Orthodoxie en Abitibi

Commentaire du Cantique des Cantiques - partie 1

Étude XVI : Commentaire du Cantique des Cantiques - partie I

- P. Georges Leroy -

Cliquer ci-dessous, pour vous retrouver aux points correspondants du texte :

Le Cantique de Salomon
De la Création à l'Ascension
Le lait et le vin
Les parfums
Noire, mais belle
Garder sa propre vigne
Se connaître soi-même
La figure de Salomon
Le lis et le pommier

Quels sont les objectifs que nous nous proposons d'atteindre ?

Le Cantique des Cantiques sera pour nous un canevas, sur lequel nous pourrons broder les motifs de la vie spirituelle.
Pour cela, deux Pères spirituels nous serviront de guides : Origène et Grégoire de Nysse.
Nous nous poserons les questions suivantes :
- le Cantique peut-il être autre chose qu'un chant d'amour profane ?
- quelle version du texte adoptons-nous, et pourquoi ?
- qu'est-ce que le lait, qu'est-ce que le vin, que sont les parfums, qu'est-ce que le fait de garder sa propre vigne, que signifie la figure de Salomon, qui sont les soixante preux, qu'est-ce que le lis, qu'est-ce que le pommier ?
Tels sont les symboles mystérieux que nous décryptons en cette première partie.

Le Cantique de Salomon

Après nous avoir confié le récit de son expérience spirituelle - aveu que nous venons de citer en fin de l'Étude précédente - Origène cite le Cantique des Cantiques :

Quelle est celle qui se lève, blanche comme l’aubépine, appuyée sur son Bien-aimé ?

Cant. 8 ; 5. Hb : « quelle est celle-ci qui monte du désert… »

Il est rare qu'un Père de l'Église nous donne ses impressions personnelles. Augustin se présente comme une exception, avec son discours qui s'exprime ardemment au nom de « moi, je ». Bien plus tard, nous retrouvons l'expression d'une expérience personnelle dans les œuvres de saint Siméon le Nouveau Théologien (949 - 1022).
Généralement, les Pères de l’Église s’expriment en un langage théologique d’un caractère impersonnel ou collectif. C'est ainsi qu'ils commentent généralement le Cantique des Cantiques comme traitant de la relation entre l'Église et son Créateur. Mais nous, qui vivons au XXIème siècle, nous sommes d'abord et avant tout intéressés à ce qui nous arrive à nous, en tant qu'individus. C'est pourquoi, il nous est relativement difficile de faire notre miel avec les commentaires patristiques du Cantique des Cantiques.
Nous trouvons par contre chez Saint Jean de la Croix une compréhension du Cantique des Cantiques, comme traitant des relations entre l’âme et le Christ. Mais ici aussi, nous restons sur notre faim, car toute cette littérature mystique se borne à nous enseigner de rechercher les vertus et de fuir les vices, sous l’habillement de très nombreuses figures symboliques.
Cela ne nous éclaire pas particulièrement sur le sens réel du texte, dont nous sommes persuadés qu’il s’agit de bien davantage que d’un chant d’amour profane, qui aurait été inconsidérément inclus parmi les livres bibliques…

Pourquoi nous intéresser au Cantique des Cantiques ? Eh bien, puisque le moment est venu de parler de la vie spirituelle, il nous apparaît qu'il n'existe pas de meilleur canevas pour aborder ce thème - ô combien délicat et difficile à décrire avec des mots humains. Le texte du Cantique des Cantiques nous servira de guide, afin de ne pas nous égarer, sur le sentier étroit et peu connu, de la vie intérieure.

Le Cantique des Cantiques est un livre remarquable, dont la richesse de signification permet plusieurs niveaux d’interprétation :

- le premier est tout simplement le sens littéral : il s'agit d'un chant d'amour entre une femme et son amant. Salomon courtiserait la Sulamite, et celle-ci résisterait à ses avances, par fidélité à son amant, qui est nommé le « berger ». Saint Grégoire de Nysse, dans son commentaire du Cantique des Cantiques, s'objecte à une telle interprétation :

Vous qui avez passé, grâce à une vie pure, le manteau de lumière du Seigneur, comme Il l’a révélé lors de sa transfiguration survenue sur la montagne ; vous qui avez surtout revêtu notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même avec son saint vêtement et qui vous êtes transfiguré avec Lui, pour atteindre à l'impassibilité et la divinité ; vous tous, écoutez les mystères du Cantique des Cantiques. Entrez dans la chambre nuptiale, pure, en étant vêtus de blanc, car vos pensées sont claires et saines. Au contraire, si l'on raisonne en termes passionnés charnels, si l'on n'a pas endossé le vêtement de la conscience qui sied au mariage divin, on restera prisonnier de ses propres réflexions ; on ramènera ainsi les paroles innocentes du fiancé et de la fiancée à des passions bestiales et insensées ; empli de fantasmes honteux, on sera rejeté loin de ceux qui se réjouissent dans ces noces et, au lieu de la joie éprouvée dans la Chambre, on connaîtra des grincements de dents et des larmes.

Grégoire de Nysse. Le Cantique des Cantiques. Migne 1992. p. 40.

Nous pouvons nous poser la question suivante : est-ce que cela a du sens, de comprendre un texte au rebours de la signification évidente qu'il présente ? Ce refus de la signification littérale ne trahit-il pas un refus correspondant de tout ce qui est « chair » dans la nature humaine ? Ne s'agit-il pas du déguisement d'un platonisme implicite ? De toute évidence, le texte du Cantique des Cantiques est un chant d'amour humain : est-il vraiment nécessaire d'aller au-delà ?

Nombreux sont les livres de la Bible qui, de toute évidence, présentent un portrait de Dieu, qui est peu flatteur : de toute évidence, Dieu se comporte avec la créature humaine nouvellement créée, comme envers un animal qui vient manger les réserves dans le grenier : après que ce dernier ait perpétré ce qui lui était interdit, on le capture, et on libère cet animal qui ne comprend pas ce qui lui arrive, en territoire hostile, loin du grenier paradisiaque… C'est le portrait d'un Dieu-propriétaire, qui craint la concurrence de la créature humaine.

Ce même Dieu s'incline du haut des cieux pour constater le progrès du chantier de la tour de Babel ; craignant les entreprises hardies fomentées par la créature humaine, Il sème la zizanie parmi eux, montrant ainsi sa jalousie envers eux.

Ce même Dieu s'entend avec Satan pour comploter la perte du juste Job. Après la victoire du stoïcisme de ce dernier, Dieu écrase le juste Job par l'expression de sa puissance.

On pourrait continuer la liste des portraits peu flatteurs de Dieu, dans les Écritures…

Prenons une comparaison : dans les pyramides d'Égypte, les galeries les plus apparentes et les plus vastes mènent à un cul-de-sac, et sont parsemées de chausse-trappes et d'impasses. Ce sont des entrées trompeuses, qui sont faites pour égarer les bandits et des voleurs. De même, dans les Écritures, le plus souvent, le sens n'est pas accessible à une lecture cursive et superficielle. Il faut creuser les textes, et accorder une attention particulière aux passages qui ressemblent à des contresens. Le plus souvent, il est possible d'y discerner des indicatifs précieux qui ont été posés là par l'écrivain sacré, pour nous servir de clé afin d'accéder au sens véritable du texte.

Le Cantique des Cantiques comporte des énigmes et des étrangetés, qui nous permettront d’en saisir le sens caché. S’il fallait interpréter le Cantique comme étant exclusivement un chant d’amour profane, comment comprendre le fait que la Sulamite aspire à introduire son Bien-aimé « dans la maison de sa mère, dans la chambre de celle qui l’a conçue » ? (Cant. 4 ; 4 et 8 ; 2). Et plus encore, elle lui dit : « ô mon frère bien-aimé, que n'as-tu sucé les mamelles de ma mère ! » (Cant. 8 ; 1.) Voilà un bien étrange amour. Ce sont autant d’indices qui nous suggèrent que le sens est ailleurs.

- Un autre niveau d'interprétation voit dans ce texte la description des relations amoureuses existant entre Israël et son Dieu. Dans ce cas, les « jeunes filles » représentent les nations ; les « frères » de la Sulamite représentent les Chaldéens ; le « berger » est en fait le Seigneur, qui ramènera son peuple de l'exil, et Salomon est le roi messianique. Cette adaptation est parfaitement justifiable, mais dans ce cas, le texte se réduit à n'être qu'une allégorie historique.

- Le troisième niveau d'interprétation est, en quelque sorte, un calque du précédent : le texte serait une description des relations amoureuses existantes entre l'Église et le Christ. Là aussi, l'interprétation peut se justifier.

- Le quatrième niveau d'interprétation est personnaliste : le texte décrit, dans ce cas, les relations d'amour existant entre l’âme humaine et son Créateur.

En prenant comme trame une histoire d'amour, l'auteur sacré a voulu nous révéler une vérité bien plus fondamentale. En vérité, l'amour humain en lui-même est l'expérience existentielle par laquelle un grand nombre d'êtres humains peut éprouver un avant-goût de l'Absolu. Pour un grand nombre d'êtres humains, l'expérience d'amour est la seule expérience mystique qu'ils éprouveront, lors de leur passage sur cette terre. Symétriquement, il est permis de se demander si quelqu'un qui n'a éprouvé aucun amour humain profond, possède-t-il la capacité de faire l'expérience de l'amour divin ? Dans le meilleur des cas, l'expérience humaine de l'amour est la pédagogie existentielle de notre relation avec Dieu, pourvu que cette expérience uniquement humaine ne soit pas considérée comme étant un but en soi.

En écrivant le Cantique des Cantiques, l'auteur sacré s’est posé la question : « comment se fait-il que ma relation avec Dieu soit à la fois tout à fait réelle et évanescente ? L'amour que je ressens et que je vis avec Dieu est authentique, mais je ne puis Le saisir, ni Le retenir ».

C'est ce que nous ressentons et chantons, lors de la Divine Liturgie, après la Communion: « Donne nous de communier avec Toi d'une façon plus réelle encore au jour sans déclin de ton Royaume ». La Communion eucharistique que nous avons reçue est parfaitement réelle, comme il est dit dans la Liturgie de saint Basile : « T’ayant présenté le Signe qui correspond réellement au saint Corps et Sang de ton Christ». Et pourtant, il nous faut renouveler la réception de ce sacrement fondamental, et la Présence divine nous file toujours entre les doigts… Paradoxalement, dans l’Eucharistie, nous communions en plénitude à la Présence divine, mais nous ne pouvons nous contenter d’une seule Communion pour toute notre existence. Nous recevons cet amour divin, tout-à fait-authentiquement et réellement, et en même temps, nous sommes dans la nécessité de le recevoir toujours à nouveau, et de recommencer notre course vers le Créateur. Telle est notre destinée, et tel est le chemin que veut nous montrer le Cantique des Cantiques.

En abordant la lecture du Cantique, il est nécessaire pour la compréhension du texte, de distinguer qui dit quoi : à qui peuvent être attribués les énoncés du texte. Nous donnons ici le texte complet, en distinguant par des couleurs différentes, les paroles dites par :

- le chœur des filles de Jérusalem ;

- la Suamite ;

- Salomon et

- le frère bien-aimé.

Voici l'ensemble du texte, réparti en huit chapitres.
Le texte ci-dessous est la traduction française du texte de la Septante (habituellement identifié par l'abréviation LXX). La traduction en langue grecque des Écritures hébraïques fut faite sous le règne de Ptolémée II Philadelphe (309 - 246 av. J.C.), afin de répondre aux besoins de la communauté juive d'Alexandrie. L'appellation Septante vient du nombre des traducteurs qui y ont travaillé. Ce texte grec de l'Ancien Testament fut le texte des Écritures que les Apôtres tenaient en main, pour leur prédication. La très grande majorité des citations et des allusions à l'Ancien Testament qui se trouvent dans le texte du Nouveau Testament suivent le texte de la Septante. C'est le texte de la Septante qui est utilisé liturgiquement dans l'Église orthodoxe.

Le texte du Cantique provient de cette édition : La Sainte Bible. Traduction de l'Ancien Testament d'après la Septante, par P. Giguet. Tome III. Paris, Librairie Poussielgue Frères. 1872.


Le Cantique des Cantiques
- I -

1. Cantique des cantiques, qui est de Salomon.

Le chœur des filles de Jérusalem :
Qu'il me baise des baisers de sa bouche; car tes mamelles sont meilleures que le vin.
2. Et la senteur de tes parfums l'emporte sur tous les aromates; ton Nom est l'essence de parfum : voilà pourquoi les jeunes filles t'aiment.
3. Elles t'attirent, et à ta suite nous courons aux senteurs de tes parfums.

Aparté de la Sulamite :
Le roi m'a introduite dans sa chambre secrète ;

Le chœur (suite) :
nous tressaillirons, nous nous réjouirons en toi ; nous aimerons tes mamelles plus que le vin ; la droiture te chérit.

Adresse aux filles de Jérusalem :
4. Filles de Jérusalem, je suis noire, et je suis belle, comme les tentes de Cédar, comme les tentures de Salomon.
5. Ne me dédaignez pas, parce que je suis noire ; c'est que le soleil a altéré ma couleur. Les fils de ma mère se sont levés contre moi; ils m'avaient fait la gardienne des vignes, et ma propre vigne, je ne l'ai point gardée.
La Sulamite, au Berger :
6. Ô toi que mon âme a aimé, indique-moi où tu pais ton troupeau, où tu reposes à midi, de peur que peut-être je ne m'égare à la suite des troupeaux de tes compagnons.

Adresse, de la part de Salomon :
7. Ô toi, la plus belle des femmes, si tu ne te connais toi-même, suis les traces de mes troupeaux, et pais tes chevreaux près des tentes de mes pasteurs.

8. Ma bien-aimée, je t'ai comparée à mes cavales attelées aux chars de Pharaon.
9. Tes joues, elles sont belles comme la colombe, et ton cou, comme un collier.
10. Nous te ferons des ornements d'or émaillés d'argent (des ressemblances d’or et des piqûres d’argent).

La Sulamite pense à son frère bien-aimé.
11. Aussi longtemps que le roi a été à table, mon nard a répandu son parfum.
12. Mon frère bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe; il reposera entre mes mamelles.
13. Mon frère bien-aimé est pour moi une grappe en fleur dans la vigne d'Engaddi.

Adresse, de la part de Salomon :
14. Que tu es belle, ô ma bien-aimée, que tu es belle ! Tes yeux sont ceux d'une colombe. (parallèle à 4 ; 1)

La Sulamite pense à son frère bien-aimé.
15. Et toi, que tu es beau, mon frère bien-aimé ! que tu es charmant à l'ombre de notre couche !
16. Les solives de vos demeures sont de cèdre, et ses lambris de cyprès.

- II -

1. Je suis la fleur des champs et le lis des vallées.

Réflexion de Salomon :
2. Comme le lis des vallées au milieu des épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu des jeunes filles.

Vision du frère bien-aimé, de la part de la Sulamite.
3. Comme le pommier parmi les arbres de la forêt, ainsi est mon frère bien-aimé parmi les jeunes hommes. J'ai désiré son ombre, et je m'y suis assise, et son fruit est doux à mon palais.

Une parole du frère bien-aimé.
4. Introduisez-moi dans le cellier au vin ; faites-y venir ma bien-aimée.

Vision du frère bien-aimé (suite).
5. Soutenez-moi avec des parfums; entourez-moi de fruits, car je suis blessée d'amour.
6. Sa main gauche sera sous ma tête, et de sa droite il m'embrassera.

Première adresse aux filles de Jérusalem, de la part du frère bien-aimé.

7. Filles de Jérusalem, je vous adjure, par les puissances et les vertus de la campagne, n'éveillez pas, ne réveillez pas ma bien-aimée, qu'elle-même ne le désire.

Apparition du frère bien-aimé – scène matinale et printanière, dans la maison de la mère de la sulamite.
8. C'est la voix de mon bien-aimé; le voilà qui vient en bondissant sur les monts, en franchissant les collines.
9. Mon frère bien-aimé ressemble au chevreuil ou au jeune faon sur les montagnes de Béthel. Le voilà derrière notre mur; il se penche par la fenêtre, il regarde à travers le treillis.

Le frère bien-aimé s’adresse à la Sulamite.

10. Mon frère bien-aimé me parle, et me dit :

Lève-toi, ma bien-aimée; viens, ô ma belle, ô ma colombe.
11. Car voilà que l'hiver est passé; la pluie s'en est allée, elle est partie.
12. Les fleurs se montrent sur la terre; le temps de tailler est venu ; le roucoulement de la tourterelle s'en¬tend sur notre terre.
13. Les jeunes figues montrent leurs bourgeons; les vignes sont en fleur et donnent leur parfum. Lève-toi, ma bien-aimée; viens, ô ma belle, ô ma colombe. Viens,
14. Toi ma colombe, à l'abri sous les roches, dans le creux des murs. Montre-moi ton visage, que j'entende ta voix ; car ta voix est douce, et ton visage est plein de grâces.
15. Prenez les jeunes renards, qui ravagent les vignes, quand nos vignes sont en fleur.

16. Mon frère bien-aimé est à moi, et moi à lui ; et il fait paître son troupeau parmi les lis,
47. Jusqu'à ce que se lèvent les premières brises du jour et que les ténèbres se dissipent. Reviens, mon frère bien-aimé; accours comme le chevreuil ou le jeune faon sur les ravins des montagnes.

- III -

Scène nocturne : recherche et rencontre du bien-aimé, introduit dans la maison de la mère de la Sulamite :
1. Sur ma couche, la nuit, j'ai désiré celui qu'aime mon âme ; je l’ai cherché, je ne l'ai point trouvé ; je l'ai appelé, et il ne m'a pas écouté.
2. Je me lèverai donc; j'irai par la ville, les marchés, les places, et je chercherai celui qu'aime mon âme. Je l'ai cherché, et ne l'ai point trouvé.
3. Les gardiens m'ont rencontrée, en faisant la ronde dans la ville : N'avez-vous pas vu celui qu'aime mon âme ?
4. A peine éloignée d'eux, j'ai trouvé celui qu'aime mon âme ; je l'ai pris par la main, et ne l'ai point quitté que je ne l'eusse introduit dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui m'a conçue.

Deuxième adresse aux filles de Jérusalem, de la part du frère bien-aimé.

5. Filles de Jérusalem, je vous adjure par les puissances et les vertus des campagnes, n'éveillez pas, ne réveillez pas ma bien-aimée, qu'elle ne le désire.

Chant du chœur : arrivée de la Sulamite sur le trône de Salomon :
6. Qui est celle qui monte du désert, comme une colonne de fumée sortant de l'encens et de la myrrhe, et de toutes les poudres dont se composent les parfums ?
7. Voilà la couche de Salomon ; soixante vaillants des forts d'Israël sont rangés en cercle autour d'elle.
8. Tous exercés aux combats, ils ont l'épée au côté, pour en écarter les terreurs de la nuit.
9. Le roi Salomon s'est fait un lit de cèdres du Liban.
10. Les montants en sont d'argent, et le siège d'or; le marchepied est de porphyre, et l'intérieur est pavé de pierres précieuses, amour des filles de Jérusalem.
11. Filles de Sion, sortez, contemplez le roi Salomon avec la couronne que lui a posée sa mère le jour de son mariage, le jour de la joie de son cœur.

- IV -

Louange de Salomon :
1. Que tu es belle, ô ma bien-aimée! que tu es belle! Tes yeux sont ceux des colombes, (parallèle à 1 ; 14) sans parler de tes beautés cachées. Ta chevelure est comme la toison des troupeaux de chèvres qu'on voit en Galaad.
2. Tes dents sont comme la laine des brebis sortant du lavoir après la tonte; toutes ont deux petits, et nulle n'est stérile.
3. Tes lèvres sont comme un ruban écarlate, et ton langage est plein de grâce ; tes joues sont comme la peau de la grenade, sans parler de tes beautés cachées.
4. Ton cou est comme la tour de David, qu'il a bâtie pour être un arsenal ; mille boucliers y sont suspendus, et tous les dards des vaillants.
5. Tes deux mamelles sont comme deux faons jumeaux du chevreuil, paissant parmi tes lis,

Protestation intérieure de la Sulamite :
6. Jusqu'à ce que se lèvent les premières brises du jour, et que les ténèbres se dissipent. J'irai à la montagne de myrrhe et à la colline d'encens.

Louange de Salomon (suite) : 7. Tu es toute belle, ô ma bien-aimée ; et il n'est point de tache en toi.
8. Viens du Liban, mon épouse, viens du Liban; tu iras du puits du serment aux cimes de Sanir et d'Hermon, des antres des lions aux montagnes des panthères.
9. Tu m'as ravi mon cœur, ma sœur, mon épouse ; tu m’as ravi mon cœur d'un seul de tes regards, d'un seul des cheveux de ton cou.
10. Que tes mamelles sont belles, ma sœur, mon épouse ! tes mamelles sont plus précieuses que le vin ; et les senteurs de tes vêtements plus douces que tous les aromates.
11. De tes lèvres découlent des rayons de miel, ô mon épouse ; le miel et le lait sont sous ta langue, et l'odeur de tes vêtements est comme l'odeur de l'encens.
12. Ma sœur, mon épouse, est un jardin enclos; c'est un jardin enclos, une fontaine scellée.
13. Tes rejetons forment un jardin de grenades avec les fruits du noyer, des grappes en fleur et du nard,
14. Du nard et du safran, de la canne et du cinnamome, de tons les arbres du Liban, de la myrrhe, de l'aloès, et des parfums les plus exquis.
45. La fontaine de ce jardin est un puits d'eau vive, qui jaillit du Liban.

La Sulamite, à son Bien-Aimé :
46. Fuis d'ici, vent du nord; viens, vent du midi, souffle sur mon jardin, et que mes parfums en découlent.

- V -

1. Que mon frère bien-aimé descende en son jardin, qu'il mange de ses fruits.

Salomon :
Je suis entré dans mon jardin, ma sœur, mon épouse ; j'ai récolté ma myrrhe et mes parfums ; j'ai mangé mon pain avec un rayon de miel ; j'ai bu mon vin et mon lait. Mangez, ô mes amis ; buvez, mes frères, et enivrez-vous.

Extase ; la Sulamite entend la voix du Bien-Aimé :
2. Pour moi, je dors, et mon cœur veille. C'est la voix de mon frère bien-aimé; il heurte à la porte : Ouvre-moi, dit-il, ma bien-aimée, ma sœur, ma co¬lombe, ma parfaite; ma tête est pleine de rosée, et mes cheveux humides des gouttes de la nuit.
3. J'ai ôté ma tunique; comment la revêtirai-je? Je me suis lavé les pieds ; comment puis-je maintenant les salir ?
4. Mon frère bien-aimé a passé la main dans l'ouverture de la porte, et si près de mon bien-aimé mes entrailles ont tressailli.
5. Je me suis levée pour ouvrir à mon frère bien-aimé; mes mains ont distillé la myrrhe ; mes doigts ont rempli de myrrhe la poignée du verrou.
6. Et j'ai ouvert à mon frère bien-aimé, et mon frère bien-aimé n'était plus là; et mon âme était défaillante pendant qu'il parlait. Je l'ai cherché, et ne l'ai point trouvé ; je l'ai appelé, et il ne m'a point entendue.
7. Les gardes m'ont rencontrée, en faisant la ronde dans la ville; ils m'ont battue et meurtrie; les sentinelles des remparts m'ont dépouillée de mon manteau.
Adresse aux filles de Jérusalem :
8. Filles de Jérusalem, je vous adjure par les puissances et les vertus des campagnes, si vous avez trouvé mon frère bien-aimé, que lui dires-vous ? Dites-lui que je suis blessée d'amour.

Le chœur des jeunes filles :
9. Qu'est donc ton frère bien-aimé auprès d'un autre frère, ô toi belle entre toutes les femmes? qu'est ton frère bien-aimé auprès d'un autre frère, pour que tu nous adjures ainsi ?

Éloge du Bien-Aimé, dit devant les filles de Jérusalem :
10. Mon frère bien-aimé est blanc et rosé, choisi entre dix mille.
11. Sa tête est de l'or fin de Céphaz; ses cheveux sont souples, et noirs comme le corbeau.
12. Ses yeux sont comme ceux des colombes sur des étangs pleins d'eau, lavées dans le lait, se reposant sur les étangs.
13. Ses joues sont comme des vases d'aromates exhalant des parfums; ses lèvres sont des lis distillant la myrrhe la plus pure.
14. Ses mains sont gracieuses et d’or, et pleines de béryl ; sa poitrine est une tablette d'ivoire sur une pierre de saphir.
15. Ses jambes sont des colonnes de marbre posées sur des bases d'or; sa beauté est celle du Liban : elle excelle comme le cèdre.
16. Sa bouche est pleine de douceur, et fait naître les désirs; tel est mon frère bien-aimé, tel est mon ami, filles de Jérusalem.

Le chœur des jeunes filles :
17. Où est allé ton frère bien-aimé, ô toi belle entre toutes les femmes? Où ton frère bien-aimé s'est-il retiré ? et nous le chercherons avec toi.

- VI -

Fin de l’extase :
1. Mon frère bien-aimé est descendu dans son jardin parmi les roses d'aromates, pour paître son troupeau dans ses jardins, et y cueillir des lis.
2. Je suis à mon frère bien-aimé, et mon frère bien-aimé est à moi ; il fait paître son troupeau parmi les lis.

Seconde louange de Salomon :
3. Tu es belle, ô ma bien-aimée, comme la tendresse, gracieuse comme Jérusalem, terrible comme une armée en bataille.
4. Détourne de moi tes yeux, car ils m'ont transporté; ta chevelure est comme les troupeaux de chèvres que l'on voit en Galaad.
5. Tes dents sont comme la toison des brebis sortant du lavoir après la tonte, qui toutes ont deux petits, et dont nulle n'est stérile. Tes lèvres sont comme un ruban écarlate, et ton langage est plein de grâce.
6. Tes joues sont comme la peau de la grenade, sans parler de tes beautés cachées.
7. 11 y a soixante reines et quatre-vingts concubines, et des jeunes filles sans nombre.
8. Mais ma colombe, ma parfaite est unique; elle est l’unique de sa mère ; elle est l'élue de celle qui l’a enfantée. Les jeunes filles l'ont vue, et la déclarent heu¬reuse; les reines et les concubines la loueront.
9. Quelle est celle qui regarde dehors comme le ma¬tin; belle comme la lune, élue comme le soleil, terrible comme une armée en bataille ?
10. Je suis descendu au jardin des noyers, pour voir les fruits du vallon; si la vigne est en fleur, et si les grenades sont fleuries.
11. Là je te donnerai mes mamelles. Mon âme n'a rien su, et j'ai été comme emportée par les chars d'Aminadab.

Le chœur des jeunes filles :
12. Reviens, reviens, ma Sulamite ; reviens, reviens, et nous ne verrons que toi.

- VII -

Troisième louange de Salomon :
1. Que verrez-vous en la Sulamite, qui vient comme les rangs d'une armée? Fille de Nadab, que les sandales donnent de grâce à tes pas ! Les contours de tes jambes ressemblent à des colliers, chef-d'œuvre d'un artiste.
2. Ton nombril est comme un cratère fait au tour, où le vin ne manque jamais. Ta poitrine est comme un monceau de froment enveloppé de lis.
3. Tes deux mamelles sont comme les deux faons jumeaux d'un chevreuil.
4. Ton cou est comme une tour d'ivoire, tes yeux comme les étangs d'Hésebon, près des portes de la fille issue de beaucoup de peuples. Ton nez est comme la tour du Liban qui regarde Damas.
5. Ta tète est posée sur toi semblable au mont Carmel, et ta chevelure est comme de la pourpre; le roi est retenu dans tes galeries.
6. O ma bien-aimée, que de grâce, que de suavité en tes délices !
7. Ta stature est celle d'un palmier; tes mamelles sont comme des grappes de raisin.
8. J'ai dit : le monterai au palmier; j'atteindrai à son faîte, et tes mamelles seront comme les grappes de la vigne, l'odeur de tes narines comme celle des pommes,
9. Et ton gosier comme un bon vin.

(Épouse) Qu'aime mon frère bien-aimé,

(Époux) et qui plaît à mes dents et à mes lèvres.

Le vin est attribué au Bien-Aimé :
10. Je suis à mon frère bien-aimé, et son regard est tourné vers moi.
11. Viens, mon frère bien-aimé, allons aux champs, dormons dans les bourgades.
12. Levons-nous dès l'aurore pour aller aux vignes; voyons si le raisin est en fleur, si les graines sont en fleur, si les grenades fleurissent : c’est là que je te donnerai mes mamelles.
13. Les mandragores ont donné leur senteur, et, au seuil de nos portes, tous les fruits verts et mûrs, ô mon frère bien-aimé, je les ai gardés pour toi.

- VIII -

1. Ô mon frère bien-aimé, que n'as-tu sucé les mamelles de ma mère ! Si je te trouve dehors, je te baiserai, et nul ne me méprisera.
2. Je te prendrai par la main, je t'introduirai dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui m’a conçu. Je te ferai boire du vin parfumé, et du jus de mes grenades.
3. Il posera sa main gauche sur ma tète, et, de la droite, il m'embrassera.

Troisième adresse aux filles de Jérusalem, de la part du frère bien-aimé.

4. Je vous adjure, filles de Jérusalem, par les vertus de la campagne, n'éveillez pas, ne réveillez pas ma bien-aimée qu'elle ne le désire.

Le chœur des jeunes filles :
5. Quelle est celle qui se lève blanche comme l'aubépine, appuyée sur son frère bien-aimé ?

Le berger :
Je t'ai réveillée sous un pommier ; c'est là que ta mère t'a enfantée; c'est là que t'a enfantée celle qui t'a conçu.
6. Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, et comme un sceau sur ton bras. Car l'amour est fort comme la mort, et la jalousie est cruelle comme l'enfer ; ses traits sont des traits de feu, ce sont ses flammes.
7. Des torrents d'eau ne pourront point éteindre l'amour, ni les fleuves le submerger. Si un homme donne toute sa vie par amour, les autres hommes auront pour lui le dernier mépris.

Les filles de Jérusalem :
8. Notre sœur est petite, et n'a point de mamelles; que ferons-nous pour notre sœur, le jour où je viendrai lui parler ?
9. Si elle est un mur, couronnons-la de créneaux d'argent ; si elle est une porte, incrustons-la de bois de cèdre.

10. Moi (l'épouse) je suis un mur, et mes mamelles sont comme des tours; et j'ai été à leurs yeux comme ayant trouvé la paix.

La vigne :
11. Salomon avait une vigne en Béelamon ; il a donné sa vigne à ceux qui la gardent; chacun rendra de ses fruits mille sicles d'argent.
12. Ma vigne est à moi ; elle est devant mes yeux ; que Salomon en ait mille sicles ; que ceux qui gardent ses fruits en aient deux cents.

13. Ô toi qui demeures dans les jardins, mes compagnes écoutent ta voix ; fais-la-moi entendre.
14. Fuis, mon frère bien-aimé ; et, rapide comme le chevreuil ou comme le faon de la biche, fuis dans les montagnes des parfums.

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De la Création à l'Ascension

1. Cantique des cantiques, qui est de Salomon.
Le chœur des filles de Jérusalem :
Qu'il me baise des baisers de sa bouche; car tes mamelles sont meilleures que le vin.

Le Cantique des Cantiques commence par un souhait remarquable : « qu'il me baise des baisers de sa bouche ». Et il se termine par la citation de la Sulamite (dont le nom signifie « la pacifiée » Shulammit. Ce nom apparaît dans le texte en 7 ; 1) envers le berger : « fuis, mon frère bien-aimé ; et, rapide comme le chevreuil ou comme le faon de la biche, fuis dans les montagnes des parfums ». Ce baiser du Cantique des Cantiques nous rappelle la création de l'homme, lorsque le Christ-Créateur, au Nom du Père, insuffla dans les narines de l'être façonné, une haleine de vie : l’Esprit ; les trois Personnes divines s’investissant dans notre création. - La « fuite » du frère bien-aimé, ne peut être autre chose que l'Ascension du Christ, non plus « dans les montagnes des parfums », mais sur le mont Éléon, face à Jérusalem. Le Christ se désigne Lui-même comme notre frère, lorsqu’il dit à Marie-Madeleine : « va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn. 20 ; 17). Ainsi donc, le Cantique part de la création de l’être humain et aboutit à l’Ascension, parcourant toute la destinée humaine, en notre espace-temps.

Le lait et le vin

Les premiers mots du Cantique des Cantiques : « qu'il me baise des baisers de sa bouche », sont suivis par cette phrase : « car tes mamelles sont meilleures que le vin ». Les mamelles (mastoi - Le texte hébreu donne le terme « amour » plutôt que les « mamelles » du texte de la Septante. ) sont très présentes, dans le texte des Cantiques.

Il n’y a pas moins de quatorze mentions : Les filles de Jérusalem affirment : [1] « nous aimerons tes mamelles plus que le vin » (1 ; 4) ; [2] la Sulamite dit que son Bien-aimé « reposera entre ses mamelles » (1 ; 12) ; [3] Salomon, quant à lui, s’exclame : « tes deux mamelles sont comme deux faons jumeaux du chevreuil, paissant parmi tes lis » (4 ; 5) – et il continue : [4] « Que tes mamelles sont belles, ma sœur, mon épouse ! [5] tes mamelles sont plus précieuses que le vin » (4 ; 10) ; il poursuit : [6] « Que tes mamelles sont belles, ma sœur, mon épouse ! [7] tes mamelles sont plus précieuses que le vin » (6 ; 11) ; Salomon s’adresse derechef à la Sulamite, en ces termes : [8] « Tes deux mamelles sont comme les deux faons jumeaux d'un chevreuil (7 ; 3) ; [9] « Ta stature est celle d'un palmier ; tes mamelles sont comme des grappes de raisin » (7 ; 7) ; [10] « J'ai dit : le monterai au palmier ; j'atteindrai à son faîte, et tes mamelles seront comme les grappes de la vigne » (7 ; 8). La Sulamite s’adresse au Bien-aimé : [11] « Levons-nous dès l'aurore pour aller aux vignes; (…) c’est là que je te donnerai mes mamelles » (7 ; 12) et : [12] « Ô mon frère bien-aimé, que n'as-tu sucé les ma-melles de ma mère ! » (8 ; 1). À propos de la mystérieuse « petite sœur » : [13] « Notre sœur est petite, et n'a point de mamelles ; que ferons-nous pour notre sœur, le jour où je viendrai lui parler ? ». La Sulamite affirme : [14] « Moi, je suis un mur, et mes mamelles sont comme des tours; et j'ai été à leurs yeux comme ayant trouvé la paix » (8 ; 10).

Ces mentions répétitives, pour ne pas dire obsédantes, des « mamelles » nous paraissent d’un parfait mauvais goût. Une telle imagerie est éloignée de notre mentalité. Cela semble remonter aux temps où l’on valorisait par-dessus tout la fécondité, en des époques où à la fois les pénuries alimentaires, la mortalité infectieuse et les guerres intertribales incessantes ravageaient les populations. Ce sens obvie ne serait-il pas une fausse galerie, de celles qui sont destinées à égarer les voleurs et les pillards, comme c’est le cas dans les pyramides ?

Dans le texte du Cantique, les mamelles sont associées au vin, à la vigne ; elles sont comparées à des grappes. Nous avons vu, il y a peu de temps, lors de notre recherche à propos du Nom divin « JE SUIS la Vigne », que l’ivresse de Noé prophétise la Passion du Christ, Lui-même « endormi » transitoirement dans la mort, comme un fauve redoutable et puissant. Ceci se situe sur le plan cosmique. Avec le Cantique, nous accédons au plan personnel. L’ivresse dont il s’agit n’est plus celle du Christ « endormi » dans la mort, mais notre ivresse personnelle, lorsque nous accédons à la connaissance spirituelle. On s’attendrait à ce que le Cantique parle abondamment de cette ivresse sacrée, car le texte est saturé de symboles. C’est tout le contraire : ce thème ne survient qu’une seule fois dans le texte, et c’est une invitation de Salomon envers ses amis, après que celui-ci soit « entré dans son jardin » : « buvez, mes frères, et enivrez-vous » (Cant. 5 ; 1).

Les filles de Jérusalem disent à la Sulamite : « tes mamelles sont meilleures que le vin ». Dans sa première homélie sur le Cantique, saint Grégoire de Nysse nous explique cette sentence :

Placer le lait des seins de Dieu avant le plaisir que nous procure le vin, nous apprend peut-être, selon le texte même, que toute sagesse humaine, toute connaissance de la réalité, toute force contemplative, toute idée intelligible ne peuvent égaler la nourriture, plus évidente, des enseignements divins.
- Le lait s’écoule des seins et il est la nourriture des enfants.
- Le vin, lui, est un plaisir réservé aux aînés, qu’il fortifie et réchauffe davantage.
Et pourtant, la sagesse du dehors (la philosophie profane), ne saurait se mesurer à la leçon de la Parole divine, leçon enfantine. Aussi les seins de Dieu sont-ils meilleurs que le vin des hommes, et l’odeur des parfums divins plus suave que toute fragrance, que tout arôme.

Grégoire de Nysse. Le Cantique des Cantiques. Migne. Coll. Les Pères dans la Foi. 1992. P. 52 – 53.

Le lait du Message divin est meilleur que le vin des raisonnements humains… Un point nous paraît étrange, dans cette exégèse: le lait du message divin est produit par les mamelles de la Sulamite. On s’attendrait plutôt à ce que ce lait mystique soit apporté par le Berger, figure du Christ, le « frère bien-aimé », qui vient « en bondissant sur les monts, en franchissant les collines » (Ct. 2 ; 7), mais disparaît aussitôt. En fait, c’est bien en notre sein que sourdent les suggestions du surconscient. Celles-ci ne sont pas une motion qui vient de l’extérieur. D’ailleurs, trop souvent, nous ignorons ces bienfaisantes suggestions du surconscient, précisément parce que nous ne connaissons pas notre monde intérieur, parce que nous négligeons notre intériorité, apportant toute notre attention aux bruits et au vacarme qui proviennent de notre environnement, brouhaha que nous avons l’imprudence d’accueillir, sans le filtrer.

Dans le langage biblique, les seins s’associent avec l’ivresse ; nous lisons dans le Livres des Proverbes : « trouve la joie dans la femme de ta jeunesse (…) en tout temps que tes seins t’enivrent » (Prov. 4 ; 18 – 19). Et l’ivresse est associée à l’inspiration divine ; saint Pierre dit à la foule, qui ricane devant l’inspiration des Apôtres : « non, ces gens ne sont pas ivres, comme vous le supposez (…), mais c’est bien ce qu’a dit le prophète : Je répandrai de mon Esprit sur toute chair, alors leurs fils et leurs filles prophétiseront » (Act. 2 ; 15-17, avec une citation de Joël 3 ; 1-5). Comme nous l’avons vu plus haut, dans le Cantique, Salomon dit à ses amis : « buvez, mes frères, et enivrez-vous » (Ct. 5 ; 1).
Il s’agit bien de ce que Moïse souhaitait, après avoir donné une part de son esprit aux soixante-dix anciens, et que Eldad et Modad, qui étaient restés dans le camp, furent saisis par l’Esprit : « puisse tout le peuple du Seigneur être prophète, le Seigneur leur donnant son Esprit ! » (Nb. 11 ; 29)

Dans le passage du Cantique : « tes mamelles sont meilleures que le vin », le lait mystique signifie le Message divin, comme nous l’explique saint Grégoire de Nysse. Pourquoi du lait ? L’auteur de l’épître aux Hébreux nous le dit : « quiconque en est encore au lait ne peut goûter la doctrine de justice, car c’est un tout petit enfant. Les parfaits, eux, ont la nourriture solide » (Hb. 5 ; 13-14). Nous sommes de ces enfants dont parle le Christ : « c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu » (Mc. 10 ; 14-15.). Car nous sommes en pleine croissance :

Il n’y a pas de borne, après laquelle celui qui aspire au sublime devrait s’arrêter dans sa progression (…). Toute perfection dans l’ordre de la connaissance accessible à la Nature humaine inaugure le désir de biens plus élevés.

Le point extrême de la course de l’âme devient le commencement d’une route à suivre vers les Biens supérieurs.

Au fur et à mesure des progrès que l’âme accomplit vers ce qui ne cesse d’apparaître devant elle, son désir s’accroît lui aussi, et la supériorité des Biens qui se trouvent dans le Transcendant fait que la fiancée a l’impression de commencer seulement son ascension.

Celui qui se lève ne cessera jamais de se lever, et celui qui court vers le Seigneur ne viendra jamais à bout de l’espace qu’il doit parcourir vers le Divin.

Grégoire de Nysse. Le Cantique des Cantiques. Migne. Coll. Les Pères dans la Foi. 1992. p. 144, 143. 130.

Nous commencerons toujours notre croissance vers Dieu, et nous serons toujours des enfants dans notre parcours vers le Royaume.

Les parfums

Le chœur des filles de Jérusalem :
Ct. 1 ; 2. Et la senteur de tes parfums l'emporte sur tous les aromates; ton Nom est l'essence de parfum : voilà pourquoi les jeunes filles t'aiment.
Ct. 1 ; 3. Elles t'attirent, et à ta suite nous courons aux senteurs de tes parfums.

Aparté de la Sulamite :
Le roi m'a introduite dans sa chambre secrète ;

Le chœur (suite) :
nous tressaillirons, nous nous réjouirons en toi ; nous aimerons tes mamelles plus que le vin ; la droiture te chérit.

Poursuivons notre lecture : « l’odeur de tes parfums est au-dessus de tous les aromates » (verset 2). Grégoire de Nysse nous dit :

Nous pouvons penser à n’importe quel nom pour définir précisément le parfum de la divinité ; le sens de nos paroles ne désignera jamais le Parfum Lui-même. Ces noms, qui visent la connaissance de Dieu, se contentent de trouver quelques restes des effluves du Parfum divin. (…) Le Parfum même de la Divinité, ce qu’il est par essence, dépasse toute appellation, toute idée.

Grégoire de Nysse. Le Cantique des Cantiques. Migne. Coll. Les Pères dans la Foi. 1992. p. 54.

Le message divin dépasse tous nos concepts, qui sont de simples aromates, qui ne peuvent se comparer au Parfum divin.

Ensuite, toujours dans le même verset, nous trouvons cette sentence remarquable : « ton Nom est un parfum répandu ». Origène nous explique :

Comme un parfum qui répand tout à l’entour son odeur, le Nom du Christ s’est répandu. Sur la terre entière on nomme le Christ, dans le monde entier, on publie mon Seigneur.

Origène. Homélies sur le Cantique des Cantiques. S.C. 37bis Cerf 1996, p. 83. Homélie 1, 4.

Le Message du Christ s’est répandu dans le monde entier, de la même façon que s’est diffusé le parfum que Marie répandit sur les pieds du Seigneur, à Béthanie - parfum qui remplit toute la maison, comme le remarque explicitement l’Évangéliste Jean (Jn. 12 ; 3.).

Les parfums sont très présents dans le Cantique : le « frère bien-aimé » est pour la Sulamite un « bouquet de myrrhe » (1 ; 12) ; le Berger dit à la Sulamite que « les vignes sont en fleur et donnent leur parfum » (2 ; 13) ; le lis – fleur éminemment odorante – est mentionné huit fois : [1] la Sulamite se décrit elle-même comme « le lis des vallées » (2 ; 1), [2] image reprise par Salomon, dans le verset suivant ; [3] le « frère bien-aimé » fait paître son troupeau parmi les lis (2 ; 16) ; [4] Salomon dit à la Sulamite que ses deux mamelles sont comme deux faons jumeaux du chevreuil, paissant parmi les lis (4 ; 5), [5] la Sulamite dit de son Bien-aimé que « ses lèvres sont des lis distillant la myrrhe la plus pure » (5 ; 13) ; [6] il est descendu dans son jardin parmi les roses d’aromates (…) et y cueille les lis (4 ; 1 repris en 6 ; 1), [7] et il paît son troupeau parmi les lis (4; 2). [8] Enfin, Salomon compare la poitrine de la Sulamite à un « monceau de froment enveloppé de lis » (7 ; 2).
Lorsque la Sulamite arrive, siégeant sur le trône de Salomon, le chœur compare la Sulamite à « une colonne de fumée sortant de l’encens et de la myrrhe, et de toutes les poudres dont se composent les parfums » (3 ; 6). Salomon dit à la Sulamite que « les senteurs de tes vêtements sont plus douces que tous les aromates » (4 ; 10), affirmation reprise au verset suivant. Il compare la Sulamite à un jardin enclos, avec « des grappes en fleur et du nard – du nard et du safran, de la canne et du cinnamome, de tous les arbres du Liban, de la myrrhe, de l’aloès et des parfums les plus exquis » (4 ; 13-14). Salomon affirme: « j’ai récolté ma myrrhe et mes parfums » (5 ; 1) ; La Sulamite, entendant la voix de son Bien-Aimé, dit : « mes mains ont distillé la myrrhe ; mes doigts ont empli de myrrhe la poignée du verrou » (5 ; 5). Dans l’éloge du Bien-Aimé, ses joues « sont comme des vases d’aromates exhalant des parfums » (5 ; 13) ; dans la troisième louange de Salomon, il dit à la Sulamite : « l’odeur de tes narines est comme celle des pommes » (7 ; 8). La Sulamite s’adresse à son Bien-Aimé, lui disant : « les mandragores ont donné leur senteur » (7 ; 13) – la mandragore est une plante dont la racine ressemble à une petite poupée, et à cause de cette particularité, elle servait souvent de talisman. La Sulamite dit à son Bien-Aimé qu’elle lui fera boire du vin parfumé (8 ; 2). C’est tout un monde de parfums et de senteurs !

Saint Grégoire de Nysse nous explique :

Il nous invite à considérer la maison pleine de la bonne odeur comme image de tout l’univers et de toute la terre, lorsqu’Il dit : partout où sera proclamé cet Évangile – dans le monde entier – l’odeur du parfum sera diffusée en même temps que l’annonce de l’Évangile.

Grégoire de Nysse. Le Cantique des Cantiques. Migne. Coll. Les Pères dans la Foi. 1992. p. 89. Avec une citation de Mt. 26; 13.

La Sulamite nous dit, au verset 3 : « le Roi m’a introduite dans sa chambre secrète ».
Origène commente : « la foule reste dehors, et l’Épouse entre toute seule dans l’appartement pour voir les trésors mystérieux et cachés (Origène. Op. cit., p. 85. Homélie 1, 5) ».
C'est la parole d'Isaïe : « Je te livrerai les trésors obscurs et Je t’ouvrirai les trésors cachés et invisibles, pour que tu saches que je suis le Seigneur ton Dieu qui t’appelle par ton nom, le Dieu d’Israël (Is. 45 ; 3. LXX) ».
Le retrait et la solitude – au moins en tant que disposition intérieure - sont indispensables à la quête spirituelle.

Noire, mais belle

Adresse aux filles de Jérusalem :
Ct. 1 ; 4. Filles de Jérusalem, je suis noire, et je suis belle, comme les tentes de Cédar, comme les tentures de Salomon.
Ct. 1 ; 5a. Ne me dédaignez pas, parce que je suis noire ; c'est que le soleil a altéré ma couleur.

Poursuivons encore notre lecture, aux versets 4 et suivants : la Sulamite dit d’elle-même qu’elle est noire, mais belle, comme les tentes de Qédar (qui veut dire « basané »), comme les tentures (derreis, couvertures en cuir.) de Salomon (Dans le texte hébreu, nous lisons : « comme les pavillons de Salma » [trad. Jérusalem] ; « comme les rideaux somptueux » [TOB]). Notre âme est « belle », car elle est créée à l’image de Dieu ; elle n’a jamais perdu cette image divine. Mais elle est « noire », car elle vit dans cet espace-temps façonné par le Refus Originel ; elle est influencée par cet univers déchu dans lequel elle est immergée. Saint Grégoire de Nysse précise :

L’apparence ténébreuse n’est pas imputée au Créateur. (…) La Nature humaine est l’image de la vraie Lumière ; elle doit son éclat à sa ressemblance avec la Beauté originelle, loin des figures obscures.

Grég. Nys. Op. cit. p. 64.

Garder sa propre vigne

Adresse aux filles de Jérusalem :
Ct. 1 ; 5b. (...) Les fils de ma mère se sont levés contre moi; ils m'avaient fait la gardienne des vignes, et ma propre vigne, je ne l'ai point gardée.

Il serait plus exact de traduire « les fils de ma mère ont combattu en moi » (Emachesanto en emoi).
Pourquoi ne pas avoir dit tout simplement « mes frères » ? C'est pour insister sur le fait que nous sommes tous fils d'une même Mère : la Nature humaine. Nos frères les humains nous ont contraint et nous ont incité à être les gardiens des vignes au pluriel, c'est-à-dire à investir nos energies exclusivement dans des domaines de préoccupations humaines, comme la famille, l'occupation professionnelle, la défense des institutions de la société, et non pas de nous investir dans la culture de la vigne au singulier, de notre vigne, qui est le domaine de notre vie spirituelle.
En nous incitant, en nous contraignant à nous occuper exclusivement des domaines bien particuliers et spécifiques de l'activité humaine - car tout notre environnement social nous y pousse, toute notre reconnaissance sociale en dépend - nos frères humains ont combattu et combattent toujours en nous. Le résultat de cette pression sociale est le fait que, pendant la plus grande partie de notre vie, nous nous occupons des vignes des autres, et que ce faisant, nous ne gardons pas, nous ne nous occupons pas de notre propre vigne, c'est-à-dire de notre vie intérieure, de notre profondeur personnelle et de la croissance de notre âme.

La Sulamite, au Berger :
Ct. 1 ; 6. Ô toi que mon âme a aimé, indique-moi où tu pais ton troupeau, où tu reposes à midi, de peur que peut-être je ne m'égare à la suite des troupeaux de tes compagnons.

La Sulamite est notre âme pacifiée, selon son nom même de « Sulamite ». Elle évoque les profondeurs les plus intimes de notre être, le fond de notre coeur, là où se trouve l'étincelle de lumière divine, cette partie de nous-mêmes qui n’est plus matérielle, et qui se trouve bien plus profond que les interactions neuronales qui constituent notre intellect.

La Sulamite, constatant qu’elle n’a pas sauvegardé son jardin intérieur, adresse une demande au « Berger » qui est bien sûr le Christ - Celui qui s'est affirmé Lui-même comme étant le « bon Berger », Celui dont nous connaissons le Nom, Celui qui nous ouvre la porte de la nouvelle dimension qu’est le Royaume. Elle lui demande : où se trouve-t-Il ? c'est précisément la même demande que deux des disciples de Jean-Baptiste adressèrent à Jésus, entendant que Saint Jean-Baptiste disait à propos de Lui : « voici l'Agneau de Dieu ». Les deux disciples suivirent Jésus et lui demandèrent : « Maître, où demeures-tu ? » (Jn. 1; 37-38).

Au moment où les deux disciples posaient cette question à Jésus, Celui-ci demeurait à Capharnaüm. Il leur dit « venez et voyez », et ils demeurèrent auprès de Lui ce jour là. Maintenant, lorsque notre cœur pose cette question au Seigneur, en Lui demandant : « indique-moi où Tu pais ton troupeau », le Christ demeure dans le Royaume, car Il a accompli son Ascension. Il « se repose à midi », après avoir accompli toutes ses œuvres sur la terre, lors de sa vie terrestre, parmi nous. Il se « repose » après sa résurrection, en ce temps de grâce qui précède le Jugement.

Notre âme pose cette question au Christ « de peur de s'égarer à la suite des troupeaux de nos compagnons », les êtres humains. Car si nous ne suivons pas le Christ, nous risquons bien d'être engloutis dans les préoccupations purement mondaines, et d'être serviteurs des « troupeaux » innombrables des préoccupations humaines.

Se connaître soi-même

Adresse, de la part de Salomon :
Ct. 1 ; 7. Ô toi, la plus belle des femmes, si tu ne te connais toi-même, suis les traces de mes troupeaux, et pais tes chevreaux près des tentes de mes pasteurs.

La Sulamite ne reçoit pas de réponse immédiate, de la part du Berger. C'est un autre interlocuteur qui se présente : Salomon lui-même. Ce maître de sagesse, auprès duquel la Reine de Saba venait chercher des conseils (I Rois 10 ; 1-10), lui dit que si la Sulamite ne se connaît pas elle-même, elle suivra les traces des troupeaux des préoccupations humaines imprimées dans la matière ; elle suivra également les rejetons de ceux-ci - les pensées humaines - auprès des tentes des pasteurs ; elle nourrira les chevreaux, les pensées immatures de son esprit.

Il est remarquable de trouver dans les Écritures une sentence aussi philosophique que l’avertissement « si tu ne te connais pas toi-même ». « Connais-toi toi-même » est l’inscription qui fut gravée sur le fronton du temple de la pythie, à Delphes.

Remarquons la présence, dans les Actes, d’une servante « ayant un esprit pythique » (Ac. 16 ; 17), qui poursuivait les apôtres pendant plusieurs jours, en proclamant qu’ils étaient les serviteurs du Dieu Très-Haut, annonçant la Voie du Salut - jusqu’à ce qu’elle soit délivrée de cet esprit, sous l’injonction de Paul, excédé. Ceci eut des conséquences malencontreuses, puisque les maîtres de cette voyante, voyant disparaître une source de profits, firent arrêter et brutalement maltraiter les apôtres. Au vu de cette histoire, nous pouvons remarquer que la prophétie de la servante était substantiellement exacte.

Le mot grec pour les « tentes » est en fait le cuir, la « peau ». La « peau », le cuir, les tentes, évoquent l'humanité. Lorsque Saint Jean-Baptiste dit qu'il n'est pas digne de délier les « scandales » du Christ, cela veut dire en fait qu'il se considère indigne de scruter l'union de l'humanité - évoquée par le cuir - et de la divinité, dans la Personne du Christ.

La figure de Salomon

Les paroles suivantes de Salomon nous permettent de comprendre qui est ce personnage, dans le Cantique des Cantiques :

Adresse, de la part de Salomon :
Ct. 1 ; 8. Ma bien-aimée, je t'ai comparée à mes cavales attelées aux chars de Pharaon.
Ct. 1 ; 9. Tes joues, elles sont belles comme la colombe, et ton cou, comme un collier.
Ct. 1 ; 10. Nous te ferons des ornements d'or émaillés d'argent (des ressemblances d’or et des piqûres d’argent).

Salomon représente l'amour humain. Les pasteurs des troupeaux lui appartiennent – qui ne sont autres que les facultés humaines qui permettent de gérer l’ensemble des informations et impressions que notre environnement nous propose : tout un troupeau de chèvres passablement indisciplinées…

Il est important de comprendre que, dans le Cantique des Cantiques, comme dans toute véritable spiritualité, l'amour humain est considéré positivement. C'est une composante fondamentale de l'expérience de la vie humaine. Mais ce n'est pas une composante essentielle, en ce sens qu'elle ne suffit pas pour nous donner accès à l’expérience de l'amour divin. L'amour humain reste empêtré dans le filet des préoccupations de ce monde : Salomon compare notre âme à une splendide monture « attelée aux chars de pharaon » (Ct. 1 ; 8). Est-il meilleure image pour montrer l'amour humain, splendide dans ses aspirations, mais le plus souvent enlisé dans les déceptions de la quotidienneté ?

L'amour humain est positif, car les joues de la Sulamite restent belles comme la colombe et son cou est splendide comme un collier. Mais cet amour reste imparfait et vulnérable, car il ne parvient à constituer que des ressemblances d'or (homoiômata chrusiou), et non pas de l’or massif ; des ciselures d'argent (stigmatôn tout arguriou – des « stigmates » d’argent), et non point du métal précieux authentique.

À propos des ressemblances d'or et des ciselures d'argent, rappelons la parole du Psalmiste (Ps. 67 ; 14) : « si vous restez couchés dans vos enclos, est-ce que les ailes de la colombe vont se couvrir d’argent et son plumage prendre l’éclat de l’or, tandis que le Très-Haut disperse les rois, dont les cadavres blanchissent la terre comme le Selmon ? » L’argent est visiblement le symbole du travail pratique, alors que l’or symbolise la qualité d’être. Le Psalmiste souligne le fait que si nous ne faisons pas notre part, il n’existera ni résultat pratique, ni progrès spirituel, alors que Dieu combat Lui-même les ennemis de notre âme.

L’amour humain est positif, car – en la personne de Salomon – il est parfaitement capable de proclamer les louanges de l’âme bien-aimée : Salomon adresse à la Sulamite pas moins de trois éloges, où nous retrouvons des comparaisons semblables (pratiquement, 4 ; 1 – 3 est parallèle à 6 ; 4 – 6).

Premier éloge : Cant. 4 ; 1 – 45, en exceptant le verset 6, qui est une protestation intérieure de la Sulamite : « jusqu’à ce que se lèvent les premières brises du jour, et que les ténèbres se dissipent : j’irai à la montagne de myrrhe et à la colline de l’encens » - manifestement le pays du Berger.
Cet éloge commence par l’exclamation de Salomon : « Que tu es belle, ô ma Bien-aimée ! Que tu es belle ! Tes yeux sont comme ceux des colombes » verset parallèle à 1 ; 14.
Cet éloge considère la Sulamite de haut en bas, énumérant la tête et les cheveux, puis les yeux, les jours, les lèvres, la poitrine et enfin les jambes.
Deuxième éloge : 6 ; 3 – 11. Il est séparé du troisième éloge, par le verset 12, où le chœur des jeunes filles s’exclame : « reviens, reviens, ma Sulamite, reviens, reviens, nous ne verrons que toi ».
Cet éloge considère les yeux et les cheveux, puis les dents, les lèvres et les joues.
Troisième éloge : 7 ; 1 – 9.
Ici, l’ordre est inversé : l’éloge considère la Sulamite de bas en haut, commençant par les sandales, puis les jambes, le nombril, la poitrine, les seins, le cou, le nez, la tête et enfin les cheveux.

Le passage le plus remarquable qui illustre l’amour humain nous est donné par le chœur des jeunes filles de Jérusalem. Le chœur chante l’arrivée de la Sulamite, sise précisément sur le trône de Salomon :

Chant du chœur : arrivée de la Sulamite sur le trône de Salomon :
Ct. 3 ; 6. Qui est celle qui monte du désert, comme une colonne de fumée sortant de l'encens et de la myrrhe, et de toutes les poudres dont se composent les parfums ?
7. Voilà la couche de Salomon ; soixante vaillants des forts d'Israël sont rangés en cercle autour d'elle.
8. Tous exercés aux combats, ils ont l'épée au côté, pour en écarter les terreurs de la nuit.
9. Le roi Salomon s'est fait un lit de cèdres du Liban.
10. Les montants en sont d'argent, et le siège d'or; le marchepied est de porphyre, et l'intérieur est pavé de pierres précieuses, amour des filles de Jérusalem.
11. Filles de Sion, sortez, contemplez le roi Salomon avec la couronne que lui a posée sa mère le jour de son mariage, le jour de la joie de son cœur.

À bien des reprises, nous avons pris nos distances vis-à-vis d’un prétendu christianisme réduit uniquement à sa dimension morale. Selon nous, il n’est pas possible de comprendre la signification et la portée du christianisme, si l’on n’y voit autre chose qu’une morale, qu’un message de bienveillance, de bonne conduite et de compassion envers les autres, sanctionné par des récompenses ou des punitions accordées dans un au-delà dépourvu de toute relation avec ce monde où nous vivons.

Maintenant, à cette étape de notre réflexion, il nous est possible de rendre à la morale ce qui lui est dû, sans risquer d’obscurcir le message proprement divin du christianisme. Car nous parlons de l’amour humain. À ce niveau, soixante preux montent la garde, comme nous le dit le Cantique. Quels sont ces soixante preux ?

Israël signifie étymologiquement « que Dieu se montre fort, que Dieu règne, que Dieu soit Maître », comme il apparaît en sens inverse, à l’issue du combat de Jacob avec l’Ange, où il est dit : « on ne t’appellera plus Jacob mais Israël, car tu as été fort contre Dieu » (Gn. 32 ; 29. Voir aussi Os. 12 ; 5). Origène nous donne comme signification du nom d’Israël « celui qui voit Dieu » :

Il y a un Israël selon la chair et un autre selon l’esprit (…) nous comprenons qu’il existe une race d’âmes qui porte le nom d’Israël, d’après ce que désigne la traduction du nom même : Israël en effet se traduit par intellect voyant Dieu ou homme voyant Dieu.

Traité des Principes IV, 3, 8. Études augustiniennes 1976. p. 230.

Cette interprétation n’est pas éloignée du sens étymologique, car celui qui voit Dieu Le laisse régner certainement en son cœur : « ceux qui ont le cœur pur verront tous Dieu et, après L’avoir vu, ils deviennent et sont appelés légitimement Israël » (Grég. Nys. Op. cit. p. 153).

Les preux sont au nombre de soixante : les douze tribus de l’Israël selon l’esprit, protégeant les cinq sens :

Leur expérience à la guerre et le glaive qu’ils portent à la cuisse provoquent effroi et épouvante chez les raisonnements des ténèbres qui dressent des embuscades dans les nuits, nuits noires, à ceux qui ont le cœur droit. Les armes de ceux qui entourent le lit détruisent les vils plaisirs (…). C’est véritablement le fait des êtres qui savent comment combattre la chair et le sang que d’avoir un glaive plaqué contre la cuisse. (…)
N’est-il pas évident que ces cinq soldats sont un seul et même homme, dont chacun des sens dégaine le glaive lui correspondant pour effrayer ses ennemis ?
- Regarder constamment vers le Seigneur, voir avec droiture et n’être corrompu par aucun des vils spectacles, tel est le glaive de l’œil ;
- Pareillement, écouter les préceptes divins sans jamais prêter l’oreille au moindre propos futile, telle est l’arme de l’ouïe.
On peut ainsi armer le goût, le toucher, l’odorat, par le glaive de la modération, en équipant chacun des sens de la cuirasse qui lui convient. Ils provoquent alors l’effroi et l’épouvante chez les ennemis ténébreux, pour qui la nuit et les ténèbres sont le moment favorable pour comploter contre les âmes.

Grég. Nys. Op. cit. p. 150 - 152.

Saint Grégoire de Nysse nous a convaincus : les soixante preux, le glaive au côté, sont les vertus qui garantissent les cinq sens de l’Israël spirituel.

La Sulamite « monte du désert », ce désert évoqué par le psaume : « mon âme a soif de Toi, après Toi languit ma chair ; en une terre déserte, sans chemin et sans eau » (Ps. 62 ; 2). Dans ce désert, elle était noire, mais belle, comme nous l’avons vue ; elle est tout imprégnée de myrrhe et d’encens :

La myrrhe est utilisée lors de l’ensevelissement des corps et l’encens est consacré à la gloire de Dieu. Celui donc qui s’apprête à se consacrer au service de Dieu ne sera encens brûlant pour Dieu que si auparavant il a été myrrhe, c’est-à-dire s’il a fait mourir ses membres terrestres, s’il a été enseveli avec Celui qui a subi la mort pour nous et s’il a reçu dans sa propre chair, par la mortification des membres, cette myrrhe utilisée pour l’ensevelissement du Seigneur.

Grég. Nys. Op. cit. p. 149 - 150.

Après l’acquisition des vertus, leur mise en pratique, nous sommes appelés à devenir nous-mêmes tout entiers myrrhe puis encens. – Remrquons le fait que le texte ne nous montre pas la Sulamite couchée ou assise sur le lit de Salomon. Le texte dit éloquemment : « voici la couche de Salomon », immédiatement après avoir évoqué la Sulamite « montant du désert ». C’est une subtilité qui montre la profondeur spirituelle du texte - car la Sulamite est elle-même la litière de Salomon :

Qui porte Dieu en lui, est la litière de Dieu installé en lui.
Celui-ci est exactement appelé litière, ce qu’il devient pour Celui qu’il porte en lui, et supporte sur lui ».

Grég. Nys. Op. cit. p. 159.

C’est certainement pour cela que le Christ affirme : « mon joug est doux et mon fardeau léger » (Mt. 11 ; 30), ce qui paraît assez paradoxal si le sort du croyant est jalonné par les pires épreuves ou se solde finalement par le martyre. Comme la Sulamite, nous sommes nous-mêmes la litière du Christ, fardeau assurément doux et léger. À ce titre, nous sommes faits, selon nos talents, de cèdre du liban, d’argent, de porphyre, d’or ou de pierres précieuses (Ct. 3 ; 10).

L’amour humain, figuré par Salomon, s’arme des vertus correspondant aux cinq sens.
- Par la myrrhe, l’amour humain participe, à sa mesure, aux épreuves et à la mort du Christ.
- Par l’encens, l’amour humain adore Dieu, de tout son cœur.
- Au fur de sa croissance spirituelle, l’amour humain, initialement constitué de bois de cèdre, a obtenu la transparence, la splendeur et la pérennité des pierres précieuses.
- Maintenant, sous la figure de Salomon, l’amour humain peut porter dignement la « couronne que lui a posée sa mère, le jour de son mariage, le jour de la joie de son cœur » (Cant. 3 ; 11).

Qui est la mère de Salomon ? Qui peut être appelé la mère de l’amour humain, sinon la Nature humaine elle-même ? La Nature humaine rend les honneurs à l’homme ou la femme qui vit la grande expérience amoureuse de son existence « le jour de la joie de son cœur ». En ces lignes, le Cantique des Cantiques met en pleine lumière la positivité de l’amour humain. Celui-ci est la clef du bonheur de l’existence terrestre et le pédagogue par excellence de la découverte de la Présence de Dieu dans notre vie.

La vie spirituelle ne se construit pas sur une éventuelle négation de notre expérience de l’amour humain. Elle ne se construit pas davantage sur sa répression. Bien au contraire : une relation d’amour, au niveau humain, est souvent l’expérience qui se rapproche le plus d’une expérience mystique, pour le plus grand nombre des êtres humains. Si la relation d’amour est ouverte à l’expérience spirituelle, l’amour humain peut être le portique, la pédagogie nécessaire pour arriver à une nouvelle dimension : celle de l’amour divin. Les déchirures, les remises en question, les souffrances éprouvées lors des aléas d’une relation d’amour peuvent approfondir notre vie personnelle de sorte qu’elle puisse s’ouvrir à un autre niveau, à la fois plus profond et plus intense.

Notre âme aspire à Dieu, avec une force dont nous n’avons que rarement conscience. Si nous nous ouvrons au spirituel, cette considérable force de l’âme nous construit et nous structure. Par contre, si cette aspiration est bloquée par une conception purement matérialiste de la vie, ces forces se retournent contre nous ; dans ce cas, elles attaquent notre être psychique, comme parfois le système immunitaire peut se retourner contre son propre organisme. La corrosion intérieure qui est causée par ces puissantes motions de l’âme qui ne trouvent pas d’issue, sont la cause fréquente d’accès dépressifs ainsi que de comportements suicidaires ou auto-destructeurs, dont il est impossible de déterminer la cause si l’on ne va pas plus loin que l’analyse des mécanismes psychiques. L’amour assumé nous construit et fait notre bonheur ; l’amour réprimé nous déstabilise et nous ronge intérieurement.
En posant une couronne sur la tête de Salomon, le Cantique consacre l’amour humain comme étant la porte d’entrée du jardin spirituel, ce jardin où est descendu le frère bien-aimé, parmi les roses d’aromates (Cant. 6 ; 1).

Le lis et le pommier

La Sulamite dit d’elle-même : « je suis la fleur des champs et le lis des vallées » (Ct. 2 ; 1).

Le lis se retrouve à sept autres reprises dans le texte :
- Salomon affirme : « comme le lis des vallées au milieu des épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu des jeunes filles » 2;2.
- Toute âme à la recherche de Dieu est un lis. La Sulamite dit de son frère bien-aimé : « mon frère bien-aimé est à moi, et moi à lui ; et il fait paître son troupeau parmi les lis » 2 ; 16.
- Dans le premier éloge de Salomon, celui-ci affirme : « tes deux mamelles sont comme deux faons jumeaux de chevreuil, paissant parmi les lis 4 ; 5.
- La Sulamite fait l’éloge de son bien-aimé, et dit à son propos : « ses lèvres sont comme des lis distillant la myrrhe la plus pure 5 ; 13.
- La Sulamite dit que son « frère bien-aimé est descendu dans son jardin parmi les roses d’aromates, pour paître son troupeau dans ses jardins, et y cueillir les lis 6 ; 1. Ici, le bien-aimé, figurant le Christ, « cueille » les âmes aimant Dieu.
-Au verset suivant, la Sulamite affirme : « je suis à mon frère bien-aimé, et mon frère bien-aimé est à moi ; il fait paître son troupeau parmi les lis 6 ; 2.
- Et enfin, dans le troisième éloge de Salomon, il est dit : « ta poitrine est un monceau de froment enveloppé de lis » 7 ; 2.
En tout, huit évocations du lis.

Par contre, elle dit de son frère bien-aimé : comme le pommier parmi les arbres de la forêt, ainsi est mon frère bien-aimé parmi les jeunes hommes. J’ai désiré son ombre, et je m’y suis assise, et son fruit est doux à mon palais » (Cant. 2 ; 3). Le lis pour l’âme aimant Dieu, le pommier pour la figure du Christ :

La Nature humaine (…) ne peut devenir que fleur. Elle ne nourrit pas son cultivateur, mais se pare elle-même. En effet, Lui n’a pas besoin de nos biens ; c’est nous qui avons besoin des siens, comme dit le prophète : Tu n’as pas besoin de mes biens.
Si le lis est charmant, il ne le doit qu’à sa forme et à son parfum, alors que la grâce du pommier touche également tous les sens. Sa beauté extérieure réjouit la vue ; son parfum flatte l’odorat et son fruit contente le goût. (…) [Le Maître] est pour nous plaisir des yeux, car Il est Lumière ; parfum pour l’odorat et Vie pour ceux qui se nourrissent de Lui : celui qui Le mange vivra.

Traité des Principes IV, 3, 8. Études augustiniennes 1976. p. 103, avec respectivement la citation du psaume 15 ; 2 selon les LXX, et de Jn. 6 ; 51 – 56.

Le pommier est une rareté dans la Bible ! Sans doute cet arbre qui prospère dans les contrées tempérées est-il assez peu compatible avec le chaud climat de cette partie de la Méditerranée. Exceptionnellement parmi les Écritures, le Cantique cite le pommier et les pommes à trois reprises.

- Cant. 2 ; 3, déjà cité.
- Dans la troisième louange de Salomon : « l’odeur de tes narines [sera] comme celle des pommes » 7 ; 8.
- Le Berger s’adresse à la Sulamite en disant : « je t’ai réveillée sous un pommier » 8 ; 5.
Pourquoi une pomme ? Peut-être parce que, lorsqu’on la tranche transversalement, on voit apparaître une étoile à cinq branches, symbole de l’homme ?

Le Fils de l’Homme se signale parmi les humains, comme un pommier se distingue aisément des autres arbres. L’âme aimant Dieu - nouvelle Ève - s’assied à l’ombre de cet Arbre de la Connaissance. Elle goûte à son fruit - cette fois sans péché - car elle est initiée à la Connaissance divine. Il ne s’agit plus de se diviniser sans Dieu ou contre Dieu, mais bien de participer à la Résurrection dans le Royaume.
Arrachant le Fruit de la Connaissance à l’unité de la Création et le détruisant par la consommation, l’Être Global se laissait prendre au mirage agité par l’Ange déchu qui disait « vous ne mourrez pas » (Gn. 3 ; 4).
Par contre, pour la Sulamite, « le fruit est doux à son palais » car, en participant à la Résurrection du Christ, l’âme aimant Dieu transforme sa mort en une Pâques, un passage de ce monde au Royaume, à la Vie sans fin. Désormais, la Sulamite peut impunément goûter au Fruit.

Ainsi donc, dans le Cantique, apparaît le « frère bien-aimé » : « le voilà qui vient bondissant sur les monts, en franchissant les collines » (Cant. 2 ; 8).
Origène nous dit, en commentant la parole du Christ à la Samaritaine « qui boira de l’eau que Je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que Je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en Vie éternelle » (Jn. 4 ; 14) :

J’ai un logos si excellent que ce que J’annonce devient en celui qui l’accueille la source du Breuvage de Vie ; et celui qui reçoit de mon eau en éprouvera un si grand bienfait, que jaillira en lui - capable de lui faire trouver tout ce qu’il cherche - une source d’eaux qui s’élancent vers le haut : car son intelligence se met à bondir et à voler très vite, conformément à la mobilité de cette eau qui, par ce bondissement et cet élan, la porte plus haut, vers la Vie du siècle à venir.

Origène continue en citant le passage du Cantique où le frère bien-aimé bondit sur les monts :

Le Fiancé s’élance sur les âmes les plus nobles et les plus divines, appelées montagnes, et franchit d’un bond les âmes inférieures, appelées collines - de même ici la source, qui se forme en celui qui boit de l’eau donnée par Jésus, rebondit-elle jusqu’à la Vie du siècle à venir.
Peut-être s’élancera-t-elle-même, après la Vie du siècle à venir, jusqu’au Père, qui est au-delà de la Vie du siècle à venir.

Origène. Commentaire sur Saint Jean. XIII 16 – 17. Cerf 1975. S.C. 222. P. 43 – 45.

Recevant le Message évangélique, nous nous abreuvons à une eau qui rebondit jusqu’à la Vie du siècle à venir. Symétriquement, le frère bien-aimé vient à nous bondissant sur les âmes élevées, capables de Le recevoir, et franchissant celles de moindre hauteur, qui ne prêtent pas toute l’attention voulue au Message divin.

Ct. 2 ; 9. Le voilà derrière notre mur ; il se penche par les fenêtres, il regarde à travers les treillis.

Saint Grégoire de Nysse nous donne la signification de ces deux figures :

Les fenêtres sont les prophètes qui nous ouvrent à la Lumière ; les treillis sont le canevas de la Loi.

Grég. Nys. Op. cit. p. 121.

L'objectif tracé initialement a-t-il été atteint ? ?

Nous sommes seulement à mi-chemin de notre recherche. Une deuxième Étude sera nécessaire pour donner un aperçu complet du Cantique.
- Grégoire de Nysse nous prévient contre une compréhension purement littérale du Cantique. Nous avons constaté qu'il est légitime de le lire suivant un niveau d'interprétation personnaliste.
- Nous adoptons la version des Septante, car il s'agit de la Bible des Apôtres, et de celle de l'Église.
- Nous nous sommes éveillés à une compréhension mystique du lait spirituel, comme étant le Message divin, du vin comme étant les raisonnements humains, qui peuvent être enivrés par l'Esprit. Nous avons vu les parfums embaumer tous les recoins de la maison, comme l'Évangile le fait jusqu'aux confins de l'Univers. Nous sommes désormais conscients de la nécessité de garder notre propre vigne, et d'être vigilant vis-à-vis de notre univers intérieur, sous peine d'être asservis à garder le troupeau des passions indisciplinées. Salomon s'est révélé être la figure de l'amour humain. Celui-ci est considéré positivement par le Cantique, qui y montre une pédagogie de l'amour divin. Les soixante preux ne sont autres que les vertus. Enfin, nous avons contemplé le lis qui est la Nature humaine, qui ne peut devenir que fleur, car elle se pare elle-même... Par contre, le Fils de l'Homme se distingue des autres humains, comme le pommier se distingue parmi tous les arbres, car désormais ceux qui sont introduits dans la vie spirituelle peuvent faire bon usage de son fruit, qui touche également tous les sens spirituels.
Il ne nous reste plus qu'à continuer notre quête, dans l'Étude suivante.


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