Orthodoxie en Abitibi

P. Théodore de Régnon : Études de Théologie Positive VII

P. Théodore de Régnon - Études de Théologie positive - VII -

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Considérations sur les mots
Dieu le Père - Dieu le Fils
Dieu le Saint-Esprit : Aperçu général de la question
Dieu le Saint-Esprit : attitude de saint Basile
Dieu le Saint-Esprit : attitude de saint Grégoire de Nazianze
Sens du mot « Dieu »
Réflexions sur le mot « Dieu »

- Étude VII -
Du mot « Dieu ».

- CHAPITRE I -
CONSIDÉRATIONS SUR LES MOTS


§ 1. — Les Lois qui régissent les mots.

a parole humaine a pour but de manifester la pensée. Le mot est le signe sensible d'un concept. Il n'atteint l'objet qu'à travers le concept qu'on s'est formé de cet objet. D'où résulte cette première règle, bien banale mais trop souvent oubliée, que pour décider si un mot convient à un objet, on doit d'abord définir le mot, c'est-à-dire faire connaître le concept qu'il exprime formellement.

Mais le concept et le mot se distinguent l'un de l'autre par une différence importante. Tandis que le « concept » est contenu dans une intelligence individuelle, et n'appartient qu'à l'individu qui pense ; le « mot » sert à établir un commerce entre plusieurs individus. Le mot n'est donc pas une propriété particulière dont on puisse user et abuser en maître absolu. Il est un bien social appartenant à la communauté. D'où cette règle, banale comme la précédente, que pour se faire comprendre, il faut employer les mots dans le sens que leur donnent ceux avec qui l'on converse. D'où encore cette règle, non moins banale, que chacun a le droit de juger la pensée d'un auteur, en prenant dans le sens généralement admis les mots qu'emploie cet auteur.

De ce principe que le mot n'appartient pas à l'individu mais à la société, il faut conclure que le mot est soumis aux lois de l'ordre social. Or ces lois découlent de deux sources, qui sont le Pouvoir législateur et le Droit coutumier. De là deux graves conséquences.

La première concerne le droit que possède le Pouvoir social, de fixer par voie d'autorité le sens de certains mots, c'est-à-dire de déterminer le concept formellement attaché à l'expression publique de ces mots. D'où le droit revendiqué par l'Église d'imposer certaines formules de foi, de proscrire par l'anathème certaines expressions, et de déclarer hérétique une phrase ou un livre tout entier, sans avoir à rechercher quelle fut la pensée intime de l'auteur.

La seconde conséquence est relative à l'autre source du Droit. Lors même que le sens d'un mot n'aurait pas été fixé par le Pouvoir social, il peut avoir été déterminé par cette force sociale qu'on nomme la « coutume ». À cet égard, je ne dis pas seulement qu'il est de l'intérêt de celui qui veut se faire entendre, de prendre chaque mot dans le sens que lui attache la coutume. Ma proposition va plus loin. Je dis que, pour certains mots importants, on a le strict devoir de ne les employer que dans le sens déterminé par une coutume qui fait loi ; puisqu'en employant ces mots, on use d'un bien commun que la communauté a le droit de conserver intact.


§ 2. — Comment on doit étudier les mots.

Ces principes généraux sont les phares qui guident la critique. Rien ne serait plus sujet à l'illusion que de se prononcer sur la pensée d'un auteur, d'après l'étymologie grammaticale ou philosophique des mots qu'il a employés. Ce qui importe surtout, c'est de connaître le sens accepté par la coutume, à l'époque et dans le milieu où vivait cet auteur.

Or, remarquez-le : si la coutume est une loi, parce qu'elle sort spontanément de la nature sous l'œil du pouvoir légitime ; cependant elle change avec les hommes, avec les choses, avec le temps, entraînant dans sa variation continuelle les habitudes, les mœurs, le langage. D'où suit que l'étude d'un mot est essentiellement une étude historique, par laquelle on se rend compte du sens attaché à ce mot à telle époque et dans telles circonstances. Voilà ce que n'ont pas compris certains théologiens, trop empressés à condamner dans les auteurs de la primitive Église quelques expressions que la coutume actuelle n'admet plus.

L'étude d'un mot est une étude historique. Mais prenez garde de tomber dans les abus de ce procédé rationnel, qu'on appelle pompeusement la philosophie de l'histoire. Sans doute les grands événements ont leur préparation dans le passé. Cependant, pour les tirer des causes intimes où ils étaient à l'état d'incubation, il a fallu des causes déterminantes, aussi impossibles à prévoir que les caprices de la liberté individuelle, aussi mesquines souvent que les passions de l'homme. Il en est des mots comme des choses ; plus encore des mots, car les batailles sur les syllabes ont toujours été les plus acharnées. Depuis les ariens qui repoussaient l'homoousion jusqu'aux jansénistes qui se cramponnaient à l'insuperabiliter [selon la doctrine janséniste, personne ne peut être sauvé, sinon par le bénéfice d'une disposition spéciale, gratuite et irrésistible insuperabiliter et indeclinabitiler], toujours la tactique de l'hérésie a été de maintenir les débats sur les mots ; car c'est le vrai moyen d'exciter les passions du vulgaire. Nous avons vu, à propos de la question des trois hypostases, comment cette longue querelle entre catholiques sincères surgit, s'envenima, se prolongea, se termina, par des causes où la discussion logique entrait pour une part assez faible.

Ces prolégomènes n'étaient pas inutiles avant d'aborder l'étude du nom adorable de Dieu. Car nous allons y rencontrer l'application des considérations précédentes.


- CHAPITRE II -
DIEU LE PÈRE - DIEU LE FILS


§ 1. — Concept judaïque de Dieu.

Saint Athanase, invoquant la tradition contre les novateurs, affirme que la révélation chrétienne date de notre premier père Adam (S. Athanase, De decretis Nycaenae, § 5. — M. XXV, col. 432). C'est là une grande vérité qu'ont soutenue tous les Docteurs, et sur laquelle est fondé le droit de l'Église au titre de catholique [au sens étymologique du terme : universelle et intégrale].

Mais la Synagogue, gardienne des promesses, avait un esprit trop grossier pour qu'on lui permit d'ouvrir le trésor qui lui était confié. Son rôle spécial se bornait à proclamer au sein de l'idolâtrie l'unité du Dieu créateur, suivant cette parole d'Isaïe : Ego Dominus et non alius... et non est ultra Deus absque me - il n'y a pas d'autre Dieu que Moi... et nul autre en-dehors de Moi (45 ; 18 - 21).

Les Juifs croyaient donc, comme nous, en un seul Dieu éternel, créateur et seigneur de toutes choses, Dieu subsistant par soi-mèrne, Dieu possédant la plus complète personnalité. Leur adoration et leurs cantiques s'adres-saint à une Personne-Dieu. Mais la mesquinerie juive - smikrologia Ioudaïkè - suivant l'expression de saint Grégoire de Nazianze (S. Grég. de Nazianz., orat. XX, § 6), consistait à ne reconnaître le Dieu unique que dans une seule et unique personne.

Certes - dit Tertullien - c'est demeurer dans la foi juive, que de croire un seul Dieu, de cette sorte que vous refusiez d'y joindre le Fils, et après le Fils l'Esprit. Car qu'y a-t-il entre les Juifs et nous, sinon cette différence ? Quelle est, pour vous, l'œuvre de l'Evangile ; quelle est la substance du Nouveau Testament, si, vous arrêtant à Jean qui termine la Loi et les Prophètes, vous ne croyez pas que les Trois révélés, le Père, le Fils, le Saint-Esprit, sont le Dieu unique ?

Tertullien, Contr. Praxeam, c. XXXI.


§ 2. — Les premiers chrétiens attribuent spécialement le nom de Dieu à la première personne.

Lorsque le Soleil de justice vint épanouir le bourgeon conservé sous les frimas de la Loi, il l'ouvrit avec une délicatesse extrême, afin de ne rien froisser d'un tissu si délicat. Le Sauveur, en effet, a résumé toute sa mission évangélique, lorsqu'il a dit : Père... la vie éternelle, c'est qu'ils Te connaissent, Toi le seul véritable Dieu, et ton envoyé, Jésus-Christ (Jean 17 ; 3). Dans cette prière adorable, le Seigneur s'adresse à une seule personne qu'il proclame le seul Dieu véritable, mais il l'appelle PÈRE, et ce nom suffit à révéler la filiation divine de Celui qui a été envoyé. La foi n'est donc pas changée, mais elle est rendue parfaite, suivant cette autre parole du Sauveur : n'allez pas croire que Je sois venu abolir la loi ou les prophètes ; Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir (Mt. 5 ; 17). La connaissance juive s'arrêtait à un Dieu personnel créateur ; le chrétien sait que cette personne divine est Père. Saint Cyrille dit à ce sujet :

La plénitude de la science à l'égard du Dieu principe de toutes choses ne consiste pas à savoir uniquement qu'il est Dieu, mais encore qu'il est Père... Car savoir seulement qu'il est Dieu ne serait pas plus digne de nous que de ceux qui vécurent sous la Loi. Une telle science ne dépasse pas la mesure du concept judaïque.

S. Cyrille, In Joannem, lib. XI, c. VII. — M. LXXIV, col. 500.

Le divin Sauveur avait fait connaître au peuple juif le caractère paternel de Celui que l'Ancien Testament désignait sous le nom de Dieu. Les apôtres, formés à l'enseignement divin, parlèrent comme leur maître. Il n'y a qu'à parcourir le Nouveau Testament, pour souscrire à l'affirmation suivante, que Petau a prise dans un théologien grec du moyen âge :

Les apôtres et presque toujours la Sainte Écriture, lorsqu'ils disent ho theos, d'une manière absolue et indéterminée, surtout avec l'article et sans caractéristique personnelle, l'entendent du Père.

Abucara, cité par Petau, lib. IV, c. XV, § 14.

L'Église naissante, formée par ce langage, le conserva. En prononçant le grand mot « Dieu », si la phrase ne détournait le sens, on dirigeait sa pensée vers la première personne de la Sainte Trinité. Qu'on lise les écrivains les plus corrects, les Irénée ou les Hilaire, on reconnaîtra constamment ce procédé.


§ 3. — Le nom « Seigneur » est attribué au Fils.

Sans doute, on rencontre dès l'origine le nom : « Dieu » appliqué au Fils. Saint Jean avait écrit : Le Verbe était Dieu, et saint Paul : Le Christ est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement (Rom. 9 ; 5). On ne s'étonne donc pas de rencontrer dans la primitive Église de nombreux témoignages où le Fils est formellement appelé Dieu.

Cependant la formule usuelle était celle que saint Paul avait consignée dans le passage suivant de la première aux Corinthiens : Pour nous, il n'y a qu'un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et pour qui nous sommes faits, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes (I Co. 8 ; 6). Aussi, lorsqu'on disait « Dieu », la pensée se portait sur le Père ; lorsqu'on disait « le Seigneur », la pensée se portait sur le Fils. Dans les deux cas, la pensée se portait sur une personne spéciale et distincte de toute autre.

Tertullien me semble, dans le passage suivant, avoir admirablement exposé l'état d'esprit des fidèles.

Après avoir montré que le Fils est Dieu et Seigneur, il se pose cette objection des sabelliens : Pourquoi alors ne dites-vous pas deux dieux et deux seigneurs ? — Jamais, répond-il, ne sortira de notre bouche l'expression « deux dieux » ou « deux seigneurs » ; et après avoir donné une raison théologique et une raison de prudence vis-à-vis du paganisme, il conclut :

C'est pourquoi, je ne dirai jamais des dieux ou des seigneurs ; mais je suivrai l'Apôtre, de sorte que s'il faut nommer à la fois le Père et le Fils, j'appelle le Père Dieu, et j'appelle Jésus-Christ Seigneur. Cependant je pourrai appeler : Dieu, le Christ considéré seul, comme l'a fait le même Apôtre lorsqu'il dit : De qui est sorti selon la chair Jésus-Christ même, le Dieu au-dessus de toutes choses, et béni dans tous les siècles. Je puis appeler : soleil, le rayon du soleil pris en lui-même ; mais si je nomme : soleil, l'astre d'où procède le rayon, je ne dois pas en même temps nommer : soleil, le rayon lui-même. En effet, bien que je ne suppose point deux soleils, cependant je dénombre le soleil et son rayon comme deux choses, comme deux formes (species] d'une même et indivise substance. Ainsi en est-il de Dieu et de sa Parole, du Père et du Fils.

Tertullien, Contr. Praxeam, c. XIII.


§ 4. — Formule de Nicée.

Cet état traditionnel du langage ne fut pas sans créer un certain embarras dans la suite. Lorsque les gnostiques et les ariens prétendirent que le Fils n'est qu'une créature, venait-on à leur répondre que le Fils est Dieu, les hérétiques protestaient contre une dénomination en opposition avec le texte de l'Apôtre : Un seul Die uet Père. De là vient que dans les premières luttes, les défenseurs de la foi mirent surtout leurs soins à démontrer que le Fils est « incréé, non fait, éternel, parfait, créateur ». De ces formules résultait évidemment la divinité du Fils, et cela suffisait à sauver l'orthodoxie, sans s'engager dans des querelles de mots. Cependant la divinité du Sauveur est tellement le centre du dogme catholique, la filiation divine entraîne si évidemment l'unité de substance, les négations blasphématoires des hérétiques révoltaient si fort la conscience des fidèles, que de tout temps on professa ouvertement que le Fils de Dieu est Dieu, que le Verbe de Dieu est Dieu. Le concile de Nicée ne fit donc que constater la foi traditionnelle, lorsqu'il mit dans son symbole les mots : Dieu de Dieu, vrai Dieu de vrai Dieu.

Mais Ginoulhiac a fait cette excellente observation, que le concile n'a pas rompu avec les anciennes formes de langage. Laissons la parole au savant écrivain :

Qu'on observe, dit-il, que le concile de Nicée, qui a directement défini la consubstanlialité du Père et du Fils, ne s'est pas écarté de cette règle. « Nous croyons, dit-il, en un seul Dieu, le Père tout-puissant...; et en un seul Seigneur, Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ». On le voit: le concile attribue au Père le nom de Dieu d'une manière spéciale, comme il attribue au Fils le nom de Seigneur ; il appelle le Père le Dieu unique d'une manière absolue, et en proclamant la divinité du Fils, il dit qu'il est Dieu de Dieu, vrai Dieu de vrai Dieu.
C'est ce qui faisait dire à saint Augustin, expliquant ces paroles de Jésus-Christ : Je suis de lui, et c'est lui qui m'a envoyé (Jn. 7 ; 27) : « Il dit : Je suis de lui, parce qu'il est du Père, « et que tout ce qu'est le Fils, il le tient de celui dont il est le Fils. Voilà pourquoi nous appelons le Seigneur Jésus : Dieu de Dieu. Nous n'appelons pas le Père : Dieu de Dieu, mais simplement : Dieu. Et nous appelons le Sauveur Jésus : lumière de lumière ; mais le Père, nous ne l'appelons pas : lumière de lumière. C'est ce que veut dire cette parole : Je suis de lui.

Ginoulhiac, liv. VIII, ch. III.— Le texte de saint Augustin est tiré de : In Joann., tract. 3l, n. 4.


§ 5. — Raison de ce langage.

Origène, dans ses commentaires sur saint Jean, s'exprime en des termes qui ont donné prise à ses accusateurs. Il prétend que dans l'Évangile, le mot « Dieu », avec l'article, ho theos, signifie le Père, et que le Fils est appelé Dieu sans article, theos, comme si, pour employer ses expressions, le Père seul était le Dieu absolu, autotheos, et que le Fils ne fût Dieu que par une participation (Origène, In Joannem, t. II, § 2. — M. XIV, col. 108).

Petau, toujours hostile à Origène, voit dans ce passage une monstrueuse impiété (Petau, lib, I, c. IV, § 5). On pourrait ajouter à la charge de l'Alexandrin, qu'il savait que Philon avait attaché un sens clairement arien à la distinction entre Dieu avec l'article et Dieu sans article (Philon, De somniis, lib. I), et que par suite, le devoir du chrétien était de réfuter l'erreur du Juif plutôt que de s'en rapprocher par le langage. Mais Ginoulhiac, après d'autres, réhabilite parfaitement la mémoire d'Origène.

Voici le texte :

I. Par ces principes et par les observations que nous venons de faire, on pourra expliquer, sinon justifier entièrement, un célèbre passage d'Origène qui lui a valu l'imputation d'impiété et d'arianisme, et qui a exercé la sagacité de ses défenseurs. Nous allons le soumettre à un examen sérieux. Ce n'est point que les opinions erronées qui pourraient s'y rencontrer intéressent essentiellement la tradition de l'Église sur la divinité du Verbe ; nous ne croyons même pas qu'on puisse, sur ce passage, asseoir un jugement suffisamment éclairé relativement aux vrais sentiments d'Origène, soit parce qu'on ne doit pas juger un auteur sur un seul endroit de ses livres, surtout lorsque les ouvrages qui nous en restent ont été corrompus, soit parce que l'ouvrage particulier auquel ce passage est emprunté est une de ces œuvres de sa jeunesse, où Origène semble jouer aux dés, comme parle saint Jérôme, et où, pour montrer que la doctrine catholique n'est pas moins féconde que la Gnose en interprétations subtiles ou relevées, il paraît quelquefois ne connaître ni mesure dans ses pensées, ni règle dans son langage. Mais il est bon que nous insistions sur l'examen de ce passage, parce qu'il est allégué dans toutes les histoires du dogme et de la philosophie chrétienne, qu'il peut servir à donner une idée de la manière d'Origène à ceux qui ne la connaissent pas, et surtout parce que, à travers les hasardeuses assertions dont il fourmille, nous y trouverons des preuves éclatantes de la foi du troisième siècle à la divinité du Verbe.

Origène donc, expliquant le premier verset de l'Évangile de saint Jean, observe que l'Évangéliste a tantôt ajouté l'article au nom de Dieu, et que tantôt il ne l'a pas fait, et cela afin d'indiquer une différence entre les Personnes auxquelles ce nom est donné. « En effet, poursuit-il, lorsque le nom de Dieu est dit de l'auteur inengendré de toutes choses, saint Jean emploie l'article, tandis qu'il le supprime lorsqu'il appelle le Verbe Dieu ». Puis il se demande à lui-même si, comme il y a une différence entre Celui qui est appelé Dieu avec l'article, et le Verbe qui est appelé Dieu sans l'article, il n'y a pas la même différence entre celui qui est appelé le Verbe avec l'article et ce qui est simplement verbe, et il répond affirmativement, parce que celui qui est appelé le Verbe est la source de tout verbe, le principe de toute raison. Revenant alors à l'observation qu'il avait faite à l'égard du nom de Dieu, il dit qu'au moyen de cette distinction on peut résoudre la difficulté qui trouble beaucoup de chrétiens qui, reconnaissant que le Fils est Dieu, et craignant de professer deux dieux, sont exposés à donner dans des erreurs également opposées et impies. « Car, ajoute-t-il, le Dieu par lui-même est celui qui est appelé Dieu avec l'article, selon la parole de Jésus-Christ dans sa prière à son Père : La vie éternelle consiste à te connaître, toi qui es le seul Dieu véritable ; et tout ce qui n'est pas le Dieu par lui-même, et qui est fait-Dieu par la participation de sa divinité, ne doit pas être appelé proprement Dieu avec l'article, mais simplement Dieu. Ce nom de Dieu convient absolument au Premier-né de la création, lui qui est le premier auprès de Dieu, qui tire en lui-même la divinité paternelle, et qui est bien plus grand que ces dieux dont Dieu est le Dieu, et auxquels il dispense la divinité qu'il puise abondamment dans le sein du Père pour les faire dieux, et leur distribuer ce don, suivant la bonté qui lui est propre. Le Dieu véritable est donc le Dieu avec l'article, et ceux qui sont formés-dieux à son image le sont comme les images du premier exemplaire ; mais l'image prototype de ces images est le Verbe, qui était au commencement, qui est Dieu, qui demeure toujours Dieu en Dieu ; ce qu'il ne demeurerait pas s'il ne demeurait dans la perpétuelle contemplation de la profondeur paternelle ».

Il est difficile, sans doute, de s'exprimer avec plus de hardiesse. Origène le sent, et pour faire cesser le scandale qu'il redoute de cette affirmation que le Père seul est le Dieu véritable, les fidèles pouvant en conclure qu'il mettait au même rang celui dont la gloire est au-dessus de toute la création, et ceux qui sont devenus dieux, à la différence qu'il avait signalée, il en ajoute une autre : « Comme le Père, dit-il, est la source de toute divinité, le Verbe est la source de toute raison » ; et ainsi il est ramené à la comparaison qu'il avait commencée et qu'il poursuit encore longtemps, en faisant les observations les plus singulières et même les plus futiles.

II. Disons-le encore une fois : il est difficile de pousser plus loin la hardiesse que l'a fait Origène dans ce passage. S'il se fût borné à dire que, lorsqu'il s'agit du Père et du Fils, saint Jean donne le nom de Dieu au Père avec l'article, pour le distinguer du Fils, et que ce nom de Dieu avec l'article convient mieux au Père, parce qu'il est Dieu par lui-même, tandis que le Fils tient du Père sa divinité, on pourrait contester la valeur de cette observation ; mais à cause de cela, sa foi ne saurait être suspecte ; car il s'ensuivrait seulement que le nom de Dieu doit être donné au Père avec une attribution particulière, parce qu'il est le principe, dans la Trinité. Si, pour soutenir son observation, il se fût appuyé sur la parole du Sauveur en saint Jean, La vie éternelle consiste à te connaître, toi qui es le seul vrai Dieu (Joann. 17 ; 3), en l'interprétant du Père seul, il se fût écarté du sens vrai de cette parole ; mais cette interprétation n'impliquerait pas nécessairement autre chose qu'une appropriation spéciale du nom de Dieu, faite au Père. Si même, charmé de la comparaison qu'il avait imaginée entre Dieu le Père comme principe de la divinité, et Dieu le Verbe, comme principe de toute raison, il se fût borné à des généralités, il eût fait une comparaison peu exacte, il n'eût pas néanmoins été difficile de l'excuser. Mais ce qu'il y a d'intolérable dans ce passage, c'est qu'Origène semble y ranger le Fils de Dieu dans la catégorie des êtres qu'il appelle faits-dieux par la participation du Père ; c'est qu'il paraît nier que le Fils soit Dieu véritable, et supposer qu'il eût pu se faire qu'il ne demeurât pas dans la contemplation de la profondeur paternelle, et par là cessât d'être Dieu.

III. Malgré ces excès, nous ne croyons pas qu'il soit impossible, sinon d'excuser entièrement cet esprit aventureux, du moins de le défendre contre l'accusation d'arianisme dont il a été l'objet. Car d'abord le mot theopoioumenon n'avait pas de son temps la significa¬tion précise qu'il a eue depuis. Il ne signifiait pas nécessairement dieu fait, dieu créé, mais aussi Dieu produit, Dieu engendré, par opposition à celui qui est Dieu par lui-même. Secondement, Origène a eu sans doute le tort de comprendre, sous une même dénomination, le Verbe de Dieu et des dieux créés et improprement dits ; mais il ne les range pas dans la même catégorie : c'est d'eux seuls qu'il dit, à la différence du Verbe, qu'ils sont les dieux dont Dieu est le Dieu, et qu'ils sont formés-dieux. Plus bas, il fait mieux, il distingue expressément le Verbe des dieux qui ne le sont que par participation, c'est-à-dire par une dénomination extérieure ; et il se résume en disant qu'il a remarqué quatre choses dans le nom de Dieu, « le Dieu avec l'article, le Dieu sans l'article, et les dieux », dont il a distingué un double ordre. Ce n'est pas tout, Origène signale de la manière la plus nette les différences qui existent entre les puissances célestes qui sont appelées dieux, dans l'Écriture, et le Verbe de Dieu. Non seulement le Verbe est le premier auprès du Père, mais il dispense l'être divin (le devenir dieu) aux autres dieux ; il les fait dieux par une bonté qui lui est propre. Il est l'image de Dieu, l'image archétype ; pour eux ils sont dieux, en tant qu'images de l'image ; ils ne sont pas images proprement dites, ils le sont dans le même sens que l'est l'homme de qui il est écrit, non qu'il est l'image de Dieu, mais qu'il est fait à l'image de Dieu. Ils sont appelés dieux, mais ils ne possèdent pas réellement la nature divine : elle leur est administrée, il leur en est fait part ; mais, pour le Verbe, loin que la divinité du Père lui soit extérieure et étrangère, il tire en lui-même, dit Origène, la divinité paternelle, il la puise abondamment dans le sein du Père, ce qui implique clairement qu'il est Dieu par une communication réelle de la substance divine, et non par une attribution ou une participation extérieure. Enfin le Verbe est le Dieu qui était en Dieu depuis le commencement, qui était Dieu, qui demeure toujours Dieu, et si Origène ajoute qu'il n'est et ne demeure Dieu que parce qu'il demeure dans l'abîme de la contemplation paternelle, c'est sans doute qu'appropriant au Père la divinité, comme il appropriait au Fils la raison, il voulait faire entendre que, source suprême de toute raison, le Verbe ne l'était pas de toute divinité, et qu'il n'était Dieu qu'à la condition de recevoir incessamment du Père la nature divine.

Ainsi, tout en disant que le Fils tient du Père la divinité, avec les puissances célestes qu'il appelle dieux, selon un langage que nous avons remarqué ailleurs, le docteur alexandrin ne prétend pas néanmoins que ces puissances célestes la tiennent au même titre et de la même manière que la tient le Fils ; il dit même expressément qu'elles la reçoivent et la possèdent d'une manière bien différente. Tout en observant que le Père seul est le Dieu véritable dont parle le Sauveur, il ne nie pas que le Verbe possède réellement la nature divine ; les termes qu'il emploie expriment, au contraire, une communication réelle de la divinité. Le sentiment qu'il exposait peut donc être orthodoxe ; mais embarrassé qu'il était pour trouver des expressions communes au Verbe et aux puissances célestes, il s'est servi de termes répréhensibles, et qui, pris à la lettre, respirent le pur arianisme.

Ce qui nous confirme dans l'opinion favorable à Origène, c'est que non-seulement il professe formellement dans tous ses ouvrages la doctrine de la consubstantialité, mais encore qu'il y émet des proposi¬tions directement contraires à celles qui semblent les plus choquantes dans le passage que nous examinons. Ainsi, lui qui paraît y tenir tant à ce qu'on ne donne qu'au Père le nom de Dieu avec l'article, donne cependant ce nom avec l'article au Fils dans plusieurs de ses livres, et même dans ses tomes sur saint Jean ; lui qui semble réserver au Père le titre de vrai Dieu, appelle ailleurs le Fils vrai Dieu. Il comprend ici le Fils sous la dénomination générale de Dieu fait par la participation du Père, et il venait de dire quelques lignes plus haut que « le Verbe n'est pas fait en Dieu, ou quant à Dieu, comme s'il n'existait pas auparavant en Dieu, mais que c'est parce qu'il coexistait toujours au Père, qu'il est écrit : le Verbe était en Dieu ». Et ensuite, d'une manière plus expresse : que « le Verbe est Dieu, non qu'il soit devenu Dieu, mais parce qu'il était en Dieu ». La divinité du Verbe tient donc, au sens d'Origène, à ce qu'il était en Dieu, à ce qu'il coexistait éternellement au Père ; et l'on ne voit pas comment, après cela, il lui eût été possible de dire proprement que le Verbe a été fait Dieu. De plus, comme pour démentir toutes les assertions hardies du passage que nous examinons, Origène déclare formellement, dans ses Fragments sur les Psaumes, que le Fils n'est pas Dieu par participation, mais par nature ; et constamment il attribue l'immutabilité au Fils comme au Père. L'interprétation que nous avons donnée à ce passage est donc la plus probable, à moins que l'on ne soutienne qu'il a été altéré. Il en résulte toujours que ce n'est pas principalement par cet endroit, unique dans ses œuvres, qu'on doit juger des vrais sentiments d'Origène sur la divinité du Verbe.

IV. Quoi qu'il en soit de ces considérations, il est certain que, dans ce passage même, on peut découvrir des preuves bien éclatantes de la foi publique de l'Église au troisième siècle, sur cet article capital de notre croyance. Origène y déclare en effet, non en cherchant, en hésitant, mais en l'affirmant de la manière la plus expresse, que « ce sont des dogmes également faux et impies de nier la personnalité du Fils en prétendant que sa propriété n'est pas autre que celle du Père, ou de nier sa divinité, en soutenant que sa propriété et son essence personnelle est étrangère au Père, ou séparée du Père ». Ces expressions sont remarquables. Elles montrent que l'Église réprouvait également ceux qui niaient la divinité du Fils et ceux qui méconnaissaient sa distinction personnelle d'avec le Père. Elles montrent aussi que nier la divinité du Fils ou penser que son essence personnelle est étrangère au Père, est séparée du Père, c'est la même chose. Le Fils est donc Dieu parce que sa personne n'est pas étrangère au Père, qu'elle subsiste dansle Père ; il l'est donc par une communication réelle de la divinité. D'ailleurs, c'est pour faire entendre comment le Fils est Dieu avec le Père, sans courir le risque de paraître reconnaître deux Dieux, qu'Origène observe que le Père est le principe de la divinité du Fils, observation qui n'aurait aucune valeur si la divinité du Fils était étrangère à celle du Père ou subsistait séparément du Père. Enfin, tant est grande la force de la tradition, telle était, au troisième siècle, la certitude de la foi à la vraie divinité du Fils, qu'Origène, ne doutant pas que plusieurs fidèles ne fussent scandalisés en entendant dire que le Père seul était le Dieu véritable, pour prévenir ce scandale, rappelle les différences qu'il avait signalées déjà entre le Fils et les puissances célestes ; et afin d'égaler, autant qu'il le pouvait, le Verbe au Père, même en qualité de principe, ajoute qu'ils le sont l'un et l'autre : le Père, de la divinité ; le Fils, de la raison et de l'intelligence.

Si nos observations ne paraissent pas suffisantes pour justifier les sentiments personnels d'Origène sur la divinité du Verbe, du moins l'Église de son temps est à l'abri de tout soupçon ; et nous serions tenté de tous féliciter de ses excès, parce qu'il y a trouvé l'occasion de rendre témoignage à ce fait important, savoir que, dans le troisième siècle, la croyance à la vraie divinité de Jésus-Christ était si certaine et si populaire, qu'on ne pouvait entendre sans scandale que le Père seul fût appelé le Dieu véritable, comme si le Fils ne l'était pas aussi, et qu'on pût le regarder comme un Dieu créé.

Mgr. Ginoulhiac, évêque de Grenoble. Histoire du Dogme catholique pendant les trois premiers siècles de l'Église et jusqu'au Concile de Nicée. Prais, Auguste Durand Libraire, rue du Grès, 5. 1866. T. II. liv. VIII, ch. IV. p. 234-244.

Ce savant auteur observe que, dans beaucoup d'autres passages, Origène appelle le Fils : le Dieu, ho theos, avec l'article, comme l'ont fait d'autres Docteurs, afin de séparer par l'article le vrai Fils, que les gnostiques rangeaient dans la tourbe de leurs éons ou demi-dieux. Quant au passage incriminé, si l'on tient compte d'une hardiesse d'expression, excusable à une époque où les règles du langage n'avaient pas encore été fixées par l'Église, il semble qu'Origène n'ait pas voulu enseigner autre chose, sinon que le Fils ne tient pas de soi-même, mais du Père, sa propre divinité. Corrigez un peu la forme, et vous trouverez la doctrine même que Petau développe contre l'autothéisme de Calvin (Petau, lib. VI, c. XI).

L'hérésie qui consiste à dire que le Fils ne doit au Père que le caractère de filiation, et qu'il tient de soi-même sa propre divinité, ne pouvait naître dans la pensée grecque. Car cette pensée, visant d'abord les personnes, était tout entière à éviter le trithéisme, et à récapituler la Trinité dans la source de la divinité, c'est-à-dire dans le Père.

La meilleure défense d'Origène contre Petau se rencontre dans Petau lui-même, expliquant le premier article du symbole de Nicée : Credo in unum Deum Patrem - je crois en un seul Dieu le Père. Citons cette déclaration importante du savant théologien :

Il y a, dit-il, un autre fruit de cette profession qui applique spécialement au Père le nom de Dieu unique ; et la plupart des anciens signalent ce sens. Par là, en effet, est établie la Monarchie, c'est-à-dire, la singularité de principe, en ce sens que toutes les choses, soit divines, soit créées, se rapportent à un seul et unique principe. C'est ce que les Grecs appellent la Monade, et qu'ils célèbrent souvent. En effet, le Père est l'unique principe de la divinité, et, pour parler avec saint Denis, de l'être, tès ontotètos. Il est la source, l'origine, tant des autres personnes que de tout le reste. D'où résulte qu'on dit avec une certaine raison que la plénitude de la divinité lui est propre.

Petau, lib. III, c. I, § 8.

L'explication de Petau est puisée dans le fond même de la doctrine patristique. On y reconnaît cette récapitulation de la Trinité dans l'Unité, que célèbrent et saint Denis de Rome, et saint Athanase, et saint Grégoire. Et voilà ce qui nous explique comment on trouve, même après le concile de Nicée, cette attribution conservée par les Docteurs qui ont le plus énergiquement défendu la divinité du Fils et du Saint-Esprit. À la vérité, le nom « Dieu » ne leur parait plus suffisant, à lui tout seul, pour distinguer une personne ; mais ils lui rendent par une adjonction son caractère personnel. Le Dieu de toutes choses, ho tôn holôn theos, — le Dieu suréminent, ho epi pantôn theos : telles sont les formules qui désignent spécialement le Père, et qu'on rencontre à chaque page dans les auteurs du quatrième siècle.

Cette profonde doctrine peut se résumer dans cette sentence : « Un seul Dieu, parce que un seul Père », et le concept grec de la Trinité est tout entier contenu dans ce beau vers du poète théologien : De la Monade surgit la Triade, et de même de la Triade, la Monade (S. Grégoire de Nazianze, Poemata theologica, sect. I, carmen 3. — M. XXXVII, col. 413).


- CHAPITRE III -
DIEU LE SAINT-ESPRIT

ARTICLE I
Aperçu général de la question


§ 1. — Hérésie des pneumatomaques.

Le concile de Nicée, tout entier à défendre contre Arius la consubstantialité du Fils, s'était peu occupé du Saint-Esprit. Les ariens en profitèrent pour concentrer leurs attaques sur la troisième personne, en prétendant que le Saint-Esprit avait été créé par le Fils. Contre ces nouveaux hérétiques, les Docteurs de l'Église répétèrent les mêmes arguments qu'ils avaient employés pour éta¬blir la divinité du Fils. Le Saint-Esprit est incréé, puisqu'il est nommé créateur ; il est divin, puisqu'il est le principe de la sanctification ; il est de même nature que le Père et le Fils, puisque ses opérations sont les mêmes. Toutes ces preuves suffisaient amplement à établir que la troisième personne est véritablement Dieu. Cependant nous constatons quelques hésitations, quant à l'opportunité d'appliquer explicitement le nom de Dieu au Saint-Esprit ; et c'est là un intéressant chapitre de l'histoire du dogme.


§ 2. — Querelles à propos du mot « homoousios ».

Les temps étaient difficiles. Qu'on lise dans saint Basile l'éloquente description du triste état des Églises, vaisseaux désemparés par la tempête et se brisant les uns contre les autres (S. Basile, De Spiritu Sancto, c. XXX. — M. XXXII, col. 209. / S.C. 17bis p. 521-531). Pour démasquer l'hypocrisie arienne, il avait fallu introduire dans le Symbole le mot homoousios. Aussitôt tous les efforts de l'hérésie s'étaient tournés contre ce mot : attaques furieuses d'une secte violente, ou doléances d'une fausse piété se refusant à recevoir une expression qu'on ne fût pas dans l'Écriture. Ce dernier prétexte était futile, mais il faisait impression sur bon nombre de catholiques très attachés de cœur au dogme de la divinité du Fils : formalistes étroits, petits esprits, sans doute, mais cependant âmes droites qu'il fallait sauver des griffes de l'hérésie. Aussi les évêques, se souvenant qu'ils étaient pasteurs en même temps que docteurs, ménageaient autant que possible ces consciences mal éclairées.

Nous trouvons un bel exemple de cette mansuétude vraiment apostolique, dans les deux Docteurs qui furent à cette époque les premiers champions de la Foi et ses plus glorieux confesseurs : Athanase et Hilaire. Personne n'ignore quelle énergie déploya saint Athanase pour défendre le mot homoousios défini à Nicée, et pour repousser le mot ambigu homoiousios que lui substituait une ruse diabolique. Mais il faut lire son traité Des synodes, pour connaître avec quelle douceur et quels égards il s'adressait aux catholiques qui n'hésitaient que sur l'emploi d'un mot (S. Athanase, De synodis, §§ 40 et 41. — M. XXVI, col. 764). Le même esprit guide saint Hilaire dans son traité composé sur le même sujet et sous le même titre. Non seulement il s'emploie à expliquer le sens du mot homoousios pour le faire admettre, mais il s'emploie à donner au mot homoiousios un sens catholique pour qu'on puisse le conserver (S. Hilaire, De synodis, à partir du § 66).

On sait que saint Cyrille de Jérusalem poussa encore plus loin la condescendance. Dans ses fameuses catéchèses, tout en enseignant énergiquement la consubstantialité du Fils, il évita constamment de prononcer le terme homoousios qui offusquait les faibles..


§ 3. — Réserve inspirée par cette situation.

Cette chicane de mots agitait encore l'Église, lorsque surgit la nouvelle hérésie contre le Saint-Esprit. On conçoit donc que certains défenseurs de la foi aient gardé une réserve très grande dans leur langage, évitant tout ce qui pouvait raviver l'inutile querelle sur les expressions « non scripturales ». Or, si dans l'Évangile le Père et le Fils sont formellement nommés Dieu, il n'en est pas de même du Saint-Esprit. Les macédoniens se retranchaient constamment derrière cette remarque. Dans un dialogue qui probablement nous conserve une dispute orale, nous voyons qu'à tous les arguments de l'Orthodoxe, le Macédonien oppose sans cesse cette fin de non-recevoir : « Montre-moi que l'Écriture appelle Dieu le Saint-Esprit » (Dialogues sur la Trinité, inter opp. S. Athanasii. M. XXVIII. Voyez entre autres, col. 1140, 1201, 1208, 1216, 1225, 1238, etc. Ces dialogues, mis sous le nom de S. Athanase ou de S. Maxime, sont attribués par Garnier à Théodoret avec une certaine vraisemblance. On est peut-être dans le vrai, en y voyant le procès-verbal d'une discussion orale à l'époque de Théodoret).

Encore une fois, cette futile objection était pour impressionner les simples. Aussi voyez comment saint Cyrille de Jérusalem s'y prend, pour enseigner à son peuple qu'il doit adorer le Saint-Esprit et lui reconnaître tous les caractères de la divinité. Pas une seule fois, cependant, il ne lui donne le nom de Dieu, et il explique cette réserve en des termes dont son auditoire comprend la portée.

Nous avons, dit-il, vraiment besoin d'une grâce spirituelle pour disserter sur le Saint-Esprit ; non pour en parler dignement, car c'est impossible, mais pour que, parlant d'après les saintes Écritures, nous procédions sans danger... Disons sur le Saint-Esprit uniquement ce qui est écrit. Pour ce qui n'est pas écrit, laissons toute enquête curieuse. Le Saint-Esprit lui-même a parlé par les Écritures. Il a dit de lui-même tout ce qu'il a voulu, et tout ce que nous pouvons comprendre. Disons donc ce qu'il a dit ; et pour ce qu'il n'a pas dit, ce n'est pas à nous d'oser le dire.

S. Cyrille de Jérusalem, Cateches. XVI, §§ 1 et 2. — M. XXXIII, col. 917.

Et plus loin, comme résumé de son enseignement :

Un seul Dieu le Père ; un seul Seigneur, son Fils unique ; un seul Saint-Esprit, le Paraclet. Voilà ce qu'il nous suffit de savoir. Ne disputons pas curieusement sur la nature ou sur l'hypostase. Si cela était écrit, nous le dirions ; mais ce qui n'est pas écrit, nous n'osons pas le dire. Il suffit pour notre salut de savoir qu'il y a Père, Fils et Saint-Esprit.

S. Cyrille de Jérusalem, Cateches. XVI, § 24. — M. XXXIII, col. 953.


ARTICLE II
Attitude de saint Basile


§ 1. — Raisons de sa réserve.

Il serait superflu de louer dans saint Basile la pureté de doctrine, l'exactitude d'exposition, la vigueur d'argumentation. Il serait encore plus inutile de rappeler le courage épiscopal qui est comme la caractéristique de ce grand homme. Oui, il avait le courage contre les empereurs et les préfets de prétoire ; mais il possédait à un égal degré la prudence administrative, et, ce qui est moins connu, la condescendance pastorale pour les brebis faibles et maladives.

Saint Basile fut donc de ceux qui, pour éviter les chicanes, s'abstinrent de donner au Saint-Esprit une dénomination « non scripturale ».

D'ailleurs une raison plus générale le confirmait dans cette réserve. On sait qu'à cette époque le serpent arien s'efforçait de fasciner les simples, en multipliant et variant sans cesse ses enveloppements et ses développements.

Dans son Livre Des synodes, saint Athanase reproche aux hérétiques la multiplicité et la prolixité des symboles qu'ils voulaient substituer au symbole de Nicée. Voilà pourquoi le grand évêque d'Alexandrie restait inébranlable dans sa même tactique : affirmer purement et simplement le symbole de Nicée, sans retrancher, sans ajouter un seul mot.

Saint Basile suivait celui qu'il regardait à bon droit comme le chef oriental de l'orthodoxie. Lui aussi, il prêchait la foi de Nicée, tout entière et rien de plus. Or, dans le symbole du vénérable concile, on ne trouve au sujet de la troisième personne que ces trois mots : « Nous croyons... et dans le Saint-Esprit. » Appeler Dieu le Saint-Esprit, c'était donc ajouter quelque chose à la formule conciliaire.

Cette considération arrêtait saint Basile. Nous l'apprenons de lui-même par une de ses lettres à saint Épiphane. Ce dernier l'avait invité à sortir d'une réserve qui scandalisait certaines gens.
Saint Basile lui répond :

J'ai déjà écrit à nos bien-aimés frères d'Éléon, à notre Palladius et à l'Italien Innocent, que nous ne pouvons rien ajouter au symbole de Nicée, pas même le plus petit mot, sauf que nous étendons la doxologie au Saint-Esprit... Car nous savons que, si nous altérons une fois la simplicité de ce symbole, nous ne trouverons pas le bout des discours. La contradiction nous poussera toujours plus loin, et nous ne par viendrons qu'à troubler les esprits simples par toutes ces nouveautés.

S. Basile, Ad Epiphanium, epist. 258, § 2.

Un exemple nous montrera combien cette prudence était inspirée par le zèle.
L'Église de Tarse était tombée entre les mains d'un évêque arien. Les prêtres catholiques, se séparant de lui, administraient entre eux la communauté des vrais fidèles, comme il arriva souvent à cette époque si troublée. Mais voici que la division s'introduisit jusque parmi ces bons prêtres au sujet du Saint-Esprit. Un des principaux, Cyriaque, devint suspect à ses confrères par certaines réticences. On députa vers saint Basile pour se plaindre de cette défaillance. L'évêque de Césarée répondit par deux lettres adressées : l'une au clergé qui avait envoyé la députation, l'autre à Cyriaque lui-même.

Dans la première, il recommande l'esprit de concorde et de conciliation. Actuellement, dit-il, l'Église peut être comparée à une vieille étoffe qui se déchire facilement et qu'on ne peut plus recoudre.

Beaucoup blasphèment contre le Saint-Esprit ; mais réduisons, de grâce, autant que possible, le nombre de ces blasphémateurs. Pour cela, recevons dans notre communion tous ceux qui ne disent pas que le Saint-Esprit est une créature. Les autres, ou rougiront d'être seuls taxés de blasphème, ou du moins seront trop peu nombreux pour avoir grande influence. Ne demandons rien davantage, présentons le symbole de Nicée aux frères qui veulent s'unir à nous ; s'ils t'acceptent, demandons-leur, de plus, de confesser qu'il ne faut pas appeler créature le Saint-Esprit, et de se refuser à communiquer avec ceux qui l'appellent ainsi. Je suis persuadé que, par un plus long commerce et par des conférences sans esprit de disputes, s'il faut ajouter quelque explication plus complète, vous obtiendrez cette grâce du Seigneur, lui qui fait coopérer toutes choses au bien de ceux qui l'aiment (Rom 8 ; 28)

S. Basile, Ad presbyteros Tarsens., epist. 113. / Aux prêtres de Tarse Belles-Lettres, T. II p. 16-17.

Cette conclusion, et le ton familier de toute la lettre, laissent voir une parfaite communion de sentiments entre l'évêque de Césarée et le pieux clergé de Tarse.

La lettre de saint Basile à Cyriaque est plus cérémonieuse. On devine l'intention de gagner ce personnage, en le traitant avec tous les égards dus à une grande situation. L'évêque y parle encore de la paix que doit désirer tout chrétien. Il a ménagé une réconciliation qui sera honorable de part et d'autre. Plein de confiance dans la vertu de Cyriaque, il a pris en son nom un engagement bien facile à tenir :

Il suffira que vous confessiez le symbole de Nicée, sans en supprimer un mot, reconnaissant que les trois cent dix-huit évêques ne l'ont point formulé sans l'assistance du Saint-Esprit, et qu'à cette profession vous ajoutiez qu'on ne doit pas appeler créature le Saint-Esprit, ni communiquer avec ceux qui tiennent ce langage, afin que l'Église de Dieu soit pure de toute zizanie... D'autre part, je promets au nom des frères, qu'ils ne vous contrediront en rien, et qu'ils vous montreront la plus parfaite docilité, lorsque Votre Grandeur aura accompli la seule chose qu'ils lui demandent.

S. Basile, Ad Cyriacum, epist. 114. / À Cyriacos de Tarse et à ses fidèles Belles-Lettres, T. II p. 18-19.

C'est ainsi que la discrétion de saint Basile rétablissait la paix dans les Églises.


§ 2. — Sa manière de prêcher sur le Saint-Esprit.

Outre ces raisons générales qui invitaient saint Basile à la réserve, il y en avait une spéciale qui lui imposait la plus grande prudence. Les ariens avaient à peu près envahi toutes les Églises de Cappadoce ; ils aspiraient à se rendre maîtres de Césarée, métropole importante. Pour cela, il fallait éloigner Basile ; et saint Grégoire de Nazianze, dans le panégyrique de son ami, nous apprend comment ils avaient ourdi leur complot. Ils se rendraient aux sermons du saint évêque dans l'espoir de l'entendre dire : Le Saint-Esprit est Dieu. À ce mot éclaterait le tapage, on crierait à la nouveauté pour entraîner le peuple dans l'émeute ; Basile serait tumultuairement expulsé de la ville, et l'intronisation de l'évêque arien ferait de Césarée le boulevard de l'hérésie.

Saint Basile aperçut le piège et sut l'éviter. Il n'appliquait jamais au Saint-Esprit le nom de Dieu ;

— mais, dit saint Grégoire, il savait presser ses contradicteurs, soit par d'autres mots tirés de l'Écriture et par des témoignages incontestables, soit par la nécessité de ses arguments, de telle sorte qu'ils ne pussent se défendre et qu'ils demeurassent enchaînés par leurs propres paroles. C'est bien là le comble de la puissance et de la prudence oratoire.

S. Grég. de Nazianz., In laudem Basilii, orat. XLIII, § 68. M. XXXVI, col. 385.

Fallait-il, continue son illustre ami, compromettre toute son Église pour un mot, lorsque l'on pouvait sans ce mot professer intégralement la doctrine de la Foi? Le salut consiste-t-il dans les mots plutôt que dans les choses ? Devrait-on repousser la nation juive, si pour se joindre à nous, elle demandait uniquement la permission pour quelque temps de dire « oint » au lieu de « Christ » ? De telles vétilles sont-elles comparables à la ruine d'une Église ?


§ 3. — Cette réserve trouve des censeurs.

Dans le langage de saint Grégoire, on sent qu'il veut défendre une chère mémoire contre des récriminations injurieuses. Il y avait, en effet, comme il y aura toujours, de ces caractères entiers qui n'admettent point qu'on ménage les faibles, ou que la foi puisse être orthodoxe, si elle n'est pas exprimée par la formule qu'ils ont adoptée. La gloire de saint Basile n'eût pas été complète, si elle n'avait pas eu à subir l'insulte de tels censeurs. On osa donc l'accuser dans son courage et même dans sa foi ; et nous saisissons sur le vif ces récriminations, dans une lettre que saint Grégoire écrivit à saint Basile lui-même avec tout le laisser-aller de la familiarité (S. Grég. de Nazianze, Ad Basilium, epist. 58. — M. XXXVII, col. 113).

Après un exorde insinuant pour préparer son ami à entendre des choses désagréables, il poursuit :

C'était dans un dîner auquel assistaient beaucoup de gens connus et de nos amis, et parmi eux, un de ceux qui portent le nom et l'habit de religieux. Avant le service des vins, on causa suivant l'usage. Vous et moi, nous fûmes mis sur le tapis. Grandes louanges pour vous ; compliments pour moi, soit à cause de notre vieille amitié d'Athènes, soit pour l'union si parfaite de nos esprits et de nos cœurs. Mais ce concert déplut à notre philosophe. — Qu'est-ceci ? dit-il, avec une exclamation typique d'un jeune homme. Pouvez-vous bien être aussi menteurs et flatteurs ? Qu'on les loue pour tout le reste, si on le juge bon, je n'y contredirai pas ; mais le principal n'y est pas, l'orthodoxie. En vain on loue Basile, en vain Grégoire ; l'un a trahi la foi dans ses discours, l'autre est son complice par son silence approbateur.

— D'où vient tout ce tapage, lui répondis-je, homme insensé, nouveau Dathan et Abiron par l'insolence ? D'où nous viens-tu donc, beau dogmatiseur ? Comment te fais-tu le juge de tels hommes ?

— D'où je viens? reprit-il; de l'assemblée réunie pour la fête du martyr Eupsychius. J'en arrive maintenant (c'était vrai), et là j'ai entendu prêcher le grand Basile. Sur le Père et le Fils, c'était d'une netteté et d'une perfection qu'un autre aurait peine à atteindre ; mais sur le Saint-Esprit, c'était oblique et traîné. Ici, je ne sais plus quelle comparaison de ces fleuves qui creusent le sable, mais glissent sur les rochers. Puis me fixant : Et vous, homme admirable, pourquoi alors affirmez-vous formellement que le Saint-Esprit est Dieu ? et il rappela comment, dans un de mes discours devant un nombreux auditoire, j'avais appliqué au Saint-Esprit le dicton : Jusqu'à quand cacherons-nous la lumière sous le tonneau ? Quant à Basile, il fait à peine entrevoir ce dogme, sa parole l'entoure d'ombres, il n'a pas la franchise de la vérité, il a plus de politique que de zèle, et l'éloquence de son discours sert à cacher sa duplicité.

— Que moi, lui répondis-je, qui vis dans un coin, inconnu de la plupart des hommes, sans qu'on sache ni ce que je dis ni même que je parle ; que moi je philosophe à mon aise, c'est sans danger. Mais les discours de Basile ont plus de conséquence, soit à cause de sa célébrité et de son mérite personnel, soit à cause de son Église. Tout ce qu'il dit fait autorité. Or il est entouré d'embûches ; les hérétiques cherchent à surprendre un seul mot de lui, pour le chasser de son siège, où, lui seul à peu près, il reste comme la dernière étincelle de vérité et de vie, tout l'entour étant gagné à l'erreur. Si le mal prend une fois racine dans Césarée, il en fera sa forteresse d'où il ravagera toute la contrée. Mieux vaut donc pour les intérêts de la vérité céder au temps et laisser passer le nuage, que de tout risquer par la clarté de la prédication. Il n'en résulte pour nous aucun dommage, puisque par d'autres expressions nous notifions que le Saint-Esprit est Dieu ; la vérité n'est pas dans le son, mais dans le concept. Quant à l'Église, elle subirait un grand malheur si, en chassant un seul homme, on chassait la vérité.

Cette réponse ne fut reçue des assistants que comme une vieille excuse pour se moquer d'eux, et on se mit à crier que c'était lâcheté plutôt que prudence. Mille fois mieux valait, disaient-ils, sauvegarder la foi des nôtres par une profession claire de la vérité, que de leur nuire sans gagner les opposants par une prétendue prudence.

Te raconter en détail ce que j'ai dit, ce que j'ai entendu, et comment dans cette discussion j'ai passé peut-être les bornes de la modération contre ma coutume, serait trop long et probablement peu nécessaire. À la fin, je les ai formellement désavoués. Mais toi, prêtre vraiment divin, fais-moi savoir jusqu'où il faut aller en prêchant la divinité du Saint-Esprit, de quels mots il faut se servir, jusqu'où doit s'étendre la prudence, afin que nous disions exactement les mêmes choses contre les opposants. Si je ne te demandais ce renseignement vraiment opportun, moi qui te connais mieux que personne et qui te dois déjà tant de trésors de doctrine, je serais le plus insensé et le plus misérable des hommes.

Saint Basile répondit à cette lettre avec la dignité d'un pontife qui a tous ses travaux pour le défendre contre un homme de rien. Mais, en même temps, il laissa voir à son ami qu'il regrettait une diversité de langage qu'on eût évitée par une entente préalable, comme il l'avait proposé (S. Basile, Ad. Gregorium, epist. 71).


§ 4. — Saint Athanase blâme ces censeurs.

La prudence de saint Basile n'était donc pas comprise de tous ; et nous venons de voir quelle était l'aigreur des récriminations. Ces censeurs étaient, pour la plupart, des moines, race assez turbulente en Orient, et cherchant occupation dans les disputes théologiques. Ceux même de Césarée ne se firent pas scrupule d'entrer en opposition ouverte avec leur évêque.

On avertit saint Athanase de ces divisions, et sa réponse ne se fit pas attendre. Nous avons deux lettres de lui sur ce sujet. Dans la première, il traite durement ces conciliabules où, sous prétexte de remuer des questions, on s'efforce de troubler les simples. L'Apôtre a parlé d'eux, lorsqu'il blâme ceux qui ne cherchent qu'à dire ou entendre du nouveau. Que les prêtres s'éloignent de ceux qui veulent dire plus ou moins que les Pères de Nicée.

Quant à moi - ajoute-t-il - j'ai admiré l'audace de ceux qui ont osé parler contre notre cher ami et vrai serviteur de Dieu, l'évêque Basile. Par cette futile loquacité ils n'obtiennent qu'un résultat, c'est de faire douter de leur amour pour la confession de Nicée....

S. Athanase, Ad Joannem et Antiochum presbyteros. — M. XXVI,. col. 1165.

En même temps le saint pontife écrivait une seconde lettre à un correspondant qui ne donnait pas dans la coterie.

Tu m'apprends, lui disait-il, que des moines de Césarée font opposition à leur évêque, notre cher Basile. Je le savais déjà, mais je te remercie de ton avis. Quant à eux, ils ont reçu de moi la réponse qu'ils méritaient, c'est-à-dire le conseil d'écouter leur évêque comme leur père, sans contredire à ce qu'il juge préférable. Leur zèle serait bon s'il y avait péril pour la foi, mais dans le cas actuel, leur inquiétude est vaine. Basile, j'en ai l'assurance, se fait infirme avec les infirmes pour gagner les infirmes. Que nos amis, admirant son motif et sa conduite, glorifient donc le Seigneur qui a donné à la Cappadoce un évêque tel que chaque contrée se vanterait d'avoir son pareil.


ARTICLE III
Attitude de saint Grégoire de Nazianze


§ 1. — Saint Grégoire ne garde pas la réserve de saint Basile.

Moins bon administrateur que son illustre ami, saint Grégoire était plus orateur, et par conséquent avait une plus grande confiance dans la force de la vérité proclamée avec éloquence. Aussi bien, il n'imitait pas la réserve de saint Basile, et il prêchait ouvertement que le Saint-Esprit est Dieu. Dans sa lettre à saint Basile sur ce sujet, il semble demander conseil ; mais, à lire entre les lignes, il donne lui-même conseil, et ce n'est pas sans intention qu'il glisse la phrase : « Jusqu'à quand tiendrons-nous la lumière sous le boisseau ? » Saint Basile ne s'y trompa point ; le style un peu raide de sa réponse le montre (Voir l'aimable réplique de S. Grégoire, epist. 59. — M. XXXVII, col. 117).

Dans son panégyrique de saint Basile, saint Grégoire fait allusion à cette différence d'attitudes, et il sait donner à son explication une forme louangeuse pour son ami. Après avoir raconté,la prudence de Basile dans ses prédications publiques, il affirme qu'il ne gardait pas la même réserve dans les conversations. Souvent les deux amis avaient causé ensemble sur ce sujet, et le cœur de Basile brûlait du zèle le plus pur pour la divinité du Saint-Esprit. Tous les deux avaient exactement la même doctrine, et l'occasion convenait pour faire con¬aître une convention où ils s'étaient distribué les rôles. À l'évêque d'une importante métropole, la prudence administrative ; à l'autre, trop obscur pour qu'on le traînât en jugement ou qu'on le chassât de sa patrie, la pleine liberté de langage. « Ainsi notre commun évangile était comme soutenu des deux côtés à la fois » (S. Grég. de Nazianz., In laudem Basilii, orat. XLIII, § 69).


§ 2. — Ses sermons contre les hérétiques.

Malgré cette divergence de tendances, l'accord régna toujours entre saint Basile et saint Grégoire, grâce à l'autorité du premier et à la docilité du second. Mais, lorsqu'après la mort du grand évêque de Césarée, le drapeau de la foi passa entre les mains de son ami, celui-ci crut que le temps des transactions était passé. A Constantinople, il fit à ce sujet un éclat qui souleva contre lui la fureur des macédoniens, et qui déplut même à quelques catholiques. Pour lui, il le rappelle dans ses Poèmes avec un légitime orgueil.

Ses combats, dit-il, sont connus et racontés aussi bien par les ennemis que par les amis de la foi :

Car jamais rien ainsi — n'a fait trembler la terre, — comme la liberté avec laquelle l'Esprit — fut proclamé Dieu à haute voix. — Nos amis eux-mêmes en furent — mécontents ; nous le savons bien.

S. Grég. de Nazianze, Poemata de seipso, carm. 30. — M. XXXVII, col. 1290.

Saint Grégoire fait allusion à sa prédication sur le Saint-Esprit, le plus beau des cinq fameux discours que la postérité a surnommés les Théologiques. Donnons quelque idée de cette éloquence.

L'exorde est ex abrupto. À peine une première phrase pour rappeler ses précédents discours sur le Père et le Fils, et pour constater qu'on n'a rien trouvé à y reprendre. Mais il sent qu'on le provoque. — « Et du Saint-Esprit, que dis-tu ? D'où nous amènes-tu un Dieu étranger qui n'est pas scriptural ? » — Grégoire annonce qu'il va répondre, mais qu'il suppose déjà connus tous les raisonnements que les auteurs catholiques ont tirés des mots « l'Esprit » et « le Saint » et de leur accouplement dans un même nom. Pour lui, il ira de l'avant (. Grég. de Nazianze, Theolog. V, orat. XXXI, § 1. — M. XXXVI, col. 133. / S.C. 250, p. 277).

En effet, il emploie la méthode qui lui est propre, et qui consiste à prêcher à la fois toute la Trinité. Il lui faut, dit-il, une Trinité complète, qui contienne le Saint-Esprit. Puis il pose ce dilemme : Le Saint-Esprit est Dieu ou créature, pas de milieu.

S'il est une créature, comment croyons-nous en lui ? Ce n'est pas le même de croire en quelque chose - ou de croire à quelque chose. On peut croire une chose créée, on ne croit qu'en la divinité. Si le Saint-Esprit est Dieu , il n'est donc ni créature, ni serviteur, ni rien de semblable.

Ibid., § 6. / S.C. 250, p. 287.

L'orateur s'arrête et se tourne vers l'ennemi : « Et maintenant, à toi la parole ; manie ta fronde, enlace tes arguments ». — Alors commence une discussion où les sophismes des macédoniens viennent tour à tour se présenter au fouet de la dialectique la plus mordante, la plus spirituelle, la plus concluante.

Tout à coup, le dialogue se précipite et se croise comme un choc d'épées, car on est au vif de la question.

Quoi donc ? l'Esprit est Dieu ? — Absolument. — Quoi donc ? il est consubstantiel ? — Puisqu'il est Dieu, — Donne-moi sortant du même (Père) celui qui est le fils et celui qui n'est pas le fils, tous les deux consubstantiels, et j'accepterai Dieu et Dieu. — Et toi, donne-moi d'abord un autre Dieu, une autre nature divine [remarque dans S.C. : c'est un argument qui vise ceux qui admettent la divinité du Fils sans accepter celle de l'Esprit : l'existence de DEUX personnes divines n'est pas plus facile à comprendre que l'existence de TROIS personnes), et je te rendrai une autre Trinité avec tes mêmes noms et tes mêmes choses. Mais, s'il n'y a qu'un seul Dieu, et qu'une seule nature suprême, où veux-tu que je te cherche une comparaison ?

Ibid., § 10. / S.C. 250, p. 293-295.

Grégoire propose cependant l'exemple d'Ève et de Seth, tous deux sortis d'Adam, mais d'une manière différente. Puis après avoir montré que l'Écriture nous obligeait à adorer le Saint-Esprit : Nous voici, s'écrie-t-il, arrivés au point capital. On renouvelle contre le Saint-Esprit les vieilles objections contre le Verbe. On dit : Si Dieu et Dieu et Dieu, comment non trois Dieux ? n'est-ce pas la polyarchie ? — Qui parle ainsi ? reprend saint Grégoire. Sont-ce ceux qui ont une foi saine à l'égard du Fils ? Comment répondent-ils au vieux reproche d'être dithéistes ? Leur même réponse nous défendra de l'accusation de trithéisme.

Alors, dans un long et magnifique développement, Grégoire expose l'unité de nature, la circuminsession des personnes, et leur égalité répugnant à une subnumération qu'il persifle.

Mais la lutte est maintenue par les macédoniens sur le terrain scriptural. « Sans cesse tu y reviens, dit Grégoire, toujours tu répètes : Non scriptural ! (Ibid., § 21. / S.C. 250, p. 315) Vaine objection, qui n'impressionne que les esprits trop superficiels pour pénétrer la lettre. Est-ce qu'il faut s'en tenir à la lettre, lorsqu'il est dit que Dieu dort, marche ? Et dans quelle lettre as-tu trouvé les mots agennètos - inengendré et anarchos - sans commencement, qui te sont si chers ? La lettre et la réalité sont choses différentes.

Pourquoi donc imiter le Juif esclave de la lettre, marchant à la suite des syllabes, et abandonnant les réalités ? Voyons : si, lorsque tu dis deux fois cinq ou deux fois sept, je fais la somme en disant dix ou quatorze ; si lorsque tu dis les mots : vivant, et raisonnable, et mortel, je les joins dans le mot : homme, à ton avis dis-je une sottise ? Et comment, puisque je dis la même chose que toi ?

Ibid., § 24. / S.C. 250, p. 321.

Saint Grégoire a réduit au silence ses contradicteurs, et fait prévaloir l'application formelle du nom « Dieu » au Saint-Esprit. Alors il laissé son éloquence prendre librement son vol, et comme l'aigle qui plane en fixant le soleil, il achève son discours dans la contemplation des lumières qui sortent du Mystère trois fois Saint.


§ 3. — Ses exhortations aux catholiques.

Dans le discours que je viens d'analyser, l'argumentation est vive, le langage incisif, parce qu'il s'agit d'une discussion solennelle contre les orgueilleux sectaires. Mais, lorsque l'évêque ne prêche qu'en présence de ses ouailles, son style change, et c'est par la persuasion qu'il presse les timides d'appeler « Dieu » le Saint-Esprit. Citons une de ses exhortations paternelles; car elle nous montre comment des chrétiens, intègres de foi et de mœurs, se laissaient éblouir par les arguties des hérétiques.

C'est aujourd'hui la fête de la Pentecôte, dit saint Grégoire (S. Grég. de Naz. in Pentecosten, orat. XLI, — M. XXXVI, col. 428). Il faut parler du Saint-Esprit ; qu'il m'assiste et me donne de parler de lui aussi dignement que je le désire. Il souffle où il veut, sur qui il veut, autant et comme il veut. Qu'il m'inspire pour parler de lui.
Après cet exorde par insinuation :

Ceux - dit-il - qui rejettent le Saint-Esprit au rang des créatures, sont blasphémateurs, méchants serviteurs, et des méchants les plus méchants... Ceux qui le croient Dieu ont une foi lumineuse et divine. Quant à ceux qui, de plus, le proclament Dieu, s'ils s'adressent à des esprits capables, ils ont atteint le sommet ; s'ils parlent aux esprits faibles, ils manquent de prudence. C'est confier la perle à la boue, à une oreille malade le son du tonnerre, à des yeux infirmes le soleil ; c'est donner une nourriture solide à ceux qui ont encore besoin de lait. Aussi, laissant là un langage plus parfait, je m'adresse d'abord aux esprits moins ouverts.

In Pentescosten, orat. XLI, § 6.

Voyons, continue Grégoire. Professez-vous que le Saint-Esprit n'est pas éternel, n'est pas incréé ? Vous seriez alors sous l'influence du mauvais esprit. Mais si vous refusez de ranger dans la servitude l'Esprit de liberté, je vous compte déjà parmi les nôtres ; méditons ensemble sur le Saint-Esprit. Pouvez-vous me donner un milieu entre servir ou dominer ? Vous ne placez pas le Saint-Esprit parmi les serviteurs ; vous voyez donc où vous le placez.

Mais vous vous offusquez de certaines syllabes, vous trébuchez contre certains mots ; c'est là pour vous une pierre d'achoppement, une pierre de scandale, comme pour d'autres il en est du Christ lui-même. Pauvre infirmité humaine! Joignons-nous les uns aux autres spirituellement. Soyons amis les uns des autres plutôt qu'amis de nous seuls. Vous, de votre côté, donnez-nous pour l'Esprit la puissance de la divinité, et nous, de notre côté, nous vous donnerons la permission d'omettre un mot. De votre côté confessez sa nature par les mots qui vous plaisent le plus ; de notre côté, nous ferons comme les médecins pour leurs infirmes, cachant le remède sous une douceur. Donc confessez dans la Trinité une seule divinité, ou si vous aimez mieux, une seule nature. Quant au mot « Dieu », nous prierons l'Esprit de vous le donner. Il vous le donnera, j'en suis sûr. Ayant donné la première confession, il donnera la seconde, surtout si le scrupule contre ce mot est une timidité spirituelle et non un entêtement diabolique. Parlons encore plus clairement et brièvement. Pour vous, ne nous censurez pas pour un mot qui vous semble trop relevé. Et quel si grand mal de monter ? Pour nous, nous ne vous reprochons pas de ne pas atteindre encore jusque-là, confiant que par une autre route vous arriverez à la même hôtellerie. Car nous ne cherchons pas à vaincre, mais à accueillir des frères dont la séparation nous déchire.

Voilà ce que je voulais vous dire, à vous chez qui nous trouvons une sainte vie ; à vous dont la foi est saine à l'égard du Fils ; à vous dont nous admirons la conduite, sans pouvoir louer complètement votre façon de parler. Possédant les biens de l'Esprit, possédez donc aussi l'Esprit, afin que non seulement vous combattiez, mais que ce soit suivant les règles requises pour la couronne.

In Pentescosten, orat. XLI, §§ 7 et 8.

C'est ainsi que ce grand Docteur alliait la douceur à la force dans l'administration du dépôt de la foi.


§ 4. — Symbole de Constantinople.

Certes, le zèle de saint Grégoire pour faire appeler Dieu le Saint-Esprit est un des titres qui lui ont mérité d'être appelé lui-même le « Théologien ». Cependant, la prudence de saint Basile l'emporta encore dans une circonstance solennelle. Le concile de Constantinople, spécialement assemblé contre les macédoniens, compléta le symbole de Nicée, en déclarant que le Saint-Esprit est « Seigneur, vivificateur, procédant du Père, adorable et conglorifié avec le Père et le Fils ». Mais, dans ce symbole que le Saint-Esprit lui-même destinait à la liturgie universelle, dans ce symbole que chantent encore toutes les Églises d'Orient et d'Occident, le nom de Dieu ne fut pas donné à la troisième personne, par ménagement pour les faibles.


- CHAPITRE IV -
SENS DU MOT « DIEU »


§ 1. — Cause de la difficulté.

Nos rationalistes ont avancé que le dogme catholique s'est formé dans les écoles philosophiques de l'Égypte. Les réfutations les plus solides et les plus directes n'ont pas fait défaut. Mais une simple observation suffit à faire bonne justice de cette opinion. Sans doute, nos Docteurs ont souvent cherché des armes de défense dans l'arsenal philosophique, où les sophistes puisaient leurs moyens d'attaque. Mais on constate dans l'histoire de l'Église, que la profession explicite du dogme précède toujours son exposition rationnelle : la première s'avançant avec la puissance et la rectitude du souffle divin qui l'inspire ; la seconde marchant à la suite, avec les hésitations, les tâtonnements d'une raison qui cherche l'intelligence de la foi.

Nous avons, dans le sujet qui nous occupe, un exemple de ce contraste.

Au chapitre précédent, j'ai raconté comment l'usage d'appliquer le nom de Dieu à la troisième personne s'était étendu et affermi peu à peu. Le lecteur aura pu constater dans ce récit, que les grands évêques de cette époque tourmentée, alliant la prudence au zèle, suivaient, pour ainsi dire, l'instinct des fidèles pieux, tout en le dirigeant. Mais, en même temps, ils appliquaient leur génie à satisfaire les intelligences plus développées qui désiraient rendre raison de leur foi.

Contre la Trinité, l'objection des ariens et des macédoniens était constamment la même : Pourquoi les catholiques n'osent-ils pas confesser trois dieux ? Nous avons vu qu'Ablabius demandait à saint Grégoire de Nysse une réponse, et que celui-ci avouait la question embarrassante. Ce fut donc un sujet de préoccupation pour les Docteurs, et nous devons étudier maintenant la marche de leurs savantes études.


§ 2. — Ce nom fut d'abord considéré comme un nom de nature.

En face du polythéisme païen, les premiers chrétiens rendaient leur culte à un seul Dieu, et le sang des martyrs coula surtout pour défendre le dogme de l'unité divine. Le mot « Dieu » signifiait donc d'abord un être subsistant et personnel, créateur et tout-puissant. Il désignait une nature infinie et créatrice par opposition aux noms désignant les natures contingentes et créées.

Cette dénomination, d'ailleurs, correspond à la notion sacrée qui est déposée au fond de toute intelligence. « Grand Dieu ! Dieu bon ! Dieu vous le donne ! voilà, dit Tertullien, des phrases dans la bouche de tous. Ô témoignage d'une âme naturellement chrétienne ! » (Tertullien, Apologeticus, c. XVII) Saint Augustin explique donc bien le sens vulgaire et primitif du mot « Dieu » lorsqu'il écrit : « Lorsque le mot « Dieu » sonne aux oreilles, il fait aussitôt penser à une certaine nature très excellente et immortelle » (S. Augustin, De doctrina christiana ,lib. I, cap. VI.). Tertullien est encore plus net, lorsque, pour distinguer les sens des deux mots : « Dieu » et « Seigneur », il écrit : « Dieu désigne la substance divine ; Seigneur désigne le pouvoir divin » (Tertullien, adv. Hermogenem, c. III.).


§ 3. — Texte de saint Athanase.

Nous avons, pour témoigner de cette acception primitive , un beau passage de saint Athanase. Racontant comment le concile de Nicée avait été conduit à définir le homoousion, pour en finir avec les réticences hypocrites des ariens, il dit :

Si Dieu est simple, comme il l'est en effet, il est clair que lorsque nous le disons Dieu et le nommons Père, nous ne désignons pas simplement ce qui le concerne, mais pous signifions sa substance même. À la vérité, comprendre ce qu'est la substance de Dieu est impossible ; nous savons seulement que Dieu est. Mais l'Écriture nous le fait connaître sous ce nom ; et nous aussi, par les noms Dieu et Père, c'est Dieu même que nous signifions. Lorsqu'il est dit : Je suis celui qui suis et Je suis le Seigneur Dieu, et partout où nous lisons le mot « Dieu », nous pensons que pas autre chose n'est signifiée sinon l'incompréhensible substance de Dieu, et nous croyons à l'existence de celui qu'on nous annonce ainsi. Qu'on ne regarde donc pas comme une nouveauté de dire que le Fils de Dieu est de la substance de Dieu. Que plutôt on approuve les Pères du concile qui ont purifié notre concept et l'ont rendu plus clair par un parallélisme, en écrivant : « de Dieu », et écrivant encore : « de la substance de Dieu ». Ils ont estimé choses identiques : dire que le Verbe est « de Dieu », et dire qu'il est « de la substance de Dieu ». Encore une fois, le mot « Dieu » ne signifie pas autre chose que la substance de Celui qui Est.

S. Athanase, De decretis Nycaenae Synodi, § 22. — M. XXV, col. 456.


§ 4. — Texte de saint Hilaire.

Le Concile de Nicée avait ajouté : Deum verum de Deo vero - vrai Dieu de vrai Dieu. C'était contre un subterfuge d'Arius qui admettait bien que dans l'Écriture le Verbe fût appelé « Dieu », mais qui prétendait qu'il n'était pas appelé et n'était pas le « vrai Dieu » (voir S. Athanase, Contra Arianos, orat. I, § 6. — M. XXVI, col. 21). Le saint émule de saint Athanase prend à partie cette misérable équivoque.

Je demande d'abord - dit saint Hilaire - ce que signifient ces expressions : « le Dieu vrai » et « non le Dieu vrai ». Car je ne les comprends pas. Si l'on me dit : C'est du feu, mais ce n'est pas du vrai feu ; ou bien, c'est de l'eau, mais ce n'est pas de la vraie eau, je demanderai comment peuvent concorder ces contradictions. En effet, puisque c'est du feu, il ne se peut que ce ne soit du vrai feu, et la nature du feu demeurant, elle ne peut manquer d'être vraie. Enlève d'abord à l'eau qu'elle soit de l'eau, et alors tu pourras faire qu'elle ne soit pas vraie. Mais, tant que l'eau persiste d'être, il est nécessaire qu'elle persiste d'être vraie. Ainsi donc, une nature peut périr, en cessant d'être ; mais, tant qu'elle demeure, elle ne peut pas n'être pas vraie. Eh bien ! ou le Fils de Dieu est vrai Dieu, pour être Dieu ; ou, s'il n'est pas vrai Dieu, il ne peut être ce qui est Dieu. Bref, s'il n'est pas une nature, le nom d'une nature ne lui convient pas. Mais si un nom de nature lui appartient, il ne se peut qu'il ne possède la vérité de cette nature.

S. Hilaire, De Trinitate, lib. V, § 14.


§ 5. — Comment on en vint à douter de ce sens.

Lorsque les eunomiens attaquèrent spécialement le Saint-Esprit, la lutte changea un peu d'aspect. Un de leurs dilemmes favoris était celui-ci : « Le Saint-Esprit est, ou bien non-engendré, agennètos, et alors c'est le Père ; ou bien engendré, gennètos, et alors, c'est le Fils. Pas de milieu ; car ces dénominations : non-engendré, engendré, signifient la substance et la nature elle-même ».

Pour répondre à ces sophistes, saint Basile et son frère n'eurent pas de mal à montrer que ces fameuses dénominations indiquent, non des substances, mais des manières d'être : - tropous huparxeôs. De plus, le cours de la discussion les conduisit à rabattre l'orgueil de ceux qui prétendaient scruter et nommer la nature même de l'Incompréhensible. Notre raison, dirent-ils, ne connaît Dieu que par ses œuvres. Nous ne pouvons le nommer que par ses relations de Créateur à créature. Les dénominations de Seigneur, de démiurge, de monarque suprême, nous apprennent, non ses propriétés intimes - ta kath'auton - mais simplement les relations qui le concernent - ta peri auton.

Ce n'est pas le lieu de discuter cette polémique assez connue, et qu'on a toujours invoquée avec raison contre les ontologistes modernes. Mais cette situation doit faire comprendre qu'il était facile d'étendre les mêmes considérations au mot « Dieu », et de n'y attacher qu'un sens relatif.


§ 6. — On n'y voit plus qu'un nom d'opération.

De plus, dans cette lutte contre les eunomiens, les Docteurs rencontraient une difficulté qu'il faut signaler. Nous savons que la seconde personne est Fils, parce qu'elle procède par voie de génération. Or le fils d'un homme est un homme, et le lion engendre le lion. Il était donc facile de revendiquer pour le Fils le nom de nature qui caractérise le Père. Le Fils de Dieu est nécessairement Dieu.

Mais, quand il s'agit de la troisième personne de la sainte Trinité, nous n'avons plus la même ressource. L'Évangile dit bien qu'elle procède du Père - para tou patros ekporeuetai - mais il ne nous dit rien du mode de procession.

Aussi, pour démontrer la divinité du Saint-Esprit, les Docteurs firent grand appel aux textes qui ont rapport aux opérations du Saint-Esprit. Il crée, il vivifie, il commande, il gouverne, il opère partout comme le Père et le Fils, avec le Père et le Fils. De cette unité d'opération, on doit conclure à l'unité de nature. Nous ne connaissons pas la nature, il est vrai ; mais nous connaissons l'opération de cette nature, et le nom « Dieu » signifie le sujet de cette opération divine.

C'est ainsi qu'on fut amené à considérer le nom sacré comme un nom « d'opération » - onoma energeias.


§ 7. — Théorie de saint Grégoire de Nysse.

Le plus philosophe et le plus hardi des Docteurs de ce temps, saint Grégoire de Nysse, se lança dans cette voie, et il crut y trouver la réponse à la question : Pourquoi ne dit-on pas trois Dieux ? J'ai rapporté plus haut comment il y répondait, dans le cas où l'on prenait le mot « Dieu » comme un nom de nature. Voici maintenant la solution qu'il préfère, et dont je n'ai donné plus haut qu'un simple aperçu.

Discutons plus exactement - dit-il - le nom même de divinité, pour que la signification de ce mot nous serve à éclaircir la question proposée. Beaucoup se figurent que le mot « divinité » signifie proprement une nature, comme les mots «ciel», «soleil», ou quelque autre de ces mots employés à désigner les éléments du monde. Ils disent que le mot « divinité » a été appliqué à nommer proprement la nature suprême et divine.
Quant à nous, conformément aux enseignements des Écritures, nous savons que cette nature est ineffable et innommable, et que tout nom, soit qu'il ait été emprunté aux choses humaines, soit qu'il ait été fourni par l'Écriture, exprime quelqu'une des choses qu'on peut concevoir au sujet de la nature divine, mais ne contient pas la signification de la nature elle même.

Quod non sint tres Dii. — M. XLV, col. 120.

Après avoir prouvé sa proposition par les exemples des noms: « divin, incorruptible, vivificateur », il soutient que le mot « divinité » répond à la fonction divine de tout voir et tout surveiller.

Nous pensons donc que le mot « divinité », theotès, vient du mot « inspection », ek tès theas, et que l'usage et l'Écriture ont nommé Dieu, theon, celui qui est notre inspecteur, ton thestèn hèmôn... Si l'interprétation du mot theotès est juste, si les choses vues se nomment theata, et celui qui voit theos, personne ne peut refuser ce nom à aucune des personnes de la Trinité.

Quod non sint tres Dii. — M. XLV. col. 124 ; on retrouve la même explication dans son Traité contre Eunomius, liv. XII. — M. XLV, col. 1108.

Cette dérivation du mot theos nous paraît bizarre et fausse. Mais il ne faut pas oublier que la science étymologique était peu avancée chez les anciens, et d'ailleurs la linguistique ne nous intéresse qu'au point de vue de la doctrine théologique. Or, on doit le reconnaître, cette interprétation aplanissait bien des difficultés. Chaque personne est Dieu, car elle voit tout et veille sur tout ; et cependant il n'y a qu'une divinité et qu'un Dieu, parce qu'il n'y a qu'une seule et même vision.


§ 8. — Saint Basile la soutient.

Grâce à ces avantages, la nouvelle façon d'interpréter le mot « Dieu » obtint faveur. Saint Basile, tout en reconnaissant qu'on peut dans ce mot voir un nom de « nature », incline à lui accorder moins d'honneur. Résumons une curieuse lettre de ce Docteur au médecin Eustathe (S. Basile, Ad Eustathium archiatrum, epist. 189. / Belles-Lettres. T. II. p. 141).

On refuse, dit-il, la nature divine au Saint-Esprit. Cependant on est bien contraint de l'unir au Père et au Fils, sous les notions de bon, de saint, d'éternel, de puissant, c'est-à-dire, sous toutes les notions qui s'expriment par les noms les plus relevés... Eh bien, « si vous l'appelez Dieu , d'un seul coup, vous signifiez tout ce que vous avez conçu par les autres noms ». Et vraiment, si on lui accorde des noms supérieurs, pourquoi lui refuser un nom qui est inférieur, puisque l'Écriture l'applique à des hommes et même aux démons ?

Ils soutiennent que c'est un nom de « nature ». Soit. Mais comment connaît-on les natures sinon par leurs opérations ?... « Donc l'identité d'opération dans le Père, le Fils et le Saint Esprit, montre clairement l'indistinction de nature. Par conséquent, lors même que le mot « divinité » signifierait une nature, il faudrait l'appliquer au Saint-Esprit d'une manière propre et absolue.

Mais je ne sais pas où ces habiles ont été prendre que le mot « divinité » signifie une « nature ». Un nom de nature ne s'obtient pas par imposition. Or Moïse a été institué le Dieu de Pharaon ; « c'est donc une appellation désignant une puissance ou de surveillance ou d'opération ». La nature divine est inscrutable, et l'on n'en a pas encore trouvé le nom. Quand nous l'appelons bonne, miséricordieuse, juste, nous la désignons par ses différentes opérations.

En résumé : si « divinité » est un nom « d'opération » [energeia - acte] ; puisqu'il n'y a qu'une seule et même opération commune au Père, au Fils et au Saint-Esprit, nous devons dire aussi qu'il n'y a qu'une seule et même divinité. — Si le nom « divinité » signifie la « nature », suivant l'opinion de beaucoup ; puisqu'on ne peut trouver dans la sainte Trinité aucune différence de nature, on doit affirmer qu'il n'y a qu'une seule divinité (§ 8).

Je dois avertir que, précisément à cause de la teneur de cette lettre, quelques critiques l'attribuent à saint Grégoire de Nysse plutôt qu'à son frère, dont elle rappelle cependant bien le style. Mais la même raison forcerait à rejeter aussi une autre lettre de saiut Basile, où il revendique formellement pour le Saint-Esprit le nom de Dieu. « Si le mot « Dieu », dit-il, leur déplaît, qu'ils appren¬nent sa véritable signification. Dieu, theos, est ainsi nommé parce qu'il a tout constitué, ou parce qu'il voit tout... Or le Saint-Esprit connaît toutes les choses de Dieu... » (S. Basile, Ad Caesarienses, epist. 8, § 11)


§ 9. — Saint Grégoire de Nazianze la corrige.

À cette théorie il y avait bien une difficulté qui explique le langage hésitant des Docteurs. Réduire la signification du mot « Dieu » à une fonction de « voyant », du de « brûlant », ou de « constituant », c'était heurter le sentiment universel des peuples qui a toujours tenu ce nom pour sacré.

Saint Grégoire de Nazianze comprit que, loin de rompre avec un sentiment si enraciné dans les entrailles de l'humanité, on devait, au contraire, s'en inspirer pour établir la véritable signification des mots. Il semble, en effet, dans son quatrième sermon théologique, avoir touché la vérité en son point le plus délicat.

Ayant à parler des divers noms donnés, soit à la divinité, soit aux différentes personnes de la Trinité, il commence par déclarer que Dieu est innommable. Les Hébreux ne permettaient point qu'on prononçât son nom. Tout l'effort, lorsqu'on parle de lui, consiste à lui appliquer « certaines appellations qui fournissent une esquisse ou une ombre de la vérité » (S. Grég. de Nazianze, orat. XXX, § 17). Par cet avertissement, saint Grégoire calme les oppositions, et réconcilie le sentiment populaire avec la théorie de ses illustres amis. Puis il continue :

Autant qu'il nous est permis d'atteindre, ÊTRE et DIEU sont en une certaine façon des noms qui signifient plutôt la substance. Cela est vrai surtout du nom ÊTRE; non pas seulement parce que, parlant à Moïse sur la montagne et répondant à la demande de son nom, il lui a commandé de dire au peuple : Qui est, misit me - Celui qui Est, m'a envoyé (Ex. 3 ; 14), mais aussi parce que nous trouvons que cette dénomination est davantage son nom propre. En effet, le mot DIEU a pour étymologie, d'après les raffinés en ces matières, « courir » ou « brûler », theein è authein. D'où il convient à la divinité à cause de sa perpétuelle activité et de sa puissance purificatrice des vices (l'Écriture l'appelle quelque part un feu consumant). Ce n'est donc pas un nom absolu, mais un nom relatif, comme le mot SEIGNEUR qui est aussi un nom de Dieu. Je suis le Seigneur ton Dieu, ceci est mon Nom, et ailleurs : Seigneur, tel est mon Nom. Mais ce que nous cherchons, c'est la nature en tant qu'elle existe en soi-même, et non dans ses relations avec autre que soi. Eh bien, ÊTRE est vraiment le propre de Dieu de toute manière, puisque rien avant lui, rien après lui ; puisqu'il n'était pas et ne sera pas ; puisqu'il n'est ni limité ni circonscrit.
Quant aux autres noms, ils sont manifestement ou bien des noms de puissance ou bien des noms de providence... Par exemple — Tout-Puissant ; — Roi, ou de gloire, ou des siècles, ou des vertus, ou du bien-aimé, ou des rois. Par exemple encore, le Seigneur, ou des armées, ou des puissances, ou des seigneurs. Ces noms sont évidemment des noms de puissance. De même, DIEU, ou du salut, ou des vengeances, ou de paix, ou de justice, ou d'Abraham, d'Isaac et de Jacob... : tout cela, noms de providence.

S. Grég. de Nazianze, ibid., §§ 18 et 19.

La pensée de saint Grégoire se dégage ici bien nett¬ment. Le mot « Dieu » reste un nom de nature, en tant qu'il désigne la substance suprême. Ce nom demeure sacré, parce qu'on ne peut l'employer que pour désigner l'Innommable. Cependant ce nom est simplement relatif, c'est-à-dire, il n'exprime pas autre chose que le principe des relations créatrices et providentielles dont nous sommes les termes.


§ 10. — Textes de saint Cyrille.

Cette explication du « Théologien » fut acceptée par les Docteurs qui vinrent après lui, et devint même souvent la base de leur argumentation.

Saint Cyrille d'Alexandrie s'applique à établir que le nom de Père prime le nom de Dieu.

Nier, dit-il, que Dieu ait toujours été Père, c'est l'insulter en dépouillant la nature divine de son plus glorieux titre.

Car le mot Dieu exprime une relation aux natures serviles et créées, et le mot Père une relation au Fils. Ceux donc qui soutiennent qu'il était Dieu dès le commencement, et qu'il n'était pas encore Père, accordent à Dieu une relation qui se rapporte aux esclaves, et le privent de la meilleure.

Et un peu plus loin :

Comme le mot Père se rapporte au Fils, ainsi le mot Dieu se rapporte aux esclaves et à ceux qui n'ont pas une même nature que Dieu, quelle que soit celle-ci.

Et encore :

Il est appelé Père d'après ce qui est le meilleur et le plus digne, c'est-à-dire d'après le Fils. Il est appelé Dieu d'après les esclaves ; ce qui est moindre, tant est grande la distance entre le Maître et l'esclave, entre le Créateur et la créature.

S. Cyrille d'Alexandrie, Thésaurus, assert. V. — M. LXXV, col. 65 et 68.
Petau, imbu des idées latines, cite le premier passage avec quelque humeur : « Illud Cyrill. Alex, disputandi impetu effusum magis quam accurata dictum ratione videtur - constatant l'apparition de la maladie, plutôt que de présenter un compte-rendu précis de celle-ci » (De Deo uno, lib. VIII, cap. VIII, § 6). Il n'était donc pas inutile de multiplier les citations. Cette pensée se retrouve encore ailleurs dans Cyrille.


§ 11. — Enseignement de saint Damascène.

C'est toujours au Scolastique de Damas qu'il faut aller demander la pensée grecque sous sa forme la plus claire et la plus didactique.

Dans la question actuelle, il s'est attaché à son auteur de prédilection, et nous retrouverons chez lui les paroles mêmes du Docteur de Nazianze. Traduisons son chapitre intitulé : Sur ce qui est dit de Dieu (S. Damascène, Foi orthodoxe, liv. I, ch. IX. — M. XCIV, col. 833. / S.C. 535. p. 191).

Le Divin est simple et sans composition. Or ce qui est le sujet de plusieurs choses différentes est composé. Si donc nous considérons les noms : l'incréé, l'anarchos - sans commencement, l'incorporel, l'immortel, l'éternel, le bon, le créateur et autres semblables, comme signifiant en Dieu des différences substantielles, le sujet de tant de choses ne sera point simple, mais composé. Ce serait de la dernière absurdité. Par conséquent, il faut considérer chacune des choses dites de Dieu, non comme signifiant ce qu'il est en substance, mais comme exprimant, ou bien ce qu'il n'est pas, ou bien quelque relation par rapport aux choses qui se distinguent de lui, ou bien quelque chose qui résulte de sa nature, ou bien une opération.

Il semble que de tous les noms attribués à Dieu, le plus propre soit l'ÊTRE, comme lui-même répondant à Moïse sur la montagne a dit : Je dis aux fils d'Israël : Celui qui Est m'envoie (Ex. 3 ; 14). En effet, il recueille en soi-même la totalité de l'être, comme un océan d'usie sans limites et sans rivages (cette magnifique formule est de S. Grégoire de Nazianze, In sanctum Pascha, orat. XLV, § 3).

Le second nom est DIEU, ho theos, qui vient de theein (courir) et de circuler autour de tout ; — ou bien de aithein (chauffer), c'est-à-dire brûler, car Dieu est un feu consumant toute malice; — ou bien de theasthai (voir), de voir toutes choses, car on ne peut lui échapper et il a l'œil ouvert sur toutes choses...

Ainsi le premier nom déclare qu'il est et ce qu'il est ; le second est un nom d'opération. Quant aux noms : sans commencement - anarchos, incorruptible, incréé, incorporel, invisible et autres, ils signifient ce qu'il n'est pas... - Bon, juste, saint et autres, indiquent, non l'usie, mais des consécutifs de la nature. Seigneur, Roi et autres signifient une relation aux choses qui sont hors de lui. Car c'est des esclaves qu'il est appelé le Seigneur, des sujets le Roi, des créatures le Créateur, des troupeaux le Pasteur.


- CHAPITRE V -
RÉFLEXIONS SUR LE MOT « DIEU »


§ 1. — Ce mot appartient à l'ordre naturel.

La théologie positive doit tenir grand compte du sens relatif attaché au mot « Dieu » par les Docteurs grecs. Sans doute, pour eux, ce nom signifie l'Être suprême, substance subsistente, nature infiniment parfaite, une, éternelle, immuable, toute-puissante. Mais ce nom ne le désigne que par ses relations avec le monde : relations de Cause à effet, de Créateur à créature, d'Infini à fini, d'Absolu à contingent. Ce nom répond à tout ce que nous pouvons connaître de Lui en remontant des créatures au créateur, suivant le texte de saint Paul : Ce qu'il y a d'invisible depuis la création du monde se laisse voir à l'intelligence à travers ses oeuvres, son éternelle puissance et sa divinité. (Rom. 1 ; 20). C'est la connaissance rationnelle de Dieu, correspondant à ce qu'on nomme l'ordre naturel : connaissance de l'esclave qui sait qu'il a un maître bon et juste, mais qui n'a jamais vu ce seigneur, qui ignore son nom propre, et qui ne sait le désigner que par ce titre : LE MAÎTRE.

Tel est le sens du mot theos. Il convient à Dieu, en tant qu'il est l'auteur de la nature. C'est un nom qui répond à l'ordre naturel.


§ 2. — Théodicée rationnelle des anciens Docteurs.

Ceci nous explique comment les Pères grecs, platoniciens pour la plupart, ont évité toutes les confusions qui indisposent la Scolastique latine contre la philosophie de Platon.

Ils affirment souvent que la connaissance de Dieu a été semée dans la nature même de l'homme. Il est naturel à l'homme, disent-ils, pour peu qu'il fasse germer cette semence, de savoir qu'il existe un Être absolument infini, auteur du contingent par voie de création. Mais pour nos Docteurs, ces notions naturelles d'Être, d'absolu, d'infini, n'atteignent pas véritablement l'essence, l'usie de Celui qui existe par-dessus toutes les réalités concevables.

Ici encore adressons-nous à saint Damascène, qui commence son beau traité de la Foi orthodoxe par des principes de théodicée. Personne n'a jamais vu Dieu - Deum nemo vidit unquam, dit-il, Dieu ne peut être connu que suivant qu'il se fait connaître ; mais il a inséré dans notre nature la connaissance de son existence, et de plus il s'est révélé par les prophètes et par son Fils (S. Damascène, Foi orthod., lib. I, c. I). On peut aisément démontrer par la raison que Dieu existe (Ibid., c. III). Mais s'il est évident qu'il existe, cependant, ce qu'il est par essence et par nature reste absolument incompréhensible, et au-dessus de notre connaissance naturelle. Nous savons bien qu'il est incorporel, incréé, immuable, éternel, incorruptible. Mais tous ces noms qui concernent Dieu, disent, non ce qu'il est, mais ce qu'il n'est pas. — Dire ce que Dieu est par essence, c'est chose impossible ; voilà pourquoi il vaut mieux le concevoir par voie négative. Notre Docteur conclut :

Donc le Divin est infini et incompréhensible, et la seule chose que nous puissions comprendre est son infinité et son incompréhensibilité. Tout ce que nous disons de Dieu en termes positifs, déclare non sa nature, mais ce qui entoure sa nature.

Il avait donné la raison de notre ignorance par cette sentence qu'il nous faut encore citer textuellement :

Dieu n'est rien des êtres, non pas qu'il ne soit pas être, mais parce qu'il est au-dessus de tous les êtres, au-dessus de l'être même. En effet, être et être connu sont de même ordre. Ce qui est au-dessus de toute connaissance est absolument aussi au-dessus de toute essence ; et réciproquement, ce qui est au-dessus de l'essence est au-dessus de la connaissance.

S. Damascène, Foi orthod., lib. I, c. IV.

Certes, voici un enseignement qui rabat l'insolence de la raison, et sauvegarde le dogme de l'invisibilité divine. Mais, en même temps que la raison est remise à sa place, cette humilité lui donne une nouvelle force. Rien de ce qui est connu ou connaissable n'est Dieu. Toutes ces grandes notions de l'absolu, du nécessaire, de l'éternel, de la causalité, appartiennent à l'ordre naturel. Rien de tout cela n'atteint, véritablement et intuitivement, Celui qui est au-dessus de toute connaissance. Nous pouvons donc contempler avec assurance ces étoiles que le Créateur a semées dans le firmament de notre intelligence. Nous pouvons affirmer que nous les voyons, que nous les comprenons, et que c'est dans cette lumière céleste que nous voyons toutes choses. Ces cieux si beaux racontent la gloire du Seigneur ; mais le Seigneur lui-même est par delà ce voile d'azur et de lumière ; Personne n'a jamais vu Dieu - Deum nemo vidit unquam.


§ 3. — Différence du nom « Dieu » et du nom « Père ».

Theos est un nom qui appartient à l'ordre de la connaissance naturelle, et, par conséquent, à ce qu'on appelle en théologie l'ordre de la nature. Patèr est un nom qui nous introduit dans la connaissance surnaturelle de la vie divine. La révélation seule a pu nous apprendre que Dieu est naturellement Père d'un Fils consubstantiel, et que par ce Fils, il est devenu notre Père suivant la grâce. « Père » est un nom de l'ordre surnaturel. Les Docteurs grecs suspendaient aux deux mots : Dieu et Père, leur théorie de l'ordre naturel et de l'ordre surnaturel ; ordres aussi différents que les concepts qui répondent à ces deux mots. L'esclave dit « mon Maître », et le fils dit « mon Père ».

Un beau passage de saint Cyrille nous expliquera la distinction entre ces deux noms :

Lorsque le Sauveur, dit-il, eut accompli sur la croix notre salut, il dit à ses disciples en remontant au ciel : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon dieu et votre Dieu - Ascendo ad Patrem meum et Palrem vestrum, et Deum meum et Deum vestrum. Voyez-vous comme apparaît distinctement la différence des noms ? Voyez-vous comme « Père » se rapporte à Fils et « Dieu » aux esclaves et aux créatures ?

Donc, puisque la création est postérieure à la génération du Fils, le propre de Dieu est d'abord d'être Père, et ensuite, bien que sans postériorité de temps, d'être Dieu. Cette considération est encore éclaircie par l'étude du texte.

En effet, la dignité qu'il a par nature nous ayant été communiquée en vertu de sa grande philanthropie, il dit : ...et votre Père - et Patrem vestrum. Nous sommes appelés à l'adoption par son moyen, et son Père par nature devient notre Père par grâce. Mais à son tour, parce qu'il a pris en lui-même notre nature, et parce que, ayant porté la forme de l'esclave, il s'est approprié ce qui convient aux esclaves, il dit : vers ... mon Dieu et votre Dieu - et Deum meum et Deum vestrum. Par nature, c'est pour lui le Père, c'est pour nous le Dieu.

Et puisque, ainsi que je l'ai déjà dit, nous avons été créés par le moyen du Fils, Dieu est d'abord Père, et ensuite il est Dieu, bien qu'en même temps et inséparablement.

S. Cyrille d'Alexandr., Thesaur., assert. V. — M. LXXV, col. 68.

Comparez à ce passage la prière du prêtre à la messe [dans le rite latin], lorsqu'il verse l'eau dans le calice :

« Ô Dieu qui, par une conduite admirable, as créé l'homme dans la grandeur, et l'y as rétabli d'une manière plus admirable encore, fais que par le mystère de cette eau et de ce vin, nous devenions participants de la divinité de celui qui a daigné revêtir notre humanité, Jésus-Christ ton Fils, notre Seigneur, qui vit et règne, Dieu avec Toi en l'unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Amen.
Nous t'offrons, Seigneur, le calice du Salut, suppliant ta bonté qu'il s'élève comme un parfum agréable, en présence de ta divine Majesté, pour notre Salut et celui du monde entier. Amen ».

Je ne sais si mon admiration m'abuse , mais il me paraît que ce court enseignement de saint Cyrille nous fait connaître, jusque dans leurs profondeurs, toute la théorie de l'ordre naturel et de l'ordre surnaturel, toute la théologie de la nature et de la grâce.


§ 4. — Pourquoi le nom Dieu est spécialement affecté au Père.

Cette théorie sur le sens relatif du mot « Dieu » peut sembler en désaccord avec l'application spéciale de ce nom à la première personne de la sainte Trinité, telle que nous l'avons signalée plus haut dans la primitive Église. Mais il suffit de rappeler en quelques mots les causes de cette application, pour faire disparaître la prétendue contradiction.

J'ai dit que pour les Juifs, le nom « Dieu » s'adressait à un être« personnel », tout-puissant, éternel, créateur. Leur symbole, à cet égard, pouvait donc se résumer dans cette phrase : Je crois en un seul Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre.

Pour faire de cette phrase le symbole chrétien , les apôtres n'ont eu à ajouter que le seul mot : Père. « Je crois en un seul Dieu, qui est personnellement Dieu et personnellement Père. C'est le Tout-Puissant, c'est le créateur du Ciel et de la, Terre. Il est Père ; donc je crois aussi en son Fils unique et consubstantiel. Le Fils est notre Seigneur, car il nous a créés avec son Père en unité de puissance et d'opération. Mais le titre de créateur reste au Père, parce que c'est lui qui nous a créés par son Fils, par lequel tout a été fait ».

C'est donc pour une raison facile à comprendre, qu'au commencement de l'évangélisation les deux noms « Dieu » et « Père » furent joints ensemble. Ils demeurèrent unis pour une raison d'ordre supérieur. Je veux parler de cette récapitulation de la Trinité dans la personne qui est la « source de la divinité ». Nous avons vu comment les Docteurs expliquaient ce mystère. Les fidèles le concevaient d'une manière implicite, en attribuant spécialement le nom de Dieu à la première personne de la Trinité.


§ 5. — Cette affectation s'est conservée dans l'Église.

Cette habitude s'est perpétuée dans l'Église par voie de tradition. Au huitième siècle, un disciple de saint Jean Damascène faisait la remarque suivante :

Le Père, dit-il, est l'union, car de lui et vers lui se rapportent tout ce qui est de lui. En effet, le langage rapporte le Fils et l'Esprit au Père, et ne leur rapporte point le Père. Ainsi, on dit : le Fils de Dieu, la sagesse de Dieu, le Verbe de Dieu, la Puissance de Dieu, le Bras de Dieu , la Droite de Dieu. De même pour l'Esprit, on l'appelle l'Esprit de Dieu, le Doigt de Dieu. On les rapporte donc au Père, et on ne leur rapporte pas le Père.

Abucara, cité par Petau, lib. IV, c. XV, §. 14.

Ce langage est tellement enraciné dans le sens chrétien qu'il a résisté à toutes les vicissitudes des temps. Je dirai plus : il a triomphé d'un enseignement qui inclinait les esprits vers le concept d'une subsistence divine absolue, ou qui, du moins, appliquait le nom « Dieu », d'une manière assez vague, aux trois personnes divines à la fois.

Voyez, en effet, comment parlent encore les chrétiens. Nous disons bien : « Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit ». Nous disons encore : « Le Fils de Dieu, l'Esprit de Dieu. » Mais avez-vous jamais entendu désigner la première personne par ces mots : « Le Père de Dieu » ou bien « celui dont Dieu procède » ? À la rigueur, ces expressions ne sont pas fausses, mais elles choquent. — Et pourquoi, sinon parce que le langage traditionnel applique au Père le nom de « Dieu » d'une manière spéciale ?


§ 6. — C'est le langage liturgique.

Dans l'interminable procès engagé au sujet de l'orthodoxie d'Origène, une des charges est tirée de son traité sur l'Oraison dominicale. Il admet bien, disent les accusateurs, qu'on prie le Christ comme on prie les saints ; mais il ose soutenir que la prière d'adoration ne doit s'adresser qu'au Père, par le Verbe médiateur sans doute, mais au Père uniquement. Ginoulhiac a longuement et savamment discuté ce grief (Ginoulhiac, liv. VIII, ch. XIII). Il a défendu la mémoire du Docteur alexandrin, en montrant que cette prière réservée au Père est la prière liturgique, dans laquelle le Christ est le pontife et le médiateur, celle dans laquelle le Christ prie lui-même.

— S. Grégoire Thaumaturge a toujours été considéré en Orient comme la lumière de l'orthodoxie de son époque. Il est donc curieux de remarquer qu'il parle comme son maître au sujet de la prière liturgique. Voyez son discours à la louange d'Origène, § 4. — M. X, col. 1060. —

Voici le texte :

Les louanges et les hymnes destinés au roi qui prend soin de toutes choses, source intarissable de tous les biens, confions-les à celui, qui, même là, guérit notre faiblesse et peut seul suppléer à ce qui nous manque, au Protecteur et Sauveur de nos âmes, au Fils premier-né de Dieu, le Verbe, qui a tout créé et qui gouverne tout.

Lui seul, pour lui-même et pour nous, pour chaque homme en particulier, et en même temps pour l'ensemble des hommes, peut faire monter vers le Père des actions de grâces continuelles et incessantes. Parce qu'il est lui-même la vérité, la sagesse et la puissance du Père de toutes choses, parce qu'il est en lui, ne faisant naturellement qu'un avec lui, il n'est pas possible que, par oubli, par sottise, ou par suite de quelque faiblesse, comme un être séparé de l'unité avec le Père, ou bien par impuissance, il ne parvienne à le louer : il n'est pas possible non plus qu'y parvenant, de son plein gré, il ne laisse, ce qu'il est impie de dire, son Père privé de louange.

Lui seul peut, d'une manière très parfaite, remplir dignement la mesure des louanges qui reviennent au Père.

Et lui-même, le Père de toutes choses, qui l'a fait un avec lui, qui, pour ainsi dire, s'enveloppe de lui par la force de son Fils tout à fait égale à la sienne propre, l'honore d'une certaine manière en même temps qu'il en est honoré : privilège qu'a obtenu, premier et seul de tous les êtres, son Fils unique, le Verbe-Dieu qui est dans le Père.

Voici le seul moyen pour nous tous d'être reconnaissants et pieux : à lui seul, en échange de tous les biens que nous recevons du Père, nous offrirons la force de notre digne action de grâces, en reconnaissant que la seule route de la piété est de nous souvenir toujours par lui [le Fils] de celui qui est la cause de toutes choses [le Père].

Reconnaissons donc qu'il est la Parole incessante, digne d'offrir hymnes et actions de grâces à la Providence qui veille continuellement sur tout, qui prend soin de nous dans les plus grandes et dans les plus petites choses, et qui nous mène précisément là où nous sommes, car il est absolument parfait et vivant, la Parole [le Fils] animée de l'Intelligence première elle-même [le Père].

Grégoire le Thaumaturge. Remerciements à Origène. Cerf 1969. S.C. 148. p. 11-113. IV. 35.

Chose vraiment remarquable ! l'usage officiel sur lequel s'appuyait le célèbre Docteur [Origène] s'est perpétué à travers tous les âges. L'Église prie encore comme elle priait aux Catacombes ; ses oraisons liturgiques portent l'attestation de leur auguste antiquité par la manière même dont elles sont formulées. Presque toutes s'adressent au Père, et presque toutes prient le Père sous le vocable de Dieu (le troisième concile de Carthage, tenu en 397, a porté dans son 23e canon le décret suivant : quand on se tient debout à l'autel, que toujours vers le Père soit dirigée la prière. Cité par Petau, lib. III, c. VII, § 15. Dans ce même canon qui semble dirigé contre les sabelliens, on recommande de surveiller les prières particulières des fidèles pour éviter les confusions de personnes).

Qu'on ouvre le Missel ou le Bréviaire, que l'on parcoure le canon de la messe ou les oraisons des offices, presque toujours, la prière liturgique s'adresse à une personne qu'on appelle Dieu ou Seigneur. Ô Dieu qui... — Daigne, Seigneur... ; et cette personne est formellement le Père, comme l'atteste la terminaison : Par Notre-Seigneur Jésus-Christ, ton Fils...

L'Église, comme une vénérable matrone, garde encore le parler de sa jeunesse. En priant Dieu, elle ne s'adresse point à je ne sais quelle subsistence absolue, ni même à la Trinité d'une manière qui resterait un peu vague. Elle fait mettre ses enfants à genoux devant une personne parfaitement déterminée ; elle leur apprend à prier le Père lui-même. Que voilà bien la prière surnaturelle ! C'est l'âme plongée dans la circulation de cette vie divine, qui revient « à la source même de la divinité » ! C'est le fidèle soulevé par les bras de l'Église jusqu'à la Personne, que le pape saint Denis appelle « le SOMMET où toute la Trinité s'unit et se récapitule dans l'Unité ».

— Mais, dira-t-on peut-être, si la prière s'adresse formellement au « Père », pourquoi l'interpeller sous le titre de « Dieu », mot que les fils adoptifs devraient laisser aux esclaves ? Le Sauveur, interrogé par ses disciples, n'a-t-il pas répondu : « Lorsque vous priez, dites : Père » ? (Luc. XI, 2.)

— C'est vrai. Mais l'Église sait que la prière doit être humble, et que l'humilité consiste à garder la place à laquelle on a droit par soi-même. Lex orandi, lex credendi. L'Église tient à nous rappeler que par nature et par essence nous sommes esclaves ; titre déjà assez beau, puisque servir Dieu c'est régner. L'adoption par la grâce ne change pas notre essence ; nous devons donc demeurer à genoux dans la posture de l'esclave, jusqu'à ce que Jésus nous prenne par la main et nous relève.


§ 7. — Exemple.

Comme exemple, on peut choisir l'Oraison du second Dimanche de Carême.

Ô Dieu, qui nous vois dépourvus de toute force

Ô toi qui es notre souverain Maître, parce que tu es l'Être éternel qui nous as créés et qui nous gouvernes, Dieu, «le Voyant», tu vois que par nous-mêmes nous sommes sans vertu, purs néants qu'attire le néant, pécheurs qui n'avons à nous que nos péchés.

Garde-nous au-dedans et au-dehors, afin que notre corps soit protégé contre toute adversité, et notre âme purifiée de toute pensée mauvaise.

Garde-nous, ô Dieu, toi dont l'activité « court » sans cesse pour protéger vos élus, garde-nous de tous nos ennemis extérieurs et intérieurs ; et surtout, ô toi, dont le zèle est un feu consumant, « brûle » les souillures de nos cœurs.

Par Notre-Seigneur Jésus-Christ ,ton Fils.

Nous t'en prions par Celui qui est notre Seigneur et ton Fils : notre Seigneur, puisque tu nous as créés par lui ; ton Fils, puisque tu l'engendres de toute éternité. Il s'appelle Jésus-Christ, depuis qu'il est devenu homme pour être notre médiateur près de toi, en se faisant notre Victime et notre Pontife.

Qui vit et règne avec toi.

Il est ici-bas sur l'Autel, ce Pontife qui prie au milieu de nous et t'appelle « son Dieu et notre Dieu ». Mais en même temps il est au ciel, assis à ta droite, où il t'appelle « son Père et notre Père ». Il rapporte donc jusqu'à toi, première personne de la sainte Trinité, une prière qui a droit d'être entendue au sommet de la divinité ; car ce n'est plus une prière d'esclave, mais une prière de Fils.

Dans l'unité du Saint-esprit.

Ô mon Dieu ! pourrais-tu ne pas exaucer la prière de ton Fils t'appelant son Père dans le lien de votre amour consubstantiel? Que si tu t'irrites d'entendre nos voix serviles s'unir à la sienne, rappelle-toi que c'est l'Esprit même de ton Fils qui crie en nous et pour nous par des gémissements inénarrables.

Dans les siècles des siècles.

Ô Dieu innascible ! dans tous les siècles des siècles passés, tu vivais et régnais avec ton Fils et ton Esprit, au sein d'une circuminsession où tout était Dieu. Mais voici que dans les siècles des siècles futurs, cette circuminsession aura un caractère nouveau. Car toi-même, Dieu suprême ! tu as ouvert l'orbe de la circulation divine. Toi-même tu as envoyé ton Fils prendre la forme d'esclave parmi les esclaves. Le Fils leur a communiqué ton Esprit d'adoption. Et maintenant le Fils et l'Esprit remontent vers toi leur principe : le Fils avec tout un cortège de frères qu'il présente à ton adoption, l'Esprit apprenant à ces adoptés la langue divine et leur soufflant de te dire : Abba Pater.

— « Amen ! »

Répond le peuple. Ainsi soit-il, ce qui, dans la langue de l'espérance chrétienne, signifie : Ainsi en sera-t-il par une récapitulation complète. De toute éternité est le PRINCIPE : — Père d'abord d'un Fils éternel, et ensuite Dieu de ce qui est dans le temps ; — notre Dieu d'abord dans le temps, et ensuite notre Père par son Fils pendant tous les siècles des siècles. Puis ce sera la fin, quand il remettra la royauté à Dieu le Père (I Cor. xv, 24).


FIN


Ici se termine le premier des quatre volumes des « Études de Théologie positive sur la Sainte Trinité »
du Père Théodore de Régnon.


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T. des Matières

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