Orthodoxie en Abitibi

La réalisation du Royaume

Étude VI : La réalisation du Royaume

Cliquer ci-dessous, pour vous retrouver aux points correspondants du texte :

Église ou Royaume ?
Le Royaume selon la religion
La spiritualité comme remède à la souffrance
Un monde nouveau
Royaume et Fin des Temps
L'envoi du Paraclet
Les pics de Lumière
La prière de demande
La tentation du miracle
La contagion de l'obscurité
La planète en dérive
L'embarquement dans le vaisseau
L'entraînement en vue du Passage
Dieu m'a-t-Il parlé ?
Les trois kénoses
Le commencement du Royaume
La joie de la certitude
Cinq espace-temps et plus

Quels sont les objectifs que nous nous proposons d'atteindre ?

Nous tâcherons de répondre à ces questions :

- qu'est-ce que le Royaume ? Peut-il être assimilé à l'Église ?
- le Royaume est-il en connexion avec la Fin des Temps ? cette connexion figure-t-elle dans l'Évangile ?
- dans notre espace-temps, avons-nous une communication avec le Royaume ?
- dans quelle direction va le Royaume, par rapport à notre monde ?
- peut-on, dès ici-bas, s'entraîner à passer dans le Royaume ?
- à propos du Royaume, y a-t-il de quoi se réjouir ? - combien y a-t-il d'espace-temps ?


Église ou Royaume ?

Le Royaume apparaît à de nombreuses reprises dans la prédication du Christ. Généralement, on a voulu faire croire qu'il s'agissait de l'Église. Or le Christ ne parle qu'une seule fois de l'Église, dans l'Évangile : « tu es Pierre, et sur cette pierre Je bâtirai mon Église » (Mt. 16 ; 18), en réponse à la profession de Foi de Pierre, qui vient de dire à Jésus : « tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt. 16 ; 16). Le terme « Église » réapparaît pour une deuxième et dernière fois dans le Nouveau Testament, parmi une énumération de préceptes donnés aux disciples (Mt. 18 ; 17).

Le Royaume est une réalité qui ne s'assimile pas entièrement à celle de l'Église, bien qu'elle ne l'exclue pas.

Les Chrétiens issus de la Réforme ont compris le Royaume comme étant la Parole de Dieu, qui germe en notre cœur et en notre esprit, pour porter des fruits abondants, c'est-à-dire la familiarité avec le Christ et une capacité de faire le bien autour de nous. Les comparaisons suivantes, données par le texte évangélique, se prêtent bien à ce type d'interprétation :

- le Royaume est semblable à une graine minuscule, qui va jusqu'à devenir un arbre (Mt. 13 ; 31-32).
- le Royaume est semblable à du levain dans de la pâte, qui la fait lever (Mt. 13 ; 33).
- le Royaume est semblable à un semeur, qui sème ses graines indifféremment sur la terre fertile, sur les cailloux, sur le chemin (Mt. 13 ; 18-23).

D'autres comparaisons qui montrent le Royaume comme étant une réalité invisible, de grand prix, pour la découverte de laquelle ceux qui le veulent sacrifient les réalités visibles, peuvent également être comprises dans ce sens :

- le Royaume est au-dedans de nous. Il ne se laisse pas observer, et l’on ne peut dire à son sujet : le voici ! Le voilà !(Lc. 17 ; 20-21)

- le Royaume est semblable à un trésor caché dans un champ, qui fait agir celui qui soupçonne sa présence, d'une façon incompréhensible pour ses proches : il vend tout ce qu'il a pour acquérir ce champ, apparemment sans valeur (Mt. 13 ; 44).

- le Royaume est semblable à une perle de grande valeur, qui déclenche également ce genre de comportement incompréhensible pour ceux de l'extérieur (Mt. 13 ; 45).

Nous avons ensuite une série de comparaisons qui montrent le Royaume comme étant en connexion étroite avec le Jugement et la Fin des Temps :

- le Royaume est semblable à un filet « que l'on jette en mer et qui ramène toutes sortes de choses », et l'on trie ce qu’il vient de rapporter (Mt. 13 ; 47-50). Le récit précise que ce sont les Anges qui opèrent ce tri. C'est une image qui est familière aux pêcheurs du lac de Galilée qui, après avoir ramené leur filet dans la barque, rejettent dans les flots les coquillages et poissons non consommables, pour garder ce qui a de l'intérêt. Cette même idée d'un tri entre les « fils du Royaume » et les « fils du Mauvais » (Mt. 13 ; 38) opéré par les Anges, est exprimée dans la parabole de l'ivraie (Mt. 13 ; 24-30, 36-43).

- le Royaume est semblable à cette scène du roi qui voulu régler ses comptes avec ses serviteurs, pardonnant à celui qui pardonne aux autres, et se montrant impitoyable pour celui qui n'a pas remis sa dette à son propre débiteur (Mt. 18 ; 23-35).

- le Royaume est semblable à la scène du propriétaire qui embauche des ouvriers pour sa vigne, et qui paye l'ouvrier de la onzième heure au même salaire que ceux qui ont travaillé depuis le début de la journée (Mt. 20 ; 1-16).

- le Royaume est semblable à ces dix vierges dont celles qui sont allées rechercher de l’huile ont retrouvé fermée la porte de la salle du festin (Mt. 25 ; 1-13).

- le Royaume est semblable à cet homme qui part pour l'étranger et remet sa fortune à ses serviteurs. À son retour, il condamne celui qui a enfoui son talent, qu'il aurait pu au moins remettre chez les banquiers... (Mt. 25 ; 14-30).


Le Royaume selon la religion

Il semblerait de prime abord, que l'ensemble de cet enseignement puisse s'accorder avec ce que nous avons appelé la religion : cette conception selon laquelle Dieu est étranger à sa création, se tient soigneusement à l'écart de celle-ci en envoyant des prophètes et des sages qui enseignent aux hommes à obéir à ses commandements - la soumission étant la principale chose demandée par Dieu aux êtres humains - et enfin, qui attend les êtres humains à la sortie, avec une caisse enregistreuse. Si l’on a fait une quantité suffisante de bonnes œuvres, on est sauvé ; sinon, on est jeté au feu. Dans ce contexte, il est difficile d'affirmer que nous avons affaire à un Dieu bon... Après avoir franchi la ligne fatidique à côté de laquelle se trouve la fameuse caisse enregistreuse, nous aboutissons - si tout va bien - à un paradis où Dieu reste toujours aussi étranger à sa création. Mais il a soin d'accorder des récompenses : un climat idéal, une éternité de louanges quelque peu ennuyeuse. L'homme moderne pose un « ouf » de soulagement, lorsqu'il peut se débarrasser de cette conception d'un Dieu oppresseur. L'enseignement sur le Royaume accrédite-t-il ce type de conception ?

Il existe d'autres textes qui montrent que le Royaume a des caractéristiques qui ne sont pas nécessairement cohérentes avec la vision réductrice de la religion :

- le Royaume ne peut être vu par quelqu'un qui ne naît pas de nouveau (Jn. 3 ; 3). C'est ce que le Christ dit à Nicodème, au grand étonnement de celui-ci.

- on ne peut entrer dans le Royaume, si l'on ne retourne à l'état d'enfant (Mt. 19 ; 13-15). C'est ce que dit la première béatitude : « Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des cieux est à eux » (Mt. 5 ; 3).

- le Royaume est singulièrement difficile d'accès pour « ceux qui ont des richesses » ... Le « jeune homme riche » s'en est aperçu à ses dépens (Lc. 18 ; 18-27).

Nous constatons que la notion de Royaume a une grande importance dans l'enseignement du Christ. Étonnamment, cette notion stratégique semble recouvrir plusieurs significations. Pouvons-nous découvrir un sens à la notion de Royaume, de sorte que toutes ces significations convergent vers un même point ?

Cette question de Royaume semble bien abstraite ; après tout, qui est-ce qui s'intéresse réellement au sens du mot Royaume dans les écrits du Nouveau Testament ? Nous trouvons plus facilement un intérêt à cette question, lorsque nous formulons la question de la façon suivante : « qu'est-ce que le Christ nous apporte au juste ? »


La spiritualité comme remède à la souffrance

Qu'est-ce que le Christ nous apporte ? Il n'y a pas si longtemps, la réponse était parfaitement évidente : « le Christ est venu souffrir pour nous ». Car nos ancêtres souffraient beaucoup. La mortalité était importante : votre enfant ou vous-même pouviez être emportés presqu'à tout moment par une simple infection. Lorsque nous sommes malades ou lorsqu'une dent nous fait souffrir, nous ne pouvons nous empêcher de penser : « nos ancêtres ont vraiment beaucoup souffert, car ils ne disposaient pas des moyens de la médecine actuelle ». À cette époque, qui n'est pas lointaine, la relation avec le corps était différente : le chauffage central n'était pas encore inventé, on avait fréquemment froid, les vêtements étaient inconfortables et d'entretien difficile, l'hygiène était approximative... Il fallait, de toute évidence, s'endurcir pour résister aux conditions de vie courantes.

Dans un tel contexte, il était tout naturel que le Christianisme soit compris comme une réponse à la souffrance humaine. Le Bouddhisme répond à cette question en affirmant, non sans raison, que nous souffrons par ce à quoi nous sommes attachés. Il convient donc de prendre de la distance par rapport aux illusions de ce monde. Le Christianisme occidental, à partir d'une certaine époque, donne une autre réponse à cette question de la souffrance : nous souffrons, certes, mais le Christ est venu souffrir pour nous, et mourir. Et la souffrance du Christ - en quelque sorte - annule la nôtre. Il s'agit d'un mystérieux phénomène de compensation : la souffrance humaine ajoutée à la souffrance divine ne donne pas deux souffrances ; La souffrance divine vient annuler la souffrance humaine, par un phénomène que l'on est sensé comprendre intuitivement, mais qui reste par essence inexplicable. Ce système de compensation de la souffrance humaine laissait quelques points dans l'ombre. On pouvait se poser la question : « QUI a mis ce système en place ? » La réponse est plutôt compromettante : la désobéissance d'Adam a offensé Dieu le Père. Comme il s'agit d'une offense infinie, l'être humain est incapable de la réparer. Seul Dieu peut offrir une compensation suffisante. C'est la raison pour laquelle Dieu le Père a envoyé son Fils pour mourir sur la croix, afin de satisfaire à sa colère.

À une époque où il n'était pas question de contester une autorité, ce genre de réponse paraissait satisfaisante. Mais à partir du moment où la société s'est démocratisée, cette vision des choses est devenue inacceptable. Ajoutons à cela l'avènement d'une société où l'on ne demande plus aux gens de vivre comme s'il n'avaient pas de corps, et les progrès de la médecine qui repoussent la souffrance et ses effets, et nous avons un résultat imprévu : toute la théorie de la justification de la souffrance est désormais perçue comme totalement dépourvue de sens. Remarquons en passant que cette théorie fait entièrement abstraction de la Résurrection du Christ, qui est simplement considérée comme une illustration de la puissance divine. Cette théorie ne permet pas non plus de savoir à quoi servent réellement les Sacrements : ils sont compris comme des pieuses répétitions de certains événements marquants de la vie du Christ, célébrées pour notre édification.


Un monde nouveau

Une « révolution culturelle » dont nous commençons à peine à mesurer les effets eut lieu pendant la deuxième moitié du XXème siècle. En simplifiant à l’extrême, on peut dire que saint Augustin et Aristote ont régné quasiment sans partage sur l'Occident, jusqu'à notre époque contemporaine. L'abandon de ces systèmes de pensée et de référence a totalement bouleversé l'univers intellectuel occidental. On peut deviner qu'il serait nécessaire de donner ici d'amples développements. Mais ce que nous voulons souligner, c'est l'aspect suivant : l'effondrement du christianisme que nous connaissons aujourd'hui, du moins dans l'univers catholique-romain, provient d'un défaut de sens : l'ancienne conception des choses a disparu pour raison d'invraisemblance, et n'a pas été remplacée. Généralement, les mouvements qui ont perdu leur sens tendent à disparaître. Un christianisme qui est incapable de dire en quoi consiste le Salut accordé par le Christ, ce christianisme a fort peu de chances de subsister. C'est bien ce qui se passe aujourd'hui : coller l'étiquette « Jésus » sur des activités sociales ne suffit pas pour maintenir vivante une spiritualité ou une Église.

Qu'est-ce que le Christ nous apporte ?

Un monde nouveau. Le prophète Isaïe fait entendre la Parole divine en disant : « Je vais créer de nouveaux Cieux et une nouvelle Terre » (Is. 66 ; 22). C'est ce que Jésus a fait et continue de faire, très précisément. Ces Cieux nouveaux et cette nouvelle Terre, c'est le Royaume. Le Christ a fait un acte absolu, en opérant ce que les théologiens appellent « l'Économie du salut ».

Le mot « Économie » n'a rien à voir avec la signification financière qui lui est donnée aujourd'hui. Ce mot vient du grec oikonomia - gestion de maison. La meilleure traduction que l'on pourrait présenter est le mot français « dispensation ».

« L'Économie du salut » désigne le continuum Incarnation - Passion - Résurrection. Ces trois actes de la vie du Christ ne peuvent être séparés et doivent être considérés d'un seul coup d'œil. En opérant cet acte absolu, le Christ a récapitulé l'univers, c'est-à-dire qu’Il l'a fait recommencer depuis le début - en suscitant un nouvel univers doté d'un nouvel espace-temps, totalement différent de celui que nous connaissons dans notre univers familier : « alors je vis un Ciel nouveau et une Terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre ont disparu et la mer n’est plus » (Apoc. 21 ; 1). Ce nouvel espace-temps, le Christ désire nous y emmener, désire que nous L’y accompagnions librement :

Ce n’est plus vers la terrestre Jérusalem
que Je monte pour souffrir,
mais Je monte vers mon Père et votre Père,
vers mon Dieu et votre Dieu ;
avec Moi vous monterez vers la céleste Jérusalem,
dans le Royaume des Cieux.

Premier stichère des Laudes des Matines du Lundi-Saint. Triode.
Trad. P. Denis Guillaume. Diaconie apostolique 1993. p. 457.

Voici une image qui illustre bien ce passage en une autre dimension, dans notre existence personnelle, à la fin de notre vie biologique :

Je suis debout, au bord de la rive.

Un voilier passe dans la brise du matin ; il part vers l'océan. Je le regarde jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'horizon. Quelqu'un près de moi dit : il est parti !

Parti vers où ? - Parti de mon regard, c'est tout !
Son mât est toujours aussi haut. Sa coque a toujours la force de porter sa charge humaine. Sa disparition totale de ma vie est en moi, pas en lui.

Et juste au moment où quelqu'un, près de moi, dit : « il est parti ! », il y en a d'autres qui, de l'autre rive, le voyant poindre à l'horizon et naviguant vers eux, s'exclament avec joie : « c'est lui, le voilà ! ».

C'est ça, la mort.

William Blake.

Quel est l'espace du Royaume ? C'est celui qui est montré dans les icônes : c'est un monde où règne l'unité, et d'où est bannie toute division - car la division et un effet immédiat du Refus Originel. Bien sûr, aucune trace du Refus Originel n'est tolérée dans le monde nouveau. Dans ce monde nouveau, il ne peut pas y avoir d'espace, de séparation entre les objets et les personnes. Il ne peut pas davantage y avoir d'ombre, puisque celle-ci suppose une séparation spatiale. Il ne peut pas y avoir de source précise de lumière : celle-ci ne peut être qu'ambiante, immanente, omniprésente. Nous voyons bien cela dans la description de la Jérusalem céleste, dans le livre de l'Apocalypse : la Jérusalem céleste « peut se passer de l'éclat du soleil et de celui de la Lune, car la gloire de Dieu l’a illuminée, et l'Agneau lui tient lieu de flambeau » (Apoc. 21 ; 23). Il n'y a pas de pesanteur, car c'est un monde qui est bien sûr hors d'atteinte de la force de gravité. La matière qui est présente en ce royaume est transfigurée, lumineuse, et ne pose aucune résistance au passage de la lumière. Comment trouver de meilleure description que celle des pierres précieuses des remparts de la Jérusalem céleste, dans l'Apocalypse (Apoc. 12 ; 18-20) ? « La place de la ville est de l'or pur, transparent comme du verre » (Apoc. 21 ; 21).

Quel est le temps du Royaume ? Lui aussi est très différent du nôtre. Il ne peut y exister d'instants séparés les uns des autres, car là aussi, ce serait une trace de la division résultant du Refus Originel. C'est un temps unifié, dont nous ne pouvons avoir la moindre idée : « l'Ange que j'avais aperçu, debout sur la mer et la terre, leva la main droite au ciel et jura par Celui qui vit dans les siècles des siècles, qui créa le ciel et tout ce qu'il contient, la terre tout ce qu'elle contient, la mer et tout ce qu'elle contient : plus de temps ».

Apoc. 10 ; 6. - chronos ouketi estai - c'est généralement traduit par : « plus de délai » ce qui affaiblit et banalise considérablement le sens de ce verset. On se demande bien pourquoi une annonce aussi solennelle introduirait-elle un message aussi banal que « dépêchez-vous ! »

Ceux qui vivent dans cette temporalité, bénéficient d'une vision panoramique sur l'ensemble de notre ligne du temps.

Nous avons donc à entrer dans cet espace illimité qui embrasse tout l'univers, qui récapitule toute l'Histoire, qui nous rend présents à toute créature, ici ou là-bas, dans le présent, le passé ou l'avenir...

Maurice Zundel. Homélie lors de la Quinquagésime. Ta Parole comme une source. éd. Anne Sigier. p. 215.


Royaume et Fin des Temps

Nous pouvons remarquer que les passages que nous venons de citer proviennent du livre de l'Apocalypse, et se rapportent à la Fin des Temps. Nous avons cité les nombreuses paraboles qui montrent que la notion de Royaume est en étroite connexion avec celle de la Fin des Temps. Généralement, la notion de Fin des Temps est considérée avec dédain et est l’objet de railleries, comme étant une vision folklorique de l'avenir, le fruit d'une imagerie culturelle totalement obsolète. Les images du Royaume qui sont données dans les paraboles traitant de la Fin des Temps, ne sont nullement prises au sérieux. Nous allons prendre un seul exemple, celui de la parabole des vierges folles (Mt. 25 ; 1-13).

L'interprétation habituelle de cette parabole est d'une médiocrité affligeante : il s'agirait d'un enseignement moral, qui affirme que l'huile dans les lampes représente les bonnes œuvres. Si l’on en a fait suffisamment, on a de quoi tenir avec une lampe allumée, jusqu'à l'arrivée de l'époux. Par contre, si l’on n'en a pas fait assez, la lampe va s'éteindre avant que le fiancé n'arrive. On se demande bien comment les « vierges sages » peuvent entrer dans le Paradis, alors même qu'elles viennent de faire preuve d'un manque de charité évident : pourquoi ne pas avoir partagé l'huile de leurs lampes avec celles de leurs compagnes qui en avaient besoin ? - D'autre part, on se demande bien comment un Dieu bon peut-Il froidement laisser dehors des personnes qui ont quand même accompli des bonnes œuvres ? Ce texte est apparemment contradictoire, et ces contradictions peuvent servir d'indice quant à l'existence d'une signification plus profonde.

Saint Séraphin de Sarov (1759 - +1833) nous donne l'interprétation de cette parabole :

- Le marché, c'est notre vie.
- La porte de la chambre nuptiale, fermée et interdisant l’accès à l’époux, c'est notre mort humaine.
- Les vierges - sages et folles - sont des âmes chrétiennes.
- L’huile ne symbolise pas nos actions, mais la grâce par l'entremise de laquelle le Saint Esprit emplit notre être, transformant ceci en cela :

le corruptible en incorruptible,
la mort psychique en vie spirituelle,
les ténèbres en lumière,
l’étable où sont enchaînées, comme des bêtes, nos passions
en Temple de Dieu, en chambre nuptiale
où nous rencontrons notre Seigneur, Créateur et Sauveur, époux de nos âmes.

Grande est la compassion que Dieu a pour notre malheur, c'est-à-dire pour notre négligence envers sa sollicitude. Il dit : « je suis à la porte et je frappe... » (Apoc. 3 ; 20), entendant par « porte » le courant de notre vie pas encore arrêté par la mort.

Saint Séraphin de Sarov. Entretien avec Motovilov. Cité dans : Séraphin de Sarov. Irina Gorainoff. DDB 1979 coll. Théophanie. p. 160.

Saint Séraphin ajoute :

C'est justement la grâce du Saint-Esprit symbolisée par l'huile, qui faisait défaut aux vierges folles. Elles sont appelées « folles » parce qu'elle ne se souciaient pas du fruit indispensable de la vertu, qui est la grâce de l'Esprit-Saint sans laquelle personne ne peut être sauvé, car tout homme est vivifié par le Saint-Esprit afin d'être illuminé par le mystère sacré de l'Unité Trinitaire. Le Saint-Esprit Lui-même vient habiter nos âmes, et cette résidence en nous du Tout-Puissant, la coexistence en nous de son Unité Trinitaire avec notre esprit, ne nous est donnée qu'à condition de travailler par tous les moyens en notre pouvoir, à l'obtention de cet Esprit-Saint qui prépare en nous un lieu digne de cette rencontre, selon la Parole immuable de Dieu : « voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple et Lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu » (Apoc. 21 ; 3. - Ibid. p. 159).


L'envoi du Paraclet

Le Christ est venu nous faire connaître le Père, car Lui seul est la Source de cette Vie absolue, qui nous permet de vaincre la finitude et la mortalité. Après que le Christ ait accompli sa mission, Il se retire afin de laisser venir à nous l'Esprit : « si Je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si Je pars, Je vous L'enverrai » (Jn. 16 ; 7). « Le Paraclet, l'Esprit-Saint, que le Père enverra en mon Nom, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que Je vous ai dit » (Jn. 14 ; 26). Ce Paraclet arriva comme une flamme sur la tête de chaque apôtre, lors de la Pentecôte.

Tout ce qui concerne la croissance de la vie spirituelle, la germination de la Vie divine en notre âme, est l'effet de l'action de l'Esprit-Saint. Cette semence, cette petite graine que l'Esprit fait croître en nous, c'est le Royaume.

Le Royaume de Dieu, c'est cette éclosion de vie, de lumière, de grâce, de beauté, de tendresse qui surgit dans une âme qui est une réponse vivante à l'appel du Dieu Vivant.

Maurice Zundel. Ta Parole comme une source. éd, Anne Sigier. p. 31.

Ce Royaume, nous y entrons, non pas grâce aux bénéfices de nos bonnes œuvres - car nous n’entrons pas dans le Royaume de Dieu à la force du poignet - mais parce que nous avons accumulé la grâce de l'Esprit-Saint.

Comment obtenir les dons de l'Esprit-Saint ? En faisant le bien, expressément dans le but d'acquérir le Saint-Esprit. Et plus précisément, dans la pratique et la fréquentation des sacrements de l'Église. Aujourd'hui, il est particulièrement difficile de parler des sacrements, tellement ceux-ci ont été bradés, défigurés, caricaturés. Comment reconnaître une vérité quelconque dans un baptême qui est administré par coutume nationale ou familiale, et qui a perdu toute sa symbolique de passage de la mort à la vie ? La même perte de sens frappe tous les sacrements, qui sont devenus pratiquement incompréhensibles à nos yeux.


Les pics de Lumière

Dans l'univers d'entropie où nous vivons, le point final de l'évolution de la matière se situe dans un « trou noir », où la matière a atteint un tel degré de densité et d'inertie elle en vient à percer l'espace-temps, et à absorber toute matière et toute lumière qui passe à sa portée. Notre monde est l’anti-type du Royaume. Notre monde est le fruit de la récapitulation de l'univers paradisiaque. En ce sens, notre monde est l'inverse du Paradis. Le Royaume lui-même est l'inverse de notre monde, ce qui ne veut pas dire pour autant que le Royaume soit semblable au Paradis ! Il s'agit de deux réalités différentes : après le Refus Originel, l'univers paradisiaque a continué d'exister sans l'être humain, dans sa perfection inaltérée, sous le regard de Dieu. Cet univers est parallèle au nôtre et est pour nous totalement inaccessible.

Le Royaume est un univers néguentropique, c'est-à-dire qu'il possède la remarquable propriété de faire surgir le plus à partir du moins, ce qui pour nous est inconcevable. Le « trou noir » de notre univers, dans l'anti-type, devient un « pic de Lumière ». De même que le « trou noir » communique sans doute avec une autre dimension, le « pic de Lumière » perce l'espace-temps de notre univers, et y fait jaillir la Lumière incréée du Royaume.

Ce « pic de Lumière » se présente à nos yeux sous la forme des sacrements de l'Église et des moments de prière. Nous ne comprendrons ce qu'est un sacrement que si nous gardons à l'esprit le fait qu'il s'agit d'une effusion de l'Esprit-Saint. Par le baptême, nous participons, en nous immergeant dans l'eau, à la mort et à la résurrection du Christ, et en même temps nous recevons l’effusion de l'Esprit-Saint, par la chrismation. Ainsi, le Christ et l'Esprit, les « Mains » du Père, peuvent-ils nous adopter et nous faire enfants de Dieu, dans la communion avec le Père, recevant de lui la Vie et la victoire sur la mort. L'eucharistie nous donne le Corps et le Sang du Christ, en demandant l'Esprit de venir transformer le pain et le vin qui sont sur l'autel. Là aussi, les deux « Mains » du Père nous mènent en son intimité, nous rendent dignes de nous exclamer : « Notre Père !»

Le réalisme du culte chrétien ne vise pas seulement à rassembler toute la création - dans sa succession comme dans son présent - autour de l'Agneau Mystique qui a vaincu la mort par sa mort, mais plus encore, à promouvoir et à élever toute réalité au niveau divin, où elle obtient réellement son caractère d'infinité.

Maurice Zundel. Dans le silence de Dieu. chap. 13 : Le réalisme sacramentel de la Liturgie. éd. Anne Sigier 2001. p. 106-107.

La vie liturgique n'est pas seule à nous apporter l’effusion de l'Esprit-Saint. Notre vie de prière concourt au même but - que la prière soit chantée, psalmodiée ou purement intérieure. À chaque fois que nous élevons notre esprit vers Dieu, l'Esprit-Saint Lui-même nous illumine.

Il est important de noter que cette illumination est totalement indépendante du sentiment que nous pouvons en avoir. Parfois, nous avons très nettement le sentiment de la Présence divine. Mais en d'autres occasions, nous sommes immergés dans un sentiment de solitude, voire même d'amertume ou de « désert spirituel ». Cela ne veut pas dire que la prière soit de qualité inférieure, à ce moment-là : bien au contraire ! Une prière faite en état de « désert spirituel » est sans doute pénible pour nous (nous aimerions tant avoir des consolations spirituelles...) mais possède l'incomparable avantage d'être faite en pur esprit de Foi, pour Dieu seul. Une prière qui est faite pour Dieu seul a beaucoup plus de prix devant le Créateur, qu’une prière qui est accomplie, ne fût-ce que partiellement, pour les consolations spirituelles que nous pouvons en retirer.


La prière de demande

La mission de l'être humain est de diviniser le cosmos. Nous avons vu que l'être humain peut être comparé à une « fibre optique » qui est destinée à faire passer par elle la Lumière des Énergies divines incréées, afin de la faire rayonner à la fois sur les autres êtres humains et sur l'ensemble des êtres qui font partie de la création. L'être humain possède la liberté souveraine d'accepter, de refuser ou de freiner en lui, le passage en lui de cette Lumière incréée. Cependant, il est bien rare que l'être humain prenne conscience des responsabilités qui lui incombent : en refusant de laisser passer la Lumière divine, il en prive volontairement les autres êtres créés. Et chaque être créé ne subsiste dans l'être que grâce à une création continue qui vient de Dieu, création continue qui lui est accordée par le rayonnement de cette Lumière. Lorsqu'un être créé est privé partiellement de cette Lumière, il subit un défaut d'être, qui n'est autre que le mal cosmique.

Au fur des millénaires, l'accumulation des refus successifs des générations humaines d'accomplir le projet divin, prive toujours davantage notre monde de la Lumière qui aurait pu lui parvenir. De plus en plus, le monde s'obscurcit et est livré au mal cosmique. Dieu n'y est pour rien! Celui qui voit un effet du mal cosmique a le droit de demander à la personne qui s'en scandalise : « où est ta prière ? où est ta vie spirituelle ? As-tu approfondi ton intériorité afin de laisser passer par toi un flot de Lumière incréée qui permette à Dieu d'agir dans sa création ? » Car Dieu respecte à un tel point la liberté de sa créature, qu’Il n'agira pas dans sa création sans que sa créature lui en ait tracé le chemin. Il en est de l'action divine comme d'un éclair : l'éclair suit la voie d'un canal d'air ionisé - conducteur de l'électricité - qui est invisible à nos yeux, mais indispensable pour permettre le passage de l'éclair. Notre prière, en tant que force ascensionnelle, crée ce « canal d'air ionisé » par où peut passer ensuite la formidable puissance de l'action divine. En l'absence de ce « canal», le Ciel demeure fermé.


La tentation du miracle

Dans notre prière de demande, il peut exister ce que l'on pourrait appeler la « tentation du miracle ». Nous pouvons demander à Dieu de faire un miracle afin de résoudre tel ou tel problème, surtout si le problème résulte d'un mal cosmique, c'est-à-dire d'un paramètre sur lequel l'être humain est impuissant à agir. Dans la parabole de Lazare et du mauvais riche (Lc. 16 ; 19-31), le pauvre Lazare « mourut, et il fut emporté par les Anges dans le sein d'Abraham ». Le mauvais riche mourut lui aussi, et « on lui donna la sépulture ». L'un s'élève, et l'autre s'enfonce... Étant dans le séjour des morts, le mauvais riche demande à Abraham d'envoyer Lazare auprès de ses cinq frères, afin qu'ils puissent éviter d'avoir une même destinée. Abraham répondit : « s'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, même si quelqu'un ressuscite d'entre les morts, ils ne seront pas persuadés ». C'est une constatation lucide et réaliste. Supposons qu'un miracle survienne. Est-ce que la personne qui a été l'objet de ce miracle changera sa vie, et donnera à la spiritualité une place dans son existence ? La plupart du temps, la personne va rapidement oublier la faveur qui lui a été faite, et retourner à une vie aussi insignifiante que celle qu'elle menait auparavant. Il en fut de même, lors de la guérison des dix lépreux. C'est un récit que nous trouvons uniquement dans l'Évangile de Luc (Lc. 17 ; 12-19). Un seul des dix lépreux revint vers Jésus et Le remercia. Pourtant, la lèpre était une maladie grave et incurable. Et celui qui revint ne faisait même pas partie du peuple élu : c'était un Samaritain. Jésus dit : « est-ce que les dix n'ont pas tous étés purifiés ? Et où sont les neuf autres ? Aucun ne s'est trouvé pour revenir rendre gloire à Dieu, si ce n'est cet étranger ? » La question reste toujours actuelle... - L'humanité et ingrate, et dans sa grande majorité oublie instantanément les bienfaits dont elle bénéficie. Dans ces conditions, pourquoi Dieu accomplirait-Il un miracle ? On est plutôt étonné de voir que, malgré tout, de temps en temps, il en survient un.


La contagion de l'obscurité

À chaque génération, le monde est davantage privé de cette Lumière divine qui est indispensable à son existence. À chaque génération, le mal cosmique se fait de plus en plus sentir. Le monde est semblable à un immense bâtiment dont, au début, toutes les fenêtres étaient brillamment illuminées. Dans le sous-sol, quelqu'un, muni d'un marteau, brise les fusibles les uns après les autres. À chaque fois qu'un fusible saute, une lumière s'éteint. L'obscurité se répand petit à petit dans le bâtiment. Il est inutile de dire que la responsabilité de l'architecte n'est aucunement engagée dans ce processus... - Notre comparaison s'arrête là : le bâtiment ne va pas disparaître, après l'extinction de la dernière lumière. Par contre, l'univers, lui, va disparaître dans ce cas, puisque c'est la création continue de Dieu qui le préserve du néant. Si l'univers disparaîtrait, il s'agirait d'une disparition ontologique : l'espace-temps constitué par cet univers disparaîtrait lui aussi. Non seulement l'univers disparaîtrait, mais dans ce cas, il n'aurait même jamais existé... Ce serait le triomphe total des puissances des ténèbres ! Dieu ne peut pas permettre une telle issue pour sa création. C'est pourquoi cette évolution va être abrégée : « Si ces jours-là n'avaient pas été abrégés, nul n'aurait eu la vie sauve ; mais à cause des élus, ils seront abrégés, ces jours-là » (Mat. 24 ; 22). Juste avant la disparition ontologique de l'univers, la miséricorde divine déclenchera la Fin des Temps.


La planète en dérive

Notre univers, en proie à un obscurcissement progressif, est comparable à une planète folle qui, après avoir quitté son orbite, plonge dans l'espace interstellaire - s'éloignant de plus en plus de son soleil, source de chaleur et de vie. Le Royaume, quant à lui, pourrait être comparé à un vaisseau spatial qui est affrété afin de sauver les habitants de la planète. Ce vaisseau spatial va aller en sens inverse de la planète folle ; il est construit afin de se rapprocher du Soleil qu’est le Père, et de retrouver la chaleur et la Vie. Le tout, c'est d'embarquer dans ce vaisseau spatial : « Quand Je serai allé vous préparer une place, Je reviendrai vous prendre avec moi, afin que là où Je suis, vous soyez, vous aussi » (Jn. 13 ; 3). Nous comprenons maintenant pourquoi les perspectives de Nouveau Testament à l'égard du monde, ne sont pas très positives. Le Christ affirme: « J’ai manifesté ton Nom (du Père) aux hommes que Tu as tirés du monde pour me les donner » (Jn. 17 ; 6) ; « Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que Tu m'as donnés » (Jn. 17 ; 9) « Je ne suis plus dans le monde, mais eux sont dans le monde » (Jn. 17 ; 1) « le monde les a pris en haine, parce qu'ils ne sont pas du monde, comme Moi je ne suis pas du monde. Je ne Te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du monde. Ils ne sont pas du monde, comme Moi, Je ne suis pas du monde » (Jn. 17 ; 14-16) « le monde ne T’a pas connu (le Père), mais Moi (le Fils) Je T'ai connu, et ceux-ci ont reconnu que Tu M'as envoyé » (Jn. 17 ; 25.). Le monde va là où doit aller le monde, vers l'appauvrissement spirituel et, finalement, la destruction finale.

Dans un théâtre, il est possible de soulever les décors dans les cintres - laissant la scène telle qu'elle est. La Fin des Temps est la disparition des décors matériels qui nous mettent à l'abri du Rayonnement divin, ou nous permettent de nous en distraire. À partir du moment où les « décors » n'existent plus, il n'est plus possible de trouver de l'ombre pour se mettre à l'abri de la Lumière divine : chacun est saisi dans les choix qu'il a faits. Cela s'appelle le Jugement.


L'embarquement dans le vaisseau

Avant d'en arriver là, il appartient à chacun d'entre nous d’« embarquer » dans ce vaisseau spatial - si l'on peut se permettre cette expression - qu’est le Royaume. Pour cela, il faut tout d'abord s'entraîner, précisément comme les astronautes s’entraînent dans une piscine qui reproduit les conditions d'apesanteur de l'espace. Cette « piscine » est l'espace liturgique de l'Église. Dans une église orthodoxe, tout nous parle du passage d'une dimension dans l'autre, de notre monde dans l'au-delà. Nous passons de la nef, de forme carrée, symbole de la terre - au sanctuaire, symbole du Royaume. Dans le sanctuaire, se trouve l'Autel, symbole du trône de la Présence divine. Entre le sanctuaire et la nef se dresse l’iconostase qui n'est autre qu'un ensemble de portes qui permettent le passage d'une dimension à l'autre : les portes royales et latérales - pour les officiants des saints mystères - et les icônes, qui nous donnent à contempler le Royaume. Certes, l’iconostase en tant que tel est le fruit d’un développement tardif dans l'histoire liturgique de l'Église. Mais un chancel a toujours séparé le sanctuaire de la nef, depuis les temps les plus anciens. Même la nef est un espace qui comporte des caractéristiques qui le distinguent du monde profane et extérieur : c'est un espace orienté, où le célébrant - lorsqu'il n'effectue pas un acte liturgique - se tient toujours face à l'un des points cardinaux. L'action liturgique qui s'effectue dans l'église est le reflet de la Liturgie éternelle célébrée par les Anges auprès du Trône divin, dans le Royaume.

L'Office divin que nous célébrons dans l'église n'est pas un spectacle que nous offrons à un public, nous les êtres humains. L'Office divin et la participation à un acte éternel célébré dans le Royaume. D'où ses caractéristiques à la fois de longueur et de continuité : ce n'est pas en une minute que l'on peut s'accoutumer à l'atmosphère de l'au-delà : il n'existe pas de spiritualité « presse-bouton » : le « tout, tout de suite », typique du monde contemporain, est incompatible avec l'esprit liturgique. L'Office divin se déroule sans aucune interruption, comme une rivière qui s'écoule, ou - pour mieux dire - comme une symphonie, avec ses moments forts et ses moments de sérénité recueillie. L'église fait tout pour que l'individualité du célébrant disparaisse derrière l'acte liturgique : les lectures sont psalmodiées, le prêtre et le diacre portent des ornements sacerdotaux ; le célébrant se tient parmi les icônes comme l'une d'entre elles.

Ce qui distingue l'Office liturgique d'un spectacle, c'est qu'il est accompli avec Dieu comme interlocuteur, et non pas en fonction d’une assistance humaine. Un spectacle n'a aucun sens il n'y a pas de spectateurs ; l'Office divin garde tout son sens - et gagne en paix spirituelle - s'il est célébré dans la solitude d'un ermitage. En se laissant lentement imprégner par la liturgie, le Royaume nous devient familier. Nous avons déjà « un pied » dans l'au-delà. Sans même que nous nous en rendions immédiatement compte, nous sommes pénétrés de l'Esprit Saint, qui - très progressivement - métamorphose notre vision. Notre vision au départ purement matérielle, uniquement capable de regarder les objets qui nous entourent, gagne une nouvelle profondeur, avec l'ouverture des « yeux spirituels ». Les réalités du monde spirituel nous paraissent de plus en plus claires et évidentes, alors qu'elles demeurent manifestement invisibles pour bien des personnes qui nous entourent, personnes pour lesquelles n'existe que l'univers matériel. C'est pourquoi nos agissements, et particulièrement notre vie de prière, apparaissent de plus en plus incompréhensibles pour notre entourage. Alors s'appliquent pour nous les paraboles du Royaume qui le comparent à une perle rare ou un trésor caché dans un champ, faisant accomplir des choses apparemment étranges, par ceux qui veulent s'emparer de cette richesse cachée.


L'entraînement en vue du passage

Si nous ne nous entraînons pas afin de devenir familiers avec l'univers spirituel, notre passage dans l'autre dimension risque bien d'être laborieux et difficile. Par contre, si nous sommes déjà accoutumés à l'univers divin, nous nous retrouverons de l'autre côté sans grand dépaysement. À cet égard, la vie spirituelle est tout entière une question d'imprégnation. Une personne plaisantait, en disant à propos de la vie religieuse : « ce sont les vingt-cinq premières années qui sont les plus difficiles... » Il y a du vrai dans cette affirmation : il faut du temps, afin de modifier ou d'améliorer certains aspects de notre personnalité. Il faut également du temps, afin de nous apprivoiser aux réalités spirituelles.

Si nous nous approchons d'une pile atomique sans être protégé par un blindage adéquat, nous serons irradiés par des rayons qui entraîneront notre mort, après quelque temps. Dans l'anti-type, c'est-à-dire l'univers spirituel qui nous permet d'approcher le Royaume, toute la question est de nous laisser « irradier » par des rayons vivifiants et constructeurs : dans les sacrements et la vie spirituelle, nous sommes baignés dans l'Esprit-Saint, et la Vie divine se construit progressivement en nous. Dans certains très rares cas, l'évolution se fait presque instantanément, par une illumination. Mais généralement, de nombreuses années sont nécessaires pour réaliser cette imprégnation spirituelle.


Dieu m'a-t-Il parlé ?

« Il faut du temps, je suis bien d'accord.
Mais à moi, Dieu n'a jamais parlé !
ni un Ange, d'ailleurs... »

Tout d'abord, il faudrait savoir comment Dieu nous parle-t-Il. Il est fort peu probable qu'Il le fasse avec des mots. Cela arrive, mais c'est très exceptionnel... Souvent, Dieu s'adresse à nous tout simplement par les événements de notre existence, qui sont fréquemment porteurs de sens. Ou par le sentiment d'une évidence intérieure. Ou en mettant sur notre chemin un objet ou un événement qui a un caractère éminemment symbolique. Ou en nous faisant trébucher, avec un humour ravageur... C'est à nous de nous poser la question : sommes-nous assez vigilants devant les événements et les signes de notre vie, pour y discerner un sens que Dieu veut nous faire comprendre ? Souvent, lors de conversations avec diverses personnes, on se rend compte que celles-ci ont eu plusieurs fois dans leur vie, un message de ce genre. Et trop souvent, devant ces suggestions, elles ont roulé la lourde pierre de leur scepticisme ou de leur inattention.

Ensuite, rappelons-nous l'apparition de Dieu au prophète Élie sur le mont Horeb : après toute une vie de recherche de Dieu, le prophète Elie avait un grand discernement. Et ce discernement lui a donné la certitude que Dieu n'apparaissait pas dans un grand ouragan « si fort qu'il fondait les montagnes et brisait les rochers » ; Dieu n'apparaissait pas davantage dans un tremblement de terre, ni dans le feu. Mais après, survint une brise légère : « dès qu'Elie l’entendit, il se voila le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l'entrée de la grotte » et il reçut le message divin (I Rois 19 ; 9 – 16). Dieu se manifeste discrètement, dans une brise légère, car il veut avant tout respecter notre liberté de créature. En tant qu’êtres libres, nous devons toujours être capables de décider en toute objectivité, si nous croyons ou ne croyons pas au message divin. Si ce dernier a un caractère trop évident, nous ne pourrions que le constater, l'admettre ; la Foi n'est pas possible.


Les trois kénoses

Il existe trois kénoses :

- comme nous l'avons vu précédemment, la première kénose fut celle de la création : Dieu se limita Lui-même, afin de laisser apparaître un univers différent de Lui.

- La deuxième kénose fut celle de l'Incarnation : le Christ se limita Lui-même, afin de devenir l'un d'entre nous.

- La troisième kénose est celle de notre vie spirituelle : Dieu limite à la fois le rayonnement de sa Personne et celui de son message, afin de l'adapter aux capacités de perception de son interlocuteur humain, et afin de respecter totalement sa liberté de créature.

Avant de dire que Dieu ne nous parle pas, aiguisons notre attention afin d'être capables de discerner les signes qu'Il nous envoie.

Avant d'affirmer que Dieu ne nous parle pas, posons-nous la question : avons-nous approfondi notre vie spirituelle suffisamment que pour que se soient ouverts nos yeux spirituels ? Sans l'Esprit-Saint, les facultés de notre âme demeurent paralysées, et particulièrement la vision. Si nous gisons dans le matérialisme, l'ensemble de l'univers spirituel demeurera invisible à nos yeux.


Le commencement du Royaume

Quel fut le « Big-Bang » du Royaume, c'est-à-dire le point de départ de ce nouvel univers ? Le Royaume a commencé au moment du Baptême du Christ, à la Théophanie. C'est à ce moment-là qu'a eu lieu ce que l'on peut appeler le Grand Transfert : toute l'humanité qui s'est succédée dans le Jourdain et s'est fait baptiser par Jean - d'un baptême de repentir - cette humanité allait décharger ses péchés dans les flots du Fleuve fondamental. Le Christ est descendu dans les flots du Jourdain afin d'être l'anti-type des pénitents qui s'étaient succédés sous la main de saint Jean-Baptiste. Alors que ceux-ci avaient déposé leurs péchés dans les flots, le Christ, en entrant dans les eaux, se chargea de l'ensemble des péchés de l'humanité, les prenant sur ses épaules comme le berger le fit pour la brebis perdue. Dès ce moment, la minuscule semence du Royaume allait commencer à se développer, pour devenir un grand arbre où pourront trouver asile tous ceux qui sont atteints par le Salut de Dieu. C’est la nouvelle naissance de l’Univers récapitulé :

Le Fils né du Père avant les siècles
en-dehors du temps,
et d’une femme ayant pris chair
de merveilleuse façon,
vient se faire baptiser
pour que le monde naisse une seconde fois.

Exapostilaire de l’Avant-Fête de la Théophanie Ton 3. Matines de l’Office de saint Eustathe de Serbie – 4 janvier – Supplément au Ménée de Janvier. Trad. P. Denis Guillaume. SAMIZDAT 1999. p. 52.

Ce Royaume possède un espace-temps propre, dont nous avons déjà parlé. Le temps du Royaume n'a rien à voir avec le nôtre, qui est fait d'instants successifs. Dans le Royaume, tout est contemporain, et particulièrement la fin de notre Histoire, le Jugement dernier. C'est la raison pour laquelle, dès qu'on parle du Royaume, la figure de la Fin des Temps est immédiatement apparente. C'est ce que nous constatons dans les nombreuses paraboles qui traitent du Royaume, en relation immédiate avec la seconde venue du Christ.


La joie de la certitude

Ma joie, le Christ et ressuscité !

C'est la salutation que saint Séraphin de Sarov adressait à chacune des personnes qu'il rencontrait. La grande caractéristique de la spiritualité du Royaume, c'est la joie. Et cette joie est toujours en relation immédiate avec la présence de l'Esprit-Saint.

Par contre, dans le contexte d'une religion, pourquoi me réjouirais-je ? En ce cas, je suis en présence d'un Dieu-juge, qui m'attend à la sortie avec un énorme registre où sont écrits de façon exhautive toutes mes transgressions et tous mes défauts. Il n'y a vraiment pas de quoi se réjouir... D'autant plus que j'ai toutes les chances d'échouer à l'examen. C'est ce que l'on constate dans la chrétienté occidentale : toute joie pascale s'est évanouie, laissant la place à une spiritualité du Vendredi-Saint qui avait comme premier but d'expliquer et de justifier la souffrance humaine.

L'avènement de la Vie du Royaume fait que l'on peut se réjouir : Saint Marc s'adresse à moi en disant : « celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé » (Mc. 16 ; 16). Il s'agit de croire en Dieu : Père, Fils et Saint-Esprit et d'être baptisé au nom des Trois Personnes divines. Dès lors, nous appartenons incontestablement et réellement au Royaume. : « (Le Père) nous a arraché à l'Empire des Ténèbres et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la Rédemption, la rémission des péchés » (I Col. 1 ; 13). Ce Royaume est irrigué par la Vie du Père, qui anéantit toute mortalité et finitude. Nous goûterons tout cela après la disparition du décor mortifère de ce monde. Nous sommes devenus des fils adoptifs du Père, au point que le Christ va jusqu’à nous appeler ses frères, dans ses instructions aux saintes femmes, après sa Résurrection : « ne craignez point; allez annoncer à mes frères qu’ils doivent partir pour la Galilée... » (Mt. 28 ; 10).

Nous avons hâte d'expérimenter ces réalités, ici et maintenant. Nous pouvons le faire - dans la mesure de notre réceptivité - dans la liturgie et dans la vie spirituelle de l'Église, qui n'est rien d'autre qu'un avant-goût des réalités à venir.

En participant dès maintenant au Royaume, nous nous situons au-delà du Jugement. Le Christ dit : « celui qui croit à Celui qui m'a envoyé (le Père) a la vie éternelle et n'est pas soumis au jugement, mais il est passé de la mort à la Vie » (Jn. 5 ; 24). Avec la Foi trinitaire et ayant franchi les portes du baptême, nous avons la certitude absolue d'être dans le Royaume, et donc de participer, au-delà de ce qui est visible, à cette dimension où nous sommes définitivement victorieux de la mort. La fin de notre vie terrestre n'est plus redoutée, car le Jugement n'est plus qu'un passage, une Pâques. Nos imperfections et péchés seront volatilisés par le feu divin lors de notre Fin des Temps, qui est la fin de notre vie terrestre, ou lors de la Fin des Temps elle-même, si elle coïncide avec notre génération. Il n'y a plus de place pour la crainte ; seule reste la joie. Nous pouvons faire nôtres les paroles de saint Jean Chrysostome :

( la première parole est une exclamation de saint Paul : I Co. 15 ; 55, citant Osée, 13 ; 14 )

Ô Mort, où est ton aiguillon ?
Enfer, où est ta victoire ?
Le Christ est ressuscité, toi-même es terrassé.
Le Christ est ressuscité, et les démons sont tombés.
Le Christ est ressuscité, et les anges sont dans la joie.
< Le Christ est ressuscité, et voici que règne la Vie.
Le Christ est ressuscité, et il n'est plus de mort au Tombeau.
Car le Christ est ressuscité des morts,
prémices de ceux qui se sont endormis.

Homélie de saint Jean Chrysostome. Dimanche de Pâques à Matines.


Cinq espace-temps et plus

Nous venons de faire la synthèse des conséquences et des effets de la pluralité des espace-temps, au prix de quelques répétitions… Nous avons ainsi constaté que le christianisme est pratiquement incompréhensible si l'on considère qu'il n'existe qu'un seul espace-temps : le nôtre. À notre avis, Dieu a créé un grand nombre d'univers très différents les uns des autres : on se demande bien pourquoi Il n'en aurait créé qu'un seul... Son génie créateur ne s'arrête pas à notre univers. Ce que nous savons déjà, c'est qu'il en existe au moins quatre :

L'univers paradisiaque, qui est un espace-temps tel que nous le connaissons, à part l'entropie. Il fut le théâtre de la grande décision effectuée par l'être global qui récapitulait en lui-même l'humanité tout entière, faite d'une seule Nature - humaine bien sûr - et d'une diversité de Personnes spécifiques (au moins deux !). Cette décision fut à l'origine d'une récapitulation de l'univers, c'est-à-dire d'une deuxième création. Bien sûr, il est tentant de considérer que tout cela n'est rien d'autre que de gracieuses légendes. Si tel est le cas, la constatation de l’existence écrasante du mal cosmique qui existe dans notre univers mène à la conclusion que Dieu ne peut posséder les attributs de bonté ou de toute-puissance. Il est, dans le meilleur des cas, indifférent - dans le pire des cas, méchant - à moins qu’Il ne soit impuissant devant les forces qu’Il a déclenchées dans sa création ? De quelque façon que l'on tourne la question, on en arrive à cette conclusion.

Le deuxième espace-temps que nous pouvons décrire est le nôtre, marqué par l'entropie, la finitude, la mortalité et l'entre-dévorement des créatures. Cet univers est le fruit de la deuxième création occasionnée par la récapitulation, elle-même étant le fruit de l'acte absolu que fut la décision de refus de l'œuvre de Dieu, effectuée par l'être global originel. Bien sûr, nous pouvons nier le fait d'une deuxième création, mais à ce moment-là nous ne pouvons enlever de Dieu l'écrasante et insupportable responsabilité de la cruauté qui existe dans l'univers où nous vivons.

Le troisième espace-temps que nous pouvons décrire est l'univers angélique ; celui-ci témoigne de l'existence d'un espace-temps basé sur des axiomes totalement différents des nôtres. Il s'agit d'un univers sans matière, et par conséquent sans inertie. Les créatures conscientes qui l’habitent sont douées d'une intelligence instantanée, mais qui n'est pas pour autant absolue. La décision fondamentale qu'ils ont dû prendre envers l'œuvre divine fut instantanée, car ces créatures conscientes ne disposent pas d'un temps linéaire pour « étaler » leur prise de décision. L'antériorité ontologique de cette création permet de répondre à la question de la présence d'une négativité dans l'espace-temps paradisiaque, sans que cette négativité ne soit imputée au Dieu créateur.

Le quatrième espace-temps que nous sommes appelés à décrire est celui du Royaume. Comme l'espace-temps paradisiaque, celui-ci est dépourvu d'entropie. Il comporte de multiples caractéristiques, bien décrites dans la « Jérusalem céleste » de l'Apocalypse. Le Royaume est une dimension que le Christ est venu inaugurer en notre monde, mais qui n'est pas pour autant contenue dans celui-ci. Le Royaume est parallèle à notre univers, dans une grande proximité. - Ces univers sont comme les torons d'un câble : tous proches les uns des autres et néanmoins parallèles. Le Christ n'est pas venu nous dire de « faire le bien et s'éloigner du mal », car n'importe quelle philosophie ou morale peut faire l'affaire. Le Christ est venu briser ce qui était rompu par la négation de l'être global originel, et rétablir l'unicité dans un océan de débris épars. L'œuvre du Christ est absolument une nouvelle création, ce qui est dit par ce stichère :

Ô Christ notre Dieu qui par amour t'es incarné, * dans ton ineffable tendresse, tu accordas la divine clarté * à l'aveugle privée de lumière depuis l'enfantement; * de ton doigt créateur tu mis un peu de boue sur ses yeux : * toi-même, Seigneur qui procure la clarté, * illumine à présent le regard de notre âme, en ta largesse de Roi.

Dimanche de l'aveugle-né, Laudes, 7ème stichère. Pentecostaire. Trad. P. Denis Guillaume. Diaconie apostolique 1994. p. 280.

Nous pouvons même discerner un cinquième espace-temps, qui se trouve pratiquement à la limite de nos perceptions. Il s’agit de l’Hadès :

L’Hadès fut effrayé de Te voir * descendre avec ton âme vers lui,* Christ, roi de l'univers ; * il dut rendre ceux qui depuis les siècles étaient morts * et qui chantèrent ton amour * pour le genre humain.

Lundi de la deuxième semaine après Pâques, Complies, Ode 8. Pentecostaire. Trad. P. Denis Guillaume. Diaconie apostolique 1994. p. 69.

En d'autres endroits des textes liturgiques, nous voyons l'Hadès s'exclamer, stupéfait, car ses entrailles sont transpercées par le « pieu » qu'est la croix du Christ ; l'Hadès ne pourra faire autrement que de délivrer les captifs qu'il avait capturés :

Pilate érigea trois croix sur le Golgotha * deux pour les larrons et une pour le Prince de la Vie ; * ce que voyant, l’Hadès demande à ses serviteurs : * qui m’a planté cet épieu dans le cœur ? * Une lance de bois m’a transpercé, * et me voilà déchiré : * quelle douleur pénètre mes entrailles et mon sein, * quelle peine traverse mon esprit ! * Je suis contraint de rejeter Adam et ses fils, * ceux que j’avais reçus de l’arbre défendu, * car un nouvel arbre les conduit * pour entrer à nouveau dans le paradis.

Ikos des Matines du Mercredi de la Mi-Carême. Triode. Trad. P. Denis Guillaume. Diaconie apostolique 1993. p. 276.

Lors de la mort du Christ, l’Hadès a cru saisir un mortel, et il s'est retrouvé devant un Dieu. Lors de la Résurrection du Christ, l’Hadès fut saisi de stupeur à la vue du Dieu fait homme, qui fait irruption dans son domaine et en fracasse les portes.

Bien sûr, nous pourrons penser que tout cela n'est rien d'autre qu'une forme littéraire : l'allégorie. C'est bien le cas dans d'autres textes liturgiques, où le fleuve Jourdain est personnalisé; on s'adresse à lui, en disant : « Jourdain, pourquoi retournes-tu en arrière ; pourquoi remontes-tu ton cours, à la vue du Christ se faisant baptiser dans tes flots ? » Sur certaines des icônes de la Théophanie, un personnage représente en effet le Jourdain. Là, il s'agit clairement d'une allégorie, car personne ne peut prétendre que le Jourdain soit un personnage en tant que tel ! Nous sommes libres de considérer qu'il en va de même pour l’Hadès. Mais il me semble qu'il s'agit là d'un appauvrissement de la signification. L'Hadès est le « lieu » où les âmes de l'ensemble des êtres humains qui vinrent à l'existence depuis l'origine de l'humanité, « attendirent » la Résurrection du Christ.

Les termes que nous employons ne sont pas appropriés : il ne s'agit pas d'un lieu géographique ; et les êtres humains n'attendirent pas des siècles durant l'annonce de la Résurrection du Christ. L'espace et le temps de l’Hadès sont spécifiques à cet univers. Il n'en demeure pas moins que la vie d'un être humain avant la venue du Christ aboutissait à ce que nous pouvons appeler : une « impasse ontologique ». Après la vie terrestre, aucun aboutissement n'était possible, car l'univers était cloisonné en strates étanches, suite au Refus Originel. Les âmes des humains restaient dans l’Hadès, un état qui n'est ni l'enfer, ni le paradis. Nous sommes incapables de le caractériser, car il ne correspond à rien de ce que nous connaissons. L'intuition que traduisent les textes liturgiques tente de nous montrer qu'il s'agit d'un Univers conscient. Dans notre espace-temps, l'univers ne possède en lui-même aucune conscience. C'est au sein de l'univers qu’il existe des êtres complexes qui font preuve de conscience. Par contre, l’Hadès est totalement différent de notre univers, car là, c'est l'univers lui-même qui est conscient. On peut le comparer à une ruche : les abeilles sont en quelque sorte des « neurones semi-autonomes ». En elles-mêmes, elles ne font preuve d'aucune intelligence, et sont incapables de subsister de façon autonome. C'est la collectivité qui est intelligente : la ruche constitue en son ensemble, une sorte de « cerveau », dirigé par les phéromones émises par la reine, et dont les « neurones » sont chacune des abeilles. Une ruche est un univers intelligent, avec les limites qui lui sont propres. À un niveau infiniment plus développé, l’Hadès est lui-même un univers intelligent et conscient. À partir de cet exemple, nous pouvons commencer à soupçonner la prodigieuse diversité et l'étonnante originalité des univers parallèles qui existent en dehors du nôtre.


L'objectif tracé initialement a-t-il été atteint ? ?

Nous avons trouvé les principaux éléments de réponse aux questions posées au début de cette Étude :

- le Royaume est un concept que l'on trouve à de nombreuses reprises dans le texte évangélique ; il s'agit de la Nouvelle Création effectuée par le Christ, par l'Acte Absolu de la Rédemption. Malheureusement pour l'institution ecclésiastique, les limites du Royaume et de l'Église ne coïncident pas ;
- le Royaume est en connexion étroite avec la Fin des Temps. La Parabole des Vierges Folles, telle qu'elle est commentée par saint Séraphin de Sarov, nous donne la clé de cette connexion ;
- dans notre espace-temps, nous communiquons avec le Royaume par les "pics de Lumière", que sont les Sacrements et les moments privilégiés de notre vie de prière ;
- notre monde s'éloigne de Dieu, tandis que le "vaisseau " du Royaume s'en approche ;
- il convient donc de quitter le monde pour s'agréger au Royaume, ce qui est possible par l' "entraînement à l'Au-Delà" qui est à la fois la vie de prière et la vie liturgique ;
- la "religion" qui voit le Salut comme un tribunal judiciaire, ne peut se réjouir de la Résurrection. Par contre, le croyant qui participe dès maintenant au Royaume, est d'ores et déjà dans la Vie éternelle, et se situe au-delà du Jugement. Il y a largement de quoi se réjouir !
- nous avons découvert qu'il existe à tout le moins, cinq espace-temps.

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T. des Matières

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