégoire Palamas développa
cette question. Photius n'épuise pas la question de la théologie du Saint Esprit, dans sa « Mystagogie ». Il a pensé « contre »,
sans comprendre ni situer la vérité de l'autre. C'est une pensée polémique. Mais il a bien situé la différence entre la
théologie augustinienne, et la théologie trinitaire des Cappadociens. La présence de l'Esprit en tant que Personne
n'est guère évidente dans l'essentialisme augustinien, qui n'y voit pratiquement qu'une relation.
- CHAPITRE X -
L'AFFAIRE DE LA TÉTRAGAMIE
Photius fut déposé en 886 par l'Empereur Léon VI le Sage, qui craignait le pouvoir patriarcal ; il voulait
que son frère Étienne soit élevé au trône patriarcal, de sorte qu'il puisse contrôler les affaires ecclésiastiques. Son successeur
Nicolas Mystikos (= secrétaire. 901-907, 912-925) entra en conflit avec Léon VI, à cause de son quatrième mariage. Ses trois
premières épouses moururent prématurément, sans lui laisser d'héritier. Son attention se porte sur une certaine Zoé – surnommé
« Karbonopsina » - aux yeux noirs... Sa liaison donna un fils, le futur Constantin VII porphyrogénète, qui écrira le
« Livre des Cérémonies ».
Léon VI, ayant enfin un fils, veut légitimer son concubinage. Mais c'est contraire aux Canons de l'Église, qui se basent
sur le principe de l'unité du mariage. L'église occidentale ne voit par contre dans le mariage qu'un contrat qui cesse
avec la mort d'une des parties. C'est pourquoi le pape approuva ce quatrième mariage. Léon VI fut victime de ses propres lois.
Il avait émis auparavant une Novelle qui condamnait le quatrième mariage, et avait rédigé les « Basiliques » – compilation
du droit antérieur – où le quatrième mariage était aussi interdit.
Le parti des intransigeants, les Ignatiens, s'opposa même au baptême du jeune prince, comme légitimant la concubinage de l'Empereur.
Mais on trouve un compromis : le 6 janvier 906, le patriarche lui-même baptisa le jeune prince. L'Empereur avait dû, pour ce faire,
promettre de se séparer de Zoé. Mais il la ramena solennellement au palais. Il força un prêtre « Thomas » à célébrer son mariage,
après quoi le patriarche Nicolas excommunia Léon VI. Cela illustre bien la tension qui pouvait exister entre l'Église et l'État.
Le patriarche ne perdit pas de vue l'espoir de la réconciliation. Il se sert du principe de l'Économie, lui donnant
le sens positif d'imitation de l'amour de Dieu pour l'homme - et non pas seulement dans le sens négatif d'exception à la règle.
Dans le Nouveau Ttestament, ce terme signifie le « Plan de Salut de Dieu (Ephésiens 1). Ce Plan de Salut doit être réalisé par
les hommes (I Co.). Dans les épîtres pastorales, le mot d'« Économie » se réfère tout particulièrement à l'évêque, désigné
comme l'« Économe » des Mystères de Dieu. Chez les Pères, cela désigne le dessein de Dieu en l'Incarnation, pour le Salut de l'homme.
Le mot d'« Économie » est revêtu d'un sens positif.
Le patriarche Nicholas consent ainsi à réadmettre l'Empereur dans l'Église, sans pénitence particulière. Mais le parti intransigeant
des Ignatiens s'y oppose, et force Nicholas a refuser l'entrée dans l'église à l'Empereur, publiquement, et à deux reprises – avant
la Liturgie de Noël, en 906, et de l'Épiphanie, en 907 – ceci aux portes de Sainte-Sophie. Faute de parvenir à réconcilier
les parties en présence, le patriarche rejoint le parti ignatien.
Le 1er février 907, Léon VI, lors d'un banquet, en présence de tous les métropolites, décrète l'arrêt et l'exil du patriarche.
Un concile, avec la présence des légats romains, décide favorablement à l'Empereur. Mais l'Église byzantine se divise en les Nicolaïtes
et les Euthémytes (du nom d'Euthyme, successeur de Nicolas). Léon six, quelques années avant sa mort, dépose Euthyme et
rappelle Nicolas, seul capable de garder la paix de l'Église. Léon VI se réconciliera avec Euthyme, avant la mort de ce dernier.
Réunis à Constantinople, condamna solennellement le quatrième mariage – et le Tome d'Union est signé entre les deux parties.
L'Église de Rome était d'abord favorable à l'Empereur, car elle n'avait pas de raison théologique pour s'opposer à ce
quatrième mariage. Après la réhabilitation de Nicolas en 912, ce dernier écrivit au pape, lui reprochant d'introduire la
fornication dans l'Église. Le pape ne répond pas – et il s'ensuit un schisme de huit ans entre Rome et Byzance.
Les légats du pape venus au concile de 923 s'alignèrent sur l'avis de l'Église byzantine, en cette matière.
- CHAPITRE XI -
LE DIXIÈME SIÈCLE BYZANTIN
L'Empereur Nicéphore Phocas (963-969)fut « mi-soldat, mi-ascète ». Très austère, portant un cilice, ne manquant jamais à ses devoirs religieux, il était en relation avec saint Athanase l'Athonite. Il lui aurait confié son désir de rentrer dans le monachisme. Il épousa cependant Théophano, veuve de l'Empereur Romain II. « Il vainquit tout, sauf une femme », dit une inscription sur son sarcophage… Nicéphore émit une Novelle interdisant la fondation de nouveaux monastères et les donations. Les possessions foncières monastiques avaient pris une immense extension. Basile II abrogera cette nouvelle comme « blessante et injurieuse, non seulement pour les églises, mais encore pour Dieu lui-même ». Sous Nicéphore et son successeur Basile Tzimiscès, le Mont Athos devint l'un des centres les plus importants de la vie monastique. Pendant la période iconoclaste, le Mont Athos fut le refuge des iconodules. Après la fondation de la « Grande Laure » par saint Athanase, un grand nombre d'autres monastères furent créés. Saint Siméon le Nouveau Théologien vécut aussi au dixième siècle.
- CHAPITRE XII -
LE SCHISME DE 1054
L'éloignement entre Rome et Byzance commence au huitième siècle, lors de l'iconoclasme. Avant
le huitième siècle, Byzance regarde l'Occident comme sa propriété – et les papes reconnaissent les Empereurs byzantins.
Mais Grégoire II et Grégoire III, papes de Rome, condamnèrent les Empereurs iconoclastes. L'Italie se sépara de Byzance,
et fut dominée par les intérêts de la papauté, exception faite de l'Italie du Sud. En 751, l'Exarque de Ravenne est chassé
par les Lombards, qui menacent aussi le pape. Mais le pape Étienne II ne chercha pas le secours de l'Empereur byzantin
onstantin V Copronyme, qui était iconoclaste. Le pape se tourna vers les Francs, dirigés par Pépin. Le pape et Pépin se
rencontrèrent en 734 à Ponthion. Le pape sacre Pépin III, et lui donne le titre de Patricien des Romains. Cela exprime
encore cette ancienne conception de l'Empire romain unique. Pépin promet au pape de lui donner les territoires pris
par les Lombards, ainsi que l'Exarcat de Ravenne. C'est l'origine des États pontificaux.
Ceux-ci se basent sur la « donation de Constantin », qui est une fiction écrite à cette époque, qui justifiait les prétentions papales.
Plus tard, le couronnement de Charlemagne, en 800, contribua à l'éloignement entre Byzance et l'Occident. Au onzième siècle,
la tension entre Byzance et Rome s'était aggravée : les papes avaient étendu leur possession en Apulie et en Calabre,
qui étaient des terres byzantines. Nicéphore Phocas fit ainsi interdire le rite latin en Italie du Sud. Le pape, en réponse,
s'adresse au basileus comme à l'« Empereur des Grecs », réservant le titre impérial à Otton Ier.
Malgré l'interdiction de Nicéphore, l'influence papale continua à s'étendre dans le sud de l'Italie. Au onzième siècle,
le filioque fut inséré dans la liturgie de l'Église de Rome. Léon IX fut l'initiateur de la réforme grégorienne, réaction
contre la décadence de la papauté au dixième siècle. En 1046, Henri III, Empereur allemand, avait déposé trois papes…
Léon IX restaura l'autorité de la papauté. Une réforme avait débuté à Cluny, au dixième siècle : elle visait à mettre fin
au pouvoir de l'État sur l'Église, en affirmant que les monastères doivent être sous l'autorité directe du pape, et non point
du roi. La réforme visait également à mettre fin à la simonie. Cette réforme culmina dans le Conflit des Investitures,
qui opposa Grégoire VIII à l'Empereur Henri III - conflit qui prit fin à Canossa.
Léon IX chercha à latiniser l'Italie du Sud,
par la voie d'une alliance avec les Normands. Le patriarche byzantin Michel Cérulaire fit fermer les églises latines
de Constantinople. L'évêque Léon d'Okhrid écrivit une lettre polémique contre les usages latins (concernant les azymes, notamment),
et cette lettre parvint à Rome. Or le pape craignait que cette lettre ne luise à la réforme grégorienne, notamment parce cette
réforme voulait imposer le célibat sacerdotal, critiqué par Byzance. En 1053, les Normands en Italie menacèrent la papauté elle-même.
Ainsi une délégation a-t-elle été envoyée à Constantinople, avec le cardinal Humbert, pour avoir l'appui de Byzance.
Mais Humbert était partisan de l'idéologie de la papauté, et le patriarche byzantin Michel Cérulaire refusa toute concession.
Finalement, Humbert déposa sur l'Autel de Sainte-Sophie une bulle d'excommunication - et en réponse, un concile rassemblé à Constantinople
excommunia les légats.
En réalité, la Bulle d'excommunication produite par le cardinal Humbert était sans portée canonique, car le pape était mort
à ce moment-là. Humbert ne pouvait le savoir… Le schisme de 1054 fut aussi un conflit personnel : ce fut la personne du
patriarche Michel Cérulaire qui fut l'objet de l'excommunication, et non pas l'Église de Constantinople. Il en est de même
pour l'excommunication d'Humbert. Ces excommunications furent enlevées en 1965, par Athénagoras et Paul VI. Sans doute, ces
« levées d'excommunication » furent-elles sans objet, car celles-ci étaient de caractère personnel, alors que les anathèmes
du concile de Florence n'ont jamais été levées. - Tout cela n'empêchait pas les églises latines exister encore à Constantinople,
ni les patriarches orientaux d'être en communion avec Rome - à l'exception du patriarche d'Antioche, qui soutint
le patriarche Michel Cérulaire. Ce furent en fait les croisades qui rompirent définitivement les ponts.
- CHAPITRE XIII -
LES CROISADES ET BYZANCE
Le pape Urbain II proclama la première croisade, au concile de Clermont, en 1095. Cette conception
d'une guerre sainte fut déjà exprimée par le prédécesseur d'Urbain : Grégoire VII, le pape de la réforme grégorienne.
En 1071, les Byzantins subirent une désastreuse défaite devant les Turcs à Mantzikiert. De plus en plus, l'Italie du Sud
fut envahie par les Normands : c'est la fin de la domination byzantine en Italie du Sud. Michel VII, Empereur à cette époque,
demanda le secours du pape, en 1073 – en fait après le schisme ! Pour Grégoire VII, c'était une possibilité d'imposer
son autorité sur Constantinople. La devise de la réforme grégorienne était l'expansion de l'autorité papale. Mais
Grégoire VII devait compter sur les Normands, contre l'Empereur d'Allemagne, lors de la Querelle des Investitures.
En 1078, Michel VII fut déposé. Le chef de Normands, Robert Guiscard – dont la fille était fiancée au fils de Michel VII – était
favorable à ce dernier. Michel VII une fois déposé, le pape fut forcé par les Normands, de rompre avec Byzance. En 1089, Urbain II
écrivit une lettre à l'Empereur byzantin Alexis Comnène, afin de renouer avec Constantinople.
Le pape chercha le secours des Byzantins, contre l'anti-pape Clément III. Cela montre que le schisme restait donc très
formel… En 1094, le pape rentrait à Rome, après avoir été captif des Normands. En 1095, le pape convoqua un concile à Piacenza,
afin de promouvoir la réforme grégorienne. Une délégation byzantine y demanda le secours contre les Turcs. Urbain II
appela des volontaires à venir au secours de l'Empire byzantin. - Par contre, à Clermont, la même année, Urbain II prêchait
une guerre sainte, censément menée par Dieu, et assortie d'une Indulgence pour les croisés. Pour les byzantins,
cette conception d'une guerre sainte leur était totalement étrangère. Pour eux, c'est une question politique : la Palestine
était une ancienne terre byzantine à libérer. C'est pourquoi les Byzantins voulurent des mercenaires, et non pas des croisés.
Malgré un serment d'allégeance à l'Empereur byzantin, Bohémond occupa Antioche, et ignora les protestations de l'Empereur byzantin.
Le point culminant de la divergence entre les byzantins et les croisés fut la période s'étendant de 2004 à 2061 : l'occupation
de Constantinople par les croisés, et la création de l'Empire latin d'Orient. Les croisades sonnèrent le glas des rapports
entre l'Occident et Byzance. En 1205, Thomas Morosini fut nommé patriarche latin de Constantinople. En 1222, le pape Honorius
III ordonna que le rite byzantin soit supprimé dans les pays dominés par les Latins. Pendant l'occupation de Constantinople,
se constitua un Empire byzantin en exil, à Nicée, et un autre Empire à Trébizonde, au sud-est de la Mer Noire. Il y avait
aussi un gouvernement en Épire. Il fut conquis en 1246 par Nicée, et devint le Despotat d'Épire. Trébizonde fut détruite
par les Turcs en 1461.
- CHAPITRE XIV -
CULTURE ET THÉOLOGIE BYZANTINES DU DIXIÈME AU DOUZIÈME SIÈCLE
Le dixième siècle fut l'époque de la dynastie macédonienne, débutant par le règne de Basile Ier.
Les années s'étendant de 867 à 1056 furent ainsi la période d'un grand épanouissement culturel. Léon VI le Sage protégea
tous les hommes de sciences et de lettres. Son fils, Constantin VII Porphyrogénète (913 – 919) protégea l'instruction ; il composa
son « Livre des Cérémonies » – description détaillée des règles de la cour byzantine – et son « Administration de l'Empire », ouvrage
dédié à son fils. Syméon Métaphraste écrivit sa collection de Vies de Saints. Aréthas, évêque de Césarée - l'un des
premiers humanistes byzantins, comme Photius - développa l'étude des Antiquités grecques. Le patriarche Nicolas Mystikos
laissa une collection importante de lettres, qui est une documentation précieuse sur la politique du temps. À la fin du dixième
siècle, l'Empire se voua aux campagnes militaires. Basile II le Bulgaroctone est contemporain de Saint Siméon le Nouveau Théologien.
Au onzième siècle, l'Université de Constantinople fut rétablie. Elle avait existé du temps de Photius, qui y avait été professeur ; ensuite
l'Université fut fermée à la fin du dixième siècle. Constantin IX (1042 – 1055) fonda de nouveau l'Université en 1045, avec un
groupe de savants et d'érudits, dont Michel Psellos (Michel avait passé quelques temps dans un monastère : « Michel » fut donc
son nom monastique). Michel Psellos était à la tête de l'école de philosophie de l'Université. Il n'y avait pas de faculté de théologie,
matière qui était enseignée dans des établissements privés. Le Droit était enseigné par Jean Xiphillin. Psellos parvint à de
hautes fonctions politiques. Humaniste, il ne s'intéressait pas aux problèmes strictement théologiques. Il ne fit guère de
différence entre christianisme et platonisme. Il fut l'un des artisans de la renaissance du néoplatonisme.
Le successeur
de Psellos comme doyen de l'Université fut son disciple Jean Italos. Jusqu'à lui, l'humanisme byzantin pouvait coexister
avec la théologie officielle. Mais Italos fut condamné pour son platonisme, en 1080 : le Synode de 1082 ne rejeta pas pour
autant l'étude des philosophes grecs - qui étaient considérés comme étant utiles pour l'instruction - mais condamna le fait
d'adopter les opinions philosophiques telles que l'éternité de la matière, la préexistence des âmes - déjà condamné en 553, lors
du cinquième Concile œcuménique, rassemblé contre l'Origénisme. En fait, Thomas d'Aquin et d'autres penseurs furent
plus grecs que l'Eglise byzantine officielle...
Au douzième siècle, on essayait d'imiter le style et la langue des écrivains grecs classiques. Ce style est artificiel et pompeux.
Anne Comnène, fille d'Alexis Comnène (1081 – 1118) écrivit l'« Alexiade », qui est pour nous l'une des sources de connaissance,
en ce qui concerne la première croisade. Nicétas Chroniates écrivit un grand ouvrage historique en vingt livres, qui va
du début du dixième siècle, jusqu'aux premières années de l'Empire latin. Théophilacte d'Okhrid (+ au début du 12e s.)
écrivit « Sur les erreurs des Latins » – ouvrage de tendance conciliatrice, tout en excluant totalement le filioque.
Théodore Balsamon écrivit des commentaires sur les Canons.
Il n'y a pas de grand théologien, au douzième siècle.
Lors de la deuxième moitié du douzième siècle, se développa une controverse sur l'enseignement de Soterichos Panteugenos,
patriarche élu d'Antioche. Le sacrifice du Christ est-il offert au Père seul, ou à la Sainte Trinité ? Cette question fut
posée lors de deux conciles, en 1156 – 1157. Soterichos enseignait que le sacrifice du Christ est offert aux Père seul - opinion
qui fut condamnée. Son idée était que le sacrifice offert à la Trinité entraîne le Nestorianisme - montrant la Nature humaine
du Christ offerte à la Nature divine, ce qui, de ce fait, séparerait les Natures. Le concile remarqua que le fils de Dieu
n'abandonna pas son trône céleste lors de son Incarnation – ce qui ôte tout empêchement à voir le Sacrifice offert à
la Sainte Trinité tout entière. Tous les actes divins sont trinitaires, y compris le Sacrifice du Christ. Le Fils seul
devient homme, mais toute la Trinité participe à l'Incarnation, et reçoit le Sacrifice : « Tu es Celui qui offre et est offert,
qui reçoit et est distribué » – paroles de saint Cyrille d'Alexandrie, qui se retrouvent dans la Liturgie. C'est important,
face à la théologie anselmienne du Père qui reçoit le Sacrifice de son Fils : notre Salut est accompli par le Dieu unique,
Père, Fils et Saint-Esprit.
En 1166 séances 170, deux conciles réunis à Constantinople discutent de la parole de Jean : « Mon Père est plus grand que
Moi » (Jn. 14 ; 18). Les Pères Grecs rapportèrent ce texte à la doctrine de la Monarchie du Père – les relations trinitaires
éternelles – ou à la Nature humaine du Christ. Le métropolite Constantin de Corfou et l'higoumène Jean Irénikos furent
condamnés, car ils avaient soutenu que l'humanité du Christ - parce que déifiée - ne pouvait être tenue pour inférieure
au Père. Les conciles dénoncèrent Jean Irénikos comme crypto-monophysite. Ce dernier affirmait que ce n'est que « dans notre
esprit kat'epinoian » que l'on pouvait dire que la Nature humaine du Christ serait inférieure au Père. Il y avait
là le danger de dénier au Christ la plénitude de la Nature humaine : celle-ci est vraiment inférieure au Père, et non pas
seulement selon notre propre raisonnement ; le Christ est vraiment incarné.
- CHAPITRE XV -
LE CONCILE DE LYON (1274)
De 1204 à 1261, Constantinople fut occupée par les Latins. Michel VIII Paléologue mit fin à l'Empire latin,
commençant la dernière grande dynastie byzantine. Michel VIII fit aveugler Jean IV, dernier Empereur de Nicée. Cela entraîna
comme conséquence, que Michel VIII se fit excommunier par le patriarche Arsène. Ce dernier fut déposé en 1265 : c'est le
point d'origine du schisme arsénite, mouvement populaire et zélote, qui subsista jusqu'à la fin du treizième siècle.
Michel VIII chercha à se rapprocher de la papauté - contre Charles d'Anjou, roi de Sicile, qui voulait reconquérir Constantinople.
En 1266, Michel envoie une ambassade auprès de Clément IV. Ce dernier écrivit en 1267 à Michel, exigeant que les Grecs
s'alignent sur une Confession de Foi filioquiste.
Clément IV était en bons rapports avec Charles d'Anjou. En 1270, Clément IV
exigea un serment de l'Empereur, pour cette Confession de Foi. Michel VIII demanda au Synode de Constantinople de favoriser
l'Union avec Rome, disant que la différence était uniquement d'ordre culturel et national. Jean Beccos s'y opposa.
Plus tard, il sera patriarche unioniste... Mais maintenant, Michel le fait emprisonner pour son opposition. Le Synode
rejeta l'introduction de la commémoraison liturgique du pape. Le patriarche Joseph II s'opposa à l'Union. Il écrivit
une encyclique dans laquelle il souligna le fait que l'Union n'est possible que si les causes dogmatiques sont résolues,
avec l'accord de la Pentarchie.
Le concile de Lyon se rassembla en 1274, sous Grégoire X. La délégation de l'Empereur accepta la profession de foies filioquiste.
Le patriarche Joseph fut déposé, et remplacé par Jean Beccos, maintenant acquis à l'Union. Michel VIII et Jean Beccos
font excommunier et persécuter les opposants de l'Union. Charles d'Anjou – raison politique de l'Union – fut détrôné en 1282,
lors des « Vêpres siciliennes ». C'était le lundi de la semaine pascale, signal de la révolte de la population sicilienne
contre les Français. Michel VIII mourut et Andronic II rétablit la Foi orthodoxe en 1282, déposant Beccos et réinstallant Joseph.
Le concile de Lyon fut en fait une création de l'Empereur, et non point un mouvement de l'Église byzantine.
Le successeur de Joseph est le fameux Grégoire de Chypre (1283 – 1289). Comme Photius, il était laïque lorsqu'il fut nommé
patriarche. En 1285, un concile se réunit à Constantinople pour discuter du filioque et condamner l'Union de Lyon.
Grégoire de Chypre en rédigea le Tomos. « Le Saint-Esprit resplendit et se manifeste éternellement par l'intermédiaire du Fils,
comme le soleil resplendit par ses rayons ». Il s'agit d'une aidios ekphansis - une manifestation éternelle. L'Esprit
vient du Père par le Fils, non seulement dans l'Économie, mais encore selon une manifestation éternelle. Grégoire de
Chypre reprend la théologie des Cappadociens, qui mentionne l'ordre des Personnes trinitaires, dans leurs relations
éternelles. Que s'agit-il, lorsqu'on parle de « manifestation éternelle » : s'agit-il de l'hypostase, ou du don de l'Esprit ?
En fait, cette distinction se fait entre « procession personnelle de l'Esprit » et « procession naturelle de l'Esprit ».
Cette manifestation éternelle concerne la procession naturelle, et non point personnelle. Le Tomos de 1285 sera gênant
pour les adversaires de Palamas.
Grégoire de Chypre se servit du terme « Énergie » pour indiquer la manifestation du Saint-Esprit. Les théologiens byzantins
répétaient la théologie de Photius, qui n'a vu la manifestation de l'Esprit que sur le plan de l'Économie. La notion de
manifestation éternelle est l'apport propre de Grégoire de Chypre – quoique les Cappadociens n'aient pas limité la manifestation
de l'Esprit au domaine de la création. Au treizième siècle, on commence donc à clarifier la théologie du Saint-Esprit.
On commence à distinguer le Saint-Esprit selon l'hypostase, et le Saint-Esprit en tant que don – ce dont les Pères parlent
souvent indifféremment. Saint Grégoire Palamas opéra finalement cette classification, au XIVe siècle.
- CHAPITRE XVI -
LE CONCILE DE FLORENCE
Les Turcs menaçaient l'Empire byzantin. Au XIVe siècle, ils avaient envahi l'Asie Mineure.
L'Empereur byzantin cherche à s'appuyer sur le pouvoir papal. Mais c'est la période de la « captivité de Babylone » pour
la papauté (1309 – 1378), qui résidait à Avignon : les papes dépendent pratiquement du roi de France. Les papes font appel
aux souverains occidentaux pour venir en aide à Byzance. Ces appels restèrent sans réponse. Pétrarque écrivait : « les
Turcs sont des ennemis, mais les Grecs schismatiques sont pires que les Turcs ». En 1367, Urbain V veut revenir à Rome.
En route, il rencontre des envoyés byzantins qui lui disent que l'Empire veut rétablir l'union, et que l'Empereur byzantin
est prêt à venir à Rome. Jean V y vint en effet en 1369. Il lit une profession de Foi avec filioque et primauté du pape.
Le pape célébra une messe solennelle où Jean V proclame à nouveau cette profession de Foi. Cette Union ne fut pas acceptée
par les Byzantins : elle resta une initiative personnelle de la part de Jean V.
Les années s'étendant de 1378 à 1415 furent la période du « Grand Schisme ». Deux papes se disputaient la préséance, à Avignon et à
Rome. En 1409, le concile de Pise élit à nouveau un pape, qui ne fut pas accepté par les deux précédents. Cela donna trois papes !
En 1414, se rassembla le concile de Constance. Les trois papes sont déposés et remplacés par Martin V. Au concile de Constance,
siégeaient des envoyés byzantins, envoyés par Michel Paléologue, avec des propositions d'Union. À Constantinople, Joseph
Bryennios s'opposa à l'Union. Prédicateur à la cour impériale et secrétaire du patriarche, il était un homme très respecté.
Il prononça 21 homélies sur la Sainte Trinité, ce qui fut une synthèse de la pensée byzantine : « Le Saint-Esprit tire
son origine hypostatique du Père seul, et se manifeste éternellement dans les Énergies, par le Fils ». Bryennios s'opposa
à toute forme d'opportunisme politique : c'est la Vérité, et non pas la raison politique, qui est le bien suprême de l'Église.
Il dit que le filioque ne peut être toléré qu'en cas d'extrême nécessité, avec une réinterprétation nécessaire. Sa position
est plus nuancée que celle de Marc d'Éphèse.
Eugène IV succéda à Martin V ; les conciles de Constance et celui de Bâle (1431) s'étaient déclarés supérieurs au pape – c'est
le mouvement conciliaire (avec Jean Gerson) qui affirmait que le concile est à la tête de l'Église, et non pas le pape.
Après le Grand Schisme, on avait perdu toute confiance envers la papauté. En 1437, deux navires arrivèrent à Constantinople,
pour transporter la délégation byzantine : il y avait un bateau conciliaire, et un bateau envoyé par le pape. Les Byzantins
se décidèrent en faveur du pape, qui était à leurs yeux, le représentant de l'Église occidentale.
Le concile commença à Ferrare, en Italie, en 1438. Jean VIII, Empereur byzantin, et le patriarche Joseph II, y furent présents.
On commença par la question du purgatoire, et cette discussion révélait déjà les divergences entre les parties en présence.
Marc d'Éphèse souligna le fait que même les justes défunts ont besoin de nos prières. Du point de vue latin, l'état des Saints
après la mort trouve une justification statique et légale. Marc d'Éphèse montra la vie des Saints dans l'au-delà,
comme une ascension sans fin, dans la Vie divine. L'Église orthodoxe n'a jamais élaboré de théologie officielle de
l'Au-delà. Notre prière pour les morts est aussi le signe de notre amour et de notre communion en Christ. La théologie
latine avait une conception juridique du purgatoire.
On en vint à la question du filioque. Les Byzantins lisent les décisions des conciles d'Éphèse et de Chalcédoine qui interdisent
toute addition au Symbole. Ils citent saint Cyrille d'Alexandrie, qui écrivait qu'« en aucune manière, nous n'admettrons
que la Foi de nos Pères soit bouleversée en quoi que ce soit… ne déplacez pas les bornes établies par nos pères ». Les Latins
veulent montrer que le filioque a toujours été cru par l'Église. Mais les Byzantins rétorquent que le mot « Theotokos » ne
fut pas introduit dans le Symbole, après le concile d'Éphèse.
En 1439, le concile fut transféré à Florence, car la peste se déclarait à Ferrare. La discussion se porta sur la doctrine
même du filioque. Les Grecs et les Latins argumentent sur des plans différents, et avec une terminologie différente.
Marc d'Éphèse n'était pas un théologien brillant, comme Bryennios. Il se borna à répéter la théologie de Photius, ignorant
l'élaboration byzantine des XIIIe et XIVe siècles. En 1439, les Grecs signèrent l'Acte d'Union - saint Marc d'Éphèse étant
le seul qui refusa de le signer. À Constantinople, l'Union de Florence ne fut acceptée ni par les moines, ni par le peuple.
En 1443, l'Union fut condamnée par les autres patriarches d'Orient. Le clergé de Constantinople boycotta les Unionistes.
Le nom du pape ne fut plus commémoré à Constantinople. La conquête de Constantinople par les Turcs, en 1453, mit fin à la
fois à l'Empire byzantin et à l'Union.
Le concile de Lyon avait été une initiative privée de l'Empereur. Le concile de Florence ne fut pas reçu par l'Église.
L'Union ne peut être imposée du dehors sur l'Église : même un concile n'est pas une autorité qui se situerait au-dessus
de l'Église. Ce fut l'erreur des Conciliaires, de dire que le concile est à la tête de l'Église – ce parti considérait,
dans l'Église latine, l'autorité conciliaire sur le même plan que l'autorité papale. Même un concile ne peut
s'imposer à l'Église.
- CHAPITRE XVII -
LES MISSIONS BYZANTINES AUPRÈS DES PEUPLES SLAVES
L'Église byzantine, quoiqu'elle ait fini par n'être qu'une Église grecque, dépassa les limites de sa culture,
dans ses contacts avec les Slaves. Ces contacts débutèrent au sixième siècle, sous Justinien, via la soumission de diverses peuplades,
près du Danube. Au septième siècle, Héraclius fut le premier Empereur byzantin qui envoya des missionnaires auprès des Croates.
Constantin VIII Porphyrogénète écrivit que ces missionnaires venaient en fait de Rome : la Croatie faisait partie de l'Illyricum
(cela comprend une grande partie des Balkans : la Grèce et le Péloponnèse), région qui, jusqu'au huitième siècle
(période de l'iconoclasme), était sous juridiction romaine.
Au neuvième siècle, des missionnaires francs furent envoyés aux Croates. En 860, les Slaves attaquèrent Constantinople.
Du fait de la menace slave, Michel III chercha à établir des relations diplomatiques avec les Khazars, qui étaient des tribus
turques, de foi juive. L'Empereur adjoint deux théologiens à la délégation : Constantin et Méthode.
Constantin et méthodes naquirent à Thessalonique. Photius avait été professeur de Constantin, à l'université de Constantinople.
Plus tard, ce dernier lui succédera. Méthode était moine à Thessalonique. - LesKhazars donnèrent la permission de donner
le Baptême à qui le désirait. - En 862, Rastislav, Prince de Moravie, envoya une délégation à Constantinople. Il demanda
à l'Empereur que ce dernier lui envoie quelqu'un pour lui expliquer la Foi, en langue morave. Constantin et Méthode
furent envoyées en Moravie. Ils constituèrent un alphabet nouveau : le Glagolitique. Ils traduisirent les Écritures et la Liturgie.
Ils usèrent de la liturgie latine, après avoir traduit la liturgie byzantine - toute deux en langue slave.
Cyrille et Méthode
vinrent plus tard à Venise. Ils durent défendre l'usage des traductions : ils qualifièrent leurs adversaires de
« disciples de Pilate », car ceux-ci n'admettaient que le Latin, le Grec et l'Hébreu.
Cependant le pape approuva la
tradition slavonne ; Adrien II invita Cyrille et Méthode, à venir à Rome. En 867, c'est le temps du Schisme de Photius,
à Constantinople. Constantin et Méthode décident de rester à Rome. Constantin tomba malade et se fit moine, sous le
nom de Cyrille. Il mourut en 869, et est enterré dans l'église de Saint Clément à Rome. La légende dit qu'ils
auraient rapporté les reliques de Saint Clément de Rome, de Crimée.
Méthode fut envoyé par le pape, dans les Balkans, et sacré évêque de Sirmium, pour contrer l'influence des Francs en Moravie.
Méthode est emprisonné par les Francs. Il y reste deux ans, jusqu'en 873, où il est libéré par l'intervention de Jean VIII,
pape de Rome. Méthode traduisit tout l'Ancien Testament, pendant les dernières années de sa vie. Il mourut en 885.
Dans les territoires slaves relevant de Rome, la Liturgie fut célébrée en Slavon, jusqu'au onzième siècle. Mais après la Réforme
Gégorienne, l'Élise romaine imposa la Liturgie latine. La Bulgarie, la Serbie et la Russie furent sous influence byzantine.
Dans ces pays, surgit progressivement l'idée d'une « transitio imperii » – de Byzance, à un Empire slave. Au début du dixième siècle,
Syméon de Bulgarie (892 – 927) voulut conquérir Constantinople. Syméon établit chez lui une cour impériale, voulant remplacer
l'Empire byzantin par un Empire slave. En 913, Syméon fut reçu par le patriarche Nicholas Mystikos, qui était Régent, à
cette époque. La femme de Léon le Sage, Zoé, prit le pouvoir à Constantinople. En 927, l'armée de Siméon est battue.
Son fils et successeur s'empressa de conclure la paix avec Byzance. À la fin du dixième siècle, Samuel, fils d'un gouverneur
de la province de Macédoine, s'intitula Empereur, à Ohrid. Mais il fut battu par Basile II le Bulgaroctone. Ce fut la fin de la
menace slave sur Byzance. Cette idée de la « transitio imperii » ne put se réaliser avant la chute de Byzance. - Ce ne fut
qu'au seizième siècle, que l'Église russe reçut son patriarcat.
- CHAPITRE XVIII -
SAINT SYMÉON LE NOUVEAU THÉOLOGIEN (949 - 1022)
1) La vie de saint Syméon.
Contemporain de Basile II le Bulgaroctone, Saint Siméon le Nouveau Théologien vécut lors d'une période
florissante de l'Empire byzantin. Les campagnes militaires éclipsèrent sensiblement l'épanouissement culturel byzantin.
Au onzième siècle, nous pouvons déceler deux mouvements dans la culture byzantine : les Humanistes - tel Psellos - qui s'intéressèrent
essentiellement aux philosophes grecs, et le mouvement ascétique et mystique.
Depuis le dixième siècle, l'Athos est un centre de vie monastique de plus en plus prépondérant. Saint Syméon écrivit ses «Catéchèses »,
ses « Actions de grâces », ses « Traités théologique et éthiques », ses « Chapitres », et des « Hymnes ». Nous connaissons sa vie
par son disciple Nicétas Stéthatos. L'œuvre même de Saint Syméon comporte de nombreux détails autobiographiques.
Né en Asie Mineure en 949, de parents qui appartenaient à la noblesse provinciale, Syméon fit ses études à Constantinople
(son nom dans le siècle était « Georges »), mais il ne fit pas ses études supérieures. Il occupa un poste à la Cour impériale.
Il rencontra un vieux moine du Stoudion : Syméon. Cette rencontre changea sa vie (Catéchèse, ch. 22). Au début de ses efforts
ascétiques, il connut une expérience mystique – après laquelle il vécut une période de relâchement personnel. À
l'âge de vingt-sept ans, il entra au Monastère du Stoudion. Il était toujours dirigé par son père spirituel ; cet attachement
était suspect aux yeux de l'ego mène et des moines. La spiritualité de Syméon s'élevait comme une réaction, face
au cénobitisme formel du Stoudion, règlementé jusque dans le détail.
Syméon fut expulsé du Stoudion, et entra au monastère voisin, celui de saint Mamas. Il il fit sa profession monastique ; ordonné
prêtre à trente ans, il est élu Higoumène. Il reconstruit le monastère, en même temps que la vie spirituelle des moines. Mais
cela provoque une tension dans la communauté. Dans ses Catéchèses, Syméon se plaint de la désobéissance de ses moines.
Il mettait l'accent sur l'expérience mystique. On lui reprochait d'imposer son expérience spirituelle sur autrui.
Il enseignait la nécessité des larmes dans la prière, et la nécessité d'une expérience vécue de Dieu, pour tout chrétien.
Il disait qu'il n'y a qu'une hérésie – celle qui affirme qu'une telle expérience est impossible. Il faillit être
flanqué dehors par ses moines, en pleine église.
Le Syncelle Étienne, auxiliaire du patriarche, entra aussi en conflit avec Syméon. Étienne lui demanda comment il
distingue entre le Père et le Fils – par une distinction de raison, ou une distinction réelle ? Syméon répondit par son
Hymne 20-21 : c'est par l'Esprit-Saint que l'on connaît la Sainte Trinité. Étienne représente la théologie d'école,
conceptuelle et abstraite.
Syméon fut attaqué par l'Église officielle. Après la mort de son père spirituel,
Syméon le pieux – Syméon célébra sa mémoire annuelle, comme celle d'un Saint. Syméon fut convoqué au Synode, à Constantinople.
Il n'y avait pas, à cette époque, de procédure de canonisation officielle. Cela ne viendra qu'au quatorzième siècle.
Théoriquement, il n'y avait donc là, rien de répréhensible. Malgré cela, Syméon fut exilé par le Synode, dans une petite
ville non loin de Constantinople. La renommée de Syméon s'étendait déjà. Ses disciples protestèrent, et Syméon lui-même
écrivit au patriarche. Ce dernier le rappela dans son monastère, et lui proposa l'épiscopat. Syméon refusa, et préféra
l'exil volontaire, 2010 à 1022. Dans son monastère, il recevait de nombreux disciples. Pendant cette dernière période,
il écrivit ses « Hymnes ». Il mourut le 12 mars 1022, à 73 ans. En 1052, on opéra la translation de ses reliques,
et reconnut par là-même, sa sainteté.
2) Saint Syméon et l'Église.
Saint Siméon insiste sur l'expérience personnelle de Dieu : le vrai chrétien est celui qui a vu
Dieu ; le vrai prêtre est celui qui a une expérience de Dieu. La signification sacramentelle de l'ordination sacerdotale,
aux yeux de Saint Syméon, est une question qui se pose : pour lui, le vrai prêtre doit être un homme « charismatique ».
La théologie de Saint Syméon est celle de l'expérience, et peut être comparée à celle de l'« Homélie spirituelle » de saint Macaire.
Elle est suspecte de Messalianisme (secte d'origine syrienne, du quatrième siècle. Ils furent condamnés au concile d'Éphèse.
Pour eux, l'Église officielle et ses sacrements ne sont pas importants. Seule l'est la prière, qui donne la vision de Dieu,
vision qu'ils concevaient de façon très réaliste : par des yeux corporels). Cette suspicion rejaillit sur saint Syméon.
Mais saint Syméon ne fut jamais condamné comme Messalien par l'Église byzantine. Les écrits macariens viennent
du milieu monastique, et tendaient au Messalianisme, car ils critiquaient l'Église séculière. Les Homélies spirituelles
de Macaire sont un écrit orthodoxe.
L'enseignement de Saint Syméon est quelque chose de nouveau, lorsqu'il dit qu'il est absolument nécessaire pour chaque
chrétien d'avoir une expérience personnelle de Dieu. Avant saint Syméon, nul ne l'avait dit avec une telle force.
Son surnom de « nouveau théologien », lui fut initialement donné par ses adversaires. Dans un sens positif, ce surnom
veut dire qu'il fut le rénovateur de la vie spirituelle, et le successeur de saint Jean Chrysostome et de saint Grégoire
de Nazianze, qui portèrent tous deux le titre de « théologien ». Dans sa première lettre, saint Syméon veut répondre
à la question suivante : est-il permis de se confesser un moine qui n'a pas la prêtrise ? Saint Syméon répond que cela
est permis, vu le caractère charismatique du père spirituel. Celui qui peut lier et délier, doit avoir vu Dieu.
Il se réfère à son propre père spirituel, Syméon le Pieux, qui n'était pas prêtre. Cette lettre de saint Syméon est un
durcissement et une radicalisation de ses positions.
La tradition de l'aveu des péchés à des moines non-ordonnés existait à Byzance. Mais il ne s'agissait sans doute pas d'une
confession sacramentelle. La confession monastique d'un moine à son père spirituel n'était pas la même chose que le
sacrement de pénitence. Mais peu à peu, les deux choses se sont confondues, dans une situation qui manque souvent de
clarté. Dans sa lettre, Saint Syméon traite certainement de la confession sacramentelle. Cette tension entre l'esprit
et l'institution exista toujours dans l'Église. Saint Syméon accordait en même temps une grande importance à l'Église
et aux sacrements. Il voit dans l'Église le Corps du Christ, la Jérusalem céleste. Il affirme que seule une communion
consciente est véritable – selon lui, l'Église, en tant que telle, ne se suffit pas, comme le Baptême sacramentel,
en tant que telle, ne suffit pas : il parle d'un autre Baptême en l'Esprit (le Baptême des larmes, dont saint Jean Climaque
et Diadoque de Photicé ont parlé avant saint Syméon), qui est la Vérité même. Dans d'autres textes, il parle du Baptême
sacramentel comme porteur de la grâce. Saint Syméon ne fut pas un théologien systématique.
La théologie de la connaissance de saint Syméon est d'une valeur bien plus grande que ces contradictions. Sa mystique
n'est pas seulement un vague sentiment de lumière. Elle est fondamentalement christocentrique. L'Incarnation est la
source de la divinisation de l'homme. Il voit toujours le Christ glorifié ; il Le voit dans la Lumière du Saint-Esprit.
Le thème de l'imitation du Christ et de la participation à ses souffrances, se trouve particulièrement dans ses Catéchèses.
Saint Syméon ne sépare pas la passion et la souffrance du Christ, de sa résurrection. La participation à la kénose
du Christ est dans le même mouvement : participation à sa glorification.
La contemplation est trinitaire (Hymne XI). Le Père et le Saint-Esprit restent cachés. Le Saint-Esprit révèle le Fils, et
l'on contemple le Père par le Fils. Saint Syméon ne sépare pas le don du Saint-Esprit et la Personne du Saint Esprit ;
cette distinction fut clarifiée plus tard, par Grégoire de Chypre et saint Grégoire Palamas, au treizième et quatorzième siècle.
« L'amour est une opération – energeia – de l'Esprit, ou plutôt sa présence même » (Hymne LII). Saint Syméon ne clarifie
pas cette distinction. Le Don du Saint-Esprit est toujours un don personnel, dans l'expérience de saint Syméon. La prière
monastique a ces mots : « Viens, Lumière véritable ; viens, Vie éternelle, mystère caché, trésor sans nom, réalité ineffable » :
c'est tout un vocabulaire apophatique. L'Esprit-Saint ne nous montre pas son visage, car car sa tâche est de nous révéler le Christ.
Dieu est à la fois proche et caché. Saint Grégoire de Nysse en témoigne aussi, dans son Commentaire sur le Cantique des Cantiques.
Dans sa doctrine de l'épectase, il décrit notre expérience de Dieu comme un progrès sans fin – doctrine qui se
distingue de la « satiété » origénienne. La « satiété » est chose impossible, selon saint Grégoire de Nysse, car Dieu
reste toujours transcendant, et sa Nature reste toujours inépuisable.
3) La théologie ascétique de saint Syméon.
L'expérience mystique est le couronnement de la lutte ascétique – fondement indispensable de celle-ci. Nous
trouvons la doctrine ascétique de saint Syméon dans l'Hymne 30, où il parle de la metanoia, du penthos (deuil),
du souvenir continuel de la mort, de la prière sans interruption, du silence, de l'humilité, de l'obéissance, du retranchement
de la volonté propre – ce sont les indispensables composantes de la vie spirituelle. Pour saint Syméon, la pénitence,
la conversion - metanoia - sont le commencement de la vie spirituelle, et doivent envelopper l'homme tout entier.
Il insiste fortement sur les larmes. Cet enseignement sur les larmes fut mal reçu par ses moines. Pour saint Syméon,
les larmes sont un élément indispensable de la pénitence. Ce ne sont pas seulement des larmes de douleur, mais aussi
l'expression d'une joie profonde. Il passe fréquemment de la vie ascétique à la vie mystique : le fruit de la pénitence est
la visite de l'Esprit-Saint. Saint Syméon souligne l'importance du père spirituel.
Syméon se base sur sa propre expérience : l'enseignement de Syméon le Pieux tint une grande place dans sa vie. L'obéissance
au père spirituel est un acte de renoncement à soi-même. C'est en fait une obéissance au Christ lui-même. Syméon ramène
tout au Christ : nous participons à la Passion du Christ par notre obéissance. Pour saint Syméon, le père spirituel est
un homme charismatique. À ses yeux, il n'était pas indispensable que le confesseur soit revêtu de l'ordination sacerdotale.
Syméon donne tout un enseignement sur la prière. Sa catéchèse 26 traite de la prière monacale et de la prière liturgique.
Le but de toute prière, qu'elle soit liturgique ou personnelle, est bien sûr toujours l'union avec Dieu ; la prière
occupe la place centrale dans son enseignement spirituel.
Saint Syméon parle de la kruptè meletè - occupation secrète ou intérieure ou kruptè energia. Cette expression
désignait déjà au sixième siècle, la Prière de Jésus. Mais le texte de l'invocation, ou le vocable lui-même de « Prière de Jésus »,
ne se trouvent pas dans l'œuvre de saint Syméon. Pour ce dernier, la kruptè meletè est une prière mentale qui
consiste en la répétition des invocations – par exemple, le Kyrie eleison. L'expérience spirituelle de saint Syméon
est la même que celle des hésychastes. Mais leur méthode de prière ne fut pas celle de saint Syméon, qui n'était pas un
hésychaste dans le sens étroit du terme. Saint Grégoire Palamas ne cite jamais saint Syméon. Il ne mentionne
qu'une œuvre « Sur la méthode de la prière », qui est attribuée faussement à saint Syméon. Sans rejeter la piété extérieure,
Saint Syméon souligne toujours le fait qu'elle doit être fondée sur la piété intérieure – sous peine de ressembler
à « des lépreux couverts de vêtements brillants ».
4) La théologie mystique de saint Syméon.
Saint Syméon nous parle de l'ivresse spirituelle, dans sa Catéchèse 23 : « Sur la joie qui
n'est pas de ce monde ». Il parle de sa propre expérience, et écrit spontanément la première personne. L'ivresse spirituelle
va de pair avec l'extase (Hymne 11 : « j'étais hors de moi…exestè »). L'extase est cependant un état caractéristique
des commençants : « ce n'est qu'un début pour les novices dans la piété ». La Lumière divine devient ensuite peu à peu
familière.
Syméon insiste sur le sens positif de l'impassibilité – apatheia : Elle consiste non seulement à s'écarter des passions,
mais à s'efforcer de tarir toute imagination à leur sujet. L'apatheia n'est pas seulement dépouillement, mais encore
élévation vers Dieu. « Il y a beaucoup de Saints, mais peu d'impassibles », dit-il. l'apatheia est donc un phénomène rare,
quoiqu'on ne puisse nier la possibilité d'y parvenir. Elle est un état de l'homme, tel qu'il a été créé, conforme à la Nature.
Notre état passionnel est en fait infra-naturel, tandis que la Mystique est un état naturel, conforme à la Nature créée par
Dieu - et non point surnaturel. Il n'y a pas de grâce créée surajoutée à notre Nature. Or, pour saint Syméon, la grâce
est la participation à la Vie divine, conformément au dessein divin sur notre Nature. L'apatheia n'est pas pour Syméon
une conception philosophique, mais la participation à la mort du Christ.
L'image de l'amour est fréquente dans l'œuvre de Saint Syméon, sous les deux termes : erôs, notre amour - et agapè,
l'Amour - Énergie de Dieu : agapès ouk onoma, alla ousis theia - la charité n'est pas un nom, mais l'Essence même de Dieu
(Hymne 52). Saint Syméon est « blessé par l'amour de Dieu » – « Te voir me blesse au-dedans de mon cœur » (Hymne 42). Saint
Syméon nous donne aussi des images nuptiales (Hymne 15). Il se distingue par la hardiesse de ses descriptions, empruntées
aux images de l'amour humain. Saint Syméon veut montrer la plénitude de l'Incarnation du Christ, qui assume la totalité
de la Nature humaine : « Dieu s'unit à chacun, et chacun devient Un avec le Maître ». Les hardiesses de langage de Saint
Syméon ont fréquemment effarouché les théologiens d'école. Saint Syméon eut un zèle d'apôtre, pour prêcher l'union avec Dieu.
Il est l'homme d'une expérience mystique profonde. Il eut une remarquable liberté d'esprit, intégrée cependant dans la
Tradition ascétique et mystique de l'Orthodoxie. Il a souligné la dimension pneumatologique de l'Église.
- CHAPITRE XIX -
SAINT GRÉGOIRE PALAMAS (1296 - 1359)
1) Histoire de la controverse palamite.
Le quatorzième siècle fut dominé par la menace des Turcs : l'Empereur Jean V fit en 1369 le
voyage à Rome, pour rétablir l'Union. En Occident, les papes résidaient en Avignon. En 1335, le pape Jean XXII envoie
deux légats à Constantinople, pour renouveler les liens avec les Grecs. L'Empereur Andronic III Paléologue nomme Barlaam,
moine savant de Calabre, porte-parole de l'Église byzantine. Celui-ci écrit quelques polémiques anti-latines, sur le filioque.
En 1337, un moine du Mont Athos, Grégoire Palamas, diverge d'avec Barlaam sur le filioque. Grégoire Palamas veut se renseigner,
et écrit une lettre à Akyndinos, ami de Barlaam, à Thessalonique. Barlaam enseignait à l'Université impériale de Constantinople.
Il était un spécialiste de la théologie de Denys. L'Université, fondée par Psellos, fut fermée, après la prise de Constantinople
par les Latins. Ensuite, il n'y eut que des Universités privées.
Au quatorzième siècle, à Constantinople, existaient diverses écoles privées. Le XIVe et le XVe siècle furent le point culminant
de l'enseignement à Constantinople - enseignement favorisé par Jean Cantacuzène, haut fonctionnaire de la cour, lettré et érudit.
Ce fut lui qui nomma Barlaam professeur de l'Université impériale.
Grégoire Palamas naquit au sein d'une famille aristocratique : son père était Sénateur à la Cour d'Andronic II, 1282-1328 - chargé
de l'éducation de son fils, le futur Anthonic III. Le père de Grégoire Palamas, Constantin, était un homme de grande piété.
Grégoire avait des relations d'amitié avec le jeune prince Andronic III (1328-1341). Il étudia la science et la philosophie
d'Aristote à Constantinople. L'Empereur le destinait à d'autres fonctions. Mais à 20 ans, Grégoire voulut rentrer dans le monachisme,
décision favorisée par l'atmosphère pieuse de sa famille, qui était proche du milieu monastique. Grégoire Palamas connut
Théolepte de Philadelphie, qui fut l'un des principaux artisans du renouveau hésychaste. Après le décès de son père,
sa mère et ses deux sœurs entrèrent dans des monastères à Constantinople. Ses deux frères cadets décidèrent de suivre Grégoire Palamas
au Mont-Athos, où il se mirent sous la direction spirituelle des Hésychastes.
L'Hésychasme est une spiritualité monastique centrée sur la Prière de Jésus. Cette méthode de prière fut pratiquée dès le
douzième siècle. On en trouve des parallèles dans le Dhikr musulman, mouvement de prière centré sur la concentration,
et la répétition d'un mot. En fait, la source première de cette méthode est la Bible. Cette méthode est inscrite dans la Nature
humaine, créée pour recevoir la Grâce. L'Hésychasme trouve ses racines dans la spiritualité des Pères du Désert.
Au quatrième siècle, Evagre le Pontique écrivit la première grande codification de la doctrine monastique sur la prière, comprise
comme un entretien du noûs avec Dieu. Son anthropologie est plutôt intellectualisante et désincarnée. Saint Macaire
corrigera cet intellectualisme platonicien, précisant que le lieu de la grâce en l'homme est le cœur – c'est la conception
même de la Bible. La « prière intellectuelle » d'Evagre, devient ainsi la « prière du cœur ». Diadoque de Photicé, au cinquième
siècle, développa ce point de vue : il parle de l'invocation du Nom de Jésus. Il fut le premier à mentionner la « Prière de Jésus ».
Il parle du souvenir du Nom de Jésus.
Au sixième siècle, saint Jean Climaque nous donne des expressions hèsuchia et
hèsuchastès : « l'hésychaste est celui qui aspire à circonscrire l'incorporel dans un cœur de chair » (L'Échelle sainte).
L'hésychia est un culte et un service ininterrompu pour Dieu. Il écrivit aussi : « Que le souvenir de Jésus ne fasse qu'un avec
le souffle – alors vous comprendrez la nécessité même de la solitude » (Degré 27).
Aux treizième et quatorzième siècles, cette méthode hésychaste devint populaire dans les milieux monastiques. Nicéphore
l'hésychaste écrivit un traité « Sur la garde du cœur », au treizième siècle. Moine de l'Athos, il fut l'un des adversaires
de la politique unioniste de Michel VIII, au temps du concile de Lyon. - Au début du quatorzième siècle, les écrits de saint
Grégoire le Sinaïte ont développé la méthode hésychaste. Son œuvre fut « classique » en ce domaine. Après un long séjour au Sinaï,
il fut initié à l'hésychasme en Crète. Il alla ensuite sur l'Athos, qu'il dut quitter, vu les incursions turques. Il
se replia à Paroria, aux confins de la Bulgarie. De là, l'hésychasme se diffusa dans tous les pays slaves.
L'hésychasme Byzantin du quatorzième siècle fut un réveil spirituel qui toucha à tous les aspects de la vie sociale. Athanase
Ier (1289 – 1293 / 1/3/03 – 1/3/09) Patriarche de Constantinople, favorisa la sécularisation des biens monastiques, et
envoya des moines-visiteurs pour enlever des monastères tout signe de richesse. Athanase fut l'un des Patriarches hésychastes.
Athanase milita pour secourir les pauvres, et diffusa ses convictions par la production d'un abondant courrier. L'Hésychasme eut
donc des conséquences sur tous les plans de la vie sociale : il est pas seulement une spiritualité de la prière ; il touche
à tous les aspects de la vie – notamment à l'art.
Parvenu au Mont Athos, Grégoire Palamas se met sous la direction d'un hésychaste, établi près de Vatopédi. Après la mort
de celui-ci, Grégoire Palamas se rendit à la Grande Laure, fondée par saint Athanase. Grégoire se retira ensuite dans un ermitage.
Vers 1325, les incursions des Turcs firemt que Grégoire le Sinaïte et Grégoire Palamas quittèrent le Mont Athos. À Thessalonique,
Grégoire Palamas fit partie d'un cercle spirituel – composé aussi de laïcs – ce qui montre qu'à cette époque, l'hésychasme
ne se limitait pas au monachisme. Grégoire Palamas entra en contact avec les Bogomiles (ou Messaliens - ou Pauliciens,
dualistes qui méprisait les sacrements de l'Église) ; plus tard, les hésychastes seront accusés par Barlaam de Messalianisme,
vu leur attitude réservée envers certaines formes de vénération des icônes, et envers la richesse de la décoration des églises.
En 1326, Grégoire Palamas fut ordonné prêtre à trente ans, près de Berrhée. Après cinq ans, il retourna à l'Athos, dans
un ermitage, vivant dans l'isolement cinq jours par semaine.
La controverse sur la connaissance de Dieu.
Grégoire Palamas lit les écrits de Barlaam sur le filioque, et écrit des traités sur le Saint-Esprit.
Barlaam souligne - dans la ligne de Denys - que Dieu est inconnaissable, d'où l'impossibilité de démontrer la procession du
Saint-Esprit. Barlaam conteste l'usage des syllogismes par les Latins : ils ne peuvent pas être « apodictiques » - démontrés.
Il n'accepte que les syllogismes « dialectiques », basés sur l'Écriture sainte, et se basant sur des arguments communs aux
Latins et aux Grecs. Barlaam attaque les raisonnements de Thomas d'Aquin.
Grégoire Palamas vit que la philosophie de Barlaam aboutit à un agnosticisme et un relativisme dans la théologie. Barlaam
contestait en fait la validité de tout théologie, à cause du caractère inconnaissable de la Divinité. Grégoire Palamas,
dans ses « Traités apodictiques sur le Saint-Esprit » souligne que Dieu est connaissable, car Il s'est révélé : on peut donc
démontrer la procession du Saint-Esprit. Nous pouvons connaître Dieu par deux voies : la Révélation, et la « phusikè theôria -
contemplation de la Nature ». Il existe également une connaissance directe de Dieu, qui est obtenue par ceux qui ont purifié
leur cœur – c'est la vision de Dieu. Grégoire Palamas montre que la théologie de Barlaam se situe sur le même plan que la
pensée des philosophes grecs, dans leur scepticisme (pithanologia). Barlaam, en humaniste, admirait beaucoup la philosophie
grecque.
La controverse entre Barlaam et Grégoire Palamas va se focaliser sur la question de la méthode de prière. Barlaam, par curiosité,
avait partagé la vie des hésychastes, et fut choqué par leur méthode corporelle de prière. Il s'en moque, et appelle
les hésychastes des « omphalopsychiques - omphalopsuchoi ». Il écrivit un livre, où il les traite de Messaliens,
car ils « prétendent voir Dieu de leurs yeux incorporels ».
Grégoire Palamas vint à Thessalonique et défendit les Hésychastes
en écrivant son œuvre principale : Défense des saints hésychastes. La discussion va se centrer sur la nature
de la lumière thaborique. Les hésychastes disaient voir Dieu dans la même lumière que celle du Thabor. Barlaam y voit
un phénomène créé, quasi météorologique. Grégoire Palamas souligne le fait qu'elle est incréée : c'est une connaissance
vraie et authentique de Dieu. Palamas distingue entre Essence et Énergie en Dieu.
Grégoire Palamas écrivit aussi le Tome hagioritique (destiné au Mont Athos), d'un contenu identique à celui de
la troisième Triade. En 1339, Barlaam fut ambassadeur impérial en Avignon, pour négocier l'union des Églises. Il revint à
Constantinople, où un concile fut convoqué en 1341 – à l'instigation de Barlaam – en présence d'Andronic III, pour traiter
de la question des hésychastes. Barlaam y fut condamné, et confessa qu'il était dans l'erreur.
Après la mort d'Andronic III, Barlaam recommença la controverse. Barlaam partit pour l'Italie, où il fut nommé évêque
de Gérace par le pape. Il y donna des leçons de grec à Pétrarque. Un deuxième concile se rassembla, au mois d'août de la même année,
présidé par Jean Cantacuzène. Ce concile condamna Akyndinos, qui avait attaqué Grégoire Palamas – ou plus exactement sa
théologie des Énergies. Le concile donna raison à Palamas.
Le contexte politique.
Jean V, fils de l'Empereur, avait neuf ans à la mort d'Andronic.
Jean Cantacuzène et le Patriarche Jean Calécas se disputèrent la Régence. la Patriarche Jean Calécas fit un coup d'État à
Constantinople, profitant d'une campagne militaire de Jean Cantacuzène – en faveur d'Alexis Apocaucos. Or Grégoire Palamas
était favorable à Jean Cantacuzène. Dès sa jeunesse, Grégoire Palamas avait des relations suivies avec la cour impériale,
et la victoire des hésychastes avait donné à Palamas une grande autorité. Palamas fut emprisonné ; Akyndinos était son
plus grand adversaire. Palamas écrivit en prison sept livres contre Akyndinos. Palamas fut condamné par un concile en 1344.
Après la victoire de Jean Cantacuzène, un concile dépose le patriarche en 1347, ainsi qu'Akyndinos. Grégoire Palamas est
élu archevêque de Thessalonique. Mais il ne put joindre son siège épiscopal, vu une révolte des classes pauvres de l'Empire,
contre Cantacuzène. Palamas, comme ami de l'Empereur, ne put entrer à Thessalonique.
Il se rendit au Mont Athos et y rencontra
Étienne Doucian. Celui-ci était sur le point de créer un grand empire d'Orient, et chercher à s'allier l'Église.
Doucian ne put lui faire quitter sa fidélité à l'Empereur. En 1350, Palamas put rentrer à Thessalonique.
En 1351,
un concile fut convoqué par Jean Cantacuzène à Constantinople – et confirma solennellement la théologie de Palamas.
Il y avait toujours des milieux anti-palamites, présidée par Nicéphore Grégoras. En automne de cette même année, Palamas fut
rétabli sur le siège de Thessalonique. Jean V, résidant à Thessalonique, envoya Palamas en ambassade auprès de Jean Cantacuzène,
avec lequel il était en guerre.
En route vers Constantinople, Palamas fut fait prisonnier par les Turcs. Il écrivit deux
lettres dans lesquelles nous constatons l'attitude très ouverte de Palamas envers les Turcs, attitude typique des hésychastes,
à l'inverse des humanistes. En 1354, Jean V entre à Constantinople, et Cantacuzène se fait moine, tout en continuant à avoir
une importante autorité dans la vie politique ; il fut un grand mécène. Les Turcs exigèrent une rançon pour la libération de Palamas.
Parvenu à Constantinople, Palamas soutint une discussion publique avec Nicéphore Grégoras, en présence des légats du pape.
Ce fut Jean V qui fit le voyage jusqu'à Rome. En 1355, Palamas revint à Thessalonique ; il mourut le 14 novembre 1359.
Il fut canonisé par le synode en 1368. Ce fut la première canonisation officielle d'un Saint.
2) La théologie de saint Grégoire Palamas.
On a souvent voulu présenter la théologie de Palamas comme un système. Ce faisant, on oublie
le contexte sacramentel et ecclésial dans lequel la théologie de Palamas est enracinée. Dans ses Triades, Palamas
donne un fondement théologique à la prière et à la vie spirituelle des hésychastes. Palamas s'élève contre le dualisme
anthropologique de Barlaam, qui avait une conception platonisante de l'homme. Palamas souligne le fait que la prière
n'est pas une désincarnation ; le corps n'est pas une prison pour l'âme. Ainsi le corps peut-il et doit-il participer
à la prière. Le don des larmes est une activité commune de l'âme et du corps.
Palamas souligne par là, la supériorité de
l'homme sur les Anges : l'Archange Gabriel est le seul et le premier à être initié au mystère de l'incarnation. Palamas
renverse ainsi la hiérarchie dionysienne. Denys avait placé Gabriel parmi les Ordres inférieurs. Maintenant que la grâce
est apparue - dit Palamas - tout se fait sans intermédiaire. Palamas affirme que l'Ordre hiérarchique n'existe plus que dans
l'Ordre naturel, bouleversé par l'Incarnation. C'est un important correctif christologique qui est appliqué la pensée de Denys.
Il y a certes, dans l'œuvre de Palamas, de nombreuses affirmations sur le mépris des choses corporelles. Mais il ne s'agit
pas là de la corporéité en tant que telle, mais de l'attachement au plaisir charnel. C'est l'homme tout entier qui accueille Dieu.
Il cite l'Épître aux Romains (12 ; 1) « Offrez vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu » – de sorte que
nos mains, notre langue et nos pieds soient au service de la Volonté divine. C'est seulement le mauvais usage de
ceux-ci qu'il faut combattre.
D'autre part, la méthode corporelle des hésychastes est essentiellement un moyen pratique
pour les débutants. Elle est utile, mais n'est pas une fin en soi. Un hésychaste, dit saint Jean Climaque, est celui qui
cherche à circonscrire l'incorporel dans son corps. Palamas cite beaucoup saint Macaire, dont l'anthropologie est identique à la sienne.
Le fondement théologique de toute la vie de la prière est l'Incarnation du Christ. Elle est la base de notre connaissance de Dieu.
Dans son « Traité sur l'Entrée de la Mère de Dieu au Temple », Palamas traite des étapes de la vie spirituelle. Celle-ci mène
au contact corporel et intime de l'Incarnation – davantage même que la vision de Moïse, décrite par saint Grégoire de Nysse,
qui avait choisi le personnage de Moïse comme figure des ascensions spirituelles.
Grégoise Palamas préférera choisir la
figure de Marie, pour qui l'ascension spirituelle n'aboutit pas seulement à une vision, mais au contact vivant avec Dieu.
Grégoire Palamas dit que Marie pratiquait la sainte hésychia dans le Temple, ce qui lui fit concevoir le mystère
de l'Incarnation. Toute la pensée de Palamas mène à l'Incarnation. C'est la théologie d'un fait ; ce n'est pas une philosophie,
mais la vie dans le Christ, qui trouve sa source dans les sacrements, pour lesquels nous sommes devenus sussômenoi - membres du
même corps (Ephésiens 3 ; 6) - dans le Corps spirituel, dont le Christ est la tête. Pour Palamas, Les sacrements sont
la base de notre déification, plutôt qu'une méthode de prière. Dans ses homélies, Palamas parle du Baptême, en ce sens. La Vie en Christ,
qui nous est donnée par le Christ, est notre seule source de connaissance de Dieu.
Barlaam était sceptique quant aux possibilités
propres de l'intelligence humaine, dans le domaine de la connaissance de Dieu. La théologie de Barlaam était conservatrice,
soulignant l'autorité des Écritures et des Pères – dans le sens d'une théologie répétitive. Dans cette perspective,
la philosophie grecque était considérée comme une autre source de la Révélation, à côté des Écritures. Il ne faisait pas de
différence radicale entre la philosophie païenne et la Révélation du Christ. Comme tous les Pères Grecs, Palamas admet
certaine connaissance naturelle de Dieu, le monde étant considéré comme étant un miroir de Dieu. Mais cette connaissance
naturelle est incomplète et limitée : ce n'est qu'une connaissance, et non pas une communion.
La théologie sacramentelle et ecclésiale de Palamas.
La base de la méthode de prière hésychaste est l'Incarnation. L'anthropologie de Barlaam est
dualiste et platonicienne. Or la Vie dans le Christ nous est donnée dans l'Église et les sacrements. Les humanistes byzantins
étaient sceptiques quant aux possibilités de la connaissance humaine ; ils considéraient les Écritures et les Pères comme des
autorités à répéter – et n'avaient pas d'attitude créatrice en théologie. Palamas reconnaît l'existence d'une connaissance de
Dieu naturelle, mais limitée ; il existe une autre connaissance, complète, celle-là : notre Vie en Christ, qui nous est donné
dans l'Église.
Les humanistes byzantins ne distinguaient pas essentiellement entre une connaissance naturelle de Dieu - et cette connaissance
sacramentelle et ecclésiale. Palamas attaque les philosophes païens, non point pour obscurantisme, mais bien parce qu'il voit
la différence fondamentale qui existe entre la philosophie et la théologie. Barlaam aime à écrire que les philosophes grecs
étaient éclairés par Dieu. La question de la connaissance de Dieu est la racine du débat entre Palamas et Barlaam.
Grâce créée ou incréée ?
Pour Barlaam, la conception de l'illumination est simplement symbolique : la lumière du Thabor fut
pour lui sensible, créée, ou simplement un produit de l'imagination. Barlaam semble n'avoir jamais abordé directement la
question des sacrements – de voyant dans la liturgie qu'une façon symbolique d'approcher l'archétype immatériel.
Barlaam fut marqué par la pensée de Denys – mais la langue dionysienne est très ambiguë, lorsque celui-ci parle de « symbole ».
Il est fort possible que Barlaam se soit aligné sur le symbolisme dionysien, alors que Grégoire Palamas insiste sur le
réalisme sacramentel. Akyndinos et Nicéphore Grégoras pensaient aussi que les théophanies vétéro-testamentaires étaient
uniquement symboliques, et considéraient dans le même plan la vision du Thabor.
À cette époque, lors de la Renaissance des Paléologues, l'on connut une Renaissance symboliste.
Le Canon 82 de In Trullo interdit de représenter le Christ comme un Agneau, symboliquement. Or ce type de représentation
florit au quatorzième siècle – comme bien d'autres allégories.
Palamas affirme que les Théophanie étaient des visions réelles de Dieu. Il y a certes un certain symbolisme dans le
Nouveau Testament : la « colombe » de la Théophanie est symbolique à cet égard : le Saint Esprit ne s'est pas «in-colombé » (!).
Par contre, le Corps du Christ - dit Palamas - est véritablement le Corps de Dieu, et non point un symbole.
Le symbolisme de Barlaam était pour Palamas la négation de l'Incarnation, et la négation du Royaume eschatologique.
La lumière du Thabor fut le prélude de celle de la Seconde Venue du Christ, dit saint Basile (Triades I, 3, 35).
La mystique de Palamas est l'expérience biblique de l'eschatologie réalisée, et non point seulement une mystique désincarnée
de la lumière pure.
3) La distinction entre Essence et Énergies.
La notion de distinction entre Essence et Énergies était déjà présente dans l'une des premières
œuvres de Grégoire Palamas, son Traité sur le Saint-Esprit. Mais Palamas voulut toujours montrer que sa doctrine
est traditionnelle dans l'Église.
Palamas affirme la théologie apophatique des Pères Grecs. L'Essence de Dieu est inconnaissable. Cependant, la théologie apophatique
est insuffisante pour connaître Dieu : elle se borne à comparer les êtres avec Dieu, pour reconnaître son incognoscibilité.
La seule négation ne suffit pas ; elle ne parvient pas à l'inexprimable contemplation – elle n'est que le reflet de ce qui
est différent de Dieu.
La transcendance divine est une expérience : le divin dépasse les contemplations et initiations. La transcendance de Dieu
est antérieure à la faiblesse de notre intelligence : Dieu est transcendant par Nature. La vision de Dieu est toujours
une grâce, un acte de condescendance divine, et non un acte de volonté humaine uniquement. Denys aimait à écrire sur la
ténèbre divine – et saint Grégoire Palamas le cite : la transcendance de Dieu est une expérience positive. Cette théologie
est existentielle.
Le problème philosophique est l'exigence de simplicité divine : la Divinité n'est pas composée. Devant cet axiome philosophique,
Grégoire Palamas reste apophatique : cette distinction Essence / Énergies est "ineffable" (aporrètos) ; elle est "selon Dieu"
(theoprepès). Le concile de 1351 dit que Palamas consent à changer l'expression de sa théologie, pourvu que le
contenu reste le même : la réalité n'est pas fondée sur des mots, mais sur la réalité, qui consiste en ceci : le même Dieu
est à la fois totalement participable, et totalement inaccessible.
Palamas Affirme avec force que l'Énergie divine n'est pas une partie de Dieu : Dieu est présent tout entier dans son Essence
et dans ses Énergies (Triades 3, 2, 7). Tout entier, Il se manifeste, et tout entier, Il reste imparticipable. Dieu
est une Personne, un Dieu vivant ; Il n'est pas une abstraction philosophique.
Les Énergies en relation avec les appellations propres et communes aux hypostases.
Pour saint Syméon le Nouveau Théologien, le Don du Saint-Esprit est toujours un don personnel. L'expérience de la Lumière divine
est une rencontre personnelle d'un Dieu personnel : le Christ se révèle, et par Lui, les autres Personnes de la Sainte Trinité.
Ainsi, par chacune des Énergies, on participe à la vie de la Trinité tout entière. « Les appellations propres des divines
hypostases sont communes aux Énergies (dans chaque Énergie, toutes les Personnes trinitaires se révèlent), tandis que les
appellations communes aux hypostases sont particulières à chacune des divines Énergies » dit Palamas.
Il y a distinction entre les Énergies, qui sont communes à toute la Trinité :
- « Père » est particulier à la première Personne, et se retrouve dans chacune des Énergies ;
– « Vie » est commun à toutes les personnes de la Trinité – et constitue le nom de l'une des nombreuses Énergies.
La Trinité tout entière est ainsi présente dans chacune des Énergies.
Par le Christ, nous participons à la Vie trinitaire, sans pour autant nous identifier au Christ en tant que Personne.
Dieu tout entier s'est incarné, même si chacune des hypostases ne l'a pas fait.
Dans la déification, nous nous unissons à la divinité tout entière, non point "selon l'hypostase" (kat' hupostasin), mais
dans les Énergies (kata kharin): selon l'adoption (kata thesin).
Nous participons ainsi au Christ, sans pour autant nous identifier à son hypostase – nous le faisons "selon l'Énergie"
(kat'energeian). La divinité ne devient ainsi pas pour autant multi-hypostatique (murïoupostatos). Il faut
distinguer entre Essence et Énergies, sous peine – soit de nier notre déification – soit de tomber dans la confusion :
le fait de nier notre égalité hypostatique avec Dieu ne doit pas mener à nier la réalité de notre déification.
La vie spirituelle nous donne l'expérience de la transcendance divine, en même temps que celle de notre déification.
La transcendance divine saurait être seulement l'effet du caractère limité de notre intelligence : elle est une caractéristique
de Dieu lui-même - sans pour autant saper le fondement de la foi chrétienne, qui est un contact vivant et personnel avec Dieu.
Les Énergies et la vision de Dieu.
Grégoire Palamas souligna l'axiome patristique qui affirme que l'Essence divine est inconnaissable.
Cette notion est le fruit de l'expérience, qui nous montre que Dieu est inconnaissable, non point du fait de la faiblesse de
nos capacités de perception, mais du fait même qu'Il est Dieu. La connaissance et la vision de Dieu nous sont données
par la condescendance divine et par sa grâce, et non point par l'affinement de nos facultés de perception. Cette vision
est réelle, sinon une vie en contact avec Dieu ne serait pas possible : ce serait la négation de notre possibilité de divinisation.
La vision se fait en les Énergies, en lesquelles Dieu réside en plénitude.
Lors de sa transfiguration, seigneur « plaça une puissance divine dans les yeux des apôtres, et leur permit de lever les yeux et de
voir », dit saint Grégoire (Triades 2, 3, 36) « C'est dans la lumière qu'apparaît la lumière ». Notre noûs illuminé
devient tout entier lumière et s'assimile à ce qu'il voit ; c'est cela l'Union : que tous soient Un. Dieu n'est pas un simple
objet de vision ; tout est grâce – la communion avec Dieu n'est pas un point de vue de sujet à objet : tout est lumière. La
distinction Essence/Énergie est inexprimable. Cela n'est possible que par ce qu'Il est personnel : Il est le Dieu vivant.
Le langage apophatique convient aussi aux Énergies : « non comme des Essences, ni en ayant des hypostases propres »
(Triades 3, 2, 25).
Les Énergies et les logoi de la création.
Les Énergies sont aussi les modèles de la création (ibid. 3, 2, 26). Les pensées de Dieu
sur la création existent éternellement en Dieu. La création ne fut pas pour Dieu, un événement accidentel. Le Logos contient
les logoi de la création. Philon d'Alexandrie fut le premier à développer cette idée d'un monde intelligible contenu
dans le Verbe. Cette conception fut complétée et nuancée par saint Maxime. Ce monde intelligible est incréé, et Dieu lui-même
ne peut donc pas être confondu avec le monde angélique créé.
La potentialité est éternelle en Dieu – tandis que la mise en œuvre, actuelle, est temporelle. La pensée patristique voyait
les « pensées » de Dieu dans le logos, tandis que Grégoire Palamas situe les Énergies de Dieu en union avec l'Essence divine.
La création est enracinée dans la Volonté éternelle de Dieu ; elle est un acte de sa Volonté, et non point de sa Nature.
Le concile de 1351 cite saint Cyrille d'Alexandrie, qui distingue les actes - de la Nature divine : l'engendrement du Fils,
par exemple - et les actes de la Volonté ou des énergies : la création, les actes « ad extra ». Il y a donc une différence
radicale entre Dieu et les créatures. Seul le Fils est engendré par Dieu. Il s'agit de la distinction entre les actes essentiels
de Dieu, et ses actes « selon l'Énergie ».
4) Le Palamisme et les Pères Grecs.
Il ne suffit pas de citer les textes patristiques contiennent les mots « Énergie » ou « Essence ».
Souvent, dans les écrits patristiques, il ne s'agit – dans l'emploi de ces termes – que d'une distinction logique dans le
processus de connaissance. Le danger de fondamentalisme patristiques existe toujours.
L'étude de la doctrine patristique sur la connaissance de Dieu en général est plus fructueuse qu'une simple compilation de textes.
Grégoire de Nysse montre qu'il y a d'une part, la déification de l'homme, mais d'autre part, que Dieu reste toujours transcendant,
dans l' «Épectase ». La déification est réelle, tandis que Dieu reste toujours transcendant. Grégoire de Nysse n'a pas élaboré
sur ce paradoxe de notre connaissance de Dieu. Palamas a clarifié ce paradoxe, tout en ne le résolvant pas théologiquement.
Palamas à clarifier la doctrine patristiques du Saint-Esprit. Les Pères n'avaient pas distingué entre la Personne du Saint-Esprit
et le Don de Celui-ci – ou Énergie du Saint-Esprit. Dans son Traité sur le Saint-Esprit - qui est à l'origine de sa
controverse avec Barlaam - Palamas parle des Énergies divines. La controverse du Filioque est une atteinte aux propriétés
des hypostases : on ne peut confondre le Père et le Fils, en un seul principe.
Grégoire Palamas dit que l'hypostase de l'Esprit ne vient pas du Fils, mais seulement la grâce ou Énergie. Cette distinction
de l'Énergie permet à Palamas une compréhension plus grande des formules latines. Grégoire de Chypre avait déjà parlé d'une
manifestation éternelle de l'Esprit par le Fils. Cette manifestation éternelle se situe donc sur le plan des Énergies. Cette
distinction est beaucoup plus claire que celle qui distingue entre « lumière » et « rayons » – distinction qu'avait proposée
Grégoire de Chypre. En fait, cette comparaison est défectueuse, car le rayon n'est qu'une « forme » de lumière – la distinction
se fait en réalité au niveau de l'Essence et des Énergies.
5) L'humanisme byzantin.
Barlaam de Calabre ne fut pas un thomiste : il écrivit deux livres « Contre Thomas ».
Barlaam a une conception essentialiste de Dieu ; il est toujours préoccupé de montrer la simplicité de Dieu.
Barlaam vient d'Italie (Calabre) et a sans doute subi l'influence de la pensée occidentale nominaliste. Mais nous ne
connaissons pas ses sources, ni s'il a réellement lu Guillaume d'Occam et les autres auteurs médiévaux. Le Palamisme
fut une controverse spécifiquement byzantine, entre deux courants théologiques : entre les humanistes et la théologie
ascétique et mystique.
L'humanisme est présent dans la théologie dès l'origine. Clément d'Alexandrie fut un humaniste. Au neuvième siècle,
la Renaissance macédonienne donna un nouveau début à l'humanisme, à la suite de Photius. Au treizième siècle, pendant l'occupation
latine de Constantinople, l'Empire de Nicée fut le centre intellectuel byzantin. Au quatorzième siècle, la
Renaissance des Paléologues fut aussi le signal d'un retour aux œuvres antiques. Désormais, les intellectuels se sentirent
plus Grecs que Romains.
Au quatorzième siècle, l'humaniste le plus fameux est Théodore Métochite, Grand Logothète à la Cour. Il restaura le monastère de Chora,
à Constantinople, l'un des plus beaux témoins de l'iconographie byzantine. Il fut probablement le professeur de Palamas.
Le courant humaniste pouvait coexister avec la théologie ascético-mystique. En général, les humanistes byzantins furent
des théologiens conservateurs, qui n'inclinaient pas vers les spéculations théologiques. Ils s'intéressaient davantage à la
philosophie aristotélicienne et platonicienne qu'à la théologie.
Gémistos Pléthon (Georges Gémistos) Fut un grand admirateur de Platon. Il voulut prouver la supériorité du platonisme
sur Aristote. Pléthon fut le porte-parole des Grecs au concile de Florence. Il avait remplacé la foi chrétienne par le platonisme.
Il habita à Mistra, et demeura quelque temps Florence, où il rencontra des humanistes latins. Bessarion siégea aussi au
concile de Florence, en tant que Métropolite de Nicée. Bessarion écrivit une « Réfutation des blasphèmes contre Platon ».
Lors de la deuxième moitié du quatorzième siècle, Demetrios Cydones (1324 - 1397), Ministre à la Cour de Jean Cantacuzène,
traduisit Thomas d'Aquin en Grec. Demetrios recevait, de par ses fonctions, beaucoup d'Occidentaux. Il se fit l'élève d'un
Dominicain, pour apprendre le Latin. Ce dernier lui donna comme manuel la « Somme contre les Gentils » de Thomas d'Aquin.
Demetrios y découvrit le fait que les Occidentaux connaissaient l'aristotélisme. Jean Cantacuzène l'encouragea dans sa traduction.
Au treizième siècle, Augustin fut traduit en Grec par Maximos Planoudès. Démétrios s'enthousiasma au sujet de la théologie
de Thomas d'Aquin. Il devint anti-palamite, voyant en Dieu un « Acte pur ». Finalement, il se se convertit au catholicisme.
Son frère Prochoros traduisit également les œuvres de Thomas d'Aquin. Il fut condamné en 1368 par le concile qui canonisa
Grégoire Palamas. - En fait, seul Dimitrios se convertit au Catholicisme. Prochore, son frère, resta Orthodoxe, vivant
au Mont Athos, bien qu'il eût été condamné par l'Église en 1368. C'est ainsi que les humanistes byzantins devinrent des thomistes.
La plupart des anti-palamites furent thomistes.
Gennade Scholarios - né en 1405 - (Georges Courtesios dansle monde, avant le monachisme) disciple de Marc d'Éphèse, fonda
une école pour enseigner la philosophie d'Aristote, et traduisit quelques commentaires de Thomas d'Aquin sur Aristote.
Il fut présent concile de Florence. Il promit à Marc Genikos, sur son lit de mort, de lui succéder dans la lutte contre
l'Union. Après la mort de Jean VIII (1448), il est forcé de se retirer de la vie publique, et il entra au monastère sous
le nom de Gennade.
Gennade fut le premier patriarche de Constantinople après la chute de l'Empire byzantin, en 1453. Il donna sa démission
après un an. Il exerça la fonction de Patriarche encore un ou deux ans, par-après. Il mourut en 1472. Gennade fut palamite, Mais cela
ne l'empêchait pas d'admirer Thomas d'Aquin. Il accepta toute sa doctrine - excepté le Filioque, et la distinction Essence / Énergies.
Comment a-t-il pu concilier le thomisme et le palamisme ? - Barlaam avait été influencé par des vues thomistes. La réponse de
Palamas à la question de la distinction Essence / Énergies fut donnée en des termes apophatiques. Gennade essaye de
la formuler en termes philosophiques. Ils prit dans la théologie de Duns Scot (le Doctor subtilis) l'expression
« distinction formelle » – cette notion servit à distinguer les attributs divins, qui sont infinis - au sein d'une Essence,
également infinie. Ces infinis coïncident, tout en maintenant la distinction des attributs. Il y a donc une distinction
objective en Dieu, entre les attributs divins. Gennade tente ainsi de réconcilier le palamisme avec la théologie
scolastique occidentale.
Nil Cabasilas, oncle de Nicolas Cabasilas, succéda en 1361 à Grégoire Palamas, au siège de Thessalonique. Il fut le
professeur de Demetrios Cydones. Il fut passionné par Thomas d'Aquin. Il fut thomiste, et écrivit un livre « Contre les Akyndinistes ».
Nicéphore Grégoras, historien, écrivit qu'il se serait converti au palamisme pour raisons politiques. Nil Cabasilas écrivit
le Tomos du concile de 1351, le deuxième concile palamite. Il écrivit un livre sur la procession du Saint-Esprit. Son argumentation
est la même que celle de Barlaam, déniant à la pensée et à l'usage des syllogismes, toute capacité de s'approcher du mystère.
Son esprit est différent de celui de Grégoire Palamas qui avait confiance en les capacités de l'esprit humain pour connaître Dieu.
- CHAPITRE XX -
NICOLAS CABASILAS (1320 - 1371)
Nicolas adopta le nom de famille de sa mère. Il fut contemporain et ami de Démétrios Cydones.
Il fut protégé par l'Empereur Jean Cantacuzène. Il amorça une carrière politique. Il ne fut ni moine, ni prêtre, mais bien
laïque. Sans doute n'était-il pas marié. Il appartenait à l'élite intellectuelle du temps, et s'intéressait à l'astronomie
et aux sciences. Il écrivit « Sur les radotages de Grogoras », pour des raisons politiques – mais ne fut pas pour autant
anti-palamite.
Nicolas Cabasilas donne, dans ses œuvres, une spiritualité pour tous les chrétiens. Il ne parle pas de la prière du cœur – quoiqu'il
dise dans la « Vie en Jésus-Christ » que « rien n'est impossible à ceux qui invoquent le nom de Jésus ». Son esprit est de même
optique que Saint Siméon le Nouveau Théologien et Grégoire Palamas. Nicolas Cabasilas fait preuve d'un grand réalisme sacramentel.
Il recommande une pratique fréquente de la Communion, et une continuité dans la pratique de la vie eucharistique. La participation
aux sacrements est la participation au Royaume de Dieu. Comme Syméon, Nicolas Cabasilas souligne la nécessité de l'expérience
spirituelle. Mais il souligne davantage l'aspect sacramentel de cette expérience. Le titre même de son œuvre « La vie en Jésus-Christ »
souligne son christocentrisme.
Nicolas Cabasilas écrit que « nous sommes en communion avec le cœur du Christ » – c'est un thème particulier à Cabasilas.
Le Christ n'est pas seulement la tête du corps mystique qu'est l'Église ; Il en est aussi le cœur. Il écrit, au chapitre 36
du Commentaire de la Divine Liturgie : « nous avons en partage la sainteté qui découle de cette tête et de ce cœur ».
Le contexte de cette pensée est ecclésial ; il s'agit du corps mystique – thème donné dans les épîtres pauliniennes – et non
point individuel, comme ce sera le cas dans la dévotion occidentale, où il s'agira davantage d'une méditation personnelle sur
ce membre du Christ. Or il s'agit chez Nicolas Cabasilas - comme pour saint Macaire - du cœur, comme centre de l'être vivant.
Cette conception du cœur du Christ est néanmoins très originale.
Nicolas Cabasilas nous parle de la « méditation - meletè » sur la vie du Christ. Dans « La vie en Jésus-Christ »,
chapitre 6, au cours du commentaire sur la 9e Béatitude, Nicolas écrit : « grâce à cette méditation, il est possible
d'avoir part à ce qu'il y a de plus grand ». Comme Saint Siméon le Nouveau Théologien, Nicolas Cabasilas souligne qu'il
faut participer aux sacrements avec conscience : « la méditation de la justice a la vertu de maintenir en nous la sainteté reçue »
(Commentaire de la Divine Liturgie chapitre 41). C'est le pôle subjectif de la doctrine eucharistique et sacramentelle
de Nicolas Cabasilas. L'objet de cette méditation est le Christ incarné, sa vie – le Christ en tant qu'homme. Cet aspect
de la pensée de Nicolas Cabasilas est aussi très original, est très proche du point de vue occidental.
Nicolas Cabasilas a même des traits anselmiens : Dans « La vie en Jésus-Christ », chapitre 1, il écrit : « La vertu de ce Calice
d'amertume passe en nous, et la condamnation de l'Innocent était due pour la satisfaction - timôria dikè - la punition
de ces grands coupables ». Et au chapitre 4 : « Le Christ apaise l'inimitié ... pour tous les hommes ». Nous y trouvons des
échos du « Cur Deus Homo » de saint Anselme – échos de la doctrine de la Satisfaction vicaire. Nicolas Cabasilas fut sans
doute influencé par Augustin ; il connaît la tradition occidentale, essayant de démontrer, dans son « Commentaire de la
Divine Liturgie », la présence d'une épiclèse également dans la liturgie romaine. Celle-ci est située après les paroles de
l'Institution : « Supplices Te rogamus ». Comme tous les humanistes byzantins, Nicolas Cabasilas n'était pas systématiquement
anti-latin.
Le thème de l'amour de Dieu est central, dans son œuvre « La vie en Jésus-Christ ». Au chapitre 6, nous lisons : « l'Esprit-Saint
apporte sur terre l'amour brûlant comme le feu ». Cabasilas nous donne une éthique liturgique ; il nous invite à participer à
l'Amour du Christ – la vie chrétienne est tout entière modelée et marquée par cette expérience fondamentale. Dans le chapitre 2 de
« La vie en Jésus-Christ », Nicolas Cabasilas nous parle de la blessure d'amour, faite par l'Époux divin Lui-même :
« La profondeur de la blessure révèle l'acuité de la flèche ». Il emploie le terme philtron - présent chez Grégoire de Nysse.
Cabasilas nous parle aussi, comme Syméon le Nouveau Théologien, des larmes : « il y a lieu de pleurer ... au souvenir des biens perdus (« La vie
en Jésus-Christ », chapitre 6, commentaire sur la 2e Béatitude). À Byzance, on va peu à peu considérer la Liturgie comme une
représentation de chacun des épisodes de la vie du Christ – c'est le cas en particulier de l'École d'Antioche, avec Théodore de Mopsueste.
La Liturgie deviendra ainsi progressivement un drame auquel on assiste, et non plus une « action commune », telle que doit être
toute liturgie. Denys, dans son « Hiérarchie ecclésiastique » montre l'hiérarque qui contemple Dieu, tandis que la masse
n'a part qu'aux symboles. Cette conception figurative de la liturgie est également présente dans le Commentaire de la Divine Liturgie
de Nicolas Cabasilas. Le danger de cette conception de la liturgie comme un drame, est de faire des fidèles seulement des
assistants et des spectateurs. Ce danger est corrigé par le sens ecclésial du sacrement, que Nicolas Cabasilas souligne fortement.
Le Corps et le Sang du Christ sont véritablement à la fois nourriture et breuvage, pour l'Église entière, et c'est l'Église
entière qui accomplit l'eucharistie.
Nicolas Cabasilas souligne l'aspect eschatologique de la Liturgie (ch. X : « l'Église a déjà réellement pris part à l'héritage
du Royaume ») – aspect qui est oublié dans le symbolisme figuratif liturgique. Une figuration des événements de la vie
du Christ omet le fait que ce que demande l'Église, c'est le Royaume, non seulement à venir, mais déjà inauguré, précisément
dans les sacrements de l'Église. L'Église ne dispose pas de la présence du Sauveur ; elle ne la provoque pas, mais
l'invoque, écrit Nicolas Cabasilas à propos de l'épiclèse. Le seul pouvoir dans l'Église, c'est donc l'Esprit-Saint. Au ch. 38,
ce n'est pas l'Église qui transforme les Dons – mais c'est l'Église qui est transformée en deux. Nicolas Cabasilas souligne
la souveraine liberté du Saint-Esprit. C'est Lui qui accomplit les sacrements.
Nicolas Cabasilas veut montrer que l'épiclèse est le moment de la consécration (chapitre 27). Il reprend là- en en modifiant
le contenu - le schéma de pensée occidental. Or il n'y a pas de « moment de la consécration » : l'épiclèse est la plénitude, où
tout ce qui a précédé concourt à la réalisation du mystère. Au ch. 32, Nicolas Cabasilas pose la question : à quel moment (pote)
les Dons sont-ils sanctifiés ? Il veut analyser le mystère, alors que celui-ci doit être considéré comme un tout.
- CHAPITRE XXI -
L'ÉPOQUE POST-BYZANTINE
1) L'Église orthodoxe face à l'Islam.
Le patriarcat de Constantinople, après la chute de la ville, avait obtenu une autorité exclusive.
Celle-ci était bien plus grande que dans l'Empire byzantin, où le patriarche devait compter avec l'Empereur, et ne pouvait
avoir de juridiction immédiate sur les autres patriarcats. Par la suite, les autres patriarcats (Jérusalem, Alexandrie…) furent
pratiquement dépendants de Constantinople. Mahomet II accorda personnellement l'investiture à Gennade, disant : « sois patriarche,
préserve notre amitié, et reçois tous les privilèges de tes prédécesseurs ». Parmi ces privilèges, il y avait l'autorité
civile sur tous les chrétiens habitant dans l'Empire musulman. Les chrétiens, confinés dans un « millet », pouvaient régler
leurs affaires, sous la direction de ce genre de Khalife chrétien qu'était le patriarche de Constantinople, qui étendait
ainsi son pouvoir sur les autres patriarcats, et même sur les chrétiens non-orthodoxes.
Les évêques saluaient le patriarche comme leur souverain. La mitre et l'aigle furent les insignes impériaux dont s'empara
le patriarche. Son titre fut celui d'« ethnarque », et de « chef de la nation chrétienne ». Toute mission extérieure devenait
impossible. Les chrétiens étaient enfermés dans un ghetto. Le patriarcat de Constantinople était dépendant financièrement des Turcs.
À chaque élection, il fallait verser une somme importante. Une grande corruption règnait dès lors dans l'Église. Enfin, le patriarche
de Constantinople exerçait une juridiction civile et religieuse sur les autres centres de l'Orthodoxie, soumis aux musulmans.
La Bulgarie, par exemple, fut réduite à l'état de simple diocèse, jusqu'au dix-neuvième siècle. Le nationalisme régnait :
les Grecs considéraient l'Orthodoxie comme une forme d'hellénisme.
Mais il y eut des Saints et des martyrs : en 1821, le patriarche Grégoire V fut pendu à la porte du Phanar, à l'issue de la
Liturgie pascale. L'influence catholique et protestante s'étendit, car l'éducation était reçue en Occident, et le Phanar s'appuyait
sur l'influence d'ambassadeurs catholiques ou protestants. En 1573,un groupe de théologiens luthériens de l'école de Tübingen
adressa à Jérémie II le texte de la Confession d'Augsbourg, traduite en grec, en demandant son opinion. Jérémie II écrivit
une longue réponse, amicale mais sévère. Cyrille Loukaris, au dix-septième siècle, patriarche de Constantinople, écrivait
couramment en latin et citait Thomas d'Aquin dans ses homélies. L'ambassadeur de hollande le fournissait en livres protestants.
En 1629 il publia à Genève, en latin, une « Confession » qui affirmait le calvinisme le plus strict, rejetant la Présence
réelle et le culte des icônes. Il voulait ainsi combattre les influences catholiques. Les puissances catholiques aidèrent
un groupe d'évêques à le détrôner. Il fut accusé de complot avec les Russes, arrêté par les Turcs et étranglé. Jeté dans le Bosphore,
son corps fut recueilli et inhumé à Chalki. La « Confession » de Loukaris fut réfutée par plusieurs conciles.
Pierre Moghila, métropolite de Kiev, établi dans cette ville une imprimerie et une école. Il voulait répondre à l'accusation
latine de protestantisation de l'Église. Ayant étudié en Pologne, il se borna à recopier les catéchismes catholiques.
Il écrivit une « Confession de Foi » en réaction contre celle de Loukaris. Très catholique, cette « Confession » dut être corrigée
par le concile de Jassy. Elle est cependant le document le plus « latin » qui ait jamais été approuvé par la hiérarchie orthodoxe.
Moghila composa l'actuelle prière d'absolution, d'inspiration très catholique, avec l'expression « par le pouvoir qui m'est donné… ».
Le patriarche Dosithée de Jérusalem écrivit aussi une « Confession » approuvée par un concile à Jérusalem, en 1872. Ce texte
montre déjà un progrès par rapport à celui de Moghila. En 1782, Nicodème l'Hagiorite publie la Philocalie à Venise.
C'est le commencement du réveil spirituel dans les pays orthodoxes. Dans tout ce contexte, la liturgie et la vie spirituelle
préservèrent la Tradition orthodoxe.
2) L'héritage byzantin dans l'Église russe.
Dans l'Église russe, l'héritage byzantin se remarque à la fois dans la vie spirituelle, culturelle
et politique. L'hésychasme influença ces trois domaines. Au quatorzième siècle, Cyprien, métropolite de Kiev, connut
les disciples de Grégoire le Sinaïte. Cyprien avait connu l'hésychasme en Bulgarie. Il voulait promouvoir la pauvreté monastique.
Saint Serge dédia à la Sainte Trinité l'église de son monastère. Le patriarche hésychaste Philothée de Constantinople, lui demanda
d'introduire la vie cénobitique dans son monastère. Saint Serge connaît la prière de Jésus. Saint Serge conseilla les princes
et le métropolite de Moscou. Au quinzième siècle, saint Nil de la Sora s'opposa à Joseph de Volokolammsk sur la question de
la possession de biens ecclésiastiques. L'Église de Russie ne suivit par les conseils de pauvreté, préconisés par saint Nil.
Joseph cantonna l'exercice de la pauvreté dans la vie individuelle.
Au dix-neuvième siècle, Païssi Vélitchkovsky traduisit en Slavon la Philocalie. Le centre d'Optino et la personnalité de Saint
Séraphin de Sarov furent de vivantes images de la vie spirituelle hésychaste. L'art religieux russe fut inspiré par Byzance.
Vers la fin du quatorzième siècle, Théophanie le Grec se fixa à Moscou. Il exprimant en son art la dimension ascétique byzantine.
André Roublev mit en lumière la grâce et la joie. Il fut créateur au sein même de la Tradition. La théologie spéculative ne
trouva pas, en Russie, un terrain d'élection, et ceci jusqu'au dix-neuvième siècle.
La vision politique byzantine fut préservée par l'Église. Le métropolite de Kiev était nommé par Constantinople. Les
patriarches hésychastes de Constantinople adhéraient à l'idéologie politique politique byzantine. Cet idéal politique
de centralisation ne fut néanmoins pas réalisé. Au quatorzième siècle, il y avait en fait deux métropolites : un de Kiev,
et un de Lituanie. Ce fut Cyprien qui fut le seul métropolite de Russie. Après la chute de Constantinople, la scission
entre la Russie et l'Ukraine fut consommée, avec l'existence des deux trônes métropolitains.