Orthodoxie en Abitibi

Les trois premières Révélations du Nom

Étude IX : Les trois premières Révélations du Nom

- P. Georges Leroy -

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JE SUIS le Pain de Vie
JE SUIS la Lumière du monde
JE SUIS Celui qui témoigne de Moi-même. L'obole de la veuve.

Quels sont les objectifs que nous nous proposons d'atteindre ?

Le récit de la Samaritaine nous a donné des éléments importants, qui nous montrent comment gérer notre rationalité. Le livre de Job nous a livré des enseignements, notamment sur la gestion des agressions extérieures et des tempêtes de la vie, et nous a appris à faire appel au Paraclet. L'épisode de la traversée de la mer nous a ouvert le sentier de la connaissance qui, en nous donnant l'échelle des Noms divins - dans l'Évangile de Jean - va nous permettre de progresser dans nos découvertes. Maintenant, nous abordons la signification des trois Noms divins qui nous désignent le Christ comme étant le Pain de Vie, la Lumière du monde, et Celui en faveur de qui le Père témoigne. Cela nous entraîne à nous poser les questions suivantes :

- en quoi la désignation du Christ comme Pain de Vie nous éclaire-t-elle sur le mécanisme de la suggestion, et sur la nature de la Relation que nous sommes appelés à établir avec la Présence divine ?
- en tant que Lumière du monde, le Christ a-t-il changé en se transfigurant devant ses disciples ?
- la voie de la manifestation de Dieu aux êtres humains est-elle identique à celle parcourue par la prière des êtres humains, adressée à leur Créateur ?
- pouvons-nous témoigner de nous-mêmes, à l'image du Christ ?


JE SUIS le Pain de Vie

Contemplons la première appellation du Nom que le Christ a révélée au sein de son peuple ; la parole que le Christ a donnée à la Samaritaine était en-dehors du périmètre dévolu à Israël :

Nous avions déjà remarqué le fait que, d'ordinaire, nous ne faisons guère attention à l'épisode de la traversée de la mer de Galilé. Et pourtant, nous avons constaté à quel point cet instant de la vie du Christ est important, et permet de définir notre destinée tout entière.
Ici aussi, nous ne sommes guère habitués à accorder une grande importance à cette parole (Jn. 6 ; 34, 48, 51). On se dit tout de suite: « c'est une allusion à l'Eucharistie », et l'on passe à autre chose... Ici aussi, le symbolisme de la manne au désert (Jn. 6 ; 49) nous est devenu étranger. Et pourtant, la révélation de ce Nom divin peut nous donner des enseignements fondamentaux :

Le premier point que nous pouvons remarquer, c'est l'aspect tout à fait provoquant du discours que le Christ prononce dans le Temple. Ce discours est tellement choquant, qu'il amène la contestation parmi les disciples, dont un certain nombre quitte Jésus (Jn. 6 ; 60 - 66). Certes, des esprits chagrins nous rétorqueront : « ce discours ne figure que dans l'Évangile de Jean ; bien certainement, il n'a jamais été prononcé comme tel». Une telle prise de position est un exemple frappant d'invasion de la pensée rationaliste dans le domaine du spirituel. Il y a certainement un considérable travail de rédaction, en ce qui concerne l'Évangile selon saint Jean - et nous en voyons les preuves à chaque verset, car il s'agit là d'un texte profondément réfléchi. Mais nous aurions extrêmement tort de disqualifier l'Évangéliste, lorsqu'il tente de faire pénétrer en notre cœur un enseignement qui ne peut y entrer par les voies du discours positiviste.

L'affirmation, en plein Temple, de la nécessité de manger la chair et de boire le sang du Fils de l'Homme, est de la provocation pure et simple.

Le cœur sait, alors même que nous ne savons pas encore, et qu'à l'heure actuelle, nous sommes totalement incapables de savoir... Que ce soient les disciples ou les auditeurs du Christ dans le Temple, aucun d'entre eux ne pouvait comprendre les paroles de Jésus, au moment où Il les prononçait. Un tel phénomène ne relève pas du simple goût de la provocation... Nous pouvons constater le même fait, en ce qui concerne les paroles du Christ relatives à sa Résurrection future. Non seulement elles n'ont pas été comprises par les disciples au moment où elles ont été prononcées, mais encore elles ont été pratiquement oubliées. Ce ne fut qu'après l'événement, que les disciples se sont « ressouvenus » de ces paroles.

Tout ceci nous amène à parler de la suggestion. Le cœur agit en nous par voie de suggestion. La suggestion est un processus d'information qui surgit de l'inconscient, sans passer par le filtre de la raison. Ce qui est remarquable - et c’est ce qui est enseigné par le passage du « Pain de Vie » - c'est le fait que la suggestion affirme l'existence des choses avant même qu'elles n'existent, et par là même, la suggestion construit les conditions qui sont indispensables à leur réalisation ultime.

Lorsque ce que la suggestion annonçait est enfin réalisé, se produit le processus du « ressouvenir » : nous jetons un regard sur notre passé, et nous en découvrons soudain le sens. Dans la vie quotidienne, nous sommes immergés dans l'écoulement des événements. Nous sommes incapables de percevoir le sens global de tout ce qui nous arrive, au moment même où cela survient. Il est donc nécessaire, à un moment donné de notre existence, de jeter un regard rétrospectif sur les événements de notre vie. À ce moment, nous prenons conscience du sens qui a sous-tendu tous les actes de notre vie, et nous comprenons à quel point il était nécessaire de ne pas mettre d'obstacle aux suggestions du surconscient. La plupart du temps, la suggestion est entravée par nos pensées parasites, par la peur, et surtout par des initiatives intempestives, provoquée par notre pensée rationnelle qui a l'orgueil et l'outrecuidance de prétendre pouvoir tout résoudre.

Le premier point était la provocation. Le deuxième enseignement que nous apprenons du passage du « Pain de Vie», est le fait qu'il nous révèle la nature de la relation qui doit nous unir à la Présence divine. Il s'agit de « manger » et de « boire » le Divin.

Rappelons-nous de sa signification : il s'agit des Énergies divines - Dieu en tant que Rayonnant - qui sont issues du Père-Source absolue, et qui nous parviennent par les deux « bras du père » les hypostases révélatrices que sont le Fils et l'Esprit. Le Fils et l'Esprit sont tous deux Paraclets ; nous sommes appelés à « manger » la Chair du Christ et à boire son Sang qui est Esprit, puisque nous ne pouvons contempler Dieu que dans l'illumination réciproque du Christ et de l'Esprit. Les Énergies divines qui surgissent en nous jaillissent du cœur - et ce terme a l'avantage d'exprimer une grande richesse de sens, en un seul mot.

Si nous « mangeons » et « buvons » le Christ, nous sommes appelés à nous « greffer » en Lui, Lui qui est le Cep et dont nous sommes les sarments (Jn. 15 ; 5). Tout ceci nous montre que nos relations avec la Présence divine sont celles d'une intégration mutuelle, et non pas simplement l'écoute d'une parole intellectuelle qui nous resterait extérieure. Lorsque le Christ était au désert, lorsqu'Il fut tenté pour la première fois (Mt. 4 ; 3), et que le démon lui proposait que les pierres qui L'entouraient se changent en pain, le Christ répondit tout simplement en citant une parole du Deutéronome : « l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute Parole qui sort de la bouche de Dieu » (Dt. 8 ; 3). La Parole dont il s'agit est infiniment plus qu'un énoncé rationnel, consigné dans les pages d'un livre. C'est une Parole vivante, car elle « sort de la bouche de Dieu ». De notre bouche, nous sommes appelés à nous nourrir de cette Parole, qui sort de la bouche de Dieu. C'est une Parole qui est Chair et qui est Esprit. Les lèvres divines du Verbe font fuser le souffle de l’Esprit dans les lèvres humaines, tout comme le Dieu Créateur insufla une « haleine de Vie » dans les narines de l’Adam d’argile inanimé, qui devint un « être vivant » (Gn. 2 ; 7).

Le deuxième point était donc la relation comprise comme étant une mutuelle intégration. Le troisième point est évoqué par cette parole :

Travaillez, non pour la nourriture périssable, mais pour la nourriture qui demeure en Vie éternelle, celle que vous donne le Fils de l’Homme, car c’est Lui que le Père, que Dieu a marqué de son sceau.
Jn. 6 ; 27.

C'est un retournement : d'ordinaire, nous nous alimentons spirituellement de la même façon dont nous nous nourrissons physiquement : c'est-à-dire au départ et aux dépens de la réalité matérielle qui nous entoure. Maintenant, nous sommes appelés à nous nourrir prioritairement des réalités divines. Nos racines, qui étaient plantées dans la terre, sont appelés à être retournées, et à s'insérer dans le Ciel, dans la réalité du Royaume.

Ce « retournement » est le premier mot de la prédication chrétienne : c'est la « conversion » metanoia - le « changement d'esprit ». La « conversion » était le cœur de l'enseignement de saint Jean-Baptiste: « convertissez-vous metanoeite, car le Royaume des Cieux est proche ».
Très souvent, on a traduit cette exhortation de saint Jean-Baptiste par ces mots : « faites pénitence ! », et l'on a transformé le message de saint Jean-Baptiste en un tissu d'absurdités : faire pénitence serait se mortifier pour obtenir par des voies magiques - car ce qui déplaît à l'être humain est censé plaire à un Dieu féroce et impitoyable - pour obtenir, disions-nous, que les actes que nous avons accomplis dans le passé n'existent plus, et donc ne seraient plus susceptibles d'exciter la colère vengeresse de ce Dieu vindicatif et antipathique... Dans cette perspective, le « repentir » serait une façon de nier le passé. Quand aux paroles de saint Jean-Baptiste qui affirme que le Royaume des Cieux est proche, cela était considéré comme l'expression maladroite du fait que le Christ était sur le point d'arriver...

Comme toujours, les Puissances des Ténèbres se sont ingéniées à travestir et à neutraliser le message du Christ. Or il s'agit en fait de se « retourner », de neutraliser nos racines solidement ancrées dans le monde matériel - non pas qu'elles soient mauvaises, car c'est leur exclusivisme qui est toxique - pour faire pousser des racines profondes et diversifiées dans le Royaume, dans l'humus de cette Création nouvelle que le Christ est venu susciter. Nos racines « terrestres », notre avidité envers les biens matériels nous aliène et nous prive de notre liberté. Si notre existence sert uniquement à accumuler des objets, la vérité s'obscurcit à nos yeux et s'enfonce dans un subconscient inaccessible. Il s'agit de « lâcher prise », en un mouvement qui est loin d'être uniquement négatif, car il est effectué dans la perspective de faire pousser immédiatement des racines bien plus fécondes et enrichissantes, qui s'enfoncent – ou plutôt s’élèvent - dans l'Univers d'En-Haut, qui échappe aux apparences. Le « lâcher prise » consiste en le fait que le Moi renonce à une sécurité illusoire, celle d'être enraciné dans le monde matériel. Le « lâcher prise » est la première étape dans l'édification de la vie intérieure.

Suggestion, intégration, conversion : tels sont les trois points qui se dégagent de l’épisode du « Pain de Vie » - épisode qui contient assurément bien d’autres strates de sens. C'est un enseignement précieux, qui nous est donné en quelques mots dans l'Évangile de Jean. Il est impossible d'être plus bref que le disciple bien-aimé de Jésus !

JE SUIS la Lumière du monde

Voici la deuxième Révélation du Nom. C’est une affirmation capitale : elle se retrouve à deux reprises dans le texte de l’Évangile de Jean (Jn. 8 ; 12 et 9 ; 5). Nous percevons la Présence divine comme une Lumière – une Lumière d’une nature totalement différence de ce qu’est la lumière matérielle.

Dans les premiers mots de l’Évangile de Jean, nous trouvons la constatation : « la Lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas reçue (Jn. 1 ; 5) ». C’est l’échec du Refus Originel. Ici, nous avons l’affirmation inverse : « JE SUIS la Lumière du monde. Celui qui Me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la Lumière de la Vie (Jn. 8 ; 12) » : c’est l’avènement d’une nouvelle dimension, celle du Royaume, univers tout baigné de cette Lumière incréée qui est l’effet immédiat de la Présence divine. Lorsque nous parlons de Lumière divine, l’épisode de la Transfiguration nous vient immédiatement à l’esprit : « Il se transfigura devant eux. Ses vêtements devinrent étincelants, tout blancs, tels qu'aucun foulon sur la terre ne saurait blanchir ainsi (Mc. 9 ; 3.) ». L’Évangéliste Marc est le seul qui parle du « foulon » : il fait allusion à la prophétie de Malachie, qui décrit le Messie en ces termes : « qui soutiendra le jour de sa venue, et qui restera debout quand Il apparaîtra ? Car Il sera comme le feu du fondeur, comme la potasse des foulons ( Mal. 3 ; 2) ».

Le Christ a toujours été transfiguré ; à ce titre, la Transfiguration n’a induit aucun changement en la Personne du Christ. Dans sa mission terrestre, le Christ a voilé sa Divinité, afin de rendre possible sa communication avec les êtres humains, et le respect de leur liberté de créature. La Transfiguration s’est donc produite en la perception des apôtres qui étaient présents sur la montagne du Thabor. Leurs yeux de chair ont été supplantés par la vision spirituelle, qui leur a permis de contempler ce qui reste étranger à la vision matérielle.

Pourtant, même en étant gratifiés de la vision spirituelle, la Lumière divine n’a resplendi sur eux que dans la mesure de leur capacité de perception, afin de ne pas les anéantir sous la splendeur de la Divinité :

Il se transfigura devant eux, manifestant la splendeur de la beauté originelle, non pas entièrement toutefois, car s'Il les affermissait dans la foi, Il les épargnait cependant, de peur qu'à cette vue ils ne perdent la vie ; aussi leurs yeux de chair ne Le voyaient qu'autant qu'ils pouvaient le supporter.
Ménée. 6 août – 3ème stichère de Litie. Trad. P. Denis Guillaume. Diaconie Apostolique 1981. p. 72.

Nous lisons dans le tropaire de la fête :

Tu t'es transfiguré sur la montagne, ô Christ notre Dieu, laissant tes Disciples contempler ta gloire autant qu'ils le pouvaient…
Ibid. p. 73.

L’illumination divine est proportionnelle à notre capacité de réception. La vie spirituelle consiste à acquérir cette vision nouvelle - ces yeux spirituels – et ensuite, à augmenter notre capacité de réception de la Lumière divine, puisque Dieu module ses Dons en fonction de ce que nous sommes capables de recevoir.

La Lumière divine, les Énergies en lesquelles Dieu est totalement présent, proviennent DU Père, en tant que Source éternelle et absolue. Il est le Principe, Celui qui engendre.

Les Énergies rayonnent PAR le Fils, qui nous révèle le Message et crée le Royaume ; le Fils est Celui qui est engendré, Il est la Sagesse, Il est le Verbe ; Il est aussi le Démiurge – le réalisateur de la Création - en tant que Puissance du Père.

Enfin, les Énergies aboutissent EN l’Esprit. L’Esprit est le « bout » telos du mouvement trinitaire ; à Lui convient tout ce qui concerne la manifestation divine, le perfectionnement, la croissance, la perfection de la sainteté. Toute sainteté se vit en l’Esprit. Saint Basile nous dit :

Saisis la cause principielle de tout ce qui est fait : le Père - la cause démiurgique : le Fils - la cause perfectionnante : l’Esprit (…). Il n’y a qu’un seul Principe des êtres, qui crée par le Fils et parfait dans l’Esprit ».
Sur le Saint-Esprit : 16 ; 38. S.C. 17bis Cerf 1968. p. 377 – 379.

« C’est le Père Lui-même qui fait tout et donne tout par le Verbe dans l’Esprit », dit saint Athanase (Lettre à Sérapion : 3 ; 5).

Un auteur du XIXème siècle, le P. Théodore de Régnon, appelait cette façon d’envisager les relations des Personnes divines, le diagramme grec de la Trinité. À ce sujet, il nous donne une belle comparaison :

Reprenons cette explication sous forme imaginative, pour montrer l'emploi du diagramme grec de la Trinité. J'ai dit que ce diagramme est formé de trois points en li¬gne droite constituant la direction divine. Entre ces points, flue et reflue ad intra la vie divine ; et, de plus, toute opération ad extra est projetée suivant cette direction. Si donc on transporte dans le firmament ce mystérieux diagramme, il ne faut pas se représenter trois astres en ligne droite, dont la constellation se profilerait sur l'azur des cieux, de façon que l'œil pût les distinguer et les compter. Puisque tout le créé est placé sur le prolongement de la direction divine, les trois astres sont par rapport à nous exactement l'un derrière l'autre. Leur lumière nous parvient donc absolument unique et simple, et notre œil la prend pour l'éclat d'une unique étoile. Tel est le symbole de l'ordre naturel. — Mais voici que dans les profondeurs du ciel un ébranlement se produit. L'Astre qui est comme le plus près de nous s'approche vers une Vierge de notre terre, et l'enveloppe de sa lumière sanctificatrice pour la rendre capable d'une maternité divine : l’Esprit-Saint viendra sur toi (Lc. 1 ; 35). Alors le second Astre descend à son tour, pénètre dans les entrailles de cette Vierge, et s'y fait chair : le Verbe s’est fait chair (Jn. 1 ; 14). Cette lumière faite chair peut maintenant toucher de sa substance notre substance, la pénétrer, la nourrir, s'y unir. Alors et enfin, l'Astre qui est la source primordiale de toute lumière vient, Lui aussi, dans le juste régénéré, et la parole du Sauveur est accomplie : nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure (Jn. 14 ; 23). Telle est l'œuvre surnaturelle de la déification ; mystère tellement haut que jamais la raison n'aurait pu le soupçonner ; mystère que le Verbe nous a révélé dans des termes si familiers et si faciles à entendre.
Études de Théologie positive sur la sainte Trinité, par le P. de Régnon, S.J. Première série – Exposé du Dogme. Paris, Victor Retaux et Fils, Éditeurs. 1892. p. 362 – 363.

Le Père Théodore de Régnon nous présente les trois Personnes divines comme trois astres parfaitement alignés au long d'un axe qui pointe vers notre œil. Vus de la terre, les trois astres n'en forment qu'un : nous ne voyons dans le ciel qu’une seule étoile qui, en réalité, nous apporte la lumière des trois astres qui se situent par rapport à nous à des distances différentes.

Bien sûr, comme toutes les comparaisons, celle-ci vaut ce qu'elle vaut : dans le domaine divin, nous ne pouvons parler ni d'espace ni de distances... Mais l'image est très évocatrice. Le Père Théodore de Régnon présente ce qu'il appelle la théologie trinitaire « grecque » sous forme d'une ligne droite, comprenant trois points figurant les Personnes divines. C'est une figuration qui peut se défendre, mais si l'on adopte la figure du Fils et de l’Esprit comme étant les « deux Mains du Père » - comme le dit saint Irénée - les Personnes trinitaires peuvent tout aussi bien être inscrites en forme d'angle, dont le sommet figure la Personne du Père.

À cet égard, la figure la plus appropriée serait sans doute un triangle, car on ne peut passer sous silence la « réciprocité de manifestation » qui relie le Fils à l'Esprit. On ne peut même pas dire que cette « réciprocité » entre le Fils et l'Esprit n'existerait que dans le domaine de la création, puisque l'on peut supposer que cette « réciprocité de manifestation » est l'image d'une autre réciprocité qui existe bien certainement au sein de la Trinité. Mais ceci est hors de notre atteinte ; si nous essayons imprudemment de conceptualiser cette réciprocité intra-trinitaire, le danger est grand de tomber dans l'hérésie romaine du « filioque ». Cette erreur consiste dans le fait de décrire Dieu sous forme d'une relation entre deux Personnes, le Père et le Fils avec, entre les deux, une « relation d'amour » qui serait l'Esprit. Il est bien difficile, dans cette perspective, de concéder à l'Esprit sa pleine et entière réalité de Personne car, de toute évidence, une relation d'amour existant entre deux personnes ne saurait être une personne à part entière.

Ce n'est pas uniquement pour « la beauté de la chose » que nous avons fait appel à la comparaison du Père de Régnon. - Étant sur cette terre, nous élevons les yeux vers le Ciel spirituel où brille tout son éclat l'Étoile trinitaire, dont nous savons maintenant qu'il s'agit de la lumière ponctuelle de trois astres distincts.

Généralement notre prière s’adresse à Dieu, sans distinction de Personnes. Nous élevons notre oraison vers l’Étoile trinitaire, bien plus souvent que nous n’adressons spécifiquement une prière à telle ou telle Personne divine. La figure des « étoiles alignées » par rapport à nous, tend à exprimer ce fait courant de la vie spirituelle. C’est pourquoi, dans les textes liturgiques, nous disons : « Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit », plutôt que « Gloire au Père, par le Fils, dans le Saint-Esprit ». Ce fait liturgique illustre notre prière globale vers l’Astre trinitaire. Il existe donc deux schémas trinitaires : la voie descendante (du Père, par le Fils, dans le Saint-Esprit) et la voie ascendante (au Père et au Fils et au Saint-Esprit). La « voie descendante » illustre le don de la Lumière divine aux créatures, tandis que la « voie ascendante » illustre le mouvement de notre prière.

Ici comme toujours, nous sommes en présence d’une réalité antinomique, où tout se rejoint et où rien ne peut être artificiellement séparé : même dans notre prière ascendante, lors de la Divine Liturgie, nous prions le Père ; les Saints Dons sont consacrés par la citation des Paroles du Christ, et l’Épiclèse se réalise dans l’Esprit. La distinction entre les voies ascendantes et descendantes est antinomique, et n’a rien d’étanche !

La Lumière divine et incréée nous parvient à tout instant. Cette lumière n'est autre que les Énergies divines, ce Rayonnement divin et cette Présence qui nous atteint, nous transperce et nous vivifie jusqu'à la moelle des os : « elle est vivante, la Parole de Dieu ; elle est efficace, plus acérée qu'aucune épée à deux tranchants ; elle pénètre jusqu’au point de division de l'âme et de l'esprit, des jointures et des moelles (Hb. 4 ; 12) » - « toutes les Églises sauront que JE SUIS Celui qui sonde les reins et les cœurs (Apoc. 2 ; 23) ».

Une certaine théologie d’école a transformé le Rayonnement divin en une notion froide et conventionnelle que l’on appelle « la grâce » : quelque chose que Dieu donne à sa créature, à la façon dont un jardinier répand de l’engrais sur son gazon… On a distingué entre la « grâce sanctifiante », qui détruit le péché, mais non la concupiscence ; la « grâce actuelle » opérante et coopérante ; la « grâce suffisante », qui justement ne suffit pas à obtenir le Salut : la « grâce prédéterminante » qui est sensée nous prédestiner au Salut ou à la damnation ; les « grâces supérieures », qui produisent des « effets spéciaux » telles la connaissance parfaite, la sagesse, la contemplation… ; les « grâces extraordinaires » qui produisent les charismes et les visions - et la liste n’est pas exhaustive. Telles sont les diverses marques d’engrais que le divin jardinier déverse sur le gazon de ses créatures : un « don créé » ne peut que rester à la surface des choses.

La Lumière incréée, les Énergies divines s’enfoncent jusqu’aux plus secrets recoins de la création. Nous ressentons en nous-mêmes l’effet de la Lumière Vivante qui pénètre jusqu’aux ultimes profondeurs de notre être. C’est comme le son d’un sonar qui, envoyé dans les profondeurs marines, rebondit sur le fond de l’océan et - revenu à la surface - vient s’inscrire sur l’écran du radar, à la passerelle du navire. Les Énergies divines pénètrent en nous jusqu’aux dernières profondeurs de notre âme, puis remontent jusqu’au niveau de notre conscience.

Nous avons vu qu’il existe deux voies trinitaires, descendantes et ascendantes. Quel est le point de contact entre ces deux voies ? C’est maintenant le moment de découvrir la voie parcourue par les Énergies divines.

La voie parcourue par les Énergies divines nous est révélée par la prophétie d’Isaïe :

Comme la pluie et la neige descendent du ciel et n'y retournent pas sans avoir abreuvé et fécondé la terre et qu'elles ne l'aient fait germer, pour qu'elles donnent la semence au semeur et le pain à celui qui mange ; ainsi en est-il de ma Parole qui sort de ma bouche : elle ne revient pas à moi sans résultat, sans avoir fait ce que j'ai voulu, et accompli ce pour quoi je l'ai envoyée.
Is. 55 ; 10 - 11.

Dans l’Histoire cosmique :

1) La Parole sort du Père et va accomplir sa mission dans la Création : il s’agit de l’Énergie trinitaire focalisée sur la Personne du Verbe. Le Christ ne reste pas à la surface des choses ; bien au contraire, Il descend jusqu’au fond de l’Hadès, pendant son séjour au Tombeau, et fracasse les Portes de l’Enfer.

2) L’Énergie trinitaire focalisée sur la Personne de l’Esprit féconde la création et fait germer ce que le Verbe a semé. Le Christ remonte de l’Hadès, ressuscite des morts et fait siéger notre Nature auprès du Père. L’Esprit souffle sur les Apôtres et fait commencer le grand labeur de sainteté qui fera toute l’Histoire de l’Église, en tant qu’organisme spirituel.

3) Enfin, l’Énergie trinitaire revient auprès du Père, chargée de tous les bénéfices spirituels suscités par l’Action divine. À la fin des Temps, l’ensemble de la moisson spirituelle est engrangée.

En ce qui nous concerne, en tant que personne :

A) la Parole divine envoyée par le Père, le Verbe, pénètre en nous, et s’enfonce jusqu’au fond de notre âme.

B) Le Verbe suscite en notre âme la venue de l’Esprit-Saint, qui crée en nous les sens spirituels nécessaires pour découvrir les réalités du Royaume, qui sont invisibles aux yeux de chair.

C) Enfin, l’Énergie trinitaire remonte des tréfonds de notre âme, jusqu'au niveau du conscient.

En s’exprimant en d’autres termes :

L’Énergie trinitaire, qui provient DU Père, nous parvient PAR le message objectif qui nous est révélé par le Verbe. Cette Énergie trinitaire, focalisée sur la Personne du Fils, est porteuse d’un message qui a un contenu objectif. Cette Énergie s’enfonce jusqu’à l’extrême fond de notre âme, si nous voulons bien la recevoir.

Au fond de notre âme, cette Énergie effectue sa tâche de fécondation, de fertilisation, tout-à-fait en-dehors du champ de notre conscience : elle passe de l’objectivité à la subjectivité – du domaine du Fils à celui de l’Esprit. La continuité Fils-Esprit se reflète dans le fait que nous avons deux « Paraclets ».

« paraclet » vient du verbe parakaleô, qui signifie « appeler quelqu’un pour lui demander conseil ou secours » - d’où les traductions : avocat, défenseur, intercesseur, consolateur. Quelqu’un qui parle pour nous – dans le contexte de l’effacement de l’Ego.

C'est ce que nous dit l’Évangéliste Jean, lorsqu’il nous rapporte cette parole de Jésus qui dit qu’Il priera le Père pour qu’il nous donne un autre Paraclet (Jn. 14 ; 16) : le Paraclet / Fils laisse place, si l’on peut dire, au Paraclet / Esprit.

Finalement, cette Énergie remonte du fond de notre âme, et est capable d’être réellement créatrice, si nous ne tentons pas de l’inhiber par l’envahissement des facultés rationnelles et discursives. Cette Énergie relève de l’Esprit, et par là même est de nature subjective; elle ne peut être circonscrite par la rationalité objective.

La vie spirituelle et ses réalisations suscitées par le surconscient reviennent auprès de la Trinité, s’adressant identiquement aux Trois Personnes divines : au Père ET au Fils ET au Saint-Esprit (Le « diagramme grec »).

Le processus objectif s'accorde à la pensée rationnelle, conceptuelle et théologique. Le processus subjectif, quant à lui, échappe à toute quête rationnelle. C’est pourquoi le cœur échappe à toute analyse. Le symbole ne se laisse pas « mettre en boîte »… Ainsi se trouve identifiée la limite de la connaissance rationnelle. Les Ténèbres divines protègent de la curiosité humaine le domaine de l’Esprit-Saint.

Tout ceci explique les propriétés remarquables du cœur : il sait avant nous et mieux que nous la direction que prend notre vie ; il est véritablement créateur, pourvu que nous ne fassions pas obstacle aux suggestions qu’il nous propose - par nos appréhensions ou par nos élaborations rationnelles. Le cœur jaillit des profondeurs les plus lointaines de notre psyché. Le cœur hérite des caractéristiques de la Parole vivante de Dieu, de ses Énergies, mais il ne désigne qu’un aspect de celles-ci. Des tréfonds du cœur jaillissent les Énergies divines qui remontent des profondeurs de notre être jusqu’à la surface de notre conscience.

En un premier mouvement, les Énergies divines s’enfoncent dans notre psyché, comme une épée, « pénétrant jusqu’au point de division de l'âme et de l'esprit, des jointures et des moelles », suivant l’expression de l’épître aux Hébreux, déjà citée (Hb. 4 ; 12). Il s’agit bien de cette épée « effilée, à double tranchant » qui jaillit de la bouche du Fils d’Homme, qui apparut à Jean, tel qu’il le relate dans son Livre de la Révélation (Apocalypse 1 ; 16).

En un second mouvement, elles reviennent au niveau de notre conscience ; elles proviennent du cœur, qui vient opérer en nous le changement intérieur décisif. Si nous nous opposons à l’œuvre du cœur, diverses pathologies apparaissent.

En contemplant le Nom divin du Christ comme « Pain de Vie », nous pouvons déjà deviner les conséquences redoutables du refus de la conversion, du « retournement » de nous-mêmes : dans ce cas, nous gardons obstinément nos racines plantées dans le monde matériel, nous nourrissant exclusivement de celui-ci. La vie se résume à nos yeux à acquérir des biens matériels, et à les défendre de la convoitise des autres. Nous ne soupçonnons même pas l’existence de l’Univers spirituel et divin. Sur un tel terreau pousse le stress et l’angoisse, et le bonheur reste hors de notre portée.

En contemplant le Nom divin du Christ comme « Lumière », nous pouvons pressentir ce qui nous arrive si nous réalisons en nous-mêmes la constatation du Prologue de Jean : « la Lumière a lui dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas reçue ». En refusant la Lumière divine, nous nous ôtons toute possibilité d’acquérir cet œil spirituel qui nous permettrait de voir les réalités du Royaume, et qui nous permettrait de considérer ce monde-ci dans la transparence de l’au-delà. À défaut de la Lumière divine, nous devenons stériles, et devenons nous-mêmes source s’obscurité et de stérilité pour les autres.

JE SUIS Celui qui témoigne de Moi-même

L'obole de la veuve.

C’est la troisième Révélation du Nom. Peu après avoir affirmé qu'il est « la Lumière du monde », le Christ nous donne un nouveau Nom divin : JE SUIS Celui qui témoigne de Moi-même (Jn. 8 ; 18). Cette parole se place dans le contexte de la polémique avec les Juifs. Ceux-ci contestent son enseignement, car - selon eux - cet enseignement ne serait pas valable, du fait qu'il émane d'une seule personne, sans être confirmé par le témoignage d'autres personnes. Pour cela, les Juifs invoquent les livres du Deutéronome et des Nombres, selon lesquels on ne peut accuser quelqu'un sur base du témoignage d'une seule personne. Les témoignages de deux personnes au moins sont nécessaires pour pourvoir lancer une accusation. Nous lisons dans les Nombres : « en toute affaire d'homicide, c'est sur la déposition de deux témoins que le meurtrier sera mis à mort ; mais le témoignage d'un seul témoin ne suffit pas pour soutenir une accusation capitale »(Nb. 35 ; 30. Voir aussi Dt. 17 ; 6, dans le même sens - et 19 ; 15, qui élargit cette prescription pour l’ensemble des délits). C'était bien le problème, pour les accusateurs de Jésus qui s'efforçait d'obtenir une condamnation à mort. Il s'avéra impossible d'obtenir deux témoignages concordants (Mc. 14 ; 56). Ce qui est assez curieux, c'est que les Juifs - en invoquant cette prescription de la Loi - mettent l'enseignement du Christ précisément au même niveau qu'un délit... Jésus répond à l'interpellation des Juifs, en affirmant que son enseignement est parfaitement valable, car il est épaulé par le témoignage d'une autre Personne : le Père. Le débat provient du fait que les interlocuteurs de Jésus ne connaissent pas le Père ( « Vous ne connaissez, ni Moi, ni mon Père » Jn. 8 ; 19), et que la conséquence immédiate de cette méconnaissance fondamentale est l'ignorance dans laquelle ils se trouvent, de la véritable Nature du Christ qui se tient devant eux.

De notre côté, nous nous posons la question : « quel sens pouvons-nous trouver, dans cet épisode des débats entre Jésus et les Juifs ? » Un détail du texte - détail apparemment anodin - vient nous éclairer : « il prononça ces paroles à la chambre des trésors, enseignant dans le temple »( Jn. 8 ; 20. « en la chambre des trésors » : en tô gazofulakiô). Jésus nous enseigne : « amassez-vous des trésors dans le Ciel (…); où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt. 6 ; 19 - 21 nous remarquons l'apparition de la notion de cœur). Saint Paul nous précise : « en Christ sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance » (Col. 2 ; 4.).

Le Christ est dans le Ciel, siégeant à la droite du Père ; si nous sommes mûs par notre intuition spirituelle, nous avons conscience que le Christ, notre Trésor véritable, vit en notre cœur. Dans ce cas, la chambre des trésors est authentiquement le Christ, dont la « chambre des trésors » du Temple n'était qu'une préfiguration. Tout en étant au plus profond de nous-mêmes, le Trésor siège au plus haut des cieux – là où se trouvent nos racines, celles de l’homme nouveau que nous sommes devenus, dès le moment où nous participons au Royaume.

Le Christ fréquentait habituellement cet endroit du Temple. Ainsi, un jour, Il était assis « en face du trésor » (Mc. 12 ; 41 – 44 // Lc. 21 ; 1 - 4). Il y vit la veuve qui jeta dans le tronc deux petites pièces. Dans son omniscience, Le Christ savait qu'elle avait jeté dans le tronc « de son indigence, tout ce qu'elle avait, elle jeta toute sa vie » - ce qui est généralement traduit par « toute sa subsistance, tout ce qu'elle avait pour vivre ». Cette traduction est juste, bien sûr, mais elle affaiblit quelque peu le sens du texte, qui dit : « ebalen holon ton bion autès » (Mc. 12 ; 44). La veuve s'est réellement comportée « comme les oiseaux du ciel - comme les lys des champs qui ne peinent ni ne filent » (Lc. 12 ; 22 – 28 // Mt. 6 ; 30. En Lc 12 ; 24, les « oiseaux du ciel » de Mt. 6 ; 26 deviennent des « corbeaux » korakas, nettement moins sympathiques…). Les esprits chagrins objecteront qu’il s’agit là d’une incitation à l’irresponsabilité. Il ne s'agit pas de cela : le tout est de planter nos racines dans la Réalité céleste, ce qui ne nous empêche absolument pas d’opérer le travail que nous devons accomplir, pour répondre à nos responsabilités ici-bas - avec une nuance importante : ne pas y asservir notre cœur.

La veuve est assurément la personne la plus humble qui soit, dans cette société machiste du Moyen-Orient, où une femme qui était dépourvue d'une protection et d'un support masculins, connaissait un sort peu enviable, et n'avait pratiquement aucun statut social. La veuve observée par le Christ fait une toute petite offrande. Cela nous fait penser à la parabole des talents, et dans cette parabole, particulièrement au personnage qui n'a reçu qu'un seul talent (Lc. 19 ; 11 – 27 // Mt. 25 ; 14 – 30). Ce personnage n'est autre que nous-mêmes : où pouvons-nous nous situer, parmi les intervenants de la parabole des talents ? Ce serait de la présomption et de l'outrecuidance de prétendre que nous en avons reçu un grand nombre... Il est nettement plus réaliste et prudent d'affirmer que nous sommes celui qui n'a reçu qu'un seul talent.

La veuve de l'Évangile, quant à elle, n'a pas enterré son talent, mais l’a donnée au Trésor. Le Trésor n'est pas seulement le Christ, mais c'est aussi l'Esprit – tous deux « Paraclets », comme nous l'avons vu. Le propriétaire revenu d'un long voyage reprocha à celui auquel il avait donné un talent, de ne pas avoir donné ce dernier « à une banque » (Lc. 19 ; 23. epi trapezan – à la table…), de sorte que ce talent eût rapporté des intérêts - vu son incapacité à le faire fructifier lui-même, par ses propres forces. Le Seigneur s'intéresse-t-Il vraiment aux banques et au prêt à intérêt? L'exégèse patristique a tôt fait d'identifier la « banque » à l'Esprit-Saint : en confiant nos dons à l'Esprit-Saint, ceux-ci reviendront à Dieu avec les « intérêts » de la vie spirituelle qui aura été suscitée par l'Esprit. C'est bien ce que fit la veuve, avec ses piécettes.

Apparemment, le Seigneur ne s'intéresse ni aux banques ni aux impôts. Lorsque les collecteurs du didrachme pour le Temple s’adressèrent à Pierre (épisode que l’on ne trouve que dans Mt. 17 ; 24 – 27), Jésus résoud le problème du paiement de l'impôt d'une façon pour le moins curieuse, en demandant à Pierre d'aller chercher le montant dans la bouche du premier poisson capturé ! Tout comme pour les lys des champs, les esprits chagrins trouveront ici encore de quoi proférer une remarque amère : cette façon de payer ses impôts n'est pas à la portée de tout le monde... - Ce court passage de l'Évangile paraît bien mystérieux : il est étonnant que le Christ semble éviter la question par une sorte de pirouette d'un goût douteux.

En fait, nous sommes ici en présence d'un double symbolisme : le Christ a déjà répondu aux Juifs: « de signe, il ne sera donné (à cette génération mauvaise et adultère) que celui du prophète Jonas » (Mt. 12 ; 39 – aussi 16 ; 4 // Lc. 11 ; 29). Il n'y a pas d'autre signe que celui de la Résurrection. Le didrachme recraché par le poisson dans les mains de Pierre, figure tout d’abord Jonas sortant du poisson, puis le Christ ressuscitant, sortant du tombeau - le tombeau et la mortalité étant ce monstre des eaux primordiales.

La monnaie elle-même porte l'empreinte d'une figure humaine. La monnaie figure l’être humain, qui est lui-même de la matière qui a reçu l'empreinte de l'Image divine, le Verbe étant Lui-même « Empreinte du Père (« Empreinte de son hypostase » charaktèr tès hupostaseôs autou Hb. 1 ; 3.) ».

En ce qui concerne le didrachme du Temple, le Christ demande à Pierre si les rois de la terre collectent des taxes de leurs citoyens (des « fils ») ou des étrangers. Pierre répond : «des étrangers ». Le Christ affirme ensuite : « donc les fils sont libres ! » En demandant à Jésus et à Pierre le paiement de l'impôt du Temple, les collecteurs les ont considérés tous deux comme étant des étrangers. Le Christ en prend acte, et Il nous donne cette conclusion de grande importance : les Enfants du Royaume sont libres par rapport aux puissances de ce monde. Nous sommes libres ; ce n’est plus notre rôle de nous incliner devant les puissances politiques – sans pour autant « les scandaliser (Mt. 17 ; 26) ». En laissant agir la Présence divine en nous, nous faisons l’apprentissage de la liberté et nous serons susceptibles d’éveiller cette liberté en autrui, si notre appel suscite un accueil et une réponse chez notre interlocuteur.

Continuons à scruter le sens de l’épisode évangélique : en « jetant sa vie » dans le Trésor qu’est le Christ, la veuve mystique a pris la décision la plus judicieuse qui soit : faire le geste de donner plutôt que de prendre - c'est l'exact inverse du geste prédateur du Refus Originel, qui s'emparait du fruit de la création pour le détruire. La veuve qu'observait le Christ a fait encore bien plus que cela : elle a choisi de croire, c'est-à-dire qu'elle a fait preuve d'une confiance absolue en la réalisation de la Volonté divine à son égard, persuadée que cette Volonté divine ne peut être que bienfaisante. C’est l’admirable saut de la Foi – un changement qualitatif – qui rend possible la croissance de l’Esprit en nous.

Au trésor, le Christ témoigne de Lui-même, tout en ayant le témoignage du Père : « il y a Moi et Celui qui M’a envoyé » (Jn. 8 ; 16). En ce qui nous concerne, lorsque nous sommes mus par la Présence divine, notre témoignage est valable, du fait que nous aussi nous avons un Témoin dans le Ciel. Ce n'est pas seulement nous qui témoignons ! Nous pouvons dire tout à fait authentiquement, comme Job : « dès maintenant, j'ai dans les Cieux un Témoin » (Jb. 16 ; 19). À ce titre, nous sommes parfaitement habilités à témoigner de nous-mêmes, car derrière nous, se trouve le Paraclet.

Le monde est dirigé par l’impulsion du mimétisme : chacun s'efforçant de ressembler aux autres, tandis que la multitude condamne celui qui sort du rang. Par contre, nous sommes appelés à témoigner au nom du Paraclet qui anime en nous notre cœur. Nous sommes appelés à témoigner avec une grande force et une totale fermeté, car ce n'est pas dans le monde des apparences que se trouve notre source d'énergie et notre confiance. Nous sommes appelés, à notre tour, à « témoigner de nous-mêmes ».

Lorsque nous envisagions la Personne du Christ dans le cadre de la théologie trinitaire, nous avons constaté qu'il était inapproprié de parler d’« imitation du Christ », car en fait, le Christ a vécu son humanité autrement que nous. Maintenant, nous découvrons que, si nous nous mettons sur le plan du cœur, notre conclusion est tout autre : nous sommes appelés authentiquement à témoigner de nous-mêmes, précisément comme le fit le Christ.

Nous arrivons ainsi à la très importante conclusion que nous donne cette parole du Christ, qui était certes fort mystérieuse au départ : « Je témoigne de Moi-même ». La conclusion est celle-ci : l’imitation du Christ est possible et est indispensable, sur le plan du cœur. Autant cette notion d'imitation du Christ est inappropriée sur le plan trinitaire, autant elle est nécessaire sur le plan de ce que nous pourrions appeler la psychologie sacrée : celle du cœur.

L'objectif tracé initialement a-t-il été atteint ? ?

- Nous venons de voir que la désignation du Christ comme Pain de Vie fut ressentie comme une véritable provocation. Cette provocation met en évidence le mécanisme de la suggestion, et celui du ressouvenir, par lequel nous comprenons enfin ce que la suggestion nous avait préalablement montré ; pour pouvoir avoir une relation de mutuelle intégration avec la Présence divine, un retournement d'esprit est nécesssaire - ce qui est le sens véritable de la notion de conversion ;
- lorsque le Christ s'est transfiguré devant ses disciples, la changement s'est produit au niveau de la perception des apôtres, et nullement en la Personne du Christ. Le Père, en Se révélant aux êtres humains, le fait par le Fils et dans l'Esprit-Saint. Notre prière s'adresse au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit. Cette distinction est antinomique, en ce sens qu'elle ne peut être exclusive. Néanmoins, le caractère objectif de la manifestation par le Fils, et le caractère subjectif de la manifestation en l'Esprit peuvent être pour nous fertiles en enseignements - bien que, là aussi, cette distinction reste antinomique ;
- le "Trésor" du Temple nous donne d'intéressantes notions concernant le témoignage du Père en faveur du Fils. Nous avons vu en quelles conditions pouvons-nous parler d'imitation du Christ. Comme Lui, nous sommes appelés à témoigner de nous-mêmes.


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T. des Matières

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