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Objet de cette ÉtudeOBJET DE CETTE ÉTUDE
a foi catholique n'est point fondée sur le génie individuel, mais sur la tradition apostolique. Cette
tradition est la lumière indéfectible dans laquelle les docteurs ont toujours baigné leurs esprits pour leur donner force et assurance
dans leurs recherches théologiques. Tradition des ancêtres, mais tradition vivante qui s'est développée avec une admirable variété
de formes dans les travaux successifs de ceux que l'Église reconnaissante appelle ses Pères.
J'ai cru utile de faire connaître dans l'Étude précédente la physionomie propre de chaque docteur, afin que le lecteur comprît
mieux son allure personnelle dans l'explication de la tradition commune. Mais il importe encore bien davantage d'étudier en lui-même
le développement de cette tradition vivante, et d'en discerner les formes successives, suivant les temps, suivant les influences,
suivant les hérésies à combattre.
Ce travail est poursuivi depuis que Petau a remis en honneur la théologie positive ; mais il est permis de présenter une respectueuse
critique au sujet d'une méthode assez généralement employée. La plupart des traités de théologie positive, à commencer par le chef-d'œuvre
de Petau, ont pour but de montrer l'accord de la tradition universelle avec la foi romaine, et cette intention leur conserve un
caractère occidental. L'ordre des matières, les divisions et sous-divisions, le point de vue: tout est emprunté à la scolastique,
et la principale préoccupation semble consister à faire rentrer dans ces cadres latins les textes grecs qui leur conviennent.
Cette méthode, je n'en disconviens pas, suffit pour mettre en évidence l'unité de la foi catholique dans tous les temps et dans tous
les lieux. Mais, en mélangeant ainsi les eaux des diverses sources , on fait disparaître la saveur propre à chacune.
Tout autre est la méthode d'une critique purement historique. Pour apprécier sainement l'état des esprits à une certaine époque et dans un
certain milieu, il convient de se débarrasser de toute opinion préconçue. On doit se placer soi-même dans cette époque et dans ce
milieu, vivant avec des contemporains, parlant leur langage, écoutant ce qu'ils disent et tout ce qu'ils disent, comme eux connaissant
le passé, mais comme eux ignorant la suite à venir.
Étudié de cette manière, chaque siècle exigerait une vie de laborieuses recherches. Je me borne à une étude bien incomplète du quatrième
siècle. Cependant il est nécessaire à l'intelligence de cette époque de rappeler rapidement la marche des idées dans les siècles
précédents.
- CHAPITRE I -
ÉPOQUE PRIMITIVE
§ 1. — Prédication apostolique.
Il avait été écrit que la Loi sortirait de Sion. C'est donc aux Juifs que le Messie apporta la Bonne Nouvelle,
et les apôtres, obéissant aux ordres de leur divin Maître, concentrèrent d'abord en Judée leurs premières prédications. Plus tard,
lorsque saint Paul fut séparé pour le ministère des gentils, et lorsqu'il entreprit ses courses à travers l'empire romain,
il se mettait en rapport avec les colonies juives ; car c'était le moyen le plus facile de nouer des relations dans les villes
où il entrait comme étranger. Tant le cœur de Dieu avait de peine à se détacher d'un peuple qu'il avait beaucoup béni !
Les premières Églises furent donc composées d'israélites, et l'élément judaïque y fut même tellement dominant qu'un instant il menaça
d'étouffer la liberté de la grâce sous la servitude de la Loi. La plupart des livres du Nouveau Testament, Évangiles et Épîtres, sont
écrils pour des lecteurs Juifs ; d'où résulte ce fait remarquable que l'Écriture sainte pour ainsi dire tout entière est adressée
primitivement à des fidèles nourris dans les institutions judaïques.
Cette remarque est de la plus haute importance pour comprendre les docteurs des premiers siècles. En effet, entre les chrétiens et
les Juifs, il y avait un terrain commun, l'Écriture sainte ; il y avait un dogme commun, le dogme de l'Unité de Dieu. Que fallait-il
donc pour qu'un Juif devînt chrétien ? Qu'il crût en Jésus ressuscité, qu'il reconnût dans cet homme le Messie attendu, le Fils
de Dieu. C'est ce qu'annonça saint Pierre le jour de la Pentecôte ; c'est le premier mot de saint Paul converti : « aussitôt
il se mit à prêcher Jésus dans les synagogues, proclamant qu'il est Fils de Dieu » (Act. 9 ; 20).
Les apôtres disaient aux Juifs : Nous adorons le Dieu unique qu'ont adoré nos Pères. Mais votre foi est incomplète ; car vous
vous en tenez « à l'ombre des choses futures », et nous vous en apportons la substance réalisée.
Ainsi la prédication évangélique était à la fois une exégèse des prophètes qui annonçaient les caractères divins du Messie, et
une attestation que tous ces caractères ont été vérifiés en Jésus de Nazareth. Lorsque les néophytes avaient cru dans le Christ,
alors les apôtres leur faisaient le catéchisme, en témoins fidèles qui rapportent, non seulement sa doctrine, mais les expressions
qu'il a déterminées. Puis ils les baptisaient au nom du Père , du Fils et du Saint-Esprit.
Ces trois noms sont sacrés. Ils le furent donc dès l'origine et demeureront toujours les noms propres des personnes divines.
Car ils sont authentiquement conservés dans le symbole des apôtres, et dans la formule essentielle du sacrement qui fait les
chrétiens.
§ 2. — État primitif des esprits.
Les juifs de l'ancienne Loi croyaient à l'unité de la substance divine dans un seul Dieu personnel. L'Évangile fit
éclater cette conception trop étroite et proclama que l'unité de la substance divine existe dans trois Personnes distinctes. Dieu est
Père ; Dieu a un Fils ; le Père et le Fils ont un même Saint-Esprit : tel est le dogme qui, dès l'origine, sépara les chrétiens
des juifs endurcis.
La piété des fidèles se tourna donc tout entière vers les divines personnes. Déjà elle les rencontrait sans cesse dans le Nouveau
Testament ; elle mit une sainte curiosité à les chercher partout dans les anciennes Écritures, et à les deviner au moindre
indice. Je n'en citerai ici qu'un exemple ; mais il est fait pour nous surprendre, et cependant un grand docteur le prend à
son compte. Il est écrit dans le récit sur Sodome : « Le Seigneur fit tomber une pluie de soufre et de feu, venant du Seigneur » (Gn. 19 ; 34).
Saint Hilaire y découvre un argument solide pour la divinité du Fils : « Par ces mots : Le Seigneur / venant du Seigneur,
l'Écriture ne différencie pas, au moyen d'un mot se référant à la Nature, ceux qu'elle avait distingués en tant que personnes.
Nous lisons en effet, dans l'Évangile : Le Père ne juge personne, mais Il a remis au Fils tout jugement (Jn. 5 ; 22).
Par conséquent, ce que le Seigneur (Père) a donné, le Seigneur (Fils) l'a reçu du Seigneur (Père) » (Hilaire de Poitiers. La Trinité.
Tome I. DDB. Coll. Les Pères dans la foi. 1981. p. 152.
Bienheureuse curiosité et merveilleuse clarté que nous ne possédons plus !
Dans l'édition DDB, une note en pied de page concernant ce passage, montre combien « nous ne possédons plus » ce génie exégétique des Pères. Voici la note : « Hilaire force le texte, qui n'affirme nullement ici la double Seigneurie du Fils et du Père ». - Cette remarque montre à quel point le commentateur se refuse à se couler dans la mentalité d'Hilaire de Poitiers. Pour Hilaire comme pour l'ensemble des Pères, l'Écriture tout entière est inspirée. Le moindre passage peut donc fournir un sens spirituel, qui vient enrichir la science théologique ou la vie intérieure. Creuser le sens du texte enrichit la connaissance que nous en avons, sachant qu'il est par définition, inépuisable - puisqu'inspiré. En niant l'inspiration du texte, on se cantonne au littéralisme.
Qu'il y a loin de notre étude sèche et un peu judaïque des saintes Écritures, à cette science à la fois
savoureuse et nourrissante qui faisait reconnaître une personne de la Trinité dans chaque mot, dans chaque ïota des saints Livres !
Le fidèle commençait déjà par leur lecture les rapports de divine intimité qui se consommeront au ciel par la vision intuitive.
Or l'intimité est une relation d'ordre personnel, puisque l'amitié est l'amour d'une personne pour une personne. Les chrétiens
contractèrent donc l'habitude de considérer immédiatement chacune des personnes divines dans son individualité subsistante. C'est
l'origine de cette visée grecque que j'ai discutée dans le premier volume de ces Études.
- CHAPITRE II -
ÉPOQUE DU SABELLIANISME
§ 1. — La théologie anténicéenne dirige ses efforts contre le sabellianisme.
L'hérésie de Sabellius fut un retour judaïque contre le dogme qui fait les chrétiens par le baptême. Cette erreur n'était pas autre chose qu'un recueillement exagéré de la Trinité dans l'unité, par la réduction des trois personnalités à n'être que les rôles successifs d'une seule et unique hypostase. II était naturel que, pour repousser cette dangereuse hérésie, l'Église s'appliquât plus que jamais à mettre en évidence la distinction réelle des personnes. Les docteurs employèrent dans ce but plusieurs moyens qui sont tous empruntés à l'Écriture, puisque la révélation seule témoigne de la Trinité. Étudions-en quelques-uns.
§ 2. — Des théophanies.
Dans le beau livre où Mgr Ginoulhiac a exposé la foi des trois premiers siècles au sujet de la Trinité,
et vengé les Pères anténicéens d'accusations trop légèrement portées, une des plus belles parties est l'étude approfondie des
théophanies. Je ne puis mieux faire que d'engager à lire ce qui est dit à ce sujet au Livre VIII, chapitres 10, 11 et 12, et au
Livre XII, chapitres 1 et 2.
En voici le résumé succinct. La généralité des docteurs anténicéens admettent que dans les apparitions divines racontées dans l'Ancien Testament,
du moins dans les plus solennelles, c'est la Personne du Fils qui s'est montrée, elle-même, et elle seule, à l'exclusion, pour ainsi dire,
des deux autres Personnes. Saint Justin, Théophile d'Antioche, saint Irénée, Tertullien, saint Cyprien, Novatien, Clément d'Alexandrie,
Origène, les Pères du premier concile d'Antioche contre Paul de Samosate :
Tous ces docteurs enseignent que c'est le Verbe qui a apparu aux hommes. La plupart vont plus loin. Ils assurent
que c'est le Verbe seul qui a apparu ; et quelques-uns même, que seul il pouvait se manifester, par opposition au Père. Nous ne connaissons,
dans les temps qui ont précédé le concile de Nicée, que Clément d'Alexandrie et Origène qui semblent avoir émis quelque doute
à cet égard.
Ginoulhiac, Hist. du dogme cath., livre XII, ch. I.
Le savant auteur explique ensuite pourquoi ces docteurs attachaient tant d'importance à cette doctrine.
Ils s'en servaient :
1° contre les païens, pour montrer que le christianisme n'était pas une religion nouvelle, mais qu'elle datait de la naissance
de l'humanité ;
2° contre les Juifs, pour les convaincre que le Messie qu'ils attendaient est un Dieu incarné, qui déjà avait été l'ange d'Israël;
3° contre les gnostiques, en prouvant que le même Dieu était l'auteur des deux testaments ;
4° contre les sabelliens, en mettant en évidence la pluralité de Personnes dont chacune est Dieu (Ibidem. Comparez avec un
passage de Didyme sur l'emploi scriptural des prépositions ex, dia... Trinité, lib. III, cap. 23. — M. XXXIX, col. 924.
Enfin Mgr. Ginoulhiac expose les trois raisons sur lesquelles les Pères appuyaient leur sentiment :
1° le récit même des théophanies dans lesquelles celui qui apparaît est tantôt appelé l'ange de Dieu, tantôt un homme, et en même
temps est appelé Dieu ;
2° l'invisibilité propre au Père qui contraste avec la visibilité de la personne qui apparaît ;
3° le plan divin qui, ayant pour but l'incarnation du Fils, était dès le commencement du monde en voie d'exécution. Le Fils de Dieu,
dit notre auteur qui s'inspire de Tertullien et de saint Irénée :
... devant se manifester un jour aux hommes et habiter parmi eux d'une manière sensible, se préparait et les préparait
eux-mêmes aux mystères de sa vie humaine, par des apparitions sensibles et passagères... Les théophànies qui sont racontées dans
les anciens livres sont les symboles, les préludes et l'essai de l'Incarnation même.
Ginoulhiac, Hist. du dogme cath., livre XII, ch. II.
Ce froid résumé suffit pour montrer combien la doctrine primitive au sujet des Théophanies est grandiose et respectable. On peut la résumer dans ces deux textes de saint Irénée :
Le Fils révèle la connaissance du Père par sa propre manifestation : c'est la connaissance du Père que cette manifestation par le
Fils car toutes choses sont manifestées par l'entremise du Verbe.
St. Irénée. Contra Haereses IV. 6, 3. / S.C. p. 420.
— Et un peu plus loin :
Depuis le commencement, le Fils, présent à l'ouvrage par Lui modelé, révèle le Père à tous ceux à qui le Père veut se révéler,
quand il le veut, et comme il le veut.
St. Irénée. Contra Haereses IV. 6, 7. / S.C. p. 422.
Ailleurs, Mgr Ginoulhiac venge la mémoire de certains Pères dont Petau a suspecté trop légèrement l'orthodoxie au sujet de l'invisibilité naturelle du Verbe divin (Id., eod. libr., c. 12, § 4). Une simple réflexion aurait dû retenir le savant helléniste dans ses appréciations si dures ; c'est que, même après que le Concile de Nicée eut proclamé la consubstantialité du Fils, la plupart des Pères les plus éminents continuèrent à soutenir la même doctrine que leurs devanciers, et à en tirer les mêmes arguments. Nous le constaterons bientôt.
Le texte complet de l'Étude de Mgr. Ginoulhiac sur les Théophanies peut être consulté en cliquant ci-dessous :
Mgr. Ginoulhiac - Les Théophanies§ 3. — Des missions divines.
Les docteurs de l'Église argumentèrent de la même façon sur les missions divines. Rien ne prouvait mieux contre Sabellius la multiplicité des Personnes que la distinction réelle entre l'Envoyant et l'Envoyé. C'est ainsi que raisonne saint Athanase dans son Livre contre les Sabelliens (la similitude entre ce Livre contre les Sabelliens et l'homélie de saint Basile contre les Anoméens (homél. 24. — M. XXXI, col. 600) a fait douter de son authenticité. Voir la critique des éditeurs. (M. XXXVIII, col. 95). Mais cette raison unique me semble insuffisante. Car, outre que les deux œuvres diffèrent assez pour être de deux auteurs diflérents, on sait combien saint Basile étudiait saint Athanase), et j'aime à citer ce docteur comme l'anneau brillant entre deux âges de l'Église. Pour montrer que le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas de simples facultés ou de pures opérations d'un Dieu unipersonnel, il écrit :
Est-ce que le Père, en envoyant le Fils, a envoyé une partie de soi ou une pure opération ? Est-ce qu'il en fut
de même du Fils, lorsqu'il envoya l'Esprit dans le monde ? Est-ce que le Fils n'a pas été envoyé par le Père ? Lui-même, il l'affirme
cependant partout ; il annonce que lui-même enverra l'Esprit, et de fait il l'a envoyé suivant sa promesse. Mais ceux qui réduisent
la Trinité à l'Unité s'efforcent d'abâtardir la Mission, aussi bien que la génération.
S. Athan. Contre les Sabelliens, § 13. — M. XXVIII, col. 117.
Arrêtons-nous un instant sur cette grande question que nous aurons plus tard à étudier avec l'ampleur
qu'elle mérite.
Par la création, Dieu établit l'ordre naturel du monde, et par la grâce il dépose dans l'homme les dons de l'ordre surnaturel.
Or il est certain que la lumière de la raison permet de remonter des créatures à leur auteur, et de connaître ainsi l'existence
et la perfection d'un Être infini. Et pourquoi la lumière de la foi ne permettrait-elle pas de remonter des bienfaits de la grâce
à leur source mystérieuse ? Les premiers chrétiens avaient cette confiance. Parce qu'ils se faisaient une très haute idée des relations
des divines personnes avec le chrétien, ils osaient chercher dans les caractères de ces relations la connaissance des relations
éternelles entre les personnes elles-mêmes.
Après tout, ce n'est qu'une application de la sentence de saint Hilaire : « Celui qui envoie montre sa puissance en Celui qu'il a envoyé »
(De Trinit., c. VIII, § 19. / DDB T. II. p. 135). Sans doute, cette sentence fait toujours loi. Mais il semble que les anciens ne
l'aient pas entourée des nombreux restrictifs qui en énervent la force.
§ 4. — Des prépositions « ex » - « dia » - « en ».
Cédant au pieux désir de retrouver dans l'Écriture les caractéristiques des personnes divines, les fidèles
s'adressèrent aux prépositions elles-mêmes. Ils n'avaient du reste qu'à se laisser guider par saint Paul qui a écrit : « Pour nous,
il n'y a qu'un seul Dieu, le Père, DE QUI tout vient et pour qui nous sommes faits, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, PAR QUI tout
existe et par qui nous sommes » (I Co. 8 ; 6) et un peu plus loin : « EN UN SEUL ESPRIT nous tous avons été baptisés pour ne former
qu'un seul corps » (12 ; 13).
- La préposition « ex » semble affectée plus spécialement à la Personne qu'on appelait Père et Dieu ;
- la préposition « dia » à la Personne qu'on appelait Fils et Seigneur ;
- la préposition « en » à la Personne qu'on appelait Saint-Esprit et Don.
Ainsi guidé, le fidèle retrouvait toute la foi de son baptême dans cette brève formule du même Apôtre : « Tout est de lui et par lui
et pour lui » (Rom. 11 ; 36).
— Le Père, DE LUI, car tout provient de la source de tout bien ;
— le Fils, PAR LUI, car tout bien nous arrive par Jésus-Christ ;
— le Saint-Esprit, EN LUI, car c'est en possédant l'Esprit que nous possédons tout bien.
Je n'ai fait là que traduire le passage par lequel saint Hilaire commence son explication de la Trinité :
- Un seul Dieu, le Père de qui tout vient ;
- et un seul Fils unique, Jésus-Christ notre Seigneur par qui tout existe ;
- et un seul Esprit, Don répandu en tous.
Tout est donc ordonné selon les puissances et les qualités des personnes divines :
- un seul Être tout-puissant de qui tout vient ;
- un seul Engendré par qui tout est ;
- un seul Don, source d'espérance parfaite.
De Trinit., c. II, § 1. / DDB T. I. p. 62.
Ces distinctions étaient si bien reconnues, que saint Athanase, dans son Livre Contre les Sabelliens, tout en unissant les trois prépositions, se défend de les confondre.
Tout est fait, dit-il, par le Père au moyen du Christ dans le Saint-Esprit. Je reconnais donc comme indivisible
l'opération du Fils et du Saint-Esprit. Mais, parce que j'enlace ainsi le « ex ou », le « di'ou » et le « en ô »,
il ne s'ensuit pas que je cherche à transformer la Trinité en simple unité.
S. Athanase, Contre les Sabelliens, §§ 12 et 13. — M. XXVIII, col. 117.
La même spécification des prépositions se retrouve dans la doxologie : « Gloire au Père par le Fils dans le Saint-Esprit ». Cette doxologie était d'antique tradition, puisque les ariens crièrent au scandale, lorsque saint Basile s'appliqua à en faire prévaloir une autre.
§ 5. — Du même sujet.
Saint Athanase resta toujours fidèle à la distinction fournie par saint Paul. Il en fit plus tard un puissant usage contre les pneumatomaques, et je cite ici ce passage, parce que notre docteur y invoque l'ancienne tradition.
Voyons, dit-il, quelle est la primitive tradition, doctrine et foi de l'Église catholique : celle que le Seigneur
a donnée, que les apôtres ont annoncée, et qu'ont gardée les Pères. Car en cette foi est le fondement même de l'Église ; quiconque en
déchoit, n'est plus véritablement et n'est plus digne d'être appelé chrétien.
Il existe donc une Trinité sainte et parfaite, adorée dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, sans rien d'étranger, sans mélange
de chose extérieure, ne consistant pas en créateur et créature, mais tout entière créatrice et démiurge. Elle est toute semblable à
elle-même, indivisible en nature, identique en opération. Car le Père par le Verbe dans l'Esprit-Saint opère toutes choses. Ainsi
demeure sauve l'unité de la Sainte Trinité. Et voilà comment dans l'Église est prêché un seul Dieu qui est « au-dessus de tous, par
tous et en tous » (Éphés. 4 ; 6).
- Au-dessus de tous, comme Père, comme principe et source ;
- par tous, c'est-à-dire, par le Verbe ;
- en tous, c'est-à-dire dans le Saint-Esprit.
[ - Remarquez comment le docteur unit les relations entre les personnes divines à leurs relations avec les créatures - ]
La Trinité n'est donc pas simplement de nom ou de distinction verbale, mais elle existe en vérité et réellement. Comme existe le Père,
ainsi existe son Verbe qui est lui aussi Dieu au-dessus de tous. Et le Saint-Esprit n'est pas sans subsistance, mais il
existe et subsiste véritablement.
- Sur ces choses l'Église catholique ne croit rien de moins, pour ne pas tomber dans le Judaïsme de Caïphe ou dans le Sabellianisme.
- Elle ne croit rien de plus pour ne pas glisser dans le polythéisme païen.
Que telle soit la foi de l'Église, on l'apprend de ce que le Seigneur, envoyant ses apôtres, leur ordonna de poser ce fondement à l'Église,
lorsqu'il leur dit : « Allez et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit ». Les apôtres
allèrent et enseignèrent de la sorte, et c'est la même prédication dans toute l'Église sous le ciel.
Tel étant le fondement de la foi catholique, que les hérétiques nous répondent et nous disent : Y a-t-il Trinité ou dualité ?
S'il y
a dualité, comptez le Saint-Esprit parmi les créatures ; mais alors vous ne croyez plus en un seul Dieu qui est «au-dessus de tous, par
tous et en tous». Car vous n'avez plus le en tous, si vous séparez et privez le Saint-Esprit de la divinité ; et le sacrement
que vous croyez administrer avec une telle conception, n'est plus opéré tout entier dans la divinité.
S. Athanase, à Sérapion, lettre I, § 28.
- CHAPITRE III -
ÉPOQUE DE L'ARIANISME
§ 1. — Caractère de l'arianisme.
Le Sabellianisme avait été un retour au « judaïsme de Caïphe », comme l'appelle saint Athanase, et pour combattre
cette hérésie, les docteurs durent s'employer à mettre en évidence la distinction des personnes divines. Le démon profita de cet état
des esprits pour susciter l'hérésie contraire, ou plutôt, pour relever le panthéon païen avec son dieu suprême et ses divinités subalternes.
On sait, en effet, que l'arianisme dérive d'une Gnose qui établissait de nombreux échelons ontologiques, intermédiaires entre le Dieu suprême
et la matière, comme si le Créateur était trop loin de sa créature pour l'atteindre immédiatement. La ruse infernale consista à renoncer
à des rêveries monstrueuses et à rejeter des fantômes démodés, pour emprunter au dogme chrétien des formules plus dignes de la raison.
Saint Augustin nous a conservé un formulaire arien, qui exprime très clairement la pensée dernière de l'hérésie (S. Augustin, Sermo
arianorum. — M. XLII, col. 677). Je donnerai plus tard cet intéressant document, et je me contente ici d'en extraire quelques propositions :
Le Fils est engendré par le Père ; l'Esprit-Saint est fait par le Fils.
Le Fils est soumis au Père ; le Saint-Esprit est soumis au Fils.
Le Père est Dieu et Seigneur à l'égard de son Fils ; le Fils est Dieu et Seigneur à l'égard de l'Esprit.
M. XLII, col. 680, 681.
Cet escalier à trois marches présentait je ne sais quelle beauté capable de séduire à la fois les orgueilleux
et les simples : — les orgueilleux philosophes, par son aspect rationnel, et sa manière de diviser en trois parties l'effort pour
passer du fini à l'infini ; — les simples fidèles, par une fallacieuse conformité avec leurs habitudes intellectuelles.
Ce dernier point de vue est pour nous le plus intéressant. L'arianisme poussait la distinction des personnes jusqu'à la séparation
des natures. Dans ce but, il abusait de tous les arguments en usage contre les Sabelliens : mission du Fils par le Père et mission
du Saint-Esprit par le Fils ; visibilité propre du Fils opposée à l'invisibilité du Père. De plus, l'hérésie acceptait ce concept
antique qui va du Père au Fils et du Fils au Saint-Esprit, et elle mettait son opiniâtreté à défendre, la formule « du Père par le
Fils dans l'Esprit-Saint », comme la seule qui exprimât la hiérarchie scripturale entre les trois personnes. On les compte, disaient-ils,
l'une après l'autre. Elles procèdent l'une de l'autre, le Fils du Père, le Saint-Esprit du Fils. Mais à ces paroles orthodoxes, ils
ajoutaient sournoisement un mot qui contenait toute l'hérésie : Non en les connumérant, mais en les subnumérant. C'était prendre
la ligne droite, suivant laquelle les catholiques concevaient les processions divines, pour la briser et en faire une échelle à
trois marches descendantes.
§ 2. — Hérésie des pnaumatomaques.
La lutte s'engagea d'abord sur la personne du Fils avec une telle véhémence, qu'on laissa de côté, pour
ainsi dire, la question du Saint-Esprit, et que le concile de Nicée se contenta d'affirmer contre les Sabelliens la subsistance propre
de la troisième Personne, en enregistrant dans son symbole les mots : et en l'Esprit-Saint. Mais lorsque la foi dans la
consubstantialité du Fils eut triomphé par cette victoire décisive, les fuyards allèrent reformer leurs rangs sur un terrain qui
leur semblait moins gardé. Ariens cachés qui attaquaient la divinité du Saint-Esprit pour battre en brèche la divinité du Fils par
un tir oblique ; semi-ariens qui avaient reconnu l'homoousios sous la menace des anathèmes, mais qui conservaient dans leur
esprit le ferment de la gnose ; ignorants, qui étaient orthodoxes au sujet du Fils, mais dont l'esprit borné était accessible
aux sophismes : le camp des adversaires du Saint-Esprit se reforma nombreux.
Les Pères du quatrième siècle eurent donc successivement deux sortes d'ennemis à combattre : Ceux qui n'admettaient qu'une seule
personne vraiment divine, sont connus sous les noms d'ariens, d'anoméens, d'eunomiens ; ceux qui, admettant la divinité du Fils,
s'obstinaient à nier celle du Saint-Esprit, sont désignés sous les noms de pneumatomaques ou de macédoniens.
§ 3. — Méthode générale de réfutation.
Saint Athanase dirigea la polémique orthodoxe, et servit de guide à tous les docteurs qui vinrent après lui.
Il employa successivement contre les ariens et les pneumatomaques une méthode très simple et très concluante. Contre les ariens
d'abord, il montra par l'Écriture que le Fils possède tous les caractères de Dieu, et que, par conséquent, il est « consubstantiel » à
Dieu le Père. Contre les ennemis du Saint-Esprit, notre docteur employa exactement le même procédé. Sans doute, connaissant par
l'expérience du mot homoousios les chicanes qu'on peut soulever au sujet d'un terme nouveau, notre docteur évite de donner
au Saint-Esprit le titre de Dieu qui ne lui est pas appliqué formellement dans l'Écriture. Mais il prouve surabondamment par les
textes sacrés qu'il possède tous les attributs de la divinité.
Il est le souffle de Dieu, donc il n'est pas une créature ; il est sanctificateur, donc sa nature est divine ; c'est par lui que Dieu
crée, donc il n'est pas créé ; il est immuable, donc il n'a pas commencé d'être (S. Athanase, Première à Sérapion, §§ 22 et
seqq.).
Inutile de déclarer que cette voie dogmatique, si droite et si simple, a été suivie par tous les Pères qui ont combattu pour le
Fils et pour le Saint-Esprit.
§ 4. — Saint Athanase docteur de la Trinité.
Mais là où Saint Athanase fit un coup de maître, c'est lorsqu'il enseigna à écraser d'un seul coup toutes
les hérésies de son temps par la prédication en bloc de toute la Trinité. Rien de créé, dit-il, ne peut être rangé dans la Trinité,
« car tout entière, elle est un seul Dieu (S. Athanase, Première à Sérapion, § 17).
Saint Grégoire de Nazianze qui, plus que tout autre, pratiqua cette méthode, admire combien elle répondait aux besoins du temps,
et ne craint pas de l'attribuer à une sorte d'inspiration divine. Voici comment il s'exprime dans son panégyrique de saint Athanase :
Parmi les chrétiens - dit-il - il y avait trois camps. Beaucoup avaient une foi infirme à l'égard du Fils,
un plus grand nombre encore à l'égard du Saint-Esprit ; et cette moindre impiété était presque considérée comme une piété, si rares
étaient ceux qui eussent une foi saine à l'égard de tous les deux. Athanase, le premier et presque le seul, ou du moins accompagné
d'un bien petit groupe, osa déclarer la vérité clairement et nettement, lorsqu'il professa dans ses écrits l'unique divinité et substance
des trois Personnes. Avant lui, la lumière avait été accordée à nombre de docteurs à l'égard du Fils ; mais, par une inspiration divine,
la même lumière fut accordée à Athanase à l'égard du Saint-Esprit.
S. Grégoire de Nazianze, Panégyrique de S. Athanase, orat. XXI. § 23.
§ 5. — Texte sur la Trinité.
Saint Athanase écrit à Sérapion :
La Trinité est indivisible. La divinité est une. Un seul Dieu sur tous, par tous, en tous. Telle est la foi de
l'Église catholique. Car le Seigneur l'a fondée et enracinée dans la Trinité, lorsqu'il a dit à ses apôtres : « enseignez toutes les
nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. — Si le Saint-Esprit était une créature, il ne l'aurait pas
rangé avec le Père, pour ne pas faire une Trinité hétérogène, par le mélange d'un élément étranger. Est-ce qu'il manque quelque
chose à Dieu pour qu'il s'adjoigne une substance étrangère avec laquelle il se fasse adorer ? Blasphème ! Il n'en est pas ainsi.
« le Seigneur seul sera exalté », a-t-il dit lui-même (Isaïe, 2 ; 11)... La Trinité existe, et la foi croit dans la Trinité ;
que les hérétiques nous disent donc si la Trinité exista toujours, ou s'il fut un temps où elle n'était pas. Or, si la Trinité est
éternelle, l'Esprit n'est pas une créature, mais il fut éternellement avec le Logos et dans le Logos.
S. Grégoire de Nazianze, À Sérapion, lettre III, §§ 6 et 7. — M. XXV, col. 633.
Quelle argumentation écrasante ! S'appuyer sur l'antique foi en la Trinité, pour établir que le Saint-Esprit
est Dieu, c'est là une méthode courte et décisive. Aussi tous les docteurs qui vinrent après saint Athanase, firent-ils usage de cet
invincible argument.
Cette méthode doit intéresser par un autre côté. Par là même qu'elle s'attache à ce qui est un et commun aux trois personnes divines,
elle habitue la pensée à considérer la Nature immédiatement in recto. C'est là une préparation à la visée latine telle
que je l'ai exposée dans le premier volume de ces Études. Mais, pour bien comprendre l'origine et les progrès de cette dernière
théorie, il est nécessaire de distinguer en Orient deux courants théologiques qu'on désigne sous les noms d'école d'Alexandrie et
d'école d'Àntioche.
§ 6. — École d'Alexandrie.
L'école d'Alexandrie peut réclamer pour ancêtres les premiers philosophes apologistes, tels que les Justin
et les Athénagore; car elle accepta leur philosophie et leurs méthodes. De bonne heure, elle fut constituée par les évêques
d'Alexandrie en un corps enseignant connu sous le titre du « Didascalion », et parmi ses premiers maîtres, on compte les Pantène,
les Clément et les Origène.
Le Didascalion servit de berceau à la science catholique, et sa gloire n'a pu être obscurcie par quelques opinions fausses
ou téméraires que l'Église a dû condamner. Son influence fut universelle. Pour l'Orient, personne ne le conteste ; pour l'Occident,
les preuves abondent. Saint Irénée venait d'Orient, et sa profonde connaissance des hérésies orientales ne permet pas de douter
qu'il n'ait étudié leurs réfutations dans les docteurs alexandrins. Saint Hilaire, au rapport de saint Jérôme (S. Hieronym.,
Ad Marcellum, epist. 34, § 5. — M.XXII, col. 449), se servait des travaux d'Origène pour l'interprétation des Écritures.
Lui-même puisait largement à la même source, et pour présenter au monde latin une doctrine complète sur le Saint-Esprit, il ne
trouva rien de mieux que de traduire le traité de l'alexandrin Didyme.
Je n'ai point à m'arrêter longtemps sur cette école qui a été sérieusement étudiée dans ces derniers temps. Son caractère général
est la hardiesse et la sublimité de vues. Il semble que la venue du Logos incarné ait rendu à la raison une confiance qu'elle
avait perdue dans les observations des sophistes. Non seulement l'intelligence s'exerce à distinguer et à défendre les dogmes,
mais encore elle ose en essayer la théorie rationnelle, c'est-à-dire en montrer la convenance avec la philosophie la plus élevée.
Ces mêmes caractères se manifestent en exégèse. La raison entreprend sagement une révision critique des Livres saints ; mais ensuite,
elle se met à l'aise pour juger dans quels cas le texte sacré doit s'entendre à la lettre ou dans un sens allégorique.
Ces choses sont assez connues ; toutefois je veux attirer l'attention du lecteur sur l'honneur et le respect auxquels a droit le
Didascalion. Nous sommes en présence d'une université, c'est-à-dire, d'un corps constitué, vivant d'une tradition qui se maintient
en se perfectionnant. Or l'école d'Alexandrie se présente comme un arbre dont les racines plongent dans les temps apostoliques et sont
baignées par le sang des martyrs. Sa sève est donc cette haute doctrine que les premiers chrétiens avaient puisée directement dans les
enseignements des apôtres. De là provient la haute « mystique » d'Alexandrie, et j'entends par ce mot l'exposition des réalités surnaturelles.
Sa sève, encore, est la foi dans l'immanence du Christ au milieu de l'Église, comme les martyrs l'avaient senti en eux-mêmes sous les
fouets des bourreaux. De là provient cette sublime « christologie », dont nous sommes bien loin, après tant de siècles, d'avoir épuisé
les richesses.
Voilà, certes, de quoi inspirer le respect pour le Didascalion. Il a, de plus, cette constance de doctrine qui fait la gloire
d'une université. Son enseignement, tout en se perfectionnant, garde toujours les mêmes fondements et les mêmes méthodes. Les hérésies
varient comme l'erreur; le Didascalion les réfute successivement, en leur opposant constamment la même doctrine, qui se poursuit
dans Origène contre les gnostiques, dans saint Denis (« Denis fut le disciple le plus remarquable d'Origène » S. Hieronym., de Viris
illustr.,illustr., c. LXIX) contre les sabelliens, dans saint Athanase contre les ariens, dans saint Cyrille contre les nestoriens.
Tel est la grandeur du Didascalion grec, qui ne le cède point en majesté à la scolastique latine.
§ 7. — École d'Antioche.
L'École d'Antioche ne produit pas des titres de si haute antiquité, et n'offre point l'aspect d'une université
constituée. À vrai dire, le nom d'École lui est donné surtout pour opposer aux enseignements du Didascalion une certaine tendance
qui régnait en Asie mineure, et qui se transmettait par l'enseignement des monastères.
Il semble que cette tendance soit due à une réaction contre l'abus des allégories qu'on reprochait à l'exégèse alexandrine. On s'attacha
donc spécialement au sens littéral de l'Écriture, pour le déterminer par les règles d'une critique plus respectueuse.
Lorsque les rhéteurs s'emparèrent de l'arianisme comme d'une matière à dialectique, le rôle de la nouvelle école grandit aussitôt.
C'est le temps où les querelles sur un texte, sur une formule, sur un mot, deviennent à la mode dans une civilisation qui mérite
déjà son titre de « byzantine ». Pour être le héros du jour, et pour mériter les faveurs du prince, il suffit d'un nouveau dilemme
jeté en circulation dans l'hippodrome, ou d'un sophisme présenté sous une forme rajeunie dans un cercle de dames oisives. Que faut-il
pour s'opposer à cette débauche intellectuelle ? de grands mystiques développant les beautés mystiques ? de sublimes philosophes
planant dans les hautes régions de la métaphysique platonicienne ? — II faut des hommes de raison calme, de discours prudents,
d'affirmations certaines. Il faut des hommes rompus dans la dialectique d'Aristote, pour dénoncer les sophismes les plus embrouillés.
Tels sont les défenseurs de la foi qu'on rattache, par leur formation ou par leurs œuvres, à l'école d'Antioche.
Cette école rendit de grands services à la foi pendant les luttes de l'arianisme. En même temps, elle purgea la dogmatique de toutes
les erreurs et exagérations d'Origène. Mais, à force de s'en tenir à la froide raison, les intelligences se rétrécirent.
Les habitudes d'analyses humaines rendirent moins aptes à comprendre les synthèses divines. C'est dans l'école d'Antioche que
le nestorianisme rencontra son berceau, et sa rivale prit sa revanche par l'organe de saint Cyrille d'Alexandrie.
§ 8. — Docteurs de chaque école.
En général, les classifications ont ce défaut que les séparations y sont plus grandes que dans la réalité
des choses. Cette remarque nous fait prévoir que nous pourrons rencontrer dans un même docteur des considérations que nous avons
rangées dans des cadres logiques différents. Cependant il était utile de signaler les deux méthodes, pour qu'on reconnût aisément
dans chaque docteur l'allure générale de la pensée.
Saint Athanase, Didyme dans son livre sur le Saint-Esprit, saint Cyrille, demeurent absolument fidèles à l'école d'Alexandrie
dans laquelle ils ont été élevés. De plus il faut y ranger saint Hilaire. Les deux astres les plus brillants de l'école d'Antioche
sont - pour le dogme, saint Grégoire de Nazianze - pour l'exégèse, saint Jean Chrysostome. Mais ceux qui représentent le mieux
tout l'esprit de cette école sont saint Épiphane et l'auteur des livres sur la Trinité, attribués à Didyme. Quant à saint Basile
et à son frère, ils exploitent les deux méthodes avec une grande indépendance.
Les chapitres suivants, en entrant dans les détails, feront mieux apprécier les généralités précédentes.
- CHAPITRE IV -
ÉCOLE D'ALEXANDRIE
- ARTICLE I -
Des opérations extérieures divines.
§ 1. — Rôles personnels dans une même opération.
J'ai rappelé plus haut comment les premiers chrétiens faisaient intervenir formellement chacune des trois personnes dans toutes les opérations extérieures de la divinité. La création provient de toutes les trois, parce que chacune crée. De plus la création est unique parce qu'elle est le terme d'un même et unique mouvement créateur. Le diagramme en ligne droite des processions manifeste cette unité d'opération, en même temps qu'il indique le rôle de chaque personne. En effet, tout mouvement part du Père, passe par le Fils, et va au Saint-Esprit. Il en résulte que Dieu le Père ne peut agir à l'extérieur, sans passer par son Fils et par son Esprit, et c'est le sens de cette maxime de saint Damascène : « Aucun essor sans l'Esprit ».
§ 2. — Saint Athanase.
Saint Athanase nous fournirait un grand nombre de passages où cette doctrine est enseignée ou supposée.
Je me contenterai de deux textes dans lesquels la raison de l'unité d'opération est fournie par les relations de procession.
Pour démontrer que le Saint-Esprit est créateur, saint Athanase écrit dans sa première lettre à Sérapion :
Comment, sans faire injure au Fils lui-même, pourrait-on appeler « créature » celui qui est uni au Fils comme le
Fils est uni au Père, qui est glorifié avec le Père et le Fils, dont le dogme est contenu dans le dogme du Fils, et qui fait tout
ce que le Père fait par le Fils. Car rien qui n'existe et ne soit opéré par le Fils dans l'Esprit. C'est ainsi qu'il est écrit
dans les Psaumes : « Par le Verbe de Dieu les Cieux sont affermis, et par l'Esprit de sa bouche, toute leur puissance » (Ps. 32 ; 6)); et dans le
psaume 147 (v. 18) : « Il envoie sa parole et fait fondre, Il souffle son vent, et les eaux coulent ».
S. Athanase, ad Serap., epist. I, § 31).
Saint Athanase résume ce développement dans sa troisième lettre à Sérapion :
Il est évident que l'Esprit n'est pas une créature, mais qu'il est dans l'acte créateur. Car le Père par le Verbe
dans l'Esprit crée toutes choses, puisque là où est le Verbe, là aussi est l'Esprit. Aussi tout ce qui a été créé par le Verbe
obtient de l'Esprit par le Verbe la force d'être.
S. Athanase, ad Serap., epist. III, § 5.
§ 3. — Saint Basile.
Dans le chef-d'œuvre qui est comme le testament de saint Basile, nous retrouvons la même manière de voir. Réfutant les hérétiques qui interprétaient dans un sens servile le texte « par qui tout » [par qui et pour qui sont toutes choses (Hb. 2 ; 10)], il montre que cette préposition signale la procession en vertu de laquelle le Fils a reçu tous les biens paternels (S. Basile, de Spiritu sancto, § 19 / S.C. 17bis. p. 315).
De toutes manières la vérité apparaît manifestement. Dire que le Père crée par le Fils, ce n'est point estimer
imparfaite la création du Père, déclarer débile l'opération du Fils ; mais c'est affirmer l'union de volonté. Ainsi le mot par qui
contient la confession du principe primordial [cause principielle], et ne doit point être prise pour insulter la cause efficiente.
S. Basile, de Spiritu sancto, § 21 / S.C. 17bis. p. 321.
Plus loin, saint Basile s'explique dans un beau passage que j'ai reproduit ailleurs, et dont je ne rappelle ici que les phrases les plus importantes :
Dans la création des anges, dit-il, conçois la cause primordiale, c'est le Père ; la cause créatrice, c'est le Fils ;
la cause perfectionnante, c'est l'Esprit... Un seul Principe des êtres, créant par le Fils, et perfectionnant dans l'Esprit.
Ce n'est point que le Père, qui opère tout en toutes choses, ait une opération imparfaite ; ni que le Fils passe au Saint-Esprit
une création inachevée. Ce n'est pas que le Père ait eu besoin du Fils, puisqu'il lui suffit de vouloir pour agir ; mais néanmoins
il veut par le Fils. Ce n'est pas non plus que le Fils ait eu besoin de coopération, puisqu'il agit à la similitude du Père ; mais
le Fils, lui aussi, veut perfectionner par l'Esprit... Le chiffre trois te vient donc à l'esprit : le Seigneur prescrivant, le Logos créant,
l'Esprit consolidant.
S. Basile, de Spiritu sancto, § 38 / S.C. 17bis. p. 379 - 381.
Observons comment cette antique conception place toutes choses en relation immédiate, non point avec un Dieu philosophique agissant en vertu de je ne sais quelle subsistance absolue, mais bien avec les trois personnes de la Trinité. Toutes les trois accomplissent la même œuvre par un même pouvoir et une identique opération. Et cependant, chacune, par sa manière d'être personnelle, - tropô huparxeôs - détermine un caractère de cette commune opération. On dirait de trois orifices déversant le même jet liquide, mais lui communiquant, chacun, quelque chose de sa forme, pour employer une expression de Tertullien (« Ils sont Trois, non selon la substance, mais selon la forme » Tertullien adv. Praxeam, c. 2.) et de saint Basile (S. Bas., adv. Eunom., lib. II, § 28).
§ 4. — Saint Cyrille.
La difficulté d'exprimer le rôle distinct des personnes dans l'opération commune contraint à employer des
verbes différents qui semblent multiplier les actions. Ainsi en est-il dans le texte précédent, et, par conséquent, ces mots ont besoin
de correctifs. Saint Cyrille d'Alexandrie, profitant des discussions passées, a vu cette difficulté, et il en a triomphé d'une
manière très heureuse et très profonde.
Dans ses Dialogues sur la Trinité, il en vient à la puissance créatrice du Fils.
Le Fils, dit-il, bien qu'il soit consubstantiel au Père, s'en distingue hypostatiquement. Comment donc, si le Père produit toutes
choses, comment le Verbe est-il le créateur universel ? Je désire le savoir, répond l'interlocuteur. Explique-le-moi.
Je le ferai volontiers - reprend saint Cyrille - mais la raison est subtile et limée jusqu'à la finesse.
Dans la sainte et consubstantielle Trinité, l'unité de la nature divine est une vérité confessée par nous et par les saints Anges.
En outre, suivant sa propre hypostase le Père est absolument parfait, et il en est de même du Fils et de l'Esprit. La volonté créatrice
de l'un quelconque des trois est son action propre, bien qu'elle coure par toute la divinité ; réciproquement, l'opération de la
substance incréée est une sorte de chose commune bien qu'elle convienne proprement à chaque personne, de telle sorte que ce soit grâce
aux trois hypostases que l'opération convienne individuellement à chacune comme la propriété d'une personne parfaite.
- Donc le Père opère, mais par le Fils dans l'Esprit.
- Le Fils opère aussi, mais comme la puissance du Père, en tant qu'il est de lui et en lui suivant sa propre hypostase.
- L'Esprit opère lui aussi; car il est l'Esprit du Père et du Fils, Esprit tout-puissant.
Votre explication, répond l'interlocuteur, n'est pas accessible à tous. Cependant elle repose sur la vérité.
S. Cyrille, de SS. Trlnitate, dialog. VI. — M. LXXV, col. 1053.
Et un peu plus loin, revenant sur le même sujet :
Rappele-toi ce que nous venons de dire au sujet de la sainte et consubstantielle Trinité. Je disais que les trois
hypostases subsistant à la fois distinctes et unies dans l'unique nature divine, l'opération d'une personne doit être rapportée
à toute la substance et à chaque hypostase individuellement. Car la substance agit tout entière dans toutes et dans chacune.
Par conséquent, lorsque Dieu le Père veut créer quelque chose, le Fils n'est pas désœuvré ; et si le Fils opère quelque chose,
le Père ne demeure pas oisif, puisque Dieu est Un et Créateur. Chacun d'eux doit être conçu dans l'autre, et il y est véritablement
par l'identité et la consubstantialité, bien qu'on doive les concevoir distincts dans leurs subsistances et personnalités
individuelles.
S. Cyrille, de SS. Trinitate, dialog. VI. — M. LXXV, col. 1057.
Admirable explication qui équilibre l'Unité et la Trinité comme sur les deux plateaux d'une balance. Chaque personne possède toute la Nature divine, et opère à son gré comme si elle était seule à contenir toute la substance suprême. Mais il ne se peut qu'elle ébranle cette substance, sans que les autres personnes n'agissent, puisqu'il y a identité naturelle et consubstantialilé. Il y a plus : cette communauté d'action résulte avant tout des relations personnelles et de la circumincession. Car le Fort ne peut agir sans sa Force, et la Force ne peut agir que dans le Fort (on avouera, je pense, qu'il y a loin de cette doctrine à la doctrine sur Dieu personis praeintellectus, comme la comprennent Cajetan et Billuart).
- ARTICLE II -
Des théophanies.
§ 1. — Concile de Sirmium.
L'attribution au Fils des apparitions divines était d'un si grand secours contre le sabellianisme, qu'on s'explique l'universalité de cette doctrine avant l'arianisme. Elle fut même élevée à l'état de dogme dans le concile tenu à Sirmium en 351 contre Photin. Saint Hilaire, qui défend l'orthodoxie de cette assemblée, nous en a conservé les canons, parmi lesquels nous lisons les anathèmes suivants :
14. Si quelqu'un dit à propos de Faisons l'homme (Gn 1, 26) que cette parole n'a pas été dite par le Père au Fils,
mais que Dieu se serait parlé à luimême, qu'il soit anathème.
15. Si quelqu'un devait dire que ce n'est pas le Fils qui a été vu par Abraham (Gn 18, 1-22), mais le Dieu Inengendré ou une
partie de celui-ci, qu'il soit anathème.
16. Si quelqu'un devait dire que ce n'est pas le Fils qui, comme un homme, a lutté avec Jacob (Gn 32, 25-31), mais le Dieu inengendré
ou une partie de celui-ci, qu'il soit anathème.
17. Si quelqu'un ne devait pas interpréter : Le Seigneur fit pleuvoir du feu du Seigneur (Gn 19, 24) du Père et du Fils, mais
dit qu'il [le Seigneur] a fait pleuvoir de lui-même, qu'il soit anathème, car le Fils Seigneur fit pleuvoir du Père Seigneur.
Et saint Hilaire montre qu'il approuve explicitement ces anathèmes, en son livre de Synodis, aux §§ 49 et 50.
§ 2. — Nouvelle situation créée par l'arianisme.
L'arianisme modifia l'état des esprits et la direction de la polémique. Il ne s'agissait plus de distinguer
les personnes divines, mais bien de les réunir dans la consubstantialité.
Or les ariens prétendirent s'appuyer sur les théophanies pour séparer la Nature du Fils et la Nature du Père. Pourquoi, disaient-ils,
le Fils est-il le seul qui ait apparu aux patriarches, sinon parce qu'il est de Nature visible, tandis que le Père est de Nature
invisible ? Cette objection entraîna quelques docteurs à remanier la théorie des théophanies, comme je le dirai plus tard.
Mais la grande majorité des orthodoxes resta fidèle à l'ancienne tradition, et l'on peut en voir dans Petau la liste qui va jusqu'à
saint Léon le Grand et saint Isidore de Séville (Petau, de Trinitate, lib. VIII, c. 2). Non seulement, les Pères ne
rejetèrent pas l'arme qu'ils avaient maniée contre Sabellius, mais ils la tournèrent contre Arius, et s'en servirent comme d'une
épée à deux tranchants pour terrasser à la fois les deux hérésies contraires.
§ 3. — Saint Hilaire.
Citons d'abord le docteur de Poitiers dont la doctrine est si conforme à celle de saint Athanase. Saint Hilairc est tellement pénétré de l'antique tradition que tout le Ve livre de son traité de la Trinité est consacré à la développer, et à montrer comment, par ses apparitions personnelles, le Fils préparait les hommes à sa naissance future.
Il se fit voir - dit-il - sous la loi ; mais, si Dieu apparaissait sous forme humaine, il ne naissait pas encore.
Bientôt il devint en naissant ce qu'il s'était montré. Et c'est ainsi qu'en habituant à contempler la forme visible qu'il devait
prendre, il familiarisait à croire sa naissance. D'abord il prenait une apparence humaine pour se rendre sensible à l'infirmité
de notre Nature. Plus tard, dans l'infirmité d'une Nature nouvelle il naît tel qu'il s'était montré. L'ombre prend corps,
l'apparence devient vérité, l'apparition est une réalité.
S. Hilairc, de Trinitate, lib. V, § 17.
Qu'on lise toutes ces pages éloquentes, mais qu'on retienne l'avertissement suivant : Si l'on n'est pas
d'abord convaincu que, pour le docteur de Poitiers, le rôle personnel du Fils dans les théophanies est une sorte de vérité dogmatique,
toutes ces pages perdent leur flamme, tous ces arguments se réduisent à des jeux d'esprit indignes d'un tel caractère et d'un tel génie.
Sa conviction éclate dans un passage que je choisis entre plusieurs.
Rapprochant la vision d'Isaïe et le texte de saint Jean : Dieu, personne ne l'a jamais vu, il les emploie à convaincre les
hérétiques qu'il y a en Dieu deux personnes distinctes, puis il ajoute :
La prophétie parle, l'Évangile atteste, l'Apôtre interprète, l'Église confesse que celui qui a été vu est
le vrai Dieu, et cependant personne n'accorde que le Père ait été vu. Mais la fureur hérétique en est venue à ce degré de folie
qu'elle nie au même temps qu'elle semble confesser.
S. Hilairc, de Trinitate, lib. V, § 34.
§ 4. — Saint Ambroise.
Je ne puis quitter les Pères latins sans rapporter un beau passage du docteur de Milan. Dans son traité
de la Foi, il prouve la divinité du Fils par ces paroles du Père : Celui-ci est mon Fils, le jour de la Transfiguration.
Voilà pourquoi il a dit : Celui-ci est mon Fils. Il n'a pas dit : c'est mon Fils dans le temps. Il n'a pas dit : c'est
ma créature, c'est mon œuvre, c'est mon serviteur. Mais il a dit : Celui-ci est mon Fils que vous voyez dans la gloire. Celui-ci est le
Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob, celui qui a apparu dans le buisson ardent et de qui Moïse a dit : Celui qui Est
m'a envoyé. Ce n'est pas le Père qui était dans le buisson. Ce n'est pas le Père qui était dans le désert ; mais c'est le Fils qui a
parlé à Moïse. Enfin, c'est du Fils qu'Étienne a dit : C'est Lui qui, lors de l'assemblée [Église] au désert, était avec l'Ange
qui Lui parlait sur le Mont Sinaï (Actes 7 ; 38)). C'est donc Lui qui a donné la Loi, Lui-même qui a parlé à Moïse, en disant : Je Suis
le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob. Il est donc le Dieu des patriarches, Il est le Dieu des prophètes.
S. Ambroise, de Fide, lib. I, c. XIII.
§ 5. — Saint Athanase.
Revenons maintenant aux pères orientaux. Personne n'a su mieux que saint Athanase tirer parti des théophanies pour défendre le homoousios.
Ce que le Père donne - écrit-il - le Fils le donne, et cette identique donation démontre l'unité du Père et du Fils...
Car c'est par le Fils que sont donnés tous les dons, il n'est rien que le Père n'accomplisse par son Fils.
S. Athanase, Contr. Arianos, orat. III, § 12.
Voilà ce que Jacob comprenait, lorsqu'il disait dans ses bénédictions suprêmes : Que l'Ange qui m'a sauvé de tout mal, bénisse ces enfants (Gn. 48 ; 16).
En disant : qui m'a sauvé de tout mal, il montrait qu'il entendait, non pas un ange créé, mais le Verbe de
Dieu qu'il unissait au Père dans sa prière, et par qui Dieu délivre tous ceux qu'il veut. Car, sachant que le Verbe est appelé
l'Ange du Grand Conseil du Père, il affirmait que pas un autre que lui ne l'avait béni et tiré des maux. En effet, il ne prétendait
pas être lui-même béni par Dieu, et se contenter de la bénédiction d'un Ange pour ses enfants. Mais celui qu'il avait prié en disant :
je ne te lâcherai pas, que tu ne m'aies béni (Gn. 32 ; 27) - (et c'était bien Dieu lui-même comme il l'atteste : j'ai vu
Dieu face à face - Gn. 32 ; 31), c'est celui-là même dont il demande la bénédiction pour les fils de Joseph.
Ibid.
Un peu plus loin, résumant sa discussion, saint Athanase reprend :
S'il n'est pas d'un autre que de Dieu, de bénir et délivrer - si personne d'autre n'a délivré Jacob - que le Seigneur
lui-même, et si le patriarche a invoqué sur ses enfants Celui qui l'avait délivré ; il est évident que, dans sa prière, il n'a pas
joint à Dieu un autre que le Verbe - ce Verbe qu'il a appelé Ange parce que le Verbe est le seul qui manifeste le Père... Ce que la lumière
éclaire, la splendeur l'illumine ; et ce qu'illumine la splendeur, est éclairé par la lumière. De même, lorsque le Fils est vu, le
Père est vu, puisque le Fils est la splendeur du Père, et c'est ainsi que le Père et le Fils sont un.
S. Athanase, Contr. Arianos, orat. III, § 13.
§ 6. — Importance de ce témoignage.
Ce témoignage de saint Athanase est d'autant plus important que ce docteur argumente ici contre de rusés adversaires auxquels il ne faut laisser aucun subterfuge. Il revient donc encore sur ces théophanies, et il les distingue par le récit biblique des simples apparitions angéliques.
Lorsqu'un ange apparaît, personne ne dira que Dieu s'est fait voir... Le voyant connaît dans une apparition
angélique qu'il voit un ange et non pas Dieu. Zacharie vit un ange, mais Isaïe vit le Seigneur. Manué, père de Samson, vit un ange,
mais Moïse contemple Dieu. Gédéon vit un ange, mais Dieu apparut à Abraham. Personne, voyant Dieu, ne croit voir un ange, et
personne, voyant un ange, ne se figure voir Dieu. Car c'est du tout au tout que la créature diffère du Dieu créateur.
S. Athanase, Contr. Arianos, orat. III, § 14.
Saint Athanase ne s'en tient pas là, mais il prévient une nouvelle objection. « Quelquefois, dit-il, un ange apparaissait, mais le voyant entendait la voix de Dieu, comme il arriva pour le buisson ardent. L'ange du Seigneur apparut du buisson dans une flamme de feu ; et le Seigneur appela du buisson Moïse, en disant : JE SUIS le Dieu de ton père, le Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. Or le Dieu d'Abraham n'était pas l'ange, mais Dieu parlant dans l'ange. L'ange apparaissait, mais Dieu parlait en lui. De même que dans le tabernacle, il parla à Moïse dans la colonne lumineuse, de même Dieu se manifeste en parlant dans les anges ; c'est ainsi qu'il parla à Josué par un ange.
Or, lorsque Dieu parle, il est trop évident qu'il parle par sa Parole, et non par un autre. Parole qui n'est pas
séparée du Père, qui n'est pas étrangère à la substance du Père. Tout ce qu'elle opère est l'œuvre même du Père dans une unique
création, et tout ce que donne le Fils est donné par le Père lui-même. Celui qui voit le Fils, connaît qu'il le voit, lui et
non un ange, ou un archange, ou une créature quelconque, et qu'il voit le Père lui-même ; et celui qui entend le Fils connaît qu'il
entend le Père ; de la même façon que celui qui est illuminé par la splendeur, sait qu'il est éclairé par le soleil.
S. Athanase, Contr. Arianos, orat. III, § 14.
Résumons cette argumentation de saint Athanase. Dans les théophanies, on doit distinguer deux choses : le
personnage apparaissant et le mode de l'apparition.
Que Dieu ne puisse se faire voir par des yeux charnels dans sa Nature invisible, c'est là un présupposé sur lequel il n'y a pas à
insister. Il faut donc un fantôme qui frappe les sens. Que ce fantôme soit produit par un ange ou par Dieu lui-même , qu'il consiste
dans une substance matérielle ou dans une simple espèce et apparence, la question importe peu. Le seul point capital est de
savoir quel est le personnage qui se montre sous ces voiles. Or, saint Athanase l'affirme sans ambages, c'est formellement la
seconde Personne et non pas un autre, c'est le Fils qui est l'Ange parce qu'il manifeste le Père.
§ 7. — Saint Cyrille de Jérusalem.
On sait que cet illustre docteur s'était imposé d'enseigner le dogme, en s'en tenant strictement aux
formules scripturales, à ce point qu'on lui a fait un crime de n'avoir pas employé le mot : homoousios. Or voici comment
il comprend les théophanies.
Au sujet de la célèbre vision d'Isaïe : Je vis le Seigneur assis sur un trône élevé (Isaïe, 6, 1) l'évêque catéchiste dit :
Personne n'a jamais vu le Père : Dieu, nul ne l'a jamais vu ; celui qui a apparu au prophète est le Fils.
S. Cyrille de Jérusal., catech. XIV, § 27.
Ailleurs argumentant contre les Juifs à la façon de saint Hilaire, et distinguant entre la Nature invisible de Dieu et la forme visible de l'opération, il dit :
C'est le Seigneur lui-même qui a apparu à Moïse, autant qu'il était possible à celui-ci de le voir. Car le Seigneur est
toujours ami des hommes, toujours condescendant à leur faiblesse.
S. Cyrille de Jérusal., catech. X, § 6.
Il insiste beaucoup sur cette apparition :
Garde bien contre les Juifs, - enseigne-t-il à son peuple, ce que je vais dire. Notre but est de montrer que le
Seigneur Jésus-Christ a toujours été avec le Père. Le Seigneur dit donc à Moïse : Je ferai passer devant toi toute ma splendeur
et prononcerai devant toi le Nom du Seigneur (Exode, 33 ; 19). Étant le Seigneur, quel Seigneur appelle-t-il ? Vois comment sous une
forme voilée il enseigne la sainte doctrine au sujet du Père et du Fils.
S. Cyrille de Jérusal., catech. X, § 8.
Saint Cyrille fait ici allusion au raisonnement que Notre-Seigneur lui-même a fait aux pharisiens à propos du texte de David : Le Seigneur dit à mon Seigneur. Cette simple remarque doit rendre prudent ceux qui seraient tentés de critiquer certains arguments des Pères.
§ 8. — Saint Basile.
Ce grave et prudent Docteur emploie dans son livre contre Eunome la méthode mise en usage quelques années auparavant par saint Athanase dans ses discours contre les ariens. Il s'est évidemment inspiré de celui-ci puisqu'il la reproduit presque dans les mêmes termes. Citons tout ce passage, qui confirme l'autorité d'Athanase par celle de Basile. Pour démontrer que le Verbe n'a pas commencé d'être, il écrit :
Nous trouvons que le Verbe a déclaré sa propre éternité dans sa réponse à Moïse. Il s'est nommé l'Être,
lorsqu'il a dit : JE SUIS Celui qui suis. Personne ne niera que ces paroles aient été dites par la personne même du Seigneur,
à moins qu'en lisant Moïse, il n'ait le cœur enveloppé du voile judaïque. En effet, il est écrit que l'ange du Seigneur a
apparu à Moïse sur le buisson dans le feu de la flamme. Or l'Écriture, après avoir parlé d'un ange, fait intervenir la voix de Dieu.
Dieu dit à Moïse : JE SUIS le Dieu de ton père, le Dieu d'Abraham (Exode 3 ; 6), et un peu après : JE SUIS Celui qui suis (Ex.3 ; 14).
Est-ce qu'il ne s'agit pas ici de Celui dont nous savons qu'il a été appelé l'Ange du grand conseil ? Inutile de le démontrer ; il suffit de le
rappeler aux amis du Christ ; de plus longues explications ne toucheraient pas ceux qui pensent mal. Si plus tard le Verbe devint l'Ange
du grand conseil, déjà il ne dédaignait pas la dénomination d'ange.
Ce n'est pas seulement dans ce passage que nous trouvons Notre-Seigneur appelé par l'Écriture ange et Dieu. Jacob, racontant à ses femmes
sa vision, leur dit : l'Ange de Dieu me dit en songe (Gn. 31 ; 11), et peu après parlant du même : Je Suis le Dieu qui t'apparut
en ce lieu où tu m'as érigé cette colonne - Ego sum Deus qui apparui tibi in loco ubi unxisti mihi illic columnam ( ? ). Or, auprès
de cette colonne, il avait été dit à Jacob : Je Suis le Seigneur Dieu d'Abraham ton père et le Dieu d'Isaac - Ego Dominus Deus Abraham
patris tui et Deus Isaac. Celui qui en un endroit est appelé Ange, est présenté dans l'autre comme Dieu apparaissant à Jacob.
Il est donc absolument évident, que là où le même personnage est appelé à la fois Ange et Dieu, il s'agit du Fils Unique, se
manifestant lui-même aux diverses générations d'hommes, et annonçant à ses saints la volonté du Père. D'où il faut conclure que
celui qui s'est nommé à Moïse l'Être, n'est pas autre que le Dieu Verbe, celui qui existe en Dieu dans le principe.
S. Basile, contr. Eunom., lib. II, § 18.
§ 9. — Saint Cyrille d'Alexandrie.
On peut prévoir que l'évêque d'Alexandrie sera resté dans cette question, comme partout ailleurs, le fidèle disciple de son illustre prédécesseur. En effet, pour démontrer que le Fils a toujours été ce qu'il est :
Ce qui s'accroît est imparfait. Comment donc le Fils a-t-il acquis dans les derniers temps le droit à l'adoration,
s'il ne l'a pas eu dès le principe ? C'est lui qu'Abraham adore sous le chêne de Mambré ; c'est lui qu'adore Moïse et qui dit
dans le buisson : JE SUIS Celui qui suis »...
S. Cyrille, Thésaurus, assert, XIII. — M. LXXV, col. 216.
Voici un autre passage où saint Cyrille suit de plus près saint Athanase.
Il avait prouvé que le Fils est Dieu, par cela même qu'il donne aux hommes tous les biens, et que c'est lui qui octroie
toutes les bénédictions. Alors il se pose une objection des ariens : Cette raison n'est pas suffisante, car un ange peut faire
du bien et bénir, témoin l'ange dont parle Jacob dans sa bénédiction des fils de Joseph : Que Dieu qui m'a nourri depuis ma
jeunesse jusqu'à ce jour, et l'Ange qui m'a sauvé de tout mal, bénisse ces enfants (Gn. 48 ; 15 - 16).
Quoi! reprend saint Cyrille, allez-vous associer à vos blasphèmes un saint patriarche instruit des mystères divins !
Il dit d'abord : Le Dieu, qui m'a nourri dès ma jeunesse, bénisse ces enfants ; ensuite il dit : Et l'Ange qui
m'a délivré de tous mes maux. En disant « le Dieu », il veut signifier le Père ; en disant « l'Ange », il veut signifier « le Verbe
qui procède de Dieu ». Car il sait que son nom est « l'Ange du grand conseil ». Il parle donc ici du Fils et non d'un ange
quelconque suivant l'acception ordinaire du mot. La preuve en est évidente par le passage lui-même. Car ayant dit : « l'Ange »,
il ne s'arrête pas là, mais il ajoute : « qui m'a délivré de tous mes maux ». Voyons donc par les propres paroles de Jacob qui
l'a délivré, si c'est Dieu ou quelque ange créé.
On lit dans la sainte Écriture qu'un Ange a lutté avec le patriarche Jacob. Mais le saint retenant l'Ange, lui dit : Je ne te
lâcherai pas, que tu ne m'aies béni (Gn. 32 ; 27). Or c'était Dieu, comme le montre la parole du patriarche : J'ai vu Dieu
face à face (Gn. 32 ; 32). Voilà l'Ange qui lui a apparu et dont il invoque la bénédiction sur ses petits enfants.
Autre témoignage. Il est écrit que Dieu apparut au patriarche et lui dit : Voici que Je suis avec toi, te gardant en toutes les
voies que tu parcourras - Ecce ego tecum sum, custodiens te in via quocumque ieris. C'est donc Dieu qui l'a délivré et non
un ange.
S. Cyrille, Thesaurus, assert, XII. — M. LXXV, col. 194.
§ 10. — Fondement théologique de cette attribution.
Les citations précédentes nous montrent toute une suite de docteurs éminents qui restent fidèles à la
tradition primitive au sujet des théophanies. Cette attribution se rattachait d'ailleurs à la manière antique de concevoir
les relations entre Dieu et l'humanité.
Saint Basile, discutant contre les Eunomiens la préposition par qui - per quem, enseigne qu'elle ne signifie point la relation
éternelle entre le Père et le Fils, mais la relation que nous avons contractée avec le Père et le Fils. Il démontre par saint
Paul que c'est une formule, non « d'adoration », mais « d'actions de grâces ».
Envers le Fils, qui tantôt vient du Père nous apporter les biens, tantôt nous ramène par lui-même au Père.
En effet, en disant : Par qui nous avons reçu grâce et charge d'apôtre (Rm. 1 ; 5), saint Paul exprime que sa fonction est
de distribuer les biens. En disant : par qui nous avons eu accès (Rm. 5 ; 2), il nous apprend que notre approche et notre union
au Père se fait par le Christ.
S. Basile, de Spiritu sancto, § 17. / S.C. 17bis. p. 303.
De là - ajoute notre docteur - les dénominations nombreuses du Christ suivant la variété de ses bienfaits. Dans ce passage, saint Basile passe en revue les bienfaits de la grâce ; mais il ne borne point à cet ordre la médiation du Fils. Tout au contraire, il l'étend à toute opération de Dieu au dehors.
Le Christ, dit-il, est la Puissance de Dieu et la Sagesse de Dieu. Donc toutes choses ont été faites par lui, toutes
choses ont été créées par lui et en lui, non pas à la façon d'un instrument et d'un esclave, mais par une action créatrice qui
accomplit la volonté paternelle.
Ibid. , § 19. / S.C. 17bis. p. 317.
La question des théophanies se trouve donc ramenée à la question plus générale qui concerne le rôle propre
des personnes dans toutes les opérations extérieures. On le comprendra mieux par la considération suivante.
C'est un dogme catholique que l'homme, placé dès l'origine dans l'état de grâce, a été placé - aussitôt survenue sa chute - dans
l'ordre de la rédemption. On doit en conclure qu'il n'y a jamais eu dans le monde, au moins de fait, d'autre providence qu'une
providence surnaturelle et qui rattache l'homme à l'ordre même de la vie divine. Sans doute, une telle élévation est gratuite et
Dieu aurait pu créer l'homme dans un ordre inférieur qu'on appelle l'ordre naturel. Mais, encore une fois, de fait, l'homme n'a
eu qu'une destination surnaturelle et par conséquent n'est l'objet que d'une seule providence qui englobe à la fois les biens
de la grâce et les biens de la Nature. Les grecs en jugeaient ainsi. Or la foi leur apprenait que le Fils est le Médiateur pour
tous les biens de la grâce, et ils en concluaient qu'il est également Médiateur pour tous les biens de la Nature.
S'inspirant donc de l'Évangile, ils ont appelé cette providence unique et universelle oikonomia, c'est-à-dire, « disposition
de la maison du père de famille », et ce mot leur signalait les rôles clés des personnes divines.
Dans cette maison, toute la direction a été donnée au Fils de famille. Tout me fut donné par mon Père - Omnia mihi tradita sunt a
Patre meo. Le Père fait tout par le Fils, par lequel tout a été fait ; il commande au Fils, mais s'en remet à lui
pour l'exécution, et cela pour tout sans exception. — Pour la création, voilà pourquoi le Fils est le démiurge ; — pour la
direction , voilà pourquoi le Fils est le pasteur ; — pour l'éducation des domestiques et les messages à leur transmettre,
voilà pourquoi le Fils est l'Ange.
C'est donc aussi par le Fils que le Père se révèle et se manifeste : Nul ne connaît qui est le Fils si ce n'est le Père, ni ne
connaît qui est le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut Le révéler - Nemo scit quis sit Filius nisi Pater, et
quia sit Pater nisi Filius, et cui voluerit Filius revelare (Lc. 10 ; 22). D'où il faut conclure que, dans l'Ancien Testament,
c'était le Fils et toujours le Fils, qui accomplissait personnellement son rôle personnel, qui se montrait pour montrer le
Père, qui conduisait par lui-même son Église, suivant cette sentence de saint Athanase : « Dieu lui-même par le Verbe dans l'Esprit
conduisait son peuple : toute l'Écriture en témoigne »(S. Athanase, à Sérapion, lettre I, § 12).
Il semble que cette conclusion s'appuie sur quelque fondement et ne soit pas une simple divination. J'aurais à revenir encore sur
cette belle question, lorsque j'exposerai la théorie rationnelle de la Trinité, d'après les Alexandrins.
- ARTICLE III -
Méthode exégétique.
§ 1. — Allure primitive.
Les premiers écrivains chrétiens se servaient de la version grecque des Septante, telle qu'elle était vulgairement répandue en Orient. Philosophes préparant leur martyre par l'éloquent témoignage de leur foi, évêques luttant contre l'hérésie au milieu des soucis de leur administration, ces grands hommes n'avaient ni temps ni moyens d'instituer une critique scientifique des textes en usage. Ils les acceptaient comme tous ceux à qui ils adressaient leurs écrits, et ils s'efforçaient d'en tirer soit une confirmation du dogme, soit un enseignement instructif. Lorsque les hérétiques faisaient valoir quelque texte en faveur de leur erreur, les défenseurs de la foi ne contestaient point l'authenticité du passage scriptural, et se contentaient d'en donner une interprétation orthodoxe. Souvent la difficulté du sens littéral excitait leur génie, et ils franchissaient l'obstacle en s'élevant dans les hauteurs de doctrine mystique. Ainsi, l'hérésie servait toujours à l'œuvre divine, suivant la sentence : il est utile que surviennent des hérésies - oportet haereses esse, et la bassesse de l'erreur contribuait à faire monter la science dans les sublimités des mystères. Saint Athanase nous en fournira un bel exemple.
§ 2. — Texte des Proverbes.
J'ai eu l'occasion de dire que les Grecs du quatrième siècle considéraient la « Sagesse », comme un nom propre du Fils. Or, dans la version des Septante, on lisait cette phrase mise dans la bouche de la Sagesse : Le Seigneur m'a créée principe de ses voies pour ses œuvres - Kurios ektise me archèn hodôn autou eis erga autou (Proverb. 8 ; 12). Dans les premiers siècles de l'Église, on interpréta le mot créa - ektise dans le sens d'une création « métaphorique » qui, au fond, n'est pas autre chose que la belle thèse enseignée par saint Thomas dans l'article : Le nom de “ Verbe ” implique-t-il rapport aux créatures ?
Oui, le nom de “ Verbe ” dit rapport à la créature. En se nommant, Dieu connaît toute créature. Or, le verbe
conçu dans la pensée représente tout ce que le sujet connaît en acte ; de fait, en nous, il y a autant de verbes que d’objets
de pensée différents. Mais Dieu connaît en un seul acte soi-même et toutes choses ; son unique Verbe n’exprime donc pas
seulement le Père, mais encore les créatures. D’autre part, tandis qu’à l’égard de Dieu, la pensée divine est connaissance pure,
à l’égard des créatures elle est connaissance et Cause ; ainsi, le Verbe de Dieu est pure expression du mystère du Père, mais
il est expression et Cause des créatures. D’où la parole du Psaume (33, 9) : “ Il a parlé, et les choses ont été faites.
” Nommer “le Verbe ”, c’est en effet évoquer le plan opératoire des choses que Dieu fait.
S. Thomas, I, q. 34, a. 3.
Sans doute, le langage théologique manquait encore de précision, et plusieurs expressions ont besoin d'être expliquées par la doctrine générale de l'auteur pour qu'on en comprenne le sens orthodoxe. C'est ce qu'a fait Mgr Ginoulhiac dans de beaux chapitres auxquels je renvoie le lecteur(Ginoulhiac, Histoire des dogmes, liv. XII, c. 5 et 6). Et comme le remarque ce savant, la meilleure garantie de cet ancien langage est l'autorité de saint Athanase.
§ 3. — Saint Athanase explique ce texte.
Lorsque l'arianisme apparut, le texte des Proverbes acquit une singulière importance. À entendre les hérétiques,
ce témoignage suffisait, à lui seul, à contrebalancer tous les témoignages relatifs à l'éternité du Fils. Dieu l'a créé, répétaient-ils
sans cesse, donc il fut un temps où il n'était pas. Aussi bien, saint Athanase crut devoir consacrer à la discussion de ce fameux
texte tout un livre qui est une mine inépuisable de doctrine (S. Athanase, contr. Arianos, Orat. 2a. — M. XXVI, col. 145). On
est stupéfait de tant de science, de tant de citations scripturales, de tant de vivacité de pensées, dans un ouvrage écrit au fond
d'un désert, par un homme traqué et fuyant de cachette en cachette jusque dans les tombeaux.
À la vérité, cette situation se révèle par un certain désordre qui montre un auteur écrivant quand il le peut et au courant
de la plume. De là des longueurs et des redites fréquentes. Mais on peut réduire cette discussion à quelques points principaux.
Saint Athanase commence par examiner un à un tous les mots du texte grec, pour montrer qu'on ne doit point les entendre dans un sens arien.
Je ne m'arrête point à cette première défense (Ginoulhiac, liv. XII, ch. 6), et j'en viens aux explications que notre docteur
propose pour la phrase en question. Ce passage, dit-il, est tiré des Proverbes de Salomon ; donc, comme tous les proverbes, il cache
son véritable sens sous le voile du langage, et c'est à l'interprète de découvrir la pensée ainsi enveloppée (S. Athanase, loc.
cit., § 44).
§ 4. — Explication par l'incarnation.
La première explication et la plus simple est tirée du mystère de l'incarnation :
Le Verbe, dit saint Athanase, est le créateur, et il n'a dit il me créa, que lorsqu'il a revêtu une
chair créée.
Ibid., § 50.
À ce propos, notre docteur enseigne une bien belle règle pour distinguer les textes qui ont rapport à la divinité ou à l'humanité du Christ. Elle mérite d'être rapportée. [S. Cyrille explique cette règle : Thes., assert. 13. — M. LXXV, col. 272. Elle a été formulée d'abord par Origène, In Joann., tom. I, §§ 39, 40.
Lorsque le prophète dit : il créa, il ajoute aussitôt la raison, en disant pour ses oeuvres, de sorte
que l'expression créer pour les oeuvres signifie que le Verbe s'est fait homme pour renouveler ses œuvres. C'est là une coutume
dans la divine Écriture.
- Lorsqu'elle signale la naissance du Verbe suivant la chair, elle indique en même temps la cause pour
laquelle il est devenu homme.
- Mais lorsque le Sauveur parle de sa divinité ou que ses disciples l'annoncent, tout est dit simplement,
absolument, et sans y mêler aucune cause.
Ainsi il est la splendeur du Père. De même que le Père n'est point pour une cause
quelconque, de même il n'y a pas à chercher la cause de sa splendeur.
Ainsi encore : <Au commencementétait le Verbe et le Verbe
était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu. Voilà ce qui est écrit et il n'y a pas de pourquoi.
Mais lorsqu'il est dit :
Et le Verbe s'est fait chair, alors est placée la cause de ce fait : Il a demeuré parmi nous.
De même encore, l'apôtre écrivant : Lui qui était de condition divine, ne donne point de cause ;
mais lorsqu'il dit : prenant condition d'esclave,
alors il ajoute : Il s'humilia jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix (Philippiens 2 ; 7-8). C'est, en effet, la cause
pour laquelle le Verbe s'est fait chair et a pris la forme d'esclave.
S. Athan., loc. cit., § 53.
Cette belle règle était d'application facile.
Le Verbe est donc venu, non pour lui-même, mais pour notre salut, pour détruire la mort et pour condamner le péché...
Et s'il est venu, non pour lui, mais pour nous, ce n'est donc pas non plus pour lui, mais pour nous qu'il est créé. Et s'il n'est
pas créé pour lui-même, mais pour nous, il n'est donc pas lui-même une créature, mais il ne s'est dit créé qu'en revêtant notre chair.
— II s'est uni ses créatures, et il était en eux, comme l'un d'entre eux.
Recevant notre infirmité, il s'est dit infirme, bien qu'il soit la puissance de Dieu ;
il est devenu péché et anathème, bien qu'il n'ait point péché lui-même, mais parce qu'il a porté nos péchés et notre anathème.
Et c'est ainsi que nous créant en lui, il a dit : Le Seigneur m'a créée pour ses œuvres, bien qu'il ne soit pas lui-même une
créature.
Ibid., § 55.
Saint Athanase poursuit :
Les ariens, qui regardent comme créée la substance du Logos, prétendent qu'il a dit : Le Seigneur m'a créée,
en tant qu'il est une créature. Mais alors ce n'est pas pour nous qu'il a été créé. Mais, s'il n'a pas été créé pour nous, nous n'avons
pas été créés en lui. Et n'ayant pas été créés en lui, nous ne l'avons pas eu en nous, mais il est resté en dehors, et nous n'avons
reçu de lui que des leçons comme il en serait d'un maître. Mais s'il en est ainsi, le péché n'en règne pas moins dans la chair
et n'en a point été chassé. Or l'Apôtre réfute en quelques mots ces erreurs. Nous sommes en effet son ouvrage, créés dans le Christ
Jésus (Ephés., 2 ; 10). Si donc nous avons été créés dans le Christ, lui-même n'est pas créé, c'est nous qui avons été créés en lui,
et c'est pour nous qu'est le mot créée. En effet, c'est pour notre utilité et bien qu'il soit le créateur, que le Verbe s'est
abaissé même au langage des créatures. Créée n'est donc pas la parole du Verbe en tant qu'il est Verbe, mais notre parole à
nous qui sommes créés en lui... et lorsque pour notre utilité il est devenu homme, conséquemment il parle de nous comme nous, en disant :
Le Seigneur m'a créée...
Ibid., § 56.
§ 5. — Suite.
Cette belle théologie du prince des Grecs m'entraîne après elle, et le lecteur sera content de me suivre.
Pourquoi donc la philanthropie du Verbe l'a-t-elle poussé à nous emprunter nos misérables noms ?
C'est pour notre utilité, c'est
pour opérer un ineffable troc et nous passer ses propres titres :
Dieu, non seulement a créé les hommes, mais il les a appelés ses fils, comme les ayant engendrés. Car le mot : engendra
indique un fils, comme le prophète dit : J'ai engendré et fait grandir des fils - filios genui et exaltavi (Isaïe, 1;, 2).
Ibid., § 59.
De même Malachie a dit : N'est-ce pas un seul Dieu qui nous créa ? N'avons-nous pas tous un Père unique ? (Malachie 2 ; 10)
Voyez - reprend saint Athanase - d'abord il dit : créa, et en second lieu : père. C'est pour montrer
que :
- d'abord nous sommes par Nature des créatures, et que Dieu est notre créateur par le Verbe.
- Ensuite nous sommes faits fils, et notre créateur devient notre Père.
D'où il résulte que nous ne sommes pas fils par Nature, mais que le Fils est en nous,
et réciproquement que Dieu n'est pas notre père naturel, mais celui du Verbe qui est en nous, et en qui nous crions abba Père.
Voilà comment, lorsque le Père voit en nous son propre Fils, il nous appelle ses fils, il dit : j'engendrai. Car le mot : « engendrer »
répond au Fils, et le mot « faire » répond aux œuvres créées.
Ibid.
J'ai rapporté tout ce passage, parce qu'il me paraît être la plus théologique des explications de l'ordre surnaturel. Dieu nous adopte, non pas par une simple acceptation morale, une sorte de fiction légale ; mais parce qu'il nous adapte physiquement à son Fils unique, qui vient pour cela en nous réellement et en personne. Le Père ne voit jamais que son Fils ; son regard le cherche partout. Mais aussi, partout ou il entend le cri filial : abba Pater, il répond aussitôt par le cri paternel : Je T'ai engendré. Voilà comment nous sommes faits fils de Dieu - huiopoioumetha - mot donc la forme indique une effiction réelle ; voilà pourquoi Dieu a dit par le prophète de l'incarnation : J'ai engendré et fait grandir des fils - filios genui et exaltavi (Isaïe, 1;, 2).
§ 6. — Explication par la création métaphorique.
Saint Athanase a expliqué du Verbe fait chair le passage que les ariens opposaient à la divinité du Fils. Mais notre docteur ne craint pas de les suivre sur leur propre terrain et d'entendre du Verbe éternel la parole : Dieu me créa... Il n'abandonne point la doctrine de ses ancêtres (V. la théorie d'Origène à cet égard. On les trouve dans Migne, origeniana, XVI, col. 774 et seq.) sur la création métaphorique, et il nous fournit l'exposé autorisé de cette doctrine qui a scandalisé plusieurs modernes.
La propre Sagesse de Dieu, dit-il, sa Sagesse engendrée est la créatrice et la Cause efficiente de toutes choses...
Or afin que les créatures, non seulement existent, mais existent belles, il a plu à Dieu de faire condescendre sa Sagesse aux créatures
et de placer dans toutes et chacune comme une certaine empreinte et un certain délinéament à l'image de cette Sagesse, afin que
les créatures soient sages, et que les œuvres de Dieu soient dignes de lui. Comme notre logos est l'image du Logos subsistant
Fils de Dieu, ainsi la sagesse créée en nous est à son tour l'image de la Sagesse subsistante, et dans notre sagesse créée nous
avons le raisonnement, pour recevoir la Sagesse créatrice, et par elle connaître un Père...
Donc l'empreinte de la Sagesse étant
créée en nous et dans toutes les créatures, ce n'est pas sans convenance que la vraie et créatrice Sagesse, accueillant en elle-même
ce qui est de son empreinte a dit : Le Seigneur m'a créée pour ses œuvres.
Ainsi, ce que notre sagesse dit, le Seigneur
le dit comme lui étant propre. Lui-même n'est pas créé, puisqu'il est créateur, et cependant, à cause de son image créée qui
reluit dans ses œuvres, il en parle comme s'il s'agissait de lui-même.
De même que le Seigneur a dit : Qui vous reçoit Me reçoit,
parce que son empreinte est en nous ; de même, bien qu'il ne soit pas une créature, cependant, parce que son image et son empreinte
sont créées dans ses œuvres, il dit, comme s'il était question de soi : Le Seigneur m'a créée principe de ses voies pour ses
œuvres... Concluons que le Verbe n'est point par essence une créature, et que ce qui est dit dans les Proverbes s'explique
de notre propre sagesse.
Que ceux qui refusent cette explication nous disent, s'il y a, oui ou non, sagesse dans les choses créées... Et s'il est vrai qu'il
en existe suivant cette parole de Sirach : La sagesse déploie sa force d'un bout du monde à l'autre (Sg. 8 ; 1), cette effusion
ne désigne pas la substance du Fils unique qui est la Sagesse-même - autosophia - mais bien l'image qui en a été imprimée dans
le monde. Eh bien! est-il incroyable que la Sagesse véritable et créatrice, dont cette sagesse répandue dans le monde est l'image,
parle de de celle-ci comme de soi-même en disant : Le Seigneur m'a créée pour ses œuvres...
— Supposez qu'un roi voulant bâtir une ville, son fils fasse graver son propre nom sur chaque édifice, afin de le protéger
par cette inscription, et pour que les habitants puissent se souvenir de lui et de son père. Quand tout est achevé, on lui
demande ce qu'il en est de la ville. Il pourrait répondre : c'est une construction assurée ; car, suivant la volonté de mon père,
j'ai été gravé sur chaque édifice, et mon nom a été façonné dans ces bâtiments. S'il s'exprimait ainsi, il voudrait signifier,
non pas que sa substance a été fabriquée, mais uniquement que son nom a été sculpté. Eh bien ! de la même manière, à ceux qui
admirent la sagesse qui existe dans les créatures, la véritable Sagesse répond : Le Seigneur m'a créée pour ses œuvres.
Car mon image est dans les sages, et c'est ainsi que je condescends dans mon opération créatrice
Loc. cit., §§ 78 et 79.
§ 7. — Explication par la régénération.
Nous venons d'entendre exposée dans un langage parfaitement orthodoxe l'ancienne théorie de ce qu'on appelle la création métaphorique. Mais saint Athanase était trop amoureux des réalités surnaturelles pour s'en tenir à leurs images naturelles. Il élève donc son regard au-dessus de l'ordre de la création pour contempler l'ordre de la régénération.
D'abord - dit-il - la Sagesse de Dieu avait déposé dans les créatures, son empreinte en vertu de laquelle elle
est dite créée, et par cette empreinte elle se manifestait elle-même et, par elle-même, son propre Père. Mais ensuite, la Sagesse
elle-même, le Verbe subsistant est devenue chair, comme parle saint Jean, et en même temps qu'il détruisait la mort et sauvait
notre race, elle s'est mieux révélée elle-même et, par elle-même, son propre Père.
Ibid., § 81.
Et voilà ce qui explique cet autre texte dont se prévalaient les ariens : Premier-né de toute créature. Il n'est pas question ici de la première création qui a été viciée par le péché, mais :
...de cette création nouvelle dont saint Paul a
dit : Si donc quelqu'un est dans le Christ, c'est une création nouvelle ; l'être ancien a disparu ; un être nouveau est là ».
(II Corinth., 5 ; 17).
Or, s'il y a une nouvelle création, il faut qu'il y ait un premier dans cette création. Ce ne pouvait être
purement un homme, simplement un homme terrestre, tels que nous qui sommes nés de la chute. Car dans la première création les hommes
sont devenus infidèles, et par eux cette création a péri.
Il fallait un autre principe renouvelant la première création et la
conservant nouvelle. Ce principe n'est pas autre que le Seigneur ami des hommes. Principe de la nouvelle création, il est
créé « chemin », et c'est à bon droit qu'il dit : Le Seigneur m'a créé principe de ses voies pour ses œuvres. C'est afin
que l'homme ne vive plus suivant la première création ; mais que, par cette nouvelle création, nous possédions le Christ
principe des voies nouvelles et que nous suivions celui qui a dit : Je Suis la Voie.
Voilà ce que l'Apôtre nous enseigne
dans l'épître aux Colossiens : Il est la Tête du Corps, c'est-à-dire de l'Église : Il est le Principe, Premier-né d'entre les morts,
car il fallait qu'Il obtint en tout la primauté.
(Col. 1 ; 18) Ibid., § 65.
Aucun lecteur, je suppose, ne regrettera que je lui aie présenté ces belles pages qui invitent à lire toute l'œuvre de saint Athanase. C'est là, en effet, qu'on trouvera tous les principes de la Christologie.
- CHAPITRE V -
ÉCOLE D'ANTIOCHE
- ARTICLE I -
Méthode exégétique.
§ 1. — Origine de la critique biblique.
J'ai dit que les premiers docteurs, dans leurs luttes dogmatiques se contentaient d'interpréter la version
des Septante admise de leur temps. Mais, à côté de ses docteurs militants, l'Église avait ses docteurs studieux qui, dans le
calme de la retraite, fondaient la science herméneutique.
La gloire incontestée du célèbre Origène est d'avoir consacré ses veilles à réunir les diverses versions de l'Écriture sainte,
et de les avoir comparées à la lumière d'une saine critique. Ses deux adversaires les plus ardents , saint Épiphane et saint Jérôme,
lui empruntèrent et ses travaux et surtout sa méthode d'exégèse. Ils apprirent de lui à ne pas se fier à la traduction en usage,
mais à recourir au texte hébreu.
C'était là une innovation aux yeux de beaucoup de gens, et l'on sait combien saint Jérôme, malgré le patronage officiel du pape
saint Damase, dut lutter pour faire accepter sa traduction du texte hébraïque. Mais, comme tout ce qui est vraiment scientifique,
l'exégèse rationnelle conquit sa place dans l'Église, et retrempa les armes pour la défense de la vérité. Nous en avons un exemple
instructif dans l'explication du fameux texte des Proverbes.
§ 2. — Texte des Proverbes interprété par les Cappadociens.
Pour arracher aux ariens le texte : Le Seigneur m'a créée..., saint Basile emploie une méthode plus courte et plus simple que saint Athanase. Il commence par faire remarquer que cette sentence n'est contenue qu'une seule fois dans les Écritures, et qu'elle est contenue dans un livre dont le style est délibérément énigmatique. Après avoir promis pour plus tard une explication complète, il s'en tient à la critique scientifique du texte.
Avant de passer outre, dit-il, faisons une importante observation. Les autres interprètes, et ce sont les mieux
versés dans les lettres hébraïques ont traduit : ektèsato me [ktèsis - acquisition], au lieu de ektisen [ktizô - créer, produire]. Or cette traduction est une barrière
qui arrête le blasphème arien. Car Adam a dit : j'ai acquis un homme de par le Seigneur (Gn. 4 ; 1), pour signifier, non qu'il
avait créé Caïn mais qu'il l'avait engendré.
S. Basile, contr. Eunomium , lib. II, § 20. — M. XXIX, col. 616.
Le frère de Saint Basile oppose à l'objection arienne la même fin de non-recevoir.
Ils ne prouvent pas d'une manière évidente, dit-il, que ce passage se rapporte au Seigneur. Ils ne peuvent
légitimer leur version par le texte hébraïque, puisque les autres interprètes ont traduit ektèsato, posséda ou katestèsen
constitua. D'ailleurs, le sens est nécessairement obscur, puisque le style est énigmatique. Combien, dans l'Écriture, existent d'autres
passages figurés, par exemple : il établit son trône sur les vents - constituit thronum suum super ventos ?
S. Grég. de Nysse, contr. Eunomium, liv. I. — Voir aussi M. XLV, col. 344, et col. 516.
Saint Grégoire de Nazianze, lui aussi, a recours à l'explication figurée :
Qui vous assure - dit-il - que par sagesse Salomon n'entend pas simplement l'art avec lequel tout a été créé.
D'ailleurs ne serait-ce pas simplement une prosopopée, comme celle-ci : L'abîme déclare [à propos de la sagesse] je ne la connais pas ! et la Mer : elle
n'est point chez moi (Job. 28 ; 14).
S. Grég. de Nazianz., orat. XXX, § 2.
Cependant il faut bien l'avouer... la version vulgaire Le Seigneur m'a créée, était si autorisée
parmi les fidèles, que ces mêmes Pères sont obligés d'en tenir compte. Saint Basile promet de l'expliquer, et les deux Grégoire
l'interprètent de l'incarnation.
S. Grég. de Naz., ibid., et S. Grég. de Nysse, contra Eunomium, lib. I, M. col. 516,- et 576 et suiv.
§ 3. — Explication de saint Épiphane.
Voici donc que la science des langues fait apparition dans l'herméneutique. Saint Épiphane s'y engage encore
plus résolument. Par sa trempe d'esprit et son amour de la précision, ce docteur devait être incliné vers le sens littéral des Écritures.
De fait, personne n'a insisté avec plus de force sur la réalité des récits de la Genèse et n'a combattu avec plus d'âpreté les
explications allégoriques d'Origène(Voir Ancoratus, §§ 54 et seqq., et epistol. ad Joann. Hierosolym. — M. XLIII).
Écoutons-le discutant le texte des Proverbes dans son traité contre les hérésies.
Voilà, dit-il, ces hommes qui n'ont jamais touché ni même vu le texte hébraïque, et qui n'en sont que plus hardis
et précipités à chercher dans l'Écriture d'odieux prétextes pour nuire à la foi... Ils ont trouvé : Le Seigneur m'a créée, et aussitôt
ils s'y jettent à l'aventure, ils imaginent je ne sais quels songes creux pour troubler toute la terre habitée. Mais l'hébreu ne dit
rien de semblable. Aquila l'a traduit par cette phrase : « Le Seigneur m'a possédée », et de fait, les pères disent couramment à la
naissance de leurs enfants : je « possède un fils ». Mais Aquila lui-même n'a pas rendu la force du mot. Car acquérir un fils est quelque
chose de nouveau, et en Dieu il n'y a rien de nouveau, rien d'acquis... Mais on lit dans l'hébreu : Adonaï qui signifie :
« le Seigneur » et Canoni qui peut se traduire, ou bien « m'a pondu », ou bien « m'a acquis », il est plus exact de
traduire : « m'a pondu ». Car quel poussin ne procède pas de la Nature de celui qui l'a engendré ? »
S. Épiphane, Adv. Haeres., 69, § 25.
Je n'ai pas à discuter l'exactitude de cette traduction. Petau l'attaque au nom de la linguistique (Petau, de Trinit.,
lib. II, c. 1, § 2.). Je l'ai reproduite uniquement pour montrer que saint Épiphane entendait l'herméneutique à la façon de saint
Jérôme.
Dans son Ancoratus, saint Épiphane résume la même discussion linguistique. Mais, de plus, il ajoute des réflexions
dans lesquelles il montre qu'il ne rejette point les explications présentées par ses devanciers.
Ce texte, dit-il, est tiré d'un livre intitulé : « Les Proverbes ». Or un proverbe ne doit pas se prendre au sens littéral.
D'ailleurs nous ne savons pas si, dans ce proverbe, Salomon a voulu parler du Fils de Dieu, car il n'y a pas qu'un genre de sagesse...
Qu'il s'agisse dans ce texte de la Sagesse du Père, je ne veux ni l'affirmer, ni le nier ; je laisse à Dieu de le savoir.
Cependant je suis forcé de reconnaître qu'il y a dans ce passage bien des choses qui s'opposent à cette opinion... Si donc
ce passage a rapport au Christ, on doit l'entendre de l'incarnation.
S.Épiphane, Ancoratus, §§ 42,43.
§ 4. — Explications de Didyme.
Quel que soit l'auteur des Livres sur la Trinité, cet ouvrage est un excellent recueil des doctrines
qui avaient cours au quatrième siècle, surtout dans l'école d'Antioche. Nous y trouvons un long chapitre consacré au
texte : Le Seigneur m'a créée. L'analyse en est intéressante.
L'auteur commence par donner le sens littéral de et texte. Il affirme résolument qu'il s'agit uniquement de la sagesse créée que
possèdent les hommes sages, prudents et habiles. Il le prouve longuement par le contexte, en opposant ce qui est dit de cette
sagesse à ce qui est dit, là ou ailleurs, de la Sagesse incréée et créatrice :
Toutes ces choses sont donc dites par Salomon de la sagesse qui fait partie du monde.
Didyme, de Trinitate, lib. III, c. 3. — M. XXXIX, col. 813.
Il reconnaît cependant que plusieurs ont entendu ce texte de la Sagesse incréée :
S'il faut accorder - dit-il - que Salomon ne fait pas parler notre sagesse, il faut admettre qu'il s'agit de la
sage et incompréhensible incarnation, et nullement de l'invisible et éternelle nature du Fils unique.
Ibid. — col. 816.
Il expose donc ce nouveau sens, en suivant toujours saint Athanase, confirmant son explication par de
nombreux passages scripturaux et montrant comment l'Écriture use d'allégories pour enseigner notre union au Christ.
Mais voici qu'apparaît l'érudit :
Les explications précédentes, dit-il, sont irréfutables. Nous avons, de plus, une seconde réponse à laquelle il est impossible
de trouver mot à redire. Aquila, qui est l'un des interprètes, trouvant la phrase hébraïque : Adonaï canoni, l'a traduite par :
« le Seigneur m'a possédée » (c'est la traduction admise dans la Vulgate : Dominus possedit me. La divergence de sens provient
de la similitude de plusieurs racines hébraïques.). Mais ce n'est pas encore exact, car la traduction exacte est « le Seigneur m'a
couvée », c'est-à-dire, m'a enfantée. En effet, on dit des poussins qu'ils sortent de l'œuf, non pas qu'ils sont créés.
Et l'animal qui couve l'œuf ne diffère pas en Nature du poussin qui en sort. Ainsi l'objection des ariens est dissipée aussi
bien par la lettre que par les sens qu'on peut lui donner.
Ibid. — col. 825.
Didyme, en finissant déclare très beau le sens mystique proposé par plusieurs. Lorsque la Sagesse incréée
a prononcé : Le Seigneur m'a créée, elle a parlé au nom de son Église avec laquelle il forme un seul corps, suivant
saint Paul.
Ibid. — col. 828.
§ 5. — Explications semblables d'un autre texte.
Cette dernière observation de notre professeur nous prouve que son érudition ne lui fait pas sacrifier
le sens mystique au sens littéral. Si la science des langues fait progresser l'explication de la lettre, elle n'étouffe pas les
hautes interprétations. Didyme, en employant une nouvelle arme contre les hérétiques, reste fidèle à saint Athanase. On peut
le constater par la manière dont il a suivi ce docteur pour expliquer le texte : Premier-né de toute créature - Colossiens 1 ; 15 - (Ibid.,
cap. 4, per totum).
En sage maître, il commence par exposer son plan.
Nous transcrirons tout le passage avant d'en venir à l'interprétation. De cette façon, nous n'aurons pas à avoir
recours à des conjectures ou à des vraisemblances pour éclairer des choses plus éclatantes que la lumière. Nous rapporterons ce que,
de bonne ou de mauvaise foi, nos adversaires ont passé sous silence, et nous ajouterons ce qui peut confirmer notre
interprétation.
Ibid., col. 829.
Ayant ainsi donné le programme de sa leçon , Didyme cite au long tout le passage de saint Paul. Il remarque
que l'apôtre commence par affirmer la filiation éternelle par les mots : Il est l'Image du Dieu invisible (Col. 1 ; 15), et que
les mots suivants : Premier-né de toute créature ont rapport à l'incarnation, puisque la suite du discours expose les bienfaits
de l'« Économie » divine. Le Christ est donc appelé le premier-né parce qu'il s'est fait homme, et que son incarnation a
été prévue de toute éternité avant toute créature. Il est encore appelé premier-né en tant qu'il est fils unique de la Vierge
Marie, « honorable et glorieuse par dessus tous.
Après cette première explication littérale, Didyme ajoute ces mots que je recommande à ceux qui attachent peu
d'importance aux sens mystiques.
On pourrait, dit-il, donner encore une juste interprétation, car dans des textes aussi sublimes, il ne faut
pas se contenter d'un seul sens, et surtout ne pas prendre le moindre, mais le meilleur. Lorsqu'il s'agit des choses divines,
la vérité est dans tout ce qu'il y a de mieux. Le Christ est donc appelé le premier-né de toute la création, à cause de
ceux qui, par le divin baptême, sont engendrés de Dieu dans la filiation adoptive du Saint-Esprit, et parce que tout ce que
nous sommes et possédons, nous vient de lui.
Ibid., col. 833.
Le premier membre de cette phrase a trait à la belle doctrine de la justification que nous a exposée saint Athanase. Le second membre rappelle l'ancienne théorie de la création métaphorique. Didyme en parle comme suit :
Mais si l'on ose appliquer à l'incompréhensible divinité du Verbe le texte : Premier-né de toute créature, on
pourra l'entendre, ou bien dans ce sens qu'il a été engendré avant toute génération, ou bien dans cet autre sens que le Verbe,
premier et unique Fils, a produit et tiré du néant toute créature par une création antécédente, en tant qu'il est la cause
de toute créature, et qu'en outre, il est comme le fondement.
Ibid. — M. col. 833.
- ARTICLE II -
Unification de certaines propositions.
§ 1. — Querelle au sujet d'une doxologie.
Dans une lettre où saint Basile explique à saint Épiphane les raisons de prudence qui l'empêchent de
donner au Saint-Esprit le nom de Dieu, il dit : « Nous ne pouvons rien ajouter au symbole de Nicée, pas même le moindre mot.
Nous nous contentons d'étendre au Saint-Esprit la doxologie » (S. Basile, à saint Épiphane, lettre 258 écrite en 377. — M. XXXII,
col. 949 / éd. Les Belles Lettres 1966. T. III. p. 101 - 102).
Quelle était cette extension de la doxologie et cette innovation, la seule que saint Basile se permit ? Lui-même nous l'apprend
au commencement de sa célèbre lettre à saint Amphiloque sur le Saint-Esprit :
Dernièrement - dit-il - je priais avec mon peuple, et j'employais pour doxologie, tantôt « au Père avec le Fils
et avec le Saint-Esprit », tantôt « au Père par le Fils dans le Saint-Esprit ». Quelques-uns des assistants nous en firent un crime,
comme si nous employions des formules non seulement nouvelles, mais encore contradictoires. Dans le but de leur être utile,
ou s'ils sont incurables, pour la sécurité de ceux qui les rencontrent, vous m'avez demandé une exposition claire touchant la
force de chacun de ces mots.
S. Basile, de Spiritu sancto, § 3 / S.C. 17bis. p. 257 - 259.
Une discussion grammaticale sur le sens de prépositions : tel est l'objet qui a suffi au génie pour traiter les plus hauts mystères dans les termes les plus sublimes !
§ 2. — Abus hérétique des prépositions.
Saint Basile commence par indiquer le venin que les hérétiques cachent dans les mots. Tout part d'un sophisme de l'hérésiarque Aétius soutenant qu'à des mots différents correspondent nécessairement des Natures différentes. S'appuyant donc sur le texte : Un seul Dieu et Père, de qui tout vient ; et un seul Seigneur Jésus-Christ, par qui tout existe (I Co. 8 ; 6). Les hérétiques raisonnaient comme il suit : par qui est dissemblable à de qui, donc le Fils est dissemblable au Père.
Ainsi - continue saint Basile - ils octroient à Dieu le Père, comme une part éminente, le de qui ; à Dieu le Fils,
ils attribuent le par qui, et au Saint-Esprit le en qui, et ils prétendent qu'on ne peut varier l'emploi de ces syllabes...
Mais on sait que, par les subtilités sur les syllabes, ils ne cherchent qu'à fortifier leur doctrine impie. Car ils veulent par le de qui
signifier le Créateur, par le par qui exprimer un serviteur ou un instrument, et par le en qui ils entendent le temps
ou le lieu ; de telle façon que le Créateur de toutes choses ne soit pas plus honoré qu'un instrument, et que le Saint-Esprit n'ait
fourni aux êtres rien autre chose que la contenance dans le lieu on dans le temps.
S. Basile, de Spiritu sancto, § 4 / S.C. 17bis. p. 261 - 263.
Ces mêmes sophistes ergotaient sur l'application au Fils de la préposition meta. Ils admettaient : meta pon patera, qui signifie : après le Père ; ils rejetaient : meta tou patros, qui signifie : avec le Père.
Telles sont, continue saint Basile, les questions de grammaire par lesquelles ils bouleversent la simplicité
de la foi.
S. Basile, de Spiritu sancto, § 13 / S.C. 17bis. p. 289 supra.
Le saint Docteur oppose à ces subtilités de rhéteurs la simplicité du langage scriptural. Il démontre que dans les Écritures, ces prépositions sont employées indistinctement et que les mêmes sont appliquées soit au Père, soit au Fils, soit au Saint-Esprit. Il légitime cet emploi indistinct par l'unité de substance, de divinité et d'opération.
§ 3. — Saint Basile combat l'abus d'une doxologie.
En entendant saint Basile patronner la doxologie : « Gloire au Père avec le Fils et avec le Saint-Esprit »,
les ariens criaient à la nouveauté, et, comme ils l'avaient déjà fait à propos du mot homoousios, ils déclaraient ne recevoir
que les expressions scripturales.
Eh bien! répond saint Basile, moi de mon côté « jamais je n'ai rencontré dans l'Écriture la formule : à toi le Père honneur et
gloire par ton Fils unique dans le Saint-Esprit, formule qui actuellement leur est aussi habituelle que la respiration.
Sans doute, on peut trouver séparément chacune des expressions de cette formule ; mais réunies dans cet ordre on ne les trouve nulle part.
S'ils ont tant de scrupules sur les formules scripturales, qu'ils montrent où ils ont trouvé la leur. S'ils cèdent en cela à l'usage,
qu'ils ne nous excluent pas.
Pour nous, rencontrant les deux formules dans l'usage des fidèles, nous employons l'une et l'autre, persuadés que par
chacune, gloire est également rendue au Saint-Esprit.
S. Basile, de Spiritu sancto, § 58, 59 / S.C. 17bis. p. 457 - 463.
Saint Basile déclare cependant que la formule « au Père avec le Fils et avec le Saint-Esprit » lui semble préférable. Elle est plus voisine de la formule scripturale du baptême « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ».
D'ailleurs le remplacement de la conjonction et par la proposition avec est légitime et montre
mieux l'union des divines personnes. Que si cette modification déplaît aux adversaires, qu'ils emploient dans leur doxologie la
conjonction et, comme dans la formule évangélique du baptême. Nous sommes prêts à composer sur ce terrain. Mais ils
cracheraient plutôt leurs langues que d'employer cette formule. Et c'est là le point vif de cette guerre acharnée.
Ils disent que dans l'Esprit-Saint on doit glorifier Dieu, mais qu'on ne doit pas glorifier le Saint-Esprit. Humilier
le Saint-Esprit, voilà la raison de leur attachement opiniâtre à ce mot.
S. Basile, de Spiritu sancto, § 60 / S.C. 17bis. p. 463 - 465.
§ 4. — Saint Basile légitime une autre doxologie.
Nous avons déjà vu que, suivant saint Basile, la préposition par qui exprime la relation du Fils,
non avec son Père, mais avec les créatures. Il en juge de même de la préposition en attribuée au Saint-Esprit. Elle a pour but
de rappeler le rôle personnel de la troisième personne dans notre sanctification (Ibid., § 6l).
La doxologie « Gloire au Père par le Fils dans le Saint-Esprit », doit donc être regardée comme une formule « d'actions de grâces », pour
les bienfaits reçus. La doxologie « Gloire au Père avec le Fils et avec le Saint-Esprit » est la vraie formule « d'adoration » de
l'indivisible Trinité.
Lorsque nous pensons à la gloire propre de l'Esprit, nous le contemplons avec le Père et le Fils.
Lorsque nous considérons la grâce qu'il opère dans ceux qui le participent, nous disons que l'Esprit est dans nous.
S. Basile, de Spiritu sancto, § 63 / S.C. 17bis. p. 475.
Saint Basile défend ensuite sa doxologie par l'usage traditionnel. Il en prend occasion pour exposer
l'importance de la tradition orale, et ce développement semble écrit contre les protestants.
Tel est, à vol d'oiseau, un aperçu rapide sur le traité qui est le testament et le chef-d'œuvre de saint Basile.
§ 5. — Cette tactique est suivie par d'autres docteurs.
Nous devons nous attendre à retrouver la même tactique dans saint Grégoire de Nazianze si préoccupé de défendre toute la Trinité à la fois. En effet, pour terminer ses sermons, il emploie souvent la même formule que son ami, (si tant est que ces terminaisons soient authentiques). Mais, à vrai dire, il se plaît de montrer qu'on ne doit pas s'attacher aux mots plus qu'aux choses.
Vous avez - dit-il aux ariens - classifié le Divin avec les mots : de qui - par qui - en qui, attribuant
l'un au Père, l'autre au Fils, le troisième au Saint-Esprit. Que n'auriez-vous pas dit, si l'Écriture appliquait toujours chacun
de ces mots à la même Personne ? Mais elle les applique tous à chaque Personne, comme le savent bien les érudits. Et c'est de ces
mots que vous prétentez conclure à l'inégalité d'honneur et de nature !
S. Grég. de Nazianze, orat. XXXI, § 20.
L'auteur des Livres sur la Trinité s'inspire de la même méthode. Il réunit tous les textes scripturaux qui appliquent chacune des trois prépositions, soit au Père, soit au Fils, soit au Saint-Esprit. C'est détruire par là même l'abus qu'on peut en faire (Didyme, de Trinitate, lib. III, c. 23).
- ARTICLE III -
Communauté des noms divins.
§ 1. — Opportunité de la méthode de récollection.
L'interprétation scripturale entre dans une nouvelle voie. Les circonstances engagent à être circonspect dans les attributions personnelles des expressions scripturales ; elles invitent même à recueillir la Trinité dans l'unité. En effet, les ariens abusaient de certaines dénominations. Le Père , disaient-ils, est nommé « Dieu », donc seul il est Dieu ; le fils est appelé « Seigneur », donc il n'a droit qu'à ce titre ; le Saint-Esprit n'est point appelé « Dieu » , donc il ne l'est pas. Tels étaient les sophismes grossiers par lesquels ils troublaient les simples. Nos docteurs, sans exception, s'employèrent à réfuter ces chicanes, en montrant que les mêmes noms divins sont donnés par l'Écriture à chacune des trois personnes, et que par là même, l'identité de leur nature est démontrée. Certains docteurs s'engagèrent plus avant dans cette voie, rejetant toutes les distinctions nominales dont l'antiquité avait fait grand usage.
§ 2. — Règles apportées en herméneutique.
L'auteur des Livres sur la Trinité nous donne, sous une forme didactique, les procédés d'exégèse
en faveur dans l'école d'Antioche.
Après avoir fait observer que pour s'exercer à l'exégèse, il faut beaucoup de science, de tact et surtout une foi inébranlable et
une piété sincère, il écrit :
On doit interpréter les Écritures de la manière suivante :
- Lorsqu'elles attribuent la production de quelque chose à une seule personne, c'est à cause de l'unique Nature et Volonté ;
- lorsqu'elles l'attribuent à deux Personnes, c'est pour montrer les subsistances propres dans la sainte et pure Trinité.
Ainsi lorsque le prophète Isaïe dit : Je suis le Seigneur qui ai déployé les cieux et affermi la terre (44 ; 24) et un peu plus
loin : Je suis Dieu sans égal - Dieu qui n'a pas de pareil (46 ; 9), c'est à cause de l'unique divinité et de la concorde,
comme je l'ai dit.
Lorsqu'il semble que le Saint-Esprit soit oublié, c'est parce qu'il est contenu en Dieu dont il est l'esprit.
Lorsque notre Maître, en enseignant la formule sacramentelle, dit : Les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit
(Matth. 28 ; 19), c'est pour montrer l'égalité d'honneur, la consubstantialité et la distinction des hypostases.
Lorsque ce qui est dit quelque part de Dieu le Père, est dit ailleurs du Fils ou du Saint-Esprit, c'est pour les raisons susdites.
Lorsque les mêmes œuvres, la même action sont attribuées différemment à deux, c'est pour ce que j'ai dit.
Lorsque, bien que chaque hypostase puisse tout faire et tout créer, il est dit qu'il a plu à Dieu le Père que tout subsiste par Dieu
le Fils, et que tout soit sanctifié par le Saint-Esprit, c'est à cause de l'unique volonté de la Trinité, pour montrer qu'elle est
la source de tous les biens, et pour nous apprendre à lui rendre une égale reconnaissance et une commune doxologie.
Lorsque les mêmes noms sont appliqués à la bienheureuse Trinité, par exemple : Dieu, Seigneur, saint, juste, bon, et noms semblables,
(sauf les noms de Père seul et toujours Père, de Fils véritable et Dieu, de Saint-Esprit éternel et Esprit de Dieu), c'est à cause
de la communauté de nature, de royauté, et de toutes choses.
Didyme, de Trinitate, lib. I, cap. 36. — M. XXXIX, col. 437.
§ 3. — Saint Grégoire de Nazianze.
Saint Grégoire de Nazianze trouva dans cette méthode une manière facile de se débarrasser des sophistes pointilleux « qui, dit-il, s'attachaient avec acharnement à la lettre ». Certes, si quelque mot doit être affecté spécialement au Fils, c'est bien le mot Lunière, d'après le texte de saint Jean ; eh bien ! Écoutons le théologien dans un de ses plus éloquents mouvements :
Nous croyons tellement, dit-il, à la divinité de l'adorable Esprit, que nous approprierons à toute la Trinité
les mêmes paroles, pour osé que cela paraisse à plusieurs.
« Il était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant dans le monde » (Jn. 1 ; 9) : le Père.
« Il était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant dans le monde » : le Fils.
« Il était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant dans le monde » : l'autre Paraclet.
« Il était, et il était, et il était » ; mais un seul « était ».
« Lumière, lumière, lumière » ; mais une seule « Lumière », un seul Dieu.
C'est ce que David avait autrefois prophétisé, en disant : « Dans ta lumière nous verrons la lumière » (Ps. 35 ; 10).
Et maintenant, nous voyons et nous prêchons. Nous comprenons du Père lumière le Fils lumière, dans l'Esprit lumière,
et nous prêchons, d'un seul coup et comme en abrégé, le dogme de la Trinité. Qui rejette, rejette ; qui s'irrite, s'irrite ;
quant à nous, nous prêchons ce que nous croyons.
S. Grég. de Nazianze, orat. XXXI, § 3. / S.C. 250. p. 281. — Cf. S. Épiphane, Ancoratus, §71.
Ces derniers mots visent non seulement les ariens, mais encore les catholiques qui n'étaient pas habitués à un tel langage. Comme le dit notre docteur, cette tactique de recueillement de la Trinité dans l'unité de nature et de titres, était toute puissante pour établir que le Saint-Esprit est Dieu.
§ 4. — Application au Saint-Esprit du nom Dieu.
Dans ce mouvement d'unification des noms divins, le fait le plus important est, sans comparaison, l'extension au Saint-Esprit du nom de DIEU. J'ai raconté ailleurs les hésitations imposées à saint Basile par la prudence. Mais c'était là une de ces questions qui, une fois soulevées, sont par là même résolues. Trop évident était aux yeux des moindres fidèles le dilemme posé par saint Grégoire de Nazianze :
Si le Saint-Esprit est une substance, on doit le déclarer ou Dieu ou créature. Il n'y a pas de milieu entre ces
deux choses, elles n'ont rien de commun, elles ne se composent pas à la manière des bêtes fabuleuses.
S. Grég, de Nazianze, orat, XXXI, § 6. / S.C. 250. p. 287.
Avec saint Grégoire, il faut citer saint Épiphane et Didyme parmi les docteurs qui se montrèrent les plus ardents à cet égard. Dans son Ancoratus, le premier revient souvent sur un point qui lui tient tant à cœur.
Saint Pierre - dit-il - parle ainsi à Ananie : « Pourquoi Satan a-t-il rempli ton coeur, que tu mentes à
l'Esprit-Saint ». Ensuite il ajoute : « Ce n'est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu » (Ac. 5 ; 3 - 4). Il est donc Dieu,
Celui qui est l'Esprit procédant du Père, et auquel ont menti ceux qui avaient soustrait une partie du prix de leur champ.
Saint Paul enseigne la même doctrine, lorsqu'il dit : « Ne savez-vous pas que vous êtes un Temple de Dieu, et que l'Esprit
de Dieu habite en vous ?» (I Co. 3 ; 16). Donc, encore une fois, l'Esprit est Dieu.
S. Épiphane, Ancoratus, § 9.
Dans son célèbre livre Sur le Saint-Esprit, Didyme fait valoir le même argument :
Si mentir au Seigneur, c'est mentir à Dieu, et si mentir au Saint-Esprit, c'est mentir à Dieu, personne
ne peut douter de la communauté du Saint-Esprit avec Dieu. Et de la même manière que la sainteté subsiste en Dieu, de même
la divinité est comprise dans le Saint-Esprit.
Didyme, de Spiritu sancto, § 18.
Voici donc la divinité revendiquée pour la troisième Personne. Plus tard, l'argumentation ayant pris de la force, Didyme ose davantage. Il montre que les noms de Seigneur et de Dieu doivent s'entendre également du Père et du Fils, et il ajoute :
C'est aussi pour la même raison que le Saint-Esprit est appelé Seigneur. Or, s'il est Seigneur, il est Dieu,
comme nous l'avons fait observer plus haut à propos d'Ananie en disant que la déité est comprise dans le Saint-Esprit.
Didyme, de Spiritu sancto, § 29.
Grâce à ces enseignements, le Saint-Esprit commença à être adoré sous le titre de « Dieu », et ce mot suffit à écarter la tourbe des sophistes.
§ 5. — Difficulté suscitée par cette application.
Cette extension du nom « Dieu » est un événement important dans la dogmatique, non seulement à cause
de son utilité pour exprimer la foi en la Trinité, mais encore par son influence sur le concept rationnel de ce mystère.
Efforçons de comprendre cette dernière conséquence.
D'après le concept primitif, le mot « Dieu » tombait immédiatement sur la personne du Père. En prononçant ce mot, le fidèle visait
in recto une personne, et dans cette personne les perfections de sa Nature infinie. « Dieu » était un nom personnel.
Lorsqu'on l'appliquait au Fils, il ne cessait pas complètement d'être un nom propre, ou si l'on veut - un nom de famille. Il est tout naturel
qu'on donne au fils le même nom propre qu'à son père, surtout en ajoutant quelque terme qui le distingue, comme on dit : Tobie père
et Tobie fils. Les fidèles pouvaient donc considérer le nom « Dieu », comme un nom personnel, tout en disant : Dieu le Père et Dieu
le Fils.
Mais il n'en fut plus de même, lorsqu'on appliqua le nom à la troisième personne, qui ne procède pas de la première par voie de génération.
Le nom « Dieu » cessait par là même d'être un nom personnel, un nom propre. Il semblait qu'il tombât au rang de nom commun.
Lorsque le fidèle prononçait ce nom sacré, il devait donc renoncer à sa manière habituelle de viser une personne. Que visait-il alors ?
quel était in recto le nouveau sens du mot DIEU ?
Que le lecteur veuille le remarquer. Je ne l'entraîne pas ici dans des subtilités imaginées à plaisir. Je rapporte historiquement
quelle fut l'hésitation qui surgit dans la pensée des chrétiens. La preuve en est que c'est précisément à cette époque et à
l'occasion du Saint-Esprit, que naquirent les discussions philosophiques au sujet du mot DIEU. J'ai raconté ailleurs ces discussions,
mais l'étude actuelle jette un nouveau jour sur cette importante question.
§ 6. — Solution des principaux docteurs.
Les Pères, qui restèrent fidèles à l'ancienne tradition, résolurent la difficulté, en soutenant que
le nom « Dieu » n'était qu'un nom de fonction. Car, dirent-ils, ce mot dérive des verbes « voir » ou « courir » ou « brûler »,
verbes qui désignent l'opération de la Providence ; et, puisque cette opération est une et commune aux trois personnes, le nom
« Dieu » qui l'exprime est un et commun à ces trois personnes.
Cette explication était très simple, trop simple même. Elle se heurtait au sentiment général chrétien, juif, ou païen,
qui avait toujours considéré le nom « Dieu » comme signifiant la substance même de l'« Être suprême ». Saint Grégoire de Nazianze
comprit ce sentiment, mais il lui donna de la précision, en enseignant que le nom « Dieu » signifie la substance même de l'ÊTRE, en
tant qu'il est le « principe créateur ». Saint Cyrille et saint Damascène adoptèrent cette solution, comme une explication définitive.
§ 7. — Solution plus radicale.
Deux Grecs ont été plus loin, et interprètent le nom « Dieu » dans un sens absolu, c'est-à-dire, indépendamment
de toute relation aux créatures. Le plus autorisé est saint Épiphane. 11 enseigne d'abord que les trois noms : Père, Fils, Saint-Esprit
sont des noms singuliers - onomata monônuma - c'est-à-dire, ne s'appliquant qu'à une seule personne. Puis il ajoute :
« Ainsi donc les noms singuliers ne se prêtent pas à l'homonymie, sauf cependant le nom « Dieu », mais Dieu dans le Père,
Dieu dans le Fils, Dieu dans l'Esprit » (S. Épiphane, Ancoratus. § 8).
Notre docteur reconnaît ce nom sous-entendu dans la formule du baptême :
Baptisez - a dit le Seigneur - dans le nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Si le Père baptise en son propre nom,
c'est dans le nom de Dieu, et l'empreinte parfaite est imprimée en nous dans le nom de Dieu. Si le Christ baptise en son propre nom,
il baptise au nom de Dieu, et l'empreinte parfaite est imprimée en nous au nom de Dieu... Si dans le nom de Dieu, et si dans le nom
du Fils et du Saint-Esprit, l'empreinte de la Trinité est unique, unique aussi est donc la puissance dans la Trinité.
§ 8. S. Épiphane combat ici les hérétiques qui identifiaient le Père à Dieu, à l'exclusion du Fils et du Saint-Esprit.
Voici donc le nom DIEU déterminé à exprimer, non plus simplement une seule des trois personnes, mais chacune des trois prise en elle-même, et toutes les trois ensemble. Quelle est donc sa signification formelle ? Saint Épiphane nous l'apprend dans un autre passage :
Nous ne disons pas des dieux, mais Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit. Ce ne sont pas des dieux,
car le polythéisme ne se trouve pas en Dieu. Par ces trois dénominations, nous affirmons une seule divinité du Père, du Fils et
du Saint-Esprit.
S. Épiphane, Ancoratus, § 6.
Mais ce mot : divinité - theotès - pourrait induire en erreur par sa forme abstraite. Saint Épiphane pressent ce danger, et il le prévient en affirmant qu'en Dieu tout est concret sans abstraction aucune :
Il n'y a pas, dit-il, d'autre substance que la divinité, ni d'autre divinité que la substance.
S. Épiphane, Ancoratus, § 6.
L'auteur des Livres sur la Trinité tient exactement la même doctrine au sujet du mot « Dieu » :
Ce nom, dit-il, est un et s'applique à toute la Trinité.
Didyme, de Trinitate, lib. II, c. 6. — M. XXXIX, col. 524.
Il le trouve, lui aussi, dans la formule du baptême :
Le Sauveur - dit-il - a ordonné de baptiser « dans le nom » et pas « dans les noms », parce qu'il n'y a qu'un nom
pour la Trinité, savoir « Dieu », comme il n'y a qu'une substance et qu'une gloire.
Ibid., lib. II, c. 19. — col. 733.
Ailleurs, il accumule les textes dans lesquels chaque personne se montre avec un titre divin, et il conclut :
On doit donc convenir que le nom « Dieu » ou « Seigneur » est un nom commun aux trois hypostases - epikoinon onoma -
comme les noms : Roi, Très-haut, Incorruptible, Incompréhensible, Saint, et tous les autres qu'on a l'habitude d'appliquer à Dieu.
Ibid., lib. III, c. 23. — col. 928.
C'est donc bien dans un sens absolu que ce docteur entend le nom « Dieu ». Aussi ne veut-il permettre à cet égard aucun malentendu. Parmi les falsifications scripturales qu'il reproche aux hérétiques, il signale la substitution du mot theotès au mot theiotès dans un texte de saint Paul :
C'est la même chose, dit-il, mais cependant ils ont pour but d'affaiblir les témoignages qui le nomment Esprit
divin pneuma theion, et par là même prouvent qu'il est Dieu.
Ibid., liv. II, ch. 11. — col. 664. Voir la note (7). — Il semble évident que c'est à cette distinction de Didyme entre
theiotès et theotès que saint Augustin fait allusion, lorsqu'il hésite entre les mots divinité et déité : « Précédemment
le Christ avait dit aux Apôtres que « le Père l’enverrait (l'Esprit) au nom du Fils » (Jn., 24 ; 26). Mais il n’avait point dit
que ce serait de la part du Fils, comme il avait dit qu’il l’enverrait, lui, « de la part du Père ». Ainsi faisait-il entendre
que le Père est dans les deux autres Personnes divines le principe de la divinité, ou, si l’on aime mieux, de la déité ».
De Trinitate, lib. IV, § 29.
Ce passage [de Didyme] est remarquable. Il semble qu'en repoussant le mot theotès - qu'on pouvait dériver du verbe theasthai - l'auteur ait l'intention de rejeter l'explication du mot theos par la puissance inspectrice, c'est-à-dire, par une relation à la créature.
- ARTICLE IV -
Des théophanies.
§ 1. — Incertitude au sujet des théophanies.
La théorie précédente au sujet du mot « Dieu » habitue la pensée à entendre par ce mot la substance
commune aux trois personnes, sans s'arrêter à une personne divine plus qu'à une autre. Le mot « Dieu » est la formule de l'Unité divine.
Rien de plus énergique pour confondre les ariens, puisque c'était prouver la Trinité par l'Unité. Mais cette théorie a nécessairement
son contrecoup en exégèse. Il en résulte, en effet, que dans l'Écriture le mot « Dieu » ne doit pas s'interpréter du Père plus
spécialement que d'une autre personne.
C'est là un nuage jeté sur plusieurs arguments scripturaux des anciens docteurs, et en particulier sur les explications des théophanies.
Aussi nous voyons que ces apparitions divines de l'Ancien Testament cessent d'être invoquées dans la discussion avec autant
d'assurance que par le passé.
Il y a plus ; quelques Grecs précèdent saint Augustin dans cette voie qui consiste à laisser indéterminé quelle Personne s'est montrée.
§ 2. — Saint Grégoire de Nysse.
Voici à cet égard un remarquable passage de saint Grégoire de Nysse.
Après avoir rapporté quelques textes du Nouveau Testament qui témoignent de la divinité du Saint-Esprit, il ajoute :
Cette divinité est attestée encore par le prophète Isaïe au sujet de la théophanie, dans laquelle il vit Celui
qui est assis sur un trône élevé et suréminent.
- La plus ancienne tradition dit que c'est le Père qui s'est montré.
- Cependant
l'évangéliste Jean rapporte au Seigneur cette prophétie, lorsqu'il dit à propos des Juifs qui n'ont pas cru aux paroles du prophète
relatives au Seigneur : « Isaïe dit cela, quand il eut la vision de sa gloire, et c'est de Lui qu'il parla » (Jn. 12 ; 41).
- Mais
le grand Paul applique cette même parole au Saint-Esprit, dans le discours qu'il adressa aux Juifs de Rome : « Elles sont bien vraies
les paroles que l'Esprit-Saint a dites à vos pères par la bouche du prophète Isaïe : va trouver ce peuple et dis-lui : vous aurez
beau écouter, vous ne comprendrez pas » (Ac. 28 ; 25 - 26).
Il est donc démontré, je pense, par la sainte Écriture elle-même,
que toute vision plus divine, et toute théophanie, et tout discours fait en la personne de Dieu, doit s'entendre du Père et
du Fils et du Saint-Esprit.
Voilà pourquoi David, disant que les Juifs ont irrité Dieu dans le désert, l'Apôtre rapporte
au Saint-Esprit tous les crimes des Israélites contre Dieu : « C'est pourquoi, comme le dit l'Esprit-Saint : Aujourd'hui,
si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs, comme cela s'est produit dans la Querelle, au jour de la tentation dans
le désert » (Hb. 3 ; 7 - 8), et la suite, saint Paul rapportant à la personne du Saint-Esprit, tout ce que la prophétie
rapporte à Dieu.
Grég. de Nysse, contr. Eunomium, lib. II. — M. XLV, col. 534
Certes, voici une explication bien augustinienne des théophanies. Ces apparitions doivent s'entendre aussi bien d'une personne que d'une autre ; elles perdent leur caractère personnel, et ne sont plus attribuables au Fils d'une manière spéciale et exclusive.
§ 3. — Didyme.
Nous trouvons dans les Livres sur la Trinité (Didyme, de Trinitate, lib. I, cap. 19.) la reproduction du passage précédent. On commence par remarquer que les auteurs inspirés disent la même chose, tantôt du Père, tantôt du Fils, tantôt du Saint-Esprit, non pour les opposer l'un à l'autre, mais pour attester que la glorieuse Trinité existe dans une unique divinité. Puis on rapporte tout au long la vision d'Isaïe :
Ce roi et Seigneur des armées qui a été vu, Isaïe lui-même reconnut que c'était Dieu le Père...
L'antique tradition dont parle S. Grégoire de Nysse est donc la parole même d'Isaïe. En comparant Isaïe, saint Jean et saint Paul, il compare, comme Didyme, trois auteurs inspirés. Didyme répète plus loin la même pensée : « le prophète reconnut le Père ; Jean reconnut le Fils ; mais Paul dans les Actes, à cause de l'identité de la divinité, déclara que c'était l'Esprit infiniment sage » (Lib. II, c. II — col. 657).
...Cependant Paul dans les Actes des apôtres déclare que c'était le Saint-Esprit... Mais Jean dans son Évangile définit que c'est le Fils.
Quant au second texte tiré des Psaumes : vos pères me tentèrent, Didyme déclare que David
l'entendait de la personne du Père, et que saint Paul et saint Etienne l'ont entendu du Saint-Esprit.
Poursuivant son exégèse, Didyme montre que d'après Moïse et Jérémie, c'est le Seigneur qui a conduit le peuple d'Israël ;
d'après Isaïe, c'est le Saint-Esprit ; d'après saint Paul, et saint Jude, le conducteur était le Christ.
Voilà pour confondre
les hérétiques ; car non seulement la même conduite d'Israël est rapportée tantôt à une hypostase, tantôt à une autre, mais
leur unique divinité est attestée par ce verset : « Le Seigneur est seul pour le conduire ; point de dieu étranger avec Lui »
(Dt. 32 ; 12).
§ 4. — Saint Épiphane.
Saint Épiphane est encore plus explicite, s'il est possible , dans cette nouvelle exégèse, et son témoignage est d'autant plus important qu'il est tiré de l'Exposition de la Foi, où le docteur enseigne plus qu'il ne discute.
C'est par la Trinité elle-même, Père, Fils et Saint-Esprit, que tout a été créé... Tout a été tiré du néant par le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Le même (Dieu), Père et Fils et Saint-Esprit s'est montré dès le commencement du monde par des visions accordées aux Saints suivant la grâce qui les rendait dignes. Tantôt le Père a été vu, tantôt on a entendu sa voix. Ainsi, lorsqu'il est dit par la bouche d'Isaïe : Ecce intelliget Puer meus dilectus - voici mon Serviteur, que Je soutiens (Is. 42 ; 1), c'est la voix du Père ; et lorsque Daniel a vu l'Ancien des jours, c'est une apparition du Père. Lorsque il est dit dans le prophète : « Je parlerai aux prophètes et je multiplierai les visions » (Osée 12 ; 11), c'est la voix du Fils. Mais lorsqu'on lit dans Ezéchiel : « L'Esprit m'enleva et me prit » (Ez. 3 ; 12, 14), il s'agit du Saint-Esprit.
On pourrait, continue notre docteur, rapporter beaucoup d'autres passages ; car il n'en a cité que quelques-uns en courant. Mais on démontrerait de la même manière...
...que le Seigneur lui-même a formé le corps d'Adam, et a soufflé en lui un souffle de vie en créant en lui
une âme vivante, et que celui qui a donné la loi à Moïse est le Dieu, Père et Fils et Saint-Esprit, l'unique divinité, et que les
prophètes ont été envoyés par la Divinité elle-même, et que le même Dieu est le Dieu des Juifs et des chrétiens.
Épiphane, Expositio fidei, § 14.
Nous voilà bien loin, semble-t-il, de saint Athanase, et bien près de saint Augustin. Remarquez, en outre, comment saint Épiphane emploie souvent le mot « Divinité » et comment il affecte l'expression « le Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit ». C'est la Trinité recueillie dans l'unité de substance autant qu'elle peut l'être, en laissant intacte la distinction réelle des Personnes.
- CHAPITRE VI -
COMPARAISON DES DEUX ÉCOLES
§ 1. — Deux tactiques différentes.
Lorsqu'une riche cité est attaquée par un terrible ennemi, ses défenseurs peuvent adopter des tactiques
différentes. Ou bien ils se porteront en avant de la ville pour soutenir le choc des adversaires ; ou bien ils abandonneront
les faubourgs pour se retrancher derrière des murailles qu'ils savent inexpugnables. Ces deux tactiques représentent assez bien
les méthodes qui furent en usage parmi les Grecs pendant l'arianisme, et que j'ai distinguées sous les noms d'école d'Alexandrie
et d'école d'Antioche. La première reste fidèle aux conceptions adoptées par les ancêtres et aux principes de leur argumentation.
La seconde renonce à plusieurs considérations qui ne semblent pas assez efficaces contre l'adversaire, et s'en tient aux arguments
sans réplique.
Cependant ces deux écoles ne cherchent point à se nuire mutuellement. Elles s'unissent et se soutiennent pour combattre l'ennemi,
comme deux troupes d'un même drapeau, mais d'armures différentes.
§ 2. — L'école d'Antioche prépare l'école augustinienne.
L'école d'Antioche est intéressante, à cause du lien qu'elle établit entre les doctrines orientales
et la théologie occidentale. Cette dernière a pris pour maître saint Augustin, sur tous les points, et en particulier au sujet de la
Trinité. Mais, ce qu'on ne connaît peut-être pas assez, c'est que le docteur d'Hippone s'est beaucoup inspiré de l'école d'Antioche.
En effet, on doit distinguer deux parts dans son admirable traité De la Trinité, l'une due à son propre génie, l'autre due à
ses lectures. La première consiste en des études psychologiques très délicates et dans leur application au mystère. Ce sont ces hautes
méditations qu'en général on va chercher dans ce traité et qu'on relit avec plus de charme. Et cependant, dans la pensée de l'auteur,
ce n'est là qu'un accessoire, auquel il sacrifie peu de pages, et dont il ne s'occupe avec plus d'attention qu'à la fin de son ouvrage,
lorsqu'il fait appel aux créatures pour chanter la gloire du mystère.
Mais la partie principale de ce traité, la partie de beaucoup la plus considérable est une exposition méthodique du dogme, tel qu'il
s'impose à notre foi. Longue discussion de chaque mot pour en déterminer la signification exacte, examen critique de chaque formule
pour en distinguer le sens vrai et le sens faux, appréciation logique de chaque argument pour ne retenir que les démonstrations absolument
apodictiques : voilà ce qui remplit en très grande partie l'ouvrage du docteur d'Hippone. Son intention et sa préoccupation sont,
avant tout, de mettre sous une forme rigoureuse la foi traditionnelle.
Or nous ne devons pas oublier que saint Augustin a commencé
très tard son éducation catholique, et qu'il a été réduit à s'instruire tout seul. Comment y est-il parvenu sinon par des lectures ?
Et quels auteurs a-t-il pu consulter, à part saint Ambroise et saint Hilaire, sinon les docteurs de l'Orient qui ont supporté
le choc des grandes hérésies contre la Trinité ? Du reste, son ouvrage révèle partout des études prolongées sur les auteurs grecs ;
études d'autant plus méritoires que notre docteur était moins familiarisé avec la langue grecque. Sans doute, saint Augustin
a étudié un grand nombre de Pères orientaux.
Cependant ses conclusions démontrent qu'il s'est attaché de préférence aux enseignements
de l'école d'Antioche. Même explication des théophanies, même indécision sur le sens du mot « Dieu » dans l'Écriture, même réduction
à la Trinité de toutes les opérations attribuées à l'une ou l'autre des personnes. L'école d'Antioche est donc le lien entre la
dogmatique orientale et la dogmatique occidentale ; et par là même, la complète communion de doctrine dans l'Église entière se
trouve démontrée historiquement.
§ 3. — L'école d'Antioche prépare l'école scolastique.
Ce qui précède suffirait à démontrer que la scolastique , fille de saint Augustin, a pour ancêtres les mêmes
docteurs. Mais il y a lieu d'entrer dans de nouvelles considérations.
J'ai distingué autrefois deux visées contraires au sujet de la même réalité. Les Grecs, disais-je, ont l'habitude de viser la personne
in recto et ia nature in obliquo. En d'autres termes, leur pensée tombe d'abord et immédiatement sur la personne,
et y pénètre pour rencontrer la Nature. Ils voient la personne « en elle-même » et la Nature « dans la personne ». — Inversement
les scolastiques ont contracté l'habitude de viser la Nature in recto et la personne in obliquo. En d'autres termes,
leur pensée tombe d'abord et immédiatement sur la Nature substantielle, et y surajoute l'idée de subsistance, comme une détermination
complétive.
Ils voient la Nature « en elle-même » et la personne « dans la Nature ».
— Hé bien! ne semble-t-il pas que nous retrouvions cette visée dans les auteurs les plus déterminés de l'école d'Antioche, dans
saint Épiphane et dans l'auteur des Livres sur la Trinité. Sans doute, saint Épiphane, même lorsqu'il applique indistinctement le
nom « Dieu » aux trois personnes, n'abandonne pas la visée grecque.
Dieu - dit-il dans un passage cité plus haut - mais dans le Père ; Dieu dans le Fils, Dieu dans le Saint-Esprit
qui est de Dieu et est Dieu.
S. Épiphane, Ancoratus, § 8.
Il n'en reste pas moins que la pensée peut être déterminée par ce mot, sans être fixée sur aucune personne en particulier. L'auteur des Livres sur la Trinité insiste sur ce point de vue. Il fait appel à notre coutume et à notre « impulsion naturelle ».
Lorsque nous prions - dit-il - soit que nous disions : « Kyrie eleison », ou : « Deus auxiliare - Dieu,
viens à mon aide », ou tous les deux ensemble, nous ne nous écartons pas du but. Car nous comprenons toute la Sainte Trinité dans
une seule divinité.
Didyme, de Trinitate, liv. II, ch. 19. — M. XXXIX, col. 736.
S'il en est ainsi, ce mot dirige la pensée vers la substance commune, indépendamment du suppôt de cette
substance. La visée tombe immédiatement, in recto, sur la substance infinie et souverainement parfaite, à la manière
de la visée latine. On retrouve, en effet, dans le même auteur des explications qui répondent à ce concept.
En voici un exemple.
Après avoir reproduit l'objection des pneumatomaques : « Si le Saint-Esprit est Dieu, ou bien il est Père, ou bien il est Fils.
Or il n'est ni l'un ni l'autre; donc il n'est pas Dieu et il doit être rangé avec les autres esprits », notre théologien dit :
Il faut leur répondre comme il suit :
- De même que le Père est Dieu, non point parce qu'il est père, mais parce qu'il est d'une Nature divine ;
- de même que le Fils est Dieu, non point parce qu'il est le fils de de n'importe qui, mais parce qu'il est le Verbe Fils de Dieu ;
- aussi le Saint-Esprit est Dieu, non point parce qu'il est esprit, mais parce qu'il est l'unique Saint-Esprit de Dieu et qu'il
est constitué dans sa divine Nature.
Ibid., liv. II, ch. 5. — col. 492.
Ne semble-t-on pas entendre cette distinction si fréquente dans la scolastique entre les concepts d'une personne qua Deus - en tant que Dieu et qua persona - en tant que personne ?
§ 4. — Accord des deux écoles.
Cette variété des méthodes nous montre, mieux que toute explication, combien le mystère de la
Trinité est impénétrable. Deux dogmes sont identifiés dans une ineffable réalité, savoir, l'unité de substance et la triplicité
de personnes. Unité-Trine, Trinité-Une. Il nous faut deux mots pour exprimer notre foi en la simplicité absolue. Or, de ces deux mots,
le substantif l'emporte toujours dans notre esprit sur l'adjectif. De là résultent deux courants intellectuels dans la
considération du mystère. L'un va de l'Unité de substance à la triplicité de personnes ; l'autre va de la triplicité de personnes
à l'Unité de substance. C'est toujours la même voie, mais parcourue en sens inverse.
L'école d'Alexandrie demeure fidèle à la méthode primitive malgré l'abus sacrilège des ariens, et distingue le plus possible
les rôles des personnes divines. L'école d'Antioche, pour fortifier le dogme de la consubstantialité, insiste surtout sur l'unité
divine de substance et d'opération. L'école scolastique adopte plus résolument encore ce point de départ. Aussi bien son enseignement
établit d'abord la théodicée de « Dieu-un », puis y greffe, pour ainsi parler, la théologie de « Dieu-Trine ». Au contraire,
l'enseignement de la plupart des Grecs consiste à établir tout d'abord la théologie des trois personnes, en y englobant la
théodicée de l'unité.
C'est ici le cas d'appliquer la parole d'Aristote : d'Athènes à Thèbes il n'y a qu'une route, mais on peut la parcourir suivant
deux directions contraires. Affirmons que toujours et partout dans l'Église catholique, les docteurs ont parcouru en son entier
la voie dogmatique entre l'Unité et la Trinité. Mais ne poussons pas le zèle de la conciliation jusqu'à dire, de deux voyageurs
qui se croisent sur la même route, qu'ils emboîtent le pas.
§ 5. — Caractère et rôle des deux écoles.
Après cette vue d'ensemble, renfermons-nous dans l'étude de l'Orient.
L'école d'Alexandrie est franchement platonicienne, l'école d'Antioche a des allures plus péripatéticiennes. L'une est plus ardente
et l'autre plus prudente. L'une étale aux yeux des chrétiens toute la magnificence de la doctrine catholique ; l'autre oppose
aux hérétiques le dogme renfermé sous une forme inattaquable. On pourrait dire encore qu'Antioche présente le «minimum» dogmatique
que la foi oblige à croire, et qu'Alexandrie expose en outre tout ce qu'une respectable tradition invite à admettre.
Cette différence de cadres mérite une sérieuse attention de la part du théologien. Pour mieux faire comprendre ma pensée à cet
égard, je ferai d'abord une digression sur un sujet particulier.
§ 6. — Disgressions sur l'exégèse.
La foi nous enseigne que dans l'Écriture sainte on trouve deux sens au moins, savoir le sens littéral
et le sens mystique ou figuratif. Sans entrer dans des discussions inutiles à notre sujet, un exemple suffira. Il est de foi
que les hébreux ont immolé un agneau à la sortie d'Égypte. Il est également de foi que cet agneau figurait le Christ. D'ailleurs
le sens mystique suppose le sens littéral, car un objet ne peut être figuré réellement à moins qu'il n'y ait une figure réelle.
Ces deux sens donnent lieu à deux exégèses. L'une ne s'occupe que du sens littéral, fondement de tout le reste, et le détermine
avec précision, comme il ferait pour le texte d'un auteur profane ; l'autre, acceptant le sens littéral, s'efforce de s'élever
jusqu'au sens figuratif. Or les procédés spéciaux à ces deux exégèses sont différents autant que leur objet. Sans doute,
l'exégèse littérale s'appuie sur les décrets des conciles et sur l'entente générale des Pères ; mais ses armes propres sont la
science des langues et la critique historique, c'est-à-dire, des sciences qui relèvent de la raison. Quant à l'exégèse mystique,
ses seuls moyens sont des armes ecclésiastiques, savoir, les enseignements des Pères. De nos jours, le rationalisme incrédule
s'est acharné avec rage contre l'authenticité et la véracité des Livres saints. Il a fallu concentrer la défense sur le sens
littéral ; et, Dieu merci, l'exégèse catholique soutient vaillamment la lutte, au prix d'immenses et pénibles travaux. Mais
n'est-il pas un peu arrivé à ces vaillants défenseurs de l'Écriture, ce qui menace tous ceux qui se spécialisent dans leurs études,
savoir, une diminution d'estime pour ce qui n'est pas l'objet propre de leurs méditations ? Les Pères de l'Église sont peu utiles
dans la polémique moderne sur le sens littéral. Il en est résulté une sorte de défaveur sur leurs œuvres scripturales.
On est tenté de croire qu'ils ne se sont étendus si complaisamment sur les sens mystiques ou tropologiques, que parce qu'ils
ignoraient tout ce qu'il y a à dire sur la lettre.
Mais, d'autre part, voyez quelle est la situation des simples fidèles. La Bible leur apparaît comme un livre dont l'étude
est entourée d'immenses difficultés et suppose une science inabordable au commun des hommes. Que leur reste-t-il à faire, sinon
à fermer un livre si obscur, et à prendre des connaissances scripturales dans les œuvres où sont vulgarisés les travaux de
l'exégèse moderne.
Et cependant, la Bible n'est-elle pas le Livre, c'est-à-dire, le Livre de Dieu, et Dieu n'a-t-il écrit que pour les savants ?
La Bible ne devrait-elle pas être la nourriture préférée par tout chrétien, puisque elle lui a été préparée par la main même de
Dieu. — Lisez la Bible, lui dira-t-on, pour y voir l'action de Dieu sur un peuple choisi. Mais la Providence divine ne
m'apparaitra-t-elle point avec plus d'éclat encore dans une histoire de l'Église ? — Lisez la Bible pour y trouver de grands
enseignements moraux. — Mais les Morales en action et les ouvrages d'ascétisme ne me fournir ont-elles point des lectures plus
faciles, plus claires, plus précises ?
Comment donc lire la Bible? — II faut la lire tout entière comme on lit l'Évangile. — Et que cherchez-vous dans l'Évangile ?
— Jésus-Christ. Par conséquent c'est le « Verbe incarné » qu'il faut chercher partout dans le « Verbe écrit ». Le Verbe lui-même
nous y invite : « Vous scrutez les Écritures... or ce sont elles qui me rendent témoignage » (Jn. 5 ; 39). Que les vaillants exégètes,
qui ont à supporter le poids des attaques rationalistes, s'en tiennent à la défense de quelques textes messianiques plus manifestes ;
ils ont raison : c'est de sage tactique. Mais nous, simples et ignorants, ouvrons le Livre avec piété, avec le désir d'y rencontrer
Jésus dans tous les récits, dans tous les discours. Ce n'est point pour imposer à d'autres mes interprétations, mais pour nourrir
mon âme ; comme l'épouse des Cantiques, je cherche, je trouve, je perds, je recherche, je retrouve Celui qui est mon seul amour.
Et pour me guider, je consulte les gardes de la ville, qui ont vu passer le Bien-aimé.
Dans cette disposition amoureuse, le cœur soulève l'esprit, la chaleur devient lumière, et la sapidité de cette lecture divine
rend presque insipide toute œuvre sortie de la main des hommes.
Pendant que de savants architectes discutent sur l'âge d'une cathédrale, sur son style, sur les retouches, sur les pierres
rapportées, une pauvre femme est passée, sans bruit, pour aller s'agenouiller dans une chapelle où brille la lampe liturgique.
J'admire la science des archéologues, et j'en proclame la grande importance. Mais je ne puis m'empêcher de me demander si la
pieuse ignorante ne connaît pas mieux encore cette belle église.
Nous n'avons plus qu'à élargir la considération précédente, pour distinguer les rôles des écoles d'Antioche et d'Alexandrie.
La première répond à une attitude de défense. Il s'agit de recueillir la Trinité dans la « consubstantialité ». On évitera donc
tout ce qui peut donner lieu à séparer les trois personnes. On montrera leur coopération dans toutes les œuvres extérieures,
et dans les théophanies en particulier. On mettra en évidence les textes scripturaux qui manifestent ce dogme d'union et d'unité.
Mais cette théologie qui repousse la séparabilité des personnes, telle que l'entendaient les hérésies, ne condamne en aucune
manière l'antique théologie qui apprend aux catholiques à distinguer les rôles des personnes dans les opérations communes.
Tenir la verge haute contre des serviteurs révoltés, n'est point intimider les enfants dans leurs relations de famille.
L'école d'Antioche garde le temple ; l'école d'Alexandrie chante à l'autel. Lorsque les deux écoles tiennent le même langage,
leur doctrine est absolument certaine. Lorsque l'une d'elles parle seule, pour développer des pensées qu'elle a reçues de
la tradition primitive, sa doctrine, sans forcer la conviction, s'impose au respect, et se présente avec les caractères
d'une haute probabilité.
Tel est, du moins, mon jugement personnel sur les deux enseignements de l'Orient, et c'est dans ce même esprit de modération
que j'invite le lecteur à poursuivre nos Études.