Orthodoxie en Abitibi

Évangile de Jean : L'Entretien avec Nicodème

Étude XXXII : Évangile de Jean : L'Entretien avec Nicodème

- P. Georges Leroy -

Cliquer ci-dessous, pour vous retrouver aux points correspondants du texte :

L'Entretien avec Nicodème
La faculté de connaissance dont dispose le Christ
L'union du divin et de l'humain en Christ
Peut-on parler d'une Nature ou d'une Personne divino-humaine, dans le Christ ?
Une précision apportée à la théologie chalcédonienne
Où se trouve la conscience ?
Sagesse divine et Sagesse créée
Les états superposés et la non-localité
L'auto-conscience du Christ
Notre conscience composite

Quels sont les objectifs que nous nous proposons d'atteindre ?

Nous voici arrivés au cœur doctrinal de l’Évangile de Jean. Il s’agit d’une ample portion du texte, qui s’étend de 13;1 à 17;26, jusqu’au récit de la Passion. Ces chapitres comprennent le récit du « lavement des pieds », le « Discours des Adieux » avec l’image de la « vraie Vigne », et enfin la « Prière sacerdotale ».
Nous posons comme parallèle à ces longs textes un très court passage : les vingt et un versets de l’entretien avec Nicodème (3 ; 1 – 21). Cela peut paraître étrange… Mais nous allons voir qu’il ne saurait exister de meilleure introduction à ces grands textes doctrinaux, que ce qui est dit en quelques mots à Nicodème.
Cette fois-ci, exceptionnellement, nous allons analyser le passage parallèle avant le texte contenant la Révélation du Nom divin. Nous allons tâcher de découvrir en quoi consiste le Salut présenté par le Christ, et quelle est la notion apportée par ce récit. Il s'agit d'une notion qui puisse nous servir de clef de compréhension pour le cœur doctrinal de l’Évangile de Jean, texte que nous scruterons dans l'Étude suivante.
La question légèrement ironique que pose le Christ à Nicodème nous amènera à nous questionner sur les exceptionnelles capacités de connaissance dont fait preuve Jésus, et sur la conscience qu'il a de Lui-même. Nous verrons qu'une notion théologique d'origine monophysite nous sera très utile pour trouver notre chemin dans cette problématique complexe.


L'Entretien avec Nicodème.

Voici le texte :

3 1 Or il y avait parmi les Pharisiens un homme du nom de Nicodème, un notable des Juifs.
2 Il vint de nuit trouver Jésus et lui dit : « Rabbi, nous le savons, tu viens de la part de Dieu comme un Maître : personne ne peut faire les signes que tu fais, si Dieu n'est pas avec lui.

3 3 Jésus répondit et lui dit : « Amen, amen, en vérité, je te le dis, à moins de naître d'en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu ».
4 Nicodème lui dit : « Comment un homme peut-il naître, étant vieux ? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? »
5 Jésus répondit : « Amen, Amen, je te le dis, à moins de naître d'eau et d'Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu.
6 Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'Esprit est esprit.
7 Ne t'étonne pas, si je t'ai dit : II vous faut naître d'en haut.
8 Le vent souffle où il veut ; et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d'où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l'Esprit ».

3 9 Nicodème lui répondit : « Comment cela peut-il se faire ? »
10 Jésus lui répondit : « Tu es Maître en Israël, et ces choses-là, tu ne les saisis pas ? »

3 11 Amen, Amen, je te le dis, nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu ; mais vous n'accueillez pas notre témoignage.
12 Si vous ne croyez pas quand je vous dis les choses de la terre, comment croirez-vous quand je vous dirai les choses du ciel ?
13 Nul n'est monté au ciel, hormis celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme.
14 Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l'homme,
15 afin que tout homme qui croit ait par lui la vie éternelle.
16 Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la Vie éternelle.
17 Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18 Qui croit en Lui n’est pas condamné ; qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu’il n’a pas cru au Nom du Fils unique de Dieu.

3 19 Le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises.
20 Quiconque, en effet, commet le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient démontrées coupables,
21 mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, afin que soit manifesté que ses œuvres sont faites en Dieu.


Première partie (3; 1-2) :

LES SIGNES

3 1 Or il y avait parmi les Pharisiens un homme du nom de Nicodème, un notable des Juifs.
2 Il vint de nuit trouver Jésus et lui dit : « Rabbi, nous le savons, tu viens de la part de Dieu comme un Maître : personne ne peut faire les signes que tu fais, si Dieu n'est pas avec lui.

Nicodème vient de nuit à Jésus. Lors de la Dernière Cène, « il faisait nuit » quand Judas sortit, après avoir reçu de la main de Jésus une bouchée, prise du plat commun (Jn. 13; 30). Alors que Judas machine la trahison, Nicodème est à la recherche de la Vérité. Nicodème est l'anti-Judas.

Il s'agit d’une CRISE, au sens étymologique du terme : la division qui s’opère entre celui qui vient à la Vérité et à la Lumière - et celui qui tourne le dos à la Vérité et s’enfonce dans les ténèbres.

Nicodème dit à Jésus : « personne ne peut accomplir les signes que Tu accomplis, si Dieu n’est avec Lui » (v. 2).
Jésus accomplit des signes tels que l’on voit que Dieu L’accompagne.


parallèle à : Dernière partie (3; 19-21) :

LES OEUVRES

3 19 Le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises.

20 Quiconque, en effet, commet le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient démontrées coupables,

21 mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, afin que soit manifesté que ses œuvres sont faites en Dieu.

« Le jugement, le voici » : il s'agit d’une CRISE : la division qui s’opère entre la Lumière ainsi que ceux qui se font illuminer - et les ténèbres, englobant qui les préfèrent.


Nous avons un contraste trois fois répété :


Verset 19 : La lumière est venue dans le monde
- et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises.
Les hommes accomplissent des oeuvres telles que l'on voit qu'ils sont dans les ténèbres.

Verset 20 : Quiconque, en effet, commet le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière,
- de peur que ses œuvres ne soient démontrées coupables.
Il existe une incompatibilité foncière entre les oeuvres mauvaises et la Lumière.

Verset 21 : Mais celui qui fait la vérité vient à la lumière,
- afin que soit manifesté que ses œuvres sont faites en Dieu.
Mais ceux qui font des oeuvres conformes à la vérité ne craignent pas qu'elles soient manifestées.


Deuxième partie (3; 3-8) :

3 3 Jésus répondit et lui dit :
« Amen, amen, en vérité, je te le dis,
à moins de naître d'en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu ».
4 Nicodème lui dit : « Comment un homme peut-il naître, étant vieux ? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? »

5 Jésus répondit :
« Amen, Amen, je te le dis,
à moins de naître d'eau et d'ESPRIT, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu.
6 Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'ESPRIT est esprit.

7 Ne t'étonne pas, si je t'ai dit :
II vous faut naître d'en haut.
8 Le vent souffle où il veut ; et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d'où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l'ESPRIT ».

« Jésus répondit et lui dit » - en fait, Nicodème n’a posé aucune question. Jésus répond à la question que Nicodème portait en son cœur : comment être sauvé, comment entrer dans le Royaume des Cieux ?

Jésus affirme solennellement : « Amen, amen, Je te le dis »
- ce qui introduit une affirmation importante :

Si quelqu’un n’est pas engendré d’En-Haut,
il ne peut voir le Royaume de Dieu (v. 3).

Il s’agit de voir le Royaume de Dieu. Celui qui ne fait pas la démarche de Foi en réponse au message du Christ - et par conséquent ne reçoit pas de Lui l'Esprit - est incapable de percevoir les réalités spirituelles. Car c’est l'Esprit qui change nos perceptions et rend visible ce qui est invisible pour « ceux qui sont dans les ténèbres » et qui font des «œuvres mauvaises», c’est-à-dire ne croient pas.

Nicodème répond candidement au Christ en parlant de la naissance selon la chair (v. 4).

Jésus reprend solennellement : « Amen, amen, Je te le dis » - ce qui introduit une nouvelle affirmation importante qui vient compléter la première :

Si quelqu’un n’est pas engendré d’eau et d’Esprit,
il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu (v. 5).

Ici, il s’agit d’entrer dans le Royaume des Cieux. L’eau désigne clairement le Baptême : le Christ est la seule Porte – en-dehors de Lui il n’est pas d’autre issue. C’est en s’agrégeant à son Corps spirituel que nous faisons partie du Royaume. C’est par un Baptême à la fois sacramentel, volontaire, intimement vécu et réactualisé tout au long de la vie – c’est par le fait de vivre en soi le passage par la mort et la Résurrection en Christ – que nous entrons dans la dimension nouvelle du Royaume.

Ce qui est né de chair est chair ;
ce qui est né de l'Esprit est Esprit.

Ne t’étonne pas si Je t’ai dit : il vous faut naître d’En-Haut. L’Esprit souffle où Il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où Il vient ni où Il va. Ainsi en est-il de tout homme qui est engendré de l'esprit (v. 6 – 8).

On ne sait d’où vient celui qui est engendré de l'Esprit, car il ne relève plus de la « volonté de chair ».

Voici l’affirmation principale :

Il vous faut naître d’En-Haut.


La définition du Salut donné par le Christ.

Que signifie le fait de naître d'en-haut, si ce n'est le fait de tout recommencer sur de nouvelles bases ? Le Salut ne consiste pas en la réparation d’une réalité défectueuse. Le Salut consiste en la Récapitulation, le recommencement de toutes choses depuis les origines, que ce soit pour le Cosmos, ou pour notre vie personnelle.

Si un nœud est noué de façon défectueuse, et si l’on ne veut pas détruire l’objet en le coupant, la seule façon de résoudre cette question est de le dénouer, en faisant repasser le cordon là où il a été mêlé, puis de refaire un nœud, qui sera conforme à la volonté de celui qui possède le cordage.

Dieu ne veut pas couper le « nœud » : dans l’histoire du déluge, après la catastrophe cosmique causée par le péché de l’homme, le Créateur scelle une alliance avec Noé, suivant laquelle Il promet de ne plus détruire la création. Le sens de cette histoire est clair : le péché des hommes aura sans doute des conséquences environnementales, mais ne sera pas la cause de la destruction de l’univers. La Fin des Temps surviendra lorsque Dieu le décidera, mais ne sera pas l’effet immédiat du péché de l’être humain.

Dieu ne veut pas détruire sa création, mais bien la sauver. S’il n’était question que de pardonner les péchés des hommes, Dieu aurait parfaitement pu édicter unilatéralement le pardon universel, comme le Christ l’a fait pour le paralytique, en Marc 2 ; 5 : car Il n’a nullement demandé au paralytique son avis, lorsqu’Il lui dit : «mon enfant, tes péchés te sont remis». S’Il l’a fait pour une seule personne, il eût pu le faire pour l’humanité entière.

Et la liberté de l’être humain ? Cette liberté aurait été bien davantage servie par la libération de l’humanité de toutes les iniquités qui pèsent sur elle, que par le maintien de ce fardeau qui la mène à la perdition. Le péché n’existe qu’en fonction de Dieu : comme dit le Christ : « si Je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché ; mais maintenant ils n’ont pas d’excuse à leur péché » (Jn. 15 ; 22).

Le Salut ne consiste pas uniquement en le pardon du péché. Cet aspect existe, mais ne constitue pas l’axe principal de l’œuvre salvifique du Christ. Tout au long de l’Histoire, l’être humain a noué le nœud de sa destinée de façon à en faire un lacet qui l’étrangle. Par le jeu de sa liberté, l’être humain a construit son Histoire d’une façon qui n’est en rien conforme au plan divin qui avait été établi pour la Création. Au lieu de l’harmonie, l’homme s’est livré à la rapacité ; au lieu d’un être humain qui s’élève vers le spirituel pour y puiser sa substance, nous avons une humanité qui « vampirise » son environnement en en causant la ruine.

La position naturelle de l’arbre de la vie spirituelle aurait été d’avoir « les racines dans le ciel ». L’être humain l’a renversé; en en cueillant le fruit, il a introduit la division dans l’unité de la création, et a détruit ce fruit qui était ontologiquement fait pour la contemplation.

C’est pourquoi, la seule façon de sortir de là, c’est de recommencer l’Histoire dès le début, de récapituler la Création tout entière. C’est pourquoi le Christ se pose en nouveau Créateur, façonnant de la boue et touchant les yeux de l’aveugle.

Deux axiomes dirigent la Création : tout d’abord, la liberté de la créature humaine – Dieu aurait pu tout aussi bien faire apparaître parmi les vivants de cette planète des robots biologiques à ses ordres, qui n’auraient en rien dérangé l’ordre régnant selon sa volonté ; le deuxième axiome est le fait de créer un monde de matière – Dieu aurait tout aussi bien pu faire un monde des esprits, comme Il l’a fait pour les Anges.

La matière existe dans un espace-temps, et c’est l’inertie de la matière qui crée ce temps qui est absolument indispensable au processus de notre conversion. Si nous vivions sans matière, dans le temps immédiat des Anges dont l’intelligence n’est pas ralentie par des neurones et des laborieuses transmissions biochimiques, notre choix pour ou contre Dieu aurait été instantané, comme le fut leur choix, séparant immédiatement les cohortes des Anges déchus, des légions d’Anges qui servent Dieu dans une liberté fidèle - la liberté stable dans le bien – cette liberté qui n’est pas notre liberté déchue, celle du choix entre le bien et le mal. Par contre, c’est dans notre espace-temps que se construit notre connaissance progressive et libre de Dieu.

Dieu est antérieur et supérieur à tout espace-temps. Il a assurément créé d’autres univers dans des espace-temps différents, dont nous ne pouvons avoir une idée. Le seul univers « autre » qui a interféré avec le nôtre est celui des Anges, un monde immatériel, où la réflexion et le déplacement sont instantanés.

Pour notre Salut, Dieu a fait une autre Création, dans un autre espace-temps. L’invisible est tout aussi réel que l’univers concret que nous touchons de nos doigts. Cet autre espace-temps s’appelle « le Royaume ». Le Christ nous invite à traverser le monde des apparences pour y accéder. D’où l’importance d’un épisode comme celui de la « traversée de la mer de Galilée », où le Christ accueille les disciples « sur l’autre rive ».

Le Royaume n’est pas l’Église, même si l’Église s’est efforcée de réclamer pour elle-même ce qui est dit du Royaume dans l’Evangile. Le Christ n’a parlé qu’une seule et unique fois de l’Église, dans cette parole : « tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Mt. 16 ; 18). Si le Christ avait voulu parler de l’Église, Il l’aurait fait explicitement. Quant au Royaume, c’est une autre réalité, qui « perce » notre espace-temps dans les Mystères sacramentaux célébrés par l’Église, et dans les exploits de la vie spirituelle.

Notre Salut, c’est de nous agréger au Royaume, c’est de nous greffer à cette autre Réalité. A ce titre, il n’existe pas de Salut individuel, bien que c’est l’individu qui prend l’initiative de faire la démarche de la Foi, cette œuvre dont nous parle l’Évangéliste Jean. Le Salut est la participation à la dimension nouvelle du Royaume. En nous agrégeant au Royaume, nous acquérons une transparence, car notre « être à l’image » devient « ressemblant » à son Modèle divin. En devenant « très-ressemblants » - « prepodobni », nous devenons transparents aux Énergies divines, et nous illuminons le Cosmos qui nous entoure de ces Énergies sans lesquelles l’univers créé ne se maintiendrait pas même dans l’Être.

Nous appelons « Énergies » l’agir divin qui pour rayonner, n’a pas besoin de la création, puisqu’il s’agit d’une surabondance de Dieu Lui-même. Ces « Énergies », cet agir divin est toujours commun aux trois Personnes divines, bien qu’une Personne divine puisse agir dans la création, en réciprocité de service avec les autres Personnes de la Trinité. Ainsi le Christ donne-t-Il l'Esprit à ceux qui croient en Lui, et ceux qui croient au Christ, illuminés par l'Esprit, aiment le Père.

Notre Salut, notre ouverture au Royaume a donc une importance cosmologique : l’Univers entier est amélioré, spirituellement illuminé par notre appartenance au Royaume. Là aussi, notre Salut n’est pas uniquement individuel.

Nous pouvons ici commencer à saisir le sens de ce que dit le Christ lorsqu’il révèle à Nicodème la nécessité de « naître de nouveau » pour « voir le Royaume de Dieu » (3 ; 3). En ce qui concerne le Salut, il ne s’agit pas exclusivement du pardon des péchés, bien que cette dimension soit importante, si elle n’est pas déviée vers de la moralisation ; il ne s’agit pas exclusivement d’un jugement favorable de la part du Christ, bien que cette dimension existe également, tout en présentant aussi le danger de prêter à une lecture morale et non plus spirituelle. Dans sa plénitude, le Salut consiste à s’unir à une Réalité à la fois autre et toujours nouvelle : le Royaume. Ce n’est pas seulement la connaissance intellectuelle d’un message, d’une « gnose » ; c’est l’union organique des sarments au cep (15 ; 4 – 5), union chalcédonienne «sans confusion»: le sarment et le cep ne se confondant pas.

Le Christ prie le Père – qui L’exauce toujours (comme le Christ l’affirme devant le tombeau de Lazare - 11 ; 42), que ceux qui participent au Royaume soient là où se trouve le Christ, pour qu’ils contemplent la gloire que le Père a donné à son Fils, parce que le Père aime le Fils dès avant la création du monde, car le Fils est coéternel avec Lui (17 ; 24).

Nous pouvons être reconnaissants à la science contemporaine de nous donner des outils conceptuels qui nous permettent d’appréhender beaucoup plus facilement la réalité du Royaume. Nous pouvons aujourd’hui facilement admettre l’existence d’un espace-temps parallèle au nôtre, et interagissant avec le nôtre sous certaines conditions.

Sans la notion d’espace-temps (le temps étant la mesure du déplacement dans l’espace d’un objet ; l’espace étant ma mesure dans le temps du déplacement de cet objet, et cet ensemble de coordonnées n’étant valables que pour un système – ces coordonnées étant différentes pour tout autre système), la pensée ne pouvait se figurer le réel que sous la forme d’une ligne du temps, où le « présent » était figuré par un point circulant sur celle-ci à une vitesse invariable. Un point sur cette ligne mythique est notre naissance, un autre point sur cette ligne est l’événement de notre mort, et ensuite, le point du « présent » continuant sa course régulière et inexorable sur la ligne infinie du temps, l’au-delà était vu comme une « éternité » lugubre et inquiétante, « éternelle » et proprement inhumaine. Dieu est étranger à cette réalité temporelle et fluctuante, car Il est vu comme un Absolu philosophique, immuable et intangible.

Cette notion de « ligne du temps » a favorisé l’individualisation de la démarche religieuse : je meurs en un point donné de la « ligne du temps ». Il me faudrait attendre, je ne sais où, dans une sorte de purgatoire, le « Jugement dernier », pour le simple plaisir de subir cette épreuve tous ensemble… Il est bien mieux de penser que dans l’instant qui suit ma mort, je subis mon « jugement particulier », où Dieu m’examine en tenant en main un Code de lois, pour ensuite, être au Paradis parmi les nuages ou en Enfer dans les flammes. S’il n’y a qu’une seule « ligne du temps », qu’une seule réalité, celle du temps linéaire, tout ce que dit le Christ sur le Royaume est inutile. Les propriétés du Royaume sont comprises tout au plus comme une énumération de qualités que l’on applique, contre toute vraisemblance, à l’appareil ecclésiastique, pour le plus grand bénéfice de ce dernier. Avec une seule réalité temporelle linéaire, les Sacrements sont ressentis comme de vénérables survivances. Ils sont frappés d’inutilité : ce sont de pieuses dévotions. Ils sont faits pour « se rappeler » - on se demande pourquoi ? ne suffit-il pas de lire l’Évangile ? – les événements marquants de la vie du Christ. Il n’y aurait pas d’irruption dans notre monde d’une autre réalité. Avec cette vision d’une « ligne du temps » unique et exclusive, l’ensemble du processus du Salut, dans le Christianisme, devient entièrement incompréhensible.

En fait, en Dieu, il n’y a plus d’espace-temps, puisque n’existent pas les objets matériels entre lesquels ces dimensions peuvent se tisser. Dieu est présent en tous les points de l’espace de notre espace-temps. Dieu est contemporain en tous les points du temps de notre espace-temps. Dans le Royaume, nous serons en Dieu, et donc « partout présents » et « contemporains » avec Lui, dans le Présent toujours renouvelé qui est le « milieu de Vie » divin.

Revenons à notre texte de l’entretien avec Nicodème.

Dans la deuxième partie, nous avons vu que Jésus émettait une affirmation solennelle, dans ces termes : « Amen, Amen, Je te le dis » - cette affirmation concerne l’Engendrement d’En-Haut.


parallèle à : Avant-dernière partie (3; 11-18) :

3 11 Amen, Amen, je te le dis, nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu ; mais vous n'accueillez pas notre témoignage.
12 Si vous ne croyez pas quand je vous dis les choses de la terre, comment croirez-vous quand je vous dirai les choses du ciel ?
13 Nul n'est monté au ciel, hormis celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme.
14 Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l'homme,
15 afin que tout homme qui croit ait par lui la vie éternelle.
16 Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la Vie éternelle.
17 Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18 Qui croit en Lui n’est pas condamné ; qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu’il n’a pas cru au Nom du Fils unique de Dieu.

Jésus affirme solennellement : « Amen, amen, Je te le dis », ce qui introduit une affirmation importante, qui est le résumé du Salut :

Dieu a tant aimé le monde
qu'Il a donné son Fils unique
afin que tout homme qui croit en Lui ne périsse pas
mais ait la Vie éternelle (v. 16).

Cette parole d’une importance essentielle est encadré par deux commentaires :

Premier commentaire : (3 ; 11 – 15)

- Le témoignage est oculaire et concret :

Nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu (v. 11).

- Il faut être capable d’aller du terrestre au céleste ; si on est « bloqué » dans le terrestre, on est incapable de comprendre le Céleste :

Mais vous ne recevez pas notre témoignage. Si vous ne croyez pas quand Je vous dis les terrestres (ta epigeia), comment croirez-vous quand Je vous dirai les célestes (ta epourania) ?

- Cette élévation par la Foi est à l’image du Céleste qui est venu sur terre pour élever tous les êtres humains vers Lui :

Nul n’est monté au Ciel si ce n’est Celui qui est descendu du Ciel, le fils de l’Homme.

- Le Christ donne ici la prophétie de sa Passion :

Comme Moïse éleva le serpent au désert (Nb. 21 ; 9), ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l’Homme (v. 13, 14).

Deuxième commentaire : (3 ; 17 – 18)

- Le Père ne veut pas juger mais sauver, par son Fils :

Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par Lui (v. 17).

- L’importance de la Foi au NOM du Christ :

Celui qui croit en Lui n’est pas jugé ; l’incroyant est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au Nom du Fils Monogène de Dieu.


Partie centrale (3 ; 9 – 10) :

3 9 Nicodème lui répondit : « Comment cela peut-il se faire ? »
10 Jésus lui répondit : « Tu es Maître en Israël, et ces choses-là, tu ne les saisis pas ? »

Ces deux versets constituent une simple charnière, avec la réponse ironique du Christ : « Comment cela peut-il se faire, reprit Nicodème. Jésus lui répondit : tu es Maître en Israël et tu ignores ces choses ? »


La faculté de connaissance dont dispose le Christ.

Le Christ sait ; Nicodème, pour le moment, ignore. Il aura la connaissance de ce que signifie « il faut naître d'en haut », lorsqu'il sera illuminé par la plénitude du message du Christ, sous l'impulsion de l'Esprit-Saint. L'ignorance de Nicodème, ainsi que la connaissance du Christ, n'ont toutes deux rien d'étonnant. Le Christ, Homme-Dieu, nous enseigne la plénitude de la Vérité et, à son écoute, nous aurons la Connaissance, autant que cela soit possible, pour un esprit humain.

Tout cela n'a jamais posé de problème particulier pour la théologie orthodoxe, comme le dit saint Jean Damascène :

À cause de l'identité de l'hypostase et de l'indéfectible union, l'âme du Seigneur jouit de la connaissance de l'avenir comme des autres signes de divinité. (...) Nous affirmons qu'Il est Maître et Seigneur de toute la création, Lui l'unique Christ, identiquement Dieu et homme, et qu'Il sait tout. « En Lui sont cachés tous les trésors de la Sagesse et de la Connaissance » (Col. 2; 3).

Jean Damascène. La Foi orthodoxe. III, 21. 65. S.C. 540. p. 137-139.

Le Christ est une Personne divine, le Fils, la deuxième Personne de la sainte Trinité, en deux Natures : la Nature divine et la Nature humaine - cette Nature humaine étant assumée et déifiée par l'Incarnation et la Résurrection du Christ.

Le Christ est une seule Personne divine. Il est périlleux de dire qu'Il n'« a pas de personne humaine », car, de cette façon, on s'exprime en termes privatifs. Or, bien sûr, rien ne manque au Dieu fait homme. Le fait que le Christ soit une seule Personne divine veut dire que ce qu'Il a assumé en l'humain est notre Nature. Rappelons le fait que la Nature est ce qui nous est commun, et la Personne, ce qui nous appartient en particulier. Le Christ a assumé la Nature humaine, en ce sens qu'Il a assumé ce que nous avons, nous les êtres humains, en commun - alors qu'Il n'a pas assumé nos particularités. Le message du Christ s'adresse à l'ensemble de l'humanité. Si le Christ s'était limité à n'être qu'un individu humain, son message ce serait limité à son individu, comme l'enseignement d'un sage ou d'un philosophe. Un sage ou un philosophe peut faire entendre son discours à ses disciples ou à ses proches ; il peut bien sûr s'adresser à l'humanité entière, mais son discours est incapable de créer un nouvel espace-temps, celui du Royaume. Son discours ne saurait appeler l'humanité entière à se greffer à ce nouvel espace-temps, par une adhésion infiniment plus profonde qu'un simple accord intellectuel. Le discours d'un sage ou d'un philosophe n'a pas de conséquences cosmologiques. Cela n'empêche pas le fait que le Christ a été un « didascale », quelqu'un qui voulait fondamentalement faire passer un message d'une importance fondamentale et stratégique, pour toute l'humanité.

En parlant de « Personne divine », il est d'une primordiale importance de définir ce qu'est une « Personne » (hypostase), et ce qu'est une « Nature » (ousia). Saint Basile de Césarée nous définit ce qu'est une « Personne », en sa lettre 38 « à son frère Grégoire [de Nysse], sur la distinction de la substance et de l'hypostase » :

Nous affirmons donc ceci : ce qui est dit d'une façon propre et indiquée par le mot « hypostase ». En effet, lorsqu'on dit homme, on introduit dans l'oreille, par la signification indéfinie de ce mot, une idée quelque peu diffuse ; de sorte que, si la Nature et indiquée en vertu de ce nom, la « chose qui se tient en dessous » et qui est indiquée proprement par son nom, n'est pas signifiée. Au contraire, lorsqu'on dit « Paul », on montre la Nature subsistant dans la « chose indiquée par ce nom ». C'est cela l'hypostase (ou Personne) : ce n'est pas la notion indéfinie de Substance (ousia), qui ne trouve aucune stabilité par suite de la communauté de la chose signifiée, mais cette notion qui délimite et définit ce qu'il y a de commun et d'indécis dans certains objets déterminés, à l'aide de ses propriétés manifestes.

Saint Basile - Lettres. Tome I p. 82-83. éd. Les Belles Lettres, 1957.

Tout ceci est dit en une seule sentence, dans la lettre 214 de saint Basile au Comte Térence :

Le rapport qui existe entre le commun et le particulier est le même que celui qui existe entre la substance (ousia / Nature) et l' hypostase (Personne).

Saint Basile - Lettres. Tome II p. 205. éd. Les Belles Lettres, 1957.

La substance et l'hypostase ont entre elles la même différence qu'il y a entre le commun et le particulier comme, par exemple, celle qu'il y a entre l'animal en général et tel homme déterminé.

Saint Basile - Lettres. Tome III p. 53. éd. Les Belles Lettres, 1957.

Ainsi, parmi l'humanité, la Nature humaine désigne ce que l'ensemble des êtres humains ont en commun, et la personne humaine désigne ce qu'un être humain a en particulier. En ce sens, on affirme qu'il y a en Dieu une Nature divine, et trois Personnes divines : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. En son Incarnation, le Christ a assumé la Nature humaine, et Il est désormais une seule Personne divine en deux Natures, respectivement divine et humaine. En ce sens, en assumant la Nature humaine, le Christ a assumé ce que nous, les êtres humains, avons en commun. Nous, les êtres humains, en tant que Personnes, nous sommes chargés de « greffer » ce que nous avons en particulier, notre Personne, au Corps mystique du Christ.

Telle est la théologie définie par le concile de Chalcédoine : le Christ est une Personne en deux Natures - entre elles « sans confusion ni changement, sans division ni séparation ».

La négation de la Nature divine du Christ, et l'affirmation qu'Il soit uniquement humain, s'exprima dans l'hérésie arienne (« une seule Nature » - humaine).

La négation de la Nature humaine du Christ, et l'affirmation qu'Il soit uniquement divin, s'exprima dans l'hérésie monophysite (« une seule Nature » - divine).

Le monophysisme est la doctrine d'Eutychès, qui ne reconnaissait dans le Christ et après l'Union - c'est-à-dire l'Incarnation du Verbe, que la seule Nature divine, la Nature humaine ayant « fondu dans le brasier ». (...) Pour Eutychès, la Nature humaine n'existait plus en Christ que par le corps et - bien que ce corps ait été réel - sa doctrine n'est, au fond, qu'une version évoluée de la vieille hérésie docète.

Claude Guérillot. L'Église orthodoxe d'Antioche. Tome II éd. Véga 2008. p. 40.

L'affirmation que les deux Natures, divines et humaines du Christ, soient deux parallèles incommunicables, s'exprima dans l'hérésie nestorienne.

Dans les trois cas, comme disait Saint Athanase : « ce qui n'est pas assumé n'est pas sauvé ». Dans la perspective de ces trois hérésies, la divinisation de la Nature humaine est impossible.

L'Église s'est toujours assurée de maintenir le fait que, dans le Christ, la Nature humaine tout autant que la Nature divine possèdent chacune l'intégralité de leur dynamisme propre.

Aujourd'hui, nous avons la plus grande difficulté à concevoir qu'il existe quelque chose de divin. Notre univers est presque exclusivement « humain ». Trop souvent, les Chrétiens sont influencés par ce contexte : le Christ qu'ils professent est presque exclusivement humain… Aujourd'hui, il n'y a aucune difficulté à concevoir le Christ comme étant un humain d'une perfection remarquable, qui nous donne un admirable modèle de conduite morale et sociale. Par contre, il semble beaucoup plus difficile de considérer qu'Il soit pleinement Dieu. Bien sûr, on ne dit pas explicitement : « le Christ n'est pas Dieu ! » - cela ferait mauvais genre… - mais la divinité du Christ ne tient aucune place dans la pensée ; elle figure à titre de reliquat historique, comme une étiquette collée sur un bocal. Dans ce cas, la divinité du Christ est privée de son dynamisme propre.

Dans les temps anciens, c'était l'inverse qui se produisait : la divinité du Christ était confessée sans difficulté, mais bien souvent, la tentation était grande de réduire son humanité à une simple appellation. Le « dynamisme propre » de la Nature était appelée la « Volonté ». Ce terme ne peut plus être employé tel quel aujourd'hui, car le mot « volonté » a pris une signification psychologique qu'il avait pas à l'époque. C'est pourquoi, il nous paraît plus approprié de parler dans ce cas de l'« agir » de la Nature humaine, et de l'« agir » de la Nature divine. Dans l'Incarnation, la Nature humaine et la Nature divine du Christ ont chacune conservé leur « agir ».

Dans le Christianisme ancien, lorsqu'on confessait la divinité du Christ tout en ne reconnaissant à son humanité qu'un rôle purement passif, on était « monothélite » c'est-à-dire que l'on croyait en « une seule Volonté » dans le Christ (en termes contemporains : « un seul agir »), qui était la Volonté divine.

Aujourd'hui, nous avons le phénomène inverse : bien souvent, les Chrétiens confessent l'humanité du Christ, tout en ne reconnaissant à sa divinité qu'un rôle purement passif. Il s'agit là d'un « monothélisme » inversé.

L'humanité et la divinité du Christ possèdent donc la plénitude de leur dynamisme propre, de leur « agir ». L'union des deux Natures attache à chaque Nature les propriétés de l'autre. En Christ, la Nature humaine est « divinisée », et en Lui, Dieu a souffert volontairement dans la chair. Cette communication des propriétés, d'une Nature à l'autre, s'appelle la périchorèse.

Pour avoir un aperçu de la « théologie classique » concernant la faculté de connaissance qu'avait le Christ, nous pouvons consulter la « Théologie dogmatique orthodoxe » de Macaire, docteur en théologie, évêque de Vinnitza, recteur de l'Académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg, publiée chez Cherubliez, 1860. p. 108-112 :

Il faut entendre par « déification de la Nature humaine en Christ », non que l'humanité en Christ ait été changée en divinité, qu'elle ait cessé d'être limitée et qu'elle ait reçu les attributs divins en échange des attributs humains, mais que, prise par le Fils de Dieu dans l'unité de son hypostase, elle a participé à sa divinité, s'est unie avec Dieu le Verbe, et, par cette participation à la divinité, s'est élevée dans sa perfection au plus haut point possible à l'humanité, sans cesser néanmoins d'être humanité. Ou, pour nous servir encore des expressions du divin Docteur de l'Église qui exposa tout le dogme de la Personne de notre Sauveur avec le plus de clarté :

Note : nous prenons ici la traduction figurant dans le volume des « Sources Chrétiennes » N˚ 540, p. 119-121 - texte plus fidèle que celui qui figure dans la traduction française de la « Dogmatique de Macaire ».
Il est intéressant de voir que dans cette traduction française, le terme théologique « périchorèse » est traduit par « attouchement réciproque des Natures ».

Sachons-le : ce n'est pas en vertu d'une transformation de Nature, d'un changement, d'une altération ou d'une confusion que l'on affirme divinisée la chair du Seigneur, qu'on la dit semblable à Dieu et devenue Dieu, comme le fait Grégoire le théologien : « des deux, l'un a divinisé, l'autre a été divinisé » (Grégoire de Nazianze., Orat. 38, 13, 1. 27 p. 134), et : « j'ose dire semblable à Dieu » (Grégoire de Nazianze., Orat. 45, PG 36, 641 A 2 s.), et : « ce qui oignait est devenu homme, et Dieu ce qui était oint » (Grégoire de Nazianze., Orat. 30, 21, 1. 16-17 p. 272). Cela n'a pas eu lieu par une transformation de Nature, mais par une union d'Économie [dans le sens de « dispensation du Salut »], je veux dire l'union selon l'hypostase, par laquelle la chair été unie inséparablement au Dieu verbe, par la périchorèse [immanence mutuelle] des Natures entre elles, comme quand nous parlons de combustion du fer.

En effet, de même que nous confessons que l'entrée dans la condition humaine a eu lieu sans transformation ni changement, de même en va-t-il, estimons-nous, pour la divinisation de la chair. Parce que le Verbe s'est fait chair, Il n'est pas sorti des limites de sa divinité propre, non plus que des apanages qui lui revenaient comme Dieu. Pas davantage, la chair divinisée n'a été modifiée en sa Nature propre et ses propriétés de Nature. Il y eut permanence, même après l'union, des Natures non mélangées et de leurs propriétés intactes.

Mais la chair du Seigneur à joui de la richesse des opérations divines, à cause de son union parfaitement pure avec le Verbe, soit l'union selon l'hypostase, sans avoir à supporter aucune échéance quant à ses propriétés de Nature. Car ce n'est pas en vertu de son opération propre, mais grâce au Verbe uni à elle qu'elle opère divinement, le Verbe manifestant à travers elles sa propre opération.

Le fer chauffé au rouge brûle, non qu'il possède en raison de sa Nature l'opération de brûler, mais parce qu'il a fait cette acquisition de par son union avec le feu. La même chair, par conséquent, était mortelle par elle-même et vivifiante à cause de son union au Verbe selon l'hypostase. Pareillement, nous parlons de divinisation du vouloir, non parce que le mouvement naturel aurait été transformé, mais parce qu'il était uni au divin est tout-puissant vouloir, et parce que ce vouloir humain est devenu celui de Dieu incarné.

Jean Damascène. La Foi orthodoxe. III, 17. 1-33 S.C. 540. p. 119-121.

Suite du texte de la Dogmatique de Macaire :

Il ne faut donc pas prendre la déification de la Nature humaine en Jésus-Christ dans ce sens qu'elle aurait cessé d'être limitée et aurait réellement reçu des perfections divines infinies ; quelle serait devenue, par exemple, omnipotente, infiniment sage ou partout présente, tenant d'elle-même l'existence : ce serait admettre qu'en Jésus-Christ l'humanité ait été changée dans sa Nature et ses attributs naturels ; cela signifierait - soit qu'elle s'est confondue avec la divinité, - soit qu'elle s'est transformée en divinité, et non simplement déifiée.

Au cas où l'entendement humain en Jésus-Christ serait devenu infiniment sage et omniscient, alors il ne diffèrerait en rien de son entendement divin ; dans ce cas, en Christ il n'y aurait pas deux entendements, l'un divin, l'autre humain, mais un seul.

Au cas où la volonté humaine en Christ serait elle aussi toute-puissante et qu'elle ait reçu tous les attributs de la volonté divine, alors la volonté humaine ne diffèrerait en rien de la volonté divine, et dans ce cas, en Christ il n'y aurait pas deux volontés, mais une seule.

On pourrait dire ceci, sans doute de façon plus intelligible : si l'« agir » humain, dans le Christ, est absolument équivalent à l'« agir » divin, nous avons en Jésus, deux « agir » distincts, et non pas le dynamisme, l'« agir », d'une seule et unique Personne.

De la même façon, au cas où la Nature humaine en Christ serait omniprésente et qu'elle eût toutes les autres perfections divines, alors elle ne diffèrerait en rien de la Nature divine, ce qui mènerait à la conclusion qu'en Christ il n'y aurait pas deux Natures, mais une seule.

Autre chose est d'affirmer que le Christ, comme Personne unique, comme Homme-Dieu, est omniprésent, omniscient, omnipotent, et possède tous les attributs divins : cela est parfaitement juste, selon l'unité d'hypostase.

Autre chose aussi est de dire que la Nature humaine en Jésus-Christ s'éleva dans toute perfection au plus au point où elle pût atteindre ; quelle emprunta de la divinité tout ce qu'elle pouvait, sans cesser pourtant d'être toujours humanité ; qu'elle s'enrichit de toute sagesse, de toute grâce, de toute sainteté et de toute force vivifiante : cela est encore parfaitement juste, selon l'union intime, hypostatique, des deux Natures, et selon l'aptitude de l'humanité à recevoir de la divinité les attributs désignés, endéans certaines limites.

Mais il est bien différent de soutenir que l'humanité même du Christ, considérée en dehors de l'unité de son hypostase, c'est réellement enrichie et a pris possession des attributs divins : cela est en opposition avec la doctrine des deux Natures en Christ, unies sans confusion ni changement ; cela est aussi en opposition avec la modicité de la Nature humaine.

« Comment la chair, demande Saint Justin le martyr, fut-elle déifiée après son union avec la divinité ? » Il répond : « c'est sans doute en ce que, même ayant été prise dans l'hypostase de la Nature divine, elle resta chair humaine, devenue incorruptible et immortelle à cause de son union avec le Verbe. Ainsi la chair reste chair, et elle n'est point Dieu, mais elle devint participante de la dignité seulement (non de la Nature) divine, selon la bienveillance du Verbe même » (Justin. Expositio Fidei).

Les Pères du sixième Concile œcuménique, dans l'exposition de ce dogme, disent entre autres : « comme la chair sainte et pure (du Christ) ne s'est point anéantie avec la déification, mais est demeurée dans ses limites et ce qu'elle est par elle-même, aussi, avec la déification, sa volonté divine s'est pas non plus anéantie, mais est demeuré entière ».

À Jésus-Christ, comme seule et même Personne, comme Homme-Dieu, une seule et inséparable adoration divine, et selon la divinité et selon l'humanité, par la raison nommément que la divinité et l'humanité sont unies en Lui inséparablement ; que, quoique son humanité reste humanité, ayant été prise par Lui dans l'unité de son hypostase divine, elle est aussi la propre humanité de Dieu le Verbe.

Note en page 110 de la Dogmatique de Macaire :

Ainsi se concilient, apparemment, les assertions contradictoires des anciens Docteurs de l'Église sur la connaissance du Sauveur. Les uns, en expliquant les paroles de Matthieu (« quant à la date de ce jour, et à l'heure, personne ne les connaît, ni les anges des Cieux, ni le Fils, personne que le Père, seul. Mt. 24; 36), disait que Jésus-Christ, selon son humanité, ne connaissait pas le dernier jour du monde ; tels sont Irénée (Adv. Haer. II, 29, N˚6, 8), saint Athanase le grand (Contra Arian. orat. III, N˚43,46,52,53), Basile le Grand (Epits. CXXXVI, N˚1), Grégoire le Théologien (Serm. sur la Théologie, IV; Œuvres des saints Pères, III, 94), Grégoire de Nysse (Contra Apoll. Antirrhet., N˚14, 28 ; De Deit. Fil. et Spir. S. p. 470, t. II, Morel), Didyme d'Alexandrie (Enarrat. in I Joann. II, 3, 4), Épiphane (Ancorat., XI), Théodoret (In Psalm. XV, 7), Cyrille d'Alexandrie (Contra Anthrop., cap. 14), et, en général, la plupart, sinon tous, comme l'atteste Simon de Byzance (De Sectis, art. X).
Les autres, quoique en petit nombre, affirment que Jésus-Christ connaissait les derniers jours du monde, ainsi que tout le reste, non seulement par sa divinité, mais aussi par son humanité (Ambros., De Fide, V, 18, N˚221 ; Eulog. apud Phot., cod. CCXXX, p. 882 ; Damasc., Exp. de la Foi orth., III, chap. 22).

Les premiers avaient raison, parce qu'ils entendaient dans ce cas l'humanité du Sauveur - in abstracto, c'est-à-dire en elle-même, en dehors de l'unité de son hypostase divine, comme le montre cette parole de saint Grégoire le Théologien : « il est clair pour tout le monde que le Fils connaît comme Dieu ; mais Il s'attribue l'ignorance comme homme, entend seulement que le visible peut être séparé de l'idéal. Cette idée résulte même de ce que le nom de Fils est mis ici dans un sens absolu, c'est-à-dire sans qu'il soit déterminé de qui est le Fils, ou que nous entendions cette ignorance dans un sens plus conforme à la piété, et que nous l'attribuions à l'humanité et non point à la divinité (Œuvres des Saints Pères, III, 94).

Les derniers avaient aussi raison, parce qu'ils entendaient le Sauveur comme une seule Personne divine, dans laquelle la divinité et l'humanité sont inséparablement unies, - ce qui résulte clairement des paroles d'Euloge (loco citato). C'est dans le dernier de ses sens que l'Église condamna au sixième siècle la fausse doctrine des agnostes, qui, confondant en Christ les deux Natures, et nommément admettant en Lui l'absorption de l'humanité par la divinité, affirmaient que le Christ, entendu même comme une seule Personne divine, ne connaissait pas (agnoéô) le dernier jour du monde (Nicephor. H. E., XVIII, cap. 45, 49, 50 ; Suicer. Thesaur. eccles., sub voce agnoètai).

Selon cette conception, l'humanité du Sauveur, comprise en elle-même, c'est-à-dire indépendamment de sa divinité, cette humanité aurait bénéficié d'une connaissance limitée. Par contre, l'humanité du Sauveur, comprise comme une seule Personne divine, aurait bénéficié d'une connaissance totale et absolue.
Cette explication nous paraît quelque peu insuffisante, car il nous semble impossible de considérer l'humanité du Sauveur en dehors de l'unité de sa Personne divine.

L'union du divin et de l'humain en Christ.

- Le Christ peut-il réellement être un être humain à part entière, si sa Nature humaine ne s'exprime pas en une Personne humaine, comme elle le fait en chacun d'entre nous ?
- Le Christ est-Il un humain à part entière, s'il utilise son humanité comme on le fait d'une prothèse ou d'un instrument ?
- Est-Il un humain à part entière, s'Il n'a rien fait de plus que de revêtir l'humanité comme d'un manteau ou d'un vêtement ?

La difficulté de cette question provient, le plus souvent, du fait que l'on conçoit l'humanité assumée par le Christ, comme étant notre humanité d'ici et maintenant, notre humanité dans son état actuel. Or il faut savoir que, ici et maintenant, nous ne vivons pas en un état d'humanité plénière. Nous vivons dans un monde déchu, dans une création « seconde ».

Avant que l'univers ne soit ébranlé par la déflagration cosmique de la Chute, le monde était autre dans son mouvement, et l'homme était aussi autre, c'est-à-dire avait une autre vision de la réalité et fonctionnait selon une autre formule existentielle.

Mircea Milcovitch. Le grand mystère. Les éditions romaines 2013. p. 192-193.

La « première » création fut celle d'un être humain global, un dans sa Nature et multiple dans ses Personnes, fait à l'image de Dieu, qui Lui-même est un dans sa Nature divine et multiple en les Personnes du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint.

La Personne de l'homme, qualité essentielle de son être, ne peut venir que d'un Dieu qui lui-même une Personne.

M. Milcovitch. Ibid. p. 31.

L'homme n'est pas seulement l'ultime représentant de la chair animale évoluée. Sa composante spirituelle pose des questions pour lesquelles la science n'a pas de réponse. Cette composante devient intelligible lorsqu'on accepte un homme préconçu en dehors du temps, c'est-à-dire avant le commencement. Un homme créé à l'image de Dieu et parfaitement libre, dont l'état actuel serait le résultat de son libre choix. Lorsqu'on accepte aussi le fait qu'en tant que créature de Dieu, sa destinée ultime serait de réintégrer la source ontologique, la Divinité. Quand l'origine doit rencontrer la fin, donc l'ontologie la téléologie, la connaissance de la vérité n'est plus du ressort de la seule pensée rationnelle.

M. Milcovitch. Ibid. p. 27-28.

Une question fondamentale fut posée par le Créateur à cet être humain global, et cette création est assurément posée dans l'univers entier à tout être conscient et libre. Elle consiste en ceci : « veux-tu collaborer à mon œuvre de création, ou estimes-tu que tu es toi-même le terme et le centre de cette création ? » Une réponse positive à ce projet de collaboration créatrice était éminemment probable, car l'être humain global vivait dans un contexte de liberté d'épanouissement et de croissance : la liberté de s'ouvrir aux Énergies divines et de progresser toujours davantage vers une plus grande intimité avec le Créateur. Cette liberté n'était pas une liberté de choix, dans lequel le mal aurait déjà été inscrit en tant que potentialité. C'est bien pourquoi l'accès à l'Arbre de la Connaissance du bien et du mal lui était interdit.

Dans le dessein divin, il n'y avait aucune séparation préconçue dont la fatalité aurait pesé sur le libre vouloir humain.

M. Milcovitch. Ibid. 115-116.

Comme nous le savons, la réponse à cette question fondamentale fut négative : l'être humain global se préféra lui-même à son Créateur ; il voulut se nourrir de la création, plutôt que des Énergies divines. Ce faisant, il détruisit le fruit de la création en voulant se l'assimiler.

Dans cet univers premier, la mort était une réalité qui s'adressait aux espèces qui n'étaient pas à l'image de Dieu. En bouleversant radicalement l'ordre de la création, l'être humain global se mit en contact avec le virus de la mort, qui ne lui était pas destiné au départ.

Dieu ne peut pas être associé aux formes de corruption et de mort, quelle que soit leur justification dans la nature.

M. Milcovitch. Ibid. p. 81.

Par sa réponse négative au Créateur, l'être humain global fit un « acte absolu » qui entraîna la récapitulation de la création tout entière. Celle-ci recommença littéralement à partir du début. Ce fut une « seconde » création, qui se développa sur base de l'entropie, de la finalité, de l'entre-dévorement et de la souffrance.

Rien de tout cela n'était conforme à la volonté créatrice initiale de Dieu. Dans ce cosmos, l'homme apparut tardivement, après une longue évolution biologique. La liberté de l'être humain devint une liberté de choix, dans laquelle le mal était inscrit et pouvait se développer à tout moment. L'être humain lui-même se parcellisa en une multitude d'individualités qui n'allaient pas manquer d'entrer en conflit. La création entière devint un décor presque opaque, où il fut difficile de discerner la présence du Créateur. Le mode d'existence de la créature humaine avait radicalement changé.

Au moment où Dieu s'est incarné, l'homme était dans un état d'irréversible aliénation. Sa Nature originelle ne se retrouvait plus dans l'usage que lui-même en faisait. Les dégâts étaient très grands, et ce mauvais usage passait pour l'unique nature de l'homme. Rien ne pouvait plus être sauvé et il fallait une intervention pour changer, opérer la réparation de l'intérieur.

M. Milcovitch. Ibid. p. 55.

L'alliance établie avec Noé - ce dialogue entre l'être humain et son Créateur, exprimé dans le récit du Déluge - cette alliance nous montre que Dieu n'a aucun projet d'anéantir ce monde, même s'il est déchu, et même si ce monde est profondément marqué par la bêtise, la violence et l'aveuglement de l'être humain. Dieu ne veut pas trancher arbitrairement le nœud serré par l'être humain. Si on ne veut pas couper un nœud mal fait, il convient de le dénouer en faisant à l'inverse, tous les gestes qui ont contribué à le nouer. C'est le mécanisme de la Récapitulation : en s'incarnant, le Christ fit un « acte absolu » qui fit recommencer l'univers depuis le début : il s'agit d'une nouvelle création. Et cette création, c'est le Royaume. Il s'agit d'un univers nouveau, un nouvel espace-temps, où la mort est vaincue et où règne la Lumière divine.

La chute du premier homme avait fait perdre la conformité avec l'unité de la Source divine.

Dieu qui demeurait toujours la Source de toute existence, n'était plus dans le « tout » du monde déchu.

Cela rendait impossible le retour aux origines, comme une simple marche arrière. Pour parfaire l'unité, Dieu devait opérer une nouvelle création. Celle-ci fut greffée sur l'ancienne de telle manière que ce qui paraissait perdu pour l'infinité des temps dans la division destructrice, ce qui ne pouvait plus revenir à l'unité, soit réuni progressivement dans une nouvelle unité.

M. Milcovitch. Ibid. p. 80.

Le Christ se pose en Nouveau Créateur, sortant des eaux primordiales lors de son baptême dans le Jourdain - eaux sur lesquelles plane l'Esprit sous forme de colombe ; et c'est justement la colombe revenant auprès de Noé dans l'Arche, signifiant le début d'une nouvelle ère - et façonnant l'argile avec sa salive, pour en oindre les yeux de l'aveugle et lui faire recouvrer la vue, tout comme le Verbe avait façonné l'argile originelle, pour créer Adam - « terre rouge », matière « rougie » au feu de l'Esprit. Le Christ se pose en nouveau Moïse, lorsqu'avec ses disciples il traverse le lac de Galilée, partant du rivage de notre monde, imprégné de mortalité et de finitude - pour arriver au rivage du Royaume où désormais l'entropie et toute forme de pesanteur et d'opacité, sont disparues.

Le Royaume des Cieux est une véritable nouvelle terre et de nouveaux cieux qui n'ont pas encore existé. Dieu les fait pour qu'ils contiennent humanité sauvée, et qu'ils forment ensemble une nouvelle création.

M. Milcovitch. Ibid. p. 279.

Le Christ a fait pressentir à ses apôtres la Lumière imprégnant le Royaume, lors de sa Transfiguration. En fait, le Christ n'a aucunement changé, lorsqu'Il était en présence de Moïse et d'Élie, au sommet de cette montagne qui est traditionnellement identifiée avec le Mont-Thabor. Il s'agit d'une effusion de l'Esprit : par le Christ, l'Esprit a été donné aux apôtres présents, et l'effet de cette effusion de l'Esprit fut la transformation de leur perception. Ils purent voir la véritable réalité de l'humanité du Christ, qui est l'humanité telle qu'elle est vécue dans le Royaume.

C'est cette humanité qu'Il a assumée, l'humanité véritable et plénière, et non pas l'état que nous pouvons littéralement appeler de « sous-humanité » que nous vivons en notre univers déchu. Il est bien évident que si le Christ avait assumé notre état de sous-humanité, Il se serait enfermé Lui-même en cette humanité étroitement limitée. Il aurait eu à sa disposition uniquement la connaissance limitée que Lui fournissait ses mécanismes neuronaux, et Il aurait perçu uniquement ce que ses sens matériels Lui auraient laissé percevoir. Or, dans tous les actes du Christ, nous voyons qu'Il a montré le fait qu'en aucun cas Il ne s'est laissé enfermer par son humanité.

En particulier, Il n'a pas laissé déterminer son existence par une relation sexuelle, quelle qu'elle soit, et Il ne s'est pas laissé enfermer dans une structure familiale, telle qu'elle existait à son époque. Par contre, nous voyons que son humanité était intégrale : ses amitiés, tant avec l'apôtre Jean qu'avec Marie-Madeleine, montre que l'« agir » de sa Nature humaine était pleinement actif. Sa volonté humaine était en plein accord avec la Volonté du Père, sans pour autant qu'elle y soit soumise. Au Jardin des Oliviers, Il demanda - par sa volonté humaine - que le calice du Sacrifice soit éloigné de Lui mais, du fait de l'accord complet existant entre sa volonté humaine et la Volonté du Père, Il Lui demanda que sa Volonté soit faite.

Étant en pleine possession de l'humanité intégrale, telle qu'elle existe dans le Royaume, le Christ avait donc une connaissance totale. Il voyait à distance Nathanaël sous le figuier ; Il était parfaitement au courant de la mort imminente de Lazare, alors qu'Il cheminait très loin du domicile de celui-ci. Par contre, lorsqu'Il fut interrogé par les disciples en ce qui concerne le moment de la Fin des Temps, Il leur répondit que personne ne connaissait ce moment, sauf le Père.

Les commentaires que l'on fait à ce propos sont parfois hasardeux : généralement, on explique cet épisode, en disant qu'il ignorait en tant qu'homme, mais connaissait en tant que Dieu. Cette réponse est d'une saveur toute nestorienne, mettant en parallèles incommunicables l'humanité et la divinité du Christ.

En fait, un comportement typique de Dieu, c'est d'avoir une information et de renoncer à s'en servir. Le plan que le Christ désirait réaliser, c'est de convertir le peuple élu, dûment préparé par toute la pédagogie de l'Ancien Testament - et ce peuple élu aurait à son tour évangélisé les nations païennes. Ainsi ce seraient réalisées de nombreuses prophéties de l'Ancien Testament, où l'on voit les nations accourir au Temple de Jérusalem.
Malheureusement, cela ne s'est pas accompli suivant le plan. Il y a donc eu un plan « B », ouvrant les portes de la Révélation aux Gentils qui, dans le plan « A », ne devaient pas faire partie de la première vague d'évangélisation. Le plan « A » est décrit dans un bon nombre de prophéties de l'Ancien Testament, et ces prophéties de se sont pas réalisées. Pourquoi donc Dieu a-t-il inspiré des prophéties dont Il savait pertinemment bien qu'elle ne se réaliseraient pas ? Eh bien, Dieu « savait » mais Il ne « voulait » pas tenir compte de cette information, car Il respecte très scrupuleusement la liberté humaine.

Moi-même, en tant qu'être humain, si je vois devant moi un rocher posé par un adversaire, je tiendrai compte de cette information et je contournerai l'obstacle. Dieu se comporte assez bizarrement : Il détient cette information, mais Il n'en tient pas compte, car celui qui a posé le rocher a l'entière liberté de le faire. Et Dieu se heurtera au rocher, par amour inconditionnel de l'être humain, en respectant l'exercice de sa liberté, même si celle-ci fait le mauvais choix.

En ce qui concerne la connaissance du Christ, Il sait très bien, tout comme le Père, quelle est l'heure de la Fin des Temps, mais, volontairement, Il ne veut pas se servir de cette information, par miséricorde envers l'être humain. La supposition que la Fin des Temps était tout proche fut un puissant encouragement pour la première génération de chrétiens. Ce n'était d'ailleurs pas réellement une erreur, car notre Fin des Temps à nous, c'est la frontière de notre vie, c'est la mort biologique. Et cela est vrai, à chaque génération.
Le Christ a voulu ne pas se servir de l'information qu'il avait à ce sujet, pour ne pas nuire à ses disciples. S'ils avaient su que la Fin des Temps ne se produirait qu'après plusieurs millénaires, leur motivation s'en serait trouvée quelque peu ébréchée. En fait, ce n'était aucunement un abus de confiance, car la hâte de rencontrer le Christ est une composante essentielle du christianisme : « Maranatha » viens, Seigneur Jésus !

Peut-on parler d'une Nature ou d'une Personne divino-humaine, dans le Christ ?

Il reste cependant une question : comment le Christ peut-il être pleinement un être humain, s'Il n'a pas assumé de Personne humaine - même si nous sommes désormais conscients qu'Il n'a pas vécu son humanité comme nous le faisons ici et maintenant, dans ce monde déchu et marqué par la mortalité ?
La réponse de la théologie est que la Nature humaine de Jésus est « en-hypostasiée » dans la Personne divine du Christ. La Personne divine du Christ est reliée à sa Nature humaine « en oblique », en quelque sorte. C'est une spécificité de la Personne du Christ.

La réponse aurait été plus aisée, si l'on avait affirmé tout simplement que la Personne du Christ est divino-humaine.
Cette réponse toute simple et naturelle a été écartée par l'Église, car dans ce cas, la Personne du Christ aurait été différente de la Personne du Père et de celle de l'Esprit. Le Père, le Fils et l'Esprit-Saint sont trois Personnes divines, et qui possèdent leur état de Personne de façon identique.
La même réflexion peut s'effectuer, si l'on avait supposé que le Christ ait une Nature divino-humaine. Dans ce cas, la Nature du Christ aurait été différente de la Nature du Père et de celle de l'Esprit ; or Ils possèdent une Nature identique et divine. Tout cela aurait compromis la « solidarité » des trois Personnes divines.

Philoxène de Mabboug (vers 440 - 523) exprime sa conviction de l'existence d'une Nature divino-humaine, dans sa « Lettre aux moines » :

Ce Jésus, Dieu le Logos est notre vérité avec son Père et l'Esprit-Saint. Une Trinité, une Essence, une Divinité, une Nature, depuis toujours et à jamais. En Elle, il n'y a pas Nature et Nature, ni non plus Essence et Essence, ni plus jeune et plus âgé, mais Un en Trois, et Trois en Un. Une Nature éternelle, et des hypostases éternelles. Une seule Nature adorable avec ses hypostases, depuis toujours et à jamais.

« Une Nature incarnée en Dieu le Verbe », telle est la célèbre expression de saint Cyrille d'Alexandrie. Cette notion d'une seule Nature en Christ fut refusée par l'Église, et l'expression cyrillienne fut corrigée en affirmant qu'en fait, saint Cyrille voulait parler de l'unique Personne du Christ... Il est vrai qu'à l'époque, le langage était encore flou.
Lors du deuxième Concile de Constantinople, en 553, fut émis le huitième anathématisme, rédigé comme suit : « Si quelqu'un ne confesse pas que les deux Natures ont été unies en Jésus-Christ en une seule Personne, qu'il soit anathème ». La doctrine des deux Natures en une seule Personne est désormais normative.

Sans doute aurait-on pu vaincre ce type d'obstacle théologique - c'est-à-dire l'acceptation de la notion de Nature divino-humaine - mais la pensée « chalcédonienne » possède un grand avantage : avec elle, on peut conceptualiser la divinisation. En Christ, la Nature humaine est assumée et siège désormais à la droite du Père. Chacun d'entre nous, nous avons à réaliser cette divinisation en notre Personne humaine, divinisation déjà réalisée selon notre Nature. En fait, cela est rendu possible par le fait que notre personne possède la capacité de se diviniser.

La création de l'être humain est un effet de la Volonté créatrice du Père. La mise en œuvre de cette Volonté créatrice s'opère par les deux « hypostases manifestatrices » que sont le Verbe et l'Esprit.

Dans ta sagesse, ô Père des Cieux, * avec la force de ta puissance Tu as construit * le monde grâce à ton Verbe coéternel * et à l'Esprit qui procède de Toi : * Gloire à ton pouvoir, Être sans commencement.

Tropaire de la 3ème Ode du Canon de Matines du 1er Septembre - Office pour la protection de l'Environnement - P. Denis Guillaume. Supplément au Ménée de Septembre. éd. Samizdat, 2000. p. 11.

À l'origine, ces hypostases manifestatrices firent deux œuvres distinctes : le Verbe façonna la matière originelle, et l'Esprit fut donné par le Verbe afin d'animer cette matière et d'en faire une âme vivante - car l'Esprit est donné à la créature par le Christ.

Bien plus que de faire de l'homme un simple être vivant, Dieu lui inoculait avec son Souffle une parcelle d'absolu. L'homme devenait une « Personne ». Malgré son être de chair, cette qualité lui permettait de connaître son Créateur.

M. Milcovitch. Ibid. p. 32.

Le Verbe est l'empreinte du Père, et posa Lui-même son empreinte sur la matière, en la façonnant. L'être humain garde en lui l'empreinte du Verbe, et c'est ce qu'on appelle sa « verbéité ». Une empreinte, un sceau, n'est autre que la transmission d'une forme, d'une information, sans transmission de matière. L'être humain façonné par le Verbe est donc à l'image de l'Image du Père.

Cette image est le sceau qui permet notre divinisation. Dieu n'est pas pour nous un étranger. Il est inscrit au plus profond de notre chair, en la « verbéité ». L'être humain possède, dans sa structure même, la capacité de l'union à Dieu.

- La verbéité donne la qualité d'être « à l'image » de Dieu, et aussi le pouvoir de devenir, librement et consciemment, « selon la ressemblance » de Dieu.

M. Milcovitch. Ibid. p. 107.

- La verbéité constituait le point caché d'où pouvait partir la Rédemption.
- La verbéité est et la semence d'éternité dont parle l'apôtre Jacques (Jc. 1; 21).

M. Milcovitch. Ibid. p. 108.

Si l'être humain était fondamentalement étranger à Dieu, tout discours concernant l'Incarnation serait par là-même incohérent au départ. Par contre, si la divinisation fait partie intégrante de notre « programmation » - bien que ce mot soit mal choisi, du fait que ce terme ne laisse pas de place à notre liberté - la participation à la divinité fait de toute évidence partie de l'appel qui nous vient de Dieu. À ce moment-là, le joug que nous propose notre Créateur est doux, et notre fardeau, léger (Mt. 11 ; 30).

- Le Verbe dont l'homme porte l'empreinte, est la clef, le centre du créé.
- Le véritable centre (de la Création) doit constituer ce dans quoi et par quoi la totalité du monde créé trouve son origine.
- C'est dans le Verbe que le centre et la véritable mesure du créé peuvent avoir un sens.
- Le Verbe-Sagesse était présent lorsque Dieu traçait les limites spirituelles du monde.

M. Milcovitch. Ibid. p. 92-93.

- Le centre de la création est le Verbe de Dieu, à partir duquel elle commence, par lequel l'homme atteint sa destination finale, et dans lequel tout ce qui est fait revient à l'unité.

M. Milcovitch. Ibid. p. 96.

Notre divinisation n'anéantit pas nos propriétés humaines : c'est ce que veut dire la comparaison classique des Pères de l'Église, qui comparent la divinisation au fer rougi au feu : le fer reste toujours du fer, mais acquiert la propriété du feu. Cette comparaison ne tiendrait pas si le fer et le feu étaient rigoureusement étrangers l'un à l'autre, comme le sont l'eau et la qualité d'être sec. Si l'humain et le divin étaient rigoureusement étrangers l'un à l'autre - s'il n'y avait pas de « verbéité » - cela n'aurait pas plus de sens de comparer la divinisation au fer rougi au feu, que de parler d'eau sèche… Mais nous voyons que le façonnement de l'être humain par le Verbe certifie notre compatibilité avec le Divin et assure la réalité de notre divinisation, si nous voulons bien recevoir l'Esprit qui nous est donné par le Verbe. Cet Esprit modifie nos perceptions, comme Il l'a fait pour les apôtres lors de la Transfiguration. Il nous permet de devenir progressivement transparents aux Énergies divines, et de les faire rayonner sur autrui, par notre prière et notre vie spirituelle.

- L'opposition de l'homme à Dieu est chose contre-nature. De par sa nature, la créature (humaine) et attirait inlassablement et invisiblement vers son créateur, et cette tendance persiste même si elle en a plus aucun discernement conscient.

M. Milcovitch. Ibid. p. 245.

- De même que l'homme avait été préconçu « dans » le Verbe et créé « par » le Verbe, de même le verbe, cette fois-ci incarné, permet à l'homme de réintégrer la divinité dans une relation hypernaturelle que l'on appelle « filiation » (Ibid. p. 29).

- La création visait la Révélation : on le voit surtout dans le fait que Dieu a préparé d'avance les structures de l'entendement humain, capables de la recevoir.

- Dieu façonna la Personne de l'homme d'une manière spéciale, en y mettant sa marque. Car c'est dans cette marque cachée que devait se réaliser plus tard, la ressemblance à l'Image, c'est-à-dire à son Verbe (Ibid. p. 164).


Une précision apportée à la théologie chalcédonienne.

Le danger de la théologie de Chalcédoine, c'est d'être tenté d'utiliser les notions de Nature et de Personne, d'ousie et d'hypostase, comme le fait un enfant, avec les blocs de son jeu de construction : « j'en mets un par-ci, deux par-là… ». Ce genre de théologie devient facilement « mécaniste », surtout si l'on aboutit à des notions semblables à celles d'« en-hypostaton ». Tout cela devient alors un jargon théologique dont on ne voit plus guère les liens avec la vie spirituelle. Par contre, les notions de Nature divino-humaine et de Personne divino-humaine avaient l'avantage de la simplicité et risquaient moins de devenir des conceptions purement spéculatives.

La Personne divino-humaine du Christ a été appelée « Personne composite ». Du côté chalcédonien, cette notion a été bien sûr suspectée de monophysisme. Ce malentendu a été dissipé lors des dialogues qui ont eu lieu entre l'Église copte et l'Église orthodoxe. Lors de la deuxième réunion plénière de la Commission mixte du dialogue théologique entre l'Église orthodoxe et les Églises orientales orthodoxes - réunion qui se tint au Monastère Abba Bishoy, Wadi-el-Natroun, en Égypte, du 20 au 24 juin 1989 - cette Confession de Foi fut proclamée :

Il est vraiment grand le merveilleux mystère du Père, du Fils et du Saint-Esprit : un seul vrai Dieu, une ousia en trois hypostases ou trois Personnes. Que le Nom du Seigneur notre Dieu soit béni pour toujours.

Il est grand également le mystère ineffable de l'Incarnation de notre Seigneur Jésus-Christ pour nous et pour notre salut.

Le Logos, éternellement consubstantiel avec le Père et le Saint-Esprit dans sa Divinité, est devenu chair dans les derniers jours par le Saint-Esprit et la bienheureuse Vierge Marie, la Théotokos - et est ainsi devenu homme, consubstantiel avec nous dans son humanité mais sans péché. Il est en même temps vrai Dieu et vrai Homme, parfait dans sa Divinité, parfait dans son Humanité. Du fait que Celui qu'elle porta dans son sein était en même temps pleinement Dieu et pleinement humain nous appelons la bienheureuse Vierge Théotokos.

Lorsque nous parlons de l'hypostase une et composite (synthetos) de notre Seigneur Jésus-Christ, nous ne voulons pas dire qu'en Lui s'unissent une hypostase divine et une hypostase humaine. Nous voulons dire que l'une et éternelle hypostase de la Deuxième Personne de la Trinité a assumé notre humaine Nature créée, dans un acte l'unissant à sa propre divine Nature incréée pour former ensemble un réel Être divino-humain uni inséparablement et sans confusion, les Natures étant distinguées l'une de l'autre uniquement dans la contemplation (theoria).

L'hypostase du Logos avant l'Incarnation n'est évidement pas composite, ni même avec sa Nature divine.
La même hypostase, distincte de la Nature, du Logos incarné n'est pas non plus composite.
L'unique Personne (prosopon) théandrique de Jésus-Christ est une hypostase éternelle qui a assumé la Nature humaine dans l'Incarnation.
C'est pour cela que nous appelons cette hypostase composite, en raison des Natures qui sont unies afin de former une unité composite.
Le vrai problème n'est pas de savoir si nos Pères utilisaient toujours les termes physis et hypostasis de manière interchangeable et confondaient l'un avec l'autre. Car le terme hypostasis peut être utilisé pour désigner aussi bien la Personne distincte de la Nature que la Personne avec la Nature, car une hypostase n'existe en fait jamais sans une Nature.

C'est cette même hypostase de la Deuxième Personne de la Trinité, engendrée de toute éternité par le Père, qui, dans ces derniers jours, devint un être humain et naquit de la Vierge bienheureuse.

C'est là le mystère de l'union hypostatique que nous confessons dans une humble adoration – l'union réelle du divin avec l'humain, avec tous les traits propres et toutes les fonctions de la divine Nature incréée, y compris la volonté naturelle et l'énergie naturelle, unies inséparablement et sans confusion à la Nature humaine créée avec tous ses traits propres et toutes ses fonctions, même la volonté naturelle et l'énergie naturelle. C'est le Logos incarné qui est le sujet de tout "vouloir" et de toute action de Jésus-Christ.

Nous sommes d'accord pour condamner les hérésies nestorienne et euthychienne. Nous ne séparons ni ne divisons la Nature humaine dans le Christ de Sa nature divine, ni, non plus, nous pensons que la première a été absorbée par la dernière et ainsi aurait cessé d'exister.

Les quatre expressions employées pour décrire le mystère de l'union hypostatique appartiennent à notre Tradition commune – sans confusion (asynchytôs), sans changement (atreptôs), sans séparation (achôristôs) et sans division (adiairetôs).

- Ceux parmi nous qui parlent de deux Natures dans le Christ ne nient pas par là leur inséparable et indivisible union ;

- ceux d'entre nous qui parlent d'une Nature divino-humaine unie en Christ ne nient pas la présence dynamique continue en Christ du divin et de l'humain, sans changement ni confusion.

Notre accord mutuel n'est pas limité à la christologie, mais embrasse toute la Foi de l'Église une et indivisible des premiers siècles. Nous sommes d'accord également sur la façon de comprendre la Personne et l'Action de Dieu, le Saint-Esprit qui procède du Père seul, et est toujours adoré avec le Père et le Fils.

Cette Confession de Foi est d'une importance essentielle, et son langage est celui de la haute pensée de l'Église.

Cette réflexion issue du dialogue entre l'Église copte et l'Église orthodoxe nous apporte un élément important, concernant la coexistence de la Nature humaine et de la Nature divine, dans la Personne du Christ : « les Natures sont distinguées l'une de l'autre uniquement dans la contemplation ».
La distinction entre Nature humaine et Nature divine dans le Christ, est une distinction de raison : elle est nécessaire à notre esprit, afin que nous puissions considérer la divinité et l'humanité en Christ, sans danger de mélange ni de confusion. Cela nous évite la tentation d'utiliser de façon mécaniste les concepts de Chalcédoine.

L'autre élément important est la notion de « Personne composite ». « L'une et éternelle hypostase de la deuxième Personne de la Trinité a assumé notre Nature humaine créée (...) pour former ensemble un réel Être divino-humain ».
Le Christ, Personne divine de la Sainte Trinité, a assumé notre Nature humaine, pour former une « unité composite ». Dans cette perspective, le terme d'« unité composite » n'est pas une formule contradictoire, car il s'agit de l'assumation d'une Nature par une Personne.
Le grand avantage de la notion de « Personne composite » est d'envisager l'unité du divin et de l'humain dans le Christ, en écartant tout risque de séparation ou de division. Ici, il n'est pas question de monophysisme !

- Si nous considérons la Personne du Christ en privilégiant la distinction entre le divin et l'humain, nous parlerons de deux Natures dans une seule Personne divine.

- Si nous considérons la Personne du Christ en privilégiant l'union existant en Lui entre le divin et l'humain, nous parlerons d'une hypostase composite.

- Quant au mode d'union du divin et de l'humain en Christ, il reste inaccessible à notre connaissance humaine, dans la mesure où nous ne pouvons l'évoquer qu'en termes négatifs.

Le premier point de vue évitera le piège de la confusion des Natures, tandis que le deuxième point de vue évitera le danger d'établir une division entre la Nature humaine et la Nature divine, dans le Christ.

Ainsi se trouvent préservés les qualificatifs qui furent donnés par le Concile de Chalcédoine, et qui montrent que l'humain et le divin existent en la Personne du Christ sans confusion (asynchytôs), sans changement (atreptôs), sans séparation (achôristôs) et sans division (adiairetôs).


Où se trouve la conscience ?

Même si la notion de « Personne composite » ne figure pas dans la théologie classique, il nous est permis de penser qu'elle peut nous être d'un précieux secours, lorsque nous considérons la conscience du Christ.
Il faut dire qu'un croyant se sent mal à l'aise, lorsqu'il s'agit de considérer un aspect aussi intime à la personne qu'est la conscience, en ce qui concerne le Christ.
Les théologiens et exégètes qui ont posé la question de savoir quelle conscience le Christ avait-il de Lui-même, l'ont généralement fait en désirant prouver que le Christ n'est qu'un humain. Celui-ci n'aurait eu d'autre conscience qu'une conscience humaine, étroitement limitée. Cette question de « conscience du Christ » est polluée par l'arianisme ambiant qui imprègne de nombreux ouvrages théologiques et exégétiques contemporains.

Nous reconnaissons en Christ la plénitude de la divinité et la plénitude de l'humanité. La question de la conscience du Christ nous intéresse, dans la mesure où elle peut éclairer le fonctionnement de notre conscience, à nous, êtres humains, dans le cadre de notre vie spirituelle.

Tout d'abord, qu'est-ce que la conscience ? C'est la faculté de prendre une distance avec soi-même, d'être soi-même témoin de ses pensées et de ses actes ; c'est la capacité de se poser la question : « qui suis-je ? »
Les expériences « à la frontière de la mort » nous montrent qu'il existe une conscience qui est présente, même si l'ensemble des neurones de notre cerveau ne donne plus qu'un signal plat. De nombreux patients dont la mort clinique avait été constatée, ont eu conscience du local où se trouvait leur corps, ont vu leurs proches dans le couloir voisin, sont capables de répéter les paroles qui ont été dites auprès de leur corps et, dans certains cas, ont même vu le traitement médical qui leur avait été apporté. Or, pendant tout ce temps, leur cerveau était cliniquement inactif. Ces expériences recoupent le message de plusieurs traditions religieuses anciennes qui ont conscience de la « présence » du défunt à proximité de son corps, quelque temps après son décès.

La conscience est donc une faculté qui ne réside pas dans notre tissu neuronal. Alors, où donc se trouve la conscience ?
Notre cerveau - en ce qui concerne la conscience - ne serait-il qu'une interface avec « autre chose » ?

Tout ce que nous savons de la nature s'accorde avec l'idée que son processus fondamental s'établit hors du temps et de l'espace, mais engendre des événements qui peuvent être situés dans le temps et dans l'espace.

La science elle-même nous indique qu'il paraît y avoir un niveau de réalité située hors de notre monde et qui, loin d'être une pure abstraction, peut, dans certains cas, exercer une sorte d'influence causale sur notre monde.

Jean Staune. Notre existence a-t-elle un sens ? - Une enquête scientifique et philosophique. Presses de la Renaissance, 2007. p. 92,93.

La thèse de la pensée comme simple épiphénomène - celle d'une pensée émanant d'un cerveau purement composé d'atomes - est logiquement incohérente, puisque les objets qui y sont censés expliquer la pensée, n'ont eux-mêmes d'existence que relatifs à la pensée (Ibid. p. 96).

La conscience n'est pas un objet physique, si l'on considère qu'elle est dans le même rapport aux neurones que l'est un calcul aux puces d'un ordinateur (Ibid. p. 98).

Cette « autre chose » contient des informations ; il ne s'agit pas d'un espace-temps, qui contient des objets. S'il ne s'agit pas d'un espace-temps, de quoi s'agit-il ?

La notion de « Sagesse » nous vient à l'esprit.


Sagesse divine et Sagesse créée.

La Sagesse divine est une notion qui a été élaborée dans le souci de préserver l'immuabilité divine, compte tenu qu'il s'est produit un acte de création de l'univers. Si Dieu est absolu, Il est nécessairement immuable, car rien ne peut Lui être ajouté ni retranché. Pour que la création n'ajoute rien à Dieu, il faut nécessairement qu'elle préexiste de toute éternité en Lui. La Sagesse divine a été comprise comme l'ensemble des potentialités existant en l'Absolu, de toute éternité. La création n'a fait qu'actualiser ce qui existait potentiellement en Dieu. À ce titre, elle n'apporte rien de neuf à la divinité. La Sagesse a été identifiée comme l'endroit où se trouvent ces informations - l'ensemble des potentialités de la création - de toute éternité. C'est une notion plus philosophique que théologique.

Au point de vue théologique, nous savons que la caractéristique fondamentale de Dieu est d'être Rayonnant. Nous ne pouvons pas Le limiter, en ne voyant en Lui que l'UN de la philosophie. Dieu est rayonnant et surabondant. Son Rayonnement est Dieu Lui-même, puisque, ontologiquement, il n'y a rien d'extérieur à Lui. Son Rayonnement est éternel et incréé. Son Ryaonnement est indépendant de la création : Il rayonne éternellement, qu'il existe ou n'existe pas de créatures pour recevoir ce rayonnement - tout comme le soleil brille, qu'il y ait ou non des planètes pour bénéficier de sa lumière. Bien sûr, nous ne pouvons pas faire abstraction du fait qu'il existe effectivement des planètes qui sont réchauffées par la lumière du soleil, tout comme il existe effectivement une création qui est soutenue dans l'Être par le rayonnement des Énergies divines. Les Êtres et objets créés ne subsistent pas par eux-mêmes : à chaque instant, ils n'existent que grâce à un acte constant de création, grâce à un apport constant effectué par les Énergies divines.
L'ensemble des Énergies qui sont en contact avec la création, nous l'appelons « Sagesse ».

Même si le Créateur et la création sont bien distincts l'un de l'autre, de par son essence intime, Dieu se tourne vers le monde et l'homme qu'Il a créé. Volonté n'est pas synonyme de nécessité : Dieu absolu et immuable ne subit aucune nécessité, mais en faisant le monde, Il s'y penche et « veut » se faire connaître. Ce lien permet de parler de Sagesse de Dieu tournée vers le monde. Voici une première approche.

Cette essence intime de Dieu Le fait se tourner vers la création, et par cela même dévoiler ce qui peut être compris de Lui par la créature. Ce serait là la seconde approche.

Le déploiement de Dieu vers la création s'appelle « Sagesse ». (...) Notion théologique, la Sagesse signifie la relation de conformité de l'homme avec Dieu, celle qui rend possible la rencontre et même l'union homme-Dieu.

M. Milcovitch. Op. cit. p. 177-179.

Les Pères ont généralement interprété la figure de la Sagesse, dans l'Ancien Testament, comme étant une typologie du Christ (ou de l'Esprit, notamment chez saint Irénée).
Pourtant, il existe un passage des Écritures qui est incompatible avec cette interprétation : « le Seigneur m'a créée au début de ses œuvres », dit la Sagesse, au huitième chapitre du Livre des Proverbes, verset 22. Le Christ est Dieu, et ne peut donc avoir été créé. La « Sagesse » dont il est question dans ce passage doit désigner une autre réalité. Sans nul doute, il s'agit de ce monde des potentialités, qui existe éternellement en Dieu.

Existerait-il une Sagesse qui serait le pendant créé de la Sagesse divine ? Pour le savoir, assez curieusement, il nous faut faire un détour par la théorie de l'évolution.
Nous ne songeons pas à nier le phénomène de l'évolution : « l'évolution est un fait, et le darwinisme est l'une des explications possibles de ce fait » (Jean Staune. Op. cit. p. 207). Néanmoins, prétendre que l'évolution darwinienne explique TOUT, est une attitude non-scientifique.

Certaines transitions sont soudaines et non pas graduelles (...). Admettre l'existence de telles macro-mutations et leur faire jouer un rôle de premier plan dans l'évolution, c'est donc ouvrir une porte au « non-hasard », ce qui est intolérable pour les darwiniens forts [c'est-à-dire les évolutionnistes qui prennent au pied de la lettre la théorie de Darwin] (Jean Staune. Op. cit. p. 229).

Il n'est pas question ici de développer l'ensemble de l'argumentaire qui existe, concernant l'évolution darwinienne. Nous pouvons simplement noter que de très nombreux mécanismes biologiques ne fonctionnent que si « tout est en place » : des réactions chimiques comprennent des molécules complexes qui sont toutes indispensables. Si l'une d'elles manque, « cela ne fonctionne pas ». On ne voit pas comment le hasard seul aurait pu mettre en place de tels mécanismes, qui ne sont efficaces que lorsqu'ils sont entièrement constitués. Par ailleurs, en de nombreux cas, des sous-espèces convergent vers des formes qui apparaissent nettement prédéfinies, car les états intermédiaires de l'évolution ne donnent pas d'avantages sélectifs particuliers. Tout ceci peut être synthétisé en les points suivants :

- L'évolution n'est pas un phénomène aléatoire ;
- l'évolution n'est pas un phénomène continu ;
- l'évolution n'est pas obligatoirement liée à une nécessité immédiate - cela implique qu'elle n'est pas le produit de la sélection naturelle ;
- l'évolution et la mutation sont deux phénomènes séparés : en effet, certaines espèces mutent énormément sans évoluer ;
- la paléontologie révèle que les lignées issues d'une souche commune jouissent toutes d'une même tendance à réaliser certaines formes, un certain type, mais à des degrés inégaux.

Jean Staune. Notre existence a-t-elle un sens ? - Une enquête scientifique et philosophique. Presses de la Renaissance, 2007. p. 258.

La question fondamentale nécessaire pour juger de la validité du darwinisme devient : « quelle est la puissance exacte de la sélection naturelle ? » Peut-elle vraiment accomplir tout ce qu'elle doit accomplir pour que le darwinisme puisse expliquer l'évolution ? (Ibid. p. 271).

On retrouve là encore cette faille centrale du darwinisme : la différence entre les pouvoirs réels de la sélection naturelle, et les pouvoirs théoriques dont devrait faire preuve la sélection naturelle, pour éliminer la nécessité de recourir à d'autres facteurs que les facteurs darwiniens, pour expliquer l'évolution (Ibid. p. 271).

Un grand nombre de phénomènes évolutifs dont le darwinisme échoue à justifier la progression, trouveraient une solution aisée, en faisant appel à l'antique notion scolastique de « Cause finale ». Cette dernière est le but, vers lequel se dirige tout organisme en évolution. Cela suppose, par le fait même, une causalité qui se dirige « de l'avenir vers le passé ». Cette évolution guidée vers un but s'appelle la téléologie.

La thèse de la téléologie tire sa force de l'accumulation des arguments en sa faveur. Elle ne se fonde pas sur une seule preuve, mais sur l'addition de toutes ces preuves ; sur la longue chaîne de coïncidences qui conduit de façon si convaincante vers l'objectif très particulier de la vie ; sur le fait que toutes ces preuves indépendantes s'emboîtent les unes dans les autres pour donner une magnifique totalité téléologique. Dans le domaine de l'évolution, la thèse se dégage également de l'addition des preuves. Prises une à une, ces preuves ne font que suggérer une possibilité ; mais considérées ensemble, elles donnent une image globale qui soutient fortement la notion d'évolution dirigée.

Citation de Michael Danton, in : Jean Staune. Notre existence a-t-elle un sens ? - Une enquête scientifique et philosophique. Presses de la Renaissance, 2007. p. 244.

Le concept d'évolution façonnée par le but qui lui est assigné résout de très nombreux problèmes qui restent inexpliqués, selon le néodarwinisme (le néodarwinisme est le darwinisme classique, augmenté des découvertes génétiques). En fait, sous bien des aspects, « le darwinisme classique est une tautologie, puisqu'il prédit la survivance de mieux adaptés ; mais qui sont les mieux adaptés ? Ceux qui survivent ! » (Jean Staune. Op. cit. p. 249). Bien sûr, la conception téléologique suppose l'existence d'une autre dimension qui n'est pas d'ordre matériel, mais qui est plutôt d'ordre informationnel. Cette autre dimension serait capable de provoquer une causalité inverse à l'écoulement temporel. Une évolution façonnée par le but qui lui est assigné permet d'avoir une vision organiciste des êtres vivants :

Le tout est plus que la somme des parties. La totalité détermine la nature des parties. On ne peut comprendre ces parties tant qu'on les considère isolément, sans référence à la totalité. Les parties sont dynamiquement reliées entre elles dans une interaction et une interdépendance incessante. En conséquence, l'approche analytique, atomiste, caractéristique de la physique newtonienne classique se révèle inadéquate pour comprendre la vie dans son ensemble, ou dans ses différentes expressions animales ou végétales.

Jean Staune, citant le paléontologue Roberto Fondi. Op. cit. p. 256.

Les « formes » vers lesquelles convergent l'évolution des êtres vivants, sont contenues dans « quelque chose d'autre » que nous appelons Sagesse. Bien sûr, cela nous fait penser au « monde des idées » de Platon. Mais ici, il ne s'agit pas de formes géométriques, ni de Beau idéal, mais bien de la perfection que peut atteindre chaque organisme, dans sa catégorie d'être.

Le réalisme non-physique repose sur une ontologie de type platonicien, comme le souligne Bernard d'Espagnat : « les Idées de Platon ne sont pas dans l'espace-temps, mais elles existent indépendamment de l'esprit humain et sont les cause des phénomènes. C'est pourquoi on parle parfois, à propos du platonisme, de réalisme des essences. En ce sens-là (une réalité indépendante lointaine, probablement non-située dans l'espace-temps), le réalisme philosophique d'un physicien peut difficilement ne pas être un peu platonicien. Ainsi, Bohm lui-même, jadis porte-drapeau des physiciens "matérialistes", en est-il venu maintenant à dire que les objets perçus sont seulement des projections de ce qui est ». (Jean Staune. Op. cit. p. 99-100)

Les états superposés et la non-localité.

La physique quantique nous donne un aperçu de la réalité qui comporte de nombreux « attentats au bon sens ». Une particule, tel un électron, est un « pic de probabilité », lorsqu'on ne l'observe pas. Dans cet état, il se présente comme une onde. Ce « pic de probabilité » exprime le fait que l'on ne peut pas le situer exactement : il peut être partout dans l'univers, mais la probabilité qu'il se trouve en tel point est considérablement plus élevée, sans que l'on puisse préciser nettement sa position. Lorsqu'on observe l'électron, ou lorsqu'il interagit avec quelque chose, ce « pic de probabilité » s'effondre (c'est la « réduction du paquet d'ondes »), et ce que nous observons, c'est une particule. Ce ne sont pas deux aspects d'un même objet ; la particule change de nature selon qu'elle soit ou non observée. Elle est réellement différente… On ne peut donc plus parler, en physique quantique, d'une « réalité en soi », objective, que l'on peut observer sans l'influencer. Le monde où nous vivons a un caractère non-ontologique. Ce paradoxe est illustré par la comparaison célèbre du «chat de Schrödinger» :

Un appareil enregistre l'émission d'une particule radioactive par un atome. Si cette émission a lieu, un marteau s'abat sur une fiole contenant du gaz mortel, se trouvant dans une boîte dans laquelle on a mis un chat ; si elle n'a pas lieu, le marteau reste bloqué. Si l'on suit les équations de la physique quantique, tant que le résultat de l'expérience n'a pas été observé, il y a une superposition des états : la particule a été émise ET n'a pas été émise, le marteau est baissé ET levé, la fiole est cassée ET intacte, le chat est mort ET vivant (Jean Staune. Op. cit. p. 81).

Tant que l'on n'observe pas le chat (en fait, la particule, bien sûr !), celui-ci est en « état superposé » : il est à la fois mort et vivant… À partir du moment ou l'on observe le chat, c'est-à-dire où l'on ouvre la boîte, celui-ci change de nature (en fait, la particule…), et l'on se trouve devant un chat bien ordinaire, SOIT mort, SOIT vivant.

Pour ma part, je préfère l'histoire du « poisson soluble » à celle du « chat de Schrödinger » (Jean Staune. Op. cit. p. 59). Imaginons un étang, dans lequel se trouve un poisson. Tant que nous n'avons pas observé le poisson, nous sommes incapables de savoir où il est, et incapables de connaître la vitesse à laquelle il nage (impossibilité de connaître à la fois la position et la vitesse d'une particule). Il ne s'agit pas seulement d'un manque d'information, ou d'absence d'appareil de mesure pour pouvoir identifier la vitesse et la position. Il s'agit réellement d'un poisson probabiliste : il y a une probabilité qu'il se trouve partout dans l'étang, mais il existe un « pic de probabilité » à l'endroit où l'on présume qu'il soit. C'est toute l'eau de l'étang qui contient le poisson, qui, en quelque sorte, se trouve partout dans l'étang... - À partir du moment où le poisson mord à notre hameçon, brusquement, nous connaissons sa situation et sa vitesse. Mais le poisson change instantanément de nature: il cesse d'être un « poisson probabiliste » pour devenir ce « poisson mangeable » qui gigote au bout de ma ligne. Instantanément, l'eau a perdu sa « probabilité de poisson », partout dans l'étang. Le pic de probabilité s'est effondré (« réduction du paquet d'ondes »), pour laisser place à un poisson concret (une particule observée). - évidemment, dans notre monde habituel, dans notre expérience quotidienne, c'est la physique classique qui s'applique : C'est un poisson concret que nous avons entre les mains, et non pas un poisson en « état superposé » ! Le passage du monde quantique au monde classique s'appelle la « décohérence ». Les superpositions quantiques disparaissent à partir d'une certaine - et minuscule - dimension de l'objet : « la disparition de l'état superposé prend une quarantaine de microsecondes pour un champ constitué de trois photons » (Jean Staune. Op. cit. p. 121-122).

Nous ne sommes pas au bout de nos surprises :

La polarisation d'un photon est aléatoirement « + » ou « - » quand elle est mesurée dans une direction donnée.
En faisant « sauter » les électrons d'une couche à un autre dans un atome, il est possible d'émettre un couple de photons qui donneront des réponses identiques, quand on mesurera leur polarisation selon une même direction. (...) Les particules ne sont porteuses d'aucun « + » ou « - » durant leur parcours vers les instruments de mesure. À l'arrivée, lorsqu'une des particules répond, de façon aléatoire - « + », par exemple - l'autre, de façon totalement coordonnée, répond la même chose. Si la mesure n'avait pas été effectuée sur la première, la réponse à une mesure sur la deuxième aurait été totalement aléatoire. Mais lorsqu'on observe la réponse « + » de la première particule, on sait avec une certitude absolue que l'autre répondra « + » aussi (Jean Staune. Op. cit. p. 65-66).

Il s'agit de particules corrélées, caractérisées par la non-séparabilité. Ces particules montrent une interaction rigoureusement instantanée. Des expériences à haute précision montrent qu'il ne s'agit pas d'un « échange d'information » entre deux particules corrélées, car le phénomène de non-séparabilité s'effectue d'une façon totalement simultanée - alors qu'un « message » circulant entre ces particules à la vitesse de la lumière, aurait mis un temps mesurable à être transmis. Pour mieux comprendre ce dont il s'agit, prenons un exemple.

Nous avons parlé du « chat de Schrödinger » ; une fois de plus, prenons pour exemple un chat, qui est sans doute plus sympathique qu'un poisson soluble… Imaginons qu'un écran montre l'image d'un chat qui regarde à droite. Tout à côté, un autre écran montre l'image du même chat, qui regarde également à droite. - Lorsque le premier écran nous montre l'image du chat regardant à gauche, le deuxième écran nous montre également, sous un autre angle, l'image du chat qui regarde dans la même direction.

- Nous finissons par nous interroger sur cette étrange simultanéité d'images. Tout d'abord, nous supposons que le premier écran communique au deuxième écran l'information qui permet de constituer l'autre image du chat qui regarde dans la même direction...

- Nous renouvelons l'expérience, en mettant le deuxième écran très loin du premier. Et nous obtenons un résultat très surprenant : les deux images de la même situation restent simultanées, au milliardième de seconde près, alors qu'une information transmise à la vitesse de la lumière, du premier écran vers le second, aurait pris plusieurs milliardièmes de seconde pour franchir la distance qui sépare maintenant les deux écrans. Dans ce cas, il ne peut être question d'une information qui serait transmise à la vitesse de la lumière, du premier écran vers le second.

La deuxième solution, serait d'imaginer qu'il existe ailleurs deux caméras qui filment le même chat, et donnent l'image de ce chat à leurs écrans respectifs. C'est tout simple ! Et c'est assez évident… Or il se fait que celui qui mène l'expérience refuse absolument d'envisager qu'il puisse exister un « ailleurs ». La seule chose qui existe, selon son opinion, ce sont ces deux écrans. L'idée qu'il existerait une « action fantôme à distance », ne peut être acceptée par « aucune conception raisonnable de la réalité », comme le disait Einstein dans ses discussions avec le mathématicien Niehls Bohr, à propos du « principe de localité » (Jean Staune. Op. cit. p. 64-66). Dans ce cas, le phénomène qui permet de regarder sur ces écrans les deux images du chat, est tout simplement impossible. Ce phénomène est la non-localité : les « caméras » ne se trouvent pas dans l'espace-temps où existent les deux écrans.

La science elle-même nous indique qu'il paraît y avoir un niveau de réalité située hors de notre monde et qui, loin d'être une pure abstraction, peut, dans certains cas, exercer une sorte d'influence causale sur notre monde.
Jean Staune. Op. cit. p. 93.

« Hors de notre monde » - c'est-à-dire, appartenant à la Sagesse créée.

Nous voyons donc qu'il existe une Sagesse divine, comprenant l'ensemble des informations qui constituent les réalités potentielles de la création. Grâce à la Sagesse divine, la création ne comporte aucune « nouveauté » pour le Créateur : il s'agit de la mise en œuvre de réalités qui existent éternellement de façon potentielle, dans la Sagesse divine.
La Sagesse divine comprend également les « formes » vers lesquelles évoluent les êtres vivants, formes qui servent de Cause finale à ces êtres animés.

Faisant écho à cette Sagesse divine, la Sagesse créée comprend l'ensemble des informations à partir desquelles existe chacune des particules élémentaires qui constituent notre monde. C'est ainsi que notre univers dépend d'une constante action créatrice, qui soutient dans l'être chaque élément de notre monde.

D'autre part, la Sagesse créée est le siège de notre conscience. C'est ainsi que cette conscience peut percevoir notre environnement, lors des expériences à la frontière de la mort, alors même que nos neurones ne sont plus en état d'être utilisés. Notre conscience demeure intacte, malgré notre mort physique et la décomposition rapide de nos tissus cérébraux.

L'Église chante « Mémoire éternelle » pour nos défunts. Il ne s'agit en aucun cas de la mémoire humaine, qui n'a rien d'éternel… Il s'agit de l'ensemble des informations stockées dans la Sagesse créée, et qui sont ainsi gardées à proximité du Créateur. Ces informations permettront à notre conscience, lors de la Résurrection, de « récupérer » les éléments significatifs de notre corps physique, qui ont conservé une « marque » de leur appartenance à notre personne - comme un isotope reste radioactif après avoir été exposé au rayonnement d'un matériau radioactif. Ces éléments « isotopiques », après un processus de transfiguration qui les rendra transparents aux Énergies divines, constitueront notre « corps glorieux » avec lequel nous vivrons dans le Royaume.

La lecture de Saint Grégoire de Nysse nous permet de nous figurer un genre de particules qui, dans la dissolution du corps, demeurent unies avec l'âme aux confins profonds de la matérialité. À propos de l'état de l'âme et du corps après la mort, saint Grégoire écrit ceci : « même les éléments contenus dans le corps ont été séparés et ramenés à eux-mêmes ; ce qui les unissait à travers l'activité vitale n'a pas péri… Après que le mélange s'est dissous et a rejoint les éléments propres, cette nature simple et non composée (c'est-à-dire l'âme) demeure présente en chacune des parties ». Et plus loin : « unie dans sa nature avec ses combinaisons d'éléments (l'âme) demeure même perpétuellement avec les composants du mélange, sans être d'aucune façon arrachée à cette union naturelle qu'elle a contractée une fois pour toutes ».
Grégoire de Nysse. Sur l'âme et la résurrection. Cerf 1995, p. 93-97.
M. Milcovitch. Op. cit. p. 271-272.

Nous constatons ainsi qu'il n'est pas possible de se borner à constater qu'il existe « quelque chose d'autre », qui a une influence causale sur notre monde - et ensuite d'arrêter là notre recherche. Une telle découverte implique un changement complet de notre vision du monde, si l'on part du matérialisme déterministe. La représentation « classique » du monde est définitivement obsolète. Cette représentation est fort utile, en tant qu'approximation de ce qui existe, et fonctionne relativement bien à notre échelle. Mais elle ne correspond pas exactement à la réalité, et la représentation matérialiste du monde qui en a résulté est fausse. Il est nécessaire d'inscrire tout cela dans un contexte plus large. Et nous venons de voir que les concepts de « Sagesse créée » et de « Sagesse incréée » permettent de situer l'ensemble dans une vision cosmologique globale.


L'auto-conscience du Christ.

Nous avons vu que la Confession de Foi qui a résulté du dialogue entre l'Église copte et l'Église orthodoxe, a donné - d'une part, le sens exact de la « distinction entre les deux Natures - et d'autre part, le sens exact de l'expression « Personne composite » », en ce qui concerne la Personne du Christ.
L'usage de l'expression « Personne composite » a été justifiée, lorsqu'on considère prioritairement l'unité hypostatique. Cette expression n'a pas été reçue dans la théologie chalcédonienne, qui a préféré voir en Christ une seule Personne divine, la deuxième personne de la Trinité, afin de pouvoir conceptualiser le processus de la divinisation. L'unique Personne divine du Christ a assumé la Nature humaine, c'est-à-dire les êtres humains dans leur globalité. C'est aux personnes humaines à réaliser en collaborant à la grâce divine - dans le parcours de leur vie et dans la mesure qui leur est donnée - l'union à Dieu la plus complète possible. Il s'agit pour chaque être humain de réaliser en sa personne, ce qui a déjà été accompli par le Christ sur le plan de la Nature humaine.

La notion de « Personne composite » n'a pas trouvé asile dans la théologie chalcédonienne. Elle a même été suspectée de monophysisme - suspicion exagérée, comme nous l'avons constaté. L'impression que cette notion était « hérétique » provient très probablement du fait qu'elle n'était pas située à la bonne place… En fait, s'il était préférable d'éviter de qualifier la Personne du Christ de « Personne composite », ne serait-il pas opportun d'affirmer que le Christ ait une « conscience composite » ?

En reprenant le texte de la Confession de Foi, nous pouvons dire de la conscience ce qui y est dit de la Nature du Christ : « Lorsque nous parlons de la conscience une et composite de notre Seigneur Jésus-Christ, nous ne voulons pas dire qu'en Lui s'unissent une conscience divine et une conscience humaine. Nous voulons dire que l'une et éternelle conscience de la Deuxième Personne de la Trinité a assumé notre conscience humaine créée, dans un acte l'unissant à sa propre divine conscience incréée pour former ensemble un réelle conscience divino-humaine unie inséparablement et sans confusion, les consciences divine et humaine étant distinguées l'une de l'autre uniquement dans la contemplation ».

Ainsi, nous ne juxtaposons pas la conscience humaine et la conscience divine en Christ, de sorte qu'elles soient séparées. Mais nous ne voulons pas dire pour autant qu'elles soient unies pour être confondues. Le Christ, avec sa conscience divine et incréée, a assumé une conscience humaine créée, inséparablement et sans confusion. Quant à nous, lorsque nous observons le Christ, sa conscience humaine et sa conscience divine ne peuvent être pour nous qu'une « distinction de raison », sans doute nécessaire pour notre raisonnement, mais qui ne correspond pas adéquatement à la réalité. Cette réalité, c'est-à-dire le mode de relation existant entre conscience divine et conscience humaine en Christ, outrepasse notre capacité de conceptualisation.

Nous pouvons comprendre l'Incarnation comme une inspiration permanente, la pensée humaine de Jésus étant sans cesse associée à la pensée que lui procurait le Verbe. En d'autres termes, le Christ, en vertu de son hypostase composite, à la fois divine et humaine, devait avoir une « conscience », au sens à la psychologie, également composite.

Le livre et la raison - éléments pour une théologie du IIIème millénaire. Claude Guérillot. éd. d'Antioche 2012. p. 112.

Une interrogation telle que : « comment le Christ se conçoit-Il Lui-même ; quelle est la nature de sa conscience ? » ne peut que mettre mal à l'aise un croyant. Celui qui croit que le Christ est véritablement homme-Dieu ressent ce type d'interrogation comme une indiscrétion. C'est le même genre de sentiment que l'on peut éprouver devant ce qu'il est convenu d'appeler le suaire du Christ, conservé à Turin. Il est pour le moins « indiscret » de compter les coups de fouet qu'aurait reçus le Christ, si cette relique était authentique. La tentative de convaincre des incroyants par le moyen d'une prétendue évidence historique est, bien sûr, tout-à-fait vaine - tandis que le croyant ne ressent pas la nécessité de jeter un regard inquisiteur sur un tel mystère.

Nonobstant l'inutilité des questions que l'on peut se poser sur la nature de la conscience du Christ, ce type de problématique a son utilité : elle peut nous éclairer sur le mécanisme de notre conscience à nous, les humains. Serait-ce possible que chacun de nous, avec notre conscience humaine et créée, nous serions appelés à assumer une conscience divine et incréée, inséparablement et sans confusion ? Serions-nous des êtres composites ?


Notre conscience composite.

Nous avons déjà réfléchi sur la « trajectoire » que parcourent les Énergies divines lorsqu'elles pénètrent dans les profondeurs de notre être. Elles traversent l'ensemble de nos « strates psychiques », pour arriver au fond de notre âme. Si celle-ci se présente comme un miroir spirituel, parfaitement calme et serein, sans bruits ni parasites, les Énergies divines se reflètent sur le fond de l'âme et remontent à la surface de notre être, irriguant et donnant vie à chacun des éléments de notre psyché. L'ensemble de ce processus se passe sur le plan du surconscient. Une fois parvenues au niveau de notre conscience, ces Énergies y révèlent des « suggestions » qui nous seront bénéfiques, si nous consentons à accomplir ce qu'elles proposent. Car elles savent avant nous et mieux que nous, ce qui est bon pour notre destinée.

Un grand discernement spirituel est nécessaire pour ne pas repousser ces suggestions au nom de la rationalité, car, bien souvent, les avenues qu'elles proposent ne sont pas celles qui sont considérées comme « raisonnables » par notre environnement social. Non seulement, il convient de ne pas noyer ces suggestions sous l'abondance et la dispersion du discours rationnel, mais encore il est nécessaire de reconnaître leur langage qui est, le plus souvent, de l'ordre du symbole et de l'allusion. Enfin, la difficulté de reconnaissance de ce type message est encore augmentée par le fait qu'il est fréquemment indispensable de laisser s'écouler bien du temps, avant que cette suggestion ne vienne à se réaliser. Contrairement au langage rationnel, un temps d'incubation est le plus souvent nécessaire, car les mouvements les plus importants se passent hors de la sphère du conscient : « ce que l'on voit provient de ce qui n'est pas apparent » (Hb. 11 ; 3).

Dieu parle aux hommes, et nous avons compris qu'Il nous parle au moyen des « pensées intrusives », c'est-à-dire de l'émergence dans notre conscient de combinaisons de pensées latentes que nous demeurons libres d'écouter, d'accepter et de faire nôtres.

Le livre et la raison - op. cit. p. 112.

Dieu nous apprivoise secrètement et, un jour, nous reconnaissons que son action en nous est comme le grain de sénevé, imperceptible au début, totale quand nous avons suffisamment progressé.

Ibid. p. 143.

Les « pensées inclusives » désignent les suggestions, lorsqu'elle surgissent en nous sous forme verbale. Mais comment ces « pensées inclusives » peuvent-elles surgir dans notre esprit, sans pour autant bouleverser les lois physiques ? C'est ici qu'il faut faire intervenir la notion d'exocytose. Quelques explications sont nécessaires :

Un neurone reçoit, via des dendrites, des signaux émis par les axones des autres neurones. (...) L'axone se termine par un bouton qui va permettre signal de passer d'un neurone à l'autre (...) via une synapse. Une synapse, c'est un espace très fin (200 à 300 angstroms) qui sépare le bouton terminant un axone, de la surface d'une dendrite. L'influx électrique va, en arrivant dans le bouton, exciter des vésicules qui vont s'ouvrir, relâchant des molécules appelées neurotransmetteurs, qui vont influencer la dendrite située de l'autre côté de la synapse, en y créant un courant électrique. Ainsi, l'espace séparant les deux neurones est franchi par un médiateur chimique qui sert de relais pour des impulsions électriques.

Jean Staune. Op. cit. p. 367-368.

La synapse est un élément essentiel pour le transfert de l'influx nerveux d'un neurone à l'autre. Or ce transfert dépend de l'exocytose, c'est-à-dire de l'éclatement d'un petit nombre de vésicules contenant chacune de 5 à 10 000 molécules de neurotransmetteurs.

L'ouverture de chaque vésicule et du type « tout ou rien » et dépend du déplacement d'une partie infime de la membrane de la vésicule (d'un poids de 10 exposant -18 gramme). Lorsque l'influx nerveux arrive dans le bouton qui termine l'axone, l'exocytose permettant la transmission du « message » au neurone suivant n'a, en général, qu'entre un quart et un tiers de chances de se produire.

(...) La probabilité que l'exocytose se produise peut être augmentée ou diminuée sans que cela ne constitue en rien une violation de la loi de conservation de l'énergie, car les masses mises en jeu dans le phénomène de l'exocytose sont suffisamment petites pour entrer dans les incertitudes existant sur le plan quantique.

Jean Staune. Op. cit. p. 379.

Il est donc scientifiquement possible qu'une intervention « autre » puisse influencer les relations neuronales, sans violer la loi de conservation de l'énergie. Cette influence « autre » peut exercer une action causale sur les neurones, en modifiant la probabilité que les échanges se produisent. En quelque sorte, Dieu est probabiliste... Ainsi, une influence « autre » peut influencer nos neurones de façon à y faire apparaître une discrète « pensée inclusive ». Tout ceci se passe dans le surconscient, qui réside en la Sagesse créée.

Le fait que notre conscience réside ailleurs que dans notre réseau neuronal, peut être illustré par ce qui existe aujourd'hui sous l'appellation de « nuage (cloud) informatique ». De plus en plus, des fichiers ou des logiciels ne sont plus contenus dans l'ordinateur même, mais résident dans un « serveur distant », avec lequel l'ordinateur communique. Cela permet de pouvoir stocker des données, sans être limité par les capacités de mémoire de l'ordinateur. De l'extérieur, rien ne change… L'ordinateur est toujours identiquement le même. Mais, dans ce cas, l'ordinateur n'est plus qu'une interface, qu'un appareil de communication entre l'utilisateur et les données ou les logiciels contenus dans le « nuage informatique ».

De la même façon, notre conscience est contenue dans le « nuage divin », et en particulier dans la Sagesse créée. Dans ce cas, notre cerveau, en ce qui concerne la conscience, est une interface entre notre réflexion neuronale et la Sagesse créée. La conscience est « ailleurs ».

Nous pouvons illustrer cela par un apologue :

Les extraterrestres connaissent bien les êtres humains. Ils savent qu'il est dangereux de les fréquenter de trop près, car ils sont violents et agressifs. Pourtant, les extraterrestres sont vivement intéressés par notre mode de vie, et veulent en savoir davantage. C'est pourquoi ils attendent que nous soyons partis de chez nous, pour y pénétrer discrètement, et analyser les différents appareils que nous utilisons.
Jusqu'à présent, ils ont regardé et fort bien compris le fonctionnement du grille-pain, du fer à repasser, de la machine à laver… Mais un appareil résiste à leurs investigations : la télévision. En fait, ces extraterrestres ont un esprit très scientifique : ils estiment que l'opinion qui prétend que quelque chose vienne d'« ailleurs » est préscientifique et non rationnelle. Ils n'accordent d'importance qu'à ce qui est observable concrètement et peut fournir matière à expériences qui peuvent se répéter en laboratoire et fournir des résultats identiques. Tout le reste est considéré par eux comme étant de la magie, et rejeté d'un revers de la main. En attendant, la télévision reste pour eux un grand mystère. Et elle restera, tant qu'ils refuseront de considérer qu'elle est un moyen de communication, et qu'elle est faite pour transmettre des images qui viennent d'ailleurs.

La conduite des extraterrestre est tout aussi absurde que celle des scientifiques positivistes qui affirment que nous ne sommes qu'un paquet de neurones.

Aucun des faits existants à ce jour ne prouve que le cerveau soit l'équivalent d'un iPod ou d'un CD, ni ne lui interdit d'être un poste de radio.

Une minorité de neurologue hésite pas à franchir le pas et à considérer le cerveau comme une condition et non comme la cause ultime de la conscience.

Jean Staune. Op. cit. p. 378.

À mesure que notre vie spirituelle s'approfondit, notre conscience devient de plus en plus « composite ».
Au départ, notre conscience est purement humaine, et notre point de vue est totalement limité, contraint par l'étroitesse de sa perception selon les sens. Ensuite, à mesure que notre vie de prière s'intensifie, nous prenons conscience de la présence auprès de nous, de Dieu, des Anges et des Saints. Un discernement nouveau se développe en notre esprit, car nous commençons à « voir » par nos yeux spirituels, des éléments et des dimensions qui nous étaient invisibles auparavant. En nous agit l'Esprit-Saint.

Nous constatons, au fond de notre conscience, le surgissement de plus en plus fréquent de suggestions.
Ces suggestions se présentent à nous sous forme d'idées, d'intuitions, mais aussi sous forme de coïncidences, par la rencontre d'objets ou de situations à caractère éminemment symbolique, et par une prise de conscience du sens général de notre vie.

Lorsque notre vie spirituelle s'approche de sa plénitude, les suggestions forment la trame d'une conscience divine cohérente, qui existe en nous sans se mélanger à notre conscience humaine, mais sans pouvoir en être séparée. L'être humain, en sa vie terrestre, lorsqu'il fait l'expérience de l'union avec Dieu, voit sa conscience humaine et sa conscience divine mutuellement proches - sans confusion ni division - de sorte qu'il n'est plus possible de les distinguer, qu'en la contemplation. À ce moment-là, Paul peut s'écrier :

Si je vis, ce n'est plus moi, mais le Christ qui vit en moi.

Galates 2 ; 20.


L'objectif tracé initialement a-t-il été atteint ? ?

Les 21 versets du 3ème chapitre de l'Évangile de Jean ne sont pas un texte d'une grande étendue. Cependant, ils constituent une clé de compréhension pour le discours doctrinal qui lui est parallèle. En effet, l'enseignement qui est donné à Nicodème montre qu'il ne s'agit pas simplement de prescriptions morales, l'observance d'une loi - même nouvelle - mais de quelque chose de beaucoup plus profond et essentiel : une nouvelle naissance, un recommencement depuis le début, la Récapitulation, la nouvelle Création. Le Christ donne un enseignement à Nicodème, et s'étonne - sans doute un peu ironiquement - de la méconnaissance de celui qui est « Maître en Israël ». La connaissance du Christ nous a mené à nous poser la question de savoir si Jésus pouvait réellement être un être humain dans toute l'acception du terme, sans devoir subir les limitations inhérentes à cet état, dans notre monde. Cela nous a rappelé l'enseignement théologique de l'Église, à propos des concepts de Nature et de Personne. Nous avons analysé la pertinence du concept de Nature divino-humaine, et nous avons mis au jour la notion de « verbéité », dans le cadre de la compatibilité existant entre le Créateur et sa créature humaine. Le fruit du dialogue entre l'Église copte et l'Église orthodoxe nous a permis d'apporter une précision importante à la théologie chalcédonienne de l'Incarnation, et nous a permis également de discerner le sens orthodoxe de la notion d'hypostase composite. Tout ceci nous posa des questions quant à la conscience du Christ Lui-même. Nous avons souligné les résistances qu'une telle problématique pouvait susciter dans l'esprit d'un croyant. Nous nous sommes interrogés sur le «lieu» de la conscience, ce qui nous a mis sur la piste des réalités que sont la Sagesse créée et la Sagesse incréée. Nous avons découvert les « formes » qui servent de Causes finales pour l'évolution des êtres animés, et qui se trouvent dans la Sagesse créée. Nous nous sommes attardés auprès des étrangetés de la physique quantique, que sont notamment les « états superposés » et l'intrication des particules élémentaires. Cela nous a permis de cerner les limites d'un « ailleurs » où se tiendrait la conscience humaine. Finalement, nous avons repris la notion d'« hypostase composite » - rejetée de la théologie traditionnelle à cause de soupçons de monophysisme - et nous avons constaté que ce concept pouvait nous inspirer la notion de « conscience composite » qui retracerait adéquatement la représentation que la Personne du Christ se ferait d'Elle-même, ainsi que le mécanisme de la conscience de l'être humain progressant dans les voies de la vie spirituelle. Revenant à la physique quantique, nous avons décrit très brièvement le mécanisme de l'exocytose, ce qui nous a permis d'expliquer le surgissement des « pensées intrusives », sans que les lois de la physique ne soient outrepassées. Finalement, nous avons rejoint l'apôtre Paul dont l'existence montra une grande profondeur de vie spirituelle, et qui nous donne sans doute le meilleur exemple de « conscience composite ». - Le bref récit de l'entretien avec Nicodème nous a menés en des développements bien imprévus…

Cette Étude nous permet d'ajouter une cellule au bas à gauche, dans notre tableau récapitulatif :

La structure de l'Évangile de Jean
- 1 -
Le Prologue : Chapitre 1, versets 1 à 18.
(Péricope 1) Étude 23
- 2 -
Le pôle central de l’Évangile de Jean :
La traversée de la mer :
chapitre 6, versets 16 à 21.
JE SUIS. Ne craignez pas.
(Péricope 12) Étude 24
- 3 -
Et sur l’autre versant :
le Parallèle qui est la Péricope
de la multiplication des pains :
chapitre 6, versets 1 à 15.
(Péricope 11) Étude 25
- 3 -
Sur un versant de l’Évangile, nous avons la
Révélation du Nom divin :
JE SUIS le Pain de Vie :
chapitre 6, versets 22 à 51.
(Péricope 13) Étude 25
- 4 -
Sur l’autre versant, nous avons le récit
de la guérison du paralytique de Béthesda,
chapitre 5 ; versets 1 à 18 (« ne pèche plus »).

Le récit lui-même est suivi d’un
premier texte doctrinal
précisant les relations entre le Père et le Fils :
chapitre 5, versets 19 à 30,

et d’un deuxième texte doctrinal
qui nous parle du
témoignage en faveur du Fils :
celui des « œuvres »,
témoignage qui est plus grand que
celui de Jean-Baptiste :
chapitre 5, versets 31 à 47.
(Péricope 10) Étude 26
- 4 -
Sur un versant de l’Évangile, nous avons la
Révélation du Nom divin :
JE SUIS la Lumière du monde
du chapitre 7 ; 1 au chapitre 8 verset 59.
Jésus à la Fête des Tabernacles :
Discours sur l'Eau vive.

Inclusion de la « Femme adultère »
Chapitre 8, versets 1 à 11.
(Péricope 14) Étude 26
- 5 -
Sur l’autre versant, nous avons le récit
de la guérison du fils du fonctionnaire royal,
chapitre 4 ; versets 46 à 54.
Il s'agit du reflet inversé du récit
de la guérison de l'aveugle-né.
(Péricope 9) Étude 27
- 5 -
Sur un versant de l'Évangile (9; 1 - 10; 21),
nous avons la Révélation des Noms divins :
JE SUIS la Porte / le bon Berger.
Guérison de l'aveugle-né :
chapitre 9, 1 - 38. Le récit lui-même est suivi
d'un TEXTE DOCTRINAL où se trouve l'intitulé
des Noms divins : chapitre 9 ; 39 à 10 ; 21.
Ce texte montre l'exclusivité de la Voie
présentée par le Christ.
(Péricope 15) Étude 27
- 6 -
Sur l’autre versant, nous avons
l'accueil des Samaritains.
(Péricope 8) Étude 28
- 6 -
Sur un versant de l'Évangile (10; 22 - 39),
nous avons le Discours de la Dédicace :
Révélation de la consubstantialité
Père / Fils :
Moi et mon Père,
nous sommes UN
.
Divorce entre le peuple d'Israël
et le Messie.
(Péricope 16) Étude 28
- 7 -
Sur l’autre versant, nous avons le récit
de la rencontre avec la Samaritaine.
(4; 4 - 38)
(Péricope 7) Étude 29
- 7 -
Sur un versant de l'Évangile (10; 40, 12; 11),
nous avons l'Onction à Béthanie : 12; 1-8
Judas proteste.
Prophétie involontaire de Caïphe.
Inclusion de la Résurrection de Lazare
11; 1 - 44
JE SUIS la Résurrection et la Vie..
La nouvelle Annonciation ;
Confession de Foi de Marthe.
(Péricope 17) Étude 29
- 8 -
Sur l’autre versant (3; 22 - 4; 3) :
la joie de l'Ami de l'Époux.
Second témoignage de Jean-Baptiste
(Péricope 6) Étude 31
- 8 -
Sur un versant de l'Évangile (12; 12 - 50) :
Je L'ai glorifié, et Je Le glorifierai à nouveau.
Entrée à Jérusalem.
Jugement du monde.
Incrédulité des Juifs.
(Péricope 18) Étude 31
- 9 -
Sur l’autre versant (3; 1 - 21) :
l'entretien avec Nicodème.
(Péricope 5) Étude 32
- 9 -
Sur un versant de l'Évangile (13; 1 - 17; 26) :




(Péricope 19) Étude 33

ligne ornementale


T. des Matières

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