Rappelons que la PREMIÈRE SÉRIE du monumental ouvrage du Père Théodore de Régnon traitant de la Théologie positive
sur la Sainte Trinité nous apportait l'Exposé du Dogme (premier volume - Études 1 à 7) ;
la DEUXIÈME SÉRIE exposait les Théories scolastiques (deuxième volume - Études 8 à 12, non reprises ici) ;
la TROISIÈME SÉRIE s'intitule les Théories grecques des Processions divines (troisième volume - Études 13 à 20).
Avec cette vingt et unième Étude, nous ouvrons le quatrième et dernier volume de cette oeuvre.
Ce volume nous donne la deuxième partie des Théories grecques des Processions divines, partie qui comprend les Études 21 à 28.
Cliquer ci-dessous, pour vous retrouver aux points correspondants du texte :
Avertissement préliminaire- AVERTISSEMENT PRÉLIMINAIRE -
a loi historique de la théologie catholique est que les dogmes n'ont généralement été formulés avec
une précision canonique, qu'à l'occasion des hérésies qui corrompaient la foi traditionnelle. C'est là une des raisons de
la sentence de l'Apôtre : oportet haereses esse. Il en fut ainsi du dogme de la sainte Trinité, successivement attaqué
en sens contraire par le Sabellianisme et l'Arianisme.
Voilà pourquoi, désirant connaître les théories catholiques au sujet de cet adorable mystère, je fais partir mes Études
de l'époque où ce dogme fut exposé didactiquement par les docteurs du quatrième siècle. Certes, on peut démontrer que ces grands
hommes n'ont fait que soutenir une tradition existant avant eux. Mais c'est à eux que revient l'honneur d'avoir fondé la
dogmatique proprement dite.
Je propose donc au lecteur de nous mettre docilement à l'école de ces Pères de l'Église, en suivant chronologiquement la série
de leurs enseignements. Ce sera le moyen de légitimer certaines conclusions générales que je n'ai pu qu'affirmer dans les
Études précédentes.
Mais si le lecteur veut me suivre avec quelque intérêt, qu'il veuille bien se mettre dans la disposition d'esprit que j'ai si
souvent recommandée.
Lorsqu'on parle à un théologien de la question dogmatique relative à la procession du Saint-Esprit, aussitôt sa pensée se reporte
sur les fameuses dissensions entre les Grecs et les Latins. C'est que, dans les cours de théologie classique, tout l'effort tend à
légitimer le Filioque par des arguments convaincants, et à réfuter les raisons contraires apportées par les schismatiques.
D'ailleurs, comme l'autorité doit tenir le premier rang dans les questions dogmatiques, le principal intérêt s'attache aux
textes patristiques qui ont été invoqués dans un sens ou dans un autre.
Mais il arrive quelquefois que ces passages se bornent à des phrases choisies pour un mot ou même pour une simple préposition.
Or qui ne sait combien il est facile de se débarrasser d'une phrase isolée du contexte, soit en supposant une interpolation,
soit en interprétant la proposition dans un sens favorable à la thèse que l'on prétend soutenir ?
Il y a, de plus, une considération qu'on semble oublier trop souvent. Les Pères de l'Église, quels que fussent leur génie
naturel et l'assistance de la grâce, n'étaient point des prophètes.
Ils connaissaient et combattaient les hérésies passées et présentes ; ils ne prévoyaient point les erreurs futures, et surtout
ils ne dirigeaient point leurs coups contre des monstres encore cachés dans les flancs du néant. Sans doute, on peut et l'on
doit leur emprunter des témoignages contre les hérésies qui ont surgi après eux. Mais il ne faut pas oublier qu'en écrivant,
ces docteurs n'ont pensé qu'à leur temps et à ses besoins, et qu'ils auraient été bien étonnés si on leur eût prédit l'importance
qu'on attacherait plus tard à telle phrase ou à tel mot tombé de leur plume.
Quoi qu'il en soit, le lecteur qui m'a suivi jusqu'ici, connaît ma méthode. Elle consiste à fréquenter chaque auteur, de façon
à s'approprier, autant que possible, sa manière de penser, ses principes, ses opinions, sa façon de voir les choses. Il faut donc
connaître ce qu'il connaît et rien davantage, vivre avec lui et dans son temps.
Appliquant cette méthode à la question présente, j'invite le lecteur à oublier complètement la fatale histoire du schisme
photien, et toutes les disputes sur le Filioque. Rien de tout cela n'était soupçonné au quatrième siècle. Aucune
des subtilités inventées plus tard ne tombait dans la pensée des grands docteurs grecs qui ont fondé la dogmatique
du Saint-Esprit. Faisons donc, nous aussi, table rase de toutes ces funestes discussions ; mettons-nous, comme de simples
disciples, à l'école des Pères de l'Église. Ce sera le vrai moyen d'apprendre et de comprendre leurs théories au sujet
de la mystérieuse procession de la troisième Personne divine.
Cependant j'avertis le lecteur que j'attirerai son attention plus spécialement sur deux points qui me semblent d'une grande
importance pour l'intelligence des Pères orientaux, savoir, leur façon de concevoir la Trinité suivant un diagramme en ligne
droite, et la liaison intime qu'ils admettaient entre les processions divines et la voie par laquelle la divinité
agit sur les créatures.
- CHAPITRE I -
SAINT ATHANASE
§ 1. — Vue d'ensemble sur sa polémique.
Pour bien comprendre l'argumentation de saint Athanase, il faut d'abord nous rappeler le formulaire
arien, que j'ai relaté plus haut d'après saint Augustin.
Nous y remarquons que tout repose sur un parallélisme de rapports binaires : d'une part, entre le Père et le Fils ; d'autre part,
entre le Fils et le Saint-Esprit.
— Le Fils créé par le Père ; le Saint-Esprit créé par le Fils.
— Le Fils soumis au Père ; le Saint-Esprit soumis au Fils.
— Le Fils moins grand que le Père ; le Saint-Esprit moins grand que le Fils.
Cette hiérarchie en gradins est simple et séduit par son ordonnance régulière. D'ailleurs, pour établir la chute de Nature
d'un degré à l'autre, les Ariens abusaient de tous les textes relatifs à l'incarnation. La chute du Fils entraînait logiquement
la chute du Saint-Esprit.
Sans doute, on peut réfuter ces erreurs, soit en prouvant directement la divinité du Fils et la divinité du Saint-Esprit, soit
en défendant en bloc le dogme de la Trinité. Nous avons vu que saint Athanase n'a point failli à cette tâche. Mais la perspicacité
du grand docteur lui découvrit une méthode plus efficace, parce qu'elle jetait le trouble dans le camp des pneumatomaques composé
d'éléments hétérogènes.
Le concile de Nicée, en définissant le homoousios, avait consacré la divinité du Fils, et l'on sait combien saint Athanase
avait contribué à cette définition, avec quel courage il la défendait. Pour lui, la foi de l'Église était tout entière contenue dans
ce symbole. Il le présentait sans cesse aux ergoteurs orientaux. On était orthodoxe, à ses yeux, lorsqu'on l'acceptait sans phrases,
mais on ne l'était qu'à ce prix.
Or il avait aussi compris combien la définition de l'homoousios fournissait un point d'appui solide pour faire perdre pied
aux adversaires du Saint-Esprit. Il suffisait, en effet, de leur montrer les relations intimes entre le Saint-Esprit et le Fils.
On les forçait ainsi, ou bien à admettre la divinité du Saint-Esprit, ce qui les faisait rentrer dans l'orthodoxie, ou bien à
repousser le homoousios, ce qui les rejetait dans la tourbe des Ariens déjà déshonorés.
Cette méthode si puissante se dédoublait elle-même en deux procédés, pour ainsi dire, contraires.
Le premier consistait à démontrer directement la consubstantialité du Saint-Esprit et du Fils. D'où suit l'argument suivant : Le Saint-Esprit
est consubstantiel au Fils. Or la foi de Nicée reconnaît que le Fils est consubstantiel à Dieu le Père. Donc le Saint-Esprit est
consubstantiel au Père et au Fils, et n'est avec eux qu'un seul et même Dieu.
Le second procédé consistait à admettre franchement ce parallélisme de rapports personnels binaires, dont abusaient les Ariens,
et à retourner contre les pneumatomaques leur propre argument : Nous convenons de part et d'autre que le Saint-Esprit est au Fils,
comme le Fils est au Père. Eh bien ! le concile de Nicée a défini que le Fils a même Nature, même éternité, même divinité que le Père.
Donc le Saint-Esprit a même Nature, même éternité, même divinité que tous les deux.
§ 2. — Un texte de saint Denis d'Alexandrie.
J'ai insisté souvent sur cette remarque, qu'une des principales gloires de saint Athanase est de
s'être montré toujours le gardien fidèle des anciennes traditions, et de n'en avoir sacrifié aucune aux besoins de la polémique.
Cette méthode que nous venons d'étudier nous en est, elle-même, un exemple.
Car notre docteur l'avait puisée dans l'enseignement d'un de ses prédécesseurs sur la chaire d'Alexandrie. On sait que saint Athanase
a composé une apologie de saint Denis. Or, parmi les textes qu'il rapporte en faveur de son orthodoxie, il cite la sentence suivante :
Nous étendons la Monade sans la diviser dans la Triade, et réciproquement nous récapitulons la Triade sans
l'amoindrir dans la Monade.
S. Athan., De sentent. Dionys., § 17.
Je sais qu'en toute rigueur on peut entendre cette formule dans un sens latin, en rapportant l'Unité
à la substance divine, et la Trinité aux trois Personnes. Ainsi expliquée, cette sentence est belle et exacte.
Mais, pour comprendre
la pensée de l'auteur, il faut entendre celte phrase dans le sens grec, c'est-à-dire, en visant toujours la personne in recto.
La « Monade » , c'est l'unique Père, qui étend sa Nature aux Personnes procédantes. La « Triade » ce sont les trois Personnes
recueillies dans le Père par la consubstantialité et la circumincession.
Saint Athanase s'est inspiré de cette formule dans sa dogmatique du Saint-Esprit. Conformément à la visée antique, il considère
directement les caractères personnels de la troisième Personne, et il en tire deux conclusions :
— Le Saint-Esprit se recueille dans le Fils et par conséquent dans le Père, en vertu de la consubstantialité ;
— le Saint-Esprit sort consubstantiellement du Fils qui sort consubstantiellement du Père.
C'est, on le voit, utiliser les deux membres de la sentence de saint Denis.
§ 3. — Comparaison.
Avant que je n'étudie en détail ces deux procédés contraires, daigne l'adorable Trinité me pardonner une
comparaison bien triviale, mais assez propre à faire comprendre ce qui va suivre.
Supposez qu'un ignorant ait démonté brutalement une longue vue, et que, jetant éparses la pièce principale et les deux allonges,
il soutienne que ces trois tubes sont des appareils différents. Comment s'y prendra un savant pour dissiper cette erreur ?
Il prendra la première allonge et montrera qu'elle rentre exactement dans le corps de la lunette ; puis, il prendra la seconde
allonge et montrera qu'elle rentre exactement dans la première et, par conséquent, aussi dans le corps de la lunette. Donc les
trois pièces ne sont qu'un seul appareil.
Ainsi raisonne saint Athanase :
— Le Fils est dans le Père ;
— le Saint-Esprit est dans le Fils.
C'est le recueillement des deux Personnes procédantes, dans le Père dont elles procèdent.
Mais, en poursuivant notre comparaison, nous trouvons qu'après avoir fait rentrer toute la lunette dans le corps principal,
le savant peut confondre l'ignorant par une opération inverse. Il tire du corps principal la première allonge, et de celle-ci la seconde.
Il fait voir comment tout l'instrument se développe de lui-même, en ligne droite et sans brisure ; comment la troisième
partie est à la seconde comme la seconde à la première ; comment elle sort du corps principal par le moyen de la seconde ;
comment enfin la même lumière remplit tout l'appareil, parce que partant d'une extrémité elle est intégralement transmise
jusqu'à l'autre.
Ainsi encore raisonne saint Athanase :
— Le Saint-Esprit est l'image du Fils, comme le Fils est l'image du Père.
— Le Saint-Esprit reçoit du Fils, comme le Fils reçoit du Père.
La divinité est tout entière dans toute la Trinité, parce que partant du Père , elle va au Fils et par le Fils au Saint-Esprit.
Toutes les opérations naturelles ou surnaturelles sont une seule opération de la Trinité, parce que la création et la
justification partent du Père - ek Patros - passent par le Fils - di'Uiou - et se consomment dans l'Esprit
- en Pneumati.
C'est la dilatation de l'Unité dans la Trinité par les processions immédiate et médiate, dont la Personne du Père est la source primordiale.
Mais il est temps d'écouter saint Athanase lui-même et de voir successivement :
1° Comment il fait rentrer le Saint-Esprit dans le Fils, autant que le Fils rentre dans le Père.
2° Comment il fait dériver le Saint-Esprit du Fils, autant que le Fils dérive du Père.
§ 4. — Comment saint Athanase fait rentrer le Saint-Esprit dans le Fils.
Saint Athanase s'emploie longuement à démontrer comment le Saint-Esprit est uni au Fils par l'identité de
Nature, de substance, et d'opération.
Cette identité de Nature ressort des images scripturales.
L'Esprit est l'Onguent. Par l'onction, on acquiert l'odeur propre à la nature de l'Onguent. Eh bien ! cette odeur est
celle de l'haleine du Fils, de telle sorte que celui qui possède l'Esprit peut dire : Nous sommes bien, pour Dieu, la bonne odeur du Christ
(II Corinthiens 2 ; 15).
— L'Esprit est le Sceau, car, saint Paul écrit : Vous avez été marqués d'un sceau par l'Esprit de la Promesse (Éphésiens 1 ; 13). Le Sceau
imprime sa forme. Eh bien ! par cette empreinte, nous prenons la forme du Christ, suivant cette autre parole du même saint Paul : ...jusqu'à
ce que le Christ soit formé en vous. (Galates 4 ; 19)) (S. Athan., À Sérapion, lettre I, § 23 et lettre III, § 3).
L'identité de Nature et de substance est encore démontrée par ce fait que dans l'Écriture, toutes les opérations du Fils sont
attribuées au Saint-Esprit, et réciproquement. Dieu fait toutes choses, à la fois par son Verbe et par son Esprit. L'opération
du Fils et celle du Saint-Esprit ne sont qu'une seule et même opération. Ainsi dans les prophètes et les apôtres, il est écrit
que c'est le Saint-Esprit qui parle, mais il est écrit aussi que c'est la parole du Fils.
Ainsi encore lorsque le Verbe vint habiter dans la sainte Vierge Marie, l'Esprit vint avec lui, et c'est dans
l'Esprit que le Verbe se forma et s'unit un corps, voulant unir et offrir par soi-même la création au Père, et réconcilier
tous les êtres pour Lui, aussi bien sur la terre que dans les Cieux.
Colossiens 1 ; 20. - S. Athan., À Sérapion, lettre 1, § 31.
Bien plus, l'Écriture enseigne formellement que le Saint-Esprit est une même substance avec le Fils.
Le Fils est la « sagesse et la vérité » ; or le Saint-Esprit est appelé « esprit de sagesse » et « esprit de vérité ».
Le Fils est « la Vertu de Dieu » et le « Seigneur de gloire »; or l'Esprit-Saint est appelé par saint Pierre l'Esprit de gloire,
l'Esprit de vertu, l'Esprit de Dieu : Heureux, si vous êtes outragés pour le Nom du Christ, car l'Esprit de gloire et de de puissance,
l'Esprit de Dieu repose sur vous (I Pierre 4 ; 14. - S. Athan., À Sérapion, lettre 1, § 25).
Tout dans l'Écriture révèle donc la commune substance du Fils et du Saint-Esprit, jusqu'aux noms eux-mêmes. « Il est vrai, le
Saint-Esprit n'est pas appelé fils. Mais il porte un nom qui appelle son union avec le Fils, savoir, le nom d'esprit de filiation
adoptive » (À Sérapion, lettre IV, § 4. — M. XXVI, col. 641).
C'est donc en lui que le Verbe honore les créatures, et les faisant Dieu, les faisant fils, les conduit au Père.
Celui qui unit la création au Verbe ne peut pas être une créature ; celui qui rend fils l'être créé ne peut être étranger au Fils.
Il est formellement l'Esprit du Fils; aussi le seul cri qu'il jette dans nos cœurs est celui de Père : Dieu a envoyé dans nos
coeurs l.Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! (Galates 4 ; 6).
À Sérapion, lettre IV, § 4. — M. XXVI, col. 641.
Par toutes ces citations, on reconnaît combien saint Athanase insiste sur l'unité substantielle du
Saint-Esprit et du Fils. Est-ce pour prouver que le Saint-Esprit n'est pas une créature ? Sans doute ; mais son dessein va plus loin.
En faisant rentrer ainsi le Saint-Esprit dans la substance du Fils, il prétend par là-même le faire aussi rentrer dans la substance
du Père, et établir que, pour trouver la source originaire du Saint-Esprit, il ne faut pas s'arrêter au Fils, mais remonter
jusqu'au Père lui-même.
Le Saint-Esprit, dit-il, est l'Esprit du Fils, et :
...chose vraiment admirable, suivant la parole du Fils, tout ce qui est à Moi est à Toi, l'Esprit-Saint
appelé Esprit du Fils est l'Esprit du Père... Aussi dans toute la divine Écriture, vous trouverez que l'Esprit du Fils est appelé
l'Esprit de Dieu... Si donc le Fils, en vertu de sa relation personnelle au Père et parce qu'il est le propre fruit de sa substance,
n'est pas une créature, on doit de même conclure que le Saint-Esprit n'est pas une créature. Le dire est un blasphème, à cause de
la relation personnelle de l'Esprit au Fils, et parce que c'est de celui-ci - ex autou - qu'il est donné à tous, et que
tout ce qu'il a est du Fils.
À Sérapion, lettre III, § 1.
On pourrait, ce me semble, rester complètement fidèle à la pensée de saint Athanase, en résumant en langage plus scolastique, tous les enseignements précédents et en particulier le dernier passage. Le Saint-Esprit est consubstantiel au Fils, puisqu'il a mêmes attributions, mêmes opérations et mêmes noms. Donc il n'en provient pas par voie de création. Mais il en procède puisqu'il tient tout de lui.
Nous voyons paraître ici l'erreur filioquiste : « l'Esprit tient TOUT du Fils » est une affirmation trop exclusive. Car le Fils est Dieu parce qu'il reçoit sa divinité du Père par voie d'engendrement, et l'Esprit est Dieu car il reçoit sa divinité par voie de procession. Le Fils et l'Esprit « vivent » leur divinité d'une façon ineffablement différente, et c'est bien pourquoi l'on ne peut confondre procession et génération. Le Fils est engendré par le Père ; l'Esprit procède du Père : la distinction des termes montre que l'on ne saurait confondre les deux types de relation personelles.
- et par là même qu'il procède du Fils, on doit conclure qu'il procède du Père [sic],
puisque tout est commun au Père et au Fils, sauf leurs relations réciproques.
On voit comment cette argumentation est conforme
à la théorie qui prend la ligne droite pour symbole de la Trinité ; cette théorie va se manifester davantage par la proposition
suivante.
§ 5. — Comment saint Athanase fait dériver du Fils le Saint-Esprit.
Les Ariens fondaient leur théorie de la Trinité sur une proportion qu'on peut ainsi formuler :
« Le Saint-Esprit est au Fils, comme le Fils est au Père ». Or, disaient-ils, le Fils est moindre que le Père ; donc, concluaient-ils,
le Saint-Esprit est moindre que le Fils. De là les degrés différents de Nature et de perfections.
Saint Athanase comprit comment la définition de Nicée permettait de retourner contre les pneumatomaques la loi qu'ils admettaient.
En effet, dans la hiérarchie divine de la Trinité, le dogme de la consubstantialité relève le second degré au niveau du premier.
La loi de proportion exige donc qu'on relève le troisième degré au niveau du second ; l'escalier à gradins subordonnés redevient
un plan horizontal sur lequel les trois Personnes sont à même hauteur, comme divinité , comme éternité, comme gloire. On passe
alors de plain-pied du Père au Fils et du Fils au Saint-Esprit. La ligne, brisée par les Ariens, redevient droite, et le mouvement
de la vie divine va tout droit du Père par le Fils au Saint-Esprit.
Saint Athanase accepta donc franchement le parallélisme de rapports personnels qu'avaient signalé les anciens Pères dont
abusaient les Ariens. Il le formula avec plus de netteté et d'insistance, et il en fit la base d'une argumentation toute-puissante
contre la nouvelle et illogique hérésie des pneumatomaques qui, admettant la divinité du Fils, rangeaient le Saint-Esprit
parmi les créatures.
Le Saint-Esprit - dit-il - est en même relation d'ordre et de Nature avec le Fils que le Fils avec le Père.
Comment donc appeler créature l'Esprit, sans faire la même injure au Fils ? Si l'Esprit du Fils est une créature, il
faut - pour être conséquent - dire que le Verbe du Père est lui aussi une créature. En soutenant cette dernière erreur, les
Ariens sont tombés dans le judaïsme de Caïphe. Que ceux qui ne veulent pas suivre Arius, cessent donc d'imiter son langage,
et ne soient pas impies envers l'Esprit.
S. Athan., Ad Serap., lettre I, § 21.
Saint Athanase considère cet argument ad hominem comme le plus puissant de tous, et il y ramène
sans cesse l'esprit de ses lecteurs.
Il avait écrit à Sérapion une première lettre très longue et très complète sur le Saint-Esprit, et cet évêque l'avait prié de
renfermer sa doctrine sous une forme plus succincte. Or notre Docteur répond d'abord à cette demande par une seconde lettre où
il ne s'occupe qu'à établir la divinité du Fils. Puis il lui en adresse une troisième dont voici le commencement :
Peut-être vous êtes-vous étonné, qu'après votre ordre de résumer ma lettre sur le Saint-Esprit, j'aie semblé
oublier ce sujet, et que ma réponse ait été uniquement dirigée contre ceux qui outragent le Fils en l'appelant une créature.
Mais vous ne m'en ferez pas de reproche, j'en suis sûr, et lorsque vous saurez le motif de cette conduite, votre piété en
approuvera la raison. En effet, le Seigneur a dit du Saint-Esprit : Il ne parlera pas de Lui-même, mais tout ce qu'Il entendra,
Il le dira,... car c'est de mon bien qu'Il prendra pour vous en faire part (Jn. 16 ; 13). Plus tard, ayant soufflé, Il Le donna
de Lui à ses disciples, et c'est ainsi que le Père L'a répandu sur toute chair, comme il est écrit. C'est pourquoi, il convenait
de parler et d'écrire d'abord sur le Fils de Dieu, pour que de la connaissance du Fils, nous parvenions à la vraie connaissance de
l'Esprit. Car telle nous connaissons la propriété du Fils à l'égard du Père, telle nous retrouverons la propriété de l'Esprit
à l'égard du Fils.
S. Athan., Ad Serap., lettre III, § 1.
§ 6. — Même sujet : le Saint-Esprit est au Fils comme le Fils est au Père.
Nous venons d'entendre saint Athanase répéter par deux fois que le Saint-Esprit est au Fils comme le
Fils est au Père. On peut dire que cette formule contient toute sa théorie de la Trinité. C'est l'unité dilatée par une proportion
qui la distingue sans la multiplier. C'est la ligne droite à travers laquelle l'égalité circule , pour faire procéder le Saint-Esprit
du Père par le Fils, et pour unir le Saint-Esprit au Père par le Fils.
Entrons dans plus de détails.
Dans sa première lettre, saint Athanase dit au sujet des pneumatomaques :
Le Saint-Esprit ayant la même unité avec le Fils que le Fils avec le Père, soutenir que l'Esprit est une créature,
c'est se contredire. Ils ne séparent pas le Fils du Père, afin de sauver l'unité de Dieu. Mais en séparant du Verbe l'Esprit,
ils ne sauvent plus la Trinité.
S. Athan., Ad Serap., lettre I, § 2.
Dans sa troisième lettre, il montre que le Saint-Esprit comme le Fils est partout.
Car il est écrit : L'Esprit du Seigneur emplit la terre entière, et David chante : Où irais-je
loin de ton Esprit ? (Ps. 139 ; 7) En effet, Il n'est pas dans un lieu, mais hors de tout lieu ; Il est dans le Fils,
comme le Fils est dans le Père.
S. Athan., Ad Serap., lettre III, § 4.
Ces citations suffisent pour montrer comme saint Athanase aime à balancer sa pensée entre ces deux
rapports de l'Esprit au Fils et du Fils au Père.
Ce même rapprochement se manifeste dans le nom d'Image donné au Saint-Esprit.
Il y revient plusieurs fois :
De même - dit-il dans sa première lettre - que le Fils est dans l'Esprit, comme dans sa propre image,
ainsi le Père est dans le Fils.
S. Athan., Ad Serap., lettre I, § 20.
Et un peu plus loin s'expliquant davantage :
L'Esprit est réellement et est appelé l'image du Fils. Car il est écrit : Ceux que d'avance Il a discernés,
Il les a aussi prédestinés à reproduire l'image de son Fils (Rm. 8 ; 29). Or les pneumatomaques confessent que le Fils
n'est pas une créature ; donc son image n'est pas une créature. Car de toute nécessité l'image est telle que ce dont elle est l'image.
Voilà pourquoi on confesse que le Verbe n'est pas une créature, puisqu'il est l'image du Père. Donc, encore une fois, celui qui
range l'Esprit parmi les créatures, doit y ranger le Fils également, outrageant ainsi le Père par ce blasphème contre sa
propre image.
S. Athan., Ad Serap., lettre I, § 24. On voit ici que l'Image est un caractère personnel. Le Saint-Esprit est l'image
de la personne du Fils, le Fils est l'image de la personne du Père.
Et, reprenant la même pensée dans sa troisième lettre :.
Si l'Esprit est l'odeur et la forme du Fils, il est évident qu'il ne peut être une créature, puisque le
Fils n'est pas une créature par cela même qu'il est dans la forme du Père. De même que celui qui voit le Fils voit le Père, de
même celui qui possède le Saint-Esprit possède le Fils, et le possédant il est le temple de Dieu, saint Paul ayant écrit :
Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? (I Co. 3 ; 16) et saint Jean
écrivant : À ceci nous reconnaissons que nous demeurons en Lui et Lui en nous : c'est qu'Il nous a donné de son Esprit
(I. Jn. 4 ; 13). Si donc le Fils, parce qu'il est dans le Père et le Père en lui, doit être proclamé incréé, de toute nécessité
l'Esprit n'est pas une créature ; car le Fils est en Lui, et lui-même est dans le Fils.
S. Athan., Ad Serap., lettre III, § 3.
J'invite le lecteur à bien méditer ces citations. Saint Athanase s'efforce de montrer l'union intime du Saint-Esprit avec le Fils. Il est dans le Fils et le Fils en Lui. « Il est uni au Fils, comme le Fils est uni au Père » (S. Athan., Ad Serap., lettre I, § 31). Il semblerait que l'union du Saint-Esprit au Fils fût plus formellement immédiate que son union au Père.
§ 7. — Le Saint-Esprit est uni au Père par le Fils.
Nous devons donc nous attendre à ce que saint Athanase réunisse le Saint-Esprit au Père par l'intermédiaire du Fils. En effet, il écrit :
L'Esprit n'est pas hors du Verbe ; mais étant dans le Verbe, Il est par lui en Dieu.
S. Athan., Ad Serap., lettre III, § 5. Rappelons-nous que dans saint Athanase - theos - signifie le Père.
Et un peu plus loin :
L'Esprit étant dans le Verbe, il est manifeste qu'Il est en Dieu par le Verbe.
S. Athan., Ad Serap., lettre III, § 6.
C'est bien là, si je ne m'abuse, affirmer que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils ,
car Il est dans le Père comme Il en procède.
Mais cette procession médiate n'empêche pas que le Saint-Esprit ne procède immédiatement du Père, ne soit immédiatement le propre
du Père.
L'Esprit n'est pas une créature, mais Il est le propre de la substance du Verbe ; Il est aussi le propre
de Dieu, et l'Écriture dit qu'il est en Dieu.
S. Athan., Ad Serap., lettre IV, § 4.
Cette déclaration revient à dire que le Saint-Esprit procède et du Fils et du Père, car il est le propre
de l'un et de l'autre comme il en procède.
Nous retrouvons donc dans le docteur qui enseigna tout l'Orient le fondement des deux formules de la procession : A Patre per Filium,
et ab utroque - du Père par le Fils et du Père et du Fils.
C'est une généralisation abusive : ce n'est pas parce que l'Esprit est « le propre » - to idion - du Père, et
que le Fils est également « le propre » du même Père, que l'Esprit procède du Père et du Fils...
L'Esprit « procédant du Père par le
Fils » est une expression patristique reconnue par les Pères. Nous avons exploré le sens de cette expression dans l'Étude XXIII
(Évangile de Jean : Le polyptique aux cinq volets) sous le dernier sous-titre : « l'Esprit procède du Père ».
L'Esprit « procédant du Père et du Fils » est une erreur théologique
qui confond la procession éternelle de l'Esprit du Père - de son envoi dans le temps, auprès des Disciples et des êtres humains ayant
découvert le Christ.
§ 8. — Beau développement.
Pour résumer ce chapitre et pour donner un coup d'œil d'ensemble sur la doctrine de saint Athanase,
je ne puis mieux faire que de reproduire ici un beau développement où se manifestent sa méthode et son concept avec une
grande clarté.
Pour répondre aux hérétiques qui ne cessaient de poser des questions ridicules sur les processions divines, saint Athanase
leur avait interdit tous ces « comment ». Qu'ils nous disent comment est le Père, et nous leur dirons comment est le Fils.
On doit bannir toute curiosité téméraire, et s'en tenir à ce que nous apprend l'Écriture. Du reste, ajoute-t-il, elle nous
fournit des comparaisons qui suffisent à notre instruction.
— Le Père (S. Athan., Ad Serap., lettre I, § 19) est appelé source et lumière :
Ils m'ont abandonné, moi, la source d'eau vive (Jérémie 2 ; 13)
et dans Baruch : Pourquoi, Israël, pourquoi es-tu au pays de tes ennemis ... c'est que tu abandonnas la source de la
Sagesse ! (Baruch 3 ; 10-12)0, 12)
et suivant saint Jean : Dieu est Lumière (I Jn. 1 ; 5).
— Quant au Fils, en le rapportant à la fontaine, il est appelé fleuve. Car il est dit :
Les rivières de Dieu regorgent d'eau (Ps. 64 ; 10).
En le rapportant à la lumière, il est appelé splendeur, saint Paul disant : Resplendissement de sa gloire, empreinte de sa
substance (Hb. 1 ; 3).
Ainsi le Père est lumière, le Fils est splendeur (ne nous lassons pas de nous répéter, surtout dans de tels mystères). Il est
donc permis de contempler dans le Fils l'Esprit en qui nous sommes illuminés : qu'Il vous donne un Esprit de sagesse
et de révélation, qui vous Le fasse vraiment connaître ; puisse-t-Il illuminer les yeux de votre coeur (Éph. 1 ; 17). Or,
lorsque nous sommes illuminés par l'Esprit, c'est le Christ qui nous illumine en lui : Il était la lumière véritable qui éclaire
tout homme venant en ce monde (Jn. 1 ; 9).
— De même, l'Ecriture qui appelle source le Père et fleuve le Fils, dit aussi que nous buvons l'Esprit. Tous, nous avons été
abreuvés d'un même Esprit (I Cor. 12 ; 13). Or, lorsque nous buvons l'Esprit, nous buvons le Christ : Ils buvaient à un
rocher spirituel qui les accompagnaut, et ce rocher était le Christ (I Cor. 10 ; 4).
— Encore : le Christ étant le Fils véritable, lorsque nous recevons l'Esprit, nous devenons fils : Aussi bien n'avez-vous pas reçu un
esprit d'esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un Esprit de fils adoptifs (Rom. 8 ; 15). Or, lorsque nous devenons
fils dans l'Esprit, il est clair que dans le Christ nous sommes les enfants de Dieu : Mais à tous ceux qui L'ont reçu, Il a donné
pouvoir de devenir enfants de Dieu (Jn. 1 ; 12).
— De plus : Le Père, comme dit saint Paul, étant seul sage, le Fils est sa Sagesse : Le Christ, puissance de Dieu et sagesse de
Dieu (1 Cor. 1 ; 24). Or le Fils étant la Sagesse, lorsque nous recevons l'Esprit de sagesse, nous possédons le Fils et en lui
nous devenons sages ... Telle étant la ligne (sustoichia : « rangement sur une même ligne ». Reconnaissez-vous le schéma grec ?)
et l'unité dans la sainte Trinité, qui séparera, soit le Fils du Père, soit l'Esprit du Fils ou du Père lui-même ? Qui sera assez
audacieux pour dire que la Trinité est dissemblable à elle-même, ou que le Fils est d'autre nature que le Père, ou que l'Esprit
est étranger au Fils ?
Comment sont ces choses ? demande-t-on. Comment, lorsque l'Esprit est en nous, est-il dit que le Fils est en nous, et lorsque
le Fils est en nous, est-il dit que le Père est en nous ? comment la Trinité est-elle désignée dans une seule des trois Personnes ?
Comment une seule étant en nous, est-il dit que la Trinité est en nous ? Eh bien ! que ces questionneurs séparent d'abord de la
lumière la splendeur, ou du sage la sagesse, ou qu'ils disent comment sont ces choses.
Saint Athanase conclut qu'il faut bannir toute curiosité téméraire, et s'en tenir aux comparaisons
scripturales, qui nous ont été données pour nous fournir quelque intelligence de ces mystères, et nous apprendre « à croire qu'il y
a une seule sanctification qui advient du Père par le Fils dans le Saint-Esprit ».
Et poursuivant son balancement de rapports, il continue :
En effet, comme le Fils est unique, ainsi l'Esprit donné et envoyé par le Fils est lui-même un et non multiple ;
ni un entre plusieurs, mais l'unique Esprit. Car unique étant le Fils Verbe vivant — unique, parfaite, complète nécessairement
est son opération et donation vivante, illuminatrice et sanctificatrice, laquelle est dite procéder du Père, parce qu'elle rayonne,
est envoyée, est donnée par le Fils qui procède du Père.
Voyez : le Fils est envoyé par le Père : Dieu a tant aimé le monde qu'Il lui donna son Fils unique. Or le Fils envoie l'Esprit :
Si Je pars, Je vous L'enverrai (Jn. 16 ; 7).
— Le Fils glorifie le Père, comme il a dit lui-même : Je T'ai glorifié ; or l'Esprit glorifie le Fils, comme a dit
celui-ci : Celui-ci me glorifiera (Jn. 16 ; 14).
— Le Fils a dit : Ce que J'ai entendu du Père, Je le dis dans le monde; or l'Esprit reçoit du Fils : C'est de mon bien qu'Il
prendra pour vous en faire part (Jn. 16 ; 14).
— Le Fils vient au nom du Père ; or le Fils a dit : L'Esprit-Saint que le Père envoie en mon Nom.
Après avoir réuni ainsi en faisceau ces relations binaires, saint Athanase pose cette conclusion que j'ai déjà citée plus haut :
Il y a donc la même relation de Nature entre l'Esprit et le Fils qu'entre le Fils et le Père. Et comment peut-on dire que l'Esprit est une créature, sans en dire autant du Fils ?
Ai-je besoin de répéter que le schéma en ligne droite répond à ces beaux développements ?
Mais je veux revenir sur une phrase remarquable relative au Saint-Esprit, « Don et Opération sanctificatrice », dont il est dit qu'Il procède
du Père, et c'est pourquoi nous confessons qu'Il resplendit, est envoyé et des donné par le Fils (§ 20. — M. XXVI, col. 580). Observez la raison
pour laquelle le Saint-Esprit procède du Père : c'est parce qu'il provient du Verbe qui procède du Père. Il ne procéderait donc
pas du Père, s'il ne provenait pas du Fils.
En d'autres termes, l'Esprit-Saint procède du Père en tant qu'engendrant le Fils, car le nom même de Père sous-tend
l'engendrement du Fils. Le nom même du Père ne peut être énoncé en faisant abstraction du Fils.
Disons que la préoccupation
fondamentale d'Athanase est d'affirmer la Divinité de l'Esprit conjointement avec celle du Fils, en « calquant » la divinité de l'Esprit
sur celle du Fils : si l'Esprit-Saint n'est pas Dieu, le Fils ne saurait être Dieu. Or comme le Fils est incontestablement Dieu, l'Esprit
doit être Dieu, tout aussi incontestablement. L'énoncé de la procession de l'Esprit PAR le Fils est considérée dans ce point de vue par
saint Athanase, qui ne visait pas prioritairement à établir une théologie de la procession de l'Esprit-Saint...
- CHAPITRE II -
SAINT BASILE
- ARTICLE I -
Livres contre Eunomius.
Nous avons de ce grand docteur trois traités également importants qu'il faut étudier successivement.
§ 1. — État de la question.
Pour comprendre cette polémique, rappelons encore une fois que l'Arianisme nommait le Dieu suprême
l'Innascible - ho agennetos. Une des ruses d'Eunomius était de remplacer partout le nom de Père par celui
d'Ingenitus - Inengendré, pour l'opposer sous le rapport de la Nature à l'Unigenitus - Unique-Engendré. Dans son
premier Livre saint Basile réfute ce sophisme.
L'Arianisme introduisait entre le Dieu suprême et le monde des créatures
visibles deux échelons successivement descendants, savoir, le Fils créé par le Père, et le Saint-Esprit créé par le Fils.
Le concile de Nicée avait affirmé la divinité du Fils, en insérant dans le symbole le mot consubstantiel -homoousios.
Ce mot était le véritable clou de Jahel fixant au sol l'ennemi vaincu.
Il s'agit d'une allusion au Livre des Juges, chapitre 4, verset 21: « Et Jahel, femme de Héber, prit un clou de la tente, et prenant un marteau en sa main, elle vint à lui doucement ; et lui enfonça un clou dans sa tempe, lequel entra dans la terre pendant qu'il dormait profondément, car il était fort las ; et ainsi il mourut ».
Mais si la tête du serpent restait clouée, sa queue s'agitait encore, et ceux qui n'osaient plus
parler ouvertement contre le Fils, blasphémaient impudemment contre le Saint-Esprit.
Contre l'hérésie des pneumatomaques, il ne s'agissait pas de prouver que le Saint-Esprit provient du Fils, puisque Eunomius l'admettait.
Mais il fallait démontrer que cette procession n'est pas une création, et pour cela il suffisait d'établir que le Saint-Esprit
n'est pas une créature. D'ailleurs pour détruire tous ces degrés subalternes de l'échelle gnostique, c'était assez d'établir
que le Saint-Esprit provient non seulement du Fils, mais encore du Père.
§ 2. — Le Saint-Esprit provient du Fils, mais non par création.
Suivons saint Basile dans cette double démonstration. Il cite un passage dans lequel Eunomius démasque tout son système :
Si l'on remonte des créatures vers la compréhension de l'Être, on trouvera le Fils œuvre - poièma - du « non-engendré » et le Paraclet, œuvre de « l'unique engendré ».
C'est-à-dire le Fils créé par le Père « non-engendré », et le Saint-Esprit créé par le Fils « unique engendré »
Et Saint Basile reprend :
Voici une autre sorte d'impiété ! En un seul mot double blasphème ! Avilissement du Saint-Esprit, affirmé comme chose admise de tous, pour partir de là à amoindrir le Fils ! On laisse aux cieux à raconter la gloire de Dieu, mais c'est au Saint-Esprit d'annoncer la diminution de gloire du Fils.
L'« avilissement du Saint-Esprit » est le fait de Le considérer comme une créature du Fils, pour ensuite en arriver à « amoindrir le Fils » en Le considérant comme une créature produite par le Père.
Pourtant le Seigneur, parlant du Paraclet a dit : Il Me glorifiera ; mais une langue de sycophante déclare que l'Esprit
est un obstacle à ce qu'on rassemble le Fils et le Père. En effet, puisque, d'après lui, le Fils est le créateur du Saint-Esprit,
(Dieu me pardonne de tels blasphèmes), cette œuvre ne fait guère honneur à son auteur, et par conséquent on ne doit pas égaler
au Père, le Fils que ses actions mesquines rendent indigne de la dignité suprême. Avez-vous jamais entendu blasphème plus odieux ?
Contra Eunom., lib. II, § 33.
Si, selon Eunome, le Fils est une créature qui crée une autre créature : l'Esprit - assurément le Fils ne saurait être égalé au Père, qui Lui est l'Incréé qui aurait créé une créature, le Fils.
Remarquez, je vous prie, en quoi consiste la force de cette argumentation. Saint Basile ne nie pas que le Saint-Esprit provienne du Fils, mais il compare implicitement cette provenance à la procession éternelle du Fils. La majesté divine du Père consiste en ce que le terme de sa vertu génératrice soit Dieu comme lui. Si le Fils ne peut produire qu'une créature, il ne possède qu'une vertu amoindrie. N'est-ce pas là affirmer que le Saint-Esprit provient du Fils par procession éternelle et divine ?
En fait, saint Basile reproche à Eunome de faire de l'Esprit « un obstacle à ce qu'on rassemble le Fils et le Père ».
Qu'est-ce à dire ?
— Si, selon Eunome, l'Esprit est une créature car il est lui-même créé par le Fils qui est une créature, il n'y a pas d'unité de Nature entre le
Fils et le Père, le Fils étant une créature alors que le Père est l'Incréé.
— Par contre, selon la foi orthodoxe, le Fils est engendré du Père qui est Source de la divinité, et donc est Dieu - l'Esprit, quant à Lui, procède
du Père qui est Source de la divinité. et donc est Dieu Lui aussi. L'Esprit et le Fils ne sauraient être confondus, car ils reçoivent leur Divinité
d'une façon ineffablement distincte, ce qui garantit la distinction de ces deux hypostases divines.
« Saint Basile ne nie pas que l'Esprit provienne du Fils », car l'Esprit est envoyé PAR le Fils à ses Disciples, et à l'ensemble des croyants.
Dans l'argumentation de saint Basile, il n'est pas question d'assimiler la « provenance » de l'Esprit par le Fils, à la « procession éternelle » du Fils,
qui est en fait son engendrement du Père.
Le concept de « procession éternelle » est d'ailleurs à éviter lorsque nous parlons du Fils, car cela ne sert qu'à jeter de la confusion. Cette
confusion permet de tenter à introduire « implicitement » dans la pensée dogmatique de l'Église, l'erreur de la procession de l'Esprit du Père et du
Fils, c'est-à-dire l'hérésie du filioque
§ 3. — Le Saint-Esprit procède aussi bien du Père que du Fils.
Mais il faut faire remontrer cette procession jusqu'au Père. Aussi, après avoir comparé Eunomius à Montan, saint Basile poursuit :
À qui n'apparaît-il pas évident qu'aucune opération du Fils ne doit être séparée du Père, et qu'il n'y a
rien absolument qui soit au Fils et demeure étranger au Père ? Car il est écrit : Tout ce qui est à Moi est à Toi.
Comment donc Eunomius rapporte-t-il au Fils seul la cause de l'Esprit, et pour calomnier la Nature de celui-ci, fait-il appel à
la puissance créatrice de celui-là ?
Contra Eunom., lib. II, § 34.
Remarquez comment dans ce passage la procession par le Père est démontrée en s'appuyant sur la procession par le Fils. C'est la formule latine renversée : A Filio Patreque procedit - l'Esprit procède du Fils et du Père.
Ici aussi, la pensée de saint Basile doit être considérée dans le cadre qui est le sien : la défense de la foi
orthodoxe contre l'Arianisme, tel qu'il est exprimé par Eunome. « Il n'y a rien absolument qui soit au Fils et demeure étranger
au Père » - dit saint Basile - exprimant par là que la divinité du Fils est également la divinité du Père, partageant même
Nature.
Saint Basile rapporte qu'Eunome rapporte au Fils seul la cause de l'Esprit, en ce sens que - selon Eunome - seul le Fils
est créateur de l'Esprit, alors que le Père est créateur du Fils. Par là - dit saint Basile - Eunome calomnie la Nature du Fils,
car selon lui, le Fils Lui-même est une créature. Saint Basile parle de Nature et non pas de procession. D'ailleurs, l'expression
surprenante : « l'Esprit procède du Fils et du Père » est totalement étrangère à la Tradition de l'Église.
Saint Basile continue :
Si donc cet hérétique pour soutenir son système, suppose deux principes contraires l'un à l'autre, qu'il soit anathème avec Manes et Marcion. S'il reconnaît qu'il n'y a qu'une seule source des êtres, qu'il confesse que provenir du Fils emporte une relation à la Cause Première. C'est ainsi que nous, qui croyons que toutes choses ont été amenées à l'existence par le Verbe Dieu, nous ne nions pas pour cela que la cause de toutes choses ne soit le Dieu de toutes choses (Ibid.).
Remarquez comment cet argument en faveur de la procession ab utroque tanquam ab uno principio - l'Esprit procédant du Père et du Fils comme d'un même principe, rappelle l'argument de saint Anselme tiré de l'unité d'action créatrice.
Les « deux principes contraires l'un à l'autre » sont le Père-Dieu créant le Fils, et le Fils-première créature, créant
l'Esprit-créature - selon la pensée d'Eunome. Or il y a « une seule source des êtres », c'est-à-dire le Père, Source ultime et absolue.
« Provenir du Fils emporte une relation à la Cause première » signifie que nous, qui sommes créés PAR le Fils, qui « avons été amenés
à l'existence par le Verbe Dieu », nous sommes en relation avec la Cause première : nous appelons « Père » la première personne de la
Trinité. Ainsi, nous-mêmes, nous ne nions pas que « la cause de toutes choses ne soit le Dieu de toutes choses », que le Père ne soit la
Cause ultime de tout être créé.
Il n'y a qu'une seule Cause, qui est le Père. Il n'existe pas de « cause seconde ». Cette unicité de la
cause est une constante dans la pensée des Pères Grecs. Il ne saurait y avoir de « Cause première » qui est le Père engendrant le
Fils, et de « Cause seconde » qui serait le Fils procédant l'Esprit, ce dernier procédant du Père et du Fils. C'est une problématique
qui est entièrement étrangère aux Pères Grecs. Encore plus étrangère à la Tradition de l'Église orthodoxe, est la pensée que l'Esprit procéderait
du Père et du Fils « comme d'un même principe », confondant de ce fait les deux hypostases du Père et du Fils.
Saint-Basile, en terminant, se résume en ces termes :
Comment donc n'est-il pas évident qu'il y a danger à séparer de Dieu l'Esprit ? L'apôtre les unit toujours, disant tantôt l'Esprit du Christ, tantôt l'Esprit de Dieu. Par exemple : Qui n'a pas l'Esprit du Christ ne Lui appartient pas (Romains 8 ; 9), et ailleurs : Nous n'avons pas reçu, nous, l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient de Dieu (I Co. 2 ; 12). De même le Seigneur l'appelle l'Esprit de Vérité, parce que Lui-même est la Vérité, et il enseigne qu'Il procède du Père. Mais cet homme, pour avilir la gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sépare du Père, l'Esprit, et l'attribue au Fils d'une manière différente pour rabaisser sa gloire [c'est-à-dire en le déclarant comme créature]. Sans doute par dérision, et au mépris du châtiment que lui réservent ses méchantes doctrines au jour de la rétribution (Ibid.).
- ARTICLE II -
Lettre sur l'usie et l'hypostase.
§ 1. — Chaîne formée par le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
On sait que cette lettre est un des chefs-d'œuvre de saint Basile. Aucun docteur ne s'est montré plus
philosophe dans la difficile question de la Nature et de la personne ; et l'on peut dire qu'il est le créateur de la théorie
théologique des notions divines.
La raison de substance, et d'incompréhensibilité - dit-il - est identiquement la même dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Rien de tout cela ne peut nous conduire à la distinction des hypostases. « Cherchons donc quelle est la notion - ennoia - qui
distingue chacune des Personnes des deux autres » (Ibid.). Cette entrée en matière nous avertit que l'évêque va nous livrer
sa théorie des processions, et j'engage le lecteur à avoir devant les yeux le diagramme en ligne droite, s'il veut suivre aisément
cette explication.
Nous présentons les extraits de la « Lettre 38 de saint Basile à son frère Grégoire » suivant la traduction fournie par le Volume I des Lettres de saint Basile, éd. « Les Belles Lettres » 1957. p. 84-86. Cette traduction a l'avantage de la clarté et de l'exacte fidélité au texte.
Nous rechercherons seulement les marques qui nous permettront de séparer avec clarté et sans mélange l'idée de chaque Personne, de l'idée des Personnes considérées ensemble.
La grâce provenant de l'Esprit :
§ 4 En conséquence il me paraît opportun de rechercher ainsi le principe de cette séparation. Tout ce qui nous arrive de bien de la divine puissance, nous disons que c'est l'œuvre de cette grâce qui opère tout en tous, comme dit l'Apôtre : « Tout cela est l'œuvre du seul et même Esprit, qui distribue à chacun en particulier comme il veut » (I Co. 12 ; 11).
La grâce provenant du Fils :
Or, lorsque nous cherchons si la distribution des biens, après avoir tiré son origine du seul Saint-Esprit, parvient ainsi à
ceux qui en sont dignes, nous sommes au contraire amenés par l'Écriture à croire que Dieu le Fils Unique est l'Auteur et
la cause de la distribution des biens que l'Esprit opère en nous. Car tout a été fait par Lui (Jn. 1 ; 3) et subsiste en Lui
(Colossiens 1 ; 17), nous l'avons appris de la Sainte Écriture.
Lors donc que nous nous sommes élevés jusqu'à cette idée, conduits de nouveau par la main d'un divin inspiré, nous apprenons que
toutes choses sont amenées du néant par cette puissance - di'ekeinès tès dunameôs (p.84, l. 15. Saint Basile exprime le
fait que l'oeuvre de la création fut réalisée par le Christ) - non toutefois
qu'elles [toutes choses] viennent de celle-ci sans principe - ou men oude ex ekeinès anarchôs - (p.84, l. 16. Saint Basile désigne
ici le Père)...
Le Père, cause de la cause créatrice :
...mais il est une puissance qui subsiste sans avoir été engendrée et sans principe, qui est cause de la cause de tout ce qui existe - aitia tès hapantôn tôn ontôn aitias (p.84, l. 19) [Remarque du P. Th. de Régnon : « Rappelons-nous toujours que le mot aitios est pris dans le sens de principe, quand il s'agit des processions].
Nous ne pouvons penser l'Esprit-Saint indépendamment du Fils - l'Esprit-Saint procède du Père, et la notion même de «Père» connote l'engendrement de son Fils :
En effet du Père naît le Fils, par qui toutes choses ont été faites, à l'idée duquel l'idée de l'Esprit-Saint est toujours inséparablement unie, car on ne peut arriver à penser au Fils sans avoir été d'abord illuminé par l'Esprit. Donc puisque le Saint-Esprit, de qui jaillit sur la création toute la distribution des biens, se rattache d'une part au Fils avec qui on le saisit immédiatement et tient d'autre part son être attaché, comme à sa cause, au Père dont il procède aussi, c'est là un signe propre à faire connaître sa Nature particulière selon l'hypostase, qu'il soit connu après le Fils et avec lui et qu'il subsiste en venant du Père.
Ainsi, l'Esprit subsiste en venant du Père dont Il procède ; l'Esprit est connu par nous APRÈS le Fils et AVEC Lui, car l'Esprit procède du Père ENGENDRANT le Fils. En fait, nous avons connu le Fils AVANT de recevoir l'Esprit.
Le Fils, qui fait connaître par lui et avec lui l'Esprit qui procède du Père, qui, seul uniquement engendré, est sorti en brillant de la Lumière inengendrée, n'a rien de commun, selon la propriété de ses marques distinctives, avec le Père ni avec l'Esprit-Saint, mais seul Il est reconnu par les signes que j'ai dits.
Le Fils est unique-engendré, et Il donne l'Esprit à ses Disciples et à tous les croyants. La propriété hypostatique du Fils - qui est d'être engendré - est spécifique, et n'a rien de commun avec les propriétés hypostatiques du Père et de l'Esprit.
Quant au Dieu suprême, Il a seul, comme marque distinctive et en quelque sorte privilégiée de son hypostase, d'être le Père et de ne subsister par l'effet d'aucune cause ; et en retour, grâce à ce signe, il est lui aussi particulièrement connu.
La propriété hypostatique du Père, qui est d'être inengendré et « sans cause », est spécifique, et n'a rien de commun avec les propriétés hypostatiques du Fils et de l'Esprit.
Pour cette raison, dans la communauté de la substance, nous déclarons inconciliables et incommunicables les marques distinctives qui sont considérées dans la Trinité et par lesquelles se constitue la particularité des Personnes qui nous ont été transmises dans la foi : chacune est comprise différemment par ses marques distinctives particulières, en sorte qu'à l'aide des signes que j'ai dits on peut découvrir ce qui sépare les hypostases.
La propriété hypostatique de chaque Personne de la Trinité est spécifique, et ne peut être confondue.
Au contraire, pour le fait d'être infini, incompréhensible, incréé, de n'être contenu par aucun lieu, et pour tous les attributs du même ordre, il n'y a aucune différence dans la Nature qui donne la vie, (je parle du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint), mais on peut considérer en eux une sorte de communauté continue et indivisible. Et les réflexions qui permettent de comprendre la magnificence de l'une ou de l'autre des personnes que la foi admet dans la sainte Trinité permettront encore de procéder, sans aucune différence, pour le Père, le Fils et l'Esprit-Saint, si l'on regarde la gloire, sans qu'il y ait entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit aucun intervelle où la pensée s'avance dans le vide.
Les propriétés d'infinitude, d'incompréhensibilité, d'être incréé, ainsi que la propriété d'ubiquité, sont des propriétés de Nature, qui sont communes aux Trois Personnes.
Saint Basile répète que tous les attributs essentiels et toutes les perfections de Nature sont absolument communes et identiques dans les trois Personnes. Puis il continue :
Lorsqu'on pense le Père, on le pense en Lui-même et on accueille en même temps le Fils par la réflexion.
Nous pensons au Père en même temps que nous pensons que le Père engendre son Fils.
...et lorsqu'on saisit celui-ci (le Fils), on ne sépare pas du Fils l'Esprit,
Nous pensons au Fils en même temps que nous pensons à L'Esprit.
...mais logiquement selon l'ordre et conjointement selon la Nature on se représente en soi-même, fondue de façon à ne faire qu'une, la foi aux trois Personnes.
En pensant au Fils et à l'Esprit, nous pensons à la Trinité tout entière.
Et lorsqu'on dit seulement l'Esprit, on comprend en même temps par cette confession Celui dont Il est l'Esprit. Et puisque c'est l'Esprit du Christ, Il vient aussi de Dieu, comme dit Paul (Romains 8 ; 9. Réflexion du P. Th. de Régnon : « Remarquez cette nuance : Spiritus Christi, Spiritus ex Deo - Esprit du Christ - Esprit de Dieu ») : de même que, si l'on prend l'une des extrémités d'une chaîne, on tire en même temps l'autre extrémité, de même, si l'on attire l'Esprit, comme dit le Prophète (Psaume 118 ; 131), on attire en même temps par Lui et le Fils et le Père.
En pensant à l'Esprit, nous pensons de ce fait même, au Fils et au Père.
Et si l'on saisit vraiment le Fils, on le tiendra des deux côtés, et Il amènera avec Lui d'un côté son Père, de l'autre son propre Esprit. En effet Celui qui est toujours dans le Père ne pourra être retranché du Père, et Il ne sera jamais séparé de son propre Esprit, Celui qui opère tout en lui.
En pensant au Fils, nous pensons de ce fait même, au Père et à l'Esprit.
De même encore si l'on reçoit le Père, on reçoit en même temps par sa puissance et le Fils et l'Esprit, car il n'est possible en aucune manière d'imaginer de coupure ou de division, de telle sorte que le Fils soit pensé sans le Père, ou que l'Esprit soit séparé du Fils ;
En pensant au Père, nous pensons de ce fait même, au Fils et à l'Esprit.
...mais on saisit à la fois en eux une communauté et une distinction inexprimables en quelque sorte et incompréhensibles, sans que la différence des hypostases rompe la continuité de la Nature, sans que la communauté selon la substance élimine la particularité des marques distinctives. Et ne t'étonne pas si nous disons que le même est à la fois uni et séparé, et si nous concevons, comme dans une énigme, une sorte de nouvelle et extraordinaire séparation unie en même temps qu'une union séparée.
En la Trinité, nous contemplons l'unité de la Nature divine, en même temps que la distinction des Personnes.
De usia et hypostasi, epist. XXXVIII, §4. / Volume I des Lettres de saint Basile, éd. « Les
Belles Lettres » 1957. p. 86-87.
On reconnaît dans cette dernière phrase la formule du Thaumaturge : «Jamais le Fils n'a manqué au Père, ni l'Esprit au Fils».
§ 2. — Remarque sur le développement précédent.
Voici deux remarques sur ce développement :
1° Il est inutile d'insister pour montrer combien cette chaîne est conforme au diagramme de la Trinité en ligne droite.
2° Mais voici une considération qui doit nous arrêter davantage.
Saint Basile, en indiquant les notions personnelles, prétend bien
nous apprendre à distinguer entre la Nature commune et les propriétés personnelles. C'est là tout le but de sa lettre. Or il
s'appuie pour cela sur la voie par laquelle nous arrivent tous les biens de la grâce. Tout nous vient DU Père, PAR le Fils, EN l'Esprit.
Il admet donc qu'il y a une liaison essentielle entre l'ordre intime des processions divines et les relations extérieures des divines Personnes.
C'est par là-même confesser implicitement la formule : Spiritus ex Patre per Filium procedit - l'Esprit procède DU Père PAR le Fils.
Nous pouvons résumer l'argumentation comme suit :
- Pouvons-nous penser le Fils indépendamment de l'Esprit ? Non, car « nul ne peut dire : "Jésus est Seigneur", que sous l'action
de l'Esprit-Saint (I Cor. 12 ; 3).
- Pouvons-nous penser l'Esprit indépendamment du Fils ? Non, car le nom même de « Père » implique l'engendrement du Fils. C'est en
ce sens que l'on peut dire que l'Esprit-Saint procède du Père PAR le Fils.
- Il n'est pas question de penser le Fils indépendamment du Père, car ce dernier L'engendre de toute éternité.
- Et il n'est pas question de penser l'Esprit indépendamment du Père, car l'Esprit procède du Père de toute éternité.
- Ainsi, si l'on « tire la chaîne » de la Trinité - c'est le Père et le Fils et le Saint Esprit qui « viennent à nous », si l'on peut
se permettre cette expression... il y a à la fois unité et distinction.
- ARTICLE III -
Lettre sur le Saint-Esprit.
§ 1. — Ordre de la glorification divine.
Nous avons déjà fait ample connaissance avec ce traité écrit sous forme de lettre à saint Amphiloque ;
mais la remarque précédente nous permettra d'en tirer un nouveau profit.
En effet, saint Basile s'emploie à défendre les deux doxologies : « Gloire au Père avec le Fils et avec le Saint-Esprit » et « Gloire au Père
par le Fils dans le Saint-Esprit ». Or voici la distinction importante qu'il établit entre ces deux formules :
Disons encore une fois comment ces expressions concordent et en quoi elles diffèrent ; non pas qu'elles se
contredisent, mais parce que chacune offre à la piété un aliment spécial. La préposition dans déclare surtout les rapports avec
nous ; la préposition avec exprime l'unité substantielle de l'Esprit avec Dieu. Voilà pourquoi nous nous servons des deux
formules, déclarant par l'une la dignité de l'Esprit, exprimant par l'autre la grâce qui nous arrive.
Basile de Césarée. Sur le Saint-Esprit S.C. 17bis p. 489. § 68.
Mais si notre docteur distingue ces deux sortes de considérations, il ne les sépare pas. Bien plus, il s'appuie sur l'une pour établir l'autre. En effet, voulant démontrer l'unité de Nature, il se fonde sur la glorification réciproque des trois Personnes, glorification naturelle et non servile, seule digne de Dieu.
De même que le Fils a dit de soi-même : «Je T'ai glorifié sur la terre ; J'ai achevé l'oeuvre que Tu M'avais
donnée à faire» (Jn. 17 ; 4); de même il a dit du Paraclet : « Il Me glorifiera, car c'est de mon bien qu'Il prendra pour vous
en faire part » (Jn. 16 ; 14). Et de même que le Fils a été glorifié par le Père qui a dit : « Je L'ai glorifié et Je Le glorifierai
à nouveau (Jn. 12 ; 28) ; ainsi le Saint-Esprit est glorifié par sa communauté avec le Père et le Fils, et par le témoignage du
Fils unique qui a dit : « Tout péché et blasphème vous sera pardonné, à vous les hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne
sera pas pardonné » (Mt. 12 ; 31).
Basile de Césarée. Sur le Saint-Esprit S.C. 17bis p. 411. § 46.
On le voit : saint Basile voulant prouver la consubstantialité des trois Personnes, s'appuie sur leur glorification réciproque, mais remarquez-le : il s'agit d'une glorification sur la terre, d'une gloire manifestée. Ceci nous montre quel sentiment les saints Pères se faisaient de l'ordre surnaturel de la grâce. Ils y voyaient la manifestation même du commerce intime des trois Personnes divines.
§ 2. — L'ordre divin et l'ordre de la grâce.
Saint Basile est tellement persuadé de cette vérité que l'influence de la grâce est liée aux divines
processions qu'il déduit celles-ci de celle-là dans un passage où nous reconnaîtrons la chaîne mystérieuse et le diagramme
en ligne droite.
Citons tout entière cette belle page de théologie.
Lorsque par la Vertu illuminatrice, nous fixons nos regards sur la beauté de l'Image du Dieu
invisible [le Fils], et que par celle-ci nous nous élevons jusqu'au spectacle de la suréminente beauté de l'Archétype
[le Père], toujours est là présent l'Esprit de science, fournissant en lui-même aux fidèles contemplateurs de la vérité la vertu
qui rend visible l'Image, et la manifestant non au dehors mais en lui-même.
Car, de même que personne ne connaît le Père, sinon le Fils (Mt. 11 ; 17), de même personne ne peut dire : « Seigneur Jésus »,
sinon dans le Saint-Esprit (I Co. 12 ; 3). Car il n'est pas écrit : PAR l'Esprit - dis Pneumatos - mais DANS l'Esprit -
en Pneumati. C'est ainsi qu'il est écrit : « Dieu est Esprit, ceux aui L'adorent doivent L'adorer dans l'Esprit et
la Vérité » (Jn. 4 ; 24), et encore : « Dans ta Lumière, nous verrons la Lunière » (Ps. 35 ; 10), c'est-à-dire, nous verrons
dans l'illumination du Saint-Esprit « la Lumière véritable qui illumine tout homme venant en ce monde» (Jn. 1 ; 9).
Par conséquent, c'est en Lui-même que l'Esprit-Saint manifeste la gloire du Fils, et fournit en soi-même la science de Dieu
à ceux qui adorent en vérité.
Le chemin de la connaissance de Dieu va donc :
DE l'Esprit, qui est Un,
PAR le Fils, qui est Un,
JUSQU'AU Père, qui est UN,
et réciproquement la bonté essentielle, et la naturelle sainteté et la dignité royale découlent :
DU Père
PAR le Fils unique
VERS le
Saint-Esprit.
Ainsi tout à la fois, on confesse la trinité de Personnes
et l'on respecte le dogme de la Monarchie divine.
Basile de Césarée. Sur le Saint-Esprit S.C. 17bis p. 413. § 47.
Saint Basile répète un peu plus loin la même explication du texte : il faut adorer en Esprit et en Vérité. Après une première interprétation, il continue :
Il y a - dit-il - un second sens qui n'est pas à rejeter, à savoir que de même que le Père est vu DANS le Fils,
de même le Fils est vu DANS l'Esprit. Cette expression : adoration dans l'esprit, signifie que notre pensée doit être
comme dans la lumière pour pouvoir adorer ; c'est ce qu'on peut déduire des paroles adressées à la Samaritaine. Trompée par la coutume
de son pays, elle croyait qu'il fallait adorer dans un lieu déterminé, et Notre-Seigneur lui enseigne qu'il faut adorer
DANS l'Esprit et EN Vérité, se désignant Lui-même sous le nom de Vérité.
De même donc que l'adoration doit être DANS le Fils, en tant qu'Il est l'Image de Dieu le Père,
de même l'adoration doit être DANS l'Esprit, en tant que Celui-ci montre en soi-même la divinité de Notre-Seigneur.
Aussi dans l'adoration, le Saint-Esprit est inséparable du Père et du Fils.
Si vous restez hors de Lui, vous n'adorerez pas ; si vous êtes en Lui, vous ne le séparerez pas de Dieu, pas plus que vous
ne séparerez la lumière des objets que vous voyez ; car il est impossible de voir l'Image du Dieu invisible, sinon dans
l'illumination de l'Esprit.
Il est impossible de séparer de l'image la lumière même de l'image, puisque en même temps qu'on voit les objets, on voit
de toute nécessité la lumière qui les fait voir.
Concluons donc : d'une part, c'est par l'illumination de l'Esprit que nous voyons la splendeur de la gloire de Dieu ;
d'autre part, c'est par l'empreinte (Splendeur de sa gloire, empreinte de sa substance... Hébreux 1 ; 3) que nous
sommes élevés jusqu'à la connaissance de Celui dont cette empreinte est la rigoureuse effigie.
Basile de Césarée. Sur le Saint-Esprit S.C. 17bis p. 477. § 64.
J'ai tenu à faire de longs emprunts à cette lettre sur le Saint-Esprit ; car c'est là, véritablement,
le testament de saint Basile, exprimant une dernière fois toute sa pensée à un ami intime, alors qu'il sentait déjà que Dieu
l'appelait à la récompense méritée par ses luttes glorieuses. Or, si je ne m'abuse, le lecteur reconnaîtra clairement dans cet
enseignement une sorte de paraphrase de la formule :
Le Saint-Esprit procède du Père par le Fils.
- CHAPITRE III -
SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE
§ 1. — Saint Grégoire reproduit la doctrine de saint Basile.
Saint Grégoire de Nysse raconte lui-même qu'il a appris la théologie à l'école de son frère.
Leur doctrine, en effet, est tellement semblable, que la critique hésite auquel des deux frères il faut attribuer la lettre sur
l'usie et l'hypostase. La seule différence entre ces docteurs consiste en ce que saint Basile, évêque d'une grande cité
et plus exposé aux regards malveillants des Ariens, pèse son langage avec prudence et s'en tient toujours aux termes scripturaux,
tandis que l'évêque de la petite bourgade se livre davantage à son génie philosophique pour établir une théorie
rationnelle des mystères.
La doctrine de saint Grégoire de Nysse nous introduit donc davantage dans la pensée de saint Basile, et en même temps
nous fournit de nouvelles lumières sur le concept grec de la Trinité.
Citons d'abord un passage où saint Grégoire enseigne le cycle de glorification, en imitant son frère.
Vois-tu - dit-il - le mouvement circulaire de glorification des égaux les uns par les autres :
— Le Fils est glorifié par l'Esprit, le Père est glorifié par le Fils.
— À son tour le Fils reçoit la glorification par le Père, et le Fils est la glorification de l'Esprit.
— Car en qui le Père sera-t-il glorifié, sinon dans la gloire vraie du Fils unique ?
— En qui, à son tour, le Fils sera-t-il glorifié, sinon dans la magnificence de l'Esprit ?
C'est par ce même cercle que notre raison, courant en sens inverse, doit glorifier le Fils par le moyen de l'Esprit et le
Père par le moyen du Fils.
Advers. Macedon., § 22. — M. XLV, col. 1329.
§ 2. — « Ex Patre per filium - du Père par le Fils ».
Citons encore un passage tiré du grand ouvrage où saint Grégoire défend son frère contre Eunomius.
Nous allons y retrouver et la chaîne de saint Basile, et le double circuit ascendant et descendant, et le diagramme en ligne droite,
et cette manière de conclure des influences de la grâce au mouvement intime des processions divines.
Après avoir longuement démontré la divinité du Fils, saint Grégoire poursuit :
Lorsque, fidèle à la saine doctrine, on croit que le Fils procède de la divine et incorruptible Nature,
tout concorde manifestement avec le dogme de la piété relatif au Seigneur ; à savoir, qu'Il est le Créateur de toutes choses,
qu'Il règne sur toutes choses, non par un hasard du sort, ou par une tyrannique oppression de ses égaux, mais en vertu de
l'éminence de sa Nature qui domine essentiellement tous les êtres.
De plus, on reconnaît qu'il n'y a pas plusieurs dominations séparées par des différences de Nature, de façon à mettre en morceaux
le dogme de la Monarchie ; mais que l'on doit croire à une seule divinité, un seul principe, une seule puissance sur toutes choses.
Car la divinité est contemplée dans la concorde des Semblables, et la pensée est conduite par le Semblable vers le Semblable, puisque
c'est par le Saint-Esprit que brille dans les âmes le principe de toutes choses, c'est-à-dire, le Seigneur.
En effet, d'une part, il est impossible, suivant l'Apôtre, de concevoir vraiment le Seigneur sinon dans le Saint-Esprit ; d'autre part,
c'est par le Seigneur qui est le principe de toutes choses, que nous trouvons le principe suréminent qui est le Dieu suprême, puisqu'il
est impossible de connaître l'archétype de tout bien, autrement que lorsqu'il apparaît dans l'Image de l'invisible.
Si maintenant, comme dans la course double, nous revenons sur nos pas après avoir touché le but ; si, partant du sommet de la divine
connaissance - c'est-à-dire du Dieu suprême - nous faisons courir notre pensée par la voie continue des caractères propres,
nous parvenons du Père par le Fils au Saint-Esprit - ek tou Patros dia tou Huiou pros to Pheuma anachôroumen.
En effet, après nous être d'abord bien établis dans la considération de la lumière innascible, comme dans un point de départ,
nous concevons ensuite par voie de continuité la lumière qui en jaillit comme le rayon coexistant au soleil. Que ce rayon existe,
c'est parce qu'il procède du soleil ; mais son existence n'est pas postérieure au soleil ; car ensemble paraît le soleil, ensemble
brille le rayon.
Disons mieux, afin de ne pas nous attacher servilement à une comparaison qui donnerait prise par ses défauts mêmes aux calomnies
des hérétiques.
Concevons, non plus un rayon jaillissant du soleil, mais dans un même concept un soleil innascible et la naissance
d'un autre soleil brillant avec le premier, identique au premier en toutes choses, beauté, force, éclat, grandeur, splendeur et tout
ce qui appartient au soleil.
Et ensuite de même façon, concevons une autre lumière identique, qui n'est séparée par aucun intervalle de temps de la lumière engendrée,
qui, à la vérité, brille par celle-ci, mais qui tire la cause de sa subsistence de la lumière-prototype ; lumière en outre qui,
elle-même à la ressemblance de la lumière conçue avant elle, brille, éclaire, opère toutes les œuvres de lumière. Car il n'y a de
cette lumière à l'autre aucune différence en tant que lumière (Confer S. Basile, contra Eunom. liv. II. — M. XXIX, col. 629
et 637), puisqu'elle a toute puissance illuminatrice, ne vient pas plus tard, mais existe au sommet de toute perfection,
comme avec le Père et le Fils, nommée après le Père et le Fils, et par elle-même faisant la grâce à tous ceux qui la peuvent participer,
de les conduire à la lumière qui est dans le Père et dans le Fils.
S. Greg. Nyss. Cont. Eunom., lib. I. — M. XLV, col. 414.
Ce passage est remarquable à deux titres :
La dernière phrase, en opposant à la fois le Père et le Fils au Saint-Esprit, enseigne presque en termes formels la procession
ab utroque.
C'est-à-dire la procession de l'Esprit-Saint, du Père et du Fils. Mais si nous regardons le texte de plus près,
qu'avons-nous ?
— Il est question d'une lumière-prototype, la lumière innascible, le Père.
— Il est question d'un « un autre soleil brillant avec le premier, identique au premier en toutes choses » : le Fils.
— Il est question d'une lumière qui « qui tire la cause de sa subsistence de la lumière-prototype » c'est-à-dire l'Esprit qui procède
du Père. Cette lumière brille PAR la lumière engendrée, car l'Esprit-Saint est donné PAR le Fils à ses Disciples et à l'ensemble
des croyants. L'Esprit-Saint donne « la grâce à tous ceux qui la peuvent participer, et les conduit à la lumière qui est dans le
Père et dans le Fils ».
Il n'est pas question de la procession de l'Esprit du Père et du Fils comme d'un même principe : n'imposons
pas à saint Grégoire de Nysse une problématique qui lui est étrangère
Quant au développement lui-même dans son entier, il n'est que l'explication du diagramme en ligne droite.
§ 3. — Diagramme.
Nous retrouvons encore ce même diagramme dans le passage qui clôt ce premier Livre, et de plus nous
y trouvons enseignée implicitement la procession de l'Esprit par le Fils.
Après avoir démontré les liens éternels du Père et du Fils , saint Grégoire continue :
Nous devons dire la même chose du Saint-Esprit en tenant compte uniquement de la différence de rang. Comme le Fils est joint au Père, et tire de lui son être, sans que son existence soit postérieure ; ainsi en est-il à son tour du Saint-Esprit, par rapport au Fils, qui précède l'hypostase de l'Esprit par la seule raison de causalité, sans qu'il y ait place à des intervalles de temps dans cette vie éternelle. Ainsi donc, si l'on excepte la raison de causalité, il n'y a rien qu'on puisse distinguer dans la sainte Trinité.
De même, clans sa lettre à l'hérétique Héraclien, où le dogme de la Trinité est si nettement exposé :
Il n'y a - dit-il - aucune différence de Nature dans la sainte Trinité, mais un ordre de personnes véritablement subsistantes. C'est l'ordre fourni par l'Évangile, suivant lequel la foi, partant du Père, aboutit par l'intermédiaire du Fils au Saint-Esprit. ... Puisque le Fils possède tout ce qui est du Père, et que tout ce qui constitue la bonté du Fils est contemplé dans l'Esprit, on ne peut trouver dans la sainte Trinité aucune différence de sublimité ou de gloire.
Puis saint Grégoire passe en revue la bonté, la perfection, la puissance vivificatrice, et termine par cette phrase empruntée presque textuellement à saint Basile :
Il convient donc de concevoir la puissance, partant du Père, passant par le Fils, et se terminant dans
le Saint-Esprit.
Lettre à Héraclien. — M. XLVI, col. 1092-1093
§ 4. — Procession immédiate et procession médiate.
Mais, sans contredit, le passage où le diagramme grec est le plus clairement exprimé par saint
Grégoire de Nysse se tire de sa fameuse lettre à Ablabius.
Après avoir montré que les noms Dieu et Seigneur se disent au singulier de la Trinité tout entière et de
chaque Personne en particulier, il continue :
Si quelqu'un, prenant prétexte de ce que nous repoussons toute différence de Nature, nous accusait de confondre
les subsistences, nous répondrions, qu'en confessant l'unité de Nature, nous ne nions pas la différence entre être
cause et être causé.
Mais c'est en cela seulement qu'on peut distinguer les Personnes les unes des autres, la foi nous apprenant que d'une part,
il y a ce qui est le principe, et d'autre part ce qui procède du principe.
En outre, dans ce qui procède du principe, nous concevons une nouvelle distinction, savoir, procéder immédiatement du principe,
ou procéder par celui qui procède immédiatement du principe.
De cette sorte le nom de Fils unique demeure sans ambiguïté au Fils, et cependant sans conteste l'Esprit procède du Père,
la mitoyenneté du Fils lui gardant sa propriété de Fils unique, et ne privant pas l'Esprit de sa relation naturelle au Père.
Lettre à Ablabius. — M. XLV, col. 133.
- CHAPITRE IV -
GRÉGOIRE DE NAZIANZE
L'ami de saint Basile, aussi grand théologien, plus brillant orateur, devrait, ce semble, nous fournir de lumineux aperçus à propos de la procession du Saint-Esprit. Il n'en est rien cependant. J'ai dit plus haut que, placé à Constantinople dans une atmosphère de subtilités élégantes et de dialectique sophistique, ce grand évêque avait compris qu'il fallait éviter les disputes philosophiques et maintenir les esprits dans l'humilité et dans la soumission aveugle à la foi traditionnelle. Sans cesse il frappe comme avec une massue sur l'orgueil des hérétiques, en leur montrant leur ignorance au sujet des choses les plus vulgaires, le ridicule et le terre à terre grossier de leurs objections. Il a tout un discours à son peuple sur la simplicité de la Foi et sur la nécessité de fuir les discussions religieuses (Orat. de moderatione in disputando, orat. XXXII). Il expose le dogme en termes courts, précis, sans crainte de répéter les mêmes démonstrations, les mêmes phrases. C'est la foi traditionnelle qu'il prétend enseigner sans rien apporter du sien.
Telle est - dit-il - notre doctrine ; nous vous l'apportons sous forme d'enseignement auctoritatif et non
sous forme de discussion contradictoire ; à la manière des Pêcheurs, et non à celle d'Aristote ; guidés par l'Esprit et non
par la méchanceté ; comme on doit parler à l'Église et non suivant le style de l'Agora ; pour votre utilité et non pour faire
ostentation de science.
Orat. De Pace, orat. XXII, n° 12.
Cette austérité de pensée dans un si grand orateur suffirait seule à l'honneur de saint Grégoire. Mais
ce qui lui fait encore plus de gloire, ce qui lui assure ses droits à son surnom de théologien, c'est la sûreté de coup
d'œil qui lui fit reconnaître dans la bataille contre les hérétiques, quel était le point à emporter pour rester maître du terrain.
La discussion avait successivement éclairci la doctrine révélée au sujet du Fils et du Saint-Esprit. Le moment était venu de
réunir en faisceau tous ces enseignements, et de prêcher d'un seul coup toute la Trinité. Pourquoi suivre l'hérétique dans la
discussion de textes obscurs ? Pourquoi défendre séparément chaque Personne divine ? Puisqu'elles ne sont qu'une seule substance,
il faut les unir pour qu'elles se défendent l'une l'autre. Cette unité dans la réalité substantielle doit régler l'unité
dans la profession de la foi ; proclamer la Trinité, c'est du même coup proclamer toute la vérité et sur le Père et sur le Fils
et le Saint-Esprit.
Telle est, je l'ai déjà dit - mais j'aime à le redire - toute la tactique de saint Grégoire de Nazianze, comme celle de saint Épiphane.
Écoutons le Théologien dans une homélie familière à son peuple :
Représente-toi la Trinité comme une perle, de tous côtés semblable à elle-même, jetant en tous sens les mêmes feux.
Si la perle est altérée en quelque point, tout l'éclat est éteint à la fois. De même, si tu déshonores le Fils pour honorer le Père,
celui-ci ne reçoit pas ton hommage... Si tu déshonores le Saint-Esprit, le Fils ne reçoit pas ton hommage ; car, bien que l'Esprit
ne procède pas du Père comme Fils, cependant il procède du même Père. Ou bien honore le tout, ou bien déshonore l'ensemble
pour être conséquent avec toi-même. Je ne veux pas une piété à moitié.
Homil. in Matth., orat. XXXVII, § 18.
Ces dernières paroles visent les pneumatomaques qui, reconnaissant la divinité du Fils, niaient la divinité du Saint-Esprit. Dans ses fameux discours théologiques, il argumente contre eux ad hominem.
On objecte : s'il faut confesser Dieu et Dieu et Dieu, comment n'y a-t-il pas trois Dieux ? La divinité
est-elle donc une polyarchie ?
— Qui parle ainsi ? Est-ce ceux qui sont parfaitement impies, ou bien ceux qui ne le sont qu'à moitié, je veux dire ceux qui
pensent sainement à l'égard du Fils ? Mon discours s'adresse à tous, mais contre ces derniers, j'ai un argument spécial.
Je leur dis donc : comment nous appelez-vous trithéistes, vous qui honorez le Fils tout en vous séparant de l'Esprit ? Êtes-vous
donc dithéistes ?... Les mêmes raisons que vous donnerez pour vous défendre de dithéisme, nous suffiront contre le reproche de
trithéisme. Vous vous posez en accusateurs, nous vous choisissons pour avocats. N'est-ce pas généreux ?
Id., Theolog. Va., orat. XXXI, § 13.
Cette accusation de trithéisme était, en effet, le sarcasme habituel des Macédoniens, et saint Grégoire invite souvent son peuple à mépriser ce vain reproche, et à se confier à son évêque. Écoutons ses conseils donnés dans un langage tout rempli de la Trinité :
Tu crains qu'on ne te fasse l'injure de t'appeler trithéiste ? garde ce qui est bon, c'est-à-dire, l'unité
en trois Personnes, et renvoie-moi le combat. Laisse-moi construire le navire, et contente-toi d'en profiter. Si un autre
construit le navire, prends-moi pour architecte de la maison, et toi habite là de confiance et sans travail. Vois-tu la bienveillance,
la bénignité de l'Esprit ? À moi la lutte, à toi la palme. Si je reçois des coups, reste en paix, priant pour le combattant.
Donne-moi la main par la foi. J'ai trois pierres dans ma fronde ; j'en frapperai le Philistin (I Sam. 17 ; 40). J'ai trois insufflations sur
le fils de la veuve de Sarephta, je ressusciterai les morts (I Rois 17 ; 21). J'ai trois arrosements sur le bûcher (I Rois 18 ; 34) ;
je consacrerai la victime, j'éveillerai le feu par l'eau, quel miracle ! et grâce à la vertu du mystère, je terrasserai les
prophètes d'ignominie.
In sanct. baptisma, orat. XL, § 43.
Cette prudence contre les subtilités des hérétiques nous explique pourquoi nous ne trouvons pas
dans saint Grégoire des aperçus nouveaux sur le mode de procession du Saint-Esprit. Cependant, malgré cette réserve, notre
docteur laisse voir qu'il admet le même diagramme de la Trinité que ses devanciers.
Nous retrouvons la formule du Thaumaturge :
Le Saint-Esprit toujours a été, est et sera, sans commencement ni fin, toujours uni au Père et au Fils,
toujours compté avec eux. Car il ne convenait pas qu'un seul instant, ou bien le Fils manquât au Père ou bien l'Esprit au Fils.
Et après une longue énumération des attributs du Saint-Esprit (« tous ces attributs, dit-il, comme ceux du Fils doivent être rapportés à la première cause » — Cette incise est dirigée contre ceux qui faisaient du Fils la cause unique du Saint-Esprit), il conclut :
Mais pourquoi tant de paroles ? Absolument tout ce que possède le Père est du Fils, sauf l'innascibilité ;
absolument tout ce que possède le Fils est de l'Esprit, sauf la génération.
Id., In Pentecosten, orat. XLI, § 9.
Nous retrouvons la formule de saint Athanase :
Tout ce qu'a le Père est du Fils, sauf être le principe ; tout ce qu'a le Fils est de l'Esprit, sauf
la filiation et l'incarnation.
Id., In AEgypt. adventum, or. XXXIV, § 10.
Mettez- vous bien devant les yeux cette ligne droite, si vous voulez comprendre ce passage où saint Grégoire joue sur les mots - telos / fin - et - teleios / parfait.
S'il fut un temps que n'était pas le Père, il fut un temps que n'était pas le Fils.
S'il fut un temps que n'était pas le Fils, il fut un temps que n'était pas l'Esprit-Saint.
Mais si un seul était dès l'origine, les trois étaient.
Puisque tu en jettes un en bas, j'ose te dire : ne place plus en haut les deux autres. Quelle est l'utilité d'une divinité
qui n'est pas finie - atelous ? Ou mieux, quelle divinité si elle n'est pas finie - teleia ? Et comment est-elle
finie, s'il manque quelque chose à sa perfection - pros teleiôsin ? Or il lui manque, si elle n'a pas ce qui est saint.
Id., Theolog. V, orat. XXXI, § 4. / S.C. 250. p. 281-283.
Et d'ailleurs le diagramme en ligne droite , qu'est-il sinon la traduction géométrique de cette formule, belle entre toutes les belles formules de saint Grégoire :
La monade part du principe vers la dyade, et passe jusqu'à la triade où elle se repose.
Id., Theolog. III, orat. XXIX, § 2. / S.C. 250. p. 181.
Mais c'est surtout dans ses comparaisons que notre docteur manifeste son concept. Ou en jugera par cette péroraison de ses discours théologiques, et l'on admirera comment la plus austère précision s'allie à la plus brillante imagination.
Et moi aussi, dit-il, j'ai réfléchi beaucoup et avec une ardente curiosité, j'ai dirigé ma pensée
en tous sens pour chercher quelque image d'un si grand mystère ; mais je n'ai pu trouver aucun objet d'ici-bas auquel
on puisse comparer la Nature divine. Car si je rencontre quelque légère similitude, le plus important m'échappe, me
laissant à terre avec mon exemple.
Une source, une fontaine et un fleuve, voilà, peut-être pensais-je et d'autres ont pensé de même, ce qui peut représenter
le Père, le Fils et le Saint-Esprit. En effet, ces trois choses ne sont pas séparées dans le temps, elles forment ensemble
un même continu, bien qu'on puisse les distinguer par leurs trois caractères. Mais j'ai craint d'abord d'admettre dans
la divinité une sorte de flux sans stabilité. J'ai craint ensuite d'introduire par cette image l'unité numérique des Personnes ;
car la source, la fontaine et le fleuve sont numériquement une seule chose avec des formes diverses.
J'ai ensuite conçu le soleil, le rayon et la lumière. Mais ici encore il y a double danger ; danger d'imaginer dans la Nature
absolument simple une certaine composition, comme celle du soleil et de ce qui est dans le soleil ; danger de faire du Père
seul une substance, et des autres les qualités de Dieu subsistant en Dieu et non en elles-mêmes. Car ni le rayon ni la lumière
ne sont d'autres soleils, mais bien certaines effluves du soleil, pures qualités de sa substance. En nous en tenant à cet exemple,
nous mettrions donc en Dieu à la fois la substance et la non-substance, ce qui est le comble de l'absurde.
Theolog. V, orat. XXXI, §§ 31 et 32. / S.C. 250. p. 339-341.
Quelle que soit la réserve du saint docteur, on voit comment ces images répondent au diagramme grec.
La source - ophthalmos / la fontaine - pègè / le fleuve - potamos - se suivent ; le soleil, le rayon,
la lumière se succèdent dans l'ordre de la causalité.
Saint Grégoire propose enfin une autre comparaison d'une tout autre allure. Je la rapporte, soit à cause de son originalité,
soit surtout à cause de l'enseignement que nous pouvons en tirer.
Lorsqu'on admet la théorie de la subsistence absolue et des trois subsistences relatives, le regard du contemplatif peut se
reposer sur la Trinité, la subsistence absolue servant comme de support fixe à la pensée, comme elle sert d'une sorte de
substratum aux subsistences relatives. Mais pour les Grecs qui ne soupçonnaient pas une pareille théorie, et qui visaient
toujours la substance dans la personne subsistante, il se produisait un véritable éblouissement de l'œil cherchant à voir un seul
Dieu en trois hypostases. C'est cet état que saint Grégoire exprime par la comparaison suivante qui rapporte à l'objet la
vacillation du regard.
J'ai entendu - dit-il - quelqu'un proposer l'image suivante : Lorsqu'un rayon de soleil, après s'être réfléchi
sur une eau tremblante vient à tomber sur une muraille, il se produit une lumière qui vacille et palpite d'une façon merveilleuse.
Bondissant en tous sens, elle n'est pas plus une que multiple, pas davantage multiple que parfaitement une ; car ces lueurs s'unissent
et se séparent avec une telle rapidité que le regard ne peut les saisir.
Mais saint Grégoire rejette encore cette comparaison, soit parce qu'elle suppose une impulsion, soit parce qu'elle introduit dans la divinité une sorte de confusion et d'instabilité. Enfin il conclut :
Aucune de ces comparaisons imaginatives ne soutient la pensée, à moins que de chacune, on ne retienne que ce qu'elle
a de bon et qu'on rejette le reste.
Theolog. V, orat. XXXI, §§ 32 et 33. / S.C. 250. p. 339-343.
- CHAPITRE V -
DIDYME
§ 1. — « Livre sur le Saint-Esprit ».
Pour attirer l'attention sur ce traité, il suffirait de rappeler qu'il est l'œuvre du célèbre Didyme,
qui a été choisi par saint Athanase pour occuper la chaire du Didascalion, et qui a fouillé les trésors de cette antique
école pour fournir à son évêque des armes contre les hérésies. Mais ce livre acquiert encore à nos yeux une importance plus grande
encore, et toute spéciale à notre sujet, parce qu'il est comme un rayon de lumière qui a jailli de l'Orient pour illuminer
l'Occident.
L'hérésie des pneumatomaques était née dans la patrie des subtilités, et de là s'était répandue parmi les Latins. Il était donc
naturel que, pour mieux connaître l'erreur et les moyens de la combattre, ces derniers s'adressassent aux Grecs qui, les premiers,
l'avaient démasquée et réfutée. De plus, les auteurs latins n'avaient jusque-là traité que sommairement les questions relatives
au Saint-Esprit, parce que leurs discussions étaient tournées d'un autre côté. Il y avait donc en Occident une certaine
pénurie de doctrine au sujet de la troisième Personne, et l'aiguillon de l'hérésie fit naître une soif ardente de mieux connaître
les gloires du divin Esprit. Le pape saint Damase encouragea saint Jérôme à exercer son talent sur un si grand sujet ; mais le
saint docteur nous apprend que son essai fut assez mal accueilli du public, pour qu'il renonçât à le poursuivre.
Pendant ce temps, un jeune magistrat, qui venait d'être élu évêque de Milan par une intervention visible du Saint-Esprit,
se dérobait, autant qu'il le pouvait, aux fonctions de sa nouvelle dignité, pour se faire à soi-même une éducation théologique
qui lui manquait. Il lisait avec soin les auteurs ecclésiastiques, et surtout les illustres maîtres du Didascalion alexandrin.
Le Livre sur le Saint-Esprit lui tomba sous la main. Il s'en nourrit avidement, et soit pour lui-même, soit pour ses diocésains,
il composa à son tour, un Livre sur le Saint-Esprit, et le remplit tellement de la doctrine et des phrases de Didyme
qu'on put l'accuser de plagiat. Telle fut la première voie, par laquelle l'œuvre de notre Alexandrin pénétra en Occident,
et l'on ne peut douter que sa doctrine n'ait passé d'Ambroise à Augustin.
Si l'on ne veut pas appliquer à saint Ambroise certains traits caustiques de saint Jérôme, on doit admettre qu'une autre
traduction de Didyme fut donnée au public romain. Quoi qu'il en soit, le docteur de Bethléem entreprit une traduction
exacte du Livre sur le Saint-Esprit, et cette traduction eut tant de vogue en Occident, qu'on ne s'inquiéta plus du
texte grec qui a disparu sans laisser de traces. Saint Jérôme, dans sa préface, après avoir raconté l'insuccès de son premier
dessein, les exhortations du pape Damase, et la raison qui l'avait déterminé au travail actuel, et après avoir exercé sa
verve critique contre la traduction antécédente, manifeste en terminant quelle est son estime pour l'œuvre de l'illustre aveugle :
Mon Didyme - écrit-il - a l'œil de l'Épouse du Cantique des Cantiques ; il a ces regards que Jésus commande
d'élever sur les moissons blanchissantes. Il voit plus loin, parce qu'il voit de plus haut. Il nous ramène à l'antique coutume
de donner au prophète le nom de Voyant. Certes, celui qui le lira reconnaîtra les larcins des Latins, et méprisera les ruisseaux,
lorsqu'il aura commencé de puiser aux sources. Il manque d'élégance, mais non de science : car son style manifeste un homme
apostolique, tant par l'éclat de la pensée que par la simplicité du langage.
S. Jérôme, Ad Paulinianum, préface du livre de Didyme.
Ce passage est précédé par le texte suivant, qui reflète le caractère plutôt difficile de saint Jérôme :
Lorsque je demeurais à Babylone [c'est-à-dire Rome], que j'étais nouvel habitant de la prostituée couverte de pourpre, et que je jouissais du
droit de bourgeoisie chez les Romains, j'entrepris de dire quelque chose de la divinité du Saint-Esprit, et j'avais résolu
de dédier l'ouvage à l'évêque de cette ville ; mais à peine avais-je commencé que je vis, comme un autre Jérémie, un grand pot
de terre du côté d'Aquilon, qui me parut être tout en feu ; j'entendis en même temps que le sénat des pharisiens avait prononcé
la sentence de ma condamnation. Et ne croyez pas que ce fût quelque savant dans la loi, quelque homme d'esprit et grand politique,
ce fut la faction de tous les ignorants qui conspira pour me perdre, comme si je leur avais déclaré hautement une guerre littéraire.
Cela m'obligea de retourner aussitôt à Jérusalem, comme pour reprendre mon ancienne habitation qu'on m'avait enlevée.
Ainsi, après avoir été quelque temps le spectateur de la cabane de Romulus et des jeux de Lupercale, j'ai été assez heureux pour
revoir l'hôtellerie de Marie et la caverne où naquit le Sauveur du monde.
Or donc, mon cher frère Paulinien, comme l'évêque Damase,
qui m'avait demandé le premier cette traduction, repose maintenant en Jésus-Christ ; il faut, avec le secours de vos prières
et de celles des vénérables servantes de Jésus-Christ, Paula et Eustochia, que je chante ici le cantique que je n'ai
pu chanter dans une terre étrangère, estimant infiniment plus grande la gloire et la dignité du lieu de la naissance de Jésus-Christ
que celle de la ville impériale de Romulus, souillée par un fratricide.
Mais pour ne pas m'attribuer l'ouvrage d'un autre
auteur et devenir semblable à ceux qui se parent des belles plumes des autres oiseaux, j'ai mieux aimé prendre la qualité
d'interprète que de faire quelque livre de mon chef.
J'ai lu depuis quelque temps les traités d'un anonyme sur la divinité
du Saint-Esprit, et j'y ai remarqué ce qu'a dit une fois un poète comique, je veux dire « une méchante traduction latine d'un
excellent original grec ». Il n'y a rien dans cet ouvrage qui se ressente de l'art de la logique, rien de fort ni d'embarrassant
pour obliger le lecteur, comme malgré lui, à se rendre à ce que l'on dit ; au contraire, tout y est faible et languissant ; et
s'il s'y trouve quelque beauté, elle est affectée, fardée et empruntée.
§ 2. — Objet et méthode de ce Livre.
Avant tout, constatons la parfaite communauté entre Didyme et les docteurs que nous venons de faire
connaître.
C'est le même ennemi à combattre, savoir l'Eunomius qui rabaisse le Saint-Esprit à l'état de créature du Fils.
Quelques-uns - dit notre auteur - poussent le comble de l'impiété, jusqu'à ranger le Saint-Esprit parmi les créatures, prétendant que dans l'oracle : « toutes choses ont été faites de Dieu par le Verbe », est aussi affirmée la création du Saint-Esprit (§ 13).
C'est la même réserve que ses illustres contemporains, en présence de sophistes qui inventent des mots nouveaux pour y cacher de nouvelles erreurs.
Puisque la sainte Écriture ne nous apprend rien de plus sur la Trinité, sinon que Dieu est le Père du Sauveur, et que le Fils a été engendré par le Père, nous devons nous en tenir à ce qui est écrit ;
Il serait utile de se rappeler de cette sentence pleine de sagesse, lorsqu'on vient apporter indûment la notion de « procession de l'Esprit du Père et du Fils - ab utroque »...
...et après avoir montré que le Saint-Esprit est incréé, comprendre ce qui en est la conséquence, à savoir que Celui dont la substance n'est pas créée, est à juste titre associé au Père et au Fils.
Telle est la conclusion par laquelle Didyme termine son livre en le résumant, et l'on croirait
entendre parler saint Basile.
C'est la même méthode. Montrer d'abord que tous les attributs que l'Écriture affirme du Père et du Fils : immensité , éternité,
puissance créatrice ou sanctificatrice, elle les affirme formellement du Saint-Esprit ; et que, réciproquement, tous les titres
affirmés spécialement du Saint-Esprit : Esprit, consolateur, saint, sanctificateur, sont affirmés au même sens du Père et du Fils.
D'où cette conclusion que tout est un dans la Trinité, sauf les relations personnelles.
Mais Didyme se rapproche surtout de saint Épiphane et de saint Grégoire de Nazianze par son insistance à viser la Trinité en bloc,
et à prouver la divinité du Saint-Esprit par l'unité de Nature dans la Trinité, ou, comme s'exprime notre auteur, par la
« non-distinction » dans tout ce qui a rapport à la Nature.
L'Esprit-Saint n'est pas une créature, n'étant connuméré nulle part avec les choses créées, mais étant toujours
placé avec le Père et le Fils ; voyons maintenant quelle sorte de non-différence (indifferentiam) il y a entre lui et eux.
Didyme l'aveugle. Traité du Saint-Esprit. S.C. 386. Cerf 1992. p. 213. § 74 [16].
Le Fils est appelé aussi bien la main que le bras ou la droite du Père. Nous avons souvent enseigné que ces mots révèlent la
non-différence d'une Nature unique (unius Naturae indifferentiam). Or l'Esprit-Saint lui aussi est appel « doigt de Dieu »
à cause de sa conjonction de Nature avec le Père et le Fils.
Didyme l'aveugle. Traité du Saint-Esprit. S.C. 386. Cerf 1992. p. 225-227. § 87 [20].
J'ai fait observer plus haut comment cette façon de viser directement la Nature préparait la théorie latine. Aussi ne devrons-nous pas nous étonner, si nous constatons que Didyme enseigne explicitement la procession ab utroque.
Si nous lisons Didyme, nous constatons qu'il enseigne la conjonction de Nature de l'Esprit avec le Père et le Fils, et non pas la procession de l'Esprit du Père et du Fils. Une fois de plus, nous demanderons de ne pas imposer à un auteur, une problématique qui lui est étrangère.
§ 3. — « La main et le doigt ».
Mais il est intéressant de connaître quel diagramme imaginatif accompagne la pensée de notre Alexandrin.
Or il est aisé de constater que c'est toujours le diagramme en ligne droite, attribuant au Fils une mitoyenneté entre
le Père et le Saint-Esprit.
Didyme emploie un argument scriptural auquel les autres Pères ont souvent recours, et il l'emploie de la même manière :
Un autre exemple de l'Écriture, dit-il, nous montre l'unité, la nature et la vertu de la Trinité. Le Fils est appelé et la main, et la droite, et le bras du Père, et comme nous l'avons souvent enseigné, par ces dénominations est démontrée la « non-distinction » dans l'unité de Nature. Or le Saint-Esprit est nommé le doigt de Dieu, à cause de sa conjonction naturelle avec le Père et le Fils (cité ci-dessus, autre traduction).
Et après avoir cité les deux textes parallèles que l'on connaît : « Si c'est par le doigt de Dieu que Je chasse les démons » (Lc. 11 ; 19-20) et « Si c'est par l'Esprit de Dieu que Je chasse les démons » (Mt. 12 ; 28), il conclut : de ces deux textes il résulte que le Saint-Esprit est le doigt de Dieu.
Si donc le doigt est joint à la main, et la main à celui dont c'est la main, celui qui est le doigt
de Dieu est de même substance, sans aucun doute, que celui dont il est le doigt.
Didyme l'aveugle. Traité du Saint-Esprit. S.C. 386. Cerf 1992. p. 227. § 88 [20].
Puis avertissant de ne prendre ces expressions que dans un sens immatériel, il observe que l'Écriture n'a voulu par leur emploi que montrer l'unité de substance.
Comme la main n'est pas séparée du corps qui par elle opère et parfait ses œuvres, et qu'elle est dans celui dont elle est la main ; ainsi le doigt n'est pas séparé de la main dont il est le doigt (Ibid.).
§ 4. — Liaison entre les processions et la grâce.
Si l'on veut ne voir dans ce qui précède que l'emploi opportun d'un texte, j'offre deux autres
passages où Didyme entre davantage dans le cœur du mystère. Je les recommande d'autant plus au lecteur qu'il y retrouvera
l'importante liaison entre les processions divines et les rôles personnels dans la collation de la grâce.
Voici un premier passage qui fait penser à saint Athanase :
Le Père est le seul sage.
Dieu est appelé le seul sage (Romains 16 ; 27). Il ne reçoit pas la sagesse d'un autre, et son nom de sage ne lui vient pas de la participation à la sagesse de quelqu'un d'autre. En fait, beaucoup sont appelés des sages, non en vertu de leur Nature, mais par une communication de sagesse. Dieu, lui, sans participer à la sagesse d'un autre ni sans être devenu sage par ailleurs, est appelé le seul sage, mais il engendre la sagesse et il rend les autres sages.
Le Christ est sage, parce qu'engendré par le seul sage.
Cette sagesse est notre Seigneur Jésus Christ, car le Christ est « Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu » (I Co. 1 ; 24).
L'Esprit est sage, parce qu'il est appelé Esprit de sagesse.
L'Esprit Saint aussi est appelé Esprit de sagesse, puisque dans les Livres Anciens il est rapporté que Jésus Navé a été rempli par le Seigneur de l'Esprit de sagesse (Deut. 34 ; 9).
Ainsi donc, Didyme, désignant le Père sous le nom de Dieu, rappelle que « Dieu est appelé le seul Sage, engendrant la Sagesse et faisant sages les créatures » ; que « la Sagesse est Notre-Seigneur Jésus-Christ, appelé Vertu de Dieu et Sagesse de Dieu » ; enfin que « l'Esprit est appelé lui-même tantôt Sagesse, tantôt esprit de Sagesse ». Puis il poursuit :
L'Esprit de sagesse est aussi l'Esprit de vérité et l'Esprit de Dieu.
De la même façon, l'Esprit Saint aussi, ne recevant sa sagesse d'aucun autre, a été appelé Esprit de sagesse : par le fait même qu'il subsiste, il est l'Esprit de sagesse, comme aussi par Nature il n'est rien d'autre que l'Esprit de vérité et l'Esprit de Dieu. (...)
L'Esprit de sagesse est par Nature, sagesse et vérité.
Donc, puisque l'Esprit de sagesse et de vérité est inséparablement uni au Fils, il est lui-même substantiellement Sagesse et Vérité. En effet, s'il était un participant à la sagesse et à la vérité, il lui arriverait un jour de tomber à un état où il cesserait de posséder ce qu'il aurait reçu d'un autre, à savoir la sagesse et la vérité.
Le Fils, sagesse et vérité, est uni au Père, unique sagesse et unique vérité.
Quant au Fils, subsistant lui-même comme sagesse et vérité, il ne se sépare pas du Père, qui, lui, est l'unique sage et l'unique vérité, selon que l'attestent les paroles de l'Écriture.
L'Esprit appartient au même cercle d'unité et de Nature que le Fils.
Or nous voyons que l'Esprit Saint, en tant qu'il est Esprit de sagesse et de vérité, appartient à un même cercle d'unité et de substance que le Fils, et d'autre part que le Fils ne se divise pas du Père pour la substance.
Le progrès humain mène à la configuration au Christ et à la ressemblance de Dieu.
Et comme le Fils est l'image du Dieu invisible (Col. 1 ; 15) et la forme de sa substance (Hb. 1 ; 3), tous ceux qui sont configurés et conformés à cette image ou à cette forme parviennent à la ressemblance de Dieu, obtenant toutefois cette sorte de forme et d'image selon la vigueur du progrés humain.
Le progrès humain fait recevoir la forme et l'image de Dieu avec le sceau de l'Esprit.
De manière toute pareille, comme l'Esprit Saint est le sceau de Dieu (I Cor. 12 ; 4 - 7), ceux qui reçoivent
la forme et l'image de Dieu avec le sceau qui vient de l'Esprit, sont amenés par lui au sceau du Christ, tout remplis de sagesse,
de science et, qui plus est, de foi. (...) Le Père par son opération produit en plénitude la multiplicité des dons et,
toute subsistante qu'elle soit, le Fils la multiplie par l'Esprit-Saint.
Didyme l'aveugle. Traité du Saint-Esprit. S.C. 386. Cerf 1992. p. 231-235. § 92-96 [21-22].
Ce qui est remarquable, chez Didyme, c'est que la contemplation de la Trinité est toujours considérée en relation étroite avec la divinisation de l'être humain. De plus, le processus même de cette divinisation est le fruit d'une interrelation extrêmement étroite entre le Fils et l'Esprit-Saint. Le Fils et l'Esprit sont « tissés serré » - si l'on veut bien nous passer cette expression - quand il est question de la divinisation.
§ 5. — Cycle de saint Basile.
Voici le second passage, qui reproduit le beau cycle de saint Basile et de saint Grégoire de Nysse :
L'Esprit glorifie le Fils :
L'Esprit Saint glorifie le Fils en le manifestant et en le révélant à ceux qu'un cœur pur rend dignes de le comprendre, de le voir (Mt. 5 ; 8) et de connaître la splendeur de la substance et l'Image du Dieu invisible (Col. 1 ; 15. Hb. 1 ; 3).
Le Christ glorifie le Père :
À son tour, l'Image elle-même, en se dévoilant à des âmes pures, glorifie le Père, en faisant entendre à ceux qui ne le connaissent pas : « Celui qui me voit, voit aussi le Père » (Jn. 14 ; 9).
Le Père gorifie le Fils en Le révélant à ceux qui possèdent la science divine :
Le Père aussi, en révélant le Fils à ceux qui ont mérité de parvenir au sommet de la science, glorifie son Fils Unique en montrant sa magnificence et sa puissance.
Le Fils glorifie le Père en donnant l'Esprit-Saint à ceux qui recherchent Dieu :
Mais le Fils aussi le glorifie en accordant l'Esprit Saint à ceux qui ont travaillé à se rendre dignes d'en recevoir le don, et en déployant pour eux la sublimité de sa glorification et de sa grandeur.
Ce que le Père possède, le Fils et l'Esprit le possèdent également :
Abordant ensuite l'explication de ce qu'il entendait par « il recevra de ce qui est à moi », il ajouta aussitôt : « Tout ce
que possède mon Père est à moi ; c'est pourquoi j'ai dit : Il recevra de ce qui est à moi et vous l'annoncera » (Jn. 16 ; 5).
C'était dire équivalemment : Bien que l'Esprit de vérité procède du Père (ekporeuesthai - Jn. 15 ; 26) et que Dieu donne
l'Esprit Saint à ceux qui le lui demandent (Lc. 11 ; 13) cependant, puisque tout ce que possède le Père est à moi, même l'Esprit
du Père est à moi et il recevra de ce qui est à moi.
Prends garde néanmoins, en disant cela, de tomber dans le travers d'une intelligence erronée et de penser qu'il s'agit de
la possession d'une chose matérielle qui serait tenue par le Père et le Fils. Mais tout ce que possède le Père comme substance,
c'est-à-dire l'éternité, l'immutabilité, l'incorruptibilité, la bonté immuable qui subsiste de soi et en soi, tout cela
le Fils aussi le possède. Et pour aller plus loin, tout ce que le Fils est en substance et tout ce qui appartient au Fils,
tout cela aussi est possession du Père.
(...) Il faut tirer la conséquence que tout ce que nous avons dit plus haut appartenir au Père, le Fils aussi le possède,
et ce qui appartient au Fils, l'Esprit-Saint aussi le possède.
Didyme l'aveugle. Traité du Saint-Esprit. S.C. 386. Cerf 1992. p. 299-303. § 168-173 [38].
Je pense que le lecteur reconnaît le diagramme grec dans cette dernière phrase.
§ 6. — Ordre sur le trône de Dieu.
Ce même diagramme est encore plus manifeste dans le grand traité de Didyme intitulé :
De la Trinité.
Ainsi il prononce :
Celui qui ne possède pas l'Esprit, ne possède pas non plus le Fils ; et celui qui ne possède pas le Fils,
ne possède pas non plus le Père. Il est donc absolument sans Dieu.
Didyme, De Trinitate, lib. II, cap. XIX. — M. XXXIX, col. 733.
Et ailleurs :
De même que le Père, existant dans sa propre hypostase, est représenté dans le Fils unique comme dans son image,
à cause de l'identité de la divinité, c'est-à-dire, de la substance ; ainsi en est-il de la même manière du Fils unique par
rapport à l'unique Saint-Esprit.
Ibid., c. v. — col. 504.
Mais voici un passage curieux sur lequel il convient de s'arrêter. Didyme soutient que dans le psaume ; Le Seigneur dit à mon Seigneur... (Ps. 110/109 ; 1 - 3), on reconnaît manifestement les trois divines Personnes, unies sous le même nom de Seigneur et distinguées par leur rôle grammatical.
En effet, dans ce psaume tout entier la personne du Père s'adresse au Fils.
Voici le texte du Psaume 110/109 :
Le Seigneur [le Père] a dit à mon Seigneur [le Fils]: siège à ma droite, de tes ennemis Je ferai l'escabeau de tes pieds.
[Le Père continue :] De Sion le Seigneur [« un autre Seigneur » : l'Esprit] étendra ton sceptre de puissance ; domine au coeur de l'ennemi.
À toi la royauté au jour de ta naissance, dans la splendeur, la sainteté ; avant l'aurore Je t'ai fait naître de mon sein.
Le Seigneur [l'Esprit] l'a juré et ne se dédira pas : tu es prêtre selon l'Ordre de Melchisédech.
Le Seigneur [l'Esprit], à ta droite [celle du Fils], brise les rois au jour de sa colère.
Il jugera les nations, achèvera leur ruine, brisera sur terre les chefs d'un grand nombre.
En chemin, Il va boire au torrent, c'est pourquoi Il redresse la tête.
Le Père est à la première personne, le Fils à la seconde personne : Le
Seigneur dit à mon Seigneur, siège à ma droite... avant l'aurore, Je T'ai fait naître de mon sein.
Mais, remarque notre
auteur, le Père, en s'adressant à son Fils, parle à la troisième personne d'un autre Seigneur : De Sion le Seigneur étendra
ton sceptre de puissance... Le Seigneur l'ajuré et ne se dédira pas : Tu es prêtre selon l'Ordre de Melchisédech... Le Seigneur,
à ta droite, brise les rois au jour de sa colère.
Quel est le Seigneur donc - poursuit-il - celui qui envoie au Fils la verge, quel est celui qui jure,
quel est celui qui est assis à la droite du Fils, sinon le Saint-Esprit. De sorte qu'on trouve dans ce psaume, le Fils d'une part,
existant à la droite du Père, et d'autre part, ayant à sa droite l'Esprit de Dieu.
Ibid., cap. 11. — M. XXXIX, col. 652.
Voyez, lecteur, dans quel ordre Didyme range les adorables Personnes sur le trône de la divinité :
Le Fils est au milieu, parce que la vie, la substance, la divinité et la gloire vont du Père Principe au Saint-Esprit Terme et Complément !
Le Saint-Esprit est à l'extrémité touchant celui qui touche au Père, suivant la formule de saint Grégoire de Nysse (Photius,
dans sa première lettre aux Arméniens, reproduit le raisonnement scriptural de Didyme relatif à l'ordre des Personnes sur le
trône divin. Epistol., Ad Zachariam patriarch. Armenior. § 10. — M. CII, col. 710.).
- CHAPITRE VI -
SAINT ÉPIPHANE
Jusqu'ici nous avons rencontré chez tous les Grecs le diagramme de la Trinité en ligne droite (Père / Fils / Esprit-Saint).
Seul, saint Épiphane semble faire exception. Non seulement on ne retrouve pas chez lui ce concept imaginatif, mais il aime à
répéter que le Saint-Esprit est le lien de la Trinité - sundesmos tès Triados. Voilà, certes, une expression bien latine,
et l'on peut voir dans Petau combien les Occidentaux ont souvent appelé le Saint-Esprit : Vinculum Patris et Filii - lien
du Père et du Fils (Petau, De Trinit., lib. VII, c. XII).
Il y a plus. À l'encontre du mesôs - médiat et amesôs - immédiat de saint Grégoire de Nysse, saint Épiphane place
le Saint-Esprit au milieu entre le Père et le Fils - en mesô Patros kai Huiou. Il semble donc qu'on retrouve dans ce
docteur le triangle latin, ou si l'on aime mieux, la projection de ce triangle sur sa base (Père / Esprit-Saint / Fils).
Il convient ici de le rappeler. Saint Épiphane, vivant retiré et plongé dans ses études, laisse voir cette originalité d'un savant
qui pense beaucoup par lui-même, et qui poursuit sans cesse la même idée. Le but unique d'Épiphane est de ramener la Trinité à
l'unité de substance (S. Épiphane, Ancoratus, § 2). Mépris des comparaisons, dédain des explications rationnelles, tel est le
caractère austère d'un enseignement qui prétend s'en tenir au dogme pur, et l'inculquer à force de le répéter.
Citons comme exemple un passage qui nous fera bien connaître cette méthode, et où nous retrouverons les expressions signalées
plus haut.
L'Esprit est Saint-Esprit, le Fils est Fils ; l'Esprit procède du Père, reçoit du Fils ; il scrute les profondeurs
de Dieu, il annonce celles du Fils, il sanctifie dans le monde les saints par la Trinité ; on le nomme le troisième : Père, Fils
et Saint-Esprit. Allez - dit-il - et baptisez au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Il est donc le cachet de la
grâce, le lien de la Trinité, ne fait pas nombre avec elle, ne peut être nommé sans elle, n'est pas étranger à ses dons.
Mais un seul Dieu, une seule foi, un seul Seigneur, une seule grâce, une seule Église, un seul baptême. Car toujours
la Trinité est Trinité, à laquelle on ne peut rien ajouter et que l'on dénombre en disant : Père, Fils et Saint-Esprit.
...Le Père est innascible, incréé, incompréhensible. Le Fils est engendré, mais incréé et incompréhensible. Le Saint-Esprit est éternel,
non engendré, non créé. Il n'est ni frère, ni oncle, ni aïeul, ni neveu, mais de la substance identique du Père et du Fils, Esprit-Saint :
Spiritus enim est Deus - vraiment, l'Esprit est Dieu.
Chacun de ces noms est singulier ; pas d'homonyme. Le Père est Père ; sans autre père avec qui le comparer ou le joindre, puisqu'il
n'y a pas deux dieux. Le Fils unique est vrai Dieu de vrai Dieu, ne portant pas le nom de père, n'ayant pas cependant un
nom étranger au Père, puisqu'il est Fils de celui qui est le seul Père. Il est le seul engendré, de sorte que le nom de Fils
est un nom singulier. Il est Dieu de Dieu, de sorte qu'on nomme le Père et le Fils un seul Dieu. Le Saint-Esprit est unique,
n'ayant ni le nom de Fils, ni le nom de Père, mais son nom d'Esprit-Saint montre qu'il n'est pas étranger au Père.
Les Pères grecs insistent souvent sur cette réflexion que le mot d'Esprit est un nom relatif, parce que l'esprit est toujours l'esprit de quelqu'un. Le Saint-Esprit est l'Esprit du Père, l'Esprit du Fils, l'Esprit de Dieu ; et cette pensée contient la procession ab utroque.
Ce que le Père Th. de Régnon dit à propos des Pères est exact - mais le dernier segment de phrase est malencontreux. Ce n'est pas parce que l'Esprit-Saint est l'Esprit du Père - le nom de Père impliquant le fait qu'Il ait un Fils - que cela permette pour autant de conclure que l'Esprit-Saint procède du Père et du Fils. Ceci une généralisation abusive. Affirmer que l'Esprit-Saint est l'Esprit du Père revient à affirmer l'identique divinité des Personnes trinitaires ; c'est ce qu'affirme clairement saint Épiphane ci-dessous :
Car le Fils unique lui-même l'appelle l'Esprit du Père, et a dit : qui procède du Père et : de Moi Il
reçoit ; de sorte qu'on ne doit pas le juger étranger au Père ou au Fils, mais de leur identique substance, de leur identique
divinité. C'est l'Esprit Divin, l'Esprit de vérité, l'Esprit de Dieu, l'Esprit Paraclet ; et tous ces noms conviennent à lui seul,
sans autre esprit qui lui soit égal ou comparable ; de même que lui n'est pas nommé Père ou Fils. Ainsi pour ces noms singuliers
il n'y a point d'homonyme.
Il n'y a d'exception que pour le nom Dieu, mais Dieu dans le Père, Dieu dans le Fils, Dieu dans le Saint-Esprit.
« De Dieu et Dieu » seules expressions qui s'adressent à plusieurs, car on dit l'Esprit de Dieu, et l'Esprit du Père et
l'Esprit du Fils, non par composition comme en nous l'âme et le corps, mais au milieu du Père et du Fils, sortant du Père
et du Fils, et troisième dans l'ordre des noms : Allez et baptisez au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
S. Épiphane, Ancoratus, § 7.
- CHAPITRE VII -
DOCTEURS POSTÉRIEURS
- ARTICLE I -
Saint Cyrille d'Alexandrie.
§ 1. — Préliminaires historiques.
Nous venons d'assister aux luttes du quatrième siècle contre les hérétiques qui niaient la divinité
du Saint-Esprit. Ces travaux, en achevant d'écraser l'arianisme, complétèrent la dogmatique du premier de nos mystères.
Les formules destinées à exprimer la foi dans la Trinité furent définitivement arrêtées et unanimement acceptées. Quarante ans plus
tard, Satan souleva une seconde tempête au sujet de l'Incarnation. Mais, contre cette nouvelle hérésie, la main de Dieu
suscita un nouveau défenseur de l'Église : contre l'impie Nestorius de Constantinople le grand Cyrille d'Alexandrie. Ce n'est
point le lieu d'étudier comment cet illustre docteur livra bataille en faveur du dogme de la maternité divine. Un seul point
doit nous intéresser ici; c'est son enseignement au sujet de la Trinité. Or, il est facile de constater qu'il se borne à recueillir
le fruit des victoires passées, et à professer la doctrine de ses devanciers avec une nouvelle précision et une admirable éloquence.
§ 2. — Forme de son enseignement.
Mais saint Cyrille n'a plus à observer la prudence imposée à saint Basile. Sans cesse, il répète
cette profession : « Donc le Saint-Esprit est Dieu ». Il le prouve comme ses prédécesseurs, en montrant que le Saint-Esprit
sort du Père et demeure dans le Père - ex Patros kai en Patri.
Cependant la lutte avait changé d'orientation. Ce n'était plus l'heure de démontrer contre Eunomius que le Saint-Esprit n'est
pas une simple créature du Fils. Il s'agissait de prouver contre Nestorius que le Christ n'est pas une simple créature sanctifiée
par la venue du Saint-Esprit. Saint Cyrille préfère donc, dans les arguments de ses prédécesseurs, ceux qui démontrent plus
spécialement les relations éternelles entre le Fils et le Saint-Esprit.
Ici encore, il est plus libre. Il ne s'astreint pas à n'user que de formules scripturales, et il affirme, comme Didyme et saint
Épiphane, que l'Esprit provient du Fils et demeure dans le Fils - ex Huiou kai en Huiô (ex autou kai en autô phusikôs
huparchon. Thesaurus, assert. 34. — M. LXXV, col. 576). Cette expression revient sans cesse sous sa plume.
Cependant, même dans ce cas, saint Cyrille comprend les choses à la manière alexandrins. On se souvient que, pour démontrer
l'éternelle procession de la seconde Personne, saint Athanase s'appuyait sur ce que le Fils est la propre Sagesse et la propre
Puissance du Père. Son successeur apporte contre la nouvelle hérésie le même argument. Le Saint-Esprit est le propre
du Fils - idion tou Huiou - il en est la propre Puissance ; donc il en procède [conclusion inexacte et hâtive : il faut plutôt
dire : » donc le Fils peut Le donner à ceux qui sont capables de Le recevoir »].
Entre plusieurs passages, choisissons-en un comme exemple.
Le Christ - enseigne-t-il dans ses Livres contre Nestorius (S. Cyrille, Contre Nestorius, liv. IV, ch. I. — M. LXXVI, col. 173.)
- possédait le Saint-Esprit, non par participation, mais comme son bien propre dont il pouvait disposer, parce que son Esprit
est de chez lui et par lui.
Et voilà pourquoi il peut le donner sans mesure, comme il l'a dit lui-même à Nicodème; « Notre-Seigneur
Jésus-Christ, projetant l'Esprit de sa propre plénitude, comme le Père lui-même, le donne sans mesure à ceux qui sont dignes
de le recevoir ». (Ibid.)
Voilà aussi pourquoi le Christ usait du Saint-Esprit pour ses œuvres miraculeuses, non comme d'une grâce qui lui fut octroyée,
mais comme de sa propre puissance qui sortait de lui.
L'Évangéliste saint Matthieu écrit quelque part : Et toute cette foule cherchait à le toucher, parce que de lui
sortait une force qui les guérissait tous (ce texte est de saint Luc : 6 ; 19). Donc sa puissance était son Esprit. C'est ce
que confirme le prophète David, lorsqu'il dit : Par la parole du Seigneur les cieux furent affermis, et par le souffle de sa bouche,
toutes leurs puissances (Ps. 32 ; 10). Il appelle ici bouche du Père, le Logos né de lui, dont l'Esprit maintient en existence
toutes les choses qui par lui ont été faites.
Ibid. col. 176.
Il faut se garder de confondre :
- le don de l'Esprit (du Christ vers la création), et c'est ce dont parle saint Cyrille dans ce passage ;
- et la procession de l'Esprit du Père (du Père à l'Esprit, au sein de la Trinité).
Saint Cyrille affirmant si clairement la procession par le Fils, on ne doit pas être surpris de l'entendre affirmer la procession par les deux Personnes à la fois - ex amphoin. Je reviendrai plus tard sur ces textes. En ce moment, je veux me contenter de montrer que saint Cyrille demeure en parfaite communauté d'idée avec ses devanciers au sujet de deux questions importantes, savoir, les relations qui rattachent aux processions divines l'action de Dieu sur les créatures, et l'ordre rectiligne de ces processions elles-mêmes.
§ 3. — Dieu opère tout par le Fils dans l'Esprit.
On rencontre fort souvent dans notre Docteur des phrases telles que celles-ci :
Toutes choses proviennent du Père par le Fils dans l'Esprit.
M. LXXV, col. 380.
Et encore :
L'Esprit n'est donc pas une créature, lui en qui Dieu opère tout par le Fils.
col. 617.
Citons tout un passage qui résume admirablement toute la doctrine grecque sur l'unité de l'opération divine et la distinction des rôles personnels. C'est contre Nestorius qui semblait séparer les opérations des trois Personnes :
Quelle insanité ! - reprend saint Cyrille - tout a été fait par le Père au moyen du Fils dans l'Esprit, rien
n'est jamais fait par Dieu le Père sinon de cette manière. Comment donc peut-on sans démence diviser suivant les hypostases
les opérations de l'une et simple divinité ? Ne faut-il pas plutôt affirmer que chacune des actions a été exécutée par le
Père au moyen du Fils dans l'Esprit ?
En effet, puisque le Fils est le conseil, la sagesse, la puissance du Père, tout absolument a été opéré par le Père au
moyen du Fils, comme au moyen de son conseil, de sa sagesse et de sa puissance.
S. Cyrille, Adv. Nestorium, lib. IV, c. II. — M. LXXVI, col. 180..
Cette distinction des rôles dans une seule et indécomposable opération est d'autant plus importante à signaler,
que saint Cyrille, plus qu'aucun autre, s'appuie sur les missions pour conclure aux processions. En particulier, pour
démontrer que le Saint-Esprit est Dieu, il s'appuie constamment sur la divinité des opérations de la grâce qui
nous mettent en relations formelles avec chacune des Personnes divines. On peut donc déjà conclure que notre docteur se
représentait le mouvement des processions divines dans le même ordre et suivant la même voie que le mouvement de la grâce,
c'est-à-dire, comme un mouvement rectiligne allant DU Père, PAR le Fils, DANS l'Esprit.
On peut le prouver d'une manière plus claire, en faisant constater dans saint Cyrille les comparaisons et les interprétations
scripturales, qui nous ont déjà aidés à reconnaître dans les Pères du quatrième siècle le symbole imaginatif de la Trinité.
Je citerai quelques passages qui montreront en même temps par quelle haute mystique saint Cyrille faisait dériver les missions
des processions elles-mêmes, et pourquoi Petau a trouvé chez lui tant de témoignages en faveur de sa thèse sur l'inhabitation
du Saint-Esprit.
§ 4. — « Le doigt et la main de Dieu ».
Voici d'abord un raisonnement scriptural, bien familier aux Pères, et que je rapporte ici tout entier à cause de son beau développement :
Le Christ, disputant un jour avec les Juifs, leur dit : Si c'est par le doigt de Dieu que j'expulse les démons, c'est qu'alors le Royaume de Dieu est arrivé jusqu'à vous (Lc. 11 ; 20).
Dans Mt. 12 ; 28, il est écrit : « si c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons... »
Il appelle ici doigt de Dieu le Saint-Esprit, qui, en quelque sorte, bourgeonne de la Nature divine et y
demeure suspendu comme le doigt par rapport à la main humaine. Car les saintes Écritures appellent le Fils, bras et main de Dieu,
suivant ces textes : Ce furent ta droite et ton bras qui les a sauvés (Ps. 44 ; 4), et ailleurs : Puissante est
ta main, sublime est ta droite (Ps. 89 ; 14. Donc comme le bras est naturellement coadapté à tout le corps, opérant tout
ce qui plaît à la pensée , et qu'il a l'habitude d'oindre en se servant pour cela du doigt ; ainsi, nous concevons, d'une part,
le Verbe de Dieu, comme surgissant de Dieu et en Dieu et pour ainsi dire bourgeonnant en Dieu, et d'autre part, l'Esprit
procédant naturellement et substantiellement du Père dans le Fils, qui opère par lui toutes les onctions sanctifiantes.
Par conséquent, il est évident que le Saint-Esprit n'est pas étranger à la Nature divine, mais procède d'elle et demeure
en elle naturellement ; puisque le doigt corporel est dans la main et de même Nature qu'elle, et qu'à son tour la main
est dans le corps, non comme une substance étrangère, mais comme se rapportant à lui.
Thesaurus, assert. 34. — M. LXXV, col. 576.
§ 5. — Le Saint-Esprit Image du Fils.
Nous nous rappelons que saint Athanase appelle le portrait du Fils le Saint-Esprit. Saint Cyrille garde la tradition de son illustre prédécesseur. Voici un passage où il emploie la même expression pour donner une magnifique théorie de la justification :
Saint Paul écrit : De même que nous avons revêtu l'image du terrestre, il nous faut aussi revêtir
l'image du céleste (I. Co. 15 ; 49). Il appelle « terrestre » Adam qui est la souche du genre humain, et dont nous
portons l'image par la similitude de sa prévarication, en vertu de laquelle nous sommes tombés dans la mort et la corruption.
Il appelle « céleste » Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont nous portons l'image, à savoir, l'Esprit-Saint et vivificateur habitant
en nous, par qui nous redevenons conformes au Verbe vivant de Dieu, remontant à l'incorruptibilité, et renouvelés dans la
vie éternelle : c'est l'Esprit qui vivifie.
Ainsi, d'une part, parce que le Fils est la très exacte image du Père,
celui qui reçoit le Fils possède le Père ; d'autre part et par une raison analogue, celui qui reçoit l'image du Fils,
c'est-à-dire, l'Esprit, possède par lui complètement le Fils et le Père qui est en lui... Si donc l'Esprit est appelé
l'Image du Fils, il faut l'appeler Dieu et pas autrement.
Thesaurus, assert. 33, — col. 569.
Citons un dernier passage , où notre Docteur expose la même doctrine d'une manière peut-être encore plus belle. Dans son Dialogue VII sur la Trinité, il prouve la divinité du Saint-Esprit par ce fait qu'il nous rend à l'image de Dieu par lui-même, et non par une sorte d'opération ministérielle.
Le Sauveur - dit-il - en introduisant et unissant véritablement le Saint-Esprit lui-même dans les âmes des fidèles,
les réforme par lui et en lui à l'image primitive, c'est-à-dire, leur communique sa propre forme, ou, si l'on veut, leur donne
sa propre ressemblance par la sanctification, et c'est ainsi qu'il nous élève vers l'archétype de l'image par l'empreinte du Père.
Car, d'une part, l'empreinte véritable et aussi parfaite en ressemblance qu'on peut la concevoir, est le Fils lui-même ; d'autre part,
la similitude pure et naturelle du Fils est l'Esprit, de sorte que prenant sa forme par la sanctification, nous sommes configurés à la
forme même de Dieu... Que l'Esprit soit la véritable similitude du Fils, vous l'apprendrez de saint Paul : Car ceux que d'avance
Il a discernés, Il les a aussi prédestinés à reproduire l'Image de son Fils (Romains 8 ; 29).
S. Cyrille, De la Trinité, dialog. VII, col. 1089.
- ARTICLE II -
Saint Maxime.
§ 1. — Exposition du dogme de la Trinité.
Saint Maxime n'a pas eu à défendre le dogme de la Trinité, puisque de son temps, toutes les hérésies
contre ce dogme étaient complètement mortes.
On a bien supposé qu'il était l'auteur de certains Dialogues sur la Trinité, attribués par d'autres à saint Athanase.
Il semble plutôt que cette œuvre soit du cinquième siècle, à en juger par la position de la question disputée, et par la tournure
de pensée des interlocuteurs (voir la discussion en tête de ces dialogues, Op. S. Athanasii. — M. XXVIII, col. 1114.
Aussi faut-il feuilleter ses œuvres, pour y rencontrer quelque long passage sur ce mystère. Cependant il nous a laissé deux expositions
dogmatiques du plus haut intérêt.
La première, tirée de ses chapitres théologiques, est une sorte de récollection de la Trinité dans l'Unité. C'est une affirmation
sans explication, sans théorie, mais précise, dogmatique, répétée et comme martelée à la manière de saint Épiphane. J'ai donné ce
passage dans une Étude précédente.
La seconde se trouve dans son Explication de l'Oraison dominicale, ouvrage de piété plus que de controverse. Je la donne ici,
parce que le lecteur y retrouvera avec plaisir la doctrine de saint Athanase et des autres docteurs du quatrième siècle.
C'est à propos du texte : En Christ, il n'y a plus ni Grec, ni Juif (Romains 10 ; 12).
Par là - dit saint Maxime - est signifiée la manière différente, ou, pour mieux dire, contraire de concevoir
la divinité. Le Grec suppose une absurde polyarchie et divise le principe premier en puissances et en opérations contraires,
inventant un culte polythéiste, des adorations multiples et discordantes et une ridicule bigarrure de rites opposés.
Le Juif admet un seul principe, mais vide, mais imparfait, mais presque sans subsistence, puisqu'il le suppose sans
verbe et sans vie, et de cette façon, il aboutit par une voie contraire presque au même athéisme. Car, en circonscrivant
le premier principe dans une seule personne, il le considère, ou bien comme subsistant sans Verbe et sans Esprit ; ou bien comme
ayant un Verbe et un Esprit par manière de qualités. Il ne voit donc pas ce que serait un Dieu sans Verbe et sans Esprit,
ou ce que serait un Dieu affecté d'accidents et participant à des qualités comme les intelligences créées.
Aussi, ni le Grec ni le Juif ne sont dans le Christ. Mais la seule doctrine véritable, la sainte loi de la théologie révélée,
rejettent la dilatation - diastolèn - de la divinité, et n'en acceptent pas la contraction - sustolèn - de telle
façon que, du même coup, nous évitons la division ou la pluralité des dieux - erreur hellénique - et la singularité de
personne - erreur judaïque - laquelle erreur se trahit soit par la négation du Verbe et de l'Esprit, soit par leur réduction
à de simples qualités, mais en tout cas par le refus d'adorer comme Être suprême l'Intelligence - nous - et le Verbe,
et l'Esprit divin.
Pour nous qui, par la vocation de la grâce, avons été appelés dans la foi à la connaissance de la vérité, le dogme nous apprend
qu'il n'y a qu'une seule Nature et puissance de la divinité ; donc un seul Dieu contemplé dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit ;
c'est-à-dire, une seule Intelligence substantiellement subsistant sans principe , qui est le principe générateur d'un seul Verbe
substantiellement subsistant sans commencement, et qui est la source divine d'une seule vie substantiellement subsistante
et éternelle.
Dans l'unité Trinité, et dans la Trinité unité ;
— non pas l'une DANS l'autre : car la Trinité n'est pas supportée par l'unité comme un accident par la substance, et l'unité
n'est pas dans la Trinité comme une qualité ;
— non pas l'une ET l'autre : car l'unité, simple et unique Nature, ne diffère pas en nature de la Trinité ;
— non pas l'une PLUS que l'autre : car aucune infériorité de vertu ne soumet la Trinité à l'unité ou l'unité à la Trinité ; l'unité,
substance proprement substantielle et puissance subsistante, n'est pas une abstraction générique qui se distribue en
plusieurs individus ;
— non pas l'une PAR l'autre : car aucune relation comparable à la relation entre la cause et le causé ne peut s'interposer dans
l'identique et l'absolu ;
— non pas l'une DE l'autre : car la Trinité, existence éternelle, se révélant elle-même n'est pas une production de l'unité.
— Mais comme étant IDENTIQUEMENT À LA FOIS UNITÉ ET TRINITÉ :
- unité , suivant le concept de Nature,
- Trinité suivant le mode de subsistence ;
- à la fois toute unité, sans que les hypostases partagent,
- et toute Trinité, sans que l'unité confonde.
C'est ainsi, qu'évitant la division du polythéisme et la confusion de l'athéisme, la foi catholique brille dans tout son éclat.
S. Maxime, Exposition de l'Oraison dominicale. — M. XC, col. 892.
§ 2. — De la procession du Saint-Esprit.
Nous venons de voir comment saint Maxime s'applique à recueillir la Trinité dans l'Unité. Rien donc de
surprenant s'il ne s'étend pas sur la théorie des processions divines. Cependant il a laissé, dans plusieurs passages de ses œuvres,
la trace de sa théorie.
Je laisse de côté sa fameuse lettre au prêtre Marin, parce qu'elle sera étudiée en lieu et place avec l'attention qu'elle mérite.
Je me contente ici de deux autres textes.
Le premier est cité et savamment discuté par Bessarion (Bessarion, Oratio dogmatica pro unione. — M. CLXI, col. 570) et par
d'autres Grecs orthodoxes.
Saint Maxime, expliquant le texte : Sur Lui repose l'Esprit du Seigneur (Isaïe 11 ; 2), développe la belle doctrine de
saint Athanase, suivant laquelle le Christ a voulu recevoir pour nous dans son humanité, ce qu'il possédait éternellement comme Dieu.
En effet - ajoute-t-il - le Saint-Esprit, de même que par Nature et substantiellement, il est l'Esprit de Dieu le Père,
ainsi est-il aussi l'Esprit du Fils, puisqu'il procède substantiellement du Père par le Fils engendré, et cela d'une façon
ineffable.
S. Maxime, quaest.ad Thalassium, q. 03. — M. XC, col. 672.
L'autre témoignage se lit dans l'ouvrage : Questions et réponses. Saint Maxime insère cette interrogation :
Pourquoi ne peut-on pas dire le Père de l'Esprit, ou le Christ de l'Esprit, comme à l'égard du Père et du Fils,
on dit également l'Esprit de Dieu et l'Esprit du Christ ?
- Il répond : De même que l'Intelligence - nous - est principe du Verbe, ainsi est-elle principe de l'Esprit, mais par
l'intermédiaire du Verbe. Et comme nous ne pouvons pas dire le verbe de la voix, de même nous ne pouvons pas dire le
Fils de l'Esprit.
S. Maxime, Quaestiones et dubia, interrog. 34. — M. XC, col. 813.
Ces deux témoignages suffisent à établir que saint Maxime est resté fidèle à la formule : L'Esprit DU Père PAR le Fils, et que son diagramme de la Trinité est, comme pour ses devanciers, la ligne droite.
- ARTICLE III -
Saint Damascène.
§ 1. — Il s'attache aux docteurs du quatrième siècle.
J'ai montré plus haut quelle était la valeur singulière de l'enseignement de saint Jean Damascène.
Ce grand et saint philosophe a composé une œuvre que l'on peut comparer à la Somme de saint Thomas, parce qu'elle est le résumé
de la doctrine patristique mise sous une forme et dans un ordre véritablement scolastique. J'ai d'ailleurs signalé le sage
éclectisme que professe l'illustre Grec, choisissant de préférence, pour établir chaque dogme, les témoignages des Pères qui
ont été plus spécialement chargés de le défendre. C'est dire qu'au sujet de la Trinité, saint Damascène s'est attaché surtout
aux docteurs du quatrième siècle.
Dans le premier volume de ces Études, j'ai montré comment il suit l'enseignement de saint Basile au sujet de l'hypostase,
et comment il vise immédiatement l'hypostase pour y trouver la Nature, comme on regarde un contenant pour voir son contenu.
J'ai fait constater ensuite qu'au sujet du Logos, notre scolastique grec reproduit fidèlement la doctrine et la théorie de
saint Athanase. Comme ce docteur, il prouve l'existence du Verbe par cet enthymème : Dieu n'est pas alogos ; donc il a un
Logos (S. Damascène, Foi orthodoxe, liv. I, ch. VI. — M. XCIV, col. 801.). Comme ce docteur, il affirme que Dieu
n'a pas d'autre sagesse ni d'autre puissance que son Fils (Ibid., ch. XII. — col. 848) ; et il en donne la même raison,
à savoir, que Dieu n'a pas de qualités (Ibid., ch. XIII. — col. 856).
Je rappelle cet enseignement sur le Fils, parce qu'il nous facilitera l'étude de l'enseignement sur le Saint-Esprit.
§ 2. — Sa doctrine sur le Saint-Esprit.
Il est aisé de constater que saint Damascène reste fidèle à la méthode de passer par le Fils pour
aller du Père au Saint-Esprit.
Après avoir prouvé l'existence du Fils par la raison que Dieu n'est pas sans parole, il prouve l'existence du Saint-Esprit par
une raison tirée du Fils. «Il faut aussi - dit-il - que la Parole ait un souffle, car notre parole n'est pas dépourvue de souffle».
Puis, après avoir montré la différence entre notre souffle - simple mouvement passager de l'air qui n'est pas nous-mêmes, et le
souffle de Dieu, subsistant comme Dieu et en Dieu, hypostase active, vivante et autonome, il conclut par la formule du Thaumaturge :
Jamais n'a manqué ni au Père la Parole, ni à la Parole le Souffle.
Ibid., ch. VII. — col. 804.
Avec les saints Athanase, Basile et Grégoire de Nazianze, notre docteur passe de l'image du Père à l'image du Fils.
Le Fils est l'image du Père et l'Esprit l'image du Fils,
et c'est par l'Esprit que le Christ habitant dans
un homme donne à celui-ci d'être à son image.
Ibid., ch. XIII. — col. 826./ Trad. S.C. 535, p. 215.
Témoignage important parce qu'il relie le don du Saint-Esprit à sa procession éternelle.
Ce n'est pas ce que nous lisons : le Christ habite en l'être humain. Par l'Esprit-Saint, le Christ donne à cet être humain la possibilité d'être à l'image de Dieu. Ce n'est pas la même chose que de dire que dans la Trinité, l'Esprit procède du Père et du Fils...
Au même endroit il emprunte à saint Basile une formule qui implique la procession « par le Fils », et qui répond au diagramme rectiligne. « Le Saint-Esprit, dit-il, est Dieu, intermédiaire - meson - entre l'inengendré et l'engendré et se trouve lié au Père par le Fils » (Ibid p.215).
D'ailleurs dans un passage où il ne s'agit que des processions éternelles, notre docteur affirme par trois fois la procession DU Père PAR le Fils.
Le Père, dit-il, est le générateur du Verbe et par la médiation du Verbe, producteur de l'Esprit
révélateur (S. C. 535 p. 207, l. 62-63)... L'Esprit-Saint est la puissance du Père, révélatrice du secret de la divinité,
procédant du Père par le Fils de la façon que Lui sait, sans génération (Ibid. p. 207, l. 68-70)... L'Esprit est l'Esprit-Saint du Père,
parce qu'Il procède du Père (puisqu'il n'y a pas d'impulsion dans esprit) et Esprit du Fils, non qu'Il procède DE Lui, mais
PAR Lui Il procède du Père ; car seul le Père est Cause (Ibid. p. 207, l. 79-83)(1).
S. Damascène, Foi orthodoxe, liv. I, ch. 12b. — M. XCIV, col. 848 et 849. Trad. S.C. 535, p. 215.
De ces textes il appert clairement que saint Damascène admettait la procession éternelle par le
Fils, et qu'il concevait la Trinité dans le diagramme rectiligne familier à toute l'antiquité grecque.
Je borne là ces témoignages du dernier des Pères grecs, réservant la discussion des textes qui ont fait difficulté.
- CHAPITRE VIII -
FORMULES ET DISCUSSIONS
- OBJET DE CE CHAPITRE -
La course , que nous venons d'accomplir à travers les monuments de la patristique, a été longue malgré sa rapidité. L'esprit a dû se fatiguer, et il peut se faire qu'il ne lui reste qu'une idée générale, un peu confuse. Il me semble donc utile de nous arrêter devant certains témoignages plus saillants pour les étudier à loisir. En même temps, nous discuterons certaines difficultés présentées par les Grecs schismatiques, soit au sujet de la teneur de quelques textes, soit sur le sens qu'il convient d'attacher à quelques autres. On sait, en effet, que les dissidents se débarrassent de tous les passages patristiques où il est question d'une influence du Fils sur le Saint-Esprit, en entendant cette influence d'une simple mission vers les créatures.
Les « Grecs schismatiques » et les « dissidents », c'est nous, les Chrétiens orthodoxes... Depuis l'époque, nous constatons un notable progrès, en ce qui concerne la compréhension mutuelle entre Chrétiens.
- ARTICLE I -
« Ex Patre per Filium - du Père par le Fils ».
§ 1. — Textes formels.
Je commencerai par les textes qu'on ne peut détourner au sens d'une mission temporelle, parce qu'il n'y est question que des rapports éternels des divines Personnes. Le premier texte est de saint Basile. Dans un développement de haute métaphysique, ce docteur montre que la Trinité de personnes ne nuit en rien à l'Unité divine, parce que chaque Personne est une de toutes manières, tellement une que son unité ne s'ajoute pas aux deux autres unités pour faire nombre. Car « nous ne comptons pas Dieu en disant un, deux, trois ; ou bien, le premier, le second, le troisième ». Après avoir montré que le Fils est un avec le Père, comme l'image avec le prototype, il ajoute :
Un est aussi Saint-Esprit, et Lui aussi s'énonce isolément - monadikôs. Par le Fils, qui est Un,
Il se rattache au Père, qui est Un, et complète par Lui-même la bienheureuse Trinité digne de toute louange.
Il se trouve uni au Père et au Fil saussi intimement que le seul au seul.
Basile de Césarée. Sur le Saint-Esprit. S. C. 17bis § 45. l. 25-27 et 34. p. 409. 152a.
Il est bien évident, que dans ce passage, l'influence du Fils - di'Huiou - PAR le Fils - a uniquement
rapport à la procession éternelle du Saint-Esprit.
Le second texte est de saint Grégoire de Nazianze dans ses poèmes théologiques.
Sois propice, sois-nous propice, Trinité sainte, qui vas vers l'un, partant de l'un... Un seul Dieu, du Père,
par le Fils, au grand Esprit : Divinité siégeant parfaite dans les parfaits.
S. Grég. de Nazianze, Carmin, theol. — M. XXXVII, col. 632.
Voilà encore la procession par le Fils affirmée d'une manière explicite.
§ 2. — Rareté de ces textes.
Je n'apporte que ces deux textes, du quatrième siècle, et le lecteur s'en étonnera peut-être.
J'avoue moi-même que j'ai été surpris de ne pas en rencontrer davantage. Je ne veux pourtant point affirmer qu'on ne puisse
faire plus ample récolte dans les œuvres patristiques du quatrième siècle. Mais en tout cas, peu nombreux sont les
textes où est enseignée aussi explicitement la formule : « L'Esprit est du Père par le Fils ».
Cette rareté, du reste, s'explique par une raison de prudence, sur laquelle j'ai souvent insisté. En présence des chicanes
hérétiques, les Pères s'efforçaient de s'en tenir aux expressions scripturales. Loi de discrétion qui est énoncée dans
le passage suivant de saint Cyrille de Jérusalem :
Ne disons du Saint-Esprit que ce qui se trouve dans les Écritures. Si quelque chose ne s'y trouve pas,
ne le scrutons pas curieusement. C'est le Saint-Esprit qui a parlé lui-même dans les Écritures, Il a dit de soi-même
ce qu'il a voulu, et ce que nous pouvions comprendre. Disons donc ce qu'il a dit. Pour ce qu'il n'a pas dit, ne soyons pas
si audacieux que de le dire.
S. Cyrille de Jérusalem, Catéchèse XVI, § 2.
Il aurait été sage de suivre le conseil de saint Cyrille de Jérusalem, en ce qui concerne la théologie de l'Esprit-Saint, et de se limiter à ce qui est écrit dans l'Évangile de Jean : « l'Esprit de Vérité, qui procède du Père » (Jean 15 ; 26). Toute addition est inopportune.
On comprendra mieux la sagesse et l'opportunité de cette réserve, si l'on se rappelle la tactique
semi-arienne, qui s'enroulait et se déroulait comme un serpent. Tandis qu'ils s'obstinaient à rejeter le mot homoousios,
parce qu'il n'était pas scriptural, ils s'efforçaient d'expliquer toute la foi et tous les textes au moyen du mot homoiousios.
Pour mieux cacher leur jeu, ils s'enveloppaient dans de prolixes professions de foi, qu'ils corrigeaient et complétaient
continuellement, pour se rapprocher toujours de plus en plus du dogme catholique, sans jamais professer la consubstantialité
divine. C'est le reproche que leur fait saint Athanase qui a exposé dans son livre Des Synodes toutes leurs longues
explications et montré toutes leurs palinodies.
On ne peut le nier ; ces hommes étaient savants et versés dans les Écritures. Ajoutez à cela qu'ils étaient fort habiles.
Vous comprendrez alors combien leurs professions de foi sont captieuses. On retrouve dans quelques-unes les plus belles
considérations dogmatiques des docteurs catholiques, développées avec un talent incontestable ; et c'était là de quoi tromper
les simples. L'erreur consiste le plus souvent dans la simple omission du mot « consubstantiel ».
Cela nous explique la différence des jugements portés par saint Hilaire et saint Athanase sur les mêmes professions de foi : le
premier admettant leur orthodoxie, à cause des déclarations qui, bien expliquées, entraînent la comubstantialité ; le second les
rejetant, parce que l'omission du mot défini par le concile suffit à montrer dans quel esprit ces professions ont été composées.
§ 3. — Témoignage de source étrangère.
Rien ne peut montrer l'habileté des semi-ariens mieux que le fait suivant.<
Petau, dans sa savante édition de saint Épiphane, se fiant aux manuscrits et aux éditions précédentes, attribua à son docteur
une longue explication de la Trinité qui semble d'une grande beauté. À la vérité, Petau remarqua bien quelques expressions
ambiguës qu'il crut devoir expliquer par des notes. Mais plus tard, mieux versé dans l'histoire de l'Arianisme, il subodora
une erreur, rien qu'à constater la substitution du mot homoiousios au mot homoousios. Examinant donc de plus près
ce document, il reconnut et il établit d'une manière certaine que cette profession si belle n'était que l'œuvre des semi-ariens,
imputée par erreur de copistes à saint Épipbane, tandis que ce docteur ne la relate que pour fournir un nouvel exemple des
ruses hérétiques (Voir S. Epiphane, édit. de Petau, haeres. 73, note (50). — M. XLI, col. 425) !
Je cite cet exemple, parce qu'il revient à notre sujet. Ce document suspect contient, en effet, un important témoignage
au sujet du Saint-Esprit. Dans un passage très orthodoxe (Ibid., § 16. — col. 433.), qui a pour but de montrer l'accord
des deux mots : prosopon et hupostasis, on explique que cette dernière expression est employée pour affirmer
que chaque Personne est réellement subsistante - huphestôs. Il y est dit que le Saint-Esprit provient du Père et est
donné par le Fils aux fidèles. Mais un peu plus loin, on trouve cette phrase :
Le Saint-Esprit, que la divine Écriture appelle le Paraclet, a pour notion de subsister en procédant du Père par le Fils.
Que l'on n'oublie pas que l'artifice de cette profession consiste à développer toute la foi de l'Église
en omettant le mot homoousios, et les conclusions suivantes paraîtront légitimes :
1° Il était donc admis alors que le Saint-Esprit procédait du Père par le Fils.
2° Il était donc admis aussi que le Saint-Esprit était donné par le Fils en vertu de sa procession.
L'usage d'un texte semi-arien pour appuyer le « filioque » est un argument de bien faible valeur.
J'ajoute qu'on peut trouver encore là une raison des Pères pour ne pas employer une formule qui n'était pas scripturale, et qui devenait suspecte par l'usage des hérétiques.
§ 4. — Cette formule est implicitement enseignée par les Pères.
Les textes abondent dans lesquels les Pères, s'appuyant uniquement sur l'Écriture, enseignent que le divin Esprit « est répandu, est épanché, provient, brille, apparaît » par le Fils. Les schismatiques ne veulent entendre ces expressions que d'une mission temporelle. Mais ils ont été victorieusement réfutés par leurs compatriotes catholiques.
Personne ne conteste que l'Esprit soit donné PAR le Christ à ses Disciples et à ceux qui parcourent les
voies de la vie spirituelle. C'est la position de la Tradition orthodoxe.
Par contre, il est étranger à la Tradition de l'Église d'affirmer que l'Esprit procède du Fils, c'est-à-dire « qu'Il soit
donné par le Fils en vertu de sa procession ».
Une première méthode de réfutation a consisté à montrer que les mêmes docteurs ont employé les mêmes verbes : procheisthai - anabluzein - proïenai - eklampein - pephènenai - soit qu'il s'agit de l'influence du Fils sur l'Esprit, soit qu'il s'agit de la génération éternelle et substantielle du Fils par le Père. On peut lire dans Petau cette démonstration (Petau, De Trinit., lib. VII, c. XVIII, §§ 7 et seq.).
Rappelons-nous que Petau est un scolastique invétéré ! - Si les Pères ont généralement évité d'employer le verbe ekporeuesthai en de telles circonstances, c'est qu'ils avaient quelques raisons de le faire... Il est assez original de prendre comme argument que si les Pères ont employé tous les verbes possibles, c'est qu'en fait, ils auraient voulu employer le seul verbe dont ils ont soigneusement évité l'usage.
Je ne citerai ici que deux passages où saint Grégoire le Théologien prend les mots proelthein et proïenai dans le même sens formel de ekporeuesthai.
Nous croyons - dit-il - un seul Père agennèton - inengendré... un seul Fils gennèton - engendré... un seul Esprit-Saint, proelthon (mis en avant) ek tou Patros, è proïov (placé en tête) - (in laudem Heronis, § 15), et « le nom propre tou de agennètôs proelthontos, è proïontos, to Tneuma to hagion - « le nom particulier ... de Celui qui a procédé ou qui procède sans être engendré, c'est l'Esprit-Saint (Theol. 5, orat. XXX, § 19. / S.C. 250 30, 19. p. 267.
D'ailleurs, on est bien obligé d'admettre que ces expressions devaient incliner l'esprit des fidèles à croire que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils, et cette conséquence n'a pu échapper à la perspicacité des Grégoire et des Basile.
Personnellement, lorsque j'entends saint Grégoire de Nazianze dire en 30, 19 que :
- Celui qui est sans Principe, c'est le Père ;
- Celui qui est engendré sans Principe, c'est le Fils ;
- Celui qui a procédé ou qui procède sans Principe sans être engendré, c'est l'Esprit-Saint,
je comprends que le Père est « sans Principe », que le Fils est engendré du Père qui est « sans Principe », et que l'Esprit-Saint
procède du Père qui est « sans Principe ». Notre esprit n'incline pas à autre chose...
D'où vient que nulle part, ils ne protestent et ne mettent en garde contre une conclusion qui semble résulter de toute leur doctrine ?
Les Pères ne songent pas à protester contre une doctrine qui, de leur temps, n'était pas systématisée.
Mais bien loin de la repousser, ils l'acceptent par là même qu'ils ont l'habitude de rechercher dans les relations extérieures des divines Personnes les caractères de leurs relations intérieures et éternelles. Un passage de saint Basile nous fournit la confirmation de cette considération.
§ 5. — Retour sur un texte de saint Basile.
On sait que le but du Livre sur le Saint-Esprit est de légitimer la doxologie : « Gloire au
Père avec le Fils et avec le Saint-Esprit ». Discutant sur l'emploi des diverses prépositions, saint Basile remarque que la
préposition - dia - est appliquée au Fils, surtout lorsqu'il s'agit des bienfaits accordés aux hommes par le Père céleste,
de sorte, dit-il, que, dans la doxologie, l'expression « AVEC le Fils » - meth'ou - est propre à la glorification, et
l'expression « PAR le Fils » - di'ou - est propre à l'action de grâces » (S. Basile, De Spiritu sancto, § 16). Saint
Basile reste, dans tout son traité, fidèle à cette nuance de langage. Gloire au Père AVEC le Fils, parce que le Fils possède
la même gloire que le Père ; grâces au Père PAR le Fils, parce que les grâces nous viennent du Père par le Fils.
Or, vers la fin de son traité, expliquant comment la Trinité maintient la Monarchie divine, il dit :
Le chemin de la connaissance de Dieu va :
de (apo) l'Esprit, qui est Un,
par (dia) le Fils, qui est Un,
jusqu'au (epi) Père, qui est Un ;
La Voie ascendante - celle de notre prière - s'élève lorsque nous vivons sous l'égide de l'Esprit, passe par le Fils, et trouve son terme en le Père.
- et, en sens inverse, la bonté naturelle, la sainteté de Nature et la dignité royale découlent :
(ek) du Père,
(dia)par le Monogène,
(epi)jusqu'à l'Esprit.
La Voie descendante - celle de la grâce divine - s'écoule du Père - Source éternelle, passe par le Fils, et nous illumine en l'Esprit-Saint.
Ainsi confesse-t-on les hypostases,
sans battre en brèche la pieuse doctrine de la Monarchie.
S. Basile, De Spiritu sancto, § 16. / S.C. 17bis. 47b in fine< p. 413.
Dans les mots : « monarchie, connaissance - theognôsia, sanctification, majesté royale »,
il s'agit évidemment des relations entre les divines Personnes et les créatures. Il faut donc entendre dans le même sens
relatif le mot « bonté » - agathotès. Et voilà pourquoi saint Basile emploie la préposition dia - PAR. Ainsi,
nous remontons en ligne droite, du Saint-Esprit à travers le Fils jusqu'au Père. Et pourquoi ? Parce que la bonté
et la sanctification passent du Père à travers le Fils au Saint-Esprit.
- Remarquez la nuance : apo Pneumatos pour indiquer une
causalité, ek Patros, pour montrer une simple origine.
Lorsque nous contemplons la « Voie ascendante », le « de l'Esprit » n'a pas le sens d'une Cause, mais
désigne la vie de l'Esprit qui est le point de départ de notre vie spirituelle.
Voici une utile explication, de la plume de Saint Justin Popovitch (1894-1979. Canonisé par l'Église serbe en 2010) :
Saint Basile le Grand enseigne clairement que le Saint Esprit procède du Père, mais que c'est le Fils qui le communique et qui
le fait connaître.
Seul le Père est la source et le principe de l'Esprit Saint, en aucun cas le Fils : « Nous [ne confessons pas]
deux dieux, écrit saint Basile, car il [n'existe] pas deux Pères. C'est celui qui introduit deux principes qui confesse
deux Pères (Homélie contre les sabelliens, Arius et les anoméens 3). [...] C'est le Père qui est la racine et la source
du Fils et de l'Esprit Saint (Ibid. 4) ; [...] On doit toujours concevoir le Fils inséparablement de l'Esprit Saint.
Bien qu'uni avec le Fils, l'Esprit Saint tient son être [to einai] — qui découle de sa source, c'est-à-dire du Père —
de Celui dont il procède [ekporeuetai]. Il a comme signe caractéristique [to gnôristikon sèmeion] — approprié
à son Hypostase — d'être connu après le Fils et par Lui [to meta ton Huion kai autô gnôrizesthai] et de tirer son
existence du Père [kai ek tou Patros huphestanai].
Quant au Fils, qui par Lui-même et avec Lui-même [di'heautou kai met'heautou] fait connaître l'Esprit qui procède
du Père [ek tout Patros ekporeuomenon Pheuma], seul en tant que seul Engendré il rayonne de la Lumière inengendrée,
sans rien avoir de commun avec le Père et l'Esprit en ce qui lui sert de caractéristique » (Lettre 38 à son frère Grégoire 3).
Nous ne devons en aucun cas concevoir causalement le rôle intermédiaire du Fils dans les rapports entre le Père et l'Esprit, c'est-à-dire
imaginer que ce soit du Fils et par le Fils que l'Esprit tienne son être qui vient du Père, mais seulement le concevoir en ce sens que
c'est par le Fils que l'Esprit manifeste à la Création l'être déjà achevé qu'il n'a reçu que du Père seul. « Si l'Esprit n'est pas de Dieu,
dit saint Basile, mais du Christ, il n'existe absolument pas » (Lettre 52)utav].
Père Justin Popovitch. Philosophie orthodoxe de la Vérité Dogmatique de l'Église orthodoxe. Tome premier.
éd. L'Age d'Homme 1992. p. 230.
Mais remarquez qu'il s'agit d'une bonté naturelle et physique, d'un principe physique de sanctification. C'est donc bien la Nature même divine qui passe du Père par le Fils dans le Saint-Esprit. Aucun bienfait divin ne nous parvient que suivant la direction rectiligne des processions divines, et chaque Personne garde dans ses rapports avec nous, le rôle qu'elle tient de son mode éternel de subsistence.
Que le bienfait divin vienne du Père, par le Fils et en l'Esprit, nul ne le conteste.
Mais que le mode éternel de subsistence des Personnes divines (c'est-à-dire le caractère inengendré du Père, l'engendrement
du Fils et la procession de l'Esprit) ait exactement le même profil que le chemin de la dispensation de la grâce divine, rien
n'est moins évident... Nous avons approfondi cette question en notre Étude IX - Les trois premières Révélations du Nom
- sous-titre : « JE SUIS la Lumière du monde ».
Nous trouvons toute cette théologie dans un passage de saint Athanase qui semble avoir inspiré saint Basile.
La sainte et bienheureuse Trinité - dit-il - est indivisible et unie à soi-même.
- Quand on nomme le Père, son Verbe se présente avec l'Esprit qui est dans le Fils.
- Quand on nomme le Fils, dans le Fils est le Père et l'Esprit n'est pas hors du Verbe.
Car une seule grâce, qui vient du Père par le Fils dans l'Esprit pour s'y consommer ;
une seule divinité, un seul Dieu qui est au-dessus de tout, et par tout, et en tous.
S. Athan., Ad Serapion., I, § 14.
- ARTICLE II -
« Ex Patre Filioque - du Père et du le Fils ».
§ 1. — Textes discutables.
Dans les conciles assemblés pour la réunion des Grecs, on s'est disputé avec acharnement sur
l'authenticité de deux textes, à qui leurs auteurs donnaient une importance considérable.
Le premier texte est de saint Basile (S. Basile, Contra Eunomium, lib. III). Il s'agit du troisième rang qu'occupe
le Saint-Esprit. Dans les manuscrits dont se servaient les Latins, il est dit que le Saint-Esprit vient après le Fils,
parce que « il tient de lui l'être, qu'il reçoit de lui ce qu'il nous annonce, et qu'il dépend absolument de cette cause ».
Les Grecs prétendaient que cette phrase est une interpolation. Je renvoie pour cette discussion à Petau qui démontre, avec grande
probabilité que cette phrase est authentique, et avec grande clarté que, même sans cette phrase, la pensée de saint Basile
implique le dogme latin (Petau, lib. VII, c. inr §§ 14 et seq.).
Le second texte est de saint Grégoire de Nysse, et je m'y arrête plus longuement, parce que nous aurons plusieurs fois à
en faire usage.
Il est tiré des homélies sur l'Oraison dominicale, et bien qu'on ne le trouve pas dans les éditions actuelles de cet ouvrage,
son authenticité est incontestée par les deux partis, sauf pour une préposition.
Les Grecs catholiques y lisaient la phrase : to hagion Pneuma ... ek tou Huiou einai prosmartureitai, et ils apportaient
en preuve l'aveu officiel d'un schismatique qui avait gratté frauduleusement la préposition ek dans un vieux manuscrit.
Quant aux opposants, ils prétendaient, malgré cela, que cette préposition n'est qu'une interpolation.
Ainsi posée, la question reste douteuse, et ressortit à la science des manuscrits. Car, si l'exemplaire mutilé frauduleusement
est postérieur à Photius, il est fort possible qu'un zèle non suivant la science, ait poussé le copiste à une addition
indiscrète.
Aussi bien, Petau a cherché à éclaircir la question par l'étude du contexte. Or, il avoue loyalement que la suite de l'argument
développé par saint Grégoire n'est pas favorable à la préposition ex (Petau, lib. VII, c. ni, §§ 12 et 13).
Lequien est du même avis que Petau, surtout pour cette autre raison, très forte à mon avis, que saint Grégoire dans ce passage
prétend n'employer que des expressions strictement scripturales (Lequien, Dissertat. Damascenae, diss. I, § 47. — M. XCIV, col. 240).
§ 2. — Cette formule est d'origine alexandrine.
Laissons donc de côté les textes plus ou moins discutables, et contentons-nous des passages dont
l'authenticité n'a jamais été mise en question. Ces témoignages sont nombreux ; mais, chose digne d'attention, ils sont tous
empruntés à des docteurs formés dans le Didascalion : Didyme, saint Épiphane, saint Cyrille d'Alexandrie. Est-ce là
une coïncidence fortuite ? Il est permis d'en douter.
Le doute devient plus sérieux, lorsqu'on se rappelle qu'au sujet du Fils, l'école alexandrine est presque la seule à faire valoir
l'argument suivant : « Dieu n'est pas alogos, donc il a un Logos ». N'y aurait-il pas quelque affinité
entre cet argument et la formule relative au Saint-Esprit ? Pour ma part, je le crois, et je propose l'explication suivante.
§ 3. — Raison théorique de cette formule.
Rappelons-nous le principe sur lequel saint Athanase insiste à propos du Fils. Tout ce qui est au Père et qui se distingue du Père, procède du Père - ex Patros - par une procession qui pousse jusqu'à une nouvelle subsistence; car la simplicité divine s'oppose à ce que Dieu soit surchargé de qualités. La sagesse se distingue du sage ; donc en Dieu la sagesse est une Personne qui procède du sage. La raison se distingue du raisonnable ; donc de Dieu logikou procède un Logos subsistant.
Que le Dieu-Père « logique » engendre un « Logos » qui est subsistant, car Il est une Personne divine -
nul ne le conteste.
Mais l'idée que « la simplicité divine s'oppose à ce que Dieu soit surchargé de qualités » est réellement absurde. Dieu a des milliards
de qualités, et ne cessa pas d'être Un pour autant !
L'autre idée est qu'une caractéristique d'une Personne divine devienne automatiquement une autre Personne. Ainsi, la Sagesse
du Père, en tant que Sagesse, devient automatiquement la Sagesse-Fils, la deuxième Personne de la Sainte Trinité.
Poursuivons
cette logique : l'Esprit-Saint est-Il vivificateur ? A-t-il la qualité de vivificateur ? Il serait difficile de le nier...
Nous assistons donc à la naissance miraculeuse de la quatrième Personne de la Trinité, et qui s'appelle « Vivificateur ». À cette
allure, le nombre de Personnes trinitaires sera infini... Cela est assurément de la plus haute fantaisie.
Cette conception est si belle, qu'on devait l'appliquer au Saint-Esprit. Tout ce qui est dans le Fils et qui se distingue du Fils,
procède du Fils - ex Huiou - par une procession qui pousse jusqu'à une subsistence nouvelle. Or le Saint-Esprit est
l'Esprit du Fils, et il s'en distingue comme le souffle se distingue de l'insufflant. Donc le Saint-Esprit procède du Fils
- ek tou Huiou. D'un autre côté, il est aussi l'esprit du Père. Donc il procède à la fois du Père et du Fils -
par'amphoterôn.
Pour constater que telle était la pensée alexandrine, nous n'en sommes pas réduits à de pures inductions.
Nous trouvons cette pensée clairement exprimée par un professeur du Didascalion.
Didyme enseignait dans les mêmes termes que saint Athanase que le Fils est la sagesse et la puissance du Père. Or, dans un passage
où il prouve la divinité du Saint-Esprit, parce qu'il est appelé l'Esprit de Dieu et l'Esprit du Fils, il ajoute :
On doit comprendre ces mots : « l'Esprit du Christ » dans le sens de Puissance du Christ, de la même manière
qu'il est dit que le Christ est la Puissance de Dieu et la Sagesse de Dieu. Et parce que ces bienheureuses hypostases procèdent
d'un seul Père, non par création, mais par Nature, elles se rapportent à un seul Père.
Didyme, De Trinitate, lib. II, c. II. — M. XXXIX, col. 460.
De ce passage, nous comprenons que les « bienheureuses hypostases » du Fils et de l'Esprit « se rapportent à un seul Père » - ce qui est incontestable.
Et plus loin :
De même qu'il est impossible de séparer de la lumière la splendeur, ou du sage, la sagesse ; de même on ne peut
séparer l'Esprit de celui dont il est l'Esprit, comme il en est du souffle que nous respirons.
Didyme, Lib. de Spiritu Sancto, c. VI. — M. XXXIX, col. 549.
La civilisation grecque était une civilisation du langage. Le langage y avait une extrême importance, et c'est pourquoi - tout naturellement - les Pères Grecs comparèrent la Sainte Trinité avec ce qui se passe dans le langage humain : le sens est élaboré par l'intelligence ; la phrase est articulée par la langue, et elle est prononcée par le souffle qui est produit par les poumons. S'il n'y a pas de sens à communiquer, il n'y a pas de parole possible. Un sens qui n'est pas articulé ne sera pas exprimé ; remuer la langue sans exhaler un souffle ne produira aucune parole. Les trois éléments conjoints sont indispensables pour produire une parole audible et compréhensible. Si le sens existe préalablement, le souffle et l'articulation sont conjointement nécessaires et ne peuvent être séparés. On ne peut séparer le souffle de la parole. Quant à dire que le souffle dépende dans son existence même de l'articulation de la langue, personne ne le pensait à l'époque !
Cette dernière phrase entraîne la procession ab utroque, puisque l'Esprit-Saint est à la fois l'Esprit du Père et l'Esprit du Fils. Ce dogme était donc contenu dans la doctrine alexandrine, et il suit de la théorie qu'a toujours soutenue saint Athanase. Je sais qu'on ne le trouve pas formulé dans ces termes dans les œuvres de l'illustre docteur. Mais on y rencontre la procession du Saint-Esprit par le Fils affirmée dans une phrase où les rôles personnels sont distingués délicatement :
David a dit de Dieu dans ses psaumes : En Toi est la Source de Vie, par ta Lumière nous verrons la
Lumière (Ps. 35 ; 10). Il savait, en effet, que, chez Dieu le Père, réside le Fils, source du Saint-Esprit.
S. Athan., De incarnat, et contr. Arian., § 9. — M. XXVI, col. 401. — Ce texte est cité par Bessarion, de processione
Spiritus sancti. — M. CLXI, col. 401).
Puisqu'il est fait appel à la pensée de saint Athanase, les précisions suivantes seront utiles :
Pour justifier leurs prétentions, les catholiques-romains invoquent saint Athanase le Grand, en citant ces paroles : « L'Esprit procède
du Père, et c'est comme propre au Fils [tou Huiou idion] que celui-ci le donne de Lui-même [par'autou] à ses disciples
et à tous ceux qui croient en Lui » (Lettre à Sérapion I, 2 - PG 26, 533 B). Mais ce passage — comme
tous ceux qui lui ressemblent,
Ibid. 1, 20 ; I, 27 ; I, 11 ; I, 25 ; Contre les Ariens II, 25 ; De la Trinité et du Saint Esprit 19. Dans la Lettre à Sérapion IV, 6 - PG 26, 646 D, St Athanase écrit : « Nous croyons que le Saint Esprit est donné du Père par le Fils [para Patros di'Huiou]
... parle clairement, non pas de la procession du Saint Esprit « et du Fils », mais du don de l'Esprit par le Fils, de l'envoi de
l'Esprit par le Fils dans le monde et de la diffusion de l'Esprit à travers le Fils.
L'opinion citée ne présente en aucun cas le Fils, ni comme Cause, ni comme principe de l'Esprit Saint, car saint Athanase
enseigne clairement que la procession du Saint Esprit par le Père est la propriété personnelle du Saint Esprit, et que le
Père est la seule Source et le seul Principe de la Divinité. « Le Saint Esprit - dit saint Athanase - qui procède du
Père [ekporeuomena ôn tou Patros], est toujours entre les mains du Père qui L'envoie, et du Fils qui Le porte [kai
tou pherontos Huiou], et par qui Il emplit tout » (Exposition de la foi 4 - PG 25, 208 A). [...] Le Père crée tout
par le Verbe dans l'Esprit Saint. [...] Le Père comme Principe et Source [Patèr, ôs archè kai pègè] » (Lettre à Sérapion
I 28 - PG 26, 596 A). (...) On pourra clairement constater que saint Athanase ne considère en aucune façon le Fils comme Cause
du Saint-Esprit, ni comme intermédiaire de sa procession éternelle du Père.
Père Justin Popovitch. Philosophie orthodoxe de la Vérité - Dogmatique de l'Église orthodoxe. Tome premier.
éd. L'Age d'Homme 1992. p. 229.
§ 4. — Témoignages de Didyme.
Voulant rapporter quelques textes, je commence par Didyme, qui enseignait sous la tutelle de saint Athanase.
Rappelons-nous que de son temps, il s'agissait d'établir deux choses contre les Eunomiens, savoir, que le Saint-Esprit n'était
pas une créature, et que son origine formelle était dans le Père.
Pour établir la première vérité, notre professeur s'appuie sur ce que le Saint-Esprit procède du Fils.
A propos du texte : Il ne parlera pas de Lui-même (Jn. 16 ; 13 - désignant l'Esprit), notre Alexandrin écrit :
Citation du § 36 du « Traité du Saint-Esprit » :
Lorsque nous lisons dans les Écritures des textes tels que Le Seigneur dit à mon Seigneur (Ps. 109 ; 2),
ou bien Dieu dit : que la lumière soit ! (Gn. 1 ; 3), ou autres semblables, nous devons entendre ces expressions d'une manière
digne de Dieu.
Lorsque le Père annonce sa volonté, ce n'est pas que le Fils l'ignore, lui qui est la sagesse et la vérité, puisque celui qui
est substantiellement sage et vrai possède tout ce qu'il dit dans sa sagesse et dans sa substance. Donc ces expressions : « le Père
parle, le Fils entend », ou réciproquement : « le Fils parle, le Père entend », signifient l'identité de Nature et de sentiment
dans le Père et le Fils.
De même, il n'est pas possible que le Saint-Esprit qui est l'Esprit de Vérité et l'Esprit de Sagesse
entende, lorsque le Fils parle, des choses qu'il ignore, puisqu'il est lui-même ce qui est proféré par le Fils, c'est-à-dire,
procédant de la vérité, consolateur de consolateur, Dieu de Dieu, Esprit de Vérité par procession - procedens a Veritate,
consolator de consolatore, Deus de Deo, Spiritus veritatis procedens.
Didyme, De Spiritu sancto, § 36. — Ce texte si formel a été inséré par Gratien dans ses Décrétales, lib. III,
de consecrat., dist. 5, cap. 40.
Nous venons d'entendre Didyme répondre à l'hérétique : Non, le Saint-Esprit n'est pas une créature du Fils ; mais il en procède en unité de substance. Nous devons donc nous attendre à ce que notre docteur, pour soutenir la procession par le Père, l'unisse à la procession par le Fils.
Citation du § 34 du « Traité du Saint-Esprit » :
Et en effet, un peu avant le passage que je viens de citer, Didyme paraphrase comme il suit le texte Il ne parlera pas de Lui-même :
Cela veut dire, il ne parlera pas sans moi et sans la décision du Père et de moi, parce qu'il n'est pas de soi,
mais il est du Père et de moi. Car ce qu'il est comme subsistence et comme parole, il l'est par le Père et moi.
Didyme, De Spiritu sancto, § 34.
Est-il possible de trouver un témoignage plus formel de la procession ab utroque ?
Une traduction plus contemporaine (et plus étendue) de la citation précédente du § 34 du « Traité du Saint-Esprit » :
Le « Traité du Saint-Esprit » de Didyme l'aveugle est édité dans la collection Sources Chrétiennes 386
(Cerf 1992). Nous nous permettons de citer ci-dessous la traduction du même passage, extraite de ce volume (nous soulignons le passage cité par le P. Th. de Régnon) :
§ 34 [152] : « Adressant ainsi à Dieu ses prières, un suppliant dit : Fais-moi marcher en ta vérité (Ps. 25 ; 5),
c'est-à-dire en ton Fils unique - ce que Celui-ci confirme de sa propre voix en disant : Je suis la Vérité (Jn. 16 ; 12).
Cette perfection, Dieu l'accorde en envoyant l'Esprit de vérité ; Celui-ci fait accéder les croyant à la vérité tout entière.
[153] En conséquence, dans la suite, s'agissant de l'Esprit de vérité qui est envoyé par le Père et qui est le Paraclet, le
Sauveur, qui, Lui aussi, est la Vérité, dit : Il ne parlera pas de son propre chef (Jn. 16 ; 13), c'est-à-dire pas sans Moi
ni sans le gré du Père et le mien, car Il ne peut être séparé de la volonté du Père ni de la mienne, puisqu'Il ne vient pas de Lui-même,
mais qu'Il vient du Père et de Moi, puisque le fait même qu'Il subsiste et qu'Il parle, Lui vient du Père et de Moi. C'est Moi
qui dit la vérité, c'est-à-dire que J'inspire ce qu'Il dit, étant entendu qu'Il est l'Esprit de Vérité.
Didyme. Traité du Saint-Esprit. S.C. 386. p. 285-287.
Ce texte traite de la mission de l'Esprit-Saint. Celui-ci est inséparable du Père et du Fils. Son envoi se fait par la commune
volonté du Père et du Fils. Les paroles de l'Esprit lui viennent du Père et du Fils. - Je doute qu'il soit possible d'en conclure
que l'Esprit procède du Père et du Fils.
Voici la traduction du § 36, telle qu'elle figure en le volume Sources Chrétiennes 386 :
§ 36 [157]: « Si donc il nous arrive de lire dans l'Écriture : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur » (Ps. 109 ; 2), et ailleurs :
« Dieu dit: que la lumière soit ! » (Gn. 1 ; 3), ou toute autre parole semblable, nous devons les comprendre d'une manière digne
de Dieu.
[158] : En effet, ce n'est pas sans que le Fils le sache, lui qui est la sagesse et la vérité, que le Père fait connaître
sa volonté, puisque tout ce qu'il dit, lui, substantiellement sage et vrai, il le possède en sagesse et en substance. Ainsi,
que le Père parle et que le Fils entende, ou, à l'inverse, que le Fils parle et que le Père entende, cela signifie qu'il y a
dans le Père et dans le Fils même Nature et plein accord ».
Il est assez intéressant d'entendre la phrase : lorsque le Fils parle et que le Père entende - ceci se passa notamment au Jardin des Oliviers,
lorsque le Christ pria son Père d'écarter de Lui la Coupe. Poursuivons notre lecture:
[159] : « L'Esprit Saint de son côté, qui est Esprit de vérité et Esprit de sagesse, ne peut pas, quand le Fils parle,
entendre des choses qu'il ignorerait, puisqu'il est lui-même ce qui est proféré par le Fils ».
À notre grand étonnement, nous constatons que le passage :
« ...c'est-à-dire, procédant de la vérité, consolateur de consolateur, Dieu de Dieu, Esprit de Vérité par procession - procedens a Veritate, consolator de consolatore, Deus de Deo, Spiritus veritatis procedens.
- ce passage ne figure pas dans l'édition !
L'éditeur et traducteur du « Traité du Saint-Esprit » de Didyme,
Louis Doutreleau, s.j. explique longuement cette question :
« Les limites théologiques [que l'on observe] chez Didyme, proviennent assurément d'un langage conceptuel assez pauvre, impropre à
détailler les mystères de la Trinité ; s'y ajoutent, pour nous, les embûches d'une traduction latine, due, certes, à un expert,
saint Jérôme ; mais celui-ci n'était pas en mesure d'empêcher que la finesse du Grec souffrît d'être vêtue du manteau latin et
que ses références occidentales l'amènent parfois à des choix ou à des refus malheureux. (...) On verra aussi que des copistes
sans scrupules n'ont pas toujours respecté son texte ».
Didyme. Traité du Saint-Esprit. S.C. 386. Avant-propos. p. 8.
« Le texte de Didyme ajoute au § 159 : id est procedens Deus de Deo, Spiritus Veritatis procedens a Veritate, Consolator manans
de Consolatore ; c'est-à-dire : Dieu procédant de Dieu, Esprit de Vérité procédant de la Vérité, Consolateur
émanant du Consolateur. Cela est exprimé en un vocabulaire auquel Didyme ou Jérôme ne nous ont pas habitués. De plus,
il ne paraît pas nécessaire, selon la suite du développement, de préciser ici, avec des mots qui peuvent passer pour ésotériques,
le sens d'une formule parfaitement admise de ceux qui ont lu les pages précédentes.
Pourquoi cette insistance évidente sur les mots procédant / émanant ? Pourquoi, encore, faire intervenir le "Consolateur"
(jusqu'alors le Traité a le plus souvent préféré le mot de Paraclet), alors que le cours de la pensée se concentre sur
l'aspect vérité ? Ces anomalies nous rendent donc suspect ce complément de texte.
Est-ce Jérôme qui l'a introduit ? Il ne semble pas, car Jérôme est co-responsable, avec Didyme, du vocabulaire ; c'est lui
qui a écarté le mot "procéder" tout au long du Traité. Citant Jn 15,26, en effet — ce qui a lieu six fois dans le Traité — alors
que les manuscrits latins donnent : procedit pour grec ekporeuetai, le traducteur latin Jérôme donne toutes les
fois le mot egreditur ; ce qui ne doit pas nous étonner ici, puisque c'est un parti-pris chez lui (l'assiduité à employer
en Jn. 15 ; 26, le verbe egredior nous est du moins une indication que Jérôme n'aime pas procedere - C.C. 386, p. 67 dans la
note de bas de page). Comme ce n'est donc pas Jérôme qui a pu ajouter la ligne suspecte, il faut nous tourner vers les manuscrits
pour essayer de découvrir le coupable » (voir à ce sujet l'apparat critique, S.C. 386, p. 114-115).
Didyme. Traité du Saint-Esprit. S.C. 386. Théologie du Traité. p. 86.
« [Nous constatons] l'inexistence de cette phrase [au § 159 : Dieu procédant de Dieu, Esprit de Vérité procédant de la Vérité, Consolateur émanant du Consolateur] dans plus de quarante mss (quatre familles) sur la soixantaine qu'on dénombre. Mais ce fait, indécelable pour les éditeurs antérieurs, ne pouvait pas les troubler ; ils ont aimé l'interpolation pour le tranchant de ses affirmations, ils y ont trouvé les mots où leur esprit pouvait se reposer comme en un territoire connu... des mots honorables, de bonne réputation, mais anachroniques ! »
Didyme. Traité du Saint-Esprit. S.C. 386. Notes complémentaires. p. 400.
Le passage : « ...procédant de la vérité, consolateur de consolateur, Dieu de Dieu, Esprit de Vérité par procession - procedens a Veritate, consolator de consolatore, Deus de Deo, Spiritus veritatis procedens est donc une interpolation, étrangère au texte de Didyme, tel qu'il fut traduit le Latin par saint Jérôme. Ces lignes perdent leur valeur d'argumentation en faveur de la procession ab utroque.
§ 5. — Témoignages de saint Épiphane.
Ces témoignages sont si nombreux et si connus, qu'il est inutile de les rapporter tous. On n'a qu'à ouvrir l'Ancoratus pour constater à chaque page l'affirmation de la procession ab utroque - par'amphoterôn. Je me contenterai donc de quelques citations.
Il faut croire - dit saint Épiphane - du Christ qu'il provient du Père, Dieu provenant de Dieu, et de
l'Esprit qu'il provient du Christ, ou mieux de tous les deux car le Christ a dit : qui prodède du Père, et
ailleurs, c'est de mon bien qu'il prendra.
Ancoratus, § 67.
Un peu plus loin, il se pose l'objection :
Dirons-nous donc qu'il y a deux Fils, et comment alors dit-on le Fils unique ? Vraiment, qui es-tu pour contredire Dieu ?
Puisqu'il appelle Fils celui qui procède de lui et Saint-Esprit celui qui procède des deux, ces objets de la Foi des saints sont lumineux,
illuminants, possèdent la puissance illuminatrice, et dans la lumière de la foi montrent leur concorde avec le Père. Apprends donc, raisonneur,
que le Père est Père d'un vrai Fils, et tout lumière, que le Fils est Fils d'un vrai Père, et lumière de lumière, et cela non pas simplement
par pure dénomination comme les créatures ; et que le Saint-Esprit est Esprit de Vérité, troisième lumière procédant du Père et du Fils.
Ancoratus, § 71.
J'appelle, en outre, l'attention du lecteur sur une expression que nous retrouverons dans saint Cyrille : Le Saint-Esprit est de la même substance que le Père et le Fils (Ibid., § 7). Petau fait voir que ce n'est qu'une extension au Saint-Esprit de la formule définie par le concile de Nicée à propos du Fils, afin de mieux affirmer la consubstantialité. C'est donc la consubstantialité du Saint-Esprit qui est formellement visée ici. À la vérité, Petau remarque que cette formule entraine la procession ab utroque unica spiratione - du Père et du Fils, par une seule spiration (Petau, lib. VII, c. IV, § 5). Cependant, il ne faudrait pas aller plus loin, et conclure qu'on rencontre dans saint Épiphane la théorie augustinienne des processions par les facultés de la Nature. N'oublions pas que les Grecs ne visent la Nature que in obliqua, et comme contenue dans la personne.
§ 6. — Témoignages de saint Cyrille.
Inutile encore ici de multiplier les citations, car personne n'ignore le langage de ce docteur
relativement à la procession du Saint-Esprit. Il affirme souvent que l'Esprit-Saint procède du Fils. Il affirme qu'il procède
du Père et du Fils, et il emploie une forme grammaticale qui exprime bien l'unité de spiratiôn , di'amphoin, ou même
ex amphoin. C'est ainsi que dans un document célèbre, sorte d'exposé catéchétique, il écrit : « Le Saint-Esprit provient
des deux Personnes à la fois » (S. Cyrille, De recta fide, ad reginas altera epistola, § 21. — M. LXXVI, col. 1408).
De plus, saint Cyrille, venu après tous les grands combattants du quatrième siècle, témoigne de l'identité de la doctrine, en
identifiant les deux formules : ex utroque et ex Patre per Filium. Dans un passage, où il prouve l'immutabilité
du Saint-Esprit par sa Nature divine, il établit celle-ci sur son mode de procession :
L'Esprit - dit-il - est l'Esprit de Dieu le Père et en même temps l'Esprit du Fils, sortant substantiellement
de tous les deux à la fois, c'est-à-dire , épanché du Père par le Fils.
S. Cyr., De adoratione,lib. I. — M. LXVIII, col. 148.
J'appelle enfin l'attention sur une expression qui revient sans cesse sous la plume du docteur
alexandrin. Il aime à dire que le Saint-Esprit provient de la substance divine - ex ousias theias. Mais il faut
entendre cette expression à la manière grecque, c'est-à-dire, en considérant la « substance » dans le « subsistant ». J'ai
discuté ce concept dans mon Étude sur Richard de saint Victor. Il ne faut pas considérer la troisième Personne,
comme procédant d'une sorte de fond commun au Père et au Fils. Que le Saint-Esprit sorte de la substance divine,
c'est une conséquence de sa procession par l'une et l'autre Personne divine. Cet ordre logique est bien mis en lumière
dans un passage de haute mystique.
Saint Cyrille enseigne d'abord que le premier homme fut établi à l'image de Dieu par l'insufflation du Saint-Esprit,
et que le Christ ne fît que renouveler la ressemblance primitive en insufflant le Saint-Esprit sur ses apôtres ; puis il conclut :
Puisque, d'une part, le Saint-Esprit, venant en nous, nous rend conformes à Dieu ; et puisque, d'autre part, il provient du Père et du Fils, il est évident qu'il est de la substance divine, provenant substantiellement d'elle et en elle. C'est ainsi que le souffle sort de la bouche humaine, si l'on peut prendre un exemple si petit et si indigne de Dieu ; mais Dieu est au-dessus de tout.
§ 7. — Réflexion sur ces témoignages.
Le témoignage de saint Cyrille, en faveur de la formule ab utroque, est d'une importance exceptionnelle. Si l'on observe que ce grand homme s'est formé dans l'étude de tous les docteurs qui ont défendu le dogme de la Trinité, on est contraint d'admettre sa science ecclésiastique. Mais si, de plus, on remarque qu'il a été suscité pour défendre le dogme de l'Incarnation, et qu'il n'a pu être le porte-drapeau de la Foi d'une façon victorieuse, à moins que son orthodoxie, parfaite jusque dans les moindres détails, ne fût manifeste aux yeux de tous, il faut bien conclure que saint Cyrille représente dans son enseignement sur la Trinité la doctrine la plus pure de ses illustres devanciers, et que, par conséquent, le dogme de la procession ab utroque était sinon sur les lèvres, du moins dans le cœur des Athanase, des Basile et des Grégoires.
Assez curieusement, ce témoignage m'était pas « sur les lèvres » des Pères Grecs... Après toutes
ces considérations prodigieusement filioquistes, une mise au point est maintenant nécessaire.
Voici quelques informations complémentaires, relatives à la Pneumatologie de saint Cyrille d'Alexandrie :
Les partisans du Filioque se réfèrent souvent à l'enseignement de saint Cyrille d'Alexandrie. Dans sa lutte contre Nestorius qui
enseignait que l'Esprit est une force étrangère au Fils, saint Cyrille a mis en relief et a souligné que l'Esprit est propre
au Fils, qu'il Lui est substantiellement uni, qu'il demeure naturellement en Lui et avec Lui et qu'il ne Lui a pas été donné
de l'extérieur, comme cela est arrivé aux Prophètes et aux Apôtres.
Dans les paroles de saint Cyrille : « L'Esprit n'est pas étranger au Fils, mais tient de Lui tout ce qui Lui appartient », les
théologiens catholiques romains voient la preuve du Filioque. Cela ne pourrait être exact que si saint Cyrille n'avait
rien écrit ni dit de plus du Saint Esprit. Mais lorsque l'on étudie l'enseignement de saint Cyrille sur le Saint Esprit
comme une totalité synthétique et organique, il devient évident qu'il s'en tient à l'enseignement apostolique de la foi universelle,
selon laquelle d'une part l'Esprit Saint procède éternellement du Père, et d'autre part est envoyé dans le temps par le Père
et le Fils.
Et lorsqu'il dit de l'Esprit Saint qu'il est « comme unique, du Père, par le Fils, par l'identité de l'essence », saint Cyrille
ajoute : « Seul donc l'Esprit est aussi d'une seule Nature et s'écoule du Père comme d'une source, mais il ne reste pas étranger
au Fils, car lorsque le Fils est engendré, il a en Soi-même tout ce qui est propre au Père, et puisqu'il est le fruit
de l'excellente Divinité, comment pourrait-on l'imaginer privé des biens de la Divinité ? Or le propre de la Divinité
est la sainteté que l'Esprit Saint est capable de montrer (Dialogue De la sainte Trinité VI - PG 75, 1009).
[L'Esprit Saint ...] procède du Père, et par le Fils il se donne à la Création (Contre Julien I - PG 76, 556).
[...] L'Esprit Saint ne descend pas autrement du Père vers nous que par le Fils (Sur Jean XII, 1 - PG 74 712).
[...] Nous croyons aussi au Saint Esprit, déclare encore saint Cyrille, sans le considérer comme étranger à la Nature divine
car il est lui aussi du Père par Nature et il se répand sur la Création par le Fils (De la foi droite - PG 76, 1204 et 1205).
Nous croyons [...] que l'Esprit procède de celui en qui il reçoit toute vie. Le Saint Esprit créateur de vie procède
du Père d'une manière indicible et se donne à la Création par le Fils » (Contre Julien IV - PG 16, 725).
Que dans la considération de l'Esprit Saint il faille garder la foi divinement révélée, et conservée dans la Tradition
des saints Pères, c'est ce que montre aussi saint Cyrille en ces paroles : « Nous croyons aussi au Saint Esprit, [...] qui
procède du Père. [...] Nous avons reçu cet enseignement qu'il procède du Père, mais ne recherchons pas trop comment il
procède et satisfaisons-nous des limites que nous ont fixées des hommes bénis parlant divinement » (De la sainte et
vivifiante Trinité 19 - PG 75, 1175).
Que saint Cyrille ait gardé les enseignements de l'Église universelle sur la procession du Saint Esprit par le Père, nous en avons encore
la preuve dans la contestation qu'il a eue à ce sujet avec le bienheureux Théodoret de Cyr. À l'occasion du neuvième anathème
dans lequel saint Cyrille nommait l'Esprit « particulier au Fils », le bienheureux Théodoret, évêque de Cyr, écrivit en son nom
propre comme au nom des évêques d'Asie Mineure : « Si Cyrille appelle l'Esprit "particulier au Fils" en ce sens qu'il est co-naturel
au Fils et qu'il procède du Père, alors nous nous unissons à lui, et nous reconnaissons cette phrase comme orthodoxe. Mais si
par là il a voulu dire que l'Esprit tienne son existence ou bien du Fils ou bien par le Fils, alors nous rejetons cela comme blasphème
et comme impiété. Car nous croyons au Seigneur qui a dit : L'Esprit de vérité qui procède du Père » (Lettre 39 (PG 77, 173).).
Interpelé par cette déclaration des évêques d'Asie Mineure, saint Cyrille répondit : « Mais oui ! selon les paroles du Seigneur, l'Esprit
Saint procède de Dieu le Père, mais il n'est pas étranger au Fils, car le Fils a tout ce qu'a le Père » (In : Labbe, Concil.
VI, 123).
Père Justin Popovitch. Philosophie orthodoxe de la Vérité - Dogmatique de l'Église orthodoxe. Tome premier.
éd. L'Age d'Homme 1992. p. 232-233.
Quant aux témoignages de Didyme et de saint Épiphane, bien que d'un moindre poids en eux-mêmes,
ils présentent un intérêt tout aussi considérable. Les Orientaux, loin de blâmer la formule latine ab utroque, devraient
s'en montrer fiers, et la revendiquer comme ayant une origine grecque. Saint Ambroise a pris sa doctrine dans Didyme ; saint
Jérôme a traduit comme un chef-d'œuvre le Livre du Saint-Esprit ; saint Augustin a connu et étudié Didyme et saint Épiphane.
Si donc Photius n'avait pas cédé à des motifs d'intrigue, loin d'insulter Ambroise, Jérôme et Augustin, il aurait salué en
eux les disciples de l'antique Didascalion.
J'ajoute, en terminant, une remarque intéressante. Par cette source grecque de la formule ab utroque, on constate
que cette formule est véritablement dogmatique, et absolument indépendante de la théorie augustinienne des processions
par voie d'intelligence et d'amour.
- ARTICLE III -
Du mot « Procession ».
§ 1. — Artificieux défi de Photius.
Lorsqu'on a recueilli ces graves témoignages de la tradition orientale, on demeure stupéfait la première fois que l'on entend Photius poser cette interrogation solennelle : « Lequel de nos saints et glorieux Pères a jamais dit que le Saint-Esprit procède du Fils? » (Photius, Mystagogie, § 5. — M. CII, Pars II, col. 284). Et plus loin, répondant lui-même :
Dans aucun des livres saints, dans aucun des ouvrages humains, mais remplis de l'Esprit de Dieu,
il n'a été dit en termes exprès que le Saint-Esprit procède du Fils.
Photius, Mystagogie, § 91.
Vous croyez peut-être que l'hérésiarque s'est aventuré imprudemment et qu'il s'expose à un démenti honteux. Non pas, et c'est ici qu'apparaît toute l'habileté de cet homme rusé.
Nous sommes plutôt stupéfaits d'entendre qualifier d'« hérésiarque » celui qui était décrit ainsi par ses contemporains :
Photius excellait par le don de la parole, par ses connaissances, ainsi que par la droiture de son esprit.
Il était apte à organiser et administrer les affaires. C'est pourquoi il obtint la primauté du Sacerdoce.
Diacre Jean, biographe de Joseph l'Hymnographe.
C'était le bienheureux Photius, qui, comme son nom l'indique, illumina le monde entier de la plénitude de sa sagesse,
lui qui, dès son enfance, avait été voué au Christ, qui pour la vénération des icônes avait subi la confiscation et l'exil et
dès le début s'était, par ses combats et ses exercices, associé à son père. Aussi sa vie fut-elle merveilleuse, sa mort
agréable à Dieu et confirmée par des miracles.
Basile, Archevêque de Thessalonique et biographe de saint Euthyme.
Photius a été vénéré peu de temps après sa mort. Le nom du Patriarche figure dans le Synaxaire du Monastère de la Sainte Croix de Jérusalem - datant des Xe-XIe siècles. Dans l'Église Orthodoxe, le Patriarche Photius est mis au nombre des Saints.
Voir à ce sujet : Le Schisme de Photius - Histoire et légende. François Dvornik. Cerf 1950. p. 522-527.
En même temps que par son assurance il en impose aux ignorants (sic!), il se ménage une défense contre les savants, grâce aux deux mots : kata lexin - littéralement, ekporeuesthai - procède. — En effet, vous pouvez constater que parmi les Grecs qui ont affirmé que le Saint-Esprit procède du Fils, ou ex amphoin - des deux, aucun n'emploie expressément le verbe ekporeuesthai - procède.
L'auteur est bien obligé de constater que l'affirmation de Photius est exacte.
Bien plus, si votre curiosité, piquée au jeu, se reporte sur les docteurs qui ont affirmé que le Saint-Esprit procède du Père par le
Fils - ek Patros di'Huiou - vous ne rencontrerez, je le crois, le mot - ekporeuesthai - que sous la plume du scolastique de Damas.
Il est vrai, nous avons vu qu'il le repète par trois fois dans le même passage.
Cette omission d'un mot si important est un fait qui mérite d'attirer l'attention, et sans entrer en discussion avec Photius,
nous pouvons profiter de sa remarque, pour compléter notre connaissance de la patristique.
§ 2. — Du mot latin « procedere ».
Dans la version latine de l'Évangile, nous trouvons le moi procedere appliqué soit au Fils,
soit au Saint-Esprit : Ego enim ex Deo processi et veni - c'est de Dieu que Je suis issu et que Je viens (Jn. 8 ; 42),
et : Spiritum veritatis qui a Patre procedit - l'Esprit de vérité, qui procède du Père (Jn. 15 ; 26).
Cette double application a conduit les Latins à considérer le mot procession, comme un terme général qui répond
également bien aux deux sorties - ek Patros - parce qu'il signifie toute sortie, tout mouvement d'un point de départ.
Suivant cette manière de voir, le mot procession, qui exprime comment le Saint-Esprit sort du Père, peut s'appliquer
aussi à la manière dont il dérive du Fils. De là les expressions : le Saint-Esprit procède du Fils, il procède du Père et
du Fils, il procède de tous les deux.
Cette façon d'entendre le mot procedere est bien exposée par saint Thomas dans le passage suivant :
Les Grecs eux-mêmes - dit-il - reconnaissent que la procession du Saint-Esprit comprend quelque relation au Fils.
Car ils accordent que le Saint-Esprit est l'Esprit du Fils, et qu'il est du Père par le Fils, et esse a Patre per Filium.
On dit même que certains d'entre eux accordent qu'il est du Fils ou qu'il en découle, quod sit a Filio, vel profluat ab eo ;
et cependant ils ne veulent point admettre qu'il en procède. Mais ceci ne semble pouvoir être attribué qu'à ignorance ou
impudence. En effet, à bien considérer le mot procession, on reconnaît qu'il est le plus commun des mots qui se rapportent
à une origine quelconque. Nous en faisons usage pour désigner une origine quelconque, par exemple, que la ligne procède du point,
le rayon du soleil, le ruisseau de la source, et autres cas semblables. Par conséquent, de tout autre terme signifiant que
le Saint-Esprit tire son origine du Fils, on peut conclure qu'il en procède.
Pars 1a, q. 36, art. 2.
C'est ainsi que, s'appuyant sur la généralité du mot procéder, le prince de la scolastique pousse les Grecs réfractaires, et dans la vivacité de son langage il est permis de voir quelque trace des rancunes latines, ravivées pendant les croisades par des offenses, dont les Basile et les Cyrille étaient, à coup sûr, bien innocents. On peut donc répondre quelque chose, en faveur de ces illustres docteurs.
§ 3. — Du mot grec « ekporeuesthai ».
La communauté d'expression, que nous avons rencontrée dans la Vulgate, ne se retrouve pas dans le texte
grec de l'Évangile.
- Notre-Seigneur a dit de lui-même : egô gar ek tou theou exèlthon kai èkô - - c'est de Dieu que Je suis issu et que Je viens.
- Il a dit du Saint-Esprit : ho para tou Patros ekporeuetai - celui qui procède du Père.
Les deux sorties sont révélées
par deux expressions différentes.
Les Grecs professèrent un respect délicat pour cette distinction exprimée par la bouche divine.
Ils ne se crurent pas en droit de séparer le mot ekporeuetai - procéder du mot para tou Patros - du Père, comme si
le Sauveur les eût joints pour désigner spécialement le rôle personnel du Père dans la subsistence du Saint-Esprit.
Saint Damascène est l'écho de cette tradition qui affirme sans cesse le sens mystérieux du mot « procéder » et qui interdit
à cet égard toute recherche curieuse.
Le Saint-Esprit - dit-il - tire son origine du Père - ek tou Patros - non par génération, mais par
procession - ou gennètôs, all'ekporeutôs. Qu'il y ait une différence entre la génération et la procession, nous le savons ;
en quoi consiste cette différence, nous ne le savons pas.
S. Damascène, Foi orthodoxe, liv. I, ch. VIII. — M. XCIV, col. 824.
Le scolastique de Damas, usant de la franchise qui convient à la discussion entre deux saints docteurs,
aurait donc pu répondre au scolastique de Paris :
« Étant donnée votre définition du mot latin procedere, vous avez raison
de dire que le Saint-Esprit procède du Fils, et nous le croyons comme vous. Mais, étant donné le sens canonique du mot
grec ekporeuesthai, nous devons le réserver pour signifier le rôle personnel du Père dans la procession du Saint-Esprit.
Car, pour nous, ce mot unique répond aux deux mots de votre grand Augustin : procedere principaliter. En résumé : nous
croyons comme vous , parce que nous avons la même foi ; nous ne parlons pas comme vous, parce que nous n'avons pas la même langue ».
Telle eût été la réponse de saint Damascène, et, chose remarquable, c'est précisément la solution qu'a donnée le pape Clément VIII
à la dispute sur les professions de foi.
§ 4. — Respect des Pères pour ce mot.
J'ai bien souvent insisté sur la prudence avec laquelle les Pères évitaient d'introduire dans les formules dogmatiques un mot « non-scriptural » qui pût prêter à la chicane. Il en est de l'Église comme de son divin Époux, dont il est écrit :
Il ne rompt pas le roseau broyé et il n'éteint pas la flamme vacillante.
Isaïe 42 ; 3.
Cette sage discrétion suffit pour expliquer l'omission du mot ekporeuesthai dans les explications
patristiques qui enseignent les relations entre le Fils et le Saint-Esprit.
Mais il semble que les docteurs aient attaché un sens mystérieux à ce mot révélé, comme s'il ne pouvait signifier qu'une
relation au Principe primordial, c'est-à-dire, au Père. Voici, du moins, une observation qui insinue cette conclusion.
La formule ek Patros di'Huiou en Pneumati, nous montre le mouvement vital partant du Père et passant par le Fils pour parvenir
au Saint-Esprit.
Or il semble que cette théorie soit exactement contenue dans le verset d'un Psaume : par le Verbe de Dieu
les cieux sont affermis, et par le souffle de sa bouche toute sa puissance - Verbo Domini cœli firmati sunt, et spiritu oris ejus
omnis virtus eorum.
On s'attend tout naturellement à ce que les Pères signalent toute la Trinité développée dans cette
expression : « le souffle de la bouche de Dieu ». Et cependant, on ne rencontre cette pensée dans aucun des grands docteurs grecs.
Est-ce de leur part manque de perspicacité ?
N'est-ce pas plutôt respect pour une expression, par laquelle le Sauveur a
relié le Saint-Esprit au Père ? Quoi qu'il en soit, les docteurs, qui font un grand usage du verset scriptural, ne s'en
servent que pour démontrer la consubstantialité du Saint-Esprit et du Père.
Ce respect pour le mot révélé explique deux choses :
- Nous comprenons, d'abord, pourquoi tous les conciles généraux en Orient,
jusqu'au second concile de Nicée inclusivement, se sont contentés dans leur symbole de la formule : « Je crois dans le Saint-Esprit
qui procède du Père », sans ajouter « par le Fils », bien que cette addition se trouve souvent dans les explications conciliaires.
- Nous comprenons aussi pourquoi les docteurs, lorsqu'ils veulent exprimer la dépendance originaire du Saint-Esprit par rapport au Fils,
évitent d'employer le verbe ekporeuesthai, et ont recours aux verbes proïenai, procheisthai et autres semblables.