Orthodoxie en Abitibi

P. Théodore de Régnon : Études de Théologie Positive XXV

P. Théodore de Régnon - Études de Théologie positive - XXV -

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Généralités
« Eaux vives »
« Chrême »
La « Royauté »
Parfum, Vapeur, Qualité divine

- Étude XXV -
Les appellations du Saint-Esprit.

- CHAPITRE I -
GÉNÉRALITÉS


§ 1. — Des appropriations suivant la scolastique.

'ai eu plusieurs fois l'occasion de signaler une nuance entre la doctrine scolastique et la pensée patristique, relativement aux noms des Personnes divines. La scolastique, visant à perfectionner l'enseignement didactique par un classement précis des concepts et des noms, s'est préoccupée de distinguer nettement les noms propres de chaque Personne, en les séparant des autres dénominations. Saint Thomas a traité cette question avec sa netteté ordinaire. Il expose que les noms propres de la seconde Personne sont « Verbe, Fils, Image », et que les noms propres de la troisième Personne sont « Saint-Esprit, Amour, Don ».

Par cette classification, toutes les autres dénominations cessent d'être caractéristiques. Cependant on peut encore les appliquer par « appropriation » à telle ou telle Personne préférablement aux deux autres, en tant qu'elles rappellent cette Personne par quelque propriété déjà connue. C'est ainsi que saint Paul approprie au Fils le nom « Sagesse », commun à toute la divinité, parce que ce mot rappelle une procession par l'intelligence (S. Thomas, I, q. 39, aa. 7 et 8.). Les appropriations peuvent donc manifester davantage le caractère d'une Personne divine, mais elles ne peuvent servir à l'établir.


§ 2. — Des appellations suivant les Grecs.

Tout autre était la situation dans laquelle se trouvaient les Pères de l'Église. Si l'on considère la théologie comme une science qui expose, défend, coordonne les vérités révélées, les anciens docteurs étaient en présence, non d'une science déjà faite, mais d'une science à faire. Or leur situation, vis-à-vis des fidèles à instruire et des hérétiques à instruire, les invitait à chercher dans les sources scripturales les données de la nouvelle science. Ils recueillaient donc avec soin les « appellations » que l'Écriture sainte applique à telle ou telle Personne ; ils prenaient à la lettre chacune de ces appellations, comme un terme qui explique ou symbolise quelque caractère de la Personne elle-même, et ils faisaient concourir cette notion à la détermination de la Personne.

Les « appellations » scripturales précèdent donc, dans l'esprit des docteurs, tout travail de la raison. On les accepte d'abord comme contenant une vérité relative aux Personnes divines ; on les analyse ensuite pour mettre en évidence cette vérité.


§ 3. — Doctrine de saint Grégoire de Nazianze.

Le grand théologien de Nazianze nous fournit un exemple de ce procédé dans ses fameux discours théologiques. Il y discute la question des noms divins, pour en montrer le légitime usage , et combattre l'abus sacrilège qu'en faisaient les Ariens et les Eunomiens.

Posons d'abord en principe - dit-il - que le Divin ne peut être nommé adéquatement - to Theion akatonomaston.

S. Grég. de Nazianze, orat. XXX, § 17.

— Saint Grégoire de Nysse parle de même. Il se demande pourquoi dans la formule du baptême, il est dit : « au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », sans que ce Nom soit davantage exprimé. C'est, dit-il, pour nous apprendre que ce Nom est ineffable. Mais il nous est permis de donner à la substance qui est au-dessus de tout Nom, certaines dénominations tirées des créatures, comme Bon, Incorruptible, etc. Quant aux appellations de Père, Fils, Saint-Esprit, ce sont - ajoute-t-il - des mots qui expriment les relations et non la Nature (S. Grég. de Nysse, Contr. Eunom., lib. II. — M. XLV, col. 473.

Cette réserve apportée [le fait que le Divin ne puisse être nommé adéquatement], saint Grégoire explique un certain nombre de noms - onomata - ou dénominations - prosègoriai - qui sont communes aux trois Personnes, parce qu'elles signifient soit les attributs infinis, soit la puissance et la providence. Ensuite il reconnaît pour chaque Personne un seul nom propre - onoma.

— Le nom propre de l'innascible est Père.
— Le nom propre de l'éternellement engendré est Fils.
— Le nom de celui qui procède ou provient sans génération est l'Esprit-Saint.

Enfin , notre docteur, revenant à la seconde Personne sur laquelle roule son discours, énumère et explique ses nombreuses « appellations » - klèseis, tirées de l'Écriture :
— Fils, Logos, Sagesse, Puissance, Vérité, Image, Lumière , Vie, Justice, Sanctification, Rédemption, Résurrection,
— et dans chacune de ces appellations, il montre ce qu'elle fait connaître au sujet de la seconde Personne de la Trinité (Ibid., §§ 18, 19, 20).


§ 4. — Des appellations du Saint-Esprit.

C'est bien ainsi qu'il faut comprendre l'enseignement des Grecs. En particulier pour la troisième Personne, les anciens docteurs ne reconnaissent qu'un nom propre, onoma. C'est le nom de « Saint-Esprit » exprimé dans le baptême, et proposé encore par l'Église aux simples fidèles pour formuler leur foi en la Trinité.

Mais cette divine Personne est désignée par l'Écriture sous des termes différents, et nous avons à étudier présentement certaines « appellations » - klèseis - où les docteurs ont reconnu le Saint-Esprit. Mais, comme ils étaient convaincus qu'aucun nom n'atteignait « l'Ineffable », sinon par des analogies, ils ont parlé de ces appellations avec une certaine latitude, surtout lorsqu'elles étaient tirées d'objets matériels.

Les plus anciens les ont considérées comme des dénominations formelles. Les docteurs, que l'hérésie a rendus plus réservés, n'y ont vu que des comparaisons. Ce n'est là qu'une nuance qui ne modifie point l'usage qu'on tire des appellations ; nous le constaterons, en rapprochant l'enseignement des deux grands docteurs d'Alexandrie, saint Athanase et saint Cyrille.


- CHAPITRE II -
« EAUX VIVES »

§ 1. — Comparaison de l'eau à la substance divine.

Une des plus anciennes comparaisons de la Trinité nous a été conservée par saint Grégoire de Nazianze sous les termes suivants :

J'ai pensé, comme plusieurs, à une source, une fontaine et un fleuve, comparant la source au Père, la fontaine au Fils, le fleuve au Saint-Esprit. Car ces choses ne sont pas séparées par le temps ou par une discontinuité quelconque, bien qu'elles semblent se distinguer en trois individualités. Mais j'ai craint d'abord d'introduire dans la divinité un courant indigne de sa stabilité, ensuite de faire supposer l'unité numérique de personnes, puisque la source, la fontaine et le fleuve sont numériquement une seule et même chose sous des formes différentes.

S. Grég. de Naz., Theolog. Vème, or. XXXI, § 31.

Saint Damascène a recueilli cette même image :

Considérez - dit-il - le Père comme la fontaine de vie, le Fils comme le fleuve qui en naît, et le Saint-Esprit comme la mer ; car la fontaine, le fleuve et la mer sont une seule et même Nature.

S. Damascène, Livre des hérésies, épilogue. — M. XCIV,col. 780.

Ces deux formules ne diffèrent que par une nuance intéressante à constater. Saint Damascène, en distinguant — la fontaine, — le fleuve, — la mer, considère surtout le repos terminal du mouvement divin dans le Saint-Esprit, qui est telos. Saint Grégoire, en distinguant — la source, ophthalmos, — la fontaine, pègè — le fleuve, potamos, maintient mieux l'invisibilité propre au Père, et le caractère diffluent, manifestateur et fécondant du Saint-Esprit.

Cette image, sous sa double forme, devait naturellement se présenter à la pensée des Grecs ; car elle est conforme à leur diagramme en ligne droite. Il n'est donc pas étonnant que saint Anselme qui n'approuvait pas la formule : l'Esprit-Saint procède du Père par le Fils, ait manifesté ses défiances à l'égard de cette comparaison.

Mais, aussitôt après, il adopte l'image qu'il venait de condamner, et avec sa souplesse et sa subtilité habituelles, il la développe de façon à exprimer le dogme sous sa forme la plus latine. La source, le fleuve et le lac s'opposent l'un à l'autre comme des manières d'être différentes de la même eau. Cette eau, partout identique à elle-même, représente l'unité de substance divine ; aussi elle est identique à chacune des trois choses où elle se trouve ; car la source, c'est l'eau qui jaillit ; la fleuve, c'est l'eau qui coule ; le lac, c'est l'eau qui se repose (S. Anselme, De processione S. Spiritus, cap. XVI).

Ainsi, lorsqu'on appelle Dieu, le Père ou le Fils ou le Saint-Esprit, on conçoit dans les trois une seule essence, un seul Dieu, ce nom signifiant l'essence. Mais, dans le Père, Dieu est conçu comme engendrant ; dans le Fils, comme engendré, et, dans le Saint-Esprit, comme procédant d'une certaine manière singulière et ineffable.

De même donc que le lac ne procède pas de ce qui fait la différence entre la source et le fleuve, mais bien de l'eau en quoi ils sont identiquement une même chose ; ainsi le Saint-Esprit ne procède pas de ce qui constitue la distinction entre le Père et le Fils, mais de la divine essence en quoi ils sont identiquement une même chose.

Par conséquent, si le Père n'est pas plus ce dont est le Saint-Esprit, que ne l'est le Fils, on ne peut comprendre pourquoi il serait du Père plus que du Fils.

Ibid., c. XVI. S. Anselme avait déjà développé cette comparaison dans son livre : De fide Trinitatis, c. VIII.

Admirons ici le merveilleux accord dogmatique entre les docteurs d'Orient et d'Occident. Saint Damascène et saint Anselme acceptent la même comparaison de la fontaine, du fleuve et du lac, et cela pour la même raison, savoir, à cause de l'identité naturelle de l'eau dans ces trois choses.

La « Nature » est ce que l'on a en commun.
— La source qui jaillit, le fleuve qui coule et la mer où ce dernier se jette, ont en commun l'eau qui les constitue.
— De même, le Père qui est la Source absolue, le Fils qui est engendré du Père, et l'Esprit-Saint qui procède du Père, ont en commun la Divinité qu'ils partagent.
Le Père est Dieu ; le Fils est Dieu ; l'Esprit-Saint est Dieu - tous trois possèdent une même Nature, qui est la Nature divine.
C'est bien comme cela que le comprennant les Père Grecs, et la Tradition de l'Église orthodoxe.

Mais je crains bien que « le merveilleux accord dogmatique entre saint Damascène et saint Anselme » ne soit illusoire... Que veut dire Anselme de Cantorbéry, dans cette affirmation : « si le Père n'est pas plus ce dont est le Saint-Esprit, que ne l'est le Fils, on ne peut comprendre pourquoi il serait du Père plus que du Fils » ?

— Si la signification est celle-ci : « le Père est Dieu et le Fils est Dieu. Par conséquent le Père n'est pas plus ce dont est le Saint-Esprit, car tout deux possèdent la même Nature divine ». Cette signification est dans la droite ligne de la Tradition de l'Église. Mais ce serait mieux exprimé en disant « le Père n'est pas plus ce qu'est le Saint-Esprit », c'est-à-dire Dieu.

— Par contre, si la signification est la suivante : « on ne peut comprendre pourquoi [l'Esprit-Saint] serait du Père plus que du Fils - cela doit être compris en ce sens que l'on ne peut comprendre pourquoi l'Esprit-Saint procéderait du Père seul, et ne procéderait pas du Fils - car le Père n'est pas plus ce dont est le Saint-Esprit, c'est-à-dire faisant procéder l'Esprit, que ne l'est le Fils - c'est-à-dire lui-même procédant l'Esprit.
C'est dans ce cas une affirmation du « filioque », notion à la fois incompatible avec la pensée des Pères Grecs, et étrangère à la Tradition dogmatique de l'Église orthodoxe.

Le concordisme déclaré par le Père de Régnon est ici quelque peu forcé.


§ 2. — « Eau vive » : appellation personnelle du Saint-Esprit.

Dans la comparaison précédente, l'eau représente la Nature divine identique à chacune des trois Personnes. Mais, en général, l'ancienne patristique considère le mot « eau vive » comme une appellation scripturale de la troisième Personne elle-même.

Isaïe avait dit :

Car je répandrai de l'eau sur le sol assoiffé, des flots sur la terre desséchée. Je répandrai mon Esprit sur ta race, ma bénédiction sur ta postérité. Ils croîtrons comme l'herbe entourée d'eau, comme les peupliers au bord des cours d'eau.

Isaïe, 44; 3, 4.

— Le Sauveur s'était écrié :

Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi. et qu'il boive, celui qui croit en moi ! Selon le mot de l'Écriture : de son sein couleront des fleuves d'eau vive.

Et saint Jean, pour ne pas laisser d'hésitation, ajoute :

Il parlait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en lui.

Jean 7 ; 37 - 39.

Nos ancêtres dans la foi comprirent ces témoignages à la lettre. Pour eux, « eaux vives » fut considéré comme un nom du Saint-Esprit, révélé par l'Esprit lui-même, et partout où dans l'Ecriture ils rencontrèrent l'expression « eaux vives », ils l'entendirent comme le mot Spiritus de la personne même du Saint-Esprit, à moins que le contexte ne s'opposât à cette interprétation.

Laissons parler les Pères eux-mêmes, pour admirer le merveilleux parti qu'ils ont tiré de ce nom propre du divin Esprit. Mais entendons-les comme il convient.

On ne voit plus guère aujourd'hui dans les considérations mystiques des Pères que des rapprochements ingénieux ou des élans d'une imagination naïve. Mais à qui donc ces grands docteurs parlaient-ils ? c'est en présence d'hérétiques chicaneurs, prêts à profiter d'un mot échappé dans l'ardeur de la dispute, que les Pères en appellent à ces textes de l'Écriture pour démontrer le dogme. Faut-il admettre que ces champions de la Foi ont combattu la sophistique raisonneuse par des fleurs d'éloquence ? Faut-il croire que la stricte et austère vérité, a triomphé par le moyen d'emphases et de brillantes imaginations ?

J'ajoute que l'on devra porter le même jugement au sujet de la liturgie ecclésiastique. Combien de chrétiens aujourd'hui se contentent d'admirer, comme une naïve poésie, ce que les premiers fidèles vénéraient comme l'expression exacte de la réalité ? Si « eau vive » n'est qu'un terme de comparaison, nous ne nous élevons pas au-dessus d'un gracieux symbolisme. Si « eau vive » est une appellation personnelle et révélée du Saint-Esprit, ce mot nous introduit de lui-même dans la réalité du mystère.


§ 3. — Saint Athanase.

Dans toute question relative à la Trinité, saint Athanase mérite d'être cité le premier.

Les Écritures suffisent - dit-il - pour prouver la divinité du Saint-Esprit par ses rapports avec le Fils. En effet, « le Père est appelé fontaine et lumière ; car il est écrit : ils m'ont abandonné, moi, la Source d'eau vive (Jér. 2 ; 13) ; et dans Baruch : pourquoi Israël, pourquoi es-tu au pays de tes ennemis ? (...) c'est que tu abandonnes la Source de la Sagesse ! (Baruch 3 ; 10 - 12) et suivant saint Jean : Dieu est Lumière (I Jn. 1 ; 5). Quant au Fils, si on le rapporte à la fontaine, il est appelé fleuve : le fleuve de Dieu est un flot débordant ; si on le rapporte à la lumière, il est appelé splendeur, saint Paul disant : Splendeur de sa gloire et empreinte de sa substance (Hb. 1 ; 3). Puis donc que le Père est lumière et le Fils est sa splendeur (car il ne doit déplaire à personne que je répète de si belles choses), il est permis de voir dans le Fils l'Esprit en qui nous sommes illuminés, suivant ce que dit saint Paul : afin qu'il vous donne un Esprit de sagesse et de révélation, qui vous le fasse vraiment connaître ; puisse-t-il illuminer vos coeurs ! (Eph. 1 ; 17). Or, lorsque nous sommes illuminés par l'Esprit, c'est le Christ qui nous illumine en lui : Il était la Lumière véritable illuminant tout homme venant en ce monde.

Semblablement, le Père étant la fontaine, et le Fils étant appelé le fleuve, l'Écriture dit que nous buvons l'Esprit. Car il est écrit : tous ont bu le même breuvage spirituel (I Co. 10 ; 4). Mais lorsque nous buvons l'Esprit, nous buvons le Christ : ...d'un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher, c'était le Christ (Ibid.).

S. Athanase, Première lettre à Sérapion, § 19.

Remarquez dans ce beau passage :
— 1° comment la personnalité du Saint-Esprit n'est pas désignée par un terme spécial avec la même précision qu'on emploie pour le Père et le Fils ;
— 2° comment cependant l'eau est indiquée comme le symbole du Saint-Esprit ;
— 3° comment cette eau n'est pas dans un lac à part, mais reste dans la fontaine et dans le fleuve ;
— 4° comment le Saint-Esprit semble plus spécialement uni au Fils, puisque boire l'Esprit, c'est boire le Christ.

Saint Basile avait les mêmes pensées, lorsque, comparant les figures de l'ancien Testament aux réalités du nouveau, il écrivait :

Adam est la figure du futur Adam, la pierre est typiquement le Christ, et l'eau de la pierre est la figure de la puissance vitale du Verbe. Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive (Jn. 7 ; 37).


§ 4. — Saint Cyrille de Jérusalem.

Voici maintenant le grand catéchiste, si exact dans son enseignement, si prudent dans ses explications, si simple avec les simples.

Allons - dit-il - boire de l'eau vivante, jaillissant en la Vie éternelle (Jn. 4 ; 14) Il parlait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en lui...

Et pourquoi appelle-t-il eau la grâce spirituelle ? Parce que c'est par l'eau que tout subsiste ; car c'est l'eau qui fait la verdure et la vie. Du ciel descend l'eau des nuages ; elle descend toujours la même, mais elle agit en mille manières. Une seule source arrose tout le jardin ; une seule et même pluie tombe sur toute la terre ; elle devient blanche dans le lys, rouge dans la rosé, pourpre dans les violettes et les jacinthes, variant à l'infini suivant les espèces, autre dans le palmier, autre dans la vigne ; en un mot, tout en toutes choses, et cependant n'ayant qu'une forme et n'étant jamais autre qu'elle-même.

Car ce n'est pas en changeant sa Nature que la pluie devient autre qu'elle n'était, mais c'est en s'accommodant à la nature des plantes diverses, qu'elle devient pour chacune le bien convenable. Ainsi en est-il de l'Esprit-Saint ; il est un, indivisible, immuable, et il divise à chacun la grâce comme il le veut. Et comme le bois sec imbibé d'eau pousse des bourgeons, ainsi l'âme pécheresse, devenue par la pénitence digne du Saint-Esprit, produit des grappes de justice.

S. Cyrille de Jérusalem, Catéchèses. XVI, §§ 11 et 12.


§ 5. — Saint Irénée.

Cette dernière image semble avoir été fournie à saint Cyrille par saint Irénée dont les témoignages sont remarquables relativement à la question présente :

Le Seigneur - dit-il - a promis qu'il enverrait le Paraclet qui nous unirait à Dieu (Jn. 15 ; 26 // Rm. 12 ; 5. - I Co. 10 ; 17 - Gal. 3 ; 28).

En effet, comme d'un froment sec on ne peut faire sans eau ni une pâte ni un pain, de même de notre multitude on ne pouvait faire une seule chose en Jésus-Christ sans l'eau qui vient du ciel.

Et comme la terre sèche ne fructifie pas, si elle ne reçoit de l'humidité, de même nous qui d'abord ne sommes qu'un bois sec (L. 23 ; 31), nous ne produirions jamais des fruits de vie sans la pluie généreuse (Ps. 67 ; 10) venue d'en-haut.

Car nos corps, par le bain du Baptême (Ephés. 5 ; 26), ont reçu l'union à l'incorruptibilité, tandis que nos âmes l'ont reçue par l'Esprit (Jn. 3 ; 5). Les deux sont nécessaires pour donner la vie de Dieu ; car Notre-Seigneur a eu pitié de cette Samaritaine infidèle (Jér. 3 ; 7,8,10,11), et lui a montré et promis l'eau vive pour qu'elle n'eût plus soif désormais et qu'elle ne recherchât plus une eau difficile à puiser, depuis qu'elle a en elle le breuvage qui jaillit pour la vie éternelle (Jn. 4 ; 14).

Tel est le don que le Seigneur a reçu du Père (Jn. 4 ; 10), et qu'il a donné à tous ceux qui participent de lui, lorsqu'il a envoyé le Saint-Esprit par toute la terre.

Gédéon que Dieu avait choisi pour sauver le peuple d'Israël, prévoyant la grâce de ce Don, changea sa demande (Jg. 6 ; 36 - 40), prophétisant l'aridité future sur cette toison figure du peuple juif, sur laquelle seule était tombée d'abord la rosée.

Ce qui signifiait qu'un jour le Saint-Esprit leur serait retiré, suivant ce mot d'Isaïe : Je commanderai aux nuées de ne pas pleuvoir sur elles (Is. 5 ; 6), tandis qu'au contraire sur toute la terre tomberait la rosée qui est l'Esprit de Dieu, qui est descendu sur le Seigneur, Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété, Esprit de crainte de Dieu (Is. 11 ; 2 - 3).

S. Irénée, liv. III, ch. XVII, §§ 2, 3. Contre les Hérésies Cerf 1984. p. 357 - 358.

Citons encore ce beau passage où, après avoir passé en revue tous les bienfaits de la bonté divine, il termine ainsi :

Par mille manières Dieu disposait les moyens de salut pour le genre humain. Aussi dans son Apocalypse Jean a dit : Sa voix était comme la voix de multiples eaux (Apoc. 1 ; 15). Oui vraiment, les grandes eaux, c'est l'Esprit, parce que riche, parce que grand est le Père. Et le Verbe, passant à travers tout cela, portait secours.

Id. liv. IV, ch. XIV, § 2. Cerf 1984. p. 447.


§ 6. — Didyme.

Si l'on peut être assuré de trouver quelque part la doctrine grecque exposée sous une forme didactique, c'est évidemment dans l'enseignement du fameux « Didascalion ». Allons donc nous mettre à l'école de Didyme.

Didyme, voulant prouver que le Saint-Esprit n'est pas une simple créature, raisonne comme il suit :

Une créature n'est pas appelée par l'Écriture : « Eau de la vie », hudôr zôès. Car une créature n'a pas par elle-même la vitalité éternelle, comme le Dieu éternellement vivant.

Or, par les témoignages sacrés que je vais citer, il est démontré que le Saint-Esprit est appelé « eau de la vie » comme jaillissant de l'immortelle et vivifiante source paternelle, non par création, mais en unité de Nature.

Car, ainsi que je l'ai dit dans un premier discours, la lumière ne fait pas sa propre splendeur, mais l'engendre ; et de même on doit dire que la source ne fait pas l'eau qui jaillit d'elle en unité de Nature. Car personne ne fait ni soi, ni son fils, ni son souffle ; c'est contraire à l'idée de fils ou de souffle.

Donc Jérémie, parlant dans la personne de Dieu : Cieux, soyez-en étonnés, spupéfaits, pris d'une énorme épouvante, Oracle du Seigneur. Car c'est un double méfait que mon peuple a commis ; ils m'ont abandonné, moi, la Source d'eau vive, pour se creuser des citernes, citernes lézardées qui ne tiennent pas l'eau (Jér. 2 ; 12 - 13) ; le prophète expose mystérieusement le mystère. Car il appelle Dieu « source », et le Saint-Esprit « eau vivante », eau qui dans la piscine lave tous nos péchés, eau qui ne peut être séparée de la source divine, pas plus que le fleuve de ses sources.

De même Isaïe : Car je répandrai de l'eau sur le sol assoiffé, des flots sur la terre desséchée. Je répandrai mon Esprit sur ta race, ma bénédiction sur ta postérité. Ils croîtront comme l'herbe entourée d'eau, et comme les peupliers au bord des cours d'eau (Is. 44 ; 3 - 4). Ce passage a lui aussi un sens mystique. Ils étaient, dit-il, dans l'ignorance du baptême, et pour cela ils marchaient dans la sécheresse ; je leur donnerai mon Esprit qui fera que dans la piscine ils reverdiront, comme les plantes aquatiques, et : Au bord du torrent, sur chacune de ses rives, croîtront toutes sortes d'arbres fruitiers dont le feuillage ne flétrira pas, et dont les fruits ne cesseront pas (Ezéchiel 47 ; 12).

Le Psalmiste, exprimant la réalilé sous un langage nécessairement obscur, chante dans le 35e psaume : En Toi est la Source de Vie (v. 10) ; et dans le 147e (v. 17 - 18): Il envoie son Verbe et fait fondre, il souffle son Esprit, et coulent les eaux qui réjouissent la grande cité de Dieu. Il s'agit de toute la terre, car pour parler ainsi, ce qu'est une cité aux hommes, la terre entière l'est au Tout-Puissant.

Baruch pleurant sur le peuple exilé dans la terre des Chaldéens qui n'avaient pas le Saint-Esprit : Pourquoi, Israël, es-tu au pays de tes ennemis, vieillissant en terre étrangère, te souillant avec les morts, compté parmi ceux qui vont aux Enfers ? C'est que tu abandonnas la source de la Sagesse, si tu avais marché dans la voie de Dieu, tu habiterais dans la paix pour toujours (Baruch 3 ; 10 - 13). Il appelle ici source Dieu, et sagesse le Saint-Esprit.

Jean rapporte ces paroles du Sauveur à la Samaritaine : Si tu savais le Don de Dieu et qui est Celui qui te dit : « Donne-moi à boire », c'est toi qui L'en aurais prié, et Il t'aurait donne de l'eau vive (Jn. 4 ; 10), c'est-à-dire les flots immortels de la piscine du Saint-Esprit. Que toutes ces choses soient dites de l'Esprit de Dieu, le même évangéliste l'affirme en termes exprès. Car le Seigneur ayant dit : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à Moi et qu'il boive, celui qui croit en Moi. Selon le mot de l'Écriture : de son sein couleront des fleuves d'eau vive , saint Jean ajoute aussitôt : Il parlait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en Lui (Jn. 7 ; 37 - 39).

Didyme, De Trinitate, lib. II, cap. VI, n° 22. — M. XXXIX, col. 533.

Qu'on lise aussi dans le même Livre les magnifiques chapitres 12, 13 et 14, où Didyme prouve la divinité du Saint-Esprit par le baptême (Didyme s'est beaucoup inspiré de Tertullien, De baptismo). J'en détache les quelques citations suivantes :

Jean-Baptiste, après avoir parlé du baptême « de l'eau et de l'Esprit », dit du Christ : Il vous baptisera dans l'Esprit-Saint et le feu (Luc 3 ; 16). Car puisque l'homme est un vase d'argile, il faut d'abord le purifier par l'eau et le solidifier ensuite par te feu divin, (car Dieu est un feu consumant) ; il a donc besoin du Saint-Esprit qui le perfectionne et le renouvelle, d'autant que le feu spirituel sait arroser, et l'eau spirituelle fondre dans le creuset...

Isaïe s'écrie... Vous tous qui êtes altérés, venez vers l'eau ; même si vous n'avez pas d'argent, venez. Achetez du blé et consommez, sans argent, et, sans payer, du vin et du lait (Isaïe 55; 1). Il appelle « eau » le Saint-Esprit et les flots de sa piscine. Il appelle « vin et lait » ce qui n'était autrefois que les offrandes de la loi juive, mais ce qui est maintenant l'immortelle communion du corps et du sang du Maître.

Didyme, op. cit. lib. II, cap. XII. — Col. 672.

Puis Didyme répète encore une fois que c'est le Saint-Esprit qui est appelé « Eau », et il en donne pour preuve le même passage de saint Jean que j'ai cité plus haut.


§ 7. — Saint Épiphane.

Je clos cette série de citations par un texte bien court, mais bien riche.

Saint Épiphane, réfutant une objection de l'Arien Aétius, montre la différence entre les processions divines dont chacune ne peut avoir qu'un terme, et l'action créatrice qui s'étend à une multitude de termes.

Le Père - dit-il - peut engendrer un Fils unique et pas d'autre. Il peut faire pleuvoir le Saint-Esprit, mais pas un autre esprit.

S. Epiph., Adv. Haereses, Haeres. 76. — M. XLII, col. 565.

Si nous nous rappelons combien les Pères sont discrets sur la procession du Saint-Esprit, qu'ils désignent par le mot scriptural ekporeusis, sans prétendre en spécifier le mode - nous en admirons davantage que le plus réservé des docteurs ait osé comparer cette procession de l'Esprit à une pluie, par opposition à la génération du Fils.

Il faut en conclure qu'il considérait, lui aussi, le nom « Eau » comme une appellation véritablement personnelle. David avait dit autrefois : Tu répandis, ô Dieu, une pluie de largesses ; ton héritage exténué, Toi, tu l'affermis (Ps. 67 ; 10). Nous comprenons maintenant le sens sublime de cet oracle. Cette pluie, c'est l'Esprit-Saint, Don du Père céleste, Eau qui féconde notre terre aride.


- CHAPITRE III -
« CHRÊME »


§ 1. — C'est une appellation personnelle.

Beaucoup de Pères ont considéré le mot Chrême, Onguent, Chrisma, comme une appellation vraiment personnelle du Saint-Esprit, à cause de la collitération de ce mot avec le nom personnel du Verbe incarné Christos.

Saint Irénée expose, à ce sujet, une pensée sublime :

Dans le nom du Christ - dit-il - on sous-entend Celui qui oint, Celui qui est oint, et l'onction même dont il est oint. C'est le Père qui oint, et le Fils est oint dans l'Esprit qui est l'onction. Car il est dit dans Isaïe : L'Esprit du Seigneur Dieu est sur moi, car le Seigneur m'a oint (Isaïe 61 ; 1) ; texte où l'on retrouve le Père qui oint, le Fils qui est oint, et l'onction qui est le Saint-Esprit.

Saint Basile a recueilli cette pensée vraiment féconde.

La seule appellation du Christ - dit-il - est une profession de toute la Trinité. Car elle montre Dieu qui oint, le Fils qui est oint, et l'Esprit qui est le chrême, comme nous l'apprenons de Pierre dans les Actes : Jésus de Nazareth, Dieu l'a oint de l'Esprit-Saint (Act. 10 ; 38) et d'Isaïe : L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a consacré par l'onction (Is. 61 ; 1 cf. Lc. 4 ; 18), et du Psalmiste : C'est pourquoi Dieu, ton Dieu, t'a donné l'onction d'une huile d'allégresse (Ps. 44 ; 8).

S. Basile, Sur le Saint-Esprit, ch. XII. S.C. 17bis p. 345.

De son côté, saint Athanase tire de ce nom un argument en faveur de la divinité du Saint-Esprit, et j'engage le lecteur à remarquer, dans ce raisonnement, comment sont affirmées et l'union du Saint-Esprit au Fils, et une certaine dépendance par rapport au Fils, qui ne peut être qu'une relation de procession, et la substantialité de l'onction qui nous sanctifie.

L'Esprit, dit saint Athanase, est appelé Chrême et cachet. Car saint Jean écrit : L'onction que vous avez reçue de Lui demeure en vous, et vous n'avez pas besoin qu'on vous enseigne, puisque son onction, c'est-à-dire, son Esprit, vous instruit de tout (I Jean, 2 ; 27). Et dans le prophète Isaïe : L'Esprit du Seigneur Dieu est sur moi, car le Seigneur m'a oint (Isaïe 61 ; 1) ; et saint Paul : qui vous a marqués de son sceau pour le jour de la rédemption (Ephésiens 4 ; 30).

Or les créatures sont marquées et ointes en lui, et sont enseignées en lui sur toutes choses. Si donc l'Esprit est l'onguent et le cachet, en qui le Verbe oint et marque toutes choses, quelle similitude peut-il y avoir entre l'onguent et les choses ointes, entre le cachet et les choses marquées ? Le cachet ne fait pas partie des choses marquées, ni l'onguent des choses ointes ; mais l'Esprit est le propre du Verbe qui marque et qui oint. Car l'onguent possède la bonne odeur et l'haleine de Celui qui oint ; voilà pourquoi ceux qui par l'onction deviennent participants de Celui-ci, peuvent dire : nous sommes la bonne odeur du Christ (II Co. 2 ; 15).

S. Athanase, Première à Sérapion, § 23. — Le même passage est reproduit dans la troisième à Sérapion, § 3.

L'union du Saint-Esprit au Fils, telle qu'elle apparaît dans ce passage de Saint Athanase, ne peut être assimilée à une «relation de procession» : car il s'agit de l'onction que NOUS recevons, en tant que créatures - et aucunement des relations intra-trinitaires.


§ 2. — L'onction royale.

Le chrême était réservé dans l'ancienne Loi, à la consécration des prêtres et au sacre des rois. Saint Grégoire de Nysse s'attache à ce second usage. Vous y observerez et la dénomination de chrême considérée comme caractéristique du Saint-Esprit, et l'union spéciale du Saint-Esprit au Fils, et son influence substantielle dans notre sanctification.

Après avoir expliqué que le nom d'un être quelconque contient et affirme toutes les propriétés essentielles de cet être, saint Grégoire demande :

Comment donc confesser le Christ, sans concevoir avec Celui qui est oint l'onguent lui-même ? Or l'Écriture dit : Dieu [le Père] L'a oint [le Christ] de l'Esprit-Saint et de puissance (Actes 10 ; 27 - dans le Discours de Pierre chez Corneille). Que ceux qui souillent la gloire de l'Esprit et le rabaissent à l'état de créature, nous disent de quoi l'onction est le symbole.

N'est-ce pas de la royauté ? Quoi donc ? Ne croient-ils pas que le Fils unique est Roi par Nature ? Ils ne peuvent le nier si leur cœur n'est pas complètement recouvert par le voile judaïque. Si donc le Fils est roi par nature, et si le chrême est le symbole de la royauté, ne voyez-vous pas la conséquence ?

C'est que le chrême n'est pas différent du roi par Nature, et que l'Esprit n'est pas compté avec la sainte Trinité comme une chose étrangère. Roi est le Fils.

Royauté vivante, substantielle et subsistente est le Saint-Esprit, en qui est oint le Fils unique, Christ et Roi de tous les êtres.

Si donc le Père est roi, si le Fils est roi, et si le Saint-Esprit est la royauté, il n'y a absolument dans la Trinité qu'un seul concept de la royauté.

De plus, la notion d'onction insinue sous une forme mystérieuse qu'il n'y a aucun intervalle entre le Fils et le Saint-Esprit. Car, de même qu'entre la surface du corps et l'huile de l'onction, on ne peut saisir un milieu ni par la raison ni par la sensation ; ainsi le contact du Saint-Esprit au Fils est absolu. D'où il suit que pour se joindre au Fils par la foi, il faut de toute nécessité passer par le contact de l'onguent. Car il n'y a dans le Fils aucune partie qui ne soit couverte du Saint-Esprit.

C'est pourquoi, le Fils n'est vraiment proclamé Seigneur que dans le Saint-Esprit et par ceux qui l'ont reçu, ce divin Esprit accourant le premier à la rencontre de ceux qui s'approchent par la foi. Si donc le Fils est roi par Nature, et si la dignité de royauté est le Saint-Esprit en qui le Fils est oint, qui concevra que la royauté soit naturellement divisée d'elle-même.

S. Grég. de Nysse, Adv. Macedon., §§ 15 et 16. — M. XLV, col. 1320.

— Le Fils est roi par Nature, car Il est Dieu : sa Nature est divine.
— La dignité de royauté est en le Saint-Esprit en qui le Fils est oint : l'Esprit-Saint est donc nécessairement Dieu.
— Le Fils est Dieu ; le Saint-Esprit est Dieu : ainsi la royauté n'est-elle pas divisée.

Nous avons ici un magnifique énoncé de la réciprocité de manifestation du Fils et de l'Esprit : « Le Fils n'est vraiment proclamé Seigneur que dans le Saint-Esprit et par ceux qui l'ont reçu - ce divin Esprit accourant le premier à la rencontre de ceux qui s'approchent par la foi ». C'est l'effusion de l'Esprit-Saint qui permet à l'être humain de proclamer sa foi en la divinité du Christ. Nul ne peut dire "Jésus est Seigneur", que sous l'action de l'Esprit-Saint (I Co. 12 ; 3). Jésus donne le Saint-Esprit, qui permet de confesser le Christ ; c'est en l'Esprit et par le Christ que nous arrivons à la connaissance du Père : « ce que l'oeil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté au coeur de l'homme - c'est à nous que Dieu l'a révélé par l'Esprit » (I Co. 2 ; 9 - 10).


§ 3. — Observation sur ces textes.

Les textes précédents semblent rapporter au mystère de la Trinité une dénomination qui concerne le mystère de l'Incarnation. Le nom de Christ convient au Verbe en tant qu'il s'est fait chair.

Il est nommé Christ, dit saint Cyrille, parce qu'il a été oint. Or il n'a pas été oint dans sa Nature éternelle puisqu'il est Dieu le Verbe. Mais l'onction a eu lieu en tant qu'il est homme (S. Cyrille d'Alex., Ad Monachos. — M. LXXVII, col. 26).

Petau a discuté longuement cette question à propos d'autres textes qui semblent également embarrassants. J'y renvoie le lecteur (Petau, De incarnatione, lib. XI, c. VIII, §§ 11 et seqq.), et je me contente de deux observations.

La première est que le nom Christ est absolument un nom personnel du Verbe fait chair. D'où il suit que l'action, d'où résulte ce nom, atteint la Personne elle-même. Or qui peut toucher une Personne divine, sinon une Personne également divine ? Donc, concluent les Pères, le Saint-Esprit est Dieu, puisque son onction fait que le « Fils » est « Christ ».

La seconde observation sera bien préparée par un exemple dont on excusera la grossièreté à cause de sa clarté. Un ouvrier, qui s'est livré nu à un rude travail est couvert d'une sueur qui perle par tous ses pores. Si ensuite il se revêt, la sueur pénètre son vêtement, et l'ouvrier devient trempé, comme s'il s'était couvert de vêtements humides.
— Eh bien! Le Verbe divin, considéré dans sa Nature divine, est la source éternelle d'un parfum qui le recouvre éternellement. Et lorsque le Verbe a revêtu l'humanité, ce parfum, sorti de lui, inonde le vêtement divin, le pénètre et l'embaume. Et alors, il advient par une sorte de réaction, que le Verbe reçoit l'onction dont il est la source, et commence à prendre un nom de forme passive - Christos.

Cette manière de concevoir l'onction du Christ est bien conforme au diagramme en ligne droite.
Dans la Trinité, le Père « distille » par le Fils son éternel « parfum » ; et lorsque le Fils, passant de l'éternité dans le temps, devient le « premier-né de toute créature », il emporte toute l'effluve embaumante.

Les deux observations précédentes se trouvent contenues dans le texte suivant de saint Jean Damascène :

Le Christ est un nom de personne, mais qui signifie les deux Natures. Lui-même s'est oint.
— Comme Dieu, il a oint son corps de sa divinité ;
— comme homme il est oint.
Car il est Dieu et homme, et l'onction est la divinité de l'humanité.

S. Damasc., Foi orthod., liv. III, ch. III. / S.C. 540. T. II. ch. 45-100. § 47, l. 29. p. 21.

En fait, la traduction exacte est celle-ci : la divinité est onction pour l'humanité - Chrisis de hè theotès tès anthrôpotètos. Mais il s'agit d'une felix culpa - heureuse faute ! La sentence « l'onction est la divinité de l'humanité » demande réflexion et méditation.

La réponse théologique à la question du sens du terme onction lorsqu'il s'agit du Christ, fait référence aux deux Natures de Jésus incarné : la Nature divine de Jésus oint sa Nature humaine, ce qui permet d'appeler Jésus le « Christ » c'est-à-dire «oint».

Mais le fait de comprendre l'onction comme « la divinité de l'humanité » ouvre de tout autres perspectives : suite à la Rédemption accomplie par le Christ ressuscité, la Divinité « oint » l'humanité ! L'Esprit-Saint est répandu sur les créatures humaines qui s'ouvrent au Message du Verbe, et c'est l'Homme-Dieu qui envoie l'Esprit sur les hommes. La Voie est désormais ouverte pour la divinisation des être humains, et ceux-ci parviennent à la participation à la Divinité, en recevant l'onction de l'Esprit-Saint.

Dans la première acception, le Christ s'oint Lui-même - dans la deuxième, ce sont les croyants qui sont oints de l'Esprit-Saint, et devant qui s'ouvrent les portes de la divinisation.


- CHAPITRE IV -
LA « ROYAUTÉ »


§ 1. — Saint Grégoire de Nysse.

Saint Grégoire de Nysse semble le premier qui ait considéré le mot « royauté » , comme une appellation personnelle du Saint-Esprit. Dans le traité qu'il a composé contre Eunomius, nous lisons cette phrase :

Il ne faut concevoir aucun intervalle entre le Christ et le Chrême, entre le Roi et la Royauté, entre la Sagesse et l'Esprit de Sagesse...

S. Grég. de Nysse, Contra Eunomium, lib. II. — M. XLV, col. 472.

De même, dans le texte que j'ai cité tout à l'heure, on a dû remarquer cette phrase :

Si donc le Père est Roi, le Fils Roi, et le Saint-Esprit Royauté, il n'y a dans la Trinité qu'une seule raison de royauté.

S. Grég. Nyss. Adv. Macedon., § 16. Grég. de Nazianze dit de même : Saint, Saint, Sainteté.

Notre docteur revient plus longuement sur ce titre dans son explication de l'Oraison Dominicale.

Le Saint-Esprit - dit-il - est la Royauté.

Pour le prouver, il s'appuie sur une variante dans l'Oraison dominicale :

Saint Luc - dit-il - à la place de « que ton Règne vienne » (Lc. 11 ; 2), écrit : « que ton Esprit-Saint vienne sur nous et nous purifie » ... Celui que saint Luc appelle Esprit-Saint, Matthieu le nomme Royauté.

S. Greg. Nyss., De orat. dominica, c. III. — M. XLIV, col. 1157.

Les érudits ont en vain cherché d'autres traces de cette version insolite. Peut-être saint Grégoire a-t-il été induit en erreur par quelque glose intercalée d'abord dans saint Luc, puis altérant le texte véritable. Peu importe d'ailleurs. Ce qui reste à retenir, c'est qu'un aussi grand théologien a jugé le titre de Royauté, digne du Saint-Esprit. Cette estimation nous étonne, car ce mot, tiré de la catégorie des relations, n'offre rien de substantiel à notre esprit. Nous avons donc là un exemple de ce concept large et diffus que j'ai annoncé chez nos Grecs à l'égard du Saint-Esprit. Mais en même temps nous avons rencontré, dans le passage cité plus haut, le correctif nécessaire. Le Saint-Esprit est la Royauté, mais saint Grégoire ajoutait :

C'est une Royauté vivante et substantielle - ousiôdès - et subsistante - enupostatos.

S. Greg. Nyss., Adv. Macedonian., § 16. — M. XLV, col. 1321.


§ 2. — Saint Cyrille.

Saint Cyrille d'Alexandrie a connu cet enseignement, et il l'a appuyé sur un texte scriptural plus authentique. Mais, conformément à sa réserve au sujet des noms divins, il laisse voir une certaine hésitation.

Il prouve la divinité du Saint-Esprit, par ce fait que l'humanité du Sauveur opérait des miracles dans la vertu du Saint-Esprit.

Voici comment il s'exprime :

Le Fils en tant qu'il est descendu dans notre condition, a dit : Si c'est par l'Esprit de Dieu que j'expulse les démons, c'est qu'alors le Royaume de Dieu est arrivé pour vous (Mt. 12 ; 28). Ce n'est pas autre chose que de dire : La puissance et le pouvoir divin est descendu en vous, puisque moi qui suis venu parmi vous pour vous, je fais des miracles par l'Esprit. En effet, il appelle ici, je crois, « Royauté de Dieu », l'opération divine dans le Saint-Esprit, ou peut-être bien le Saint-Esprit lui-même, ce qui concorderait parfaitement avec cette parole : le Royaume de Dieu est parmi vous (Lc. 17 ; 21).

S. Cyrille, de Trinitate, dial. VII. — M. LXXV, col. 1114.

Ailleurs, saint Cyrille ne manifeste pas d'hésitation sur ce dernier texte. Commentant la parole du Sauveur au sujet de saint Jean-Baptiste : Le plus petit dans le Royaume des Cieux est plsu grand que lui (Mt. 11 ; 11),

Qu'est-ce - dit-il - que le Royaume des Cieux ? c'est la donation du Saint-Esprit, suivant qu'il est dit : le Royaume de Dieu est parmi vous (Lc. 17 ; 21). Car l'Esprit séjourne en vous par la foi.

S. Cyrille, in Joann., lib. V. — M. LXXUI, col. 708. — Voir aussi, Thesaurus, assert, XI. — M. LXXV, col. 173.


§ 3. — Saint Maxime. — La Trinité dans le « Notre Père ».

Le grand philosophe saint Maxime, apporte un nouveau poids à cette appellation qui nous étonne. Lui aussi a composé une explication de l'Oraison dominicale, et il a beaucoup emprunté à celle de saint Grégoire de Nysse.

Que le lecteur observe dans la citation qui va suivre, comment les anciens docteurs savaient découvrir la Trinité là où ne trouvons plus que des vérités morales. Nous paraphrasons le Pater, comme pourrait le faire uu pieux philosophe, en nous adressant au Créateur appelé Père par une sorte d'emphase. Nos ancêtres s'adressaient au Père éternel du Fils éternel, et le louaient dans les mystères de la Trinité et de l'Incarnation.

Saint Maxime explique donc que l'Oraison dominicale commence par nous faire adorer la Trinité, en nous faisant nommer le Père, le Nom du Père, la Royauté du Père.

En effet - dit-il - le Nom substantiellement subsistant de Dieu le Père est le Fils unique, et la Royauté substantiellement subsistante de Dieu le Père est l'Esprit-Saint.

Car, là où saint Matthieu dit « Royauté », un autre évangéliste nomme le Saint-Esprit, en disant, que ton Esprit vienne sur nous et nous purifie. En effet, le Père n'a pas un nom acquis, et nous ne concevons pas comme digne de lui sa royauté telle qu'elle nous apparaît. Il n'a pas commencé d'être, pour commencer d'être Père ou d'être Roi ; jamais il n'y a eu un moment où il a commencé d'être ou d'être Père ou d'être Roi. Si donc toujours il a existé, toujours Père et toujours Roi, toujours aussi le Fils et l'Esprit-Saint ont subsisté consubstantiellement au Père, procédant de lui, par Nature en lui, d'une manière incompréhensible, mais non par création et postérieurement. Car les relations ont ce caractère qu'on ne peut en concevoir les termes l'un sans l'autre.

S. Maxime, Exposition de l'Oraison dominicale. — M. XC, col. 884.


§ 4. — Observation sur ce titre.

Cette dernière phrase, en rappelant le principe qui domine le traité de la Trinité, nous montre que pour saint Maxime, les noms « Roi » et « Royauté » se rapportent bien à l'ordre des personnes, et que par conséquent, le nom « Royauté » est bien un titre personnel du Saint-Esprit.

Mais ce même principe concernant les relations soulève une difficulté d'un autre genre.

Dieu est le Roi, non de soi-même, mais des créatures. Ce titre exprime donc une relation entre le Créateur et les créatures. De là cette question soulevée par saint Augustin et discutée par saint Thomas. Le nom de Seigneur convient-il à Dieu de toute éternité, ou seulement depuis l'apparition des créatures ? Or le Docteur angélique, s'appuyant sur le principe de la coexistence des deux termes d'une même relation, en conclut que Dieu n'est Seigneur que depuis qu'il a créé.

Bien que Dieu soit antérieur aux créatures, parce que dans la signification de « Seigneur » il est inclus qu’il ait un serviteur, et réciproquement, ces deux termes relatifs sont simultanés par nature. Aussi Dieu n’a-t-il pas été Seigneur avant d’avoir une créature qui lui fût soumise.

S. Thomas, I, q. 13, a. 7, ad 6um.

Cette conclusion de saint Thomas semble condamner l'explication précédente de saint Maxime. Comment le docteur grec considère-t-il comme un nom éternel le titre de Roi, qui répond au même sens que le titre de Seigneur ? Comment introduit-il parmi les titres qui distinguent les Personnes divines, les mots « Roi et Royauté », qui expriment l'unique relation du Créateur à la créature ? À ces questions, qu'il me suffise de rappeler qu'elles se posent également au sujet du mot Don, qui, de l'aveu unanime, est un nom personnel du Saint-Esprit.


- CHAPITRE V -
PARFUM, VAPEUR, QUALITÉ DIVINE


§ 1. — Le Saint-Esprit est la bonne odeur du Christ.

Lorsque saint Athanase donne au Saint-Esprit le nom de Chrême, il nous fait penser à une nature fluide, il est vrai, mais substantielle. Or voici que le rapprochement des deux noms « chrême » et « souffle », tourne la pensée du grand docteur vers une image plus vaporeuse.

Ce chrême - dit-il - est l'haleine du Fils, de sorte que celui qui possède l'Esprit peut dire : Nous sommes la bonne odeur du Christ (II Cor. 2 ; 15) ... Puisque l'Esprit est la bonne odeur - euôdia - et la forme du Fils, il est évident que l'Esprit n'est pas une créature.

S. Athanase, Troisième à Sérapion, § 3. — M. XXVI, col. 628.

On rencontre la même pensée dans les Dialogues sur la Trinité attribués longtemps à saint Athanase. Je citerai ce passage comme un exemple de l'ancienne interprétation scripturale.

C'est à propos du texte de Job : Dieu vivant m'a ainsi jugé, par le Tout-Puissant qui rend ma vie amère, tant qu'un reste de vie m'animera, que le Souffle de Dieu passera dans mes narines, mes lèvres ne diront rien de faux (Job 27 ; 2).

Vous voyez, dit l'orthodoxe, comment il rappelle la sainte Trinité. Dieu vivant, pour désigner le Fils. Le Tout-Puissant qui rend ma vie amère, pour le Père, le Souffle de Dieu passera dans mes narines, pour le Saint-Esprit.

Car la bonne odeur du Christ est le Saint-Esprit. Et comme le parfum se reconnaît par l'odeur dans les narines, de même on connaît le Christ par l'Esprit. Nul ne peut dire "Jésus est Seigneur", que sous l'action de l'Esprit-Saint (I Co. 12 ; 3). Les apôtres ont été la bonne odeur du Christ, et ils le sont, parce qu'ils sont aussi les temples de l'Esprit. Car saint Paul a dit : Ou bien ne savez-vous pas que votre corps est un temple du Saint-Esprit, qui est en vous et que vous tenez de Dieu ? ... Glorifiez donc Dieu dans votre corps (I Cor. 6 ; 19 - 20).

De sancta Trinitate Dialog. I. Inter spuria S. Athanas. — M. XXVIII, col. 1128.


§ 2. — Le Saint-Esprit assimilé à une « vapeur » et une « chaleur ».

J'ai annoncé que saint Cyrille se montrait plus réservé que saint Athanase, dans l'application formelle au Saint-Esprit des expressions scripturales. Il n'en est que plus libre, pour chercher dans la nature des images qu'il ne présente qu'à titre de comparaisons.

Voici d'abord une image qui répond à l'idée de souffle et d'haleine, et qui est inspirée par le texte de la sagesse : Elle est un souffle de la puissance divine, une effusion toute-pure de la gloire du Tout-Puissant (Sagesse 7 ; 25).

Puisque le Fils - dit notre docteur - est par Nature la vie, et puisque l'Esprit qu'il donne est vivificateur, il faut de toute nécessité confesser que Celui-ci procède de la substance même de Dieu le Fils, et qu'il possède toute sa puissance et son action. C'est comme si une vapeur s'élevait de l'eau, rafraîchissant ceux auxquels elle parvient, et leur révélant par ses effets la Nature de ce qui l'envoie.

S. Cyrille,Thesaurus, assert. XXXIII. — M. LXXV, col. 573.

Voici maintenant une autre image moins corporelle encore, et qui cependant affirme la venue substantielle du Saint-Esprit dans les âmes.

Ceux qui reçoivent le Saint-Esprit, ont Dieu en eux et par là prophétisent à l'admiration de tous. Comment donc cet Esprit serait-il une créature ? N'est-il pas plutôt une communication temporaire de la substance suprême, traversant du Père par le Fils jusqu'à ceux qui sont aptes à la recevoir, comme serait une chaleur passant du feu dans le corps.

Ibid. — Col. 572.

La chaleur est une qualité du feu. Nous ne serons donc pas surpris d'entendre saint Cyrille appeler le Saint-Esprit une qualité de Dieu - poiotès. Mais, pour mieux comprendre ce qu'il entend par là, faisons un retour sur la théorie grecque du Père et du Fils, telle que nous l'enseigne saint Athanase.


§ 3. — Raison de l'expression « qualité ».

Nous avons vu que saint Athanase considère Dieu le Père comme la source cachée de toutes les perfections divines.

Mais ce principe subsistant s'épanouit dans un terme consubstantiel par voie de génération ; et le Fils est formellement dans son unité personnelle, l'ensemble infiniment simple et incomplexe de toutes les perfections que la raison distingue en Dieu. J'entends ici par perfections toutes ces grandes choses, auxquelles l'école de Platon attribuait la préposition auto - même.

Le Fils - dit saint Athanase - est du Père la Sagesse-même - autosophia, la Raison-même - autologos, la Puissance-même - autodunamis, la Vérité-même, la Justice-même, la Vertu-même; il est le Sceau, la Splendeur, l'Image, et pour tout dire en un mot, le fruit parfait du Père - karpos panteleios tou Patros, son unique Fils, son inséparable Image.

S. Athanase, Oratio contra Gentes, § 46.

Le Fils est le FRUIT du Père. Admirable expression ! L'arbre ne produit-il pas son fruit, en lui communiquant toute sa sève, toute sa vie ? et le fruit, émané de l'arbre, et demeurant suspendu à l'arbre, n'est-il pas le terme de la fécondité vitale et comme la perfection qui exprime la substance même de l'arbre ?

Mais le « fruit », à son tour, ne se manifeste-t-il pas par ses qualités, par sa saveur, son éclat, son parfum. Ce sont bien les qualités du fruit, procédant du fruit, résidant dans le fruit. Mais ce sont aussi les qualités de l'arbre, procédant de l'arbre et manifestant sa Nature. On peut donc les appeler les qualités de l'arbre et les qualités du fruit ; car elles procèdent de l'arbre par le fruit.

Ai-je besoin de faire remarquer combien tout ceci donne une image de la procession du Saint-Esprit ? On ne doit donc pas s'étonner que saint Cyrille, héritant de la doctrine de saint Athanase, ait exercé son brillant génie à la développer jusqu'au bout.

Non, tout ceci ne donne pas une image de la procession du Saint-Esprit. Car les qualités, la saveur, l'éclat, le parfum du fruit proviennent du fruit - et par le fruit, de l'arbre. Mais ils n'en procèdent pas. Car QUI goûte les qualités du fruit, sinon celui qui le mange, c'est-à-dire quelqu'un qui est EXTÉRIEUR à l'arbre ? De même les êtres humains, qui sont des créatures et non pas Dieu, reçoivent l'Esprit-Saint DU Père, PAR le Fils, DANS l'Esprit. - Dans la comparaison du fruit, on mange le fruit DE l'arbre, PAR la branche, en plantant ses dents DANS le fruit. Mais on n'est pas l'arbre ! Recevoir l'Esprit PAR le Fils est une opération extra-trinitaire, et diffère donc de la procession de l'Esprit DU Père, qui est une opération intra-trinitaire. De même, quand on mange le fruit d'un arbre, on se tient en-dehors de l'arbre : on n'est pas l'une de ses branches !


§ 4. — Saint Cyrille compare le Saint-Esprit à une qualité.

Sur le texte : Nul ne peut dire "Jésus est Seigneur", que dans l'Esprit-Saint (I Co. 12 ; 3), saint Cyrille argumente en ces termes :

Il est donc évident que celui qui participe du Saint-Esprit connaît ce qu'est le Seigneur Jésus, et que celui qui n'y participe pas l'ignore. Mais comment celui qui participe de l'Esprit connaît-il ce qu'est le Seigneur Jésus ? Comme ceux qui goûtent au miel savent que le miel est doux, par le moyen de la qualité qui en procède. Ainsi en est-il de celui qui participe de l'Esprit. Donc l'Esprit procède de la substance du Fils, et il est, pour ainsi parler, une certaine qualité du Dieu qui est Seigneur de toutes choses.

S. Cyrille, Thesaurus, assert. XXXIV. — M. LXXV, col. 588.

Plus loin, interprétant le texte : Il [l'Esprit] ne parlera pas de lui-même ... c'est de mon bien qu'il prendra (Jn. 16 ; 13) :

C'est - dit-il - comme si le miel disait de la qualité qui lui est naturellement unie : elle ne mettra rien d'elle-même dans ceux qui goûteront, mais elle recevra du mien. Car la qualité passe, pour ainsi dire, des substances dans les choses qui procèdent inséparablement de ces mêmes substances. C'est ainsi, comme je l'ai dit déjà, que procède du miel la douceur, du feu la chaleur, de l'eau la fraîcheur.

Ibid. — Col. 393.

On pourrait entendre ce passage dans le sens que la même qualité naturelle est commune au Fils et au Saint-Esprit. Mais bientôt après, saint Cyrille considère le Saint-Esprit comme la qualité même, en s'appuyant sur ce qu'il est le Saint.

Il est - dit-il - appelé tout court le Saint par les divines Écritures. Donc il n'est pas saint par participation, ou par acquis ; mais il est la substance et Nature sanctificatrice, et, pour parler ainsi, la qualité - poiotès de la divinité de Dieu le Père, comme il en est pour la douceur du miel, ou pour le parfum qui s'exhale de la fleur.


§ 5. — Caractère de ces comparaisons.

Toutes ces gracieuses comparaisons ont des caractères communs bien remarquables. D'abord un caractère de fluidité et de consistance vague. La chaleur, la fraîcheur, l'odeur sont ou bien simplement des qualités de substances, ou bien des émanations vaporeuses. De là vient, comme je l'ai déjà dit, l'insistance avec laquelle les Pères corrigent le défaut de telles comparaisons, en affirmant sans cesse la subsistence substantielle du Saint-Esprit.

En second lieu, on remarque un caractère d'expansion et de vertu manifestatrice, et c'est là que nous retrouvons le diagramme grec.

Saint Damascène l'exprime clairement dans une phrase destinée à affirmer à la fois l'unité de substance et la Trinité de Personnes.

Ainsi - dit-il - le rosier, la fleur et la bonne odeur de chacun d'eux sont en réalité et sont nommés rosier, et lorsqu'on les énumère, on ne compte pas trois rosiers, mais on dit : le rosier, soit de la racine, soit de la tige, soit de la fleur.

S. Damascène, Dialog. cont. Manich.,§ 8. — M. XCIV, col. 1513.

J'aime cette comparaison de la racine, de la tige et de la fleur. La fleur est vraiment le terme, le bout, du développement vital de l'arbuste. Elle procède de la racine ; elle procède de la tige ; elle procède de l'une et de l'autre par un même mouvement de la sève. Mais elle vient après la tige, en qui elle demeure, comme le complément - plèrôma - du rosier. Mais j'aime encore mieux la comparaison du rosier, de la rose, et de leur parfum.

Car le parfum a un caractère de plus grand épanouissement. C'est une pure qualité qui se diffuse partout; il est subtil, mobile, unique et multiple, toujours pur, suave, pénétrant (Sagesse 7 ; 22). Il est le parfum du rosier, il est le parfum de la rose ; car il procède à la fois du rosier et de la ros, du rosier par la rose. Qualité manifestante par excellence ; car c'est par ses effluves de parfum que le rosier se manifeste, fait connaître sa nature, attire ceux que charme cette agréable odeur. Qualité perfectionnante ; car c'est par son parfum que le rosier embaume les objets extérieurs, en les imprégnant de la bonne odeur de la rose.


§ 6. — Beaux développements de saint Cyrille.

J'ai emprunté ces considérations à saint Cyrille qui les développe, avec son ampleur ordinaire, dans un passage que je veux résumer pour couronner ce chapitre.

Dans son commentaire sur saint Jean, parvenu au texte : Il [l'Esprit] me glorifiera [le Christ], car c'est de mon bien qu'il prendra pour vous en faire part (Jn. 16 ; 14) :

Le Saint-Esprit - dit-il - montrera que le Christ n'est pas un simple prophète, comme le supposaient les Juifs, mais qu'il est « véritablement Dieu, et fruit de la substance de Dieu le Père ». Ces mots : c'est de mon bien qu'il prendra, signifient que l'Esprit « est consubstantiel au Fils, procède par lui - proeisi di'autou, possédant la plus parfaite puissance et opération ; voilà pourquoi le Christ dit : car c'est de mon bien qu'il prendra.

Nous professons que l'Esprit subsiste en soi-même, qu'il est en vérité tout ce que l'Écriture dit de lui, et que sa subsistence est dans la substance même de Dieu, dont elle procède, dont elle forme comme une saillie, dont elle possède naturellement toutes les perfections. Car l'Esprit n'a pas ces perfections par participation, ou transitoirement ; il n'est pas autre chose que la substance divine, puisqu'il en est le propre.

Ainsi le parfum, qui s'exhale des fleurs odoriférantes, recevant d'une certaine manière leur substantielle et naturelle action, si l'on veut, leur qualité, les fait connaître au dehors, en tombant dans les organes de l'olfaction. À le considérer en lui-même et par voie de distinction, ce parfum semble être différent de la nature qui l'envoie, et cependant en réalité, il n'a pas une autre nature que celle des fleurs en qui il existe et d'où il s'exhale. Voilà comment il faut concevoir, quoique d'une manière plus sublime, Dieu et le Saint-Esprit.

S. Cyrille, In Joannem Comment., lib. XI — M. LXXIV, col. 448 et 449.

Saint Cyrille revient encore sur cette même pensée en interprétant le verset suivant : Tout ce qu'a mon Père est à Moi. Voilà pourquoi j'ai dit : c'est de mon bien qu'il prendra pour vous en faire part (Jn. 16 ; 15). Ces paroles - dit-il - montrent que le Christ est « le fruit de la substance du Père, possédant en propre toute sa Nature et toutes ses perfections ». Tout ce qui est du Père est du Fils. Or le Père possède l'Esprit comme un bien qui lui est propre, qui est sa propre substance, qui procède de lui en unité de substance, et qui révèle comme ses propres attributs toutes les perfecfions de celui de qui et en qui il est. « Car Dieu n'a pas de commerce avec la créature, autrement que par le Fils dans l'Esprit ».

En outre, l'Esprit est le propre du Fils, puisque celui-ci est consubstantiel au Père ; aussi le Fils agit par lui de la même manière que le Père. Voilà ce que signifie le mot recevoir. Ce n'est pas acquérir, ce n'est pas tantôt avoir, tantôt n'avoir pas.

Car toujours sage et puissant est l'Esprit, ou mieux, il est réellement la sagesse et la puissance, non par participation, mais par Nature.

Ainsi lorsque nous disons que le parfum qui s'exhale des aromates, parvient à nos sens, par la pensée nous le distinguons de sa source, comme s'il en avait reçu le pouvoir de la manifester ; mais nous savons qu'il n'est pas d'une nature différente des substances où il existe et dont il s'exhale.

Pensez de même de Dieu et du Saint-Esprit, en élevant et purifiant vos concepts. Considérez le Saint-Esprit comme une certaine odeur de la substance divine, mais odeur substantielle, vivante, et active, transmettant à la création tout ce qui vient de Dieu, et par elle-même infusant la participation de la substance infinie.

En effet, si le parfum des aromates possède en propre la vertu d'imprégner les vêtements, et en quelque sorte de transformer en elle-même les étoffes où il a pénétré ; comment le Saint-Esprit, qui procède de Dieu par Nature, ne serait-il pas assez fort pour communiquer la divine Nature à ceux en qui il existe ?

S. Cyrille, In Joannem Comment., lib. XI — M. LXXIV, col. 452 et 453.


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