Orthodoxie en Abitibi

De l'esprit humain

Étude XLI : De l'esprit humain

Cliquer ci-dessous, pour vous retrouver aux points correspondants du texte :

Le corps et l'âme
Le corps, l'âme et l'esprit
L'anthropologie ternaire
Le créé et l'incréé
L'accès à l'esprit
L'enseignement paulinien sur l'esprit
L'enseignement johannique sur l'esprit
Une réflexion de saint Grégoire de Nysse, à propos de l'Esprit du Christ


Quels sont les objectifs que nous nous proposons d'atteindre ?

Lors de l'étude précédente, en scrutant le « septième signe » qui apparaît dans l'Évangile de Jean - c'est-à-dire la résurrection de Lazare - nous nous étions posés la question de savoir où donc l'âme de Lazare étaient-elle allée, et d'où est-elle revenue, pour « réanimer » le corps de Lazare, au commandement du Christ ?

Tout cela pose naturellement la question de savoir qu'est-ce que l'âme - et, plus généralement, quelles sont les composantes - tant physiques qu'intellectuelles et spirituelles - de l'être humain ? Il s'agit là d'un domaine où règne une certaine confusion terminologique.

Il nous appartiendra tout d'abord de savoir s'il faut opter pour le dichotomisme ou le trichotomisme - en exposant les arguments qui appuient chacune de ces deux positions.

Ensuite, il conviendra de situer ces éléments de l'être humain dans le cadre plus général du processus de la vie spirituelle.

Nous avons déjà abordé cette problématique dans l'Étude 7 : « Le Christ en tant qu'être humain », dans l'avant-dernier chapitre, intitulé « le quadrichotomisme ». À présent, il nous est possible d'étudier cette question d'une façon plus approfondie.


La foi est essentiellement la libération de l'intelligence plongée dans la lumière de l'intimité divine.

Maurice Zundel. Biographie par lui-même.


- Chapitre I -

Le corps et l'âme.


§ 1. — Une âme platonicienne ou aristotélicienne ?

Dans la précédente Étude, nous avons scruté le « septième signe » qui est la résurrection de Lazare. - Où donc était Lazare, lorsque son corps reposait au tombeau, et commença même à se décomposer ? Pouvons-nous penser que l'âme de Lazare se rendit à l'Hadès ? - Nous pouvons donner une réponse négative à cette question, car c'est nul autre que le Christ lui-même qui annonça la prodigieuse nouvelle de la résurrection, à tous les humains qui étaient dans cette impasse ontologique qu'est l'Hadès - car avant la Résurrection du Christ, nul accès n'existait vers le Royaume. Lorsque le corps de Lazare reposait au tombeau, son âme faisait une apparition au Paradis. Nous lisons dans le Triode, lors des Matines du Samedi de Lazare, le texte suivant, pris dans le Synaxaire :

On dit qu'après son retour à la vie, il ne mangea que des douceurs, et que la toute-sainte Mère de Dieu lui fit cadeau de son omophore, qu'elle lui remit de ses propres mains.

Triode de Carême - Trad. P. Denis Guillaume. éd. Diaconie Apostolique 1993. p. 432.

Bien sûr, il est possible de prendre cette affirmation comme une charmante légende… Mais je crois que ce texte reflète une profonde intuition spirituelle de l'Église : l'expérience de l'au-delà fut pour Lazare d'une telle douceur, que les amertumes de ce monde-ci lui parurent insupportables après sa réanimation. Cela montre qu'il fut permis à Lazare d'expérimenter d'une façon brève et transitoire les splendeurs du Paradis.

Mais qui était-il, lorsqu'il apparut ainsi au Paradis ? Il est de coutume de répondre : « son corps est resté au tombeau, tandis que que son âme s'en est allée dans l'au-delà ». Cela porte à croire que l'être humain soit composé d'un corps et d'une âme «séparables» : l'un pouvant rester en un endroit, tandis que l'autre se promène ailleurs. On peut imaginer que ce genre de conception n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes. Encore faut-il savoir ce que c'est que l'âme ?

Aristote reprend la théorie platonicienne sur la nature de l'âme, et ceci intéresse directement l'anthropologie. « L'âme, dit-il, et la forme ou l'acte du corps dont c'est la nature de pouvoir vivre » (Aristote, De Divina, II, 1, 412a 20 et 28). Et ailleurs nous lisons : « l'âme est quelque chose comme la source d'être de l'étang qui vit » (Aristote. De Anima. I, 1, 402a 6 sq.). Il n'est pas question ici d'âme-substance, de souffle corporel, logé quelque part pour soi et qui s'envolerait ou s'évanouirait à la mort. Aristote, dit Heidegger, a pour la première fois établi le problème de l'âme sur son véritable sol : « l'âme, c'est la vie qui chez tous les vivants constitue l'être » (Aristote. De Anima. II, 4, 415b 13). L'âme n'est donc pas un étant (le psychique) à côté du corporel (le physique), mais le mode d'être d'un étant corporel déterminé » (Heidegger, concepts fondamentaux de la philosophie antique. PUF 1962, p. 103).

Jean Boboc. La grande Métamorphose. Cerf 2006. p. 98.

L'âme aristotélicienne comprend l'ensemble des composantes de l'être humain. Mais lorsque l'être humain meurt, corps et âme disparaissent.

On sait que pour résoudre la question de l'union de l'âme et du corps, Aristote recourt à deux couples : puissance et acte - l'acte précédant la puissance - et matière et forme. Ainsi, lorsqu'Aristote dit que l'âme est « entéléchie » entelecheia, il indique qu'elle se tient en avant, en-telos-ekein, ce qui peut se comprendre comme « séparée » ou du moins en surplomb. Pour Aristote, l'être, (ho ôn), c'est-à-dire l'ousia, l'être-là-devant possède deux modes de l'être, la dunamis (être prêt) et l'energeia (être effectif). Le caractère propre de l'âme est l'entelecheia, antérieure à tout autre mode d'être, c'est-à-dire : il faut qu'il y ait quelque chose de présent avant tout pour que les modifications soient possibles.

Jean Boboc. La grande Métamorphose. Cerf 2006. p. 101.

Dans la philosophie platonicienne, lettre humain est constitué d'un corps et d'une âme, et c'est dans l'âme que se situe la connaissance et la pensée. Après la mort, l'âme retourne son origine ou recommence une autre vie par sa renaissance.

L'anthropologie platonicienne s'est initialement constituée sous le signe d'un dualisme, avec l'accent tonique sur l'esprit. On pourrait user de paradoxe et dire que cet accent est tellement porté sur l'esprit qu'il ne saurait plus y avoir d'équilibre entre le corps et l'esprit, et que le dualisme platonicien est pratiquement un monisme qui ne dit pas son nom. Le corps n'est rien, qu'une limitation négative, temporaire, quasi illusoire, et formant avec l'âme un couple hybride. Le corps a tout de même, chez Platon, une certaine réalité dont il faut se soucier, car en tant qu'instrument de l'âme, il doit être dompté par celle-ci.

Jean Boboc. La grande Métamorphose. Cerf 2006. p. 86.

Le dualisme corps-âme serait-il le cadre conceptuel de la théologie chrétienne ? Dans le christianisme populaire, on considère que le corps meurt et que l'âme - en tant qu'immortelle - passe au-travers de la mort sans inconvénient particulier. Celle-ci subit un jugement après la mort, et est « classée » suivant le résultat de ce jugement. On ne voit pas très bien à quoi sert un corps dans cette dimension, et l'on se contenterait bien d'une âme éternelle. Dans cette perspective, la résurrection du corps semble superflue, même si c'est un « corps glorieux » qui nous est promis. Cette perspective s'accompagne également d'une dévalorisation de tout ce qui est matériel, au profit de ce qui est spirituel : l'âme seule.


§ 2. — Un dichotomisme normatif.

Pour certains, l'affirmation que l'être humain est constitué uniquement d'un corps et d'une âme est une donnée qui fait partie intégrante de la Foi. Le trichotomisme, c'est-à-dire la notion que l'être humain soit constitué d'un corps, d'une âme et d'un esprit est considéré par les dichotomistes comme une forme de platonisme - et selon eux, n'est autre qu'un égarement condamnable.

Suivant l'opinion dichotomiste, les mots « âme » et « esprit » sont synonymes. Tout simplement. Cette opinion est présentée de façon détaillée dans la Dogmatique de l'Église orthodoxe catholique de Panagiotis Trembelas (éditions de Chevetogne, DDB. 1966. T. I. p. 532 - 542). Je m'empresse de dire que je ne partage pas ce point de vue ! Néanmoins, nous allons en prendre connaissance. Voici ce texte :

A/ Les éléments constitutifs de l'homme.

Nous avons été formés de deux essences, d'une âme incorporelle et invisible et d'un corps visible. Il y a deux textes dans l'Écriture où, à première vue, on paraît distinguer l'esprit de l'âme, mais un examen plus approfondi montre qu'ils ne sont pas opposés à la composition dualiste de l'homme. On pourrait faire la même remarque à propos de quelques écrivains plus anciens, Irénée, Justin, Tertullien, qui semblent parfois admettre une composition en trois éléments, alors qu'ils sont essentiellement dichotomistes, comme d'autres passages de leurs œuvres le montrent.

L'homme est composé de deux constitutifs, le récit de la création l'indique et aussi l'emploi des termes âme et esprit indifféremment et dans le même sens dans la Bible. Par conséquent, les Docteurs œcuméniques et les Pères proclament le dichotomisme de l'homme et enseignent clairement qu'il est composé d'un corps et d'une âme - parfois appelée esprit. L'opinion teintée de platonisme de certains écrivains, qui admettraient l'esprit comme troisième élément constitutif, ne trouve pas d'appui solide dans l'Écriture et ne fut pas reçue par la Tradition. Après la condamnation de l'erreur d'Apollinaire surtout, on évita soigneusement toute expression trichotomiste et on proclama constamment que âme et corps sont les seuls éléments constitutifs de la personnalité humaine.

Bien que l'un et l'autre proviennent d'une intervention créatrice immédiate de Dieu, le corps pourtant est sujet à la corruption et aux autres conséquences résultant de la transgression d'Adam. Le corps ne cesse pas d'être, « de naissance » et par création, l'élément indispensable à la nature de l'homme, « adapté à l'âme immortelle ». Puisque cette nature est formée de deux éléments, Dieu « assigna la vie et toute l'existence, non pas à la nature de l'âme en elle-même, ou à celle du corps isolé, mais aux deux natures réunies, à l'homme » (Athénag., De la résurrection des morts, ch. 15, B. IV, 322).

B/ Vrai sens de deux textes trichotomistes de l'Écriture.

Deux textes de l'Écriture semblent surtout présenter l'esprit distinct de l'âme et sont parallèlement cités, de manière à donner le ton à l'hypothèse trichotomiste et à lui attribuer des fondements bibliques.

Dans un de ces textes, la vigueur efficace de la parole de Dieu est exaltée et on la caractérise « plus incisive que tout glaive à deux tranchants et pénétrant jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit, des articulations et des moelles » (Hb. 4 ; 12). Mais, comme la dernière phrase, « articulations et moelles » ne peut signifier les constitutifs matériels complets de l'homme, mais seulement les éléments constitutifs de son propre corps, ainsi la phrase « de l'âme et de l'esprit » ne justifie pas une séparation de l'âme et de l'esprit, en tant qu'éléments constitutifs de la personnalité humaine distincts l'un de l'autre. Mais, comme les articulations et les moelles sont parties inséparables du corps, ainsi l'esprit forme les facultés morales supérieures d'une âme qui vivifie le corps par ses facultés inférieures, lesquelles accomplissent les fonctions végétales et animales du corps.

Dans le second texte, où saint Paul souhaite aux Thessaloniciens « que leur être entier, l'esprit, l'âme et le corps, soit gardé sans reproche à l'avènement du Seigneur » (I Thess. 5 ; 23), certains exégètes ont compris le terme « esprit », comme désignant le charisme spirituel donné à chacun par le baptême. On fit remarquer avec logique que « jamais ces trois éléments ne furent attribués à un infidèle, mais seulement aux fidèles, eux pour qui l'âme et le corps sont de la nature, l'esprit, par contre, de la bienveillance, à savoir le charisme des croyants ». D'autres comprirent l'esprit « sanctifiant, ce qui est l'intelligence humaine » ; Grégoire de Nysse, d'après Théophylacte, se serait rangé en faveur de cette interprétation, lui pour qui «l'Apôtre en disant l'esprit a indiqué la partie spirituelle, l'âme la partie sensible, le corps la vie physique en nous». En bref, l'esprit est l'âme elle-même considérée dans ses facultés supérieures, par lesquelles elle comprend et s'approprie les choses divines et intellectuelles ; l'Esprit-Saint en outre exerce sur elle son action sanctificatrice et élevante.

L'apôtre Jude parle aussi de ceux qui sont séparés et qui divisent les membres de l'Église, il les définit : « ces êtres psychiques qui n'ont pas d'esprit », c'est-à-dire privés dans leurs âmes de l'action de l'Esprit saint, non régénérés, mais entraînés et dominés par les puissances inférieures de la nature animale. Saint Paul traite aussi de l'homme psychique « vivant selon la chair et n'ayant pas l'intelligence éclairée par l'Esprit » ; « il n'accueille pas ce qui est de l'Esprit de Dieu, car c'est folie pour lui » (I Co. 2 ; 14), à l'opposé « du spirituel qui a reçu dans l'âme l'éclat de l'Esprit saint et qui a l'intelligence éclairée par lui », qui discerne et comprend tout.

C/ Formules trichotomistes chez des écrivains dichotomistes.

Voilà qui explique comment et pourquoi certains écrivains, parmi les plus anciens, alors que souvent ils paraissent dichotomistes, usent parfois d'expressions trichotomistes. Irénée déclare formellement que notre essence est une réunion de l'âme et du corps et que le corps n'est pas plus fort que l'âme, qui le spiritualise, le vivifie, le rehausse et l'articule ; l'âme régit et domine le corps et s'en sert comme d'un instrument, elle occupe la place du chef d'entreprise. Pourtant, plus loin et dans le même chapitre, où il traite de notre état avant la résurrection, il dit : « chacun d'entre nous reçoit son propre corps et sa propre âme » ; de « ceux qui ressusciteront à la vie », il note ensuite, ils auront : « leurs propres corps, leurs propres âmes et leurs propres esprits, où ils auront été trouvés par Dieu » À l'opposé, ceux « qui sont dignes du châtiment lui seront abandonnés et ils ont leurs propres âmes et leurs propres corps dans lesquels ils se sont éloignés de la grâce de Dieu » ; il est très caractéristique qu'à leur sujet il ne remarque pas qu'ils auront leurs propres esprits (Adv. haer. V, 8, 2. et II, ch. 33, § 4 et 5, P.G. VII, 1142 et 833).

Au Livre V, Irénée ajoute que l'homme parfait est un mélange et une union de l'âme, qui reçoit l'Esprit du Père et est jointe à la chair. L'homme parfait se compose donc de trois éléments, la chair, l'âme et l'esprit, mais l'un est sauveur et créateur, l'Esprit, un autre est uni et formé, la chair, et le troisième, milieu entre les deux, l'âme. Ceux qui n'ont pas reçu l'Esprit sont charnels et seront appelés chair et sang, comme n'ayant pas reçu l'Esprit qui vivifie l'homme (V, 6, 1, P.G. VII, 1137 et V, 9, § 1 et 10, § 1, P.G. VII, 1144). Irénée admet donc deux éléments constitutifs de tout homme naturel ; lorsqu'il parle de l'Esprit, il entend la perfection apportée aux âmes par la grâce de l'Esprit saint, qui les conforme à la ressemblance de Dieu.

Dans le même sens, au Livre de la Résurrection, attribué sans certitude à Justin, mais son contemporain, on proclame que l'homme est « le vivant raisonnable, composé de l'âme et du corps » et on affirme que « le corps est la demeure de l'âme et l'âme la demeure de l'Esprit ; ces trois éléments sauveront ceux qui ont une sincère espérance et une foi pure en Dieu ». Dans sa première Apologie, Justin parle de ceux qui sont devenus pécheurs « par leurs propres corps avec leurs âmes et qui seront châtiés du châtiment éternel » ; dans le dialogue avec Tryphon, il fait mention de l'âme de l'homme, capable de voir Dieu et « de naître par l'intelligence, surtout en se libérant du corps », et il ne fait aucunement mention de l'esprit comme d'un autre constitutif de l'homme. En outre, dans le même dialogue, il emploie indifféremment et dans le même sens les termes âme et esprit, il souligne en particulier, à propos de leur sortie du corps par la mort, que « lorsque nous serons sur le point de quitter la vie, nous prierons Dieu qui en a le pouvoir d'empêcher tout ange mauvais et insatiable de s'emparer de notre âme ». Il ajoute un peu plus loin : « en effet, le Seigneur rendant l'Esprit sur la croix, dit : « Père, je remets mon Esprit entre tes mains » (Pseudo-Justin, De la Résurrection, 8 et 10, P.G. VI, 1585, 1589 ; Justin Apologie 8, § 4 et Dialogue 4, § 2 et 5 et 105, § 3-5, B. III, 165, 2I2, 213, 306-307).

Enfin Tertullien est très clair, il affirme que l'homme se compose de deux éléments : le corps et l'âme ; pourtant il n'éprouve pas de difficulté à parler parfois de l'esprit comme d'un autre élément indépendant de l'âme et du corps, tandis qu'ailleurs il blâme ouvertement ceux qui pensent qu'un autre élément naturel coexiste dans l'homme, l'esprit (Adv. Marcion IV, 37, P.L. II, 483 et V, 15, 552. De anima, 10, P.L. II, 792).

D/ Preuves tirées du récit de la création de l'homme et de l'emploi indifférent des termes « âme » et « esprit ».

Que l'homme soit composé de deux seuls constitutifs, voilà qui est évident par le récit de sa création et est attesté maintes fois par l'Écriture. « Le souffle de vie » que Dieu insuffla sur la face d'Adam formé du limon en fit un être un et seul le rendit vivant. L'Écriture décrit, à l'origine, la création du corps, puis comment il fut vivifié par le souffle de vie. Ainsi il est suffisamment laissé entendre qu'Adam fut formé de deux constitutifs.

Si l'Écriture est un livre écrit dans un but purement religieux et éducatif, il ne faut pas en attendre, lorsqu'elle parle du corps et de l'âme, un enseignement métaphysique relatif à son unité. La psychologie biblique est au service de buts pratiques, elle s'adresse au peuple dans une langue imagée et parabolique pour représenter les choses plus sensiblement, il est donc logique, d'un point de vue scientifique, de ne pas la classer comme un système psychologique ou philosophique.

De plus, le texte hébraïque emploie le terme « nephech » pour indiquer l'âme qui habite le corps et qui l'abandonne à la mort ; le terme « rouak » pour indiquer le souffle divin qui vivifie le corps. Si le premier terme « nephech » indique surtout la personnalité de l'homme, son moi personnel (l'âme), rien n'empêche de l'utiliser pour indiquer la vie, alors que le mot « rouak » est le terme propre. De là, les LXX, même pour les autres livres de l'A. T., usent indifféremment du terme âme psuchè ou du terme esprit pneuma pour indiquer la dissolution de l'âme d'avec le corps, au moment de la mort (Ps. 15 ; 10 : « Car tu ne veux pas abandonner mon âme au shéol » ; Ps. 115 ; 4 : « Son esprit sortira et il retournera à sa terre » ; Ecclés. 12 ; 7 : « Que la poussière retourne à la terre comme elle en vient, et le souffle à Dieu qui l'a donné »).

Le Seigneur encourageait les disciples à ne pas avoir peur « de ceux qui tuent le corps, mais ne sauraient tuer l'âme » ; il montre ainsi qu'il y a deux constitutifs de la nature humaine. Lorsqu'en outre il les exhorte à s'écarter de la tentation, par ce que « l'esprit est ardent, mais la chair est faible », il utilise le terme esprit pour indiquer l'âme.

Saint Jean relate d'une manière très caractéristique le trouble que le Seigneur éprouva en deux circonstances ; tantôt, il met dans sa bouche le mot « âme », comme saint Mathieu en la même occurrence, tantôt il use du mot esprit. Son «esprit», le Seigneur le remet à son Père en mourant sur la croix, comme « l'esprit » de la fille de Jaïre déjà morte « revient » dans son corps et « elle se leva sur-le-champ ».

À propos de la résurrection d'Eutyque qui « tomba du troisième étage et qu'on releva mort », on se sert du mot âme. Il est évident que saint Paul parle de tout l'homme, lorsqu'il recommande aux Corinthiens : « Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit, qui sont de Dieu » et poursuit : « vous ne vous appartenez pas ! Vous avez été bel et bien rachetés ! » De même, il se réfère à l'homme tout entier, lorsqu'il parle de celle qui n'est pas mariée et il assure qu'elle « a souci des affaires du Seigneur ; elle cherche à être sainte de corps et d'esprit » (Math. 10 ; 28. 26 ; 41. Jean 12 ; 27 : « Maintenant mon âme est troublée » : Math. 26 ; 38 : « Mon âme est triste à en mourir » ; Jean 13 ; 21 : «Jésus fut troublé en son esprit» ; Luc 13 ; 46. Math. 27 ; 50. Jean 19 ; 30. Luc, 8 ; 53. Act. 20 ; 10. I Cor. 6 ; 20 ; 7 ; 34).

E/ Les enseignements des Pères.

Les Pères proclament en conséquence le dichotomisme. Athénagore assure que la nature humaine est formée « d'une âme immortelle et d'un corps qui lui est adapté à sa naissance et qu'elle est un être vivant en ses deux éléments et souffrant, tant qu'on peut souffrir par l'âme et le corps » ; il faut donc pour que l'homme soit sauvé et conservé en vie « que chacun de ses éléments constitutifs apporte ce qui lui est propre ». « D'un côté, l'âme doit demeurer et exercer ce qu'elle est par nature, c'est-à-dire diriger les élans du corps, juger et modérer les événements toujours par les critères et les mesures qui conviennent ; le corps pour sa part, doit selon la nature qu'il possède vaincre les inconstances qu'il aurait en partage ».

Clément d'Alexandrie, bien qu'il semble parfois trichotomiste, définit « la composition de l'homme d'éléments différents, mais non opposés, le corps et l'âme, l'âme pourtant doit être reconnue supérieure et le corps inférieur ». Il compare l'homme « à un centaure », parce qu'il se compose « de spirituel et d'animal, de l'âme et du corps ; le corps travaille la terre et se hâte vers elle, mais l'âme tend vers Dieu ». Il définit la mort : séparation de l'âme d'avec le corps.

Cyrille de Jérusalem à ses catéchumènes dit nettement : « Connais donc toi-même ce que tu es, que tu as été constitué un homme double, formé d'âme et de corps ». Saint Athanase, parlant de la mort, note : « Ce n'est pas l'âme qui meurt, mais par son retrait elle tue le corps »(Athénagore, De la Résurrection, ch. 15 et 12, B. IV, 322/23, 320/21 ; Clém. d'Alex., Strom. IV, 26 et 3, B. VIII, 106 et 53 ; Strom. VII, 12, B. VIII, 279 ; Cyrille de Jérus., Catéch. IV, § 18, P.G. XXXIII, 477 ; Athanase, Contre les Grecs, § 33, P.G. XXV, 65.).

Les trois grands Capadociens sont unanimes en tout et enseignent quasi d'une seule bouche. Grégoire de Nazianze déclare : « l'homme est un vivant, constitué de deux éléments, l'invisible et la nature visible, créés par Dieu, qui prit le corps de la matière et de lui-même y mit le souffle, l'âme spirituelle ». Saint Basile définit l'homme : « composé d'âme et de corps ; d'une part la chair fut tirée de la terre, l'âme par contre est céleste ». Enfin Grégoire de Nysse montre l'homme : « un être composé de l'âme et du corps ». Saint Jean Chrysostome n'est pas moins clair et catégorique, lorsqu'il admire la puissance du Créateur qui « composa ce vivant admirable et raisonnable, de deux éléments, juxtaposant au corps l'essence incorporelle de l'âme ».

Saint Jean Chrysostome commente ainsi le texte de saint Paul aux Romains, 7 ; 18-23 : « Ayant divisé l'homme en ces deux éléments, l'âme et le corps ; le corps est plus animal et dépourvu de la prudence de ce qu'il faut faire ou pas faire ; l'âme, par contre, est plus sage, elle sait envisager ce qu'il faut faire ou ne pas faire ». Plus analytique, saint Augustin, lorsqu'il parle de tout l'homme, remarque que l'âme n'est pas tout l'homme, mais sa meilleure partie, ni le corps est tout l'homme, mais sa partie inférieure. Puisque pourtant ces deux éléments sont réunis, chacun est appelé homme : l'homme extérieur, le corps, l'homme intérieur, l'âme, comme s'ils étaient deux hommes, tandis que les deux n'en forment qu'un (Grég. de Naz., Discours 45, sur Pâques, § 7, P.G. XXXVI, 632 ; Saint Basile, sur Is. I, 13, P.G. XXX, 140 ; Gég. de Nysse, De la création de l'homme, ch. 29, P.G. XLIV, 233 ; Chrys., sur Gen., Hom. 14, § 5, P.G. LIII, 117, et sur Rom., Hom. 13, § 2, P.G. LX, 510 ; Saint August., De civ. Dei, XIII, 24, § 2, P.L. XLI, 399).

Comme complément de ces citations patristiques, ajoutons la définition du IVe Concile œcuménique qui proclama « le Christ homme parfait : d'une âme raisonnable et d'un corps ». Notons aussi le témoignage du plus récent de tous les Pères, qui fait retentir l'unanimité de ceux qui le précédèrent, Jean Damascène, pour qui Dieu « créa l'homme d'une nature visible et invisible, formant le corps de la terre et lui donnant l'âme raisonnable et spirituelle par son propre souffle » (Saint Jean Damascène Foi orthod. II, 12, P.G. XCIV, 920).

F/ Opinions et formules trichotomistes évitées de justesse - influence de l'Apollinarisme.

Enseigné initialement par Platon, ensuite par les gnostiques, le trichotomisme veut l'homme formé du corps, de l'âme raisonnable et de l'esprit ou âme spirituelle et rationnelle. Il fut adopté aussi par Tatien qui enseignait que « dès l'origine, l'esprit devint compagnon de l'âme ». Bien que l'Esprit de Dieu ne soit pas en tous, « il existe pourtant aussi un esprit répandu à travers la matière, inférieur à l'esprit divin, ressemblant à l'âme et pas estimable à l'égal du Dieu parfait ». « Il y a un esprit dans les astres, un esprit dans les anges, un esprit dans les animaux, un esprit dans les arbres et les eaux, un esprit dans les hommes ; un seul et même esprit existe et possède en lui-même des différenciations ». S'il s'agit de la constitution de l'homme, « nous connaissons deux sortes d'esprits, dont l'un s'appelle l'âme, l'autre supérieur à l'âme, image et ressemblance de Dieu » (Tatien, Aux Grecs, 13, 4, 12, B. IV, 251, 244, 250).

L'influence de la doctrine de Platon s'insinua, durant les premiers siècles, chez des écrivains ecclésiastiques plus portés à la philosophie. Bien que gagnés au dichotomisme, ils s'expriment parfois en langage trichotomiste. On rencontre une manifestation de cette influence chez Justin : son opinion est que « autre n'est pas l'âme de l'homme, autre celle du cheval ou de l'âne, mais elles sont les mêmes en tous les êtres ». Chez Clément d'Alexandrie nous trouvons la distinction entre « âme rationnelle et âme corporelle », ou la division d'une même âme en rationnelle (spirituelle), affective et sensitive et chez Didyme, la distinction de l'intelligence (âme rationnelle) et de l'âme (sensitive) (Justin, Dialogue 4, § 2, B. III, 213 ; Clém. d'Alex., Strom. VII, 12, B. VIII, 283, et Pédag. III, i, B. VII, 189 ; Didyme, Du Saint-Esprit, 54, 55, 59, et De la Trinité, 3, P.G. XXXI, 956).

Pourtant, à partir du moment où Apollinaire (+ 390) chercha dans la trichotomie platonicienne des points d'appui à son erreur, qui voulait que le Verbe incarné assumât seulement la chair humaine et l'âme sensitive et qu'il prît la place de l'intelligence ou de l'âme rationnelle, toute expression trichotomiste fut évitée avec soin. La position d'Apollinaire, condamnée déjà précédemment, le fut aussi dans la définition du Ve Concile œcuménique qui définit « l'union du Dieu Verbe avec une chair animée d'une âme rationnelle ». Jean Chrysostome interprète Philippiens 2 ; 7 très nettement : « nous sommes certes âme et corps, tandis que le Seigneur incarné est Dieu et âme et corps ». Saint Athanase, grand adversaire de l'Apollinarisme, fait la distinction de l'intelligence, mais qui est dans l'âme et lui appartient et c'est grâce à elle qu'elle est rationnelle (Chrys., sur Philip., Hom. 7, § 2, P.G. LXII, 231 ; Athanase, Contre les Grecs, § 30, P.G. XXV, 61, où il parle de la voie par laquelle nous connaissons Dieu et dit : celle-ci est « l'âme d'un chacun et l'intelligence qui s'y trouve, chaque homme a une âme et elle est rationnelle ». Faisant allusion aux païens qui honorent les idoles à la place du vrai Dieu, il ajoute : « S'ils avaient réfléchi à l'intelligence de leur âme, tous ne seraient pas tombés en s'inclinant vers elles et ils n'auraient pas renié le Dieu véritable, Père du Christ » - ibid., § 26, col. 52).

Plus formellement et excluant toute fausse interprétation, Grégoire de Nysse reconnaît « qu'il y a trois variétés dans la puissance vitale », « l'une, entretenue et accrue », dépourvue pourtant « d'activité rationnelle », « l'autre rationnelle et la troisième parfaite » au point d'exister dans les deux autres ». Il attire pourtant l'attention : que personne, à cause de cela, ne suppose « qu'il y a trois âmes » réunies dans l'homme et pense « que la nature humaine est la combinaison de plusieurs âmes. L'âme vraie et parfaite est une par nature, spirituelle et immatérielle, entremêlée au matériel par les sensations ». Ailleurs encore, il définit l'âme «immatérielle et incorporelle, agissant et opérant proportionnellement à sa propre nature», « en tant qu'essence vivante et spirituelle, mais ayant en même temps par elle-même une faculté vitale et propre à saisir les choses sensibles » dans un corps organique et sensible et «qui marque ses propres directives par les organes corporels» (De la création de l'homme, ch. 14, P.G. XLIV, 176, et De l'âme et de la résurrection, P.G. XLVI, 29).

Damascène avait en vue cette définition, lorsqu'il ajouta : « L'âme est simple et incorporelle, invisible aux yeux du corps par sa propre nature, sans forme, douée d'un corps organique et lui fournissant vie, croissance, sensibilité et génération, n'ayant en elle rien d'autre que l'esprit qui en est la partie la plus pure » (Saint Jean Damascène Foi orthod. II, 12, P.G. XCIV, 924).

Dans un Synode de Constantinople (869-870), que l'Église catholique-romaine reconnaît comme huitième œcuménique mais dont l'Église orthodoxe n'a pas retenu les canons dans son Droit [voir l'Étude XXIII : L'« Affaire Photius », au chapitre : « Le concile de Constantinople en 869, et la déposition de Photius »], le canon 10 (onzième dans la traduction latine) anathématisa ceux qui soutenaient que l'homme avait deux âmes.


- Chapitre II -

Le corps, l'âme et l'esprit.


§ 1. — Les conséquences du dichotomisme.

Que penser, vis-à-vis de cette écrasante argumentation ? En fait, le dichotomisme se résume à quelques mots : «âme» et «esprit» sont synonymes - les deux mots sont employés l'un pour l'autre, dans le flou terminologique des Écritures et des Pères. L'être humain est parfaitement décrit dans la dualité « âme et corps ».

La signification d'un tel débat est bien plus profonde et importante qu'il n'y paraît. Nous nous trouvons devant deux profils distincts de christianisme.

- S'il n'existe qu'un seul espace-temps : le nôtre, dans lequel nous vivons ici et maintenant, il n'est pas question de parler d'espace-temps paradisiaque, ni de l'espace-temps du Royaume. Dans cette perspective, il n'existe qu'un seul et unique cosmos : celui que nous voyons maintenant.

- S'il n'existe qu'une seule et unique Nature humaine, il n'est pas question de parler d'une Nature humaine paradisiaque - ni d'une Nature humaine récapitulée après le Refus Originel et affectée par l'entropie, la mortalité, et la souffrance - ni d'une Nature humaine « glorieuse » - qui est vécue dans l'espace-temps du Royaume. Dans la perspective dichotomiste, il n'existe qu'une seule et unique Nature humaine, celle que nous vivons ici et maintenant.

À l'origine, cette Nature humaine fut assortie de dons préternaturels (c'est-à-dire « ajoutés » à la Nature) - dons qui ont été retirés à la Nature humaine, suite au Péché Originel. On ne peut s'empêcher de penser que de tels dons aient étés « donnés pour être enlevés », car le pointillé qui permit le découpage, était tracé à l'avance. Le salut apporté par le Christ consiste en de nouveaux dons, eux aussi ajoutés à la Nature humaine : l'immortalité par grâce et la joie éternelle du Paradis, si nous franchissons victorieusement l'épreuve du jugement. Le Salut consiste en un ensemble de dons offerts par Dieu, en récompense de notre bonne conduite sur la terre. Ce qui est divin est divin ; ce qui est humain reste humain ; aucune «pénétration mutuelle» n'est possible, ni même envisageable.


§ 2. — Les témoignages néo-testamentaires.

Les dichotomistes ne voient en les écrits de Paul que flou et confusion. Or sa terminologie est bien plus précise qu'on ne pourrait le penser. Le saint Apôtre nous dit tout d'abord qu'il faut distinguer l'esprit de l'homme de l'Esprit de Dieu :

L'Esprit en Personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu (Rm 8 ; 16).

Qui donc chez les hommes connaît les secrets de l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui ?
De même, nul ne connaît les secrets de Dieu, sinon l'Esprit de Dieu (I Co. 2 ; 11)

Saint Paul nous dit également que notre esprit peut être animé par l'Esprit-Saint, ce qui nous ouvre la voie de la divinisation:

Tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu (Rm. 8 ; 14).

L'existence d'un esprit en l'être humain est clairement avérée :

- Mon esprit n'eut point d'apaisement, parce que je ne trouvai pas Tite mon frère (II Co. 2 ; 13).
- À cette consolation personnelle s'est ajoutée une joie bien plus grande encore, celle de voir la joie de Tite, dont l'esprit a reçu apaisement de vous tous (II Co. 7 ; 13).

Il est intéressant de constater que, peu avant ce passage, saint Paul affirme : « De fait, à notre arrivée en Macédoine, notre chair (sarx) ne connut pas d'apaisement ». Paul évoque sa présence physique : les luttes au-dehors, les craintes au-dedans (II Co. 7 ; 5).

En ce qui concerne la distinction entre « âme » et « esprit », dans l'être humain, nous lisons l'admirable passage du Magnificat :

Mon âme magnifie le Seigneur, et mon esprit exulte de joie en Dieu mon Sauveur (Lc. 1 ; 46).

La distinction entre « âme » (dans le sens de psyché) et « esprit » est bien évoquée par les deux figures de Marthe et de Marie : Marthe étant la femme « psychique », et Marie, la femme « spirituelle » (Lc. 10 ; 38 - 42).

Saint-Paul distingue entre l'esprit et le « Noûs » :

Si je prie en langue, mon esprit (pneuma) est en prière, mais mon intelligence (noûs) n'en retire aucun fruit (I Co. 14 ; 14).

Le Noûs est un mot grec intraduisible qui désigne les facultés supérieures de la psyché : les capacités intellectuelles et la conscience de soi. Celles-ci appartiennent donc à « l'âme », c'est-à-dire à la psyché humaine. Il est donc parfaitement approprié de distinguer le Noûs de l'esprit, en tant qu'interface avec le divin. À cet égard, ni le corps, ni l'âme (c'est-à-dire le psychisme), ne sont la faculté qui puisse communiquer avec le divin :

C'est l'Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien (Jn. 6 ; 63).

Cela nous permet de comprendre cette parole de Jésus :

Celui qui aime son esprit (tèn psuchèn autou) le perd ; et celui qui hait son esprit en ce monde le gardera vers la Vie éternelle (eis zôèn aiônion) - (Jn. 12 ; 25).

Cette parole parle de l'« esprit » de l'être humain, sa psyché - ce qui est appelé « l'âme » dans le langage traditionnel.
Généralement, ce terme « psyché » est traduit par « vie », ce qui en obscurcit le sens.
Celui qui reste au niveau de la psyché ne peut accéder à la divinisation ; par contre, celui qui va au-delà de la psyché et se met au niveau de l'esprit peut commencer le processus d'accès au monde divin. Tel est le sens de ce passage johannique.

Nous en venons au passage fondamental de la première épître aux Thessaloniciens :

Que le Dieu de la paix Lui-même vous sanctifie totalement, et que votre être entier (holoklèron - qui forme un tout), l'esprit (pneuma), l'âme (psuchè) et le corps (sôma), soit gardé sans reproche à l'Avènement de notre Seigneur Jésus-Christ (I Thess. 5 ; 23).

Notons que la TOB traduit ce passage de la façon suivante :

Que le Dieu de paix Lui-même vous sanctifie totalement, et que votre esprit, votre âme et votre corps soient parfaitement gardés pour être irréprochables lors de la venue de notre Seigneur Jésus-Christ.

« Totalement » se dirait holoklèrôs et non pas holoklèron, comme cela figure dans le texte. Le verbe «soit gardé» (tèrètheiè) est au singulier dans le texte, et devient au pluriel dans la traduction de la TOB...
Pourquoi ce subtil changement ? La recommandation de Paul s'adresse à l'être humain tout entier, afin que celui-ci, composé de l'esprit, de l'âme et du corps, soit sauvegardé en attente de la Parousie.
La traduction de la TOB tente de masquer cette signification trichotomiste, et limite le sens de cette phrase à une bénédiction qui serait allouée à divers aspects de l'individu.


§ 3. — Les témoignages patristiques et liturgiques.

Nous donnons la parole à Saint Irénée :

- La chair modelée, à elle seule, n'est pas l'homme parfait : elle n'est que le corps de l'homme, donc une partie de l'homme.
- L'âme, à elle seule, n'est pas davantage l'homme : elle n'est que l'âme de l'homme, donc une partie de l'homme.
- L'esprit non plus n'est pas l'homme : on lui donne le nom d'esprit, non celui d'homme.
C'est le mélange et l'union de toutes ces choses qui constitue l'homme parfait.

Saint Irénée. Contre les hérésies. V, 6, 1. DDB 1984, p. 583.

Il est impossible de mieux dire ! Cette même conception est exprimée chez Justin :

Le corps est le lieu de l'âme, comme l'âme elle-même est le lieu de l'Esprit.

Justin Martyr. Fragment, 10.

Nous pouvons citer Aristide d'Athènes :

L'homme est constitué de quatre éléments d'une part et, de l'autre, d'une âme et d'un esprit. Sans l'une de ces dimensions, il n'existe pas comme homme.

Aristide d'Athènes, Apologie, 7,1.

Néanmoins, nombreuses sont les affirmations des Pères qui, lorsqu'ils parlent de l'être humain, indiquent un corps et une âme. C'est ce que nous trouvons chez saint Irénée lui-même :

Les hommes sont composés par Nature, étant constitués d'un corps et d'une âme.

Saint Irénée. Contre les hérésies. III, 13, 3. DDB 1984, p. 174.

Il s'agit en fait d'un « raccourci pédagogique » : lorsque les Pères parlent de l'être humain, ils ne se sentent pas obligés d'énoncer à chaque fois la théorie complète de leur anthropologie.

Par ailleurs, Saint Éphrem le Syrien nous donne une admirable réflexion sur l'être humain :

L'âme est précieuse encore plus que le corps,
et précieux est l'esprit plus que l'âme,
et la Divinité plus cachée que l'esprit.

De la beauté de l'âme, le corps se revêtira quand surviendra la fin.
L'âme revêtira la beauté de l'esprit,
l'esprit revêtira en son visage même la Majesté divine.

Le corps au rang de l'âme sera élevé,
l'âme au rang de l'esprit,
l'esprit à la hauteur où est la Majesté.

Saint Ephrem le Syrien (de Nisibe). Paradis. Sermon 9.

Parmi les textes liturgiques, dans la deuxième Ode du Grand Canon de Saint André de Crète, chanté aux Matines du jeudi de la cinquième semaine du Grand Carême (Ode 2), nous trouvons ce passage remarquable à propos de Lamech (Gn. 4 ; 23 - 24):

À qui te comparer, ma pauvre âme, à Caïn le premier meurtrier, ou bien à Lamech ? Car tu as lapidé ton corps et tué ton esprit, par tes méfaits et ont ardeur au péché.

Triode. trad. P. Denis Guillaume. Diaconie Apostolique 1993. p. 336.

Dans la même inspiration, nous trouvons, à la quatrième Ode :

Mon corps et mon esprit sont souillés et corrompus ; médecin des âmes, ô Christ, guéris mes plaies, par la pénitence lave-moi et, de la neige me donnant la blancheur, purifie-moi.

Ibid. p. 341.

Et encore :

Comme celui de Pharaon, mon cœur est endurci ; je suis semblable désormais à Jannès et Jambrès par l'âme et par le corps, et le poids de mon esprit ; Seigneur, viens à mon aide.

Ibid.Ode 5. p. 342. Jannès et Jambrès, suivant II Tim. 3 ; 8. sont les noms des deux magiciens qui s'opposèrent à Moïse.

Un grand nombre de textes liturgiques s'adresse uniquement à l'âme, notamment dans les Offices pour les défunts. Tout comme les affirmations des Pères, les textes liturgiques ne sont pas nécessairement exhaustifs. Eux aussi usent de «raccourcis pédagogiques». Tout ne peut pas être dit à chaque fois… Néanmoins, nous apprécions particulièrement l'exactitude théologique des textes cités ci-dessus.


- Chapitre III -

L'anthropologie ternaire.


§ 1. — La confusion des termes.

Corps / âme / esprit : la terminologie traditionnelle est source de confusion, en ce qui concerne l'âme et l'esprit.

Nous appréhendons facilement ce qu'est le corps : il nous fait communiquer avec le monde physique et sensible. Il nous permet d'agir et d'être en mouvement. C'est notre interface avec le monde extérieur.

Aujourd'hui, « l'âme » est plutôt comprise comme étant la partie immatérielle de notre personne humaine, partie immatérielle qui n'est pas atteinte par la mort biologique, et subsiste dans l'au-delà.
Or cette définition de « l'âme » ne correspond nullement à ce que désigne la description ternaire de l'être humain : corps / âme / esprit. Dans la terminologie traditionnelle, « l'âme » désigne le psychisme, le mental, l'ensemble des opérations qui se réalisent au niveau des neurones, ainsi que notre conscience et notre liberté.

C'est plutôt « l'esprit » qui est compris aujourd'hui comme étant le « mental ». Or, dans la terminologie traditionnelle, l'esprit est la faculté qui nous permet de communiquer avec le divin, et de recevoir les inspirations du monde spirituel. C'est le lieu où nous pouvons contempler le divin.

En ce qui nous concerne, nous nous permettons de modifier la terminologie traditionnelle, afin d'être davantage en accord avec la signification des termes, telle qu'elle est comprise dans le monde contemporain.
Ainsi distinguerons-nous quatre éléments :

1) le corps - l'interface avec notre environnement ;
2) la psyché - dans son sens large, c'est-à dire les activités de réflexion de l'être humain. Celles-ci s'élaborent dans les échanges neuronaux qui nous donnent accès à la compréhension des Universaux ainsi qu'à l'appréhension des pensées des autres être humains ; les pulsions instinctives de l'animal et l'élan vital des végétaux qui, s'ils n'ont pas de neurones, possèdent néanmoins une sensibilité ;
3) l'âme, qui et la partie immatérielle de notre être, partie qui n'est pas atteinte par la mortalité biologique, partie qui est l'intimité de notre intimité. l'âme est la garante de notre individualité et la demeure de la Présence de la divinité au plus profond de nous,
4) et l'esprit (avec un petit « e »), l'organe ou la faculté qui nous permet d'être en contact avec le Divin. C'est cet esprit dont nous observerons les caractéristiques ci-dessous.


§ 2. — Les relations entre le corps, l'âme (psyché) et l'esprit.

Le corps et le lieu se trouve mon Sujet : je suis là où se trouve mon corps. Mais mon corps est également la face externe de mon intériorité. Il reflète mon âme : l'éclat de mes yeux, ma démarche, la forme de mon sourire, montrent précisément quelle est ma personne.

Le corps vivant est nécessairement animée par une psyché). Cet ensemble de capacités comprend différents niveaux psychiques et possède des facultés distinctes. La psyché nous ouvre sur les réalités intelligibles - et élabore le langage, afin que nous puissions exprimer ces réalités.

Assurément, l'esprit est ce qu'il y a de plus difficile à cerner. Nous ne parlons pas ici de l'Esprit-Saint, troisième personne de la Trinité, mais bien de l'esprit de l'homme. L'esprit sanctifie le corps et l'âme - du moins si on le laisse agir ou si, au minimum, on reconnaît sa présence. L'esprit a comme faculté principale de pouvoir participer à l'infini et à l'incréé : c'est pourquoi il échappe au langage. On peut l'évoquer, le pressentir, et ce que l'on peut en dire ne sera compris que par quelqu'un qui l'a d'ores et déjà vécu.

L'esprit participe un monde qui est étrangement « autre » que notre monde habituel : car cet univers est immatériel, connaît une temporalité différente de la nôtre, et est non-local, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes ! Souvent, la temporalité du monde de l'esprit va en sens inverse de la causalité à laquelle nous sommes habitués.

L'esprit agit sur le corps et la psyché en faisant sentir sa présence, en rayonnant sur le corps et la psyché, en pénétrant intimement ces deux dimensions de notre personne. L'action de l'esprit ne se laisse ni comprendre par la psyché, ni ressentir par le corps. L'esprit rend perceptible sa présence et son action, par le fruit spirituel qu'il fait croître en nous :

À l'instar des Jeunes Gens ayant reçu la rosée de l'Esprit, nous crions en notre Foi : toutes ses œuvres, bénissez le Seigneur.

Paraclitique - Grand Octoèque. trad. P. Denis Guillaume. Diaconie Apostolique 1995. Lundi à Matines, 7e Ton. Hirmos de la 8e Ode du Canon p. 576.

Les « Jeunes Gens jetés dans la fournaise », dans le livre de Daniel, furent rafraîchis par une « fraîcheur de rosée » qui leur permit de rester intacts parmi les flammes. Ce miracle fit une vive impression dans l'Église ancienne, et occupe une place importante dans la tradition liturgique. Il s'agit en fait des Énergies divines qui soufflent une « fraîcheur de rosée » - précisément sur l'esprit des trois saints Jeunes Gens, ce qui nous incite à demander au Christ Lui-même d'envoyer son Esprit divin sur notre esprit humain, en une « fraîcheur de rosée », qui nous garde intacts au milieu de la fournaise des soucis et des épreuves de cette vie.


§ 3. — Les caractéristiques de l'esprit humain.

L'esprit, lieu de la greffe :

L'esprit est le lieu où se réalise en notre personne la « greffe » du divin sur l'humain ; la fécondation de l'humain par le divin. En s'ouvrant à l'action de l'esprit, l'être humain change radicalement de Nature : il devient littéralement un être nouveau.

La sainteté pour un chrétien, c'est Quelqu'un ! La sainteté pour un chrétien, c'est la Vie divine, c'est la Vie éternelle qui s'exprime déjà maintenant en nous, qui s'enracine dans toutes les fibres de notre être, et qui devient un témoignage lumineux de la Présence de Dieu.

Maurice Zundel. Ta Parole comme une source. Homélie pour le quatrième dimanche de Carême. éd. Anne Sigier. p. 245.

Sans l'esprit - une sous-humanité :

Lorsque l'être humain nie la présence de l'esprit en lui, il est en état de sous-humanité : il n'est pas un être humain à part entière. Dans cet état, il est le « chaînon manquant » entre le singe et l'homme...

Nous n'avons choisi ni de naître, ni de naître à notre époque, ni nos parents, ni notre hérédité, ni notre sexe, ni notre continent, ni la couleur de notre peau, ni notre type d'éducation, ni nos croyances et nos préjugés. - L'obstacle essentiel à notre liberté, c'est ce « je et moi » primitif que nous sommes tentés de prendre pour une personne.

Ibid. p. 260.

En laissant passer en nous les Énergies divines transitant par notre esprit, nous construisons notre humanité, afin de devenir ultimement celui que nous sommes appelés à être. Notre humanité est une réalisation, une tâche à accomplir.

La naissance biologique - une humanité partielle :

L'être humain qui naît physiquement est un corps, une psyché, et un esprit encore en gestation. La naissance physique est encore partielle et inachevée. La naissance physique est la mise au monde d'une part de l'humanité d'une personne. Le reste est à construire. Cette part incomplète d'humanité est promise à la mort biologique, si elle ne s'accomplit pas avec l'esprit.

L'être humain a bien des racines biologiques ; il naît bien d'une certaine façon - à la manière de l'animal et de la terre et de la biologie et de l'espèce et de la race - mais cela n'est que le commencement : il naît à une vocation d'humanité, une vocation de dignité, de liberté, de beauté et de sainteté.

Ibid. p. 245.

L'esprit, une semence pour la croissance :

Dans cette part d'humanité, l'esprit se trouve sous forme de graine, de semence, qui est appelé à s'épanouir lors d'une seconde naissance. Cette seconde naissance n'est pas un événement ponctuel, mais une progression, une continuité, qui commence en ce monde mais qui ne connaîtra pas de fin - progression qui n'est ni limitée ni entravée par la mort physique !

Le chrétien est quelqu'un qui est appelé chaque jour à se construire du dedans, à pénétrer les fibres de sa chair de la Vie divine, à aller vers sa jeunesse immortelle, à aller vers sa naissance éternelle, de manière à ce que la mort ne soit plus la dissolution de lui-même, mais le dernier élan d'une vie unifiée, vers la Source éternelle.

Ibid. p. 245 - 246.

La liberté de la seconde naissance :

Cette seconde naissance est un événement totalement libre, proposé par le Créateur. Il est parfaitement possible, pour l'être humain, de nier en lui la présence de l'esprit - et il est tout aussi possible, pour l'être humain, de refuser sa nouvelle naissance, ou, ce qui revient au même, de la prétendre inexistante ou impossible. Cette nouvelle naissance demande absolument le consentement délibéré et définitif, de la part de l'être humain.

Il faudra naître de nouveau, naître de la liberté, naître de la lumière, naître de l'amour, naître de l'Esprit, de la vérité - c'est alors dans une rencontre unique, merveilleuse avec la liberté divine, c'est alors que nous commencerons à être des hommes, c'est alors que le Règne de Dieu s'accomplira au-dedans de nous, et que Dieu prendra son véritable Visage de respiration même de notre liberté.

Ibid. p. 261.

L'esprit - de l'amour à haute concentration :

Assurément, la nature de l'esprit en nous et d'être l'accrétion de l'amour, tout comme une particule de matière est un concentré d'énergie. Il s'agit d'un amour « substantifié », qui existe en tant que réalité propre, et non pas seulement en tant que relation entre deux êtres. Cet amour n'a donc rien de sentimental : il est fait de pleine conscience, de volonté délibérée, et d'action stable et efficace.

L'Évangile, c'est de nous avoir délivrés de cette obsession d'un dieu extérieur à nous, pour nous conduire à un amour caché en nous : il s'agit d'une intimité à conquérir, et non pas d'un esclave à soumettre.

Ibid. p. 231.

Les conditions de la nouvelle naissance :

Enfin, cette seconde naissance demande des conditions bien précises : il est indispensable de lui donner à la fois un milieu et les aliments qui lui sont nécessaires. La constitution de ce milieu et la fourniture de ces aliments sont de notre ressort.

Il nous faut redécouvrir, chacun pour notre compte, cette Source en nous qui jaillit en Vie éternelle. Il nous faut recouvrer, chacun personnellement, le Visage de notre Dieu. C'est pourquoi il nous faut regarder, écouter et créer cette dimension du Silence sans laquelle il est impossible de rien connaître et de rien découvrir.

Ibid. p. 255.

La nouvelle naissance et son environnement :

Et finalement, notre nouvelle naissance ne nous concerne pas seulement nous-mêmes : notre propre illumination entraîne celle de la nature, des plantes, les animaux, les astres, qui constituent notre Cosmos et qui ne seront transfigurés que dans la mesure où nous atteindrons la pleine maturité spirituelle.

La création ne peut jamais être en équilibre, si nous ne sommes pas nous-mêmes en relation vivante avec Dieu.
L'univers est blessé - parce qu'une volonté mauvaise, une volonté avaricieuse, une volonté possessive s'est opposée à l'amour de Dieu.

Ibid. p. 251.


- Chapitre IV -

Le créé et l'incréé.


§ 1. — Les deux esprits.

Il existe deux esprits : un esprit créé, et un Esprit incréé.

L'Esprit incréé est l'Esprit-Saint, troisième personne de la Trinité.

L'esprit créé est cette faculté qui est en nous, au-delà de notre perception physique et sensible : c'est cette « troisième partie » de notre être, avec le corps et l'intellect, ce dernier étant traditionnellement désigné sous le terme d'« âme ».

L'être humain a librement la possibilité de nier l'existence en lui de cet esprit, et de se considérer comme étant uniquement fait d'un corps matériel et d'un intellect, qui est constitué des relations existant entre ses neurones. Dans ce cas, tout est réduit à la matérialité et au psychisme.

Si nous reconnaissons en nous l'existence de notre esprit, nous reconnaissons par là-même que nous possédons une faculté dont la fonction essentielle est sa capacité de sanctifier et notre corps, et notre psychisme.

L'existence de deux esprits nous permet de répondre à cette question cruciale : comment la divinisation de l'être humain est-elle possible, sans pour autant que se produise un mélange entre le créé et l'incréé, ce qui est ontologiquement impossible ?

Nous sommes en présence de deux réalités : une réalité qui agit (les Énergies divines), et une réalité qui reçoit cette action - à la fois selon ses capacités de réception, et selon la réponse que donne l'exercice de sa liberté.

La réalité qui reçoit l'action est, en l'être humain, son esprit créé, son surconscient - à ne pas confondre avec son psychisme! Cet esprit a la capacité de recevoir les Énergies divines, tout comme l'œil a la capacité de recevoir la lumière émise par le soleil : il est fait pour cela ! La capacité de recevoir les Énergies divines, ne signifie pas pour autant que l'être humain les laisse agir en lui-même.

Nous pouvons prendre l'image d'une planète qui tourne autour du soleil et est inondée de sa lumière - mais pourtant cette lumière ne suscite aucune vie, car l'astre lui-même ne possède pas les éléments nécessaires pour tirer profit de ce rayonnement. - Cette image est certes très imparfaite, car l'action de l'être humain est suscitée par sa liberté, alors qu'un astre rocheux est, quant à lui, totalement déterminé.

La réalité qui reçoit l'action, c'est-à-dire - en l'être humain - son esprit créé, a donc la capacité de recevoir les Énergies divines incréées, mais ne possède pas pour autant la capacité de les mettre en œuvre.
Pour les mettre en œuvre, un déclencheur est nécessaire : il faut une « impulsion » qui démarre le processus.

Nous pouvons prendre un autre exemple, qui est très commun dans la littérature patristique : c'est celui d'une bûche qui s'enflamme.

- Si l’on approche un tison d'une brique, il ne se produit pas grand-chose… car la brique n'a pas la « capacité » de s'enflammer.
- Par contre, si l’on approche un tison d'une bûche bien sèche, elle s'enflammera elle aussi, car elle a en elle-même la « capacité » de s'enflammer.

Assurément, ce genre d'explication empirique n'a pas aidé au développement de la science : on ne risque pas de découvrir les mécanismes de la chimie, en disant simplement que la bûche a en elle-même une « inflammabilité », tout comme le gazon est vert, car il possède en lui-même la « verditude ». Ce genre de notion philosophique constitua, pendant des siècles, un obstacle au progrès scientifique.

Cependant, la notion de « déclencheur » nous est bien utile dans le domaine qui nous intéresse. Le tison qui est mis en contact avec la bûche donne à celle-ci une « impulsion » - un apport d'énergie sous forme de chaleur - qui met en action le processus de combustion.
En ce qui concerne les Énergies divines, elles donnent à l'esprit humain un « typos » - une impulsion - qui met en action la transformation de ce que nous avons appelé « les eaux de la mer intérieure », en ce que les Écritures désignent comme un «Fleuve de Vie».

L'esprit humain est ainsi propulsé à un mode d'être qui est qualitativement nouveau, et qu'il serait impossible de vivre, en restant au niveau du simple psychisme. C'est un « état stable » qui est également dynamique, dans sa progression vers Dieu.

Ce mode d'être qualitativement nouveau est notre accession au titre de « Citoyen du Royaume », notre greffe auprès des Personnes trinitaires - un mode d'être réellement nouveau, mais qui ne nous rend pas incréés pour autant.
Il y a donc une « impulsion » incréée, et un « mode d'être » radicalement nouveau, mais indiscutablement créé, quoique participant à son niveau, à la Lumière de la Divinité.


§ 2. — L'homme ecclésial.

Saint Maxime le confesseur, dans sa « Mystagogie » (IV), compare la structure de l'eglise à celle de l'être humain : toutes deux sont ternaires - l'église comprenant la nef, le sanctuaire et l'autel ; l'être humain comprenant le corps, l'âme et l'esprit:

La sainte église de Dieu est comme un homme, puisqu'elle a le sanctuaire pour âme, le divin autel pour esprit, et la nef pour corps ; ainsi, elle est comme une image et une ressemblance de l'homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu.

- Elle présente l'acquisition d'une sagesse pratique par la nef comme par un corps ;
- elle expose spirituellement la contemplation de la nature par le sanctuaire comme par une âme ;
- elle manifeste la théologie mystique par le divin autel, comme par l'esprit.

Et inversement, l'homme est une église mystique :

- Par le corps comme par la nef, il illumine ses puissances actives par la mise en œuvre des commandements ;
- par son âme comme par le sanctuaire, selon la contemplation naturelle, il offre à Dieu par l'intellect les logoi de la perception sensible purement débarrassée de la matière par l'Esprit ;
- et par son esprit comme par l'autel, il invoque par un silence indicible et mélodieux, le silence célébré par de nombreuses hymnes dans les lieux inaccessibles, ce silence de la grande voix imperceptible et inconnaissable de la divinité.

Autant que l'homme le peut, selon la théologie mystique, il s'unit à la divinité, et devient tel qu'il convient que soit celui qui est jugé digne de la visite de Dieu, et qui est marqué du signe de sa fulgurante splendeur.

Saint Maxime le Confesseur. Mystagogie IV, P.G., 91. col. 672 BC.

Il est intéressant de constater que Saint Maxime souligne fortement le fait que l'esprit créé de l'être humain se situe au-delà de toute parole et de tout concept, en présence « de la grande voix imperceptible et inconnaissable de la divinité ».

Le surconscient, c'est-à-dire l'esprit créé, est le domaine qui commence au fond du « puits de notre intériorité » - c'est-à-dire de notre cœur, ce Temple de Dieu où brille une étincelle de la divinité, étincelle que n'a jamais pu éteindre le Refus Originel.

Ce domaine continue dans l'océan de notre « mer intérieure » : nous pensons à cette « mer de cristal » qui s'étend devant le Trône de « Celui qui Siège » (Apoc. 4 ; 6). Celle-ci, une fois touchée par l'impulsion divine, se transforme radicalement, comme un liquide en surfusion change d'état et se cristallise instantanément dès qu'il est touché par un monocristal servant de noyau de condensation... La « mer intérieure » devient ainsi ce « Fleuve de Vie » qui est issu du Trône du Christ de la Fin des Temps (Apoc. 22 ; 1).

Le « Fleuve de Vie » reflue vers le conscient, y charriant des éléments de « suggestion créatrice ». - Ici se termine le domaine du surconscient, et commence celui de la prière. Il est très facile de nier en nous cette dimension de l'esprit - elle échappe tout entière à notre conscience, car n'apparaissent à notre niveau conscient que les murmures de la suggestion, pour peu que nous acceptions de les accueillir.


§ 3. — L'être humain - corps / psyché / surconscient, dans le processus de la mort physique.

Nous pouvons maintenant apporter un élément de réponse à notre question : « Où donc était Lazare, lorsque son corps reposait au tombeau ? »

Lorsque le corps de Lazare gisait dans son sépulcre, sa psyché, avec tout le capital de ses expériences, l'accumulation de ces sentiments, la connaissance qu'il a acquise tout au long de sa vie, à la fois de lui-même et d'autrui - tout cela fut précieusement recueilli dans la Mémoire de Dieu. Le Créateur ne laisse assurément pas perdre le trésor de connaissance et d'expériences que l'être humain a accumulé lors de son passage sur cette terre. C'est pourquoi nous chantons « Mémoire éternelle » pour les défunts. Il ne s'agit certes pas de la mémoire humaine, inévitablement promise à l'oubli.

Lorsque nous sommes affligés par le départ de cette vie humaine d'une personne qui rayonnait par ses talents et ses connaissances, nous ressentons qu'il est absolument impossible que tout cela disparaisse comme si cela n'avait jamais existé. La Mémoire divine vient donner une réponse à cette intuition.

Lorsque le corps de Lazare gisait dans son sépulcre, son esprit - c'est-à-dire la faculté qui lui donne la capacité de communiquer avec Dieu et de sanctifier son âme et son corps - faisait irruption au Paradis, sous la Lumière divine. Il en recueillit l'expérience d'une joie ineffable.

L'âme de Lazare fut prise par le Christ - comme on le voit en ce qui concerne l'âme de la Mère de Dieu, dans l'icône de la Dormition - et cette âme trouva son logis en le sein d'Abraham, comme ce fut le cas pour le juste Lazare, dans la parabole du « mauvais riche ». C'est l'âme qui permet, lors de la Résurrection que celui qui ressuscite soit celui-là même qui décéda, et non pas une « reconstitution » du personnage. L'âme, outre le fait d'être en nous le Temple de la Présence divine, est le principe de notre individuation. En effet l'âme est la substance de notre intimité la plus profonde.

Ensuite, au commandement du Christ, l'âme de Lazare revint et réanima les neurones de son corps dûment restauré - tandis que son esprit s'arrachait aux délices du Paradis pour réintégrer la vie terrestre. Lazare pouvait ainsi réapparaître à l'air libre, une fois que la pierre du tombeau allait être roulée. Ainsi se trouvait accompli le miracle le plus prodigieux qui puisse être, et qui témoignait à l'avance de la prochaine résurrection du Christ.

De la même façon, à notre propre départ de cette terre, notre âme sera recueillie par Dieu, tandis que notre psyché sera soigneusement engrangée par la Mémoire divine - dans sa Sagesse créée - ne laissant rien perdre du trésor de connaissances accumulé pendant notre vie terrestre. Au même instant, notre esprit commencera à cheminer en une ascension spirituelle aidée par la présence des saints Anges et assistée par la prière de ceux qui intercèdent pour nous, que ce soient les fidèles de l'Église ou les Saints eux-mêmes.

Qu'en est-il du corps ? À cet égard, il est intéressant d'écouter la réflexion de saint Grégoire de Nysse. Pour lui, dans le corps actuel, tout est flux perpétuel, au point que ce corps actuel ne connaît pratiquement aucune identité :

Qui ne sait que la nature humaine ressemble à un courant, qu'elle s'avance toujours, de la naissance à la mort, dans un certain mouvement, et ne cesse ce mouvement qu'avec la fin de son existence ? (...) Comment pourrait se conserver dans l'identité ce qui se transforme ? C'est comme le feu qui, sur la mèche, est apparemment toujours le même, car la continuité du mouvement le montre toujours ininterrompu et uni à lui-même ; en réalité, il se succède toujours à lui-même, sans jamais demeurer le même. (...) De la même manière qu'il n'est pas possible qu'en touchant la flamme deux fois en un même moment, on saisisse deux fois la même – car la rapidité du changement n'attend pas celui qui cherche à toucher une deuxième fois, même s'il le fait le plus vite possible - mais toujours nouvelle et toute récente est la flamme, constamment en devenir, toujours se succédant à elle-même, ne demeurant jamais au même point – c'est aussi quelque chose de ce genre que connaît notre nature corporelle, car le courant qui coule en notre nature et celui qui s'échappe d'elle, toujours en circulation et mobiles sous l'effet du mouvement de transformation, ne s'arrêtent qu'au terme même de la vie : tant que ce flux participe à la vie, il ne connaît pas de stabilité, car il y a remplissage ou bien évaporation, ou en tout cas il est à jamais sous le coup de ces deux opérations. Si donc l'on n'est même pas le même qu'hier, et si le changement fait devenir autre, lorsque notre corps sera par la résurrection amené de nouveau à la vie, c'est un peuple d'hommes en tout cas que sera l'individu, pour que rien ne manque au ressuscité : le nourrisson, le petit enfant, l'enfant, l'adolescent, l'homme, le père, le vieillard, et toutes les étapes intermédiaires.

Grégoire de Nysse. Sur l'âme et la résurrection. Cerf 1995. p. 191 - 192.

Notre corps actuel est donc pris en flagrant délit de défaut d'identité... Il s'identifie cependant par de très nombreuses caractéristiques. Mais en soi, aucune de ses caractéristiques n'est un corps :

Rien, parmi ce que l'on considère à propos des corps, n'est par lui-même le corps : ce n'est pas l'allure extérieure, le teint, le poids, l'étendue, la taille, ni non plus aucune des considérations relevant de la qualité ; mais chacune de ces caractéristiques est une abstraction ; c'est leur réunion (syndrome) et leur unité qui constitue le corps. Donc, puisque les qualités qui se complètent pour former le corps sont saisies par l'esprit et non par la sensation, et puisque le divin est de l'ordre de l'esprit, quelle difficulté y a-t-il à ce que les réalités intelligibles soient produites par l'être intelligible, réalités dont la réunion (syndrome) a donné naissance à la nature de notre corps ?

Ibid.. Cerf 1995. p. 174.

Le corps est le syndrome de ses caractéristiques. Et ces caractéristiques ne sont pas de l'ordre matériel, mais bien des informations. Nous rejoignons ainsi notre propos : lors de notre mort physique, notre corps retourne à ses éléments premiers, mais tout le capital d'information que représente l'ensemble de ses caractéristiques, sont déversées dans la « Mémoire éternelle » de Dieu, tout comme c'est le cas - en ce qui concerne notre psyché - pour l'ensemble de notre univers mental.

Après la mort physique, nous avons besoin d'une évolution, car nous sommes très loin d'avoir la perfection nécessaire pour en arriver à la contemplation divine. Cette évolution, bien sûr, ne peut se concevoir en termes de temps et ne saurait comporter de souffrance, du moins pour ceux qui se sont ouverts à la Présence divine et qui aspirent à la vision de la Lumière incréée. L'Apocalypse nous parle du « règne des mille années » de ceux qui « refusèrent d'adorer la Bête et son image, de se faire marquer sur le front ou sur la main » (Apoc. 20 ; 4 - 6). De plus, le livre inspiré affirme : « Heureux et saint celui qui participe à la première résurrection ! » (v. 6).

Sans doute avons-nous l'impression que ces versets ne concernent que les Saints dûment canonisés par l'Église. Or il faut nous rappeler que, dans l'Église des premiers temps, « les Saints » sont ceux qui ont été baptisés et qui communient au Corps et au Sang de Notre-Seigneur, dans l'Eucharistie. Il ne s'agissait pas encore du christianisme de masse où la sainteté est devenue, en quelque sorte, un métier spécialisé… Nous-mêmes, qui confessons notre foi en la Trinité, en l'Incarnation du Christ et en la Résurrection de la chair, nous sommes « Saints » dans toute l'acception du terme. Nos péchés sont brûlés dans le feu des Espèces eucharistiques. Le christianisme a été moralisé, ne laissant subsister qu'un code de conduite, laissant dans l'obscurité sa signification profonde, qui est d'ordre théologique et spirituel.

En tant que croyants, nous « refusons d'adorer la Bête et son image », car nous ne plions pas le genou devant les idoles contemporaines, qu'elles soient politiques ou sportives ! Nous ne portons pas sur le front ou la main, la marque du monde, car ce que nous avons, c'est le « Sceau du Don du Saint-Esprit », reçu à la Chrismation. La Béatitude qui désigne « ceux qui participent à la première résurrection », s'adresse à nous, en réalité. Cantonner la sainteté en une catégorie juridique est une décadence de l'esprit ecclésial, et une grave déviation théologique. Comme toujours, nous ne pouvons que constater le fait que la réduction du christianisme à une morale rend celui-ci incompréhensible et désorganise son message.

Nous règnerons donc mille ans - temps hors du temps qui est le symbole du chemin spirituel à accomplir pour passer du fini à l'infini. Ce règne n'aura rien de statique, car il sera fait d'un progrès constant dans notre connaissance et notre contemplation de Dieu. À l'issue de ce « règne », nous serons enfin prêts à contempler le Christ, lors du Jugement - et ce Jugement n'aura certes pas le caractère d'une « mauvaise nouvelle », mais bien au contraire nous donnera l'immense joie d'être enfin dans la plénitude de la Présence du Créateur.

Inversement, les Hitler, les Lénine, les Staline, les Pol Pot de ce monde, qui ont consciemment incarné les Puissances des Ténèbres en répandant le mal et la cruauté autour d'eux, ceux-ci ne connaîtront ni progrès ni perfectionnement dans l'autre monde, mais se trouveront face-à-face avec le Jugement de condamnation - avec comme témoins l'ensemble des victimes qui ont souffert qui sont mortes à cause d'eux. Les dernières photos de Lénine le montrent littéralement halluciné, car sans doute voyait-il déjà la foule de ceux qu'il avait assassinés. Après le Jugement, ces personnages funestes subiront la «seconde mort» (Apoc. 20 ; 6). Ceux qui avec eux portaient le « signe de la Bête » - que ce soit la croix gammée, la faucille et le marteau, ou tous les symboles de ces sanglantes dictatures - tous ceux qui ont secondé ces monstres, afin d'accomplir leurs desseins mortifères, subiront un sort analogue. Ce n'est aucunement une vengeance surnaturelle : il s'agit simplement de la mise en œuvre des conséquences négatives qui résultent à la fois des actions et du mode de pensée qu'ils avaient lors de leur vie terrestre.

Est-il réellement important de distinguer entre le corps, la psyché - c'est-à-dire les activités mentales de l'être humain - l'âme et l'esprit ? Ne peut-t-on se contenter de l'approche « classique » de la spiritualité, qui se contente généralement de parler du corps et de l'âme ? Bien sûr, l'être humain est un tout, et les strates qui le constituent ne peuvent être isolées l'une de l'autre. C'est d'ailleurs toute l'amertume de la mort que de voir déchiré ce tissu qui est fait pour rester d'une seule pièce…

Notre corps nous permet de percevoir l'environnement dans lequel nous vivons, et nous permet également d'exprimer, par nos attitudes et notre langage gestuel, à la fois les sentiments qui nous animent, et l'état intime de notre cœur.

Notre psyché interprète le flot d'informations complexes que le corps lui donne, élabore le monde de l'intellect, nous rend capable de concevoir l'abstraction et de généraliser nos pensées, et enfin nous permet de comprendre et d'approcher l'intelligence d'autrui : elle nous permet de savoir comment les autres êtres humains réfléchissent et nous considèrent.

Notre âme forme notre intimité la plus profonde ; elle est le Temple de la Présence divine en notre sein. D'autre part, notre âme assure la pérennité de notre individualité, au-travers de notre cheminement au-travers de la mort biologique et jusqu'à la résurrection. L'âme réalise l'unité de notre être :

L'unicité de l'être, cette vérité universelle, s'affirme de façon éclatante chez la personne humaine, et c'est son âme qui en est l'incarnation. L'âme est la marque indélébile de l'unicité de chaque personne humaine. Elle lui assure une unité de fond, et, par là, une dignité, une valeur en tant qu'être.

François Cheng. De l'âme. éd. Albin Michel 2016 p. 42 - 43.

Enfin l'esprit de chaque être humain se trouve hors de portée de sa propre conscience, mais permet d'entrer en contact avec le monde divin et les réalités spirituelles. Notre esprit nous fait progresser sur la voie de la vie spirituelle, grâce aux «suggestions» qui remontent du surconscient :

Cette Musique divine si précieuse et si secrète que le silence de tout notre être peut seul la pervevoir et la vivre. Que souhaiter de meilleur que cette écoute intérieure de la mélodie trinitaire qui se chante au fond de nos coeurs ?

Il faut écouter cette voix en nous - c'est la réponse à tout. Il faut écouter la voix intérieure : il y a toujours Quelqu'un, quelqu'un qui sait ; il faut seulement apprendre à l'écouter.

Cité dans la Biographie de Maurice Zundel, par Bernard de Boissière et France-Marie Chauvelot. éd. Presses de la Renaissance. p. 256 - 257.

À supposer que nous soyons constitués en tout et pour tout d'un corps et d'une psyché - d'un corps et d'une âme, dans l'acception habituelle du terme - nous sommes dès lors dépourvus d'un lieu spécifique de notre être qui soit capable d'appréhender les choses divines.

Si nous mettons l'esprit dans la catégorie « âme » (toujours dans l'acception habituelle de l'âme comme « psyché »), nous confondons par là-même, la vie intellectuelle et la vie spirituelle. Or il s'agit de deux réalités bien distinctes : le divin est hors de portée de l'intellect pur, sans pour autant disqualifier celui-ci. Il est extrêmement important de « penser » notre foi, car les concepts aident à vivre ! Pour un bon équilibre personnel, il est nécessaire de ne pas négliger d'acquérir un bon ordonnancement de notre pensée, afin de ne pas être « parasités » par des questions qui s'avèrent être sans solution, du simple fait d'être mal posées. Mais l'intellect n'ouvre pas pour autant au spirituel.

D'autre part, l'évacuation de la notion d'« esprit » met sur pied une pensée dualiste. Lorsque la problématique se réduit à deux termes, il est extrêmement difficile de rester « sur le tranchant de la lame du couteau » : nécessairement, nous tombons en l'un ou l'autre versant du dilemme. Les conséquences du dualisme « corps et âme » mènent, à terme, à une surévaluation du corporel ou à la toute-puissance de l'intellect. Matérialisme outrancier ou dessèchement intellectuel : telle est la destinée d'une pensée dualiste.

Voici une réflexion intéressante de Saint Théophane le Reclus, qui distingue clairement entre « âme » et « esprit ». Dans ce texte, l'« âme » est en fait ce que nous avons convenu d'appeler le psychisme. À cet égard, ce que Saint Théophane le Reclus appelle l'« âme animale » n'est autre que le psychisme : les animaux possèdent également des mécanismes neuronaux.

Quand Dieu a créé l'être humain, il a tout d'abord formé le corps avec de la poussière. Quel était ce corps ? Était-ce une figurine d'argile ou un corps vivant ? C'était un corps vivant ; c'était un animal avec un aspect d'homme, mais doté d'une âme animale. Ensuite, Dieu a insufflé en lui son esprit, et l'animal s'est transformé en être humain, un ange à la ressemblance humaine. C'était le cas alors et les êtres humains s'engendrent de cette façon, à présent. Les âmes naissent des parents ou sont placées dans les êtres humains par la naissance naturelle, tandis que l'esprit est insufflé par Dieu, qui a tout créé...

Et quant à ce qu'un écrivain érudit vous a dit, que cela pourrait être utilisé par les matérialistes et les darwinistes, c'est faux, ils n'y parviendront pas. Pourquoi font-ils remonter l'origine de l'être humain aux animaux - au singe ? Parce qu'ils ne distinguent pas, dans l'être humain, l'âme de l'esprit. En notant que notre âme est semblable à l'âme animale, ils délirent : « mais l'âme est la même, cela signifie donc que tout l'être humain provient d'eux ». Cependant, quand nous insistons sur la différence entre l'esprit et l'âme et que nous définissons l'esprit comme caractéristique déterminante de l'être humain, toute la théorie de Darwin s'écroule d'elle-même.

Parce qu'à l'origine de l'être humain il faut expliquer non seulement comment naît la vie animale, mais surtout comment et d'où il provient, en tant que personne spirituelle dans le corps animal et avec une vie et une âme animales.

Théophane (Govorov) le Reclus, Lettre 106. Cité dans l’article de Eugène Khvalkov. Livre de la Genèse, enseignement patristique sur la création et indépendance des savoirs. Revue Contacts # 262, Avril-Juin 2018. p. 186.

Eugène Khvalkov tire cette conclusion :

Dieu forme l'homme en devenir sur des millions d'années ; la nature évolutive et en développement des animaux hautement développés, à savoir des primates, offre un environnement matériel, physique et biologique favorable à la création de l'être humain, mais il ne s'agit là que d'un environnement. L'animal, quel que soit son degré de développement, reste en effet un animal ; toutefois il constitue aussi un terreau fertile pouvant servir le plan divin.

À un moment donné, Dieu prend cet animal et insuffle en lui l'esprit, créant ainsi l'être humain. Le fait que notre nature matérielle et biologique, notre corps et notre âme soient façonnés à travers un long processus comprenant de nombreux états d'évolution depuis la « poussière prise à la terre » en passant par l'ultime étape des primates, n'enfreint pas le point doctrinal principal : c'est l'esprit donné par Dieu qui constitue l'homme en tant qu'Image de Dieu.

Eugène Khvalkov. Livre de la Genèse, enseignement patristique sur la création et indépendance des savoirs. Revue Contacts # 262, Avril-Juin 2018. p. 187-188.

Selon la terminologie que nous avons adoptée, nous dirons plutôt : « c'est l'âme de l'homme – ce Temple intérieur où brille la Présence divine – qui constitue celui-ci en tant qu'Image de Dieu ; l'esprit étant notre faculté de communication et de connaissance de Dieu.


- Chapitre V -

L'accès à l'esprit.


§ 1. — L'hypnose du dualisme.

Lorsque nous considérons que nous sommes constitués uniquement d'un corps - et de neurones qui réagissent, cette vision des choses nous paraît absolument évidente, ne nécessitant aucune démonstration. La conception de l'être humain comme étant un composé bio-psychologique, est un paradigme anthropologique qui est clos sur lui-même, qui n'ouvre sur aucune autre réalité.

Le matérialisme signifie que nous pouvons nous matérialiser ; que nous pouvons, autrement dit, choisir de demeurer objet au lieu de nous faire sujet ; de subir au lieu de créer ; d'être un résultat et un produit, au lieu d'être une source et une origine ; de rester quelque chose au lieu d'être quelqu'un.

Maurice Zundel. Dans le silence de Dieu. éd. Anne Sigier 2001. p. 162.

Dans un monde qui est entièrement refermé sur lui-même, où la description de l'homme se limite à ce qui est biologique et neuronal, la personne qui a l'intuition qu'il existe « autre chose », une autre dimension de l'être - la personne qui est intéressée par la recherche de la vie intérieure, qui aspire au silence et à la solitude indispensables pour développer les propriétés de l'âme, cette personne rencontre partout, dans son environnement, des portes fermées et des murailles closes. Ultimement, elle risque d'être en proie au désespoir, ne trouvant dans son environnement, nul écho aux intuitions qui la saisissent.

Dès notre première prise de conscience, nous nous rendons compte que nous sommes enracinés dans une existence et solidaires de tout un donné que nous n'avons pas choisi, et auquel nous demeurons irréductiblement liés. Nous sommes jetés dans l'être comme des objets, en vertu d'une initiative qui nous échappe complètement - par une décision qui s'impose à nous du dehors ou, d'une manière plus anonyme encore, par le jeu de forces extérieures à nous-mêmes.

L'absurde, c'est d'être dans cette existence qui nous est imposée - et d'en être assez détaché pour pouvoir la juger ; d'être contraint de la subir, et de savoir que nous la subissons.

L'absurde tient à l'apparence trop rapidement cristallisée du donné primitif. Or le refus d'être objet ne suffit pas à donner un contenu positif à ce quelque chose en moi qui refuse de se laisser traiter comme tel. Dire : Je ne suis pas cela, ne m'apprend pas encore qui je suis.

L'immense majorité des homme échappe à ce vertige lucide par une valorisation spontanée de l'attachement biologique qui les rive à l'existence, comme n'importe quel être vivant.
Ils se bornent à étaler sur leurs impulsions biologiques un je-moi fictif, manoeuvré par ces impulsions, sous la mince pellicule des attitudes requises par leur figure sociale.
Combien d'hommes, sanglés dans la fonction dont ils accomplissent les gestes, donnent l'impression qu'il n'y a personne...
Ce n'est pas en gonflant sa biologie par les prestiges d'une technique, que l'on décolle de la matrice cosmique, en suscitant un univers qui s'en distingue.
Il s'agit là d'un gonflage du Moi biologique, pris en flagrant délit de fausse valorisation.
Dans ce cas, l'être humain ne porte, visiblement, que les insignes d'une grandeur qu'il n'est pas devenu.
C'est du regard d'autrui qu'il attend l'image glorifiée de lui-même, qui doit valoriser, à ses yeux, cette chose au milieu du monde qu'il est resté.

Maurice Zundel. Ibid. p. 183-187, 190-191.

L'être humain bio-psychique privilégie la pensée rationnelle, qui lui permet une saisie concrète de son environnement. L'être humain « dualiste », qui se pense composé d'un corps et d'une psyché uniquement, se définit par son « Ego ».
Cet Ego lui sert à assurer sa propre sécurité, en accaparant les ressources qui lui sont nécessaires pour cette fin. D'autre part, l'« Ego » cultive l'adaptation et le conformisme social : il ne s'agit pas de différer du profil général des êtres humains qui nous entourent, car une telle singularité risquerait de mettre en péril notre propre sécurité, à moins que cela ne tarisse les ressources qui nous sont nécessaires.

L'être humain bio-psychique ne connaît qu'une seule naissance et qu'une seule mort : toutes deux sont à la fois involontaires et biologiques. Entre ces deux événements involontaires, subis, l'être humain qui ne se voit qu'au niveau de la matière et de la psyché, mène une vie qui est en grande partie « préfabriquée », du fait que son souci majeur est l'adaptation et la conformité à son tissu social. Comme un caméléon, il prend la teinte et la couleur de ce qui l'entoure…

Nous n'avons choisi ni de naître, ni de naître à notre époque, ni nos parents, ni notre hérédité, ni notre sexe, ni notre continent, ni la couleur de notre peau, ni notre type d'éducation, ni nos croyances et nos préjugés.

Nous défendons ce tout petit domaine qui ne nous appartient même pas, puisque ce « Moi » infantile, nous ne l'avons pas choisi !

Quand nous croyons nous dire nous-mêmes, nous affirmer nous-mêmes - presque toujours nous n'affirmons que le résultat de nos déterminismes, cette donnée de notre biologie infantile, enfin tout ce qui nous limite, tout ce qui nous empêche justement d'atteindre à la Grandeur : tout ce qui nous interdit d'être une valeur universelle, tout ce qui nous amène à affirmer des droits que nous n'avons pas et à faire de Dieu lui-même, que nous invoquons comme le patron de nos possessions, une idole.

Maurice Zundel. Homélie du quatrième dimanche de carême : « Se libérer de soi avec Jésus », in : Ta parole comme une Source éd. Anne Sigier. p. 260 -261.

La limitation de l'être humain à son corps et à ses mécanismes neuronaux amène celui-ci à s'identifier à son psychisme, plutôt qu'à son corps : suivant ce point de vue, nous - en tant que psychisme - possédons notre corps : nous vivons dans un corps, qui est animé par notre psyché. Cela mène facilement à une instrumentalisation du corps, que nous façonnerons à notre guise par la chirurgie esthétique, par différentes modifications corporelles, sans excepter les tatouages…

Nous parlons d'hypnose, car l'humanisme dualiste se présente lui-même comme étant une évidence, comme étant l'expression du bon sens… L'être humain qui se définit lui-même en tant que corps et psyché, n'a effectivement conscience que de son corps, que de sa réflexion, que de ses sentiments. L'ensemble de l'univers spirituel lui est totalement inconnu : il n'en soupçonne même pas la possibilité d'existence. Il ne sait pas non plus qu'il existe en nous une faculté spécifique pour explorer ce monde qui reste invisible à ses yeux. Le paradigme anthropologique « corps et psyché » est par nature totalitaire, et n'accepte pas de contestation. L'être humain est littéralement « hypnotisé » par cette vision du monde, qui le rend de facto incapable d'envisager toute autre perspective.

La conviction que nous n'avons rien d'autre que notre corps et notre psyché induit une mentalité de fermeture : nous sommes contraints à vivre à l'intérieur de nos limites corporelles, éprouvant fréquemment un puissant sentiment d'isolement par rapport au cosmos et aux autres formes de vie.

Enfin, cette même conviction mène à penser que nous n'avons rien de mieux à faire que de chercher les plaisirs du corps, ainsi que les satisfactions intellectuelles. Il s'agit donc également d'une fermeture mentale…

La civilisation dualiste dans laquelle nous baignons cherche d'abord et avant tout à allonger la durée de la vie du corps, et à augmenter les performances de la psyché humaine. D'où le fait que la médecine prenne progressivement la place des Églises qui jadis se chargeaient de « préfabriquer » le sens de la vie, pour le plus grand nombre. D'où certainement l'envahissement de tout ce qui est informatique et électronique, car ces technologies viennent accroître et multiplier nos capacités intellectuelles et imaginatives, allant jusqu'à créer des mondes virtuels dont les couleurs et les volumes s'avèrent être nettement plus attrayants que la vie réelle.

Avec cette perspective, rien n'a de sens. Le monde est clos, muré sur lui-même : les événements de ce monde physique sont censés ne s'expliquer que par les lois qui dirigent ce même monde physique. On explique tout le réel, uniquement par le réel. Tout cela est conforté par le spectacle de l'efficacité de la science qui améliore notre santé, qui facilite nos déplacements, qui fait transiter l'information avec une ampleur autrefois inimaginable. Face à tout cela, il est difficile d'argumenter ! Et pourtant… L'être humain vit difficilement avec l'idée que le monde soit absurde.

L'intelligence humaine n'aurait jamais pu surgir d'un monde aveugle et qui l'ignore, pas plus qu'elle ne pourrait se satisfaire - en ne rencontrant jamais que le mur opaque d'une réalité totalement étrangère à l'esprit.
Ou bien, en effet, nous ne sommes qu'une chose parmi les choses, un faisceau d'énergies aveugles qui a émergé au hasard comme une moisissure - et rien ne signifie rien ; ou bien, notre enracinement dans l'univers suppose qu'il est, d'une certaine manière, lié à notre intelligence, comme nous sommes liés à ses énergies.

Maurice Zundel. La vérité, source unique de liberté. Article Vérité et liberté. Éditions Anne Sigier, 2001. p. 41-42.

L'être humain n'accepte pas que sa liberté soit reléguée au rang d'une illusion et que ses erreurs soient considérées comme n'étant que l'effet d'une programmation inadéquate. Au milieu des décombres du monde ancien, on peut certes se draper dans sa dignité d'être humain, tout en proclamant l'absurdité de notre existence. Notons qu'une telle attitude frôle souvent le ridicule… En fait, toutes les formes possibles d'Humanisme volent finalement en éclat sous l'assaut du modernisme informatisé. L'intelligence artificielle des ordinateurs tolérera-t-elle encore longtemps la présence de ces humains imprévisibles, champions des erreurs et approximations, variant suivant le flot de leurs impressions et sentiments ? C'est à espérer, sinon le monde deviendra insupportablement glacial et anonyme.

Suivant la perspective dualiste d'un être humain composé d'un corps et d'une psyché, ces deux composantes forment un individu, c'est-à-dire un être unique, indivisible. Le « grand patron » de ce tout qui se suffit à lui-même, c'est le « Moi », que nous appellerons l'Ego. L'Ego est le titulaire de la conscience individuée de soi. L'Ego est fondamentalement ennemi de l'esprit car il sait très bien qu'à partir du moment où nous nos apercevrons de l'existence d'un monde spirituel, le domaine de l'Ego va se rétrécir… Plus nous cultiverons notre intériorité, moins l'Ego ne possédera d'hégémonie sur notre univers personnel. L'Ego vise au conformisme social et au triomphe sur les autres : la gloire de l'Ego est d'étaler sa richesse et d'écraser toute concurrence. La logique de l'Ego est donc totalement opposée à la dynamique de la vie spirituelle.

L'être humain bio-psychique, régi par son Ego, a le privilège d'être SEUL, dans la clôture de son « Moi ». Les autres êtres humains sont des concurrents éventuels, qui peuvent menacer ses ambitions. Suivant cette logique, si l'être humain dualiste parvient à avoir quelque notion de Dieu, la divinité sera perçue comme étant extérieure à l'homme. La « religion » qui en découle consiste en une liste de choses à faire et de prescriptions à observer. La relation avec la divinité sera vécue sur le plan psychique : ce sera l'attirance sentimentale du « Moi » avec un autre individu, nommé Jésus… Les grandes voies de la vie spirituelle seront méconnues, et réduites à un moralisme culpabilisant.

Les Églises ont inévitablement suivi le même chemin : leurs expressions liturgiques ne reflétèrent plus les grands enjeux cosmiques désignés par le Message initial. Leur célébration subit une profonde métamorphose, passant d'un acte sacré - à un spectacle profane mettant en valeur les charismes du « Moi » du célébrant, et se terminant par des applaudissements… Ces Églises, qui se sont mises sur la même longueur d'onde qu'un monde où ne sont reconnues que les dimensions matérielles et psychiques, ne parvinrent pas à comprendre pourquoi leur culte est-il devenu progressivement si ennuyeux, si dépourvu d'intérêt, semblable à un spectacle présenté par des artistes dépourvus de talent. Un culte déconnecté de ses racines cosmiques et insensible à tout « sens du divin », réduit à sa dimension psychique, ressemble désormais à un arbre desséché.

L'être humain bio-psychique, enfermé dans la clôture de son « Moi », se fait une idée de Dieu à sa propre image :

Il y a une expérience de Dieu qui L'extériorise, qui fait de Lui un être dont on dépend radicalement, qui détermine notre destin et qui écrit notre Histoire avant que nous l'ayons accomplie nous-mêmes. La conception la plus courante de Dieu, c'est celle-là : le Maître tout-puissant dont nous dépendons radicalement, et qui a déterminé notre Histoire éternellement, au point que rien ne peut y être changé. C'est ce qui suscitait le mot de Nietzsche : « s'il y avait des dieux, qu'y aurait-il à faire ? » Il n'y aurait rien à faire, puisque tout est déjà fait. Tout est compris dans ces décrets divins qui « nullifient » notre Histoire. Notre Histoire n'a plus de sens, si tout est décidé et tout est accompli par un décret immuable (...). Il me semble que ce qui braque les gens contre Dieu, c'est précisément cet interventionnisme d'un Dieu qui a barre sur la vie et qui la rend pratiquement impossible.

Bernard de Boissière. « Avec Maurice Zundel, mes heures étoilées » (Annexe). éd. Salvator 2012. p. 170 - 171.

Il est certain que ce Dieu solitaire apparaît immédiatement comme un Narcisse, puisqu'Il n'a pas de second, Il n'a pas d'égal, Il ne peut s'entretenir qu'avec Lui-même, que se regarder Lui-même, se louer Lui-même, se repaître de Lui-même et Il réalise, à l'échelle infinie, une espèce de narcissisme qui nous paraît totalement étranger à la charité.

Maurice Zundel - Dieu, liberté dans le mystère des trois Personnes. Bulletin des amis de Maurice Zundel - numéro 97, janvier 2017. p. 5.


§ 2. — La perte de l'esprit.

« Nous sommes poussière d'étoiles » : les éléments physiques qui nous composent proviennent des réactions nucléaires qui se sont passées dans des étoiles lointaines, elles-mêmes depuis longtemps disparues - au-delà des abîmes du temps. Les événements cosmiques ont donc une incidence directe sur ce qui nous constitue.
De la même façon, les événements du Refus Originel ainsi que de la Récapitulation ont, eux aussi, une incidence directe sur notre destinée personnelle.
Nous savons que le monde où nous vivons ne correspond pas au projet divin. Nous vivons dans un monde qui est pénétré de mortalité, de finitude, de limite et d'entropie. Si le monde tel qu'il existe autour de nous, est le fruit immédiat de la volonté divine, ce Dieu ne peut être ni bon, ni juste.

L'univers est blessé, parce qu'une volonté mauvaise, une volonté avaricieuse, une volonté possessive s'est opposée à l'amour de Dieu. Il est de la plus haute importance que nous soyons convaincus de l'innocence de Dieu. Il est de la plus haute importance que le mal ait cette dimension qui révèle une blessure divine. - Si le mal peut nous inspirer une telle horreur, si la cruauté peut prendre un aspect si abominable, c'est justement parce qu'il y a dans la création une dignité infinie dont le mépris, dont la méconnaissance, détruisent l'univers de Dieu, comme ils transpercent son cœur et suscitent la Croix, où tous les maux du monde vont être assumés par l'amour de Jésus, pour que l'ordre éternellement voulu par Dieu puisse être restauré.

Maurice Zundel. Ta Parole comme une source. Homélie pour le quatrième dimanche de Carême. éd. Anne Sigier. p. 251.

Cette « volonté avaricieuse, volonté possessive » fut celle de l'Être Global qui récapitulait en lui l'ensemble de l'humanité, une en sa Nature et diverse en ses personnes. Cet Être Global répondit « NON » au Projet divin qui voulait l'associer à son œuvre créatrice. Ce Projet divin était parfaitement crédible, car la liberté dont jouissait l'Être Global n'était pas une liberté de choix entre le bien et le mal - comme nous en jouissons aujourd'hui - une liberté toujours menacée par l'irruption du choix du mal… le mal n'étant pas présent dans le Projet divin. La liberté originelle de l'Être Global était une liberté d'accomplissement, une liberté de développement, une liberté de vie qui, au fur et à mesure qu'elle se serait épanouie, se serait affermie toujours plus durablement dans le bien, ce Bien qui n'est pas d'origine morale, mais qui est en réalité la relation vivante établie toujours plus profondément avec les Personnes divines.

Certes, pour tenter d'imaginer les caractéristiques de cet Univers originel, il est nécessaire d'ôter de notre esprit tout ce que nous connaissons sur le monde actuel qui nous entoure. Car notre monde est le fruit de la Récapitulation, du recommencement à partir du début qui a eu lieu après cet Acte Absolu que fut le Refus Originel. Dès lors que l'Être Global a refusé le Projet divin qui lui était présenté, ce fut l'univers tout entier qui bascula, et qui recommença à exister sur de nouvelles bases. Ces bases sont celles que nous connaissons, et qui sont décrites par la science contemporaine.

Placés comme nous le sommes dans cet univers déchu, nous sommes totalement incapables de nous imaginer ce qu'était en réalité l'univers paradisiaque. Ce que nous pouvons faire de mieux, c'est d'éviter toute caricature à cet égard. Car le « Moi » de l'être humain bio-psychique, répudiant tout ce qui est spirituel, s'efforce de transformer en caricatures ridicules et inacceptables, les grandes Vérités de la Révélation. C'est pourquoi il nous est si difficile aujourd'hui, d'utiliser la notion de «paradis», sans que notre esprit ne soit pollué par les imageries absurdes que l'on a accolées à ce terme.

Heureusement, aujourd'hui, nous pouvons facilement accepter le fait qu'il faut enlever de notre esprit toutes les « fausses évidences » que nous inspire l'observation du monde physique qui nous entoure, si nous voulons comprendre quelque chose à la physique quantique, dont chacune des affirmations est un « attentat au bon sens » caractérisé. Et pourtant, c'est comme cela que l'univers existe. Faisons le même effort de dépouillement conceptuel, vis-à-vis de la notion d'Univers originel.

Si la Récapitulation eut un effet radical sur les bases qui constituent notre univers, elle est aussi un effet radical sur l'être humain lui-même. L'Être Global paradisiaque constituait la communion d'un ensemble de « personnes » dans toute l'acception du terme. La caractéristique d'une personne est d'être à la fois unie et distincte par rapport autres personnes. En Dieu : le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont unis en leur Nature divine, et distincts selon leur Personne respective. La Trinité réalise ainsi la perfection de l'unité dans la diversité : l'unité sans confusion ; la diversité sans division. Il en était de même pour les personnes humaines créées, dans l'espace-temps paradisiaque.

Après le Refus Originel et la Récapitulation qui s'ensuivit immédiatement, l'être humain, après une très longue évolution, se retrouva dans un univers radicalement différent. Ce monde marqué par la négativité est désormais un environnement difficile et souvent hostile. L'être humain doit vivre avec d'importantes limitations, sous la menace de la souffrance et de la maladie, en butte aux violences d'autrui, ne pouvant développer son psychisme qu'au fur et à mesure d'une lente et laborieuse évolution culturelle. Le paradoxe consiste dans le fait que tout ceci relève de sa pleine et entière responsabilité même si, dans le déroulement chronologique de notre espace-temps, l'être humain lui-même n'était pas encore apparu alors que déjà se déchaînait l'entre-dévorement des créatures, dans un monde dépourvu de conscience mais non de souffrance.

Si le Refus Originel a métamorphosé radicalement le Projet divin concernant la création, et donc le cosmos qui en découle, ce Refus Fondamental a métamorphosé également l'être humain lui-même. Dans l'espace-temps paradisiaque, les êtres humains étaient des personnes distinctes. Maintenant, les hommes sont des individus divisés entre eux. Désormais, nous communiquons difficilement entre individus : notre communication est lacunaire, imparfaite, sujette à de fréquentes erreurs d'appréciation. Les peuples se comprennent peu, ce qui est illustré par l'épisode de la tour de Babel, avec la confusion des langues…

L'être humain lui-même se réduit à une réalité biologique et psychique : il est devenu duel. En fait, l'être humain a perdu le contact avec deux des quatre composantes qui le constituaient, au Paradis : à l'origine, il était fait de corps, d'un psychisme, d'une âme et d'un esprit. Désormais, il n'est plus conscient que du corps où il vit et perçoit son environnement - et de son psychisme, où s'élaborent ses pensées et où il ressent ses sentiments. L'être humain, s'il se contente de sa naissance biologique, n'a plus aucune conscience de l'existence de son âme, ni de son esprit. En « perdant l'esprit », l'être humain perd de ce fait même sa faculté de connaître le divin, et par conséquent en finit par nier l'existence même de Dieu. Dans le langage biblique, la « perte de l'esprit » est le fait de l'insensé :

L'insensé dit en son cœur : il n'est pas de Dieu ! (...) Du ciel, le Seigneur se penche vers les fils des hommes, pour voir s'il en est un de sensé, un qui cherche Dieu. Tous, ils sont dévoyés, ne servant plus à rien.

Psaume 13, versets 1 et 3.

Néanmoins, l'âme et l'esprit existent toujours : au plus profond de lui-même, subsiste ce Temple immatériel où brille faiblement la lumière de la Présence divine. L'homme possède toujours son âme, même s'il n'en a pas conscience, car son tragique refus a laissé intacte son identité d'Image de Dieu. Il est toujours « à l'image de son Créateur », quoi qu'il ait fait.

L'homme possède toujours son esprit, qui est sa faculté de connaître l'univers spirituel et le divin. Mais il a aucune conscience de posséder cette faculté, et cette faculté elle-même reste latente, inactive. L'être humain est, à sa naissance biologique, un être incomplet, qui n'a aucune connaissance de la moitié de son être. Dans cet état, l'être humain est gravement inachevé, à sa naissance même.


§ 3. — Devenir « trois », avec l'esprit.

L'esprit, c'est le pouvoir de ne pas subir les déterminismes cosmiques, de ne pas subir la loi de la matière, mais d'être soi-même Source et Origine.

Maurice Zundel. Ta Parole comme une source. Homélie « Mort et résurrection du Christ ». éd. Anne Sigier. p. 329.

Si nous ignorons notre esprit, et que nous considérons que nous sommes faits uniquement de deux parties : notre corps et notre psychisme - nécessairement notre démarche religieuse se limitera au domaine psychologique. À nos yeux, le christianisme se limitera à n'être qu'une une sorte de dialogue entre « Jésus et moi ». C'est une religion à la fois sentimentale et culpabilisante : si ma vie spirituelle est basée uniquement sur le sentiment, elle fluctue suivant mes états d'âme, et a bien des chances de ne pas durer dans le temps.

En ignorant notre esprit, nous avons nécessairement une compréhension uniquement extérieure de la démarche religieuse. La « religion » est ainsi comprise étant comme une collection d'interdits. Ceux-ci finissent par tomber les uns après les autres, devant la contestation du monde moderne.

Bref, une religion qui se limite à n'être qu'un dialogue entre « Jésus et moi », présente une image tronquée et absolument insuffisante de ce qu'est réellement le christianisme.

C'est dans l'événement de la Théophanie, lorsque le Christ remonte après s'être immergé dans les eaux, que nous trouvons la véritable réalité du christianisme : en fait, c'est une religion cosmique, où le Christ, remontant des flots du Jourdain, se pose en Nouveau Créateur.

Les flots du Jourdain sont les Eaux originelles, cosmiques, de la Création. L'Esprit sous forme de colombe plane au-dessus des eaux du Jourdain, exactement comme ce même Esprit planait au-dessus des Eaux de la Création. Nous sommes ramenés au moment initial de l'Univers.

La voix du Père se fait entendre : ainsi savons-nous désormais que Dieu est à la fois connaissable, et à jamais inaccessible à l'analyse de notre raisonnement. C'est un « Trois » qui n'est pas un nombre… C'est la parfaite unité dans la parfaite diversité. Celle-ci est trinitaire, car la dualité est nécessairement signe de division.

Plus tard, le Christ va refaçonner l'être humain, prenant de la boue pour guérir l'aveugle-né. C'est exactement le mécanisme de la création de l'homme.

Ainsi donc, le Christ se trouve en face de nous, qui sommes au départ « deux » : composés d'un corps matériel et d'une psyché, qui est le mécanisme de nos neurones.

Si nous sommes seulement « deux », la division règne en nous. Nous sommes gravement incomplets, si nous considérons que nous ne sommes qu’un composé bio-psychique, une sorte de bizarre moisissure s’agitant sur une poussière flottant dans un univers immense et froidement indifférent.

Au départ, nous ne sommes pas conscients de la partie immatérielle de notre être qui est notre esprit. Il est d'une vitale nécessité que nous devenions « trois », sans être un nombre… c'est-à-dire que nous soyons des êtres humains intégraux, totalement développés, faits d'un corps, d'une psyché, et d'un esprit.

Cet esprit est notre faculté de découvrir « l'autre dimension », celle que le Christ crée précisément au moment où Il se relève des flots du Jourdain, lors de la Théophanie. Cette autre dimension, ce nouvel espace-temps, cet autre univers, est désigné dans les textes évangéliques sous le terme de « Royaume ».

C'est une autre dimension qui est toute proche de l'univers où nous vivons - à une distance bien moindre que l'épaisseur d'un cheveu ! Cette autre dimension « perce » notre espace-temps en des « trous de ver » qui sont les moments de prière intense, qui sont ce qui se passe lorsque nous vivons réellement les sacrements, qui sont ces « instants étoilés » où nous sortons de nous-mêmes, en proie à l'émerveillement et à la joie.

Ce que le Christ vient nous apporter, ce n'est pas un jugement d'où nécessairement nous sortirons condamnés et coupables car, bien évidemment, jamais nous ne pourrons approcher par nos propres forces de la Lumière éblouissante de l'Absolu. Cette Lumière ne peut être qu'un Don.

Ce que le Christ nous apporte, c'est l'invitation à sauter par-dessus bord, de bondir par-dessus le bastingage du « Titanic » où nous habitons pour le moment - cet espace-temps qui est le nôtre, cet univers vermoulu, qui est pénétré de mortalité, de souffrance, et qui nous limite terriblement : c’est un univers qui coule et s'enfonce dans des eaux glacées, c’est un vaisseau éventré par l’iceberg de notre égoïsme collectif.

Pour le moment, on peut croire encore que rien ne se passe : nous dansons dans la salle de bal, sous les lustres étincelants, tandis qu’au-dessous, les ouvriers périssent noyés, auprès des chaudières, déjà atteintes par les eaux bouillonnantes.

Sautons par-dessus bord, pour embarquer dans le Royaume, et devenir authentiquement citoyens de cette nouvelle Réalité !

Et pour cela, il nous faut « sauter » dans le cercle de papier que nous devons traverser, sans savoir très précisément ce qu'il y a de l'autre côté.

Et pour cela, il faut un mouvement de foi : que notre amour passionné pour le Christ nous fasse sauter dans l'inconnu, certains qu'il y a, de l'autre côté, des bras tendus pour nous accueillir dans la plénitude de l'amour.

L'être humain « duel », qui n'a conscience que de son corps et de son psychisme, prétend n'avoir qu'une seule naissance et qu'une seule mort : toutes deux involontaires. Il s'agit bien sûr de la naissance de la mort biologiques.

À partir du moment où nous faisons une démarche de foi, nous « activons » notre esprit, et nous prenons conscience de l'existence à la fois de notre âme et de cette extraordinaire faculté de connaissance du divin. Nous vivons une deuxième naissance. L'être humain éveillé à la vie de l'esprit vit deux naissances : l'une, biologique, l'autre, selon l'esprit.

Il y a une double naissance : une naissance charnelle qui est de l'ordre de la nature, et une naissance spirituelle qui est de l'ordre de la personne.

Maurice Zundel. Ta Parole comme une source. Homélie pour l'Assomption. éd. Anne Sigier. p. 359.

L'être humain, naissant selon l'esprit, actualise l'image du Christ qu'il est de par sa création.

Le Christ Lui-même connaît deux naissances : hors du temps, son engendrement du Père - et dans le temps, sa naissance selon la chair de la Vierge Marie :

Le Fils unique et Verbe de Dieu, qui est issu avant les siècles ineffablement du Père sans commencement, en premier-né de la création tu l'as enfanté, Mère de Dieu, et c'est pourquoi, toutes les nations, nous te glorifions.

Théotokion de la huitième Ode des Matines du 26 Janvier. Ménée de Janvier. trad. P. Denis Guillaume. Diaconie Apostolique 1981. p. 369.

En tant que Dieu, le Logos naît du Père de toute éternité. En tant qu'homme, Jésus naît de la Vierge en un point de l'histoire humaine.

La naissance du Christ, de la Vierge, se fit sous la motion de l'Esprit-Saint. La Vierge a eu foi en ce que l'Ange Gabriel lui annonçait. Cette démarche de foi a permis à l'Esprit-Saint de recouvrir Marie de son ombre et d'initier l'engendrement du Christ selon la chair.

Notre démarche de foi permet à l'Esprit-Saint d'opérer le « déclenchement » qui transforme l'océan jusque-là inerte de notre esprit, en un Fleuve de Vie. C'est sous l'impulsion de l'Esprit-Saint que nous vivons notre nouvelle naissance, celle qui nous rend désormais Citoyens du Royaume.

Pour le Christ, la naissance sous l'égide de l'Esprit-Saint, est sa naissance selon la chair. En ce qui nous concerne, notre naissance sous l'égide de l'Esprit-Saint, est notre naissance selon l'esprit, celle qui nous fait prendre pleine conscience de l'existence du monde divin. Cette nouvelle naissance est sans retour :

Celui qui a conscience de l'esprit ne peut plus revenir en arrière. Une fois qu'il atteint ce palier, il a reçu une révélation de lui-même qu'il ne peut plus oublier - et il s'agira pour lui, justement, de la développer et de la justifier.

D'ailleurs, l'épisode de l'Évangile qui est celui de la Samaritaine donne admirablement cette différence : la Samaritaine est d'abord quelqu'un qui loge son Dieu sur une montagne, dans la crainte. Elle croit en Dieu, mais elle ne vit pas selon la loi à laquelle elle croit, parce que cette loi est extérieure et lointaine, et que sa passion humaine est bien plus forte et bien plus proche d'elle.

Et que Jésus lui propose, c'est précisément un Dieu qui est en elle, une source qui jaillit en vie éternelle, un Dieu-Esprit. Et elle aussi est esprit, puisque c'est elle qui est appelée à adorer en esprit et en vérité.

Alors, dans cet épisode, nous avons, en quelque sorte, les deux versants de l'expérience spirituelle : celle de la dépendance, d'une part - et celle de l'esprit et de l'autonomie, d'autre part.

Maurice Zundel - cité dans : « Avec Maurice Zundel, mes heures étoilées » Bernard de Boissière. éd. Salvator 2012. p. 177 (Annexe).


§ 4. — La redécouverte de l'esprit.

Reprenons l'expression : « nous sommes poussière d'étoiles ». Les éléments qui nous composent trouvent leur origine dans des événements stellaires immensément lointains. Nous venons de considérer à quel point un événement cosmique : le Refus Originel, a eu des conséquences telles, qu'il détermine radicalement notre mode de vie actuel, dans l'espace-temps qui est le nôtre. Nous avons envisagé à quel point ces conséquences d'un acte lointain ne sont pas seulement d'ordre cosmique, mais modifient radicalement ce que nous sommes en tant qu'être humain. Non seulement elles modifient ce que nous sommes, mais elles posent les balises de ce que nous pouvons devenir.

Dans notre espace-temps actuel, l'être humain actuel est un « individu » : il n'est plus une « personne ». Dans l'univers paradisiaque, l'être global était constitué de personnes, c'est-à-dire d'êtres humains à la fois unis en leur Nature commune, et distincts en leurs personnes. Il n'existait pas d'« étanchéité » psychologique entre les êtres humains : tous pouvaient facilement communiquer avec autrui, pénétrer en sa psychologie, sans pour autant violer son intimité personnelle. Maintenant, en tant qu'individus, nous ignorons tout de ce qui se passe dans la psyché d'autrui. Nous ne pouvons qu'en conjecturer les symptômes extérieurs. Nous sommes douloureusement étrangers les uns aux autres, séparés par une infranchissable barrière.

L'être humain est captif de l'« hypnose » de sa condition duelle : il est persuadé de n'être composé que d'un corps et d'un psychisme. Sous cet aspect, l'être humain actuel vit dans un état sous-humain. Il n'a aucune conscience de l'existence de son âme, ni de son esprit. Et c'est assez étonnant, car la conscience ne peut être réduite à une production des neurones.

Nous percevons seulement ce que le filtre de notre cerveau laisse passer. Le cerveau - en particulier son hémisphère gauche linguistique / logique, celui qui génère notre sens de la rationalité et la sensation d'être un soi ou un ego bien défini - est un obstacle à notre connaissance et à notre expérience intérieures.

Dr. Eben Alexander. La preuve du Paradis ? Ch. 12 - éd. Trédaniel 2013.

Les « expériences au seuil de la mort » montrent clairement qu'il existe une conscience, alors même que les neurones ne fonctionnent plus. Certes, la conscience dépend étroitement de notre fonctionnement neuronal, mais ne vient incontestablement « d'ailleurs ». Nous pouvons la comparer au Colosse de Rhodes qui avait les deux pieds reposant de part et d'autre de l'entrée du port… La conscience a « un pied » dans le tissu neuronal, et « l'autre pied » en notre esprit. C'est déjà un premier indice de l'existence en nous, de l'esprit.

La connaissance de l'esprit est, pour l'être humain, un défi passablement difficile. Car seul « le semblable connaît le semblable ». Seul quelqu'un qui est déjà ouvert à l'esprit peut avoir conscience de son esprit. Quelqu'un qui est inconscient de l'existence de son esprit n'a aucun moyen direct de connaître celui-ci. Comment sortir de cette apparente impasse ?

Tout le domaine de l'esprit concerne une réalité qui n'existe pas encore consciemment dans notre expérience, une réalité qui ne peut exister que si nous la créons. Le mystère de l'esprit, c'est de ne pouvoir accepter une réalité toute faite derrière nous - et de ne pouvoir nous situer dans une réalité qui n'est pas encore, mais qui soit être trouvée à partir de sa propre création.

Maurice Zundel. Ton Visage, ma Lumière. Ch. 1 § 11 - Naître de nouveau pour accomplir l'Univers. éd. Mame 2011. p. 68.

Au lieu de parler du Royaume comme d'une réalité qui n'existe que si nous la « créons », il serait plus approprié de le désigner comme étant une réalité que nous laissons surgir en nous, une réalité à laquelle nous nous ouvrons.

Faut-il être un grand mystique pour accéder à l'esprit ? Certes non. Chacun d'entre nous a déjà eu accès à l'émerveillement : nous nous sommes déjà extasiés devant un coucher de soleil, nous avons tressailli à l'audition d'un poème, nous avons été tout entiers absorbés en écoutant un orchestre symphonique, où la ligne du génie se déroulait en arpèges fascinantes…

Le trait commun de ses expériences d'émerveillement est l'oubli de soi-même, le dépassement de son « Moi ». À ces moments privilégiés, nous ne sommes plus des « Ego » : nous sommes désormais une personne. En fait, c'est à ces moments-là que nous accédons pleinement à l'état de personne. Nous nous sentons en communion à la fois avec le Cosmos, et avec les autres. En écoutant une musique ancienne, nous sommes en communion avec son compositeur, au-delà des siècles écoulés. Désormais en tant que personne, nous ne sommes plus prisonniers de notre Ego, étant en communion avec les autres et avec l'Univers, tout en gardant notre identité personnelle.

Ci-dessous, nous avons une très fine analyse de la motion divine qui opère la métamorphose de l'esprit :

Pourquoi ai-je dit oui ?

Le souvenir de ce mot prononcé par sa bouche, pensé par une volonté qui était encore la sienne et qui était cependant AUTRE, se rappelait à sa mémoire. Ce n'est pas la première fois que pareil effet m'arrive - rumine-t-il ; j'ai déjà subi, seul, dans les églises, des conseils inattendus, des ordres muets, et il faut avouer que c'est vraiment atterrant de sentir cette infusion d'un être invisible en soi, et de savoir qu'il peut presque vous exproprier, s'il lui plaît, du domaine de votre personne.

Eh non, ce n'est point cela ; il n'y a point substitution d'une volonté extérieure à la sienne, car l’on conserve absolument intact son franc-arbitre ; ce n'est pas davantage de ces impulsions irrésistibles qu'endurent certains malades, puisque rien n'est plus facile que d'y résister - et c'est moins encore une suggestion puisqu'il ne s'agit, dans ce cas, ni de passes magnétiques, ni de somnambulisme provoqué, ni d'hypnose ; non, c'est l'irrésistible entrée d'une velléité étrangère en soi ; c'est la soudaine intrusion d'un désir net et discret, et c'est une poussée d'âme tout à la fois ferme et douce. Ah ! Je suis encore inexact, je bafouille, mais rien ne peut rendre cette attentive pression qu'un mouvement d'impatience ferait évanouir ; on le sent et c'est inexprimable !

Toujours est-il que l'on écoute avec surprise, presque avec angoisse cette induction, qui n'emprunte pour se faire entendre aucune voix intérieure, qui se formule sans l'assistance des mots – et tout s'efface ; le souffle qui vous pénétra disparaît.

L'on voudrait que cette incitation vous fut confirmée, que le phénomène se renouvelât pour l'observer de plus près, pour tenter de l'analyser, de la comprendre – et c'est fini ; vous restez seul avec vous-même ; vous êtes libres de ne pas obéir ; votre volonté est sauve, vous le savez – et vous savez aussi que, si vous repoussez ces invites, vous assumez pour l'avenir d'indiscutables risques.

En somme, il y a là influx angélique, touche divine ; il y a là quelque chose d'analogue à la voix interne si connue des mystiques, mais c'est moins complet, moins précis, et pourtant c'est aussi sûr.

Joris-Kal Huysmans. En route 1895.


Le « Moi » a reculé, pour laisser place au « Je ». En ces moments d'émerveillement, l'unité/distinction est réalisée, en notre personne. Cela, nous le devons aux fait que nous sommes en communication avec notre esprit. Cette unité/distinction est l'œuvre de notre esprit.


- Chapitre VI -

L'enseignement paulinien sur l'esprit.


§ 1. — La psyché et l'esprit.

Saint Paul enseigne très clairement la distinction entre la psyché et l'esprit :

On sème un corps psychique ; il ressuscite un corps spirituel. S'il y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel. C'est ainsi qu'il est écrit : le premier homme, Adam, a été fait psyché vivant - egeneto ... eis psuchèn zôsan (Gn. 2 ; 7); le dernier Adam est esprit qui donne la vie - egeneto ... eis pneuma zôopoioun. Mais ce n'est pas le spirituel (to pneumatikon) qui paraît d'abord ; c'est le psychique (alla to psuchikon), puis le spirituel. Le premier homme, issu du sol, et terrestre ; le second homme, lui, vient du ciel. Tel a été le terrestre, tels seront aussi les terrestres ; telle le céleste, tels seront aussi les célestes. Et de même que nous avons revêtu l'image terrestre, il nous faut revêtir aussi l'image du céleste.

I Co. 15 ; 44 - 49.

Adam déchu est un « vivant psychique » (et non pas une « âme vivante », comme le disent habituellement les traductions), Tandis que le Christ, « dernier Adam », est « esprit vivifiant ».
Nous lisons le verbe gignomai (à l'aoriste : egeneto) qui veut dire « devenir ». Il peut également être traduit par le verbe « être ». Nous avons également la préposition eis, qui veut dire « vers ». On pourrait ici légitimement traduire par : « le dernier Adam est vers l'Esprit vivifiant ». Effectivement, le Christ est venu expressément pour nous donner l'Esprit-Saint. C'est vrai au point que le Christ Lui-même peut être appelé « autre Paraclet » (Jn. 14 ; 16).
Le Christ est venu nous apporter l'Esprit-Saint, et l'Esprit-Saint, quant à lui, « active » notre esprit afin de lui faire subir une métamorphose fondamentale, pour que d'aride et immobile qu'il était, il devienne fécond en œuvres spirituelles - et la première œuvre est la foi dans le Christ.

Il n'y a donc pas lieu d'opposer deux significations : « l'Esprit », en tant que troisième Personne divine - et notre « esprit », en tant que faculté intérieure qui nous permet de connaître le Divin. L'un anime l'autre, qui nous permet de connaître le Christ, qui Lui-même nous révèle le Père.

Que le Dieu de la paix Lui-même vous sanctifie totalement, et que votre être entier (holoklèron - qui forme un tout), l'esprit (pneuma), le psychisme (psuchè) et le corps (sôma), soit gardé sans reproche à l'Avènement de notre Seigneur Jésus-Christ.

I Thess. 5 ; 23.

En cette magnifique sentence, le saint apôtre Paul distingue parfaitement la nature tripartite de l'être humain. Généralement, les traductions inscrivent « l'âme » pour le terme grec psuchè. Or, c'est bien du psychisme dont il s'agit ici.

En conclusion du passage de la première épître aux Corinthiens que nous avons cité, le saint apôtre Paul nous précise : « la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume des cieux, ni la corruption hériter de l'incorruptibilité » (I Co. 15 ; 50).
« La chair et le sang » désignent l'homme psychique - l'Adam déchu vivant dans la dualité, en se limitant à son corps et à son psychisme.

Saint Paul veut nous dire que cet « infra-humain », cet humain inachevé, non parvenu à son terme, n'existera pas comme tel dans le Royaume. Nous qui, au départ, lors de notre naissance biologique, « avons revêtu l'image du terrestre » (I Co. 15 ; 49), nous devons « revêtir l'image du Céleste », afin d'hériter de l'incorruptibilité, en étant totalement métamorphosés par l'« animation » de notre esprit.

C'est pourquoi il nous faut éviter d'aplatir le message de l'apôtre Paul, en considérant que nous sommes censés vivre « de façon terrestre » sur cette terre, et que ce n'est qu'après notre mort biologique que nous vivrons « de façon spirituelle » dans l'au-delà. La métamorphose se fait dès ici-bas, en passant d'une vie qui se déroule d'une façon uniquement matérielle et psychologique, vers une vie divinisée, connectée aux Personnes divines.


§ 2. — La foi.

Comme nous l'avons vu, l'Esprit-Saint est le « déclencheur » de la métamorphose de notre esprit. C'est l'Esprit-Saint qui donne une « impulsion » - qui elle-même change radicalement la nature de notre esprit. Dans l'être humain psychique, l'esprit reste ignoré, à l'écart de la conscience. Il repose dans les ultimes profondeurs de l'être humain, comme une force latente, à l'instar d'un lac aux eaux immobiles. Sous l'impulsion de l'Esprit, les eaux jusque-là immobiles se transforment en un Fleuve de Vie, donnant une fécondité nouvelle à l'ensemble de notre existence.

L'impulsion de l'Esprit-Saint occasionne en nous la foi - et c'est l'irruption de la foi qui change tout, en notre vie. Saint Paul nous offre une très riche théologie à propos de la foi :

Quand l'Écriture dit que la foi (d'Abraham) lui fut comptée, ce n'est pas pour lui seul : elle nous visait également, nous à qui la foi doit être comptée, nous qui croyons à Celui (le Père) qui ressuscita d'entre les morts Jésus notre Seigneur, livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification. Ayant donc reçu notre justification de la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ, Lui qui nous a donné d'avoir accès par la foi à cette grâce en laquelle nous sommes établis, et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu.

Romains 4 ; 23 - 5 ; 2.

« L'homme est justifié par la foi indépendamment de la pratique de la loi » (Rm. 3 ; 28). Les pratiques religieuses sont certes bonnes et utiles, mais elles ne sont en aucun cas le « déclencheur » de la métamorphose de notre être profond. Cela, seule la démarche de foi l'effectue.

Saint Paul évoque en tout premier lieu l'exemple d'Abraham : «Abraham crut en Dieu, et cela lui fut compté comme justice» (Rm. 4 ; 3). Paul détaille comme suit la démarche de foi d'Abraham :

C'est d'une foi sans défaillance qu'il considéra son corps déjà mort - il avait quelque 100 ans - et le sein de Sarah, mort également ; devant la promesse de Dieu, l'incrédulité ne le fit pas hésiter, mais sa foi l'emplit de puissance et il rendit gloire à Dieu, dans la persuasion de ce qu'il a une fois promis, Dieu est assez puissant pour l'accomplir. Voilà pourquoi cela lui fut compté comme justice (Rm. 4 ; 19 - 22).

La démarche de foi n'est pas propre uniquement à Abraham :

Or, quand l'Écriture dit que sa foi lui fut comptée, ce n'est point pour lui seul : elle nous visait également, nous à qui la foi doit être comptée, nous qui croyons en Celui qui ressuscita d'entre les morts Jésus notre Seigneur, livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification. Ayant donc reçu notre justification de la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ, lui qui nous a donné d'avoir accès par la foi à cette grâce en laquelle nous sommes établis, et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu.

Nous rejoignons par là, la définition de la foi que nous donne l'Apôtre :

La foi est la garantie des biens que l'on espère, la preuve des réalités qu'on ne voit pas (Hb. 11 ; 1).

Comment ne pas citer, ne fût-ce que partiellement, la splendide énumération des accomplissements de la foi, telle qu'elle est donnée au chapitre 11 de l'épître aux Hébreux :

Par la foi, nous comprenons que les mondes ont été formés par une parole de Dieu, de sorte que ce que l'on voit provient de ce qui n'est pas apparent.
Par la foi, Abel offrit à Dieu un sacrifice de plus grande valeur que celui de Caïn (...).
Par la foi, Hénoch fut enlevé, en sorte qu'il ne vit pas la mort (...).
Par la foi, Noé, divinement averti de ce qui n'était pas encore visible, saisi d'une crainte religieuse, construisit une arche pour sauver sa famille.
Par la foi, il condamna le monde et il devint héritier de la justice qui s'obtient par la foi.
Par la foi, Abraham obéit à l'appel de partir vers un pays qu'il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait.
Par la foi, il vint séjourner dans la terre promise comme en un pays étranger, y vivant sous des tentes, ainsi qu'Isaac et Jacob, héritiers avec lui de la même promesse (...).
C'est dans la foi qu'ils moururent tous sans avoir reçu l'objet des promesses, mais ils l'ont vu et salué de loin, et ils ont confessé qu'ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre (...).
Par la foi, Abraham, mis à l'épreuve, a offert Isaac, et c'est son fils unique qu'il offrait en sacrifice, lui qui était le dépositaire des promesses.
Par la foi encore, Isaac donna à Jacob et à Ésaü des bénédictions assurant l'avenir.
Par la foi, Jacob mourant bénit chacun des fils de Joseph et il se prosterna, appuyé sur l'extrémité de son bâton.
Par la foi, Joseph, proche de sa fin, évoqua l'exode des fils Israël et donna des ordres au sujet de ses restes.
Par la foi, Moïse, à sa naissance, fut caché par ses parents pendant trois mois, parce qu'ils virent que le petit enfant était beau, et ils ne craignent pas l'édit du roi.
Par la foi, Moïse, devenu grand, refusa d'être appelé fils d'une fille d'un Pharaon (...).
Par la foi, il quitta l'Égypte sans craindre la fureur du roi : comme s'il voyait l'invisible, il tint ferme.
Par la foi, il célébra la pâque et fit l'aspersion du sang, afin que l'Exterminateur ne touchât point les premiers-nés d'Israël.
Par la foi, ils traversèrent la Mer Rouge comme une terre sèche, tandis que les Égyptiens, ayant essayé le passage, furent engloutis.
Par la foi, Rahab la prostituée ne périt pas avec les incrédules, parce qu'elle avait accueilli pacifiquement les éclaireurs.
Et que dirais-je encore ? Car le temps me manquerait si je racontais ce qui concerne Gédéon, Baraq, Samson… (...) qui, grâce à la foi, soumirent des royaumes, exercèrent la justice, obtinrent l'accomplissement des promesses.

Épître aux Hébreux, chapitre 11, versets 3 à 38.

Tout est dit ! La foi est le grand « déclencheur » qui, s'il est actionné, rend toutes choses possibles. Dès lors que la foi active notre esprit, la métamorphose s'opère en nous : nous nous transformons d'homme psychique en homme spirituel. Désormais, nous ne vivons plus selon la chair, mais nous vivons par l'esprit :

Nous sommes débiteurs, mais non point envers la chair pour devoir vivre selon la chair. Car si vous vivez selon la chair vous mourrez, mais si par l'esprit vous faites mourir les œuvres du corps, vous vivrez (Rm. 8 ; 12 - 13).

La foi est la condition nécessaire pour être sauvé :

La justice née de la foi parle ainsi : (...) la parole est tout près de toi, sur tes lèvres et dans ton cœur - cette parole, c'est la parole de la foi que nous prêchons. En effet, si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur et si ton cœur croit que Dieu L'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé (Rm. 10 ; 9).

Saint Paul ne dit rien d'autre que ce qu'affirme l'évangéliste Marc :

Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné (Mc. 16 ; 16).

La foi est un préalable à la réception de l'Esprit-Saint :

C'est dans le Christ que vous aussi, après avoir entendu la Parole de Vérité, la Bonne Nouvelle de votre Salut, et y avoir cru, vous avez été marqués d'un sceau par l'esprit de la promesse, cet Esprit-Saint qui constitue les arrhes de notre héritage et prépare la rédemption du peuple que Dieu s'est acquis, pour la louange de sa gloire (Eph. 1 ; 13 - 14).

La foi est la manifestation de la justice de Dieu :

La justice de Dieu s'est manifestée, attestée par la loi et les prophètes, justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ, à l'adresse de tous ceux qui croient (Rm. 3 ; 21).

La foi permet de connaître l'Évangile comme étant une puissance de Dieu :

Je ne rougis pas de l'Évangile : il est une force de Dieu pour le salut de tout croyant (Rm. 1 ; 16).

La foi permet aux croyants de ne craindre aucune défaite :

La foi du cœur obtient la justice, et la confession des lèvres, le Salut. L'Écriture ne dit-elle pas : « quiconque croit en Lui ne sera pas confondu » (citation d'Isaïe 28 ; 16) (Rm. 10 ; 10).

Celui qui croit est béni comme Abraham :

Ceux qui se réclament de la foi sont bénis avec Abraham le croyant (Gal. 3 ; 9).

En ceux qui croient, le Christ est glorifié et admiré :

Le Seigneur viendra pour être glorifié dans ses Saints et admiré en tous ceux qui auront cru - et vous, vous avez cru notre témoignage (II Thess. 1 ; 10).

Enfin, la foi permet d'entrer dans le repos ultime :

La parole qu'ils avaient entendue ne leur servit de rien, parce qu'ils ne restèrent pas en communion par la foi avec ceux qui écoutèrent. Nous entrons en effet, nous les croyants, dans un repos, selon qu'Il a dit : « aussi ai-Je juré dans ma colère : non, ils n'entreront pas dans mon repos » (citation du Ps. 95 ; 11) (Hb. 4 ; 3).


§ 3. — Le vieil homme et le nouveau.

Saint Paul distingue nettement entre « homme psychique » et « homme spirituel » :

Nous parlons (des secrets de Dieu) non pas en un langage enseigné par l'humaine sagesse, mais en un langage enseigné par l'Esprit, exprimant en termes d'esprit des réalités d'esprit. L'homme psychique n'accueille pas ce qui est de l'Esprit de Dieu : c'est folie pour lui et il ne peut le connaître, car c'est par l'esprit qu'on en juge. L'homme spirituel au contraire juge de tout et ne relève lui-même du jugement de personne (I Co. 2 ; 13 - 15).

Cette affirmation au sujet de « l'homme spirituel » est à mettre en relation avec la parole de Jésus que nous rapporte saint Jean :

En vérité, en vérité, Je vous le dis : celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui M'a envoyé a la Vie éternelle et n'est pas soumis au jugement, mais il est passé de la mort à la Vie (Jn. 5 ; 24).

Saint Paul éprouve quelques difficultés à se faire comprendre :

Pour moi, frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des êtres de chair, comme à de petits enfants dans le Christ (I Co. 3 ; 1).

Le passage de l'homme psychique à l'homme spirituel - que saint Paul appelle « l'homme intérieur » - n'est pas un événement ponctuel, mais bien un processus continu. C'est une transition et un effort qui durent toute la vie. Saint Paul s'exclame à ce propos :

Je me complais dans la loi de Dieu du point de vue de l'homme intérieur - esô anthrôpon ; mais j'aperçois une autre loi dans mes membres, qui lutte contre la loi de ma raison (de mon noûs - tou noos mou) et m'enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort ? Grâce soit à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur ! C'est donc bien moi qui par la raison (par le noûs - to noï) sers une loi de Dieu - et par la chair une loi de péché (Rm. 7 ; 24).

C'est pourquoi nous ne faiblissons pas. Bien au contraire, encore que l'homme extérieur en nous s'en aille en ruines, l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour (II Co. 4 ; 16).

Que (le Père) daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous l'homme intérieur - que le Christ habite en vos cœurs par la foi, et que vous soyez enracinés, fondés dans l'amour. (Eph. 3 ; 16)

Outre l'identification de l'homme intérieur, remarquons ici, dans ce passage de l'Épître aux Ephésiens, cette Confession de Foi en un Dieu trinitaire : Père, Fils, et Saint-Esprit.

Dans la même Épître ainsi que dans l'Épître aux Colossiens, l'homme extérieur est également désigné comme étant le « vieil homme », tandis que l'homme intérieur devient l'« homme nouveau » :

Il vous faut abandonner votre premier genre de vie et dépouiller le vieil homme, qui va se corrompant au fil des convoitises décevantes - pour vous renouveler par une transformation spirituelle de votre jugement et revêtir l'homme nouveau, qui a été créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité (Eph. 4 ; 22 - 23).

Vous vous êtes dépouillés du vieil homme avec ses agissements, et vous avez revêtu le nouveau, celui qui s'achemine vers la vraie connaissance en se renouvelant à l'Image de son Créateur (Col. 3 ; 9).

L'expression « vieil homme » réapparaît dans le passage suivant :

Comprenons-le : notre vieil homme a été crucifié avec (le Christ), pour que fut détruit ce corps de péché, afin que nous cessions d'être asservis au péché (Rm. 6 ; 6).

Du « vieil homme », à l'« homme nouveau », le changement est une authentique métamorphose :

Ne vous modelez pas sur le monde présent, mais soyez métamorphosés (metamorphousthe) par le renouvellement de votre esprit (noûs), afin de discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait (Rm. 12 ; 2).

Le passage de l'homme psychique à l'homme spirituel permet à ce dernier de porter les fruits de l'Esprit :

Le fruit de l'Esprit et charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi (Galates 5 ; 22).

Le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vérité (Eph. 5 ; 9).

L'homme spirituel, désigné comme « ministre de Dieu » par l'apôtre Paul, dans la deuxième Épître aux Corinthiens, manifeste les Dons de l'Esprit-Saint :

... par la pureté, par la science, par la longanimité, par la bénignité, par un esprit saint, par une charité sans feinte, par la parole de vérité, par la puissance de Dieu, par les armes offensives et défensives de la justice ; (...) nous sommes tenus pour affligés, nous qui sommes toujours joyeux ; pour pauvres, nous qui faisons tant de riches ; pour gens qui n'ont rien, nous qui possédons tout (II Co. 6 ; 6 - 10).

L'homme spirituel vit désormais une vie trinitaire : il a « revêtu le Christ » (Gal. 3 ; 27), et il est rempli de l'Esprit-Saint : «l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous fut donné» (Rm. 5 ; 5).

Il ne suffit de lire les Épîtres de Paul avec un esprit attentif, pour constater que cette notion d'esprit, en tant que faculté humaine destinée à connaître le Divin, sous-tend l'ensemble de l'œuvre paulinienne.

Il nous faut prendre garde de ne pas rejeter exclusivement dans l'au-delà tout ce qui est affirmé concernant l'unité dans le Christ et la plénitude vécue dans l'Esprit Saint. Car la doctrine de la divinisation nous enseigne qu'une fois que notre être intérieur est « activé » par l'Esprit-Saint, nous vivons ici et maintenant, dès à présent, dans le Royaume. Nous sommes « greffés » à cette nouvelle réalité - qui est la Vie véritable, alors que notre simple vie biologique est une proie qui sera dévorée à son terme par la mortalité.

Certes, nous avons à progresser chaque jour dans l'éveil de notre esprit, afin de favoriser autant que possible l'approfondissement de notre vie intérieure et la conscience que nous avons de la Présence divine en notre cœur - mais l'essentiel de cette réalité nous est déjà acquise, définitivement. C'est à nous de la cultiver, sans jamais la trahir. Car nous serons sauvés par notre persévérance : « par votre persévérance, vous possèderez vos esprits - en tè hupomonè humôn, krèsaste tas psuchas humôn » (Lc. 21 ; 19).

La démarche de l'homme spirituel lui permet de produire les fruits de l'esprit :

Le fruit de l'esprit est charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi : contre de telles choses il n'y a pas de loi (Gal. 5 ; 22).

L'amour mis en œuvre par les « fils de lumière » n'a rien à voir avec un sentiment psychologique. C'est une lumière stable, au-dessus de la nature, qui n'est autre que la divinisation,vécue lors d'une expérience marquante, par le saint apôtre Paul :

Je connais un homme dans le Christ qui, voici quatorze ans - était-ce dans son corps ? je ne sais ; était-ce hors de son corps? je ne sais, Dieu le sait - cet homme-là fut ravi jusqu'au Troisième Ciel. Et cet homme là - était-ce en son corps ? était-ce sans son corps ? je ne sais, Dieu le sait - je sais qu'il fut ravi jusqu'au Paradis et qu'il entendit des paroles ineffables, qu'il n'est pas permis à l'homme de redire (II Co. 12 ; 2 - 4).


- Chapitre VII -

L'enseignement johannique sur l'esprit.


§ 1. — Le premier signe et la nouvelle naissance.

Il est vraiment frappant de constater l'accord qui existe entre le saint Apôtre Paul et l'Évangéliste Jean, en ce qui concerne la problématique de l'esprit et le processus de divinisation de l'être humain. Ils pensent précisément la même chose, bien que cela soit exprimé en un vocabulaire et une conceptualité différents.

Dans l'Évangile de Jean, le premier signe qui est donné est celui des noces de Cana. Nous avons déjà scruté cet périscope évangélique, dans le cadre de l'étude de la Rédemption (Étude XXXVII). Maintenant, nous passons du point de vue cosmique, au point de vue anthropologique.

De toute évidence, la scène des noces de Cana nous montre l'eau de notre « lac intérieur » transformée en le vin de l'ivresse spirituelle, de la joie et de la fécondité - ce qui est l'image donnée par les noces. De lac inerte, l'eau devient source. Alors que ce qui stagnait n'était plus vivant, ce qui est ramené à la vie circule et fertilise. Les noces de Cana «mettent en scène» notre passage de l'homme psychique à l'homme spirituel, notre « mort » selon l'esprit, vers notre « vie » - vivifiant notre âme et, par notre esprit, établissant la communion avec « l'autre plan » que le Christ veut nous faire connaître - dimension en laquelle Il veut que nous vivions.

Parmi les premiers enseignements du Christ, qui sont relatés dans l'Évangile de Jean, figure en bonne place l'entretien avec Nicodème. Jésus enseigne à Nicodème qu'il s'agit de naître une seconde fois - de naître d'eau et d'Esprit, afin d'entrer au Royaume de Dieu.

Tout comme l'Apôtre Paul, Jean distingue nettement entre l'homme psychique et l'homme spirituel :

Le fait que l'homme bio-psychique ne puisse comprendre l'univers spirituel - ni même soupçonner que celui-ci existe, est affirmé en ce verset : « ce qui est né de la chair et chair ; ce qui est né de l'esprit est Esprit (Jn. 3 ; 6). L'homme spirituel «parle de ce qu'il sait, et atteste ce qu'il a vu», tandis que l'homme psychique « ne reçoit pas le témoignage » de l'homme spirituel (Jn. 3 ; 11).

Les hommes psychiques sont ceux dont il est dit : « la Lumière est venue dans le monde, et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière » - par contre, l'homme spirituel « fait la vérité (poiôn tèn alètheian) et vient à la Lumière pour qu'il apparaisse au grand jour » (Jn. 3 ; 21).


§ 2. — La foi.

Voici la « Béatitude des croyants » :

Jésus dit (à Thomas) : parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux qui croiront sans avoir vu (Jn. 20 ; 19).

La foi permet à ceux qui se sont ouverts à l'esprit, de devenir enfants de Dieu :

À tous ceux qui L'ont reçu (le Verbe), Il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son Nom (Jn. 1 ; 12).

La foi permet au croyant d'obtenir la Vie éternelle :

Aussi faut-il que soit élevé le Fils de l'Homme, afin que tout homme qui croit ait par Lui la Vie éternelle (Jn. 3 ; 14 - 15).

Celui qui a la foi, échappe à toute condamnation :

Qui croit en lui n'est pas condamné ; qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu'il n'a pas cru au Nom du Fils unique de Dieu (Jn. 3 ; 18).

L'« œuvre de Dieu » consiste en la démarche de foi :

L'« œuvre de Dieu » - répondit Jésus (à ses disciples) - c'est que vous croyez en Celui qui L'a envoyé (Jn. 6 ; 29) (c'est-à-dire, croire en le Père, qui a envoyé le Christ).

Qui croit en Moi, ce n'est pas en Moi qu'il croit, mais en Celui qui m'a envoyé - et qui me voit, voit Celui qui m'a envoyé (Jn. 12 ; 44)

La foi étanche toute soif spirituelle :

Qui vient à Moi n'aura jamais faim ; qui croit en Moi n'aura jamais soif (Jn. 6 ; 35).

L'apôtre Pierre nous donne sa magnifique Confession de foi :

Jésus dit alors aux Douze : « voulez-vous partir, vous aussi ? » Simon Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la Vie éternelle. Nous croyons, nous, et nous savons que tu es le Saint de Dieu (Jn. 6 ; 67 - 69).

La foi permet à soi-même d'être Source d'eau vive, et de recevoir l'Esprit-Saint :

Le dernier jour de la fête, le grand jour, Jésus, debout, lança à pleine voix : « si quelqu'un à soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive, celui qui croit en Moi ! » - selon le mot de l'Écriture : de son sein (il s'agit du sein du croyant) couleront des fleuves d'eau vive. Il parlait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en Lui (Jn. 7 ; 38).

La foi est promesse de Vie. Jésus dit à Marthe, avant de ressusciter Lazare :

Je suis la Résurrection et la Vie. Qui croit en Moi, fut-il mort, vivra ; et quiconque vit et croit en Moi ne mourra jamais (Jn. 11 ; 25 - 26).

La foi ouvre à la vision de Dieu, c'est-à-dire à ne pas être dans les ténèbres :

Ne t'ais-Je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? (Jn. 11 ; 40).

Moi, la Lumière, Je suis venu dans le monde, afin que quiconque croit en Moi ne demeure pas dans les ténèbres (Jn. 12 ; 46).

La foi permet de faire les œuvres du Christ :

En vérité, en vérité, Je vous le dis : celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres que Je fais (Jn. 14 ; 12).

Le fait de croire que le Christ est engendré du Père, permet de recevoir ce que l'on demande au nom du Christ :

Demandez et vous recevrez, et votre joie sera parfaite. (...) Ce jour-là, vous demanderez en mon Nom et Je ne vous dis pas que je prierai le Père pour vous, car le Père Lui-même vous aime, parce que vous m'aimez et que vous croyez que Je suis sorti de Dieu (Jn. 24 - 27).

Jésus intercède auprès du Père pour ceux qui, au travers du message transmis par les apôtres, croient en le Christ :

Je ne prie pas pour eux seulement (les disciples), mais pour ceux-là aussi qui, grâce à leur parole, croiront en Moi (Jn. 17 ; 20).

Saint Jean l'Évangéliste, dans sa première Épître, dit que la foi nous permet de reconnaître l'amour que Dieu a pour nous, et de demeurer dans cet amour :

Nous avons reconnu l'amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour : celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui (I Jn. 4 ; 16).

Saint Jean l'Évangéliste nous dit aussi, dans sa première Épître, que c'est la foi qui nous permettre de naître de Dieu :

Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu ; et quiconque aime Celui qui a engendré (le Père), aime Celui (le Fils) qui est né de Lui (le Père) - (I Jn. 5 ; 1).

Toujours dans sa première Épître, saint Jean l'Évangéliste nous dit que c'est la foi qui nous rend vainqueurs du monde :

Tout ce qui est né de Dieu est vainqueur du monde. Et telle est la victoire qui a triomphé du monde : notre foi. Quel est le vainqueur du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? (I Jn. 5 ; 4 - 5).

Avoir la foi est synonyme de posséder le témoignage de Dieu le Père, témoignage qui est présent au plus profond du cœur:

Tel est le témoignage que Dieu (le Père) a rendu à son Fils : celui qui croit au Fils de Dieu a ce témoignage en lui.

De toute évidence, le saint Évangéliste Jean a une pensée extrêmement riche, en ce qui concerne le processus de foi. Il s'accorde clairement avec saint Paul, en considérant que la foi est le déclencheur de la vie spirituelle - ce qui rend toute chose possible. Par contre, le refus de la foi entraîne une exclusion de la Vie divine, comme le dit expressément saint Jean-Baptiste dans son ultime témoignage :

Qui croit au Fils a la Vie éternelle ; qui refuse de croire au Fils ne verra pas la Vie : la colère de Dieu pèse sur lui » (Jn. 3 ; 36).

Deux miracles accomplis par Jésus et relatés dans l'Évangile de Jean, montrent que la foi est une condition essentielle à la réalisation du bienfait donné par Dieu. Lors de la guérison du fils d'un fonctionnaire royal (Jn. 4 ; 46 - 54), lorsque Jésus dit à ce haut personnage : « va, ton fils vit », le texte de l'Évangile continue par ces mots : « l'homme crut à la parole que Jésus lui avait dite et se mit en route » (v. 50). Il réagit instantanément par une foi entière : « le père reconnut que c'était à l'heure même où Jésus lui avait dit : ton fils vit (que la guérison se produisit) et il crut, lui et tous les siens » (v. 53).

Certes, lors de la guérison d'un infirme à la piscine de Bethesda (Jn. 5 ; 1 - 18), le Christ ne pose qu'une seule question au paralytique : « veux-tu guérir ? ». Apparemment, Il ne lui demande aucune garantie de foi… Le sens théologique de cet épisode est la question du sabbat : « les juifs harcelaient Jésus, parce qu'Il faisait cela le jour du sabbat » (v. 16). Ce à quoi Jésus répond de façon provocante : « mon Père travaille toujours, et Moi aussi je travaille». Les juifs étaient des gens compétents point de vue religieux, et ils comprennent tout de suite ce que cela veut dire : « Il appelait Dieu son propre Père, se faisant ainsi l'égal de Dieu » (v. 18). La foi n'a pas été demandée à l'infirme ; mais tout le passage souligne le manque de foi des juifs - ce qui les empêche de reconnaître la divinité du Christ. Cela montre a contrario le rôle de « déclencheur » que possède la foi.

Lors de la guérison de l'aveugle-né, Jésus, rencontrant celui qu'Il avait guéri, lui dit :

Crois-tu au Fils de l'Homme ? L'aveugle répondit : et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en Lui ? Jésus lui dit : tu Le vois, c'est Lui qui te parle. Alors il dit : je crois seigneur » (Jn. 9 ; 35 - 38).

Certes, ici, la Confession de foi de l'aveugle désormais voyant est postérieure à sa guérison. Mais Jésus connaît très bien ce qui est au fond du cœur de cet homme et savait avec certitude, au moment où Il l'envoya à la piscine de Siloé (Jn. 9 ; 7), que le processus de foi était d'ores et déjà accompli dans l'âme de celui qui marchait à tâtons pour se laver les yeux.


§ 3. — Les fils de la Lumière et les fils des ténèbres.

Saint Paul distingue nettement entre l'homme psychique et l'homme spirituel, entre le vieil homme et l'homme nouveau.
Saint Jean, quant à lui, opère la même distinction, mais en parlant de ceux qui sont dans la Lumière, opposés à ceux qui sont dans les ténèbres :

Dieu (le Père) est Lumière, en Lui point de ténèbres.
Si nous disons que nous sommes en communion avec Lui alors que nous marchons dans les ténèbres, nous mentons, nous n'agissons pas dans la vérité.
Mais si nous marchons dans la Lumière comme Il est Lui-même dans la Lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres et le sang de Jésus, son Fils, nous purifie de tout péché (I Jn. 5 - 7).

L'éveil à l'esprit de l'homme spirituel, de celui qui marche dans la Lumière, est conditionné à sa démarche de foi, qui est la confession du fait que Jésus-Christ est venu dans la chair :

Tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu dans la chair est de Dieu ; et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n'est pas de Dieu ; c'est là l'esprit de l'Antéchrist (I Jn. 4 ; 2 - 3).

La démarche de l'homme spirituel lui permet de porter un fruit, qui est l'amour :

Bien-aimés, si Dieu nous a tant aimés, nous devons nous aussi nous aimer les uns les autres. (...) Nous, nous avons reconnu l'amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour : celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui (I Jn. 4 ; 11, 16).


§ 4. — Le Ciel est en toi.

L'homme spirituel est aisément reconnaissable :

L'homme spirituel, par sa présence, par ses propos, par ses attentions, répand une joie sereine pour qui l'approche. Le spirituel dans un être humain se perçoit par une qualité de joie ; il est facile pour les autres de ne pas la voir, de balayer aisément cette apparente fragilité ou de la tenir pour négligeable. L'homme spirituel peut susciter l'incompréhension, voire l'hostilité : il est engagé dans une autre voie qui lui est propre. Un être spirituel rayonne l'amour dont il vit et ne cherche pas endoctriner, à convaincre. Il n'a rien de plus qu'un autre. Il fait ce qu'il a à faire. Il est lui-même sans presque le savoir. On en ressent les effets ; on ne peut rien à capter, ni par les mots qu'il dit ni par son aspect physique. On peut en parler, raconter ses comportements, mais ce qui se dégage de lui n'est pas explicable : c'est du plus vivant, du plus stimulant. Il est surprenant, « choquant » même, mais d'un choc révélateur d'un ailleurs qui ne s'explique pas : il est avec Dieu.

Françoise Dolto. La foi au risque de la psychanalyse. éd. Seuil 1981. p.45 - 46.

Toute la question, c'est de désapprendre à extérioriser Dieu :

Notre Dieu n'est pas un objet que l'on peut poser devant soi, et que l'on peut situer en dehors de soi. Il ne peut s'enraciner que dans notre intimité, à condition que notre intimité s'ouvre à la sienne.

Maurice Zundel. Ta parole comme une Source. éd. Anne Sigier 1987. p. 224.

Nous avons une peine infinie à prendre le tournant, c'est-à-dire à intérioriser Dieu. Nous continuons presque toujours à Le situer en-dehors de nous, comme une puissance qui nous domine, à laquelle il faut bien que nous nous soumettions, mais qui ne fait pas partie essentielle de notre vie.

Ibid. p. 230.

Dieu n'est pas loin de nous : Il n'est pas absent de notre vie. Nous n'avons pas à Le chercher dans les abîmes de la terre ou dans les hauteurs du ciel. Comme dit l'apôtre saint Paul, pour Le trouver, il n'est que de nous recueillir et de Lui rendre visite dans l'intimité de notre cœur.

Ibid. p. 82.

Dieu est mon centre quand je L’enferme en moi,
et ma circonférence quand mon amour me dissout en lui.

Angelius Silesius - Le Pèlerin Chérubinique.

Le vrai lieu de la Naissance de Jésus c'est notre cœur, et le seul moyen de rencontrer Dieu, c'est de nous recueillir jusqu'à ce que nous atteignons, dans le silence le plus profond, jusqu'au plus intime de nous-mêmes. C'est cela l'immense découverte : Dieu et l'homme constituent une seule et même vie ; Dieu et l'homme sont inséparables. Il est impossible de trouver l'homme sans découvrir Dieu, et réciproquement.

Maurice Zundel. op. cit. p. 82.

Le Ciel, c'est l'enracinement de notre intimité dans celle de Dieu.

Ibid. p. 201.

Halte ! Où cours-tu ? Le Ciel est en toi.
Si tu cherches Dieu ailleurs, il te fera toujours défaut.

Angelius Silesius - Le Pèlerin Chérubinique.

Il n'est donc plus question de nous livrer à une culpabilisation stérile, à de vains regrets du passé, à du misérabilisme et de l'autodérision sous prétexte de vertu :

Cessez donc de me dire que vous êtes un pauvre type, que vous savez bien que vous ne méritez pas le paradis, mais que tout de même Dieu vous le donnera parce qu'Il sait très bien que vous êtes un propre à rien !
Il me semble que la plus belle manière d'échapper à ce sentiment de mendicité et de retrouver notre dignité humaine, c'est d'entrer dans la connaissance, de cultiver ardemment une science, c'est d'aimer la nature, c'est de gravir une montagne, c'est d'aller chercher le lever du soleil ! C'est de s'enthousiasmer pour la paix d'une nuit étoilée, c'est d'assister aux rires et aux ébats d'un petit enfant, c'est de s'émerveiller de son premier sourire, c'est de chercher partout à susciter cette éclosion de la Beauté, de la Grandeur, de la Dignité. Alors, on communie toujours plus profondément à la Présence divine qui se révèle sous tous ces visages innombrables, sous tous ces aspects de la nature, de l'art, de la science et de l'humanité.

Maurice Zundel. op. cit. p. 201 - 202.

Car nous avons une grande et splendide vocation :

Chaque homme, comme le second Adam, doit devenir à son tour l'origine et le commencement d'un monde nouveau. Chaque homme doit récapituler en lui toute l'Histoire humaine et devenir l'axe de l'univers.

L'Évangile de la Transfiguration déplace merveilleusement toutes les valeurs en nous apprenant qu'en nous nous existe ce même Soleil intérieur qui est la Gloire de Jésus-Christ. Ce qui est passionnant dans un être humain, c'est qu'il peut et qu'il est appelé à révéler Dieu.

Le Christ est venu révéler à l'homme qui il est. Il est venu accomplir l'homme dans toute sa grandeur, dans toute sa dignité, dans toute sa beauté. Nous portons en nous la réalité de cette Présence infinie qui est le Dieu Vivant.

Dieu remet entre nos mains l'univers tout entier parce que justement Il veut faire de nous des co-créateurs, et qu'Il attache à notre « oui » une importance tellement essentielle qu'Il ne veut rien accomplir sans notre consentement.

Maurice Zundel. op. cit. p. 220, 228, 229, 252.


Va là où tu ne peux aller,
regarde là où tu ne vois pas,
écoute ce qui ne retentit ni ne résonne.
Tu es là où Dieu parle.

Angelius Silesius - Le Pèlerin Chérubinique.


L'objectif tracé initialement a-t-il été atteint ?

Une pensée théologique « académique » considère que l'être humain est constitué uniquement d'un corps et d'une âme - et que la notion d'« esprit » relève d'un flou terminologique, étant en réalité synonyme d'« âme ».

Dans la première partie de cette Étude, nous avons pris connaissance de cette argumentation. Ensuite, nous avons considéré quels sont les arguments qui appuient la conception de l'être humain comme étant constitué de trois parties distinctes : le corps, l'âme et l'esprit.

Si l'on considère l'« âme » dans le sens étymologique du terme (psuchè - anima), c'est-à-dire comme étant l'élément qui «anime» le corps - assurément, les animaux ont une « âme », en ce sens qu'ils possèdent un réseau neuronal qui anime leur corps. Mais une telle compréhension du terme « âme » vient en contradiction directe avec le sens que nous lui donnons intuitivement - c'est-à-dire en tant que « partie immatérielle de notre être », qui continue d'exister au-delà de notre mort physique. Il convient donc de ne pas se limiter au sens étymologique du mot « âme ». C'est pourquoi nous avons convenu de distinguer la notion d'« âme » de celle d'« esprit ».

Nous avons ainsi considéré que la distinction, dans l'âme humain, de quatre parties : le corps, le psychisme, l'âme et l'esprit - permet un maximum de clarté. Nous possédons un corps matériel, qui nous permet de réagir à notre environnement ; notre psychisme est le lieu de notre réflexion et de nos sentiments ; l'âme est, au plus intime de nous-mêmes, le Temple où se tient la Présence divine - car nous sommes faits à l'Image de Dieu ; et enfin l'esprit n'est autre que notre faculté de communication avec le Divin.

L'eau mystique qui vivifiait et fécondait l'espace-temps paradisiaque n'a pas disparu, suite au Refus Originel - car Dieu d'abandonne pas sa créature. Ces Eaux fondatrices se sont tout simplement effacées de la surface, laissant un paysage stérile et désolé. Mais elles subsistent au plus profond, en une « nappe phréatique » qu'atteint le puits de Jacob, où puisait la Samaritaine...

Dans notre état de Chute ontologique, cette Eau jadis vivifiante est devenue latente et immobile. Suite à la Révélation apportée par le Christ - si nous accomplissons une démarche de foi - c'est l'Esprit Saint Lui-même qui vient donner une «impulsion» à notre esprit. À ce moment précis, notre esprit subit une mutation totale : au plus profond de nous-mêmes, les Eaux latentes et immobiles de notre « lac intérieur » deviennent un Fleuve d'Eau Vive, source de Vie spirituelle et de fécondité divine. Nous devenons nous-mêmes Source et Origine. Ces flots vivifiants, issus de notre âme, remontent jusqu'à la surface de notre conscience, sous forme de Suggestion créatrice.

Notre « naissance à l'esprit » élargit considérablement notre conscience : les symboles deviennent éclairants et signifiants, les Écritures sacrées découvrent leur sens à nos yeux, l'intuition spirituelle nous permet de percevoir ce à quoi les gens sont généralement insensibles, la Présence divine devient perceptible dans notre cœur.

Par contre, à la fois l'âme et l'esprit sont totalement en dehors de la perception consciente de l'homme bio-psychique, qui considère qu'il est fait uniquement d'un corps et de mécanismes neuronaux - tous deux promis à la disparition après la mort biologique. Le semblable connaît le semblable : seul l'homme spirituel peut appréhender l'existence de l'âme et de l'esprit. Pour franchir cette barrière à la connaissance, il est indispensable d'opérer une démarche de foi. Rien ne permet d'expliquer le surgissement de la foi en quelqu'un, qui est un phénomène aussi inconnaissable que ne l'est la personne humaine. Mais partir du moment où quelqu'un a la foi, tout devient possible…

Tout ceci nous permet de donner leur entière signification à de très nombreux passages de l'Évangile de Jean et des Épîtres du saint apôtre Paul. Nous nous sommes attardés à détailler l'enseignement du saint évangéliste Jean et de saint Paul, à propos de la foi. Et nous avons constaté que cet enseignement est identique, bien qu'il soit exprimé dans un vocabulaire différent. Il est important de retrouver une compréhension plénière de ces passages scripturaires qui sont généralement ignorés, car leur signification a été depuis longtemps « aplatie », du fait d'une compréhension étroitement moralisante des textes du Nouveau Testament.

En fait, Il existe « deux religions », si l'on peut employer une telle expression ! Une religion « du corps et de l'âme », où, après la mort, le corps retourne à ses éléments premiers, tandis que l'âme s'en va auprès de Dieu, sans être atteinte par la mort biologique. Cette âme subit un Jugement relatif à ses comportements sur la terre et, si elle franchit victorieusement cette épreuve, elle se retrouve au Paradis pour une éternité de louanges. Dans cette perspective, Dieu est demeuré toujours extérieur à l'être humain, et celui-ci ne doit son Salut qu'à son obéissance passive aux commandements qui lui sont imposés.

La religion « du corps, de la psyché, de l'âme et de l'esprit », quant à elle, possède comme pivot central la divinisation, c'est-à-dire notre participation à la Nature divine, tout en gardant notre état de créature.
Par l'acte de foi, ici et maintenant, nous avons la capacité de renouveler radicalement notre esprit, et d'inaugurer dès maintenant notre « greffe » dans cet espace-temps nouveau qu'est le Royaume de Dieu.
Ce faisant, nous sommes d'ores et déjà au-delà du Jugement ; nous vivons dans une communion intime avec Dieu.

Ce n'est certes pas un fantasme ou l'effet de l'imagination, car nous avons appris à « intérioriser Dieu », à ne plus Le considérer comme un « objet » extérieur à nous-mêmes. En toute légitimité, nous pouvons maintenant dire que Dieu a posé un signe = entre sa vie et la nôtre : nous ressusciterons suite à l'effet de sa propre Résurrection ; nous vivons dès aujourd'hui en Dieu, car c'est Lui qui nous apporte la Vie par son Incarnation ; nous baignons dans la Lumière incréée, car c'est Lui qui S'est transfiguré devant nous.

*******

Ajoutons à notre propos, ces éléments intéressants que nous trouvons dans la troisième homélie de saint Grégoire de Nysse sur le Notre Père (Sources Chrétiennes 596. Homélies sur le Notre Père. Cerf 2018. p, 413 et sq.) :


- Chapitre VIII -

Une réflexion de saint Grégoire de Nysse, à propos de l'Esprit du Christ.


1) La variante du Notre Père :

Dans la prière du Notre Père, on demande à Dieu : « que ton règne vienne ». Saint Grégoire de Nysse nous propose une variante remarquable :

Il est dit dans l'autre Évangile, à la place de «que ton règne vienne», «que ton Esprit-Saint vienne sur nous et nous purifie».

Or. dom. III, 412, 16. - 414, 2. S.C. 596).

Cette variante est effectivement présente en un manuscrit du onzième siècle, conservé à la British Library de Londres, et dans un autre manuscrit, le Barberini 449 (minusc. 162, datant de 1153), conservé en la bibliothèque du Vatican. Il est fort possible que l'on ait jadis préservé en Cappadoce une ancienne variante du texte évangélique, variante que saint Grégoire de Nysse connaissait.


2) La réflexion trinitaire de Grégoire de Nysse - communauté de Nature entre le Fils et l'Esprit :

Suivons les étapes de la réflexion de saint Grégoire, dans sa troisième homélie sur le Notre Père :

Ce précisément que Luc appelle Esprit-Saint, c'est ce que Mathieu a nommé Règne.

Or l'Apôtre attribue la même capacité aussi au Monogène : "Après avoir accompli - dit-il - la purification des péchés, Il s'est assis à la droite de la majesté du Père" (Hébreux 1 ; 3).

Donc, l'Esprit-Saint purifie, d'après l'Évangile de Luc - et le Christ purifie, d'après l'épître aux Hébreux. Tous deux exercent ainsi une œuvre commune :

Une est l'œuvre de chacun des deux : de l'Esprit qui purifie le péché, et du Christ qui a accompli la purification des péchés. Donc Une est leur activité, et leur puissance est en tout point la même.

Cela permet de conclure que l'Esprit-Saint et le Christ partagent une seule et même Nature divine :

Si activité et puissance sont Une, comment est-il possible de conjecturer une différence de Nature chez ceux (l'Esprit-Saint et le Christ) en qui nous ne trouvons aucune différence, ni de puissance, ni d'activité ?

En d'autres mots :

Un homme sensé, après avoir appris de la divine Écriture qu'il y avait une seule activité du Fils et de l'Esprit, ne pourrait être amené à supposer une différence de Nature entre eux.

Le fait qu'il n'y a qu'une seule activité et une seule puissance, de la part du Christ et de l'Esprit, montre que ces deux Personnes sont réellement des hypostases manifestatrices du Père – ces deux « mains du Père », que nous décrit Saint Irénée de Lyon. En effet, le Père agit auprès des êtres humains, par le Christ, en l'Esprit-Saint - la première Personne divine restant non-manifestée.


3) Communauté de Nature entre le Père et le Fils :

L'étape suivante de la pensée de saint Grégoire de Nysse s'établit comme suit :

La dénomination de "Fils" et celle de "Père" signifie le fait d'être conjoints selon la Nature.

Le Fils et le Père partagent la même Nature divine. Or on vient de montrer que le Fils et l'Esprit partagent eux aussi la même Nature divine. Donc, en bonne logique, les trois Personnes de la Trinité partagent la même et unique Nature divine :


4) Communauté de Nature dans l'ensemble de la Trinité :

- Si le Fils est uni selon la Nature au Père,
- et qu'il a été montré que l'Esprit-Saint n'est pas étranger à la Nature du Fils, à cause de l'identité de leurs activités,
- par conséquent, il a été démontré que la Nature de la Sainte Trinité est UNE.

Après avoir démontré l'unité de la Trinité en une seule et même divinité, il reste à démontrer la distinction des Personnes. Et saint Grégoire de Nysse le fait de façon philosophique, en partant de la notion de cause :


5) Distinction de Personne entre le Père et le Fils ainsi que l'Esprit-Saint :

Le fait d'exister à partir d'une cause, qui est propre au Fils et à l'Esprit, ne peut être reconnu dans le Père, quant à la Nature.

Le Père est « cause » du Fils, du fait qu'Il L'engendre :

Le mot "père" signifie la cause de celui qui existe à partir de lui (II, 364, 18-19).

Le Père est également « cause » de l'Esprit-Saint, du fait que ce dernier procède de Lui (Jn. 15 ; 26). Par contre, le Père lui-même, n'est « causé » par personne. Ainsi donc, le Fils et l'Esprit-Saint sont DISTINCTS du Père.

Dans cette perspective, à la fois le Fils et l'Esprit-Saint son « causés » par le Père. Comme le Fils et l'Esprit-Saint partagent cette même propriété, peuvent-ils être confondus ?


6) Distinction de Personne entre le Fils et l'Esprit-Saint :

Le Fils Monogène est nommé "issu du Père"par la divine Écriture, et le Verbe arrête sa propriété jusqu'à ce point.

Le Saint-Esprit, l'Écriture le dit "issu du Père" (ek tou patros legetai) Jn. 15 ; 26 et témoigne en outre qu'il est du Fils (kai [ek] tou huiou einai prosmartureitai). En effet, "si quelqu'un ne possède pas l'Esprit du Christ - est-il dit en Rm 8 ; 9 - Il n'est pas de Lui ".

En plus de Rm. 8 ; 9, on peut citer la première épître de saint Pierre 1 ; 11, qui présente aussi l'expression Esprit du Christ : "(les prophètes) ont cherché à découvrir quel temps et quelles circonstances avait en vue l'Esprit du Christ, qui était en eux, quand ils attestaient à l'avance les souffrances du Christ et les gloires qui les suivraient".

L'expression « Esprit du Christ », donnée en ces deux passages de l'Écriture, n'est pas réversible. Dire « Christ de l'Esprit » est étranger à la Tradition de l'Église :

Cette conséquence de la relation n'est pas convertible comme si on pouvait convertir de façon équivalente la proposition, en la ramenant à la précédente et, comme nous disons "l'Esprit du Christ", nommé aussi le Christ "de l'Esprit".

Ainsi donc, nous ne pouvons pas confondre l'hypostase du Christ avec celle de l'Esprit, car chacune a une propriété spécifique : le Christ est « issu du Père », tandis que l'Esprit est « l'Esprit du Christ ».
Le Saint-Esprit et le Christ sont donc deux Personnes DISTINCTES, du fait de leur différence de propriétés.


7) Unité et Distinction en la Trinité :

L'unité de Nature et la distinction des Personnes sont donc ainsi prouvées, dans la Sainte Trinité :

Puisque cette propriété (Esprit du Christ) distingue l'un de l'autre clairement et sans confusion, tandis que leur identité quant à l'activité (l'œuvre de purification) témoigne de la communauté de leur Nature (...) la Trinité est dénombrée par les hypostases, sans être fractionné en éléments de Nature différentes ».


8) Controverse à propos d'une préposition :

Nous pouvons noter le fait que la controverse a fait rage, à propos cette phrase de saint Grégoire de Nysse, que nous avons citée : « Le Saint-Esprit, l'Écriture le dit issu du Père (ek tou patros legetai) Jn. 15 ; 26 et témoigne en outre qu'il est du Fils (kai [ek] tou huiou einai prosmartureitai).

Nous pouvons remarquer que le « ek » est mis entre crochets. Si l'on retient cette préposition, la phrase devient : « Le Saint-Esprit, l'Écriture le dit "issu du Père" et témoigne en outre qu'il est issu du Fils ». Dans ce cas, cela semble accréditer la thèse du filioque, selon laquelle l'Esprit-Saint procéderait du Père et du Fils.

Cette préposition est effectivement présente dans le plus ancien manuscrit, qui date du neuvième siècle. Mais la notion de l'Esprit-Saint qui serait issu du Père et du Fils, est étrangère la pensée trinitaire de saint Grégoire de Nysse.

Il est possible qu'un scribe ait répété erronément la préposition, sans qu'on puisse prouver une telle supposition. Ce que l'on peut affirmer, c'est que la pensée théologique de saint Grégoire de Nysse est bien antérieure à l'apparition de la controverse du filioque - et que saint Grégoire, en ce point de sa pensée, visait uniquement à établir l'unité-distinction en la Sainte Trinité.


9) La question de l'antériorité dans la sainte Trinité :

Le critère de vérité, dans cette question, est le fait qu’il ne peut exister dans la Trinité, aucune antériorité ni aucune postériorité.

Comprendre l'expression « Esprit du Christ » dans le sens que l'Esprit-Saint serait issu du Père en premier lieu, et ensuite issu du Fils, secondairement, introduit cette notion d'antériorité au sein de la Trinité. Cela revient à donner à l'Esprit-Saint la propriété d'être tertiaire par rapport au Père - et à donner au Fils un rang secondaire, par rapport au Père.

Ce schéma de division apparemment logique, qui distingue tout d'abord entre la cause et le causé, et ensuite, - à l'intérieur même du causé - ce qui provient immédiatement de la cause et ce qui en provient médiatement, relève du même raisonnement biaisé.

On peut cacher l'introduction de cette antériorité dans la Trinité, en disant qu'il s'agit en réalité d'une antériorité ontologique, et non pas chronologique.

Mais cela ne fait que masquer l'introduction d'un modèle platonicien dans la théologie trinitaire, où l'Un de la première hypostase, déverse son énergie dans l'Intelligence ou seconde hypostase, qui elle-même déverse son énergie dans l'âme du monde ou troisième hypostase.

Telle est la pensée de Plotin, qui est - est-il nécessaire de le dire ? - entièrement étrangère à la théologie de saint Grégoire de Nysse.

Dans la théologie trinitaire de l'église orthodoxe, il ne saurait être question de « cause première », ou de « cause seconde ». La Sainte Trinité n'est pas une cascade à trois bassins… Il est nécessaire de garder une grande vigilance, afin d'éviter toute idée d'antériorité, en ce qui concerne la Sainte Trinité.

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