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Le GPS et MolinaQuels sont les objectifs que nous nous proposons d'atteindre ?
Les deux dernières Études étaient passablement techniques... Maintenant, nous allons envisager ce que nous
pouvons retenir de la théorie de Molina ;
- avec le dixième Nom divin, nous nous interrogerons sur le concept de Vérité ;
- nous nous demanderons quelle est la nature de la Vie apportée par le Christ ;
- le Christ s'identifiant à la Vigne véritable, nous explorerons la typologie de la Vigne, dans les Écritures ;
- enfin, avec le douzième Nom divin, affirmant l'Unité du Père et du Fils, nous dégagerons quelques principes
fondamentaux concernant la vie spirituelle.
Aucune des théories de la liberté que nous avons présentées ne trouve grâce à nos yeux, sauf celle de Molina,
avec son concept de science moyenne. La «science moyenne» est-elle la Vérité ultime, en ce qui concerne la
liberté humaine ?
Eh bien, voici venu le moment de retourner à notre point de départ, qui est la parole
du Christ : JE SUIS le Chemin, la Vérité et la Vie (Jn. 14 ; 6).
Rappelons-nous la théorie de Molina : à chaque instant de notre vie, nous exerçons notre liberté en opérant des choix.
À chaque instant donc, nous choisissons entre telle ou telle voie, prenant telle ou telle décision. Après avoir pris l'une
des deux voies possibles, nous nous trouvons devant le choix suivant. L'ensemble de tous ces choix possibles constitue une
immense arborescence dont le dessin existe de toute éternité dans la Sagesse divine. Le fait que nous prenions l'un ou
l'autre chemin n'influe nullement sur ce dessin d'ensemble, et par conséquent n'apporte aucun changement dans la prescience
divine. Nous ne faisons que parcourir des chemins déjà tracés, même si notre liberté est entière. Cette vision des choses
permet à la fois de préserver l'intégralité de notre liberté de créature, et l'immuabilité de l'omniscience parfaite
de Dieu.
Le seul inconvénient de cette théorie, c'est qu'elle ne figure ni dans les Écritures, ni parmi les
écrits des Pères. Cet argument n'est pas décisif, car il s'agit d'un argument d'autorité, le plus faible de tous. En fait,
l'absence de cette solution dans la Tradition de l'Église est le signe d'une difficulté plus profonde : la théorie de
Molina respecte le schéma cause-effet. Dans notre espace-temps, chaque effet est précédé et suscité par une cause.
De toute évidence, la cause est antérieure à l'effet, et ce dernier est, en quelque sorte, « poussé » par sa cause.
Ces causes qui engendrent des effets, effets qui deviennent causes à leur tour, respectent l'écoulement du temps, qui
dans notre dimension s'écoule du passé vers le futur. C'est bien comme cela que les choses se passent dans notre monde.
Mais ce n'est pas du tout comme cela que les choses se passent dans le Royaume... Dans le Royaume, nous ne sommes plus
assujettis à l'entropie, qui est caractéristique de notre espace-temps d'ici-bas. Dans le Royaume, tout est « centré »
sur le Dieu en Trois Personnes : au milieu de la Jérusalem céleste, se trouve le Trône de Dieu et de l’Agneau
- le Père et le Fils - et de ce Trône jaillit le Fleuve de Vie – l’Esprit (Apoc. 22; 1-3). C’est le règne de l’Unité ;
il n’y a ni ombre, ni pesanteur, ni opacité – rien de ce qui peut résulter d’une division. Cette Unité façonne aussi un
temps caractéristique du Royaume, où il ne peut exister aucune séparation entre les instants. Ce temps du Royaume est
unitaire : le Créateur et les hôtes du Royaume jouissent d’une vue « panoramique » sur l’ensemble de la temporalité,
ayant un accès immédiat à tous les instants du passé et du futur. Il s’agit d’un « présent permanent » qu’il nous est
impossible d’imaginer, nous qui sommes captifs de notre espace-temps.
Lorsque le Royaume « perce » les apparences de notre espace-temps - dans les œuvres de la vie spirituelle - la temporalité
du Royaume vient influencer notre temporalité, en inversant la relation cause - effet. Dans le monde de l’entropie
qui est le nôtre, la cause produit un effet, allant du passé vers le futur : l’effet est poussé par la cause.
L’effet est toujours en aval de la cause qui le produit. - Lorsque nous sommes en présence des Énergies divines,
l’effet se produit en étant attiré par la cause, qui elle-même se situe à la Fin des Temps. La relation cause
- effet se produit en allant de l’avenir vers le passé, très paradoxalement à nos yeux. Tout est attiré par le Christ
qui vient. De même que la limaille de fer s'oriente suivant le champ magnétique dans lequel elle est incluse, les
événements s'orientent vers le but pour lequel ils sont destinés. C’est le sens du « Maranatha » (I Co. 16 ; 22),
ce cri poussé par les premiers Chrétiens : « Viens, Seigneur Jésus » (Apoc. 22; 20).
Le rationalisme interprète l'aspiration des Premiers Chrétiens à la venue de la Fin des Temps, comme une erreur
naïve commise par des gens qui s'imaginaient que le Christ allait revenir tout de suite, gens qui ne pouvait penser
que l'Histoire durât si longtemps. Certes Saint Paul, dans son épître aux Thessaloniciens, était persuadé que la
Fin des Temps allait survenir de son vivant. Certains indices prévenaient pourtant que l'Histoire humaine allait être
longue. Dans la parabole des vignerons homicides, l’évangéliste Luc nous dit : « un homme planta une vigne,
puis il la loua à des vignerons et partit à l'étranger pour longtemps » (Lc. 20 ; 9. Matthieu (21 ; 33) et
Marc (12; 1) disent seulement : « il partit pour l'étranger ».). Matthieu, dans la parabole des
talents, nous dit que l’homme parti en voyage après avoir donné les « talents » aux serviteurs, revient
« après un long délai » (Mt. 25 ; 19). Une lecture attentive des paraboles aurait prévenu l'idée que le Christ que
le Christ eût pu revenir presque immédiatement.
L'attente des chrétiens des premiers temps était d'une tout autre nature qu'une simple erreur chronologique.
C'était la conscience du fait qu'ils étaient aspirés par le but, qui est la divinisation. Les gens qui se retiraient
dans les déserts, au IVème siècle, le faisaient pour anticiper la venue du Christ. Le prophétisme monastique est
une anticipation enthousiaste de la fin des temps. D'ailleurs, la perception de la fin des temps comme étant une
catastrophe, est une vision des choses tout-à-fait païenne. Le Chrétien, loin de s’affliger, ne peut que se réjouir
de rencontrer enfin le Christ son Dieu et de voir se dissiper le décor trompeur des apparences.
Les Énergies divines pénètrent au plus profond de nous et, après avoir atteint le fond même de notre être, remontent
en quelque sorte à la surface de notre psyché, puis nous entraînent vers le Dieu trinitaire (Ces notions « spatiales » sont
à prendre de façon figurative). Ces Énergies « ascensionnelles » éveillent au fond de notre cœur une suggestion,
à chaque fois que nous devons opérer un choix, en exerçant notre liberté.
Pour exprimer cela, nous allons prendre l'exemple d'une invention contemporaine fort pratique : le GPS. Lorsque nous
circulons en voiture et que nous nous trouvons devant une intersection, cet appareil nous suggère de tourner à droite
par exemple, selon la destination finale que nous y avons préalablement programmée. Nous sommes parfaitement libres
de tourner à droite ou à gauche ; si nous tournons à gauche, nous n'allons pas dans la direction qui nous mène le plus
directement au but. Après nous être trompés, l'appareil recalcule le trajet, et nous accordera une autre suggestion,
à la prochaine intersection. Cet appareil calcule le trajet suivant un but assigné.
En ce qui concerne les Énergies divines, le but n'est autre que notre union avec Dieu. À chaque fois que nous opérons
un choix, en tant que créature libre, nous avons la pleine liberté d'écouter ou non la suggestion créatrice qui est
murmurée à notre cœur. Si nous n'écoutons pas cette suggestion créatrice, nous n'allons pas dans le sens qui nous mène à
la communion avec Dieu. En faisant cela, nos faisons un péché, dans le sens étymologique du terme : « manquer la cible ».
Il ne s'agit pas d'un manquement moral, c'est-à-dire du fait de ne pas avoir observé une loi. Le péché consiste dans le fait
de se diriger dans une direction erronée. - Par contre, si nous écoutons la suggestion créatrice, nous nous approchons de
Dieu, dans le cheminement de notre vie. Le surconscient nous indique le chemin suggestivement, en fonction du but pour
lequel nous avons été créés, qui est le fait d'arriver à une parfaite connaissance et à un parfait amour de Dieu.
Nous voyons bien la différence qui existe entre l'arborescence des possibles de Molina, et la suggestion créatrice
du surconscient. Dans le système de Molina, la relation cause-effet est respectée. Tout se déroule du passé vers le futur.
L'ensemble des « futuribles » constitue des milliards de chemins possibles. Cela n'a rien à voir avec la seule et unique
Voie, qui est le Christ. Dans le système de Molina, il n'y a pas une Voie, il y en existe des milliards... Cette Voie
n’est pas la Personne du Christ, mais l’ensemble des futuribles.
Par contre, la suggestion créatrice du surconscient se déroule au rebours de la temporalité de notre monde
déchu. Lors de chacune de nos décisions, en tant que créature libre, notre choix éveille un écho, qui est la suggestion
créatrice du surconscient. Celle-ci provient immédiatement du futur, qui est à proprement parler la Fin des Temps
- la réalisation de toutes choses dans le Christ Pantokrator. Il ne s'agit pas d'obéir à quelque règlement que ce soit ;
il s'agit d'épouser volontairement et joyeusement la suggestion que Dieu - par le surconscient - fait jaillir au
fond de notre âme. Ce faisant, nous collaborons authentiquement à l'œuvre divine. Notre action est en synergie avec
la Volonté divine. En ce cas, nous sommes en présence de deux volontés parfaitement accordées : la nôtre et celle
du Christ.
C'est la réalisation de ce qui existe comme modèle dans la personne même du Christ : deux volontés - la volonté humaine
et la Volonté divine agissant en complète synergie. Les Énergies sont Dieu même, en tant que Rayonnant. La Voie
qui nous est présentée par le surconscient, est constituée des Énergies divines, les Énergies trinitaires qui visent
à nous faire vivre avec le Père, avec le Fils, avec le Saint-Esprit, selon le schéma ascendant que
nous avons déjà observé. La Voie n’est donc nullement étrangère à Dieu, elle est Dieu même en tant que Rayonnant,
et elle communique plus particulièrement les deux hypostases manifestatrices que sont le Fils et l’Esprit.
C’est
donc en toute vérité que le Christ peut dire : « JE SUIS la Voie », car la Voie n’est ni une chose, ni un concept
philosophique, ni un commandement : c’est une Personne. Et cette Voie est unique.
Cette vision est inaccessible pour ce christianisme qui a adopté le Dieu des philosophes. Les Énergies sont une contradiction
dans les termes, selon une pensée rationaliste : une Essence divine inaccessible et des Énergies participables, susciteraient
une division dans le concept unitaire de Dieu. Le Dieu incréé ne peut s'extérioriser que par des dons qui lui sont extérieurs,
des dons créés. Celui qui reçoit ces dons créés, ces grâces, est toujours maintenu à l'extérieur de Dieu. Si Dieu se
résume à l'Être philosophique, la voie qui mène à Lui ne saurait être que celle des commandements. Que Dieu lui-même soit
la Voie, que cette Voie soit une Personne, voilà qui correspondrait difficilement à un concept philosophique.
Enfin,
en aucun cas, un être fini ne peut prétendre collaborer avec la Divinité, qui est infinie et absolue. Il n'y a rien de
commun entre eux. Entre Dieu et sa créature, le rationalisme constate un divorce absolu, en attendant de déclarer
la mort de Dieu lui-même.
C’est le dixième Nom divin.
Qu’est-ce que la Vérité ? C’est la question que Pilate posa à Jésus (Jn, 18 ; 38). Sans même se préoccuper d’entendre la
réponse, Pilate « sortit de nouveau et alla vers les Juifs ». Jésus resta silencieux : ce n’était pas la bonne question…
Si Pilate avait posé la question : « QUI est la Vérité ? », Jésus lui aurait donné la réponse qu’Il avait accordée
à l’aveugle-né : « tu L’as vu, c’est Celui qui te parle » (Jn, 9 ; 36). L’aveugle-né était allé à la fontaine de Siloé,
et avait recouvré la vue. Par contre, Pilate se lava les mains, en prétendant se décharger de sa responsabilité
pour la mort du Juste (Mt, 27 ; 24).
Philosophiquement, la vérité est la conformité de ce que l’on dit avec ce qui est.
La Vérité dont parle le Christ
n’est pas de cet ordre : nous sommes « vrais » lorsque nous adhérons au Christ, lorsque nous sommes illuminés par
l’Esprit. Comme le dit saint Paul, dans l’épître aux Éphésiens ; nous avons été instruits « selon la Vérité qui est
en Jésus » ; cette instruction consiste en le fait de se débarrasser du vieil homme, qui est en proie à la
corruption, et de « revêtir l’homme nouveau, créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité »
(Ephésiens 4 ; 22- 24) - c'est-à-dire de passer de l'ancienne dimension à la nouvelle - de nous dépouiller de ce qui
appartient au monde qui est en proie à l'entropie, afin de nous revêtir de toutes les caractéristiques des propriétés
du Royaume qui est totalement cohérent et donc appartient pleinement à la vérité. Inversement, le prince des ténèbres
est menteur et père du mensonge (Jn, 8 ; 44). Si l’on est disciple du Prince des Ténèbres, on a « comme père le Diable »,
et ce sont les désirs de ce père que l’on veut accomplir. Ainsi donc, la Vérité évangélique ne se réduit pas à n’être
qu’un concept ; la Vérité consiste au fait d’adhérer à une Personne, celle du Christ.
Qu’en est-il de la Vie ? C’est l’un des Noms du Christ, puisqu’Il dit Lui-même : JE SUIS la Vie.
Nous vivons dans
un monde sécularisé. Même dans les milieux chrétiens, bien souvent, la vie est simplement comprise comme étant la
vie biologique, l’existence humaine que nous vivons ici et maintenant. Nous entendons affirmer ceci : cette vie en
plénitude ne se situe pas après la mort, mais elle est un don offert ici et maintenant, dans la rencontre avec Jésus.
Dans cette perspective, la Résurrection du Christ est une allégorie, et n’est que cela : les échecs que nous vivons dans
notre existence sont autant de « morts », et lorsque nous trouvons les ressources intérieures pour triompher de ces
échecs, il s’agit d’autant de « résurrections ». L’enseignement du Christ se bornerait à nous montrer comment négocier
ces passages difficiles de la vie, comment passer par-dessus les embûches de l’existence.
Si la vie apportée par le Christ n’est autre que la vie humaine dans son aspect biologique et culturel, il n’y a rien
d’étonnant à ce que les questions relatives à la reproduction humaine se présentent à l’avant-plan de l’enseignement des
diverses dénominations chrétiennes. Lorsque nous écoutons les discours et propos de diverses Églises, nous nous posons
la question : « faut-il nécessairement ne parler que de cela ; le message du christianisme ne serait-il constitué que
d'interdits et de prescriptions concernant la sexualité ? » Dans l'une ou l'autre Église, les gens sont tout prêts à
faire un schisme pour la question de savoir si l'on accepte ou non des homosexuels dans un ministère ordonné, alors
que dans la même Église un prêtre ou un pasteur peut afficher ouvertement son incroyance concernant la divinité du
Christ ou la résurrection, dans l'indifférence générale. Cela montre que les points les plus fondamentaux de la doctrine
chrétienne sont, dans ce type d'Église, complètement oubliés, au profit d'une problématique qui ne s'intéresse qu'à des
questions purement sociales et culturelles. Dans ce cas, une Église qui a perdu le centre et le sens même de son message,
ne peut que disparaître, à moyen terme.
Il faut affirmer haut et fort que la Vie annoncée par le Christ est entièrement distincte de la vie biologique,
soumise à la corruption et à la mort - vie biologique qui est la nôtre dans ce monde résultant du Refus Originel.
Ce qu'annonce le Christ, c’est la venue d'une Vie qui dépasse totalement la finitude et la corruption que nous
connaissons, c’est le don de la Vie donnée par le Père, Vie immortelle et infinie. Saint Irénée synthétise ceci de façon
saisissante :
En ce qui concerne Dieu :
- Vu autrefois par l'entremise de l'Esprit selon le mode prophétique,
- puis vu par l'entremise du Fils selon l'adoption,
- Il sera vu encore dans le Royaume des cieux selon la paternité.
En ce qui concerne l’être humain :
- l'Esprit préparant d'avance l'homme pour le fils de Dieu,
- le Fils le conduisant au Père,
- et le Père lui donnant l’incorruptibilité et la Vie éternelle,
qui résulte de la vue de Dieu pour ceux qui le voient.
Saint Irénée. Adv. Haer. IV. 20, 5. Cerf 1984. p. 472.
Ensuite saint Irénée cite le texte du Deutéronome : « en ce jour, nous verrons que Dieu parlera à l’homme et qu’il vivra » : Connaître et voir Dieu, c’est vivre.
Dt. 5 ; 24. Trad. Jérusalem : « nous avons constaté aujourd’hui que Dieu peut parler à l’homme, et l’homme rester en vie » - le texte hébreu est nettement moins explicite ; la LXX est ici une prophétie de la manifestation du Christ.
C’est le onzième Nom divin :
JE SUIS la Vigne véritable, et mon Père est le Vigneron
Jn. 15 ; 1.
Voici venu le moment de parler de la vie spirituelle... Il faut vraiment une bonne dose de
prétention – pour ne pas dire de fatuité ! - pour prétendre traiter de ce domaine, qui est le plus intime qui soit
et qui échappe presque entièrement à l'emprise des mots. Nous venons de voir à quel point les notions philosophiques
ne suffisent pas à rendre compte de la réalité divine. C'est également le cas, en ce qui concerne la vie spirituelle.
Il serait possible de présenter ce vaste domaine de façon scolaire : tout d'abord, présenter la « voie purgative » où
il s'agit d'acquérir les vertus et de renoncer aux passions et aux vices. Ensuite, vient la « voie illuminative », où
l’on traite des diverses formes de prière, et enfin la « voie unitive », où l’on disserte sur l’extase et l’union à
Dieu, comme si l’on en revenait à l’instant… - C’est une lecture passablement décourageante, car, à mesure que l'on
progresse au fur des centaines de pages qui décrivent la « voie purgative », on parcourt l'énumération des innombrables
vertus à acquérir, et l'on écoute l'auteur décrire avec complaisance les très nombreux pièges où, immanquablement,
on tombera. Il est bien évident que jamais l'on n’arrivera à la « voie unitive ». Suivant ces descriptions, nous en
resterons toujours aux premiers éléments du combat contre les passions ; nous en resterons toujours au stade de la nuit
et de l'obscurité.
La plupart du temps, cette littérature obtient comme résultat le fait de nous décourager d'entreprendre le parcours
de la voie spirituelle. La présentation scolaire de la vie spirituelle est semblable à une méthode de musique qui vous
ferait apprendre à fond la note « Do », avant d'entreprendre l'étude de la note « Ré ». Il est peu probable que l'on
parvienne jamais à jouer un morceau de musique... L'ensemble des éléments qui concourent à l'édification de la vie
spirituelle peut être comparé aux notes du clavier d'un instrument de musique : chacune d'entre elle doit être
employée à tout moment du concert.
Quel rapport existe-t-il avec la « Vigne », et la vie spirituelle ? Nous avons vu que les Énergies divines « descendent »
en quelque sorte du Dieu Père, par le Fils, dans l’Esprit, pour pénétrer au plus profond de notre psyché.
Une fois parvenues à l'ultime profondeur de notre être, elles « rebondissent » sur ce fond, et « remontent » vers
le Dieu Père et Fils et Saint Esprit, dans le cadre du surconscient. En passant au niveau de notre
conscient, le « surconscient » présente une suggestion à notre conscient, à chaque fois que lui est présenté un
choix existentiel.
Ce processus est indépendant de notre niveau de maturité spirituelle. Que nous soyons à la recherche de l'univers
spirituel ou que nous y soyons indifférents, le surconscient nous présente des suggestions à chaque instant de notre
existence. Étant des créatures libres, nous pouvons tenir compte ou ignorer ces suggestions. Le surconscient est
discret dans son action suggestive, car le Créateur veut avant toute chose, respecter notre liberté. La suggestion
du surconscient ressemblera à une humble source d'eau cristalline, dans le sous-bois. Elle existe ; l'eau sourd entre
les cailloux ; elle peut abreuver le voyageur assoiffé. Mais le voyageur peut tout aussi bien passer à côté de
la source, en faisant mine de ne pas l'apercevoir.
Si le processus du surconscient est indépendant de notre état de développement spirituel, où se porte l'influence
de notre vie spirituelle ? Nous avons décrit le long cortège des femmes stériles de l'Ancien Testament, qui ont vu
leur stérilité laisser place à la fécondité, après l'annonce d'un ange, pour engendrer un prophète. Nous avons
compris qu'il s'agissait là d'une indication symbolique décrivant la stérilité de ce monde qui est le résultat
du Refus Originel, pour passer à la fécondité du Royaume : la stérilité de la dimension de la chute laisse place à
la plénitude de la Vie qui imprègne le Royaume. C'est un point de vue cosmique.
Passant du point de vue cosmique au point de vue personnel, ce passage de la stérilité à la fécondité se reflète
dans notre vie personnelle. Car il se passe quelque chose, lorsque les Énergies divines « rebondissent » dans
les abyssales profondeurs de notre psyché. Initialement, ces profondeurs sont stériles. Mais, si nous nous ouvrons aux
Énergies divines, il se passe quelque chose de prodigieusement important : notre terre stérile et caillouteuse devient
un humus favorable à la Vie.
Il y a la vraie Vigne, qui est le Christ. Et il y a la fausse vigne, dont les raisins « sont vénéneux,
leurs grappes sont empoisonnées, leur vin est un venin de serpent, un violent poison de vipère » (Dt. 32 ; 32 – 33).
La vraie Vigne qui pousse dans le Royaume est abondante, comme cette grappe géante du Val d’Eshkol, que rapportèrent
les éclaireurs envoyés par Moïse en Terre Promise – grappe qu’il fallait être deux pour la porter sur une perche (Nb. 13 ; 23).
La fausse vigne encourt cette exclamation de Jérémie : « je t’avais plantée comme un cep de choix, une bouture
d’authentique provenance. Comment as-tu dégénéré en vigne inconnue, aux fruits infects ? » (Jér. 2 ; 21). C’est la vigne
hors de laquelle fut jeté le fils de l’homme (Mt. 21 ; 39), Jésus qui fut tué hors des murailles de Jérusalem.
Sur la croix, Jésus ne voulut pas goûter du vinaigre produit par cette « vigne aux fruits infects », ce « vin mêlé
de fiel » (Mt. 17 ; 34). C’est la vigne vendangée par l’Ange qui tient la faucille aiguisée, vigne dont le moût est
versé dans la cuve de la colère de Dieu (Apoc. 14 ; 19 - 20). Par contre, lors de la Dernière Cène, le Christ dit à
ses Disciples que ce serait désormais dans le Royaume qu’Il partagerait avec eux le vin de la Vigne véritable
(Mt. 26 ; 29 // Mc. 14 ; 25 // Lc. 22 ; 18.).
La première vigne qui apparaît dans les Écritures, fut celle que planta Noé (Gn. 9 ; 18 – 27). Ne connaissant apparemment
pas les propriétés de son fruit, Noé s'enivra et se dénuda à l'intérieur de sa tente. Cham, l'un de ses trois fils, « vit la
nudité de son père est avertit ses deux frères au-dehors ». Ces deux frères recouvrirent d'un manteau leur père inanimé,
prenant grand soin de respecter sa personne. Une fois revenu à lui, Noé condamna son fils Cham, et donna le futur pouvoir
à ses deux fils Sem et Japhet.
Ce récit assez étrange a bien sûr été le prétexte d'innombrables plaisanteries du plus mauvais goût. Si on le comprend
littéralement, il s'agit de la justification a posteriori d'une préférence divine pour le peuple d'Israël, descendant de Sem,
lui-même ancêtre d'Abraham. Comme presque tout ce qui concerne le divin dans l'Ancien Testament, les décisions divines portent
le caractère d'un total arbitraire. Si l’on comprend le texte d'une telle façon, celui-ci vient s'ajouter à de très nombreux
épisodes qui trahissent le consternant primitivisme des mentalités de l'époque, qui dessinaient Dieu à leur image. Selon cette
perspective, le texte n’aurait d’autre valeur que de documenter l'archéologie des mentalités.
Et pourtant, de très nombreux textes appartenant à l'Ancien Testament ont une valeur considérable : celle d'être des prophéties
de la venue du Christ. En particulier, cet épisode de la vie de Moïse est une claire prophétie de la mort et de l'ensevelissement
du Christ. Le Christ, couché dans le tombeau, n’est faible qu'en apparence ; son sommeil est redoutable : « il s'est accroupi,
s'est couché comme un lion, comme une lionne : qui le ferait lever ? (...) Il lave son vêtement dans le vin, son habit dans le
sang des raisins » (Gn. 49 ; 9. Nb. 24 ; 9). Cette allusion à la Passion montre que le « lion accroupi » est bien la figure
du Christ. Il dort au tombeau, avec toute la puissance divine qui est la sienne. Descendu de la croix, le Christ est nu comme
Noé, en tant que nouvel Adam. Mais au tombeau, il est lié des bandelettes de sa condition humaine. Le Christ ne peut être
considéré par l’être humain que revêtu de son humanité. Sem, le fils de Noé, est l’ancêtre du peuple d’Israël, et donc de Marie,
qui donna au Christ le manteau de sa chair, tandis que Japhet est la figure de la gentilité, car son nom signifie « qu’il mette
au large » - la Révélation s’élargissant hors des limites du Peuple Élu.
Si Noé succomba à l’ivresse due à sa vigne, le Christ « s’endormant » transitoirement dans la mort, est Lui-même la Vigne.
Si nous nous ouvrons aux Énergies divines, le désert de notre cœur, la « terre » des profondeurs ultimes de notre psyché,
change de nature : d’un cailloutis désertique, cette terre spirituelle - notre cœur - devient une terre fertile et verdoyante.
Si nous nous fermons aux Énergies divines, notre profondeur intérieure est ce « sol pierreux » sur laquelle la semence de la
Parole divine se dessèche et meurt (Mc. 4 ; 6 // Mt. 13 ; 6 // Lc. 8 ; 6). Trop souvent, nous comprenons la « semence » comme
une parole verbale, et la croissance de cette parole, comme la compréhension intellectuelle d’un message et la mise en pratique
de commandements moraux. Sans exclure cette signification, il est bon d’élargir la perspective, en s’apercevant qu’il s’agit en
fait du changement de notre être le plus profond, de la métamorphose d’un cœur « minéral » en un être vivant et capable de
croissance. Notre cœur n’est donc plus un désert stérile, mais bien un « cep » sur lequel croît le sarment que nous sommes.
Ce sarment porte du fruit, tout comme le rameau d’Aaron déposé dans la Tente de l’Alliance : « des bourgeons avaient éclos,
des fleurs s’étaient épanouies et des amandes avaient mûri » (Nb. 17 ; 23).
Nous nous représentons fréquemment la vie spirituelle comme la recherche d'un contact avec quelqu'un qui est extérieur à nous,
comme une plante grimpante agite ses vrilles dans l'espoir de les enrouler autour d'un support éventuel. Or notre réalité
spirituelle est bien différente : le rameau de notre vie spirituelle grandit en plongeant ses racines dans le Christ qui
nous transmet la Vie divine, qu'Il tient du Père.
Il s'agit de passer d'un dieu extérieur - considéré comme un pouvoir qui domine et qui limite - à un Dieu
intérieur à nous-mêmes, et qui nous attend dans le plus secret et le plus profond de notre intimité.
Il s'agit de passer du dehors au dedans, de découvrir un Ciel intérieur à nous-mêmes, d'entrer en contact et en dialogue
permanent avec le Visage bien-aimé, imprimé dans nos coeurs.
Maurice Zundel. Ton Visage, ma Lumière. Ch. II. § 20. éd. Mame. 2015. p. 116 - 117.
« Mon Père est le vigneron ». Nous pouvons être troublés par ce que le texte dit du Père : s'il s'avère que le sarment ne donne
pas de fruit, le Père le coupe, et le sarment est ramassé et jeté au feu. Même le sarment qui porte du fruit est taillé par le
Père, afin qu'il en porte encore davantage : « tout sarment qui porte du fruit, Il l’émonde, pour qu’il en porte encore
plus » (Jn. 15 ; 1 – 3). Tout cela semble parler du Jugement dernier, en ce qui concerne le sarment stérile qui est coupé
et jeté au feu, tandis que le sarment qui est émondé alors même qu'il porte déjà du fruit, semble se référer aux épreuves de
l'existence. Le rôle donné au Père semble être purement négatif. Qui aimerait un tel Père ?
Si nous regardons le texte d’un peu plus près, ce n’est pas exactement cela qui est dit : « tout sarment en Moi (le Christ)
ne portant pas de fruit, Il (le Père) l’enlève ; et tout [sarment] portant du fruit, Il (le Père) le purifie, pour
qu’il porte plus de fruit. Vous êtes déjà purs, à cause de la Parole que Je vous ai dite. Demeurez en Moi, et Moi en vous ».
Le Père enlève, plutôt que de « couper » ; le Père purifie, plutôt que d’« émonder ».
L’image du Père qui coupe le sarment mort afin que ce dernier soit jeté au feu, ne cadre pas avec le récit du Jugement dernier,
où c’est le Christ - et non pas le Père - qui opère le Jugement, car « comme le Père dispose de la Vie (Il est la Source de la
Vie divine), ainsi a-t-Il donné au Fils d’en disposer Lui aussi, et Il (le Père) L’a constitué (le Fils) Souverain Juge parce
qu’il est Fils de l’Homme » (Jn. 5 ; 26 – 27). Matthieu nous montre la scène du Jugement Dernier, où le Fils de l’Homme « prendra
place sur son Trône de Gloire. Devant Lui seront rassemblées toutes les nations, et Il séparera les gens les uns d’avec les autres,
tout comme le berger sépare les brebis des boucs » (Mt. 25 ; 31 – 46). Ce n’est pas le Père qui détient cette fonction de Juge,
fonction qu’il délègue au Christ.
Le Père purifie le sarment qui porte du fruit, afin qu’il en porte davantage. Souvent, le traducteur désire que sa
traduction « colle » autant que possible à l’image donnée par la parabole. Il traduira donc le verbe « purifier » par « émonder »,
dans un louable souci d’exactitude. Lorsque nous observons une étrangeté dans le texte évangélique, c’est souvent l’indice
révélateur de l’existence d’un sens plus profond, qui demande à être découvert au creux du texte. En employant le verbe « émonder »,
le traducteur nivelle l’image du Père-Vigneron, dans un sens moraliste : il s’agirait dans ce cas, de retrancher nos vices
et nos défauts, pour que nous devenions moralement irréprochables.
La figure du sarment nous montre l’action des Trois Personnes divines, dans la trajectoire de notre croissance spirituelle :
le Christ est le Cep sur lequel pousse le « rameau » de notre être spirituel ; l’Esprit concerne tout ce qui croît et grandit ;
le Père veille sur notre croissance, en purifiant notre être spirituel de toute excroissance parasitaire. - C’est ici que nous
retrouvons l’arborescence de Molina : à chaque instant de notre existence, un choix se présente à notre liberté. À chaque instant,
la suggestion du surconscient nous incite à prendre le chemin qui concourt à notre croissance. Le Père veille à nos côtés, et taille
le rameau desséché, c’est-à-dire la voie qui n’a pas été empruntée et qui aurait mené à l’éloignement de Dieu. Le Père n’est donc
pas loin de nous : Jésus disait à Philippe que celui qui voit le Christ, voit le Père (Jn. 14 ; 9), et que celui qui écoute le Père et
en reçoit l’enseignement, vient au Christ (Jn. 6 ; 45). Le Père est tout près de nous et veille sur notre développement, ôtant
ce qui est mort et ce qui peut entraver notre croissance.
Le Père purifie. En quoi consiste cette purification ? Là aussi, nous voyons l’action des Trois Personnes divines :
l’auteur de l’épître aux Hébreux constate que les sacrifices sanglants de l’Ancienne Alliance « ne sont pas capables, en conscience,
de mener à l’accomplissement celui qui célèbre ce culte » (Hb. 9 ; 9). Par contre le Christ, « par son propre Sang, est entré une
fois pour toutes dans le Sanctuaire, ayant obtenu la libération éternelle (…). Combien plus [par rapport aux sacrifices de
l’Ancienne Alliance], le Sang du Christ qui par l’Esprit éternel Lui-même s’est offert sans tache à Dieu,
purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes, pour servir le Dieu vivant » (Hb. 9 ; 14.). Nous retrouvons ici
l’ensemble des éléments qui sont en jeu :
Tout d’abord, les trois Personnes trinitaires :
Le Christ est Celui qui passe d’un monde à un autre, et qui est seul à pouvoir le faire : Il « entre dans le Sanctuaire »,
passe de ce monde marqué par la stérilité, dans le Royaume irrigué par la Vie divine ;
Le Christ opère cela « par l’Esprit éternel » ; Fils et Esprit : nous retrouvons là les deux hypostases manifestatrices.
Le Christ, qui est pur, s’offre au Père, et ce faisant, nous purifie. Comment le fait-Il ? en enlevant de notre conscience
les œuvres mortes, incompatibles avec le Dieu vivant : le Père qui est source de toute Vie absolue, Vie indemne de toute finitude.
Le rameau de notre vie spirituelle pousse sur le Cep qu’est le Christ. Cette croissance est possible quand notre cœur a abandonné
la stérilité du monde du Refus Originel - pour se renouveler en étant greffé dans le Royaume, où règne la Vie divine et la fécondité
spirituelle.
La croissance de ce rameau se fait par l’Esprit. L’Esprit est la sève qui parcourt cet être nouveau, en pleine croissance. Nous sommes
dans un processus ascendant : du Cep qui est le Christ, nous croissons par l’Esprit, pour aller au Père, et ultimement
participer, dans un progrès toujours accélérant, à la Lumière et la Vie. Le Père n’est nullement une entité lointaine, pas plus
que l’Esprit : le Père veille sur notre croissance en enlevant ce qui peut nous rendre impurs, les œuvres mortes, c’est-à-dire
les pensées et les décisions qui peuvent nous mener dans une impasse, nous éloigner de la direction qui nous mène vers une plus
grande intimité divine.
Le Royaume n’est pas loin de nous. L’expression « le Royaume est proche ! » était sans doute comprise comme une proximité dans le
temps, au moment où cette parole était prononcée - et certes le Royaume est proche, puisque nous connaîtrons l’Au-delà dans peu de
temps, lors de notre passage de ce monde dans un autre. Mais prenons bien conscience que le Royaume est tout proche de nous, bien
plus proche que nous ne pouvons nous l’imaginer. Le Père également est proche de nous - ce Vigneron qui veille attentivement sur
le rameau de notre vie spirituelle, et qui le purifie constamment des excroissances parasites qui peuvent tenter de l’encombrer
ou de l’étouffer. Si nous nous lançons dans l’aventure spirituelle, très vite à nos yeux, c’est plutôt la réalité du monde qui
nous entoure qui nous apparaîtra comme étant problématique… Le Royaume quant à lui, est ferme et solide, tandis que le monde est
évanescent et passager. Dieu est fidèle comme un Rocher ; de ce Rocher s’écoule un breuvage spirituel, et ce Rocher nous accompagne…
I Co. 10 ; 4. Saint Paul fait allusion à une légende rabbinique.
C’est le douzième Nom divin (Jn. 10 ; 30).
IL ne possède pas les caractéristiques nous avons rencontrées pour les onze premiers : tout d'abord, en énonçant le
douzième Nom, nous ne suivons plus l’ordre du texte, comme nous l'avions fait pour les onze premiers. Et ensuite,
chose plus importante, nous ne rencontrons pas dans sa formulation, l'expression « JE SUIS », caractéristique de
l'énonciation des Noms divins.
Malgré tout cela, l'affirmation « Moi et mon Père, nous sommes UN » est par excellence,
la proclamation du Nom divin. Autant et davantage que toute autre formulation, « l’UN » convient à la Divinité
- nonobstant les réserves que nous avons émises, concernant la notion de « l’UN » philosophique. D'ailleurs,
les Juifs qui entouraient Jésus, qui prêchait dans le Temple, sous le portique de Salomon, ne s'y trompent pas
: dès que Jésus proclama cette parole scandaleuse, ils « apportèrent des pierres pour le lapider ». Ils savaient
bien ce que cette parole signifiait: « toi, qui n'es qu'un homme, tu te fais Dieu » (Jn. 10 ; 31, 33). « Je suis dans
le Père et le Père est en Moi » (Jn. 14 ; 11 et 20) : cette affirmation fait partie du message ultime que le Christ
adresse à ses Disciples, juste avant sa Passion. Inversement, « qui Me hait, hait aussi mon Père » (Jn. 15 ; 23), dit
le Christ ; ceux qui sont sur le point de supplicier le Fils de l’Homme « en arrivent là pour n’avoir connu ni le Père
ni Moi » (Jn. 16 ; 3). Ce sont autant de formulations du même Nom divin : « que tous soient Un, comme Toi, Père,
Tu es en Moi et Moi en Toi » (Jn. 17 ; 21 et 23).
L’affirmation solennelle de l’Unité du Père et du Fils est inséparable de cette autre parole du Christ : « soyez
parfaits comme votre Père céleste est parfait (Mt. 5 ; 48). Nous sommes conviés à nous unir à Dieu, devenant parfaits
de la perfection du Père, la vivant par le Fils et dans l’Esprit.
L’union avec Dieu ! Nous hésitions déjà devant le défi qu’était le fait de parler de la vie spirituelle - ce que le
Nom divin « JE SUIS la Vigne », nous engageait à entreprendre… Comment parler maintenant de l’union à Dieu ?
À ceux qui protestent, au nom d'un réalisme qui se contente de la médiocrité spirituelle, et disent : « moi, je ne
me suis jamais uni à Dieu, et je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui l’ait été » - à ceux-ci, nous avons déjà
signalé trois points importants :
- D'une part, il s'agit d'une question de langage : à part quelques rares exceptions, Dieu ne s'adresse pas à nous
en utilisant des mots humains, mais, la plupart du temps, Il le fait par des suggestions du surconscient.
- D'autre part, Dieu respecte notre liberté, qui est fondamentale et essentielle à ses yeux. En aucun cas, Il n'influe
sur nos choix, qui restent totalement libres.
- Et enfin, Il adapte son intervention à nos capacités à la recevoir : si nous désirons qu'une ampoule électrique
s’illumine, nous n'y envoyons pas 1 million de volts ! Nous adaptons le courant à la capacité de l'ampoule, afin
qu'elle éclaire. Sinon, le seul résultat que nous obtiendrons sera de faire éclater cette ampoule et de la carboniser…
Ceci étant dit, l’union à Dieu garde toujours un caractère incertain, impossible à prouver. Sans doute aimerait-on que
cela se présente comme dans ces tableaux baroques : on serait soulevé à trente centimètres au-dessus du sol, les bras
levés, les yeux exorbités, tandis que de se déploient des nuages chargés d'angelots et que descend du ciel un grand
rayon doré… La réalité est tout autre. Origène nous confie son expérience personnelle, en un passage de son
Commentaire sur le Cantique des Cantiques (que l’on peut dater d’avant 244) :
Souvent, Dieu m'en est témoin, j'ai senti que l'Époux s'approchait de moi, et qu'Il était autant
qu'il se peut avec moi. Puis Il s'en est allé soudain, et je n'ai pu trouver ce que je cherchais. De nouveau,
je me prends à désirer sa venue, et parfois Il revient ; et lorsqu'Il m'est apparu, que je Le tiens de mes mains,
voici qu'une fois de plus Il m'échappe et une fois évanoui, je me mets encore à Le rechercher. Il fait cela
fréquemment, jusqu'à ce que je Le tienne vraiment et que je monte appuyé sur mon Bien-Aimé.
Origène. Homélies sur le Cantique des Cantiques. Cerf 1996. Homélie I, §7. S.C. 37bis p. 95 – 97.
Avant d’aborder le texte du Cantique des Cantiques, résumons en quatre points les recommandations
que l’on peut suggérer à celui qui affirme n’avoir jamais approché Dieu ni l’univers spirituel :
1) D’abord, il s’agit d’admettre que cela existe. Si dès le départ, on n’y croit pas, il est bien certain qu’il ne
se passera rien. Neuf vaisseaux sur dix font naufrage en ce point, juste qu sortir du port, avant même d’avoir atteint
la haute mer… Admettre que la vie spirituelle existe, ne pas nier l’existence de son propre cœur, admettre qu’il existe
des mondes différents de celui des apparences, c’est déjà un grand point.
2) Ensuite, formuler sa question avec des mots, clairement, de façon ni contradictoire ni confuse, de façon positive,
en évitant toute formulation négative. Souvent, on se contente de velléités fumeuses, et l’on s’étonne de ne pas
en recevoir d’écho !
3) Être à l’écoute de son univers intérieur, faire silence en soi, afin de pouvoir distinguer entre ses propres
pensées et les significations qui viennent d’ailleurs. Cela signifie une vigilance persévérante, une attention
aux mouvements de son propre esprit. Pour cela, il est évident que nous prendrons soin de nous écarter, autant
que possible, du stress, de l’ambition du monde, du bruit ambiant et du vacarme de certaines formes musicales
agressives…
4) Et enfin, être prêt à recevoir l’information. Regarder les signes non verbaux autour de soi. Ne pas nier
l’information si elle ne correspond pas à ce à quoi l’on s’attend de prime abord, que ce soit au niveau du sens
ou concernant le support de l’information. Être attentif aux coïncidences : ne pas dire trop vite qu’« il ne s’agit
que d’une simple coïncidence… » Il est bon de tenir compte du fait que Dieu a de l’humour, et un humour souvent
décapant à notre égard ! N’écartons pas un signe parce que cela ne semble pas être sérieux, ou, plus probablement,
parce qu’il nous vexe en mettant à mal le prétentieux personnage que nous présentons en guise de masque à la
société des humains.
Et maintenant, en route, sur les chemins fleuris et parfumés du Cantique des Cantiques.
L'objectif tracé initialement a-t-il été atteint ? ?
Nous avons pris l'exemple du GPS, et constaté que le choix de trajet proposé par l'appareil n'empêche nullement l'exercice de notre liberté.
De plus, il établit la direction à prendre, en fonction du but. Dans la logique du Royaume, nous observons un renversement de
la Causalité, car toutes choses sont aspirées vers le but - le futur rejaillissant sur le passé. En tant qu'êtres
humains, nous visons à la synergie de notre volonté libre, avec la Volonté divine.
- Nous constatons qu'avec le Christ, la Vérité est une Personne.
- La Vie apportée par le Christ est distincte de la vie biologique. Elle dépasse totalement la finitude et la
corruption que nous connaissons dans notre existence terrestre.
- Les Écritures décrivent une bonne et une mauvaise vigne. L'ivresse est associée typologiquement à la
Passion du Christ.
- Nous avons dégagé quatre principes fondamentaux concernant la vie spirituelle : admettre que cette dimension existe ;
formuler positivement et verbalement ses intentions ; être à l'écoute de son univers intérieur ; être prêt
à recevoir l'information, quelle qu'elle soit, et quelle que soit sa forme.