Orthodoxie en Abitibi

P. Théodore de Régnon : Études de Théologie Positive XVII

P. Théodore de Régnon - Études de Théologie positive - XVII -

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La filiation
Des noms du Fils
Théorie scolastique
Théorie grecque

- Étude XVII -
Le Fils unique.

- CHAPITRE I -
LA FILIATION


§ 1. — La génération divine est mystérieuse.

n ne doit pas aller chercher dans les docteurs grecs de subtiles théories sur la génération du Verbe. En présence du gnosticisme arien, leur tactique était d'affirmer le dogme de la foi, et d'interdire à la raison toute indiscrète curiosité. Ce fut le temps de combattre, non de philosopher. Saint Augustin lui-même (on ne l'a peut-être pas assez remarqué), se comporta avec la même prudence. Il se garda d'introduire dans ses polémiques contre les hérétiques aucune des belles conceptions sur la Trinité, qu'il méditait au fond de son cœur et qu'il réservait à ses amis catholiques.

Qu'on lise les docteurs du quatrième siècle, on constatera qu'ils sont tout entiers à proclamer l'inscrutabilité du mystère et à se moquer des impudents, tels qu'Eunomius, qui prétendaient s'introduire jusque dans le sein de Dieu, pour lui dérober ces secrets.

Saint Grégoire de Nazianze fustige avec une verve caustique les indiscrètes questions des ariens.

Comment donc est-il engendré ? demandes-tu. — II n'y aurait, certes, rien de bien grand dans cette génération, si tu pouvais le savoir, toi qui ne sais rien de ta propre génération, ou du moins qui n'en connais qu'une petite chose dont tu as honte de parler. Et tu prétends tout connaître ? Allons, mets-toi d'abord à l'étude, recherche et trouve les raisons d'aggrégation embryonnaire, de conformation anatomique, de liaison entre le corps et l'âme...

Explique-moi tout cela, ou ne raisonne pas sur la génération de Dieu. — Comment est-il engendré ? Je le répète avec l'indignation que mérite une telle question : la génération de Dieu est honorée par le silence. C'est déjà beaucoup pour toi de savoir qu'il est engendré. Quant à l'intelligence du comment, nous ne l'accordons pas aux anges, et moins encore à toi.

Veux-tu que je t'explique le comment ? Eh bien! c'est comme le savent le Père engendrant et le Père engendré. Le surplus est caché dans la nue, et se dérobe à ta myopie.

S. Grêg. de Naz., Theol, III, or. XXIX, § 8.

Mais cette réponse de saint Grégoire n'est peut-être qu'une habileté de discussion, une sorte de fin de non-recevoir qui arrête les hérétiques indignes de nos mystères. Peut-être ouvrait-on davantage aux pieux fidèles les trésors de la science sacrée. Adressons-nous donc à saint Cyrille de Jérusalem, enseignant ses ouailles dans ses célèbres catéchèses.

Crois, dit-il, par la foi, que Dieu a un Fils, et ne te fatigue pas à connaître le comment. Car tu auras beau chercher, tu ne trouveras pas. Dis-moi d'abord ce qu'est celui qui engendre, et tu pourras ensuite me dire ce qu'il a engendré. Si tu ne peux concevoir la Nature du générateur, ne t'épuise donc pas à scruter le mode de cette génération. Il doit suffire à ta piété de savoir que Dieu a un Fils unique, naturellement et uniquement engendré.

S. Cyr. de Jérusal., Catéch. VI, § 19.

Mais peut-être ne faut-il voir dans cette interdiction que la prudence d'un catéchiste qui enseigne les simples. Écoutons plutôt saint Hilaire qui s'adresse aux savants.

Cette génération - dit-il - est le secret du Père et du Fils. Si quelqu'un impute à la faiblesse de son intelligence de ne pouvoir comprendre ce mystère, bien qu'il comprenne séparément les mots Père et Fils, il n'en sera que plus affligé d'apprendre de moi que je suis dans la même ignorance. Oui, moi, je ne sais, et je ne cherche pas, et je me console cependant. Les archanges ignorent, les anges n'ont pas entendu, les siècles ne contiennent pas, le prophète n'a pas compris, l'apôtre n'a pas interrogé, le Fils lui-même n'a rien dit à cet égard. Cessez donc de vous plaindre... Ne supporterez-vous pas d'ignorer la Nativité du Créateur, vous qui ignorez comment les créatures sont engendrées ?

S. Hilaire, De Trinitate, lib. II, § 9.


§ 2. — Ses caractères d'après l'Écriture.

Les docteurs blâmeraient-ils tout pieux désir de nourrir la foi par la connaissance ? Non pas : ils cherchent, eux aussi, quels sont les caractères de la mystérieuse génération ; mais, pour se guider, ils recueillent ce que Dieu en a dit lui-même. Saiut Grégoire de Nysse a résumé ces recherches dans un passage véritablement didactique. Il annonce que, pour en finir avec les amphibologies d'Eunomius, il veut étudier une bonne fois toutes les significations du mot genèse, gennèsis. Ce mot signifie la provenance de quelque cause. Mais on doit distinguer diverses sortes de causalités. Il y a d'abord ce qui provient de la matière et de l'art. Telles sont les constructions de maison, où l'art unit et dispose les diverses matières pour un but déterminé d'avance. Il y a ensuite ce qui provient de la matière et d'une nature (rappelons que le mot phusis- nature doit être entendu au concret). Ce sont les générations animales, dans lesquelles une nature se reproduit par le moyen de la matière qui subsiste dans les corps. Il y a ce qui provient d'une émanation matérielle. Dans ce cas, le principe demeure tel qu'il est, et ce qui en découle le manifeste en soi-même. Citons le texte même de saint Grégoire.

Il en est ainsi, dit-il, du soleil et du rayon, de la lampe et de son éclat, des aromates et de la qualité odoriférante qui en émane. Les principes demeurent en eux-mêmes sans diminution aucune, mais aussitôt qu'ils existent, ils ont une propriété physique émanant d'eux et les accompagnant inséparablement. Le soleil a son rayon, la lampe a son éclat, l'aromate a son parfum qui s'exhale dans l'air.

Enfin il y a une autre espèce de génération. La cause en est immatérielle et incorporelle ; mais la génération est sensible et se produit par des corps. Je veux parler de la parole engendrée de l'intelligence. Car l'intelligence qui est incorporelle en elle-même, enfante la parole par des organes sensibles. Telles sont les différentes genèses, gennèseis, que nous distinguons dans les choses.

S. Grég. de Nysse, Contr. Eunom. lib. II. — M. XLV, col. 503 et suiv.

Après avoir établi cette classification des genèses, notre théologien dit que le Saint-Esprit les a toutes employées pour nous exprimer les mystères. Mais il fait observer avec subtilité, que le Saint-Esprit a toujours eu soin de ne rien dire qui pût rappeler le concours de la matière : ni temps, ni lieu , ni préparation de matière, ni emploi d'instruments. Ainsi, comparant la création à la première classe de genèses dont l'art est un des principes, le Psalmiste se contente de dire : Ipse dixit et facta sunt, ipse mandavit et creata sunt - car Il parla, et cela fut ; Il commanda, et toutes choses furent créées. (Ps. 32 ; 9).

Pour exprimer la génération ineffable du Fils Unique, le Saint-Esprit emploie tous les autres modes de genèses ; mais toujours en les dépouillant de tous leurs caractères matériels. Il nomme la deuxième Personne simplement Fils. Ainsi isolé, ce mot n'appelle aucune pensée matérielle, et n'évoque qu'un seul principe qui est une Nature. Par ce mot, le propre rapport du Fils unique au Père céleste, et sa procession par voie de Nature nous sont signifiés.

Mais ce mode de genèse ne suffisant pas encore à nous bien faire connaître le mode d'existence du Fils unique, le Saint-Esprit emploie l'exemple de genèse par émanation matérielle, en l'appelant: « Splendeur de la gloire », « odeur du parfum », « vapeur de Dieu ». Ici encore, les dénominations sont toutes nues, sans aucune circonstance de temps, de lieu, de mutation ; rien de matériel en un mot. Car il s'agit uniquement de nous faire comprendre que le Fils procède du Père, et lui est uni sans séparation ni intermédiaire quelconque.

Enfin après toutes ces dénominations, le Saint-Esprit nous a mieux encore révélé le mystère, en le comparant à la genèse du logos par l'intelligence.

Mais - dit notre docteur - de peur que, s'arrêtant au sens ordinaire du mot, on ne se figure le Fils comme un son vocal émis par le Père, le sublime saint Jean témoigne que le Logos existe substantiellement dans la suprême Nature, et proclame cet oracle : Au Commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu. Il est Dieu, il est lumière, il est vie, il est tout ce qu'est le Principe.

Il faut donc - conclut enfin saint Grégoire - qu'en entendant attribuer à Dieu quelqu'une des genèses d'ici-bas, on prenne dans chacune le caractère qui convient aux choses divines.

On peut comparer cette affirmation aux paroles d'Alexandre de Halès :

Il faut attribuer à Dieu tout ce qui est noblesse et perfection. Voilà pourquoi nous affirmons que l'unité de l'essence divine est en plusieurs sans y être multipliée.

Alexandre de Halès, I, q. 14, membr. 1, ad argumenta. Cité dans l'Étude XI du P. Théodore de Régnon, « Théorie de Alexandre de Halès », Chap. IV, art. II, § 5.


§ 3. — Sa raison formelle est la fécondité divine.

La citation précédente [de saint Grégoire de Nysse] est d'un grand intérêt, parce qu'elle résume bien le rôle que les docteurs assignaient aux appellations scripturales. Tous ces noms, toutes ces comparaisons convergent vers le nom propre de chaque Personne. C'est toujours aux noms de Père et de Fils, que se ramène la polémique religieuse.

Les Ariens accordaient que le Père est Dieu, et refusaient l'adoration au Fils. La tactique des docteurs était toute dictée par cette attitude : chercher dans les caractères mêmes de la paternité les caractères de la filiation, et rassembler tout le mystère dans cette unique proposition : « Dieu est Père, comme il convient à un Dieu ».

Saint Damascène ne fait que résumer tous les enseignements de ses prédécesseurs, lorsqu'il écrit :

Dieu est Père. Car il est impossible de supposer que Dieu soit privé de la fécondité naturelle. Or la fécondité consiste à engendrer de soi, c'est-à-dire de sa propre substance, son semblable en Nature.

S. Damasc., Foi orthod., liv. I, ch. VIII. — M. XCIV, col. 812.

Dans ce passage, la génération divine n'est point présentée comme l'opération spéciale de la faculté intellectuelle, mais bien comme l'opération de toute la Nature, comme une opération partant du fond même de la substance considérée comme substance (nous avons rencontré la môme pensée dans Alexandre de Haies et saint Bonaventure, qui, d'ailleurs, l'avaient puisée dans les Pères grecs).

Cette fécondité de Dieu, cette procession par voie d'activité substantielle, telle est l'idée maîtresse de la théorie grecque au sujet du Fils. Les docteurs y trouvaient tout ce qui était nécessaire pour écraser l'hérésie. On peut lire, en particulier, tout le parti qu'en tire saint Grégoire de Nazianze dans ses fameux discours théologiques.

Dieu est Père, comme il convient à un Dieu ; donc le Fils est éternel, il est Dieu, il est consubstantiel à son Père.


§ 4. — On en déduit l'éternité et la divinité du Fils.

Les Ariens avaient mis en avant cet odieux logogriphe : « II fut que le Fils n'était pas ». Les docteurs repoussaient un tel blasphème en disant : Le Fils est éternel, car Dieu ne peut engendrer qu'éternellement. À ce sujet, saint Damascène fait remarquer la différence entre la génération et la création. Sans doute, soit en engendrant soit en créant, Dieu est immuable, mais les raisons en sont différentes.

Puisque - dit-il - la génération est une œuvre de Nature et procède de la substance même de Dieu, il faut nécessairement qu'elle soit sans commencement et éternelle. Sinon, l'engendrant subirait un changement, il y aurait Dieu antérieur et Dieu postérieur ; Dieu s'accroîtrait. Quant à la création, elle est œuvre de volonté, donc elle n'est pas coéternelle à Dieu. Car il ne se peut que ce qui est amené du néant à l'être, soit coéternel à ce qui existe sans origine et toujours.

S. Damascène, ibid. — Col. 813. Comparez S. Grég, de Nysse, contr. Eunom., lib. II. — M. XLV, col. 469.

La divinité du Fils résulte aussi de sa génération. Les textes abondent, rappelant que, suivant la raison formelle de la génération, l'engendré et le générateur sont identiquement de même Nature.

Si Dieu - dit saint Épiphane - a réellement engendré un Fils, il est impossible que ce Fils ne soit pas semblable et égal à son Père. Car tout progéniteur engendre son semblable, non seulement son semblable, mais identiquement son égal. L'homme engendre l'homme, Dieu engendre Dieu.

S. Epiphane, Adv. Haeres., haeres. 76, § 61. — M. XLII, col. 525.

Saint Grégoire de Nysse, argumentant contre Eunomius sur le mot gennèma, conclut :

Le fruit du chêne ne s'appelle pas du vin : et les rejetons des vipères, comme dit l'Évangile, sont des serpents et non des brebis. Il est donc évident que l'appellation de Fils et de rejeton ne signifie pas une différence de Nature... Tout ce qui subsiste en vertu d'une génération est absolument de même Nature que ce dont il provient.

S. Grég. de Nysse Contr. Eunom., lib. III. — M. XLV, col. 600.


§ 5. — Comment saint Grégoire de Nysse en déduit la consubstantialité.

Pour défendre le mot homoousios - consubstantiel défini par le concile de Nicée, les Grecs n'eurent garde d'oublier l'argument tiré de la génération. Saint Grégoire de Nysse ne put s'empêcher de le développer sous une forme philosophique, où l'on retrouve le réalisme dont il faisait profession.

Il s'agit de prouver que la même usie appartient , sans partage et simultanément, au Père et au Fils.

En quoi donc - dit saint Grégoire - la génération divise-t-elle l'« usie »? Parmi les hommes, l'usie est la Nature humaine. Parmi les animaux pris génériquement, c'est une nature brute ; mais, en descendant aux espèces, dans les bœufs, les moutons et les autres brutes, l'usie se montre avec les différences spécifiques. Eh bien ! parmi tous ces êtres, quelle est l'«usie» propre divisée par l'enfantement ? Est-ce que la Nature ne demeure pas entière dans chacun des vivants successifs ?

De même l'homme, lorsqu'il engendre de soi un homme, ne divise pas la Nature, et celle-ci est tout entière et dans l'engendrant et dans l'engendré. Elle n'est pas arrachée ou expulsée de celui-là pour passer dans celui-ci, elle n'est pas mutilée dans l'un, parce qu'elle est complète dans l'autre ; mais elle existe tout entière dans le premier et on la retrouve tout entière dans le second. En effet, avant que d'engendrer, l'homme était un animal raisonnable, mortel, capable de pensée et de science. Et lorsqu'il a engendré cet autre homme, de façon qu'en celui-ci apparaissent tous les caractères de la Nature humaine, le générateur n'a pas cessé d'être homme, parce qu'il a engendré un autre homme. Mais ce qu'il était avant celui-ci, il le demeure encore après, et par le fait qu'il a engendré de soi un homme, il n'a subi aucune diminution dans sa propre Nature.

Ainsi donc l'homme est engendré de l'homme, et la Nature du générateur n'est pas divisée. Et voici pourtant qu'Eunomius n'admet pas que le Fils unique, qui est dans le sein du Père, procède véritablement du Père, de peur de mutiler par l'hypostase du Fils unique l'inaltérable Nature du Père !

S. Grég. de Nysse Contr. Eunom., lib. II. — M. XLV, col. 492.

Que si l'on suspecte dans cette doctrine un excès de réalisme, si l'on est porté à juger que saint Grégoire a confondu « l'universel » avec le « singulier », on peut relire saint Bonaventure pour apprendre comment le caractère de la Nature divine est d'être à la fois « universelle » et « singulière » (voy. Étude XIIe, ch. II, § 3). Et d'ailleurs, on peut rendre inattaquable l'argumentation du docteur grec, en la complétant par l'argument suivant que j'ai exposé ailleurs :

Majeure : La génération exige que le générateur et l'engendré soient homoousioi, du moins comme « substance seconde ».
Mineure : Or, en Dieu, il n'y a pas à distinguer entre la substance « seconde » et la substance « première ».
Conséquent : Donc, en Dieu, la génération exige que le générateur et l'engendré soient homoousioi dans le sens réel et concret, c'est-à-dire, qu'ils ne soient qu'une seule substance « première ».


§ 6. — Génération divine et génération humaine.

Saint Athanase n'aimait point les raisonnements d'une philosophie trop raffinée. Il frappait l'hérésie à coups de marteau, c'est-à-dire, par des arguments assez simples pour être compris des fidèles.

Dieu engendre, Dieu a un fils. Tel Père, tel Fils. Lorsque les ariens profanaient la génération divine par de grossières plaisanteries, il se contentait de les rappeler au sentiment de la dignité divine.

Autrement - leur dit-il - s'opère la génération des hommes, autrement le Fils procède du Père. En effet, les rejetons des hommes sont des portions de leurs générateurs, puisque la nature même des corps n'est pas simple, mais fluente et composée de parties. Les générateurs perdent de leur substance, et la nourriture leur apporte un flot réparateur ; voilà pourquoi les hommes deviennent successivement pères de plusieurs enfants. Mais Dieu, étant indivisible, est indivisiblement et sans mutation Père du Fils. Dans un être incorporel, il ne peut y avoir ni flux qui sorte ni flux qui entre, comme chez les hommes. Dieu étant simple par Nature, est le Père d'un seul et unique Fils... C'est le Logos du Père, en qui il est possible de concevoir l'impassibilité et l'indivisibilité du Père. Car si le Logos des hommes est engendré sans passion ni division, combien plus encore celui de Dieu.

S. Athan., De decretis Nicaenis, § 11. Voir aussi S. Damasc., Foi orthod., liv. I, c. VIII. — M. XCIV, col. 814.


§ 7. — La génération parfaite et la consubstantialité.

Cet enseignement de saint Athanase conduit au dogme de l'homoousios, non plus par une voie « métaphysique » comme celle que suivait saint Grégoire de Nysse, mais par une voie « physique », c'est-à-dire, par l'étude de la génération telle que nous la connaissons.

On a comparé la transmission de la vie au mouvement d'une étincelle qui passe d'un flambeau allumé à un autre flambeau qu'elle allume. Cette étincelle faisait d'abord partie du premier feu. Elle sort de sa substance même, ex ousias. En sortant, elle reste ce qu'elle est ; en se nourrissant, s'accroissant, devenant un second feu, elle demeure toujours ce qu'elle était dans son origine, je veux dire, quelque chose de la substance du premier feu.

Parlons sans figure et disons davantage. L'atome vivant qui part du père, ek patros, était d'abord dans le père, et du père, faisait partie de la substance du père, appartenait physiquement au père. Le voilà qui, détaché du père, est dans le fils et du fils, appartenant physiquement au fils. On doit donc dire en toute vérité que la génération consiste en ceci que le générateur constitue l'engendré en lui donnant une portion de sa propre et individuelle substance. Supposez que le générateur donne sans se priver ; dans cette hypothèse, engendrant et engendré posséderont à la fois et substantiellement le même élément substantiel, ils seront consubstantiels, par rapport à cet élément commun.

Sans doute. cette supposition ne trouve point son application ici-bas. Les générations corporelles sont grossières à ce point qu'on n'ose pas en parler sans une juste pudeur. Corporelles, elles participent à toutes les basses conditions de la matière : division de substance, portion qui se détache et qui n'est plus à celui qu'elle quitte, séparation des deux vies qui se nourrissent ensuite isolément l'une de l'autre.

Mais écartez de votre imagination et de votre esprit toutes ces nécessités inhérentes à la matière. Concevez une génération sans émanation ni séparation.

Dieu a un Fils, lui-même nous l'a révélé; donc il engendre.
— Il engendre ? donc il sort de sa substance même, ek tès ousias, au moins un élément substantiel qui est dorénavant un Fils.
— Il sort de Dieu un élément substantiel ? Mais la substance de Dieu est simple et n'est pas divisible en portion. Donc, s'il sort de Dieu un élément substantiel, la substance de Dieu sort tout entière et intégralement pour être Fils. Donc le Fils de Dieu a identiquement la même substance que son Père : « Je n'ai pas dit : une substance semblable; je n'ai pas dit une substance spécifiquement la même; j'ai dit : la même et identique substance réelle et concrète » (S. Damascènc, col. 828).
— Dieu donne toute sa substance ? Mais Dieu ne peut se vider de lui-même. En engendrant, il reste ce qu'il est substantiellement. Il donne sa substance sans en demeurer privé.

Donc, il y a à la fois un Père et un Fils, possédant substantiellement la même et identique substance, deux consubstantiels - homoousioi, chacun est Dieu parfait, chacun est la substance même de Dieu ; mais il y a Dieu le Père et Dieu le Fils.
— Ajoutons, pour être complet, que Dieu est essentiellement et éternellement Père, il est Père, en vertu d'une fécondité essentiellement en acte. Donc il lui est aussi essentiel d'être Père que d'avoir sa Nature. Le concevoir comme Dieu avant de le concevoir comme Père est une infirmité de notre raison. Le concept qui doit être le premier de tous, pour être à sa vraie place ontologique, est le concept d'un Père.

Tel est, en résumé, la doctrine des Grecs, démontrant la consubstantialité du Fils, en s'appuyant sur la fécondité divine considérée dans son principe.


§ 8. — Comparaisons traditionnelles au sujet de la génération divine.

Parmi les œuvres de saint Athanase, il en est une qui présente un intérêt particulier au point de vue de l'histoire dogmatique. La défense de l'évêque Denis nous reporte au troisième siècle, et nous apprend quel était l'enseignement de saint Denis, soixante ans avant le concile de Nicée. Nous constatons ainsi que le mot, Trias, était déjà consacré pour désigner la Trinité, et que le mot homoousios était déjà connu dans son sens orthodoxe. Mais ce qui nous importe en ce moment, c'est de rechercher quelles étaient les anciennes comparaisons choisies pour expliquer la génération divine. Car ces figures nous introduisent dans la conception même qu'on se faisait alors du mystère. Cette recherche, d'ailleurs, est facile, puisque saint Denis d'Alexandrie était attaqué, précisément pour certaines comparaisons dont les Ariens abusaient.

Pour le disculper, son illustre successeur n'eut qu'à produire les œuvres entières de saint Denis, et surtout son apologie, dans laquelle ce saint homme rappelle, qu'auprès de comparaisons suspectes, il en avait proposé beaucoup d'autres qui affirmaient la consubstantialité du Fils au Père éternel. Saint Athanase cite « la vie engendrée de la vie,... la lumière brillante allumée par la lumière inextinguible (S. Athanase, De Sententia Dionysii, § 18). Il en résume plusieurs autres dans cette phrase :

Ces comparaisons de la source et du fleuve, de la racine et du bourgeon, du souffle et de la vapeur, doivent faire rougir les Ariens de toutes leurs calomnies.

S. Athanase, De Sententia Dionysii, § 22.

Je réserve à plus tard la comparaison de « la parole sortant du cœur », parce qu'elle sera l'objet d'une étude spéciale. Mais je ne puis omettre ici la comparaison tirée de « la splendeur du soleil », qui a été d'un si grand usage chez les écrivains postérieurs.

Puisque le Fils, dit saint Denis, est la splendeur de la lumière éternelle, Il est absolument éternel lui-même... Venons aux exemples. S'il y a soleil, il y a aube, il y a jour. S'il n'y a ni aube ni jour, c'est que le soleil n'est pas là. Si donc le soleil était éternellement présent, le jour serait sans fin. De fait, il n'en est pas ainsi : le soleil paraissant, le jour paraît; le soleil disparaissant, le jour disparait. Mais Dieu est la lumière éternelle, sans commencement et sans fin. Donc éternellement existe devant Lui et avec Lui sa splendeur, qui n'a pas commencé d'être engendrée, et qui rayonne de Lui éternellement.

S. Athanase, De Sententia Dionysii, § 15.

On est heureux de retrouver dans la haute antiquité chrétienne toutes les comparaisons familières aux docteurs qui sont venus plus tard. C'est là un bel exemple de l'esprit traditionnel qui a toujours guidé l'enseignement catholique.


§ 9. — Textes de Tertullien et de saint Hilaire.

Nous avons d'autres témoins de la tradition primitive. Voici d'abord Tertullien.

Dieu - dit-il - a proféré la Parole, suivant que le Paraclet l'enseigne, comme la racine produit la tige, la source le fleuve, et le soleil le rayon. Car ces choses sont des projections des substances d'où elles procèdent. Je ne craindrai point d'appeler le Fils : tige de la racine, fleuve de la source, rayon du soleil. Toute origine s'ouvre au dehors, et tout ce qui sort d'une origine est un rejeton ; et c'est beaucoup plus vrai de la Parole de Dieu, dont le nom propre est Fils. Et cependant la tige ne se sépare point de la racine, ni le fleuve de la source, ni le rayon du soleil, comme la Parole ne se sépare point de Dieu. C'est pourquoi, suivant ces exemples, je professe qu'ils sont deux, savoir Dieu et sa Parole, le Père et son Fils. Car la racine et la tige sont deux choses, mais conjointes. La source et le fleuve sont deux déterminations (species), mais inséparables. Le soleil et le rayon sont deux formes, mais unies...

Tertullien, Contr. Praxeam, c. VIII.

Saint Hilaire a connu ces mêmes comparaisons. Mais il a eu soin de les corriger avec son exactitude sévère.

Nous en avons averti souvent - dit-il : dans nos jugements sur l'unité de Dieu le Père et du Fils, on ne doit point introduire le vice des opinions humaines, ni supposer extension, succession, écoulement, comme on les constate dans le ruisseau qui coule de la fontaine, dans le rameau qui est soutenu sur la racine, ou dans la chaleur que le feu disperse dans l'espace.

Ces choses sont des prolongements inséparables de leurs supports plutôt qu'elles ne subsistent en elles-mêmes. La chaleur est dans le feu, le rameau dans l'arbre, le ruisseau dans la fontaine. Il y a donc là une seule et même chose, plutôt que deux subsistences dérivant l'une de l'autre. L'arbre n'est pas une autre chose que le rameau, le feu que la chaleur, et la fontaine ne peut être autre chose que le ruisseau.

Tout au contraire, le Dieu Fils unique est, par une inénarrable Nativité, Dieu subsistant, véritable Fils du Dieu innascible, descendance incorporelle d'une Nature incorporelle, Dieu vrai et vivant du Dieu vrai et vivant, Dieu inséparable du Dieu qui L'a engendré. C'est ainsi que la Nativité, qui Le rend subsistant, ne Le fait point être d'une autre Nature, et que la génération, qui Lui transmet la substance, ne change point l'identité de cette substance, en simple unité spécifique.

S. Hilaire, De Trinitate, lib. IX, § 37. / DDB. T. III. p. 208 - 209.


- CHAPITRE II -
DES NOMS DU FILS

ARTICLE I
Généralités


§ 1. — Des noms personnels.

Les noms sont des mofs destinés à désiger des objets. Cette signification peut provenir d'une simple convention consacrée par la coutume. Ainsi en est-il d'un grand nombre de noms de choses ou de personnes. Platon, Aristote : noms de personnes. — Fer, cuivre, arbre : noms de choses. — Roi, général, soldat : noms de fonctions. — Père, fils, ami : noms de relations.

L'usage peut déterminer un nom commun à signifier spécialement une personne. Ainsi, dans une famille, « le père » ; dans un régiment, « le colonel » ; dans un royaume, « le roi», désignent spécialement un individu à l'exclusion des autres. Mais observez que cette translation d'un sens commun à un sens personnel ne vaut que pour le groupe particulier qui la connaît, et le même mot peut s'appliquer à des personnes différentes, suivant les groupes ou les sociétés distinctes. Pour ne point citer des exemples que chacun devine d'avance, le nom « Grégoire le Grand » désigne deux personnages différents dans les églises grecque et latine. Pour nous il s'agit du pape saint Grégoire ; pour les Grecs, il s'agit de saint Grégoire de Néocésarée.

Cette observation importante trouve son explication dans ce fait que le nom n'atteint l'objet qu'à travers un concept, et que le concept varie suivant les habitudes d'esprit.


§ 2. — Noms et titres personnels.

On peut présenter la même considération sous une autre forme, en distinguant entre les noms et les titres d'une même personne.

Dans nos sociétés modernes, un individu n'a qu'un nom propre, composé d'habitude d'un nom de famille et d'un ou plusieurs prénoms : Albert-François Durand. Ce nom caractérise son état civil, et ne s'applique qu'à lui. C'est là vraiment son nom personnel. Mais il peut avoir plusieurs titres ou qualifications : général de division, comte ou marquis, président de la commission des poudres. Autant de titres qui font connaître les fonctions et dignités du personnage, et qui, en certaines circonstances, peuvent servir à le désigner nommément. Je dis : « en certaines circonstances ». Par exemple : lorsque nous lisons, dans les mémoires du dix-septième siècle sur la cour de France, les expressions « Monsieur » ou « Madame » ou « Monsieur le Prince » ou « le grand amiral », nous savons que ces titres désignent exclusivement une personne, et lui tiennent lieu de nom personnel. Mais un lecteur, qui ne serait point au courant des usages passés, ne verrait là que des titres ayant besoin d'une détermination plus complète.

Il résulte de tout ceci qu'en présence d'un nom employé à diverses époques, la critique doit se demander s'il n'a point pu se faire que certains auteurs aient considéré ce nom comme un nom personnel, et certains autres comme un titre qualificatif.


§ 3. — Des noms révélés.

Cette critique s'impose au théologien à l'égard des noms qui se rencontrent dans l'Écriture sainte, et la difficulté augmente, si l'on veut pénétrer dans l'intention même du Saint-Esprit. Que Dieu ait imposé à certains hommes des noms strictement personnels, on ne peut en douter, puisque l'Écriture le déclare formellement. On ne t'appellera plus Abram, mais ton nom sera Abraham (Gen., 17 ; 5). — On ne t'appellera plus Jacob, mais Israël (Gen., 32 ; 29). — Tu lui donneras le nom de Jean (Luc., 1 ; 13). — Tu lui donneras le nom de Jésis (Luc., 1 ; 31).

C'est ainsi que le Sauveur changea le nom du prince des apôtres, et ce changement donne lieu à quelques réflexions utiles. Il ne suffit pas que dans l'Écriture une dénomination soit attribuée à une personne, pour qu'elle devienne par là même un nom personnel. Jésus-Christ dit à ses apôtres : « Vous êtes le sel de la terre... vous êtes la lumière du monde » (Matth., 5 ; 13, 14). Ce ne sont là que des qualificatifs exprimant les fonctions apostoliques. De même, lorsque le Sauveur dit à Simon Bar-Jona : « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église », cette parole suffit pour établir la primauté [dans le Collère des Apôtres] ; mais à la rigueur, on pourrait ne voir dans cette appellation qu'un titre de fonction. Aussi bien, le Saint-Esprit a pris soin de nous dire par deux fois que le Sauveur a véritablement changé le nom de l'apôtre. « Simon, auquel Il donna le nom de Pierre » (Marc., 3 ; 16). — « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t'appellera Céphas - ce qui veut dire Pierre ». (Jn., 1 ; 42). Dans les cas précédents, il n'y a aucun doute possible.

Mais lorsque l'Écriture est moins explicite, on peut hésiter sur la valeur exacte d'une appellation. C'est à la science théologique de rechercher si l'on est en présence d'un nom strictement personnel ou d'un simple qualificatif, et cette recherche pourra aboutir à des conclusions diverses, si l'on s'y engage avec des théories différentes. L'antiquité chrétienne nous fournit un remarquable exemple de cette hésitation et de cette variation. Dans saint Irénée et dans Théophile d'Antioche, la Sagesse, SOPHIA, est regardée comme un nom propre du Saint-Esprit, qu'on oppose au LOGOS, nom propre du Fils. Mais au quatrième siècle, le nom « Sagesse » désigne formellement le Fils dans les écrits de saint Athanase et de ses successeurs.

C'est ainsi encore que, primitivement, le mot « Dieu » était le nom propre et personnel du Père, et qu'après des luttes que nous avons étudiées, ce mot est devenu un nom commun aux trois Personnes.


§ 4. — Des noms du Fils.

Les considérations précédentes ont, peut-être, semblé assez banales ; mais elles avaient pour but d'assouplir l'esprit pour le préparer à une étude assez délicate.

L'Écriture sainte applique au Fils de Dieu un très grand nombre d'appellations ou de qualifications, sans nous indiquer explicitement la valeur qu'on doit leur attribuer.

Par exemple, Isaïe prédit : « Un enfant nous est né... on Lui donne ce nom : Conseiller-merveilleux, Dieu-fort, Père-éternel, Prince-de-la-Paix ». S'agit-il là de noms formellement personnels, ou de simples titres de gloire ? À la science théologique - appuyée, bien entendu , sur la tradition - de décider la question. Autre exemple : saint Paul écrit : « Il est l'Image du Dieu invisible » (Colossiens, 1 ; 15), et ailleurs : « C'est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (I Cor., 1 ; 24). Image, vertu, sagesse : sont-ce là des noms personnels ou des qualificatifs ? À la théologie encore de discuter ces appellations.

On voit à quel travail nous devons nous livrer. Il s'agit d'étudier quelle fut l'attitude des Pères de l'Église vis-à-vis des dénominations scripturales appliquées au Fils de Dieu. Et les généralités précédentes doivent nous faire prévoir que les interprétations ont pu différer, suivant les temps et les conceptions en vogue.

Pour plus de clarté, je rappellerai d'abord quelle est à cet égard la théorie scolastique. J'ai agi de même dans plusieurs autres circonstances. Faut-il pour la centième fois, rappeler aux esprits inquiets, que cette comparaison n'est point une critique, mais un simple rapprochement, comme on met côte à côte deux couleurs semblables, pour mieux distinguer la nuance de chacune ?


ARTICLE II
Théorie scolastique


§ 1. — Noms propres des divines personnes.

Pierre Lombard avait signalé la question des appellations personnelles, en comparant certains textes de saint Hilaire, de saint Ambroise et de saint Augustin (P. Lombard, Sentent., I, distinct. 3l). À la suite du Maître, la scolastique s'exerça à opérer un classement parmi ces dénominations, et à distinguer les noms « propres » et les noms « appropriés ».

Saint Thomas définit un nom « propre », de la manière suivante :

Le nom propre d'une personne quelconque est le nom par lequel cette personne est distinguée de toutes les autres.

S. Thomas, I, q. 33, a. 2.

Or, dès la plus haute antiquité, certains noms ont toujours été consacrés à signifier une personne divine en particulier. La scolastique n'eut donc qu'à dresser la liste de ces appellations traditionnelles.

Le Père est désigné par deux noms « propres » : un positif, Père ; un négatif, Innascible. Le Fils a trois noms propres : Fils, Image, Verbe. Le Saint-Esprit a trois noms propres : Esprit-Saint, Don, Amour. Je dois dire, en passant, que ce dernier nom du Saint-Esprit ne se rencontre que dans l'école augustinienne, et fut inconnu aux Grecs. Mais nous ne nous occupons ici que de la scolastique.


§ 2. — Raison de ces noms.

Une fois dressée la liste des noms personnels, il entre dans le rôle du théologien de légitimer chacun d'eux. Or, Boèce fournit à cet égard la règle suivante : « Tout nom personnel d'une personne divine signifie une relation » (De Trinit., cap. V. cf. S. Thom. I, q. 29, art. 4, sed contra).

La raison de cette règle est facile à saisir.

En effet, chaque personne divine est une relation subsistante. Donc un nom ne peut la faire connaître sinon en signalant une relation.

L'application de cette règle est immédiate pour les deux noms « Père » et « Fils ». Saint Thomas explique les autres en faisant appel à la théorie psychologique. Un Verbe procède de l'intelligence ; une image contient un rapport à l'original, et le verbe est l'image de l'objet pensé. L'amour procède de la volonté, le don le plus parfait est celui de l'amour. Enfin le nom « Saint-Esprit » exprime la communauté amoureuse des deux autres personnes, et l'idée de souffle rappelle l'amour (S. Thomas, I, qq. 36, 37, 38).

Saint Bonaventure ne parle point autrement que saint Thomas. Leur accord est complet au sujet du Saint-Esprit, puisque ces deux docteurs le font procéder par voie d'amour.

Au sujet du Verbe, on constate dans leurs explications, bien semblables cependant, des nuances qui répondent à leurs théories de la filiation divine. Le docteur angélique dit simplement :

Verbe est le nom propre du Fils, parce que ce mot exprime une certaine émanation de l'intelligence.

Id., I, q. 34, a. 2.

Le docteur séraphique ramène d'abord l'idée de verbe à l'idée de fécondité.

Verbe, dit-il, signifie un concept ; être conçu est identique à être engendré ; être engendré est une caractéristique personnelle ; donc Verbe est un nom personnel du Fils.

S. Bonav. I Sentent., dist. 27, q. 1. Fundamenta.


§ 3. — Observation.

Avant d'aller plus loin, distinguons bien entre l'affirmation qu'un nom est personnel - et l'explication de cette application exclusive.

C'est à l'Écriture qu'il faut s'adresser pour reconnaître les noms propres des divines personnes. Car il dépend de Dieu de prendre le nom qui lui plait.

Pour démontrer que les trois noms « Père, Fils, Saint-Esprit », sont personnels, saint Thomas s'appuie sur le texte de saint Jean : « On lit dans la première lettre de S. Jean (5 ; 7. Vg.) : Ils sont trois qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et l’Esprit-Saint » (S. Thomas, I, q. 36, a. 1).

Aucun ancien docteur n'a invoqué ce texte, mais tous s'appuient sur la parole du Sauveur : « Les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Mt. 28 ; 19).

Pour démontrer que le Verbe est un nom personnel du Fils, saint Bonaventure s'appuie sur l'évangile de saint Jean :

Saint Jean - dit-il - a exprimé l'incarnation dans une formule très élégante : Le Verbe s'est fait chair. Or l'union n'a été faite que dans la personne du Fils. Donc Verbe n'exprime que la personne du Fils.

S. Bonav. I, distinct. 27, q. 1, Fundamenta.

La constatation des noms personnels est donc affaire d'autorité. Mais leur explication est affaire de raison, et il est tout naturel que le théologien emploie à cet usage le système qu'il a adopté pour rendre compte des processions divines par voie de similitude ou d'analogie.

On aurait donc tort de s'appuyer sur ces explications théoriques d'un nom révélé, pour en conclure que la théorie elle-même fait partie de la révélation. La preuve en est que chaque théorie ne se trouve pas également à l'aise pour expliquer tous les noms personnels. Saint Thomas ramène le nom « Fils » au nom « Verbe » ; saint Bonaventure ramène le nom « Verbe » au nom « Fils » ; tous les deux éprouvent la même difficulté que saint Augustin à expliquer le nom « Saint-Esprit ». Tant il est vrai que toutes les analogies du mystère sont défaillantes et incapables de nous instruire sur le mode intime des processions divines.


§ 4. — Des appropriations.

À côté des noms qui ont un caractère relatif, on trouve dans l'Écriture certaines dénominations personnelles qui répondent à des perfections absolues. Saint Thomas cite comme exemple le texte de saint Paul : Le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu (I Co. 1 ; 24). Plus loin, il cite encore la parole du Sauveur : Je suis la Voie, la vérité et la Vie (Jn. 14 ; 6). Comment se fait-il que le Fils soit spécialement désigné par des perfections essentielles à la divinité et communes aux trois personnes ? La théorie des « appropriations » a pour but de répondre à cette question, et voici comment, saint Thomas l'expose avec sa clarté ordinaire :

Il convient - dit-il - d'approprier aux personnes les attributs essentiels, pour une plus grande manifestation des choses de la foi. En effet, bien que la trinité de personnes ne puisse être démontrée par la raison, il convient cependant de l'expliquer par des choses plus manifestes. Or les attributs essentiels sont plus manifestes à notre raison que les propriétés personnelles, puisque des créatures que nous connaissons, nous pouvons parvenir avec certitude à la connaissance des attributs essentiels, mais non à la connaissance des propriétés personnelles. De même donc que, pour manifester les personnes divines, nous usons des vestiges ou des images que nous trouvons dans les créatures, de même nous employons les attributs essentiels pour le même usage. Et cette manifestation des personnes par les attributs essentiels s'appelle appropriation.

S. Thomas, I, q. 39, a. 7.

Cette explication rattache les appropriations aux théories rationnelles de la Trinité. Le mystère ne nous est connu que par révélation. En nous éclairant avec les données de foi, nous allons chercher dans les créatures quelque vestige ou quelque image du mystère. Nous épurons ce vestige et surtout cette image pour nous aider à concevoir de quelque manière ce qui est inconcevable. Ainsi naissent les théories rationnelles de la Trinité.

Mais pourquoi ne nous adresserions-nous pas à des concepts plus sublimes ? Pourquoi, laissant les sciences physiques, ne nous adresserions-nous pas à la plus haute des sciences rationnelles ? Pourquoi ne demanderions-nous pas à la raison ce qu'elle connait des choses divines, pour nous aider à concevoir les mystères que la foi nous révèle ? L'appropriation n'est pas autre chose qu'un emploi de la théodicée rationnelle au service de la théologie dogmatique.

Il en est donc des « appropriations », comme des systèmes. Un nom « par appropriation » n'est pas une donnée nouvelle qui révèle une propriété personnelle. Son rôle se borne à la rappeler, à la faire concevoir d'une façon conforme aux habitudes de notre raison. Aussi bien, les appropriations d'un même nom peuvent varier, suivant les points de vue où l'on se place. Comme les théories, elles ont quelque chose de systématique.


§ 5. — Première sorte d'appropriations.

Une première sorte d'appropriations consiste dans le groupement de trois noms dont les relations mutuelles rappellent l'ordre des Personnes divines. Saint Bonaventure va même jusqu'à dire que les seuls noms appropriables sont ceux qui contiennent une raison d'ordre et d'origine (S. Bonav. Sent. I, dist. 34, q. 3).

Il donne comme exemple les trois noms de « Puissance, Sagesse, Bonté », et il explique ce groupement à la façon de Richard de Saint-Victor.

Le Père n'est de personne ; le Fils du Père et l'Esprit, des deux. De cette façon, l'ordre est appliqué à la puissance, à la sagesse et à la bonté. C'est ainsi que se manifeste l'ordre de l'appropriation.

S. Bonav. Sent. I, dist. 34, q. 3.

Saint Thomas explique le même groupement par la théorie psychologique. Le Père est « Puissance », parce qu'il est le principe. Le Fils est « Sagesse », en tant qu'il est le Verbe. Le Saint-Esprit est « Bonté », parce qu'il est amour (S. Thomas, I. q. 39, a. 8). Au même endroit, le docteur angélique explique plusieurs groupements proposés par saint Hilaire ou saint Augustin, il s'occupe aussi de la formule : « de Lui, par Lui, avec Lui ».

L'office romain de la sainte Trinité contient quelques groupements qui sont comme des mosaïques antiques encastrées dans une construction plus récente (j'engage les érudits à rechercher si cet office n'est point d'origine espagnole, ou même d'importation orientale). Je citerai, en particulier, cette antienne du troisième nocturne : « Charité est le Père, Grâce est le Fils, Communication est le Saint-Esprit, ô bienheureuse Trinité ». Il semble difficile d'expliquer cette appropriation par la théorie augustinienne.


§ 6. — Seconde sorte d'appropriations.

La difficulté est plus grande, lorsqu'on se trouve en face d'une dénomination isolée, sans rien qui dénote une relation. Par exemple : « Père tout-puissant ». Saint Bonaventure déclare nettement que, dans ce cas, il n'y a aucune raison objective à l'appropriation, mais uniquement une raison subjective, en ce sens que le nom est attribué spécialement à une personne, pour redresser une erreur qui pourrait surgir dans notre esprit au sujet de cette personne (S. Bonav. Sent. I, dist. 34, q. 3).

Le docteur séraphique ne fait en cela que suivre l'auteur classique de son temps. Le Maître des sentences nous dit gravement que l'Écriture nomme le Père puissant, pour nous ôter de l'esprit tout soupçon de vieillesse sénile, et qu'elle nomme le Fils sage, pour que nous ne pensions pas à un enfant encore ignorant (Lomb. 1 dist 34).

Ce serait pour éviter que nous pensions que le Père soit vieux et gâteux, ou que le Fils soit un gamin irresponsable ! Cette explication est plutôt ridicule... Le P. Théodore de Régnon ne pouvait manquer de le remarquer. Il nous signale le fait que Thomas d'Aquin « corrigea le tir » :

Saint Thomas était trop scrupuleux pour négliger de rapporter et de prendre en bonne part cette explication du Maître ; mais il avait un trop grand génie pour s'en contenter. Il admet donc une raison objective aux appropriations de cette sorte, et il va la chercher dans la théorie psychologique.

Recourir aux attributs essentiels pour manifester les Personnes divines, peut se faire de deux manières.
La première procède par voie de ressemblance : par exemple, au Fils qui, en tant que Verbe, procède intellectuellement, on approprie les attributs concernant l’intelligence.
L’autre procède par voie de dissemblance : on approprie ainsi la puissance au Père, selon S. Augustin, parce que les pères, en ce bas monde, souffrent ordinairement des infirmités de la vieillesse, et l’on entend écarter tout soupçon de pareilles faiblesses en Dieu.

S. Thomas, I, q. 39, a. 7.


§ 7. — Examen de cette théorie.

Une théorie, soutenue par les docteurs que j'ai cités, est nécessairement légitime, savante et digne de tous les respects. On y reconnaît la méthode scolastique de viser l'unité de substance avant la triplicité de personnes. C'est ainsi que saint Thomas dans la réponse à une objection, dit :

Dans l’ordre de notre pensée, l’attribut essentiel considéré comme tel précède en effet la Personne ; mais rien n’empêche que, considéré comme approprié, il présuppose la propriété personnelle. Ainsi la notion de couleur présuppose celle d’étendue, en tant que telle ; et pourtant la couleur est présupposée en Nature à l’étendue blanche, en tant que blanche.

S. Thomas, I, q. 39, a. 7. ad 3um.

C'est là une visée très légitime, et l'on admire comment l'appropriation trouve le moyen de rappeler la pluralité de personnes jusque dans la contemplation de l'unité de Nature. On dirait d'une étoffe dont la couleur est uniforme, mais qu'on peut faire chatoyer à la lumière. Le seul reproche que je trouve à lui faire est son emploi trop facile. Elle permet de se débarrasser par un mot de certains textes qu'on rencontre dans l'Écriture, dans les symboles ou dans les Pères. Il en est tout à fait comme du sens accommodatice, qui peut être légitime, mais dont certains exégètes ont étrangement abusé.

Mais, pour nous, la question n'est pas là. Si j'ai étudié la théorie scolastique des appropriations, c'est afin de la bien connaître avant de la rechercher dans la patristique grecque. Sans doute, nous sommes certains que les docteurs orientaux l'eussent acceptée comme parfaitement légitime. Sans doute encore, il est facile de rencontrer dans leurs écrits des passages qui concordent avec le langage scolastique. Mais la question intéressante est de rechercher s'ils ont connu cette théorie d'une manière explicite et formelle, s'ils ont classé les appellations scripturales, en distinguant les noms personnels et les noms appropriés. Que cette classification soit un progrès théologique, c'est là une question de théologie rationnelle. La théologie positive ne s'inquiète que de faire connaître exactement la doctrine des Pères.

Laissons donc de côté tout parti pris. Oublions l'enseignement que nous avons reçu, et jetons-nous dans la lecture des Grecs, comme s'ils étaient les premiers à nous instruire.


ARTICLE III
Théorie grecque


§ 1. — Enseignement de saint Grégoire de Nazianze.

Le docteur de Nazianze a mérité le titre de Grégoire le théologien, à cause de la sûreté et de la précision de sa doctrine. Or il a traité la question des noms divins dans un de ces discours surnommés « théologiques », et il l'a fait à propos de la dogmatique qui concerne le Fils de Dieu. Nous ne pouvons donc mieux faire que de nous adresser à lui, pour connaître du premier coup la théorie parfaite de ces noms.

Après avoir réfuté les objections ariennes contre la divinité du Fils, il annonce la seconde partie de son discours.

Il est peut-être convenable, dit-il, de ne point nous arrêter là, et de ne point laisser sans explications les dénominations - prosègorias - du Fils. Elles sont nombreuses, et répondent aux nombreuses conceptions qui concernent le Fils. Nous allons donc expliquer de chacune ce qu'elle veut dire, et montrer le mystère des noms. — Mais partons d'un principe. Le Divin est innommable - akatonomaston. Aucun esprit ne peut embrasser la Nature de Dieu, aucune voix l'exprimer.

Mais nous nous servons des choses qui le concernent pour esquisser les choses qu'il est en lui-même, et nous formons ainsi de lui une image pâle, faible et composée de traits distincts. Pour nous, le parfait théologien n'est donc pas celui qui a trouvé le tout, puisqu'aucun lien ne peut enserrer le tout, mais bien celui qui s'est formé une meilleure image, et qui se représente la vérité sous une meilleure apparence ou esquisse, peu importe le nom.

S. Grég. de Nazianze, orat. XXX, § 16 et 17.

Notre orateur étudie ensuite les noms « Être et Dieu ». Il reconnaît que ces noms désignent l'usie divine. Mais il incline à voir dans le second un nom relatif à la providence, comme les noms « Omnipotent, Roi, Seigneur... » Ensuite il dit :

Ce sont là les noms de la divinité ; ils sont communs aux trois personnes. Quant au nom propre de celui qui est sans origine, c'est PÈRE ; de celui qui a été engendré sans commencement, c'est FILS ; de celui qui, sans être engendré, procède ou provient, c'est le SAINT-ESPRIT.

Puis, quittant ce thème général :

Mais venons - dit-il - aux appellations du Fils, puisque c'est l'objet de ce discours (Ibid. § 19).

Il me semble qu'il est appelé Fils parce qu'il est de même usie que le Père ; non seulement cela, mais il en procède...
Logos, parce qu'il est au Père comme le logos à l'esprit ; non seulement à cause de l'immatérialité de la génération, mais encore à cause de sa contiguïté et de son caractère manifestateur...
Sagesse, comme la science des choses divines et humaines...
Vérité, comme étant Un par Nature et non multiple, car la vérité est une, et la fausseté est multiforme ; et de plus comme le pur cachet du Père, et son empreinte très véritable.
Image, comme consubstantiel, et que le Père n'est pas de lui, mais lui du Père...
Lumière, comme la clarté des âmes purifiées par la raison et la vertu.
Vie, parce qu'il est lumière...
Justice, parce qu'il distribue suivant les mérites...
Sanctification, en tant que pureté afin que le pur soit reçu dans la pureté.
Rédemption, en tant qu'il nous délivre du péché...
Résurrection, en tant qu'il nous ressuscite (Ibid. § 20).

Voilà, conclut saint Grégoire, les noms qui conviennent au Fils, « en tant qu'il est au-dessus de nous et pour nous ». Ensuite viennent les noms relatifs à son humanité : homme, Fils de l'homme, Christ, Voie, Porte, Pasteur, etc., que notre docteur explique les uns après les autres.


§ 2. — Discussion de cet enseignement.

Le discours précédent nous fournit la doctrine grecque des noms divins, au moment où la théologie de la Trinité était parvenue à l'apogée de sa perfection en Orient. Nous avons donc grand intérêt à le méditer attentivement.

1° J'y remarque d'abord une distinction entre les choses qui concernent Dieu, qui l'entourent, pour ainsi parler - ta peri theon - et les choses qui sont son essence, qui sont formellement Dieu - ta kata theon. Ces dernières sont impénétrables à la raison, et nous ne pouvons atteindre Dieu que par ses relations avec nous. Il en résulte que tous nos concepts ne sont que des images et que les noms que nous pouvons donner à Dieu ne lui conviennent que par analogie, et n'atteignent point la formalité divine elle-même.

2° Saint Grégoire distingue ensuite entre les noms communs à la divinité et les noms propres des divines personnes. Mais il semble qu'il ne reconnaisse à chaque personne qu'un seul nom propre - idion onoma - Père ou Fils ou Saint-Esprit. Les autres dénominations sont de simples appellations - klèseis. Nous ne trouvons ici ni la distinction scolastique entre les noms « propres » et les noms « appropriés », ni les discussions subtiles qu'entraîne cette distinction.

3° Ces « appellations » très nombreuses nous sont toutes fournies par l'Écriture, afin de nous instruire sur ce qui concerne le Fils - ta peri auton.

Vous me direz que la plupart sont de simples « appropriations » , et que rien dans le texte de saint Grégoire ne s'oppose à ce qu'on en juge ainsi. Je n'y contredis pas ; mais je vous ferai remarquer que notre docteur place, en tête de ces «appellations», les mots Fils et Logos, et qu'il en parle comme des mots Sagesse et Vérité. Je puis donc vous accorder que notre Grec n'aurait point condamné la théorie latine des appropriations ; mais vous devez m'accorder à votre tour que cette théorie ne semble pas s'être présentée à sa pensée. Demeurons donc dans la même situation d'esprit que les auditeurs de ce discours.

Aucun nom ne peut nous faire connaître l'intime réalité du Fils - to kat'auton. Tous les noms révélés imposent à notre foi des concepts qui le concernent - ta peri auton. Avant tous les autres, le nom Fils, que l'Écriture lui donne pour nom propre. Ensuite de nombreuses appellations qui nous révèlent sa divinité, sa consubstantialité, la spiritualité de sa génération, ses relations avec le Père et ses bienfaits à notre égard.

Il nous reste à montrer que cette situation d'esprit a été générale en Orient, et que tous les docteurs grecs ont parlé comme Grégoire le Théologien.


§ 3. — Origène.

C'est presque toujours à ce puissant génie qu'il faut remonter pour trouver la source des théories grecques. Il traite ex professe la question actuelle au commencement de ses commentaires sur saint Jean. Citant le texte d'Isaïe : « Qu'ils sont beaux, les pieds des messagers de bonnes nouvelles ! » (Is. 52 ; 7, cité dans Rm. 10 ; 15), il l'interprète des apôtres qui ont fait connaître Jésus.

Et que personne - dit-il - n'admire que nous entendions Jésus par ce nom pluriel : — celui des biens ta tôn agathôn. Car si nous examinons les choses que signifient les noms du Fils de Dieu, nous connaîtrons que Jésus est ces biens nombreux que font connaître les évangélisateurs. Un premier bien est la vie, or Jésus est la vie. Un autre bien est la lumière du monde, la lumière véritable, et la lumière des hommes; or le Fils de Dieu est appelé tout cela. Un autre bien, que la pensée distingue de la vie et de la lumière, est la vérité. En outre, un quatrième bien, est la voie qui conduit à la vérité.

Or, notre Sauveur nous enseigne qu'il est lui-même toutes ces choses :
Je Suis la Voie, la Vérité et la Vie (Jn. 14 ; 6).
— Mais comment ne serait-ce point un bien que de ressusciter, et le Seigneur dit : Je suis la Résurrection (Jn. 11 ; 25).
— Et la porte, par laquelle on pénétre dans la suprême félicité, est un bien ; or le Christ dit : Je Suis la Porte (Jn. 10 ; 9).
— Et que dire de la sagesse ?... C'est encore un bien, cette sagesse de Dieu qu'avec les autres biens annoncent ceux dont les pieds sont beaux.
— Mais la puissance de Dieu doit être inscrite comme un huitième bien ; or elle est le Christ.
— Il ne faut point passer sous silence le Logos qui est, après le Père, Dieu de toutes choses ; car ce bien n'est inférieur à aucun bien.

Bienheureux sont donc ceux qui possèdent tous ces biens, après les avoir reçus par la prédication de ceux dont les pieds sont si beaux... Qui hésite à déclarer que la justice-même soit un bien, et la sanctification-même, et la rédemption-même - autodikaiosunè / autoagiasmos / autoapolutrôsis ? Voilà cependant les choses qu'annoncent ceux qui annoncent Jésus, lorsqu'ils disent qu'il est la justice procédant de Dieu, et la sanctification et la rédemption.

Origène, in Joann. tom. I, § 52 - 59. / S.C. 120 Commentaire sur saint Jean. p. 89 - 91.

Origène s'étend encore longuement sur la même question, lorsqu'il entreprend l'interprétation du premier verset de l'Évangile.

Voyons avec plus d'attention - dit-il - quel est ce Logos qui est dans le Principe.

J'ai souvent été frappé d'étonnement, en considérant ce qui disent de lui des hommes qui prétendent croire au Christ. Ils passent sous silence les innombrables noms du Sauveur ; ou, s'ils en font mention, ils prétendent que ce ne sont point des noms propres, mais de simples tropes - alla tropikôs [par allégorie].

Quant à l'appellation Logos, ils s'arrêtent à elle seule, comme s'ils croyaient que le Christ est seulement Logos, et ils ne cherchent point dans les autres dénominations le sens exprimé par le mot Logos.
J'ai dit que j'admirais une telle sottise ; je vais expliquer clairement d'où vient mon admiration.

Origène, in Joann. tom. I, § 125. / S.C. 120 Commentaire sur saint Jean. p. 127.

Ce passage est important, à plus d'un titre. Nous aurons à y revenir. Je me contente d'observer qu'Origène repousse la facile manière d'expliquer par des « tropes » les noms que l'Écriture donne au Fils.


§ 4. — Saint Athanase.

Il est assez de mode pour quelques théologiens de froncer le sourcil lorsqu'on leur cite Origène.

Du Maître passons donc à son disciple dont on ne puisse récuser l'autorité.

Saint Athanase se trouvait vis-à-vis d'ariens qui accordaient que le Christ est le Logos de Dieu, mais qui niaient que ce Logos fût véritablement Fils de Dieu. J'emprunte à la réfutation du saint docteur le passage suivant, qui nous montre comment il mettait sur le même rang, les nombreuses dénominations scripturales de la seconde Personne.

Le Fils de Dieu - dit-il - comme on peut l'apprendre des Écritures elles-mêmes, est de Dieu le logos, la sagesse, l'image, la main, la puissance. Car il n'y a qu'un seul engendré, et toutes ces choses servent à connaître la génération divine.

— Si vous dites : le Fils, vous manifestez qu'il procède de Dieu en Nature.
— Si vous pensez au Logos, vous jugez encore qu'il procède du Père, et de plus qu'il en est inséparable.
— En disant la Sagesse, vous ne concevez point quelque chose venue du dehors, mais bien une chose procédant de Dieu et demeurant en Dieu.
— Si vous nommez la main et la puissance, vous dites le propre de la substance.
— Enfin si vous dites l'image, vous signifiez le Fils. Car qui peut être semblable à Dieu, sinon sa progéniture ?...

— David, sachant que la main est la sagesse, a chanté dans ses psaumes : « Tu as tout fait avec sagesse... »
— Jean, reconnaissant que la main et la sagesse sont le logos, a dit dans son Évangile : « Au commencement était le Verbe... »
— L'apôtre, considérant que la main, la sagesse, le logos sont le Fils, a dit : « pour que les Puissances célestes aient connaissance ... de la Sagesse [le Fils]infinie en ressources déployée par Dieu [le Père] » (Ephésiens 3 ; 10)
— Le même apôtre, sachant que le logos, la sagesse, le Fils sont l'image du Père, a dit dans l'épître aux Colossiens : « Nous ne cessons de rendre grâces à dieu, Père de Notre Seigneur Jésus-Christ - qui est l'Image du Dieu invisible... » (Col. 1 ; 3 - 15)

S. Athanase, De decretis Nicaenis, § 17.


§ 5. — Saint Basile.

Jusqu'ici nous n'avons rencontré qu'une simple énumération des appellations du Fils. L'esprit d'analyse, si remarquable dans saint Basile, va établir un ordre méthodique dans cette multiplicité. Ce docteur distingue donc trois classes de noms.

— Les uns ont pour but d'affirmer la divinité du Fils. Ce sont évidemment les noms qui expriment les attributs absolus de la divinité.

— Les autres désignent les propriétés personnelles, que saint Basile appelle les caractéristiques de la Nature, c'est-à-dire, ce qui enclôt la Nature dans une personne déterminée par certains caractères.

— Enfin la troisième classe réunit les noms qui désignent le Christ par ses bienfaits à notre égard.

Cette classification est contenue dans le texte suivant :

Nous constatons - dit-il - que l'Écriture ne nous offre point le Fils sous un seul nom. Elle ne se contente pas des noms qui manifestent sa divinité et sa majesté ; mais elle emploie aussi des mots qui sont des caractéristiques de la Nature. En effet, elle sait dire que le nom du Fils est au-dessus de tout nom, et dire qu'il est le Fils véritable, et le Dieu unique-engendré, et qu'il est de Dieu la Puissance, Sagesse et Logos.

De plus, à cause de la variété de la grâce que sa bonté épanche sur nous suivant sa sagesse multiforme, l'Écriture nous le désigne par mille autres noms. Car elle l'appelle tantôt pasteur, tantôt roi, et ailleurs médecin, époux, voie, porte, fontaine, pain, hache, pierre. Or ces noms n'expriment point sa Nature, mais, comme je l'ai dit, la variété de son action bienfaitrice.

S. Basile, De Spiritu Sancto, § 17.

Cette classification est très claire et très précise. Le docteur grec distingue, comme la scolastique, entre les noms communs à toute la divinité, les noms personnels, et les noms que nous appelons translativa. L'accord est parfait, sauf sur la classe des noms personnels, dans lesquels saint Basile fait rentrer les deux appellations « Puissance » et « Sagesse ». Le frère de saint Basile va nous expliquer sa pensée.


§ 6. — Saint Grégoire de Nysse.

Saint Grégoire distingue, lui aussi, entre les noms qui conviennent au Fils en lui-même, et ceux qui expriment ses bienfaits.

Il faut - dit-il - employer une règle savante pour distinguer en deux classes les noms divins. Les uns expriment la gloire suprême et ineffable. Les autres montrent la variété de l'action providentielle ; de sorte que si, par hypothèse, aucun bienfait n'eût été accompli, les noms qui les rappellent n'eussent point été affectés à Dieu.

Et après avoir expliqué dans ce sens et comme exemple, les noms « vigne, pasteur, médecin », saint Grégoire poursuit :

Mais Fils et Droite, et Unique-engendré, et Logos, et Sagesse, et Puissance, et tous les autres noms qui sont relatifs, dénomment à la fois le Fils et le Père en vertu d'une sorte d'accouplement relatif. En effet, le Fils est nommé Puissance de Dieu, et Droite de Dieu, et Sagesse de Dieu, et Fils du Père, et Unique-Engendré, et Verbe auprès de Dieu. On voit donc que, pour chacun de ces noms, on doit considérer en même temps l'autre terme du rapport, et de cette façon la pensée ne s'égarera point hors de la piété orthodoxe.

S. Grég. de Nyss. contr. Eunomium, lib. III. — M. XLV, col. 612.


§ 7. — Saint Damascène.

Terminons ces citations par l'enseignement du docteur qui a résumé didactiquement toute la théologie orientale. Saint Damascène a consacré aux noms divins plusieurs chapitres de son chef-d'œuvre. Il s'occupe d'abord des noms qu'on donne à Dieu.

Dieu - dit-il - est appelé NOUS et LOGOS, et PNEUMA, et SOPHIA et DUNAMIS [Intellect / Verbe / Esprit / Sagesse / Puissance], en tant qu'il est la cause de ces choses, et en tant qu'il est immatériel, et créateur universel et tout-puissant.

Tous ces noms, suivant notre docteur, sont communs à toute la Trinité, quand on les prend dans leur sens absolu. Mais, lorsqu'on veut distinguer les trois Personnes, ces noms se séparent. Le Père est l'abîme de substance, de logos, de sagesse, de puissance, de lumière. Il n'y a pas au Père de logos, de sagesse, de puissance, de volonté, sinon le Fils.

Donc - conclut-il - tout ce qui répond - osa harmosei - ce qui s'harmonise - à un principe, à un père, à une source, à un générateur, doit être attribué au Père seul.
Tout ce qui répond au terme d'un principe, à un engendré, à un fils, à un logos, à une cause suprême, à une volonté, à une sagesse, doit être attribué au Fils.

S. Damasc., foi orthod., liv. I, ch. XII. — M. XCIV, col. 849.


§ 8. — Résumé.

L'enseignement de saint Damascène doit être considéré comme le résumé authentique et autorisé de la doctrine grecque. Le scolastique oriental distingue entre le sens absolu des mots LOGOS et PNEUMA, et leur sens personnel. Il assigne à chaque Personne un seul nom propre : Père, Fils, Saint-Esprit. Enfin il réunit dans un même groupe toutes les appellations qui conviennent à une même Personne. Ce ne sont point autant de noms propres ; ce sont des dénominations qui «s'harmonisent» - harmosei - avec les données de la foi.

J'entends qu'on me dit : « - prosarmosteon - peut se traduire par appropriation, et nous retrouvons ainsi la théorie scolastique ».

— Traduisez ainsi, s'il vous convient; mais notez que le même mot n'aura plus exactement le même sens dans les deux écoles. Chez nous, on distingue le « propre » Verbum - Verbe, et le mot « approprié » Sapientia - Sagesse. Saint Damascène range dans le même ordre d'attribution les mots Logos, Sagesse, Puissance ; prosarmosteon ne répond donc pas rigoureusement à l'idée scolastique de l'appropriation. En effet, l'appropriation n'apprend rien de nouveau sur la Personne divine, et ne sert qu'à rappeler des notions acquises. Au contraire, les Grecs groupent d'abord, suivant une certaine règle, les noms scripturaux ; puis ils y cherchent les diverses notions qui répondent à une même Personne.

Ces nuances, me direz-vous, sont de pures subtilités sans aucun intérêt.
— Pour celui qui fréquente peu la patristique grecque, j'en conviens. Mais il est nécessaire de bien saisir cette nuance, si l'on veut lire les Orientaux avec la satisfaction de les trouver clairs, précis, logiques - dignes, en un mot, de leur titre de docteurs. Or, dans ces Études, mon but unique est de faire lire ces docteurs avec la même disposition d'esprit que les fidèles auxquels ils s'adressaient.


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