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1) Les diverses traditions.Marie- Madeleine n'est pas une sainte comme les autres. Sa vie est, en effet, si intrinsèquement liée
à celle de Jésus qu'en tournant notre regard vers elle, nous ne pouvons éviter de nous trouver en face du visage même du Sauveur :
elle nous conduit en plein cœur de la Passion-Résurrection de Jésus dont elle est le Prophète et l'Apôtre.
Sa vie, c'est celle
de Jésus : sur les routes de Galilée et de Judée, à Jérusalem où elle l'accompagne jusqu'à la croix, dans le jardin de
son tombeau où elle le recherche, seule, et le trouve. Marie-Madeleine n'est pas qu'une simple disciple de Jésus,
elle est collaboratrice de sa mission. Elle prend le relais de Jean Baptiste. Elle est le prophète des temps nouveaux,
annonçant aux Apôtres et à tous les hommes la nouvelle présence de Jésus, transmettant la convocation du Fils de Dieu
à nous lever pour monter ensemble vers le Père unique : « Va dire à mes frères : je monte vers mon Père et Votre Père,
et mon Dieu et Votre Dieu ». Telle est bien la mission confiée par Jésus à Marie-Madeleine.
1) Les diverses traditions.
Qu'est devenue Marie-Madeleine au-delà de ce que nous en disent les Écritures ? Nombre d'auteurs se plaisent à multiplier
les pistes afin de mieux les rendre toutes invraisemblables et les réduire ainsi à de pieuses légendes sorties de l'imaginaire
médiéval.
Nous pourrions tout au plus dire qu'il y aurait trois traditions : celle de Béthanie, celle d'Ephèse-Constantinople et celle de
Provence à laquelle se rattachent tous les autres lieux.
Concernant Béthanie, si l'on peut effectivement y déceler un culte à partir du IVe siècle sur les lieux chers à Lazare,
Marthe et Marie, il n'y a jamais eu de prétention à y vénérer les tombes et les reliques de ces saints (même en supposant
que la sœur de Marthe ne soit pas Marie-Madeleine).
La tradition d'Éphèse s'appuie essentiellement sur cette seule notice de Grégoire de Tours (fin VIe siècle) : « Dans cette ville
(Éphèse), comme on le croit, repose Marie-Madeleine n'ayant sur elle aucune « couverture ». Il est à noter que saint
Grégoire dit seulement : « Comme on le croit ». Il existait effectivement à Ephèse, près de la grotte des sept dormants,
une sépulture sans protection, attribuée à une Marie-Madeleine, vierge et martyre.
La confusion de cette femme, vierge et martyre, avec Marie-Madeleine, disciple proche de Jésus, engendra la légende de sa
sépulture à Ephèse, de laquelle on transféra les reliques à Constantinople au IXe siècle, au temps de l'empereur Léon VI.
La tradition de Provence n'a pas de comparaison avec celle de Béthanie ou celle d'Ephèse. Elle est plus étayée, plus largement
connue et non moins ancienne. L'abbaye de Vézelay et la basilique du Latran à Rome s'y réfèrent pour donner l'origine
des reliques de Marie-Madeleine qu'elles prétendent conserver. Vézelay, loin de s'opposer à Saint-Maximin et à la Sainte-Baume,
les conforte.
Les Bourguignons eux-mêmes disent qu'ils sont allés chercher les reliques de la Madeleine en Provence, dans le Comté d'Aix, en cette
période troublée des incursions sarrasines. Quand aurait eu lieu ce transfert ? À l'époque même de la fondation de l'abbaye de Vézelay
par Girard de Roussillon au IXe siècle. C'est le célèbre moine Badilon qui se serait acquitté de cette tâche ! Mais la prétention
de Vézelay à posséder les reliques de la Madeleine ne s'exprime qu'au début du XIe siècle, avec l'abbé réformateur Geoffroi.
Le premier acte officiel du patronage de sainte Marie-Madeleine à Vézelay est la bulle adressée par le pape Léon IX à Geoffroi.
Comme le note Dom Flanchet, historien de Bourgogne : « On ne voit rien de plus ancien qui fasse mention de sainte Madeleine
à Vézelay ».
Il y a donc beaucoup d'hésitation et d'imprécision dans la tradition de Vézelay. Par contre, il est incontestable que la
tradition bourguignonne s'appuie sur la tradition provençale et que cette dernière la précède largement.
2) Marie-Madeleine est-elle venue en Provence ?
Il n'y a pas « un » récit de la venue de Marie-Madeleine en Provence, mais plusieurs, composés à
des dates différentes, «enjolivés» les uns et les autres de détails particuliers et parfois pittoresques. Avec le temps, il
est indéniable que des récits apocryphes et légendaires se sont greffés sur la tradition primitive, longtemps transmise
oralement. C'est le caractère souvent fabuleux ou merveilleux de certains de ces récits qui a déterminé beaucoup d'auteurs à
ranger cette tradition au rang des légendes médiévales. Quels sont ces différents récits et peut-on retrouver au milieu de
ceux-ci la tradition primitive ?
Pour y voir clair dans cet enchevêtrement, il faut déjà distinguer deux modalités de cette tradition :
- l'une qui fait de Marie-Madeleine une ermite pénitente et contemplative dans la grotte de Sainte-Baume ; l'autre qui nous
rapporte la prédication de Marie-Madeleine à Marseille, avec son frère Lazare, ainsi qu'en Aix-en-Provence, avec saint Maximin.
On a alors distingué une « vie erémitique » et une « vie apostolique ». Il est alors curieux de constater que la « vie érémitique »
de Marie-Madeleine a davantage été connue dans le monde occidental, que sa « vie apostolique ». Pourquoi ?
Sans doute parce que cette tradition provençale a été principalement divulguée par des moines des VIe et VIe siècles, beaucoup
plus attachés aux traits monastiques des récits de la vie de Marie-Madeleine à la Sainte-Baume.
En Angleterre, nous avons le
témoignage de Bède le Vénérable (VIIIe siècle) et surtout celui d'un texte publié sous le titre : Martyrologe du Roi
Alfred (IXe siècle). Ce dernier texte décrit toute la vie de Marie-Madeleine, dans sa grotte, avec les détails significatifs
que nous connaissons :
Après l'Ascension, Marie-Madeleine fut tellement pénétrée du regret de l'absence du Christ, qu'elle ne voulut plus regarder aucun visage d'homme et se retira dans le désert, où elle demeura trente ans inconnue à tout le monde. Elle ne prenait ni nourriture, ni boisson matérielle, mais à chaque heure de la prière, les anges de Dieu descendaient du ciel et l'enlevaient en l'air, et elle entendait l'harmonie céleste, et puis ils la descendaient dans sa caverne creusée dans le rocher. Et c'est pour cette raison qu'elle n'éprouvait ni la faim, ni la soif. Et il arriva qu'après trente ans, un prêtre la rencontra dans le désert et il la conduisit à son église, et il lui donna la sainte communion, et elle rendit son esprit à Dieu et le prêtre l'ensevelit, et beaucoup de miracles s'accomplissent à son tombeau.
Telle est ce que j'appellerais la légende de Marie-Madeleine à la Sainte-Baume. Car, dans cette description,
il ne peut s'agir que d'une légende composée pour édifier ermites et moines placés sous le patronage de la pécheresse convertie.
Il n'y avait pas de vie monastique, encore moins de vie érémitique, dans l'Église des temps apostoliques. De plus, en ce premier
siècle de l'ère chrétienne, la forêt et la grotte de la Sainte-Baume n'étaient pas un lieu désert, telles qu'ont pu les
connaître les moines de Jean Cassien au Ve siècle, mais un lieu païen, religieux et sacré, très fréquenté par les romains et
les grecs de Marseille.
Ainsi, à ne s'en tenir qu'à ce récit, on serait effectivement en droit de déclarer que la venue de Marie-Madeleine en Provence
est une pure légende. Mais comme tout récit apocryphe, celui-ci, et aussi beaucoup d'autres, ne peut cacher complètement
le récit primitif sur lequel il a été greffé. Un certain nombre d'auteurs, dont le pseudo Raban Maur, dès le IXe siècle,
auraient retrouvé cette tradition provençale primitive. Il s'agirait d'un texte resté pur de toute altération apocryphe
qui nous décrit, non plus une vie érémitique, mais une vie apostolique de Marie-Madeleine en Provence, principalement
à Aix et à Marseille. Cette « vie primitive » serait alors du Ve ou du VIe siècle.
Il serait trop long ici de donner tout le texte de cette vie primitive dont nous possédons encore des manuscrits du Xe siècle.
Mais d'après cette vie primitive et les différents textes que nous avons évoqués, voici comment nous pourrions exposer
cette tradition, épurée de tous ses ajouts apocryphes :
À cause de la persécution des chefs des juifs contre les premiers chrétiens, les plus proches parents et amis de Jésus durent s'exiler.
Un groupe comprenant Marie-Madeleine, sa soeur Marthe et son frère Lazare, Marie-Jacobé et Salomé, parentes du Seigneur,
Maximin, un des soixante-douze disciples, et quelques autres durent s'embarquer pour des terres lointaines. Ils_seraient arrivés
en Provence à l'embouchure du Rhône, en ce lieu qu'on appelle aujourd'hui Les Saintes-Maries-de-la-Mer. C'était alors
l'avant-port d'Arles, capitale de la Provence, qui entretenait à l'époque d'intenses échanges commerciaux avec Rome et tous les pays
du bassin méditerranéen.
Le grouge d'exilés fut accueilli par une femme du nom de Sarah, que l'on dit être d'origine égyptienne et gitane.
Sarah se convertit et reçut le baptême de Jésus-Christ. Elle allait devenir la patronne des gitans.
Alors que Marie-Jacobé et Salomé restaient auprès de Sarah, les autres membres du groupe se dispersèrent dans la Provence.
Marthe s'établit à Tarascon, carrefour important sur une ancienne île du Rhône. Marie-Madeleine accompagna son frère à Marseille et
y évangélisa les Marseillais sur le parvis du temple d'Artémis. Elle s'en fut aussi à Aix-en-Provence auprès de Maximin, son compagnon
d'exil, qui devint le premier évêque de cette ville. On garde enfin la mémoire de sa présence et de sa prédication à la Sainte-Baume,
haute montagne de de la région, qui avec sa forêt très particulière et sa grotte, était déjà fréquentée par les pèlerins du culte
aux déesses de la fécondité.
C'est à Saint-Maximin, non loin de la Sainte-Baume - en pleine campagne mais au carrefour des routes de Nice, d'Aix, de Marseille
et de l'arrière-pays - que sont conservées ses reliques dans un sarcophage de marbre datant de la fin du IVe siècle, ainsi que les
tombes de saint Maximin et de deux de leurs compagnons. Ces sarcophages de toute beauté, trois étant du IVe siècle et un du Ve siècle,
sont conservés dans une crypte de même époque, ou plus ancienne encore. En refaisant le dallage de cette crypte en 1859, on
découvrit à 50 cm du sol trois autres tombes vides en pierres et en tuiles de l'époque gallo-romaine. Dès l'époque mérovingienne,
une église était édifiée sur cette crypte. Elle était alors confiée aux moines cassianites de l'abbaye Saint-Victor de Marseille.
Par crainte des pillages sarrasins, les sarcophages et la crypte furent ensablés au VIIIe siècle, avant d'être remis à jour en 1279
par le prince Charles de Salerne, futur comte de Provence. En 1295, la garde et l'animation du pèlerinage, qui prit une grande ampleur,
furent confiées aux pères dominicains. Dès le début du XIVe siècle, commencèrent les travaux pour édifier la magnifique basilique
gothique que l'on peut encore admirer.
D'après les témoins « autorisés » du recouvrement des reliques de Marie-Madeleine, on trouva également dans sa tombe deux textes
- l'un daté de 710 ou 716 - informait qu'au temps du roi des Francs Eudes d'Aquitaine, le corps de Marie-Madeleine avait
été transféré dans la tombe de saint Sidoine, pour le soustraire aux recherches des sarrasins. Le deuxième texte, très bref,
écrit sur une tablette enduite de cire, authentifiait le corps contenu dans le tombeau « Hic requiescit corpus beatae Mariae
Magdalenae » (Ici repose le corps de Marie-Madeleine).
3) Que faut-il penser de cette tradition provençale ?
Cette tradition doit être prise comme un tout, comprenant aussi bien la tradition des saintes femmes
aux Saintes-Maries-de-la-mer, celle de Marthe à Tarascon et à Avignon, celle de Lazare à Marseille, de Maximin à Aix-en-Provence,
que celle de Marie-Madeleine à la Sainte-Baume et à Saint-Maximin. D'un côté, il y a trop de monuments, de documents et de «convenances»
pour réduire cette tradition de Provence à n'être qu'une pieuse légende. Mais d'un autre côté, il n'y en a pas assez, surtout pendant
les cinq premiers siècles, pour lui donner un statut historique.
Ainsi, par rapport à cette très respectable tradition, il y aurait autant de malhonnêteté intellectuelle à vouloir affirmer qu'elle
est totalement fausse et purement imaginaire, que de vouloir par des preuves indubitables en établir l'authenticité historique.
On peut tout au plus dire que la tradition provençale est « probable » et « convenable » dans sa pureté originelle.
De toutes façons, il est indéniable que, si ce n'est par les saints et les saintes dont cette tradition nous donne les noms,
la Provence a été néanmoins évangélisée dès la deuxième moitié du premier siècle. Par qui ? Par des chrétiens anonymes
d'humble condition et des martyrs dont quelques noms ont émergé dans les décombres de certaines fouilles : Volusianus, Fortunatus,...
Chacun reste très libre d'adhérer ou non à cette séculaire tradition. Personnellement, instruit par elle, il me plaît de savoir
que Marie-Madeleine et ses compagnons auraient été de ceux et celles qui, souterrainement et anonymement, ont semé la bonne graine
de l'évangile dans notre terre provençale. Marie-Madeleine est certainement plus à l'aise dans une église invisible des catacombes,
des martyrs et de la solidarité avec les pauvres.
P. Philippe Devoucoux du Buysson.
Post-scriptum du P. Georges : La Tradition orthodoxe distingue entre Marie-Madeleine, Marie de Béthanie et la « femme pécheresse » qui apparaît dans l'Évangile de Luc. - Cependant, il faut noter que certains auteurs de langue grecque : Saint Ephrem, Eusèbe de Césarée, saint Basile et Apollinaire, ont tendance à confondre Marie-Madeleine avec la soeur de Marthe et de Lazare. Cette confusion se reflète dans certains textes liturgiques. - Une telle opinion se remarque aussi parmi les auteurs latins : Tertullien, Augustin d'Hippone, Jérôme, Grégoire le Grand et Bernard de Clairvaux.