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P. Théodore de Régnon : Études de Théologie Positive. Vérité et formalité du Concept

P. Théodore de Régnon - Études de Théologie positive
Vérité et Formalité du Concept

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Le problème de la connaissance
Vérité du Concept
Formalité du Concept
Analyse d'un concept complexe
Conclusions pratiques

- Vérité et Formalité du Concept -

- CHAPITRE I -
LE PROBLÈME DE LA CONNAISSANCE


En ces temps heureux où les étudiants étaient studieux - et les lecteurs, persévérants, il était possible de placer à la tête d'un savant et copieux travail d'érudition, une « Introduction » qui précisait les termes techniques, offrait les définitions nécessaires et précisait le contexte philosophique de la recherche.

Aujourd'hui, ce n'est plus possible : le lecteur refermera promptement le volume, sans demander son reste... C'est pourquoi nous avons jugé bon de placer ici ce texte du P. Théodore de Régnon - texte qui constituait l'Introduction de ses Études de Théologie positive sur la Sainte Trinité, en tête du premier des quatre volumes de cette oeuvre remarquable, tant par sa profondeur que par son étendue.

Ce texte garde son intérêt, car il nous donne la Théorie du Langage élaborée par l'Auteur. Après que le lecteur ait pris connaissance des Études, le voici suffisamment armé pour ne pas déclarer forfait devant les subtiles réflexions du P. de Régnon, concernant le circuit de la pensée.


§ 1. — But de cette Introduction.

oèce, adressant à quelque ami son traité le plus obscur et le plus profond, lui dit en commençant :

Ne crains pas les obscurités inhérentes à la brièveté du langage ; car elles sauvegardent le secret de la pensée et ne la livrent qu'à ceux qui sont dignes de l'entendre.

Boetius, De Hebdomadibus, initio.

Pour moi, tout au contraire, je désire rendre accessible à tous le langage des Pères et des Docteurs au sujet de la Trinité.

Pour que ce langage, toujours si haut et quelquefois si poétique, soit entendu de manière à engendrer la conviction, il faut que le lecteur soit préparé à en comprendre la portée et l'exactitude. Faute de cette préparation, on ne voit souvent, dans les plus profondes considérations, rien autre chose que les fleurs d'une belle imagination. Il est assez de mode de se débarrasser respectueusement de certains textes, en disant que les Pères ont parlé oratorio modo - par manière de piété.

Or, on en juge autrement, lorsqu'on parvient à assouplir assez son esprit pour l'habituer à penser comme les Pères. Cette éducation est plus pénible qu'on ne le supposerait au premier abord. Car, outre qu'il faut apprendre à modeler ses concepts sous différentes formes, il faut pouvoir contrôler l'exactitude de sa pensée sous chacune de ces formes. Lorsque nous avons pris l'habitude de concevoir une vérité d'une certaine manière, il nous semble impossible qu'on puisse la concevoir autrement. Pour rompre avec cette étroitesse d'esprit, je veux étudier le rapport entre la vérité et la formalité de nos concepts. Cela revient à étudier le problème de la connaissance humaine.


§ 2. — En quoi consiste le problème de la connaissance.

La première condition pour résoudre un problème est de le poser d'une manière claire. Pour cela il faut, avant tout, partir de définitions précises ; et cette précaution est plus importante dans la question actuelle, parce que les divers systèmes ont attaché aux mêmes mots des significations différentes.

Afin de mieux faire comprendre et les définitions que j'admets et la façon dont se présente le problème, je proposerai d'abord un exemple.

Par les brouillards du matin je vois se lever un soeil rouge. Dans cet acte de vision, je distingue quatre choses :
— le sujet voyant,
— l'opération de la vision,
— le terme de la vision,
— l'objet de la vision.

— Le sujet voyant est un homme existant,
— l'opération est une sensation existante,
— l'objet de la vision est le soleil existant.
— Quant au soleil rouge, qu'est-ce bien, puisque le soleil existant est jaune ? J'appelle ce soleil rouge «le terme de la vision», c'est-à-dire le terme d'une sensation existante.

Or le problème de la connaissance visuelle est le suivant : Quelle relation y a-t-il entre le terme de ma sensation et l'objet que je prétends atteindre par la vision ?

Le problème de la connaissance intellectuelle se pose d'une façon analogue, puisque l'opération de la pensée est naturellement comparée à la vision sensible. Lorsque je pense à un lion ou à un chêne, je distingue encore quatre choses :
— le sujet pensant qui est un homme existant,
— la pensée qui est une opération existant dans cet homme,
— l'idée ou terme de la pensée que j'appelle concept formel,
— et l'objet de la pensée qui est une substance existante.

- Tous s'accordent à reconnaître l'existence du sujet pensant et de la pensée.
- Tous s'accordent à reconnaître que la pensée se termine à un concept formel.
Mais les sceptiques nient toute relation de similitude entre ce concept formel et son objet : ils demandent même s'il y a une réalité qui corresponde à ce concept.

J'ai prononcé le mot : réalité. Il faut encore bien s'entendre sur la signification de ce mot. Je m'en tiens à la définition de l'Académie française : « RÉALITÉ, existence effective, chose réelle : ce n'est pas une fiction, c'est une réalité », c'est-à-dire, ce n'est pas un produit de mon imagination ou de ma rêverie, c'est quelque chose qui existe indépendamment de mon opération intellectuelle ou sensitive.

Le sujet pensant est une réalité. La pensée est une réalité subjective, c'est-à-dire quelque chose qui existe réellement dans un sujet réel. On pourrait même ajouter que le concept formel est une réalité subjective, en ce sens qu'il est le terme essentiel d'une pensée réelle.
Quant à l'objet de cette pensée, s'il existe réellement, je l'appelle réalité objective : — « réalité », parce qu'il existe indépendamment de ma pensée; — « objective », parce qu'il est l'objet de ma pensée.

En s'en tenant à ces définitions, on peut donc poser sous les termes suivants le problème de la connaissance intellectuelle :
— Existe-t-il des réalités objectives qui répondent aux réalités subjectives ?
— Pouvons-nous légitimement passer du concept formel à l'objet réel ?
— Avons-nous le droit de rapporter aux réalités objectives les affirmations que nous trouvons dans nos concepts ?


§ 3. — Des diverses écoles philosophiques.

La conscience universelle de l'humanité affirme que l'intelligence est faite pour connaître ce qui existe réellement. Elle affirme que nos concepts subjectifs répondent à des réalités objectives ; que nous connaissons, non seulement nos concepts, mais encore dans ces concepts les objets réels extérieurs à nous-mêmes.

Cette proposition est le principe fondamental de la philosophie dite Réaliste. L'intelligence humaine, lorsqu'on ne la torture pas, est naturellement réaliste. De là vient qu'on donne au concept formel le nom d'« idée », c'est-à-dire d'image intellectuelle de l'objet. De là vient aussi cette belle définition : La vérité est la conformité adéquate de l'intelligence et de la réalité - veritas est adaequatio rei et inlellectus.

Mais ce passage très légitime du concept à la réalité objective offre pourtant ses dangers, si l'on ne se rend pas un compte suffisant du jeu de nos facultés. Avant que l'enfant n'ait achevé l'éducation expérimentale de ses sens, il prend pour un corps l'image que lui fournit un miroir. Avant que l'optique n'eût découvert les lois de la réfraction lumineuse, on croyait que l'arc-en-ciel était réellement peint sur les nuages. En métaphysique, des illusions semblables se sont rencontrées.

Abusant de la formule péripatéticienne : intellectus fit intellectum - la compréhension fait l'entendement, certains philosophes ont cru que l'intelligence se moulait, pour ainsi dire, plastiquement sur la réalité objective, et que nos concepts étaient les empreintes exactes des objets extérieurs. Par un retour nécessaire, ils ont transporté dans les objets eux-mêmes tous les éléments de la pensée et de la parole. Ils ont construit la réalité objective de pièces et de morceaux comme la phrase qui sert à l'exprimer : d'une part, ce qui s'exprime par le substantif, c'est-à-dire la substance ; d'autre part, tout ce qui s'exprime par les adjectifs, savoir, les accidents, mot qui correspond bien à la même idée d'adjonction, d'accès, de contiguïté.

Ce n'est pas tout. La faculté d'abstraction permettant de concentrer la pensée sur quelqu'un de ces accidents, et la nécessité de la parole exigeant un substantif pour sujet du discours, les adjectifs se transforment dans le langage et dans le concept en substantifs tels que : la blancheur, le blanc. Certainement ce langage est légitime, au moins autant que toute métaphore, mais comme la métaphore, il devient un écueil pour celui qui juge trop servilement des réalités par les formes de la parole.

Certains scolastiques ont doué les accidents dénommés par les substantifs, de je ne sais quelle existence propre, qui serait un diminutif de l'existence substantielle. Par là, le monde des réalités objectives s'est peuplé « d'entités » accidentelles ; qualités, quantités, dispositions, relations, classées suivant les catégories d'Aristote ; sorte d'êtres inférieurs ayant chacun sa réalité propre et séparable, mais dont le rôle naturel serait d'accourir sur la substance pour s'y appliquer comme un vêtement ou un enduit.

Tel fut le système qu'on appelle le Formalisme. Son principe fut la passivité de l'intelligence ; sa méthode, le servilisme vis-à-vis des formes du langage. C'était se livrer, pieds et poings liés, aux grammairiens, race loquace, et aux dialecticiens, race ergoteuse.

Ceux-ci le comprirent, et s'empressèrent de dresser contre les Formalistes toutes leurs machines d'argumentation. Ils les poussèrent à de tels extrêmes qu'ils ébranlèrent leur crédit, et ce ne fut pas sans atteindre le Réalisme lui-même compromis par des exagérations.

Les dialecticiens, abusant donc à leur tour de leur victoire, osèrent prétendre que la philosophie se réduit à une simple question de grammaire, ou, tout au plus, à une classification de concepts subjectifs. D'où l'appellation de Nominalisme donnée à cette secte.

La conscience humaine éprouve une telle répugnance à renier le commerce intellectuel avec les réalités objectives, que le Nominalisme n'a jamais pu asseoir son règne d'une manière durable. Ce fut, à l'origine, moins une école d'enseignement qu'un arsenal où l'on se fournissait d'armes contre les Formalistes. Au philosophe Kant était réservé le triste honneur de réunir toutes les forces éparses du Nominalisme, de systématiser toutes ses négations par une puissante sophistique, et de claquemurer l'intelligence humaine en compagnie de ses seuls concepts. Aussi bien cette horrible séquestration, qui rappelle le supplice d'Ugolin [Ugolin a été placé par Dante dans le dernier cercle de son Enfer, dans une zone où sont punis des damnés, emprisonnés dans de la glace, qui ont trahi leur patrie ou leurs compagnons], porte-t-elle actuellement le nom de Kantisme.

Mais, Dieu merci, entre les négations sceptiques du Kantisme et les affirmations naïves du Formalisme, il y a un large champ pour la saine doctrine du Réalisme. Cette doctrine consiste à distinguer entre la « vérité » et la « formalité » du concept :
— vérité qui provient du commerce essentiel de l'intelligence avec la réalité objective ;
— formalité qui résulte des conditions naturelles de nos conceptions.

Le Réalisme de nos docteurs soutient que l'affirmation qui termine un concept évident est une affirmation légitime, conforme à la réalité, « vraie » pour tout dire d'un seul mot.

Mais ce Réalisme se sépare du Formalisme, en restituant à l'intelligence son activité vitale. Pour nous, l'intelligence humaine n'est pas une simple argile recevant passivement des empreintes, ni un miroir reflétant servilement des images. C'est une faculté vivante, qui « conçoit et enfante ». D'où résulte que dans tout concept existe une double ressemblance : ressemblance à la réalité objective, et c'est ce qu'on appelle vérité du concept ; ressemblance à la faculté qui conçoit, et c'est ce qui détermine la formalité du concept.

Dans notre intelligence - dit saint Thomas - les choses sont d'une autre manière qu'en elles-mêmes. Car il est manifeste que notre intelligence conçoit d'une façon immatérielle les êtres qui sont au-dessous d'elle, non qu'elle conçoive qu'ils sont immatériels, mais parce qu'elle a une manière immatérielle de concevoir. De même, lorsqu'elle conçoit les êtres simples qui sont au-dessus d'elle, elle les conçoit à sa manière, c'est-à-dire d'une manière composée, non cependant qu'elle conçoive qu'ils sont composés.

S. Thomas, Somme théol., I, q. 13, a. 12, ad 3um.


§ 4. — Comparaison qui éclaircit ce qui précède.

J'ai dit que tous les peuples assimilent la connaissance intellectuelle à la vision sensible. Cherchons donc dans cette opération physiologique de quoi éclaircir la discussion précédente des systèmes.

Votre regard se repose sur le tapis vert d'une prairie.

Un Formaliste dirait, conformément à l'ancienne physique, que le vert est un « accident » soutenu, il est vrai, par la substance de l'herbe, mais existant réellement, a parte rei, sous la formalité de vert. Il ajouterait que votre organe, mis en relation avec la qualité du vert par le moyen « d'espèces sensibles », autres entités réelles, reçoit passivement l'impression du vert. Et c'est ainsi que vous voyez vert parce que le vert existe tout formé sur l'herbe.

Un Nominaliste dirait que votre organe produit le vert de toutes pièces par une activité interne qui tire tout d'elle-même, comme on le constate dans les hallucinations (« La vision n'est peut-être qu'une hallucination continuelle » - Taine).

Un physicien moderne dira que la feuille d'herbe modifie le groupement primitif des ondulations lumineuses, et ne renvoie à l'œil que celles dont la vitesse vibratoire peut déterminer la sensation du vert. Le vert est donc formellement le « terme sensitif » d'une opération organique ; car sans œil qui voit, il n'y a nulle part une qualité verte. Mais c'est réellement le pré que je vois sous la couleur verte, parce que dans cet objet réside la cause déterminante et objective de la sensation du vert. En un mot, la sensation du vert répond à une réalité objective, mais sa formalité est subjective. Telle est l'explication de la science moderne.

Eh bien, cette explication du problème de la vision est tout à fait en harmonie avec l'explication réaliste du problème de la pensée, et nul doute que si les docteurs du treizième siècle l'eussent connue, ils n'en eussent tiré grand parti pour expliquer leur distinction entre la vérité et la formalité du concept intellectuel.

Je sais qu'on ne doit comparer la vision sensible à la vision intellectuelle que sous de grandes réserves ; car il y a un abîme entre la faculté de l'absolu et la faculté du phénomène matériel. Mais il n'en reste pas moins qu'on peut s'aider de ce rapprochement, puisque, dans les deux cas, il s'agit de trouver la connexion entre la réalité objective et sa représentation subjective.

En résumé, le Nominaliste nie tout rapport entre la faculté pensante et la réalité objective.
Le Formaliste réduit la faculté à l'état de puissance purement passive.
Le Réaliste admet à la fois une passivité et une activité de l'intelligence humaine. La faculté est passive en ce sens qu'elle reçoit de la réalité ce qui fait la vérité de son acte ; elle est active, en ce sens qu'elle détermine la formalité du concept dans lequel la vérité est exprimée. Vérité et formalité : deux caractères que nous allons étudier successivement.


- CHAPITRE II -
VÉRITÉ DU CONCEPT


§ 1. — Activité de l'intelligence.

La théorie réaliste est, pour ainsi dire, instinctive à l'homme. Je n'en veux pour preuve que le langage vulgaire. «Concevoir» une pensée, « exprimer » une vérité : ces mots indiquent une opération vitale qui forme d'abord son fruit dans les entrailles de la faculté, et qui le produit ensuite au dehors.

De tout temps, la Scolastique a hautement affirmé l'activité de l'intelligence. Mais, il faut l'avouer, quelques grands auteurs ont insisté davantage sur la passivité de la faculté intellectuelle, et par là ont prêté des armes an Formalisme.

On ne s'en étonnera pas si l'on tient compte de l'état des sciences naturelles au Moyen-Age. En effet, une des conditions de notre pensée est qu'elle soit accompagnée d'une image qui en constitue comme le corps et le vêtement, et trop souvent cette image sert de guide à notre méditation. D'ailleurs cette image est généralement empruntée aux objets et aux phénomènes qui nous sont familiers. Or nos pères n'avaient guère étudié que les mouvements purement matériels et locaux.

Aussi les philosophes tiraient-ils la plupart de leurs comparaisons de la hache ou du marteau. Et comme ces corps sont inertes par eux-mêmes, de telles images inclinaient à considérer toute activité comme une impulsion ou un choc. De là une conception peut-être un peu trop mécanique du mouvement vital, qu'il s'agît de la sensation ou de la perception.

De là ces « espèces sensibles », semblant partir de l'objet comme des fantômes aériens pour pénétrer dans l'œil et s'y imprimer. De là ce dédoublement trop radical entre l'intellect agent et l'intellect passif, et ces « espèces intelligibles », élaborées par le premier et se fixant dans le second. De là, en un mot, tout ce mécanisme compliqué pour mettre en acte les facultés vivantes.

De nos jours, la physiologie des êtres vivants est étudiée avec une ardeur merveilleuse, et les succès obtenus prouvent une fois de plus cette vérité que toute science, cultivée avec exactitude, conduira toujours à Dieu, malgré les intentions les plus perfides. Plusieurs matérialistes n'ont entrepris leurs plus remarquables travaux que dans le but avoué de réduire les phénomènes vitaux à des mouvements mécaniques et à des transformations chimiques. Or toutes leurs découvertes ont eu pour résultat de mieux faire comprendre que la vie part d'un principe intrinsèque, non seulement irréductible, mais encore non comparable à quelque force matérielle que ce soit.

Eh bien, je le demande : si un Albert le Grand, si un saint Thomas avaient connu la physiologie moderne, ne l'auraient-ils pas mise à contribution pour expliquer la vitalité et l'activité de l'intelligence humaine ? Sans doute, ils auraient toujours comparé les opérations de la pensée à celles de la vision, car cette assimilation s'impose d'elle-même. Mais n'auraient-ils pas profité des théories modernes pour expliquer, mieux qu'ils n'ont pu le faire avec la physique d'Aristote, comment le concept intellectuel part des profondeurs de l'âme et se formalise dans un développement vital ?

On sait, actuellement, quel est le circuit de l'acte de vision. Le groupe des chocs vibratoires qui atteignent la rétine se transforme dans le nerf optique, et une certaine influence pénètre jusqu'au cerveau dans quelque sensorium. Alors l'activité vitale produit en retour une sensation, dont la forme dépend de tout l'ensemble de l'appareil vivant destiné à la vue, et dont le terme, verbum expressum, est une couleur déterminée. La sensation est tellement un acte vital, procédant du dedans au dehors, — vita est motus ab intrinseco, — qu'il peut bien y avoir sensation visive sans objet extérieur, comme on le constate dans l'hallucination ; mais que jamais aucun ébranlement extérieur ne pourra provoquer une sensation, si la route jusqu'au cerveau est interceptée en quelque point.

Il en est de même de l'acte intellectuel. Quelle que soit la parole entendue, quelle que soit la phrase lue, quelle que soit la notion que puisse fournir une sensation quelconque, il faut, pour qu'elle devienne un concept, que cette notion pénètre d'abord jusqu'au sanctuaire le plus intime de l'âme. Alors surgit de ces profondeurs vivantes une affirmation active qui revient à la conscience et s'épanouit dans un concept formel, verbum expressum, suivant les lois de notre vie intellectuelle.


§ 2. — Circuit de la pensée.

Quelque instructive que soit la comparaison de la pensée à la vision sensible, elle est très défectueuse ; car entre ces deux opérations il y a une différence aussi grande qu'entre un animal et un homme.
Cherchons donc si, dans les choses intellectuelles de l'homme, il n'y a rien qui puisse nous éclairer sur la genèse de la pensée.

Qu'est-ce que la science acquise ? J'entends par ce mot, non pas un ensemble de propositions, mais l'état mental du savant. Si large que soit la part matérielle qu'on accorde à la mémoire, un philosophe spiritualiste ne réduira pas la science du mathématicien à un simple agencement de cellules cérébrales. D'ailleurs, la science est-elle donc uniquement affaire de mémoire ? Est-elle une simple collection de concepts tout formés, et conservés comme les mots d'une leçon apprise par cœur ? Sans doute, le savant peut rappeler à son souvenir les propositions successives par lesquelles il a acquis son instruction. Mais de sa science ne peut-il pas tirer des concepts nouveaux ?

N'est-ce pas même cette fécondité qui distingue du simple érudit le véritable savant ? Concluons que la science réside réellement dans un fond actif.

Aristote l'appelle hexis, c'est-à-dire un « avoir » ; ce que les scolastiques ont traduit par habitus, et je prie le lecteur de bien retenir ce mot et son véritable sens. C'est un « avoir », un trésor, acquis par l'étude sans doute, mais en même temps un trésor actif et générateur. Ce trésor actif, cet « avoir » vivant, cet habitus, existe dans le savant, fait partie de sa vie intellectuelle, qu'il y pense ou qu'il n'y pense pas, qu'il veille ou qu'il dorme ; et c'est cet avoir qui foisonne, lorsque le savant ramène ses concepts particuliers à la surface de sa conscience.

Or, si je ne m'abuse, science dit formellement connaissance. On est donc contraint d'admettre que, dans le savant, il y a un état intellectuel, qu'on peut appeler une connaissance latente, et dont l'homme n'a pas toujours la conscience actuelle, explicite, réflexe. Par là nous sommes amenés à cette importante conclusion que la pensée peut partir d'une source située sous l'horizon de la conscience psychologique.

Poursuivons encore l'étude de la science ; car elle nous fournit d'autres lumières sur la genèse même de nos concepts formels.

Je distingue, relativement à la science, deux mouvements : le mouvement par lequel on l'acquiert, le mouvement par lequel on en fait usage. La science s'acquiert par une série de concepts successifs dont on a conscience. Mais ces concepts s'engagent, pour ainsi dire, dans l'intérieur de l'intelligence, se réunissent et se fondent dans un même avoir qui demeure à l'état latent.

Voici un premier mouvement qu'on peut appeler centripète. Lorsque le savant veut faire usage de sa science, en prendre possession de façon réflexive, il faut que son énergie mentale la ramène de ces profondeurs jusqu'à la surface de la conscience. Voici un second mouvement qu'on peut appeler centrifuge.

Or, chose bien à remarquer, le savant ne peut extraire sa science que par lambeaux et sous forme de propositions particulières et successives. Donc au départ et à la fin de ce circuit, on ne constate que des concepts particuliers successifs, et cette similitude initiale et finale des états intellectuels pourrait faire oublier le circuit lui-même, si le savant n'avait conscience que d'abord il recevait du dehors ses connaissances, et que maintenant il les tire du dedans. D'ailleurs cette similitude d'état n'est qu'apparente. Car les concepts qui surgissent dans la méditation du savant ne sont pas toujours les mêmes que ceux par lesquels il a acquis la science ; et sont-ils exactement les mêmes, ils se présentent de nouveau à l'esprit avec une clarté d'évidence, avec une intensité de vérité qu'ils n'avaient pas d'abord, et qu'ils doivent à leur séjour dans le sein vivant de la science.

Aussi bien, ne disons plus que la science est un trésor, car cette expression répond à quelque chose d'inactif. Disons que la science est une « disposition vitale », conformément au véritable sens du mot scolastique : habitus. C'est une vie, mais endormie, suivant l'expression d'Aristote ; et lorsque le savant touche sa science par un acte de réflexion, elle s'éveille, s'agite, et se montre au-dehors.

Le lecteur doit se rendre compte du circuit de la pensée scientifique. Je ne l'ai expliqué que pour fournir une image d'un autre circuit intellectuel bien autrement général, que doit parcourir toute pensée humaine avant de se reposer dans un concept formel. La première notion vient du dehors, suivant l'adage péripatéticien : Nil est in intellectu quin prius fuerit in sensu - rien ne se trouve dans l'entendement, qui ne fut préalablement dans les sens. Mais elle s'engage dans les profondeurs de l'intelligence, et pénètre jusqu'à un sanctuaire mystérieux où elle se fait juger, pour revenir à la surface de la conscience avec le sceau de la certitude.

Quel est ce sanctuaire ?


§ 3. — « Intellectus seu habitus principorum - l'entendement a le pouvoir de reconnaître les notions premières ».

Le Prince de la Logique montre dans ses Analytiques que la « science » est un enchaînement rationnel de principes et de conséquences, en vertu duquel la certitude des principes s'étend jusqu'aux conséquences par voie démonstrative : d'où il résulte que la vérité des conséquences est connue dans la vérité des principes.

Mais comment - dit-il - connaître ces principes eux-mêmes ? Sans doute, il faut tenir compte de la subordination des sciences, et les principes d'une science subalterne peuvent être démontrés dans une science supérieure. Mais on ne peut pas remonter indéfiniment de sciences en sciences, de principes en principes. On parvient nécessairement à des « principes premiers » qui démontrent tout et qui ne sont démontrés par rien. Donc, conclut hardiment Aristote, ces principes sont connus par eux-mêmes, per se nota. Donc, poursuit-il avec la même fermeté, l'intelligence possède la vertu de reconnaître immédiatement la vérité des notions premières.

Cette vertu est naturelle ; elle est commune à tous les hommes qui jouissent de leurs facultés intellectuelles. Aristote l'appelle Nous [entendement], mot que la Scolastique a traduit par Intellectus. Pour bien entendre ces mots, prenez garde à l'amphibologie. Ils ne signifient pas ici la substance intellectuelle, ni même la faculté qu'on nomme l'intelligence, par opposition à la faculté qu'on nomme la volonté. Nous, Intellectus signifient, dans le cas qui nous occupe, une certaine vertu de la faculté intellectuelle, une disposition native de l'intelligence, l'hexis - habitus, un pouvoir habituel de reconnaître immédiatement la vérité de certaines notions absolues qu'on nomme « notions premières », et de certaines propositions relatives à ces notions qu'on nomme « principes premiers ».

Par intelligence, on n’entend pas ici la faculté intellectuelle. On prend le mot comme impliquant la droite estimation de quelque principe initial que l’on accepte comme connu par soi, dans le sens où l’on dit que nous avons l’intelligence des premiers principes de la démonstration.

S. Thomas, II, II, q. 49, a. 2.

Le vrai - dit saint Thomas - peut être considéré de deux manières. Ou bien c'est le vrai connu par soi-même, per se notum, ou bien c'est le vrai connu par autre que soi. Or ce qui est connu par soi-même tient la place de principe et est perçu immédiatement par l'intelligence. Voilà pourquoi la vertu, habitus, qui parfait l'intelligence à l'égard de cette sorte de vrai, s'appelle l'intellect ou la vertu des principes.

S. Thomas, I, II, q. 87, a. 2.

Platon s'est trompé, s'il est vrai qu'il ait réduit l'activité intellectuelle à une mémoire qui se serait garnie dans une existence antérieure. D'autres se sont également trompés en croyant à une collection d'idées innées que la nature aurait juxtaposées dans l'âme comme des grains de blé dans un boisseau. Toutes ces erreurs sont empreintes de Formalisme, en ce sens qu'elles proviennent d'un manque de confiance dans l'activité vitale de l'intelligence humaine.

La seule doctrine digne de l'âme est celle qui attribue à l'intelligence un rôle actif dans la certitude de sa connaissance. L'intelligence est douée de cette vertu qu'elle perçoit immédiatement la vérité des notions premières et des principes premiers, et qu'elle en affirme avec certitude la réalité objective ou l'absolue nécessité. Cette vertu, ce pouvoir, qu'on nomme « l'intellect » ou l'habitus principiorum, tel est le sanctuaire intime de la vérité et de la certitude.

Mais s'il en est ainsi, deux conclusions s'imposent, et elles sont capitales.

Puisque l'intellect est le juge suprême de la certitude, nous devons conclure qu'aucune notion particulière n'est reconnue certaine, à moins qu'elle n'ait d'abord passé devant ce tribunal.
Et puisque l'intellect ne prononce que sur certaines notions premières, nous devons encore conclure que, pour juger de la vérité d'une notion quelconque, il faut d'abord la comparer aux notions premières qui résident dans le sanctuaire de l'intellect.

Voilà donc un mouvement intellectuel centripète, qu'on peut comparer à la pénétration d'une impression lumineuse jusqu'au sensorium optique, ou mieux à la comparution d'une proposition particulière au tribunal de la science. Le fait individuel, la notion singulière, la proposition particulière, se dépouillent des formalités subjectives qui les revêtent, pour que leur substance toute nue pénètre dans l'intellect et se présente devant le tribunal qui prononce sur les réalités.


§ 4. — Raison de la certitude.

L'intellect ou habitus principiorum est une vertu qui permet à l'intelligence de connaître et d'affirmer la vérité des premiers principes. Cette vertu est naturelle à tous les hommes. Et déjà nous pouvons conclure que l'affirmation de l'intellect ne peut pas être fausse ; car la nature ne trompe pas.Une puissance naturelle, dit saint Thomas, ne peut être en défaut par rapport à son propre objet :

Voilà pourquoi l'intellect ne peut errer à l'égard des propositions qui sont connues immédiatement dans leurs termes, et c'est le cas des principes d'où dérivent la certitude et la vérité de toute science démonstrative.

S. Thomas. I, q. 85, a. 6.

Cherchons à pénétrer davantage dans l'étude de cette merveilleuse puissance. Car il y a lieu d'admirer comment une intelligence contingente affirme le nécessaire et l'absolu des choses.

Trouve-t-elle en elle-même ces notions ou bien les puise-t-elle ailleurs ? — En elle-même, répond la Scolastique, mais en elle-même constituée par une relation essentielle à sa Cause absolue et nécessaire ; en elle-même vivant et connaissant sous l'influence magistrale de la Vérité incréée.

Reproduisons un enseignement de saint Thomas qu'on cite souvent, et qu'on ne peut trop répéter. Le saint Docteur se demande comment l'âme humaine connaît dans les raisons éternelles, et il répond :

De même que l'on dit voir dans le soleil ce que l'on voit par le soleil ; de même il faut nécessairement dire que l'âme humaine connaît tout dans les raisons éternelles ; c’est en participant d’elles que nous connaissons toutes choses. Car la lumière intellectuelle qui est en nous n’est rien d’autre qu’une ressemblance participée de la lumière incréée, en laquelle les raisons éternelles sont contenues. Aussi, à la demande faite dans le Psaume (4 ; 6, 7) : « Beaucoup d’hommes disent : Qui nous fera voir le bonheur ? » le Psalmiste répond : « Elle est marquée sur nous, la lumière de ton visage, Seigneur ». C’est comme si l’on disait : « Par le sceau même de la lumière divine en nous, tout nous est montré ».

S. Thomas, I, q. 84, a. 5.

Sans doute, saint Thomas rejette ensuite les rêveries platoniciennes, et rappelle la nécessité de la sensation et de l'abstraction. Mais il n'en reste pas moins que l'âme ne juge avec fermeté delà réalité objective des choses, qu'après les avoir ramenées dans le reflet créé de cette Lumière incréée qui, seule capable de faire le vrai, est seule capable de faire connaître la vérité. Aussi, dans un autre passage où saint Thomas explique qu'il y a autant de vérités particulières que de choses réelles, il ajoute cependant :

L'âme juge de toutes choses, non pas suivant une vérité quelconque, mais suivant la Vérité Première, qui se réfléchit en elle comme dans un miroir, par rapport aux premiers intelligibles.

S. Thomas, I, q. 16 a. 6, ad 1um.

Donc, encore une fois, c'est au plus profond de l'âme qu'il faut descendre pour rencontrer la vérité de nos concepts et la raison de leur certitude. La Vérité Première crée et maintient dans l'intelligence une énergie assez clairvoyante, pour qu'elle puisse affirmer l'absolu, le nécessaire, l'éternel, l'infini ; et cette énergie vitale est précisément l'intellect : habitus, c'est-à-dire, vertu de l'intelligence, si toutefois on doit l'en distinguer, et non pas la considérer comme le noyau essentiel de l'intelligence même.


§ 5. — Du Kantisme.

La fameuse Critique de la raison pure repose sur la distinction entre les jugements « analytiques » et les jugements « synthétiques ». Kant veut bien admettre la légitimité des premiers parce que, le concept du prédicat étant contenu dans le concept du sujet, de tels jugements se réduisent à la stérile identité : A = A. Mais il dénie toute certitude aux seconds parce que, dit-il, les concepts du prédicat et du sujet étant différents, il n'y a entre eux aucune connexion.

L'erreur de Kant est d'avoir considéré nos concepts uniquement dans leurs formalités, et d'avoir méconnu la source mystérieuse de leur vérité. Il a traité les notions comme les pièces d'un échiquier qu'on éloigne ou qu'on rapproche à son gré, tandis qu'il faut les comparer à des plantes poussant dans une terre féconde. Leurs tiges se montrent distinctes ; mais, dans les profondeurs du sol, là où l'œil de l'observateur ne pénètre pas, leurs racines s'entrecroisent mystérieusement. Peut-être même, toutes ces tiges, si disjointes qu'elles vous semblent, ne sont-elles que les multiples surgeons d'une même souche souterraine, et vivent-elles par une seule et même sève.

Soit, pour exemple, la proposition : « Le monde a été créé par Dieu ». Pensez-vous qu'elle se borne à juxtaposer deux notions indépendantes l'une de l'autre ? Ce jugement est-il purement synthétique, suivant votre terminologie ? Sans doute, les notions formelles du monde et de Dieu, c'est-à-dire, ces concepts qui nous permettent de penser à l'un sans penser à l'autre d'une manière explicite, ces notions, dis-je, semblent séparables. Mais dépouillez la notion du monde des formalités qui lui donnent l'apparence d'une réalité se tenant par elle-même. Considérez sa limitation, sa mutation, sa contingence dans l'espace et dans le temps. Aussitôt ces notions appelleront dans votre esprit les notions corrélatives d'immuable, de nécessaire, de causalité, et l'intellect opérera ce jugement irréfragable que le monde ne peut pas exister sans Dieu qui le produit : pas plus, moins encore qu'il ne peut exister de blancheur sans corps qui la soutienne. Cette proposition : « Le monde est créé par Dieu », malgré son apparence synthétique, est donc un jugement analytique ; car la notion intime du monde contient la notion d'une cause infinie.

Je sais que les kantistes ne voudront voir dans ces explications qu'un plaidoyer en faveur de la certitude métaphysique dont ils ont prononcé la cause perdue en dernier ressort. Aussi je prétends les poursuivre sur leur propre terrain, et les convaincre que la même doctrine s'applique à toute affirmation qui n'est pas un vain bruit.

Leur maître admet la certitude des jugements synthétiques, lorsqu'ils sont certifiés par l'expérience. Choisissons donc le jugement le plus synthétique qu'on puisse imaginer, par exemple, cette affirmation d'observation : « Tel jour la foudre a frappé ce chêne. » On en conviendra, je fais aux kantistes la partie belle. Les deux concepts formels de « foudre » et de « chêne » sont totalement indépendants ; aucun lien entre eux, aucune relation nécessaire. Le rapprochement de la foudre et de ce chêne est un fait accidentel ; le nœud qui les a rattachés a duré autant que l'éclair. L'observation n'a fourni qu'un phénomène passager, et elle ne pouvait fournir autre chose.

Et cependant, l'affirmation : « Tel jour, la foudre a frappé ce chêne » ne tient-elle que par une liaison transitoire ? D'où vient donc qu'elle revêt un caractère absolu ? qu'elle est absolument vraie ? qu'aucun homme, dans aucune langue, ne pourra la nier sans mensonge ? D'où vient qu'il vous est impossible de concevoir une époque où sa vérité aura diminué ? Encore une fois, où prenez vous cet absolu, cette nécessité, cette éternité que vous placez dans l'affirmation d'un phénomène accidentel et transitoire ?

Ces questions s'imposent au philosophe. Une seule réponse est possible, mais elle est péremptoire. Il a fallu que la notion du phénomène ait d'abord pénétré dans l'intelligence jusqu'à un centre mystérieux où l'on juge de l'absolu, pour en revenir ensuite tout imprégnée de nécessité. Cette affirmation ne vous semblait qu'un de ces flots de surface excités par une brise qui passe. Erreur ! vous avez affaire à une vague de fond, partant des abîmes de « l'intellect », et poussée par l'activité vitale jusqu'à la surface de la conscience.

J'ai donc le droit de le déclarer de nouveau : Toute affirmation intellectuelle, quelles que soient ses causes objectives, présuppose une pénétration jusqu'au fond même de « l'intellect », dans ce sanctuaire de vérité où l'intelligence subit l'action de la réalité absolue. Kant a négligé de jeter la sonde dans ces profondeurs de la vie intellectuelle.


- CHAPITRE III -
FORMALITÉ DU CONCEPT


§ 1. — Objet de cet article.

Peut-être juge-t-on qu'à batailler contre les sceptiques, j'oublie les chrétiens que j'ai conviés à adorer nos mystères. Eh non ! je ne m'écarte pas de mon but, qui est de préparer le lecteur à l'étude des Docteurs et des Pères. Mais il fallait bien asseoir d'une manière solide la vérité absolue de nos concepts, avant de montrer tout ce qu'il y a de contingent dans leur formalité. Il fallait d'abord séparer notre Réalisme de tout soupçon de Nominalisme, avant de combattre un Formalisme étroit, qui est le pire ennemi de la haute théologie.

J'ai expliqué, dans l'article précédent, comment la vérité du concept est vraiment objective, c'est-à-dire, comment notre concept atteint la réalité objective. Il s'agit maintenant de montrer combien la formalité du concept est subjective, c'est-à-dire, combien elle dépend du sujet pensant.

En comparant le circuit de toute pensée au circuit de la pensée scientifique, j'ai dit qu'une notion quelconque, provenant d'une influence objective, devait se dépouiller de ses formalités pour pénétrer jusqu'à l'intellect et s'y imprégner de vérité. Reste donc à voir comment la notion revient de ce centre mystérieux vers la conscience, et n'y parvient qu'après avoir pris une forme qui dépend du sein qui l'a conçue. En un mot, il faut étudier cette sentence de saint Thomas à propos de nos concepts formels et explicites :

Il n'est pas nécessaire que les choses qui sont distinguées dans la pensée soient distinctes dans la réalité. Car l'intelligence ne conçoit pas les réalités suivant leur manière d'être réellement, mais suivant sa propre manière d'être.

S. Thomas, I, q. 50, a 2.

Or cette manière d'être correspond à deux choses, savoir : à la nature essentielle de l'âme et à son union naturelle avec le corps. D'où résultent deux sortes de formalités dont la pensée s'imprègne forcément, en revenant des profondeurs de l'intellect à la surface de la conscience.


§ 2. — Première formalité : bornes provenant de l'essence de l'intelligence.

Étudions d'abord les formalités dues à l'essence même de l'intelligence humaine. Cette essence est finie et bornée.

Finie et bornée extrinsèquement, l'intelligence conçoit d'une manière finie et bornée. C'est là une des formalités nécessaires de son concept explicite, c'est-à-dire, tel qu'il se montre d'une manière réflexe à la conscience. Nous pensons à une chose après une autre, sans tenir compte des relations essentielles entre l'une et l'autre. Nous divisons une même réalité ; nous la découpons, si je puis ainsi parler, en morceaux distincts, mieux proportionnés à notre capacité de conception.

C'est ce qui explique comment nous séparons Dieu et le monde dans deux concepts différents, pensant au monde sans penser à Dieu, comme si le créateur et la créature étaient deux réalités existant chacune de son côté par sa propre force d'être, ainsi qu'il en est d'un sculpteur et de sa statue, d'un architecte et de son édifice. Voilà un premier effet de notre nature bornée ; voilà une première formalité de notre concept, et c'est une défaillance dont la cause est subjective.

Finie et bornée intrinsèquement, notre intelligence introduit son propre degré d'être dans les objets de ses concepts. De ce chef, les réalités inférieures sont relevées, les réalités supérieures sont rabaissées par notre pensée. Lorsque nous considérons les perfections divines : sagesse, puissance, bonté, justice, nous les concevons sous les mêmes formalités que les perfections humaines de même nom. Sans doute, nous confessons qu'elles sont infinies, et que sous ce rapport elles dépassent notre concept ; mais elles se distinguent encore les unes des autres par leurs propres formalités. Elles nous apparaissent, pourrais-je dire, infinies en longueur, mais finies en largeur, et de même largeur que les perfections humaines. Voilà le second effet des bornes de notre nature finie ; voilà une seconde formalité de notre concept explicite, et c'est encore une défaillance dont la cause est subjective.

Scot et les Formalistes se sont donc trompés, lorsqu'ils ont soutenu l'univocité de l'être [une notion est « univoque » lorsqu'elle garde le même sens, quel que soit le contexte où elle est employée. L'univocité attribue le même Être à tout ce qui est]. Leur erreur est d'avoir accordé une valeur objective à une univocité qui n'était que subjective.
D'autres scolastiques, comme Suarez, se sont encore trompés lorsque, tout en repoussant l'univocité réelle de l'être, ils ont admis l'univocité de nos deux notions de l'infini et du fini. Leur erreur est d'avoir confondu la vérité avec la formalité du concept explicite.

Quand le regard intellectuel entre par la méditation dans un concept quelconque, sous la formalité toute composée de contingence et de relativité, il rencontre la notion de l'absolu, du nécessaire, de la causalité, comme une vérité qui soutient toute vérité, comme une réalité qui se refuse à toute univocité avec ce qui n'est pas elle.


§ 3. — Deuxième formalité : multiplicité.

Non seulement notre intelligence est finie et bornée dans l'unité de son être ; mais cette unité elle-même est défaillante en ce sens qu'elle n'est pas simple. Notre âme est multiple dans ses attributs, ses facultés, ses opérations. Il en résulte qu'elle est aussi multiple dans sa façon de concevoir, c'est-à-dire qu'elle peut envisager la même réalité de plusieurs manières et sous diverses formalités.

Lorsque vous dites : « Le fini dépend de l'infini » — ou bien : « Ce qui devient est fait par ce qui ne devient pas » — ou bien : « Le mouvement provient d'un moteur immobile » — ou bien : « Le contingent suppose le nécessaire » — ou bien : « Tout degré de perfection dérive d'une perfection absolue » — je vous le demande : toutes ces formules différentes répondent-elles à des vérités différentes ? ou plutôt, si vous dépouillez ces concepts de leurs formalités, ne retrouvez-vous pas au fond la même vérité et la même réalité ?

Dieu seul connaît tout dans un seul et même concept, parce qu'il embrasse tout dans l'éminence de son Être. Quant à la créature, dont l'activité est finie et délimitée, elle ne peut entourer à la fois toute la réalité d'un être, ne fût-ce que d'un grain de sable ; car ce grain de sable est l'escabeau des pieds de Dieu. Or, si l'intelligence humaine ne peut embrasser toute la vérité du moindre des êtres, qu'en sera-t-il, lorsqu'elle s'exerce à la contemplation de quelque vérité suprême ? Incapable de l'enserrer dans un seul concept, et désireuse de la connaître autant qu'il lui est possible, il faut, qu'usant de la multiplicité de ses opérations, elle palpe cette réalité unique de plusieurs manières, et la retourne sur plusieurs faces. Autant de concepts explicites distincts qui se rapportent à la même réalité. Tous ces concepts sont vrais, parce qu'ils répondent tous à la réalité ; mais la différence de leurs formalités provient des diverses façons dont l'intelligence a considéré cet unique objet.


§ 4. — Des diverses sortes de distinctions.

L'occasion se présente ici de rappeler les diverses sortes de distinctions qui sont en usage dans les écoles scolastiques.

On appelle distinction réelle la distinction entre les choses réellement différentes. Il y a distinction réelle entre un homme et un arbre ; il y a distinction réelle entre Pierre, Jacques et Jean.

On appelle distinction de pure raison la distinction que la raison opère entre les deux formes d'un seul et même concept.

On appelle distinction virtuelle une distinction de concepts ayant sa raison dans les choses. Un exemple tiré de la vision sensible peut aider à comprendre cette distinction. J'applique sur une vitre une mince feuille d'or. Si je la regarde par réflexion, je vois jaune et je prononce légitimement : l'or est jaune. Si je la regarde par transparence, je vois vert et je prononce aussi légitimement : l'or est vert. Voilà deux sensations bien différentes, également puisées dans une seule et même substance. Mais elles sont toutes les deux objectivement vraies, parce que dans la nature de cette unique substance résident le fondement et la cause de toutes les deux.

Pour prévenir de fâcheuses amphibologies, d'illustres philosophes ont cru devoir subdiviser la distinction virtuelle en deux classes différentes.

Souvent la multiplicité de concepts, concernant la même réalité, provient de l'éminence de l'objet qui surpasse la capacité de notre intelligence. Ainsi en est-il de la perfection divine. Nous en formons divers concepts. Mais, dit saint Thomas :

À ces concepts multiples et variés de notre intelligence, répond une seule et unique réalité absolument simple et représentée imparfaitement par chacune de nos conceptions.

S. Thomas, I, q. 13, a. 4.

Une telle distinction, prend le nom de distinction de « raison raisonnée », rationis ratiocinatae, pour exprimer et qu'elle n'existe que dans l'esprit, et que l'esprit est contraint de la formuler.

Mais il peut se faire, disent Scot et d'autres philosophes, que dans l'objet lui-même, il y ait lieu de distinguer certaines réalités fondues en une même existence, et que cette distinction précède toute opération de la raison. Par exemple, l'âme humaine équivaut à trois principes de vie : vie rationnelle, vie animale, vie végétative. Dans ce cas, l'identité réelle n'entraîne pas la parfaite simplicité. Ce genre de distinction a reçu le nom de distinction ex natura rei - de la nature des choses. Elle est moindre que la distinction « réelle », et plus grande que la distinction de « raison raisonnée ». Elle se lient du côté des choses. Plus l'esprit comprend l'objet tout entier, plus il affirme cette distinction qui, sans nier l'identité, nie la simplicité.

Je sais que beaucoup d'auteurs n'admettent point cette distinction ; mais il fallait la signaler à l'attention du penseur.


§ 5. — Troisième formalité : composition provenant de la nature spécifique de l'âme.

L'image d'une réalité - dit saint Thomas - existe dans l'intelligence, suivant la manière d'être de l'intelligence, et non suivant la manière d'être de la réalité. D'où il résulte qu'à la composition et à la division du concept répond, à la vérité, quelque chose dans la réalité ; et cependant ce n'est pas de la même manière dans la réalité et dans l'intelligence.

S. Thomas, I, q. 80, a. 5, ad 3um.

Cet enseignement doit nous faire estimer que le concept de l'ange et le concept de l'homme, au sujet de la même vérité, diffèrent autant que la forme d'un ange et la forme d'un homme. L'ange, nature simple, dit saint Thomas, conçoit sans composition, même les réalités composées.

L’intellect angélique et l’intellect divin sont comme les réalités incorruptibles, qui ont toute leur perfection dès le principe. Aussi ont-ils immédiatement la connaissance totale d’une réalité. En connaissant la quiddité [ce qu'une chose est en soi], ils savent donc en même temps tout ce que nous pouvons atteindre par composition, division et raisonnement.

Ibid. in corp.

Nous devons conclure pour une raison contraire, que l'âme humaine, faite pour être la forme d'un corps, conçoit d'une manière qui correspond à la composition de la Nature humaine. Elle divise la réalité, dit saint Thomas, en une sorte de matière et une sorte de forme, comme par exemple : le genre et l'espèce. Elle divise encore la réalité en une sorte de substance et une sorte d'accident, en distinguant le substantif de l'adjectif, comme dans cette phrase : l'homme est blanc. — Mais après ces divisions fondées en raison, elle recompose les parties en affirmant leur identité réelle :

La composition par l’intelligence est le signe de l’identité des éléments qu’on réunit.

S. Thomas, I, q. 85, a. 5, ad 3um.

Ces divisions et ces recompositions sont les expédients nécessaires d'une Nature trop composée pour concevoir simplement. Encore une fois, ce sont là des distinctions qui proviennent de notre manière de concevoir, et qui varient quelquefois pour la même vérité suivant les différents penseurs.


- CHAPITRE IV -
ANALYSE D'UN CONCEPT COMPLEXE


§ 1. — Visée directe et visée indirecte.

C'est ici le lieu de rappeler ce que la Scolastique entendait par les mots : praedicatio in recto vel in obliquo - affirmation directe ou indirecte.

Ces expressions viennent des anciens grammairiens qui appelaient casus rectus le nominatif et casus obliqui le génitif et le datif : mots que nous traduisons par cas direct et cas indirects. La raison de ces désignations est que la pensée tombe « tout droit » et immédiatement sur la chose désignée par le nominatif, et qu'elle n'atteint que de biais, et pour ainsi dire par ricochet, les choses désignées par les autres cas.

— Lorsque je dis : liber Pétri - le livre de Pierre, ma pensée tombe d'abord sur l'objet qui se nomme un livre, mais elle ne s'arrête pas là et poursuit jusqu'à l'homme appelé Pierre, en vertu de la relation de possession qui fait dépendre de Pierre le livre que j'ai visé d'abord.

— Lorsque je dis : Honor Regi - honneur au Roi, ma pensée tombe d'abord sur cette chose qu'on désigne par le mot «honneur» ; mais elle va jusqu'à la personne à qui est attribué cet honneur.

Voici donc une nouvelle complexité dans notre concept. Ne la confondez pas avec celle d'où résulte la distinction virtuelle. Cette dernière distinction provenait de ce que le manque de capacité de notre intelligence la forçait à dédoubler, en deux concepts formellement différents, une seule et même réalité.

Dans le cas actuel, il s'agit d'un seul et unique concept, mais complexe ; il s'agit d'une seule visée, mais en ligne brisée. C'est un seul mouvement conceptuel, d'abord droit, puis oblique ; d'abord atteignant directement, in recto, une objectivité, puis indirectement et de biais, in obliquo, une autre objectivité.

On comprend par là pourquoi l'expression in obliquo a été étendue à l'adjectif par opposition au substantif. Lorsque je dis «un mur blanc», j'atteins d'abord directement, in recto, la substance désignée par le substantif ; mais je poursuis indirectement, in obliquo, jusqu'à la qualité désignée par l'adjectif.

— Soit encore cette phrase : « Rien n'est plus beau que la majesté clémente ». Elle exprime un concept unique et indivisible. Il ne s'agit pas de distinguer la majesté et la clémence d'un même sujet, pour les considérer à part dans deux concepts séparés, praecisivis, comme on dit en Logique. Tout au contraire, il s'agit d'unir ces deux notions dans un seul concept, puisque la beauté résulte formellement d'une alliance de ces deux choses, c'est-à-dire d'une « adjonction » de la clémence sur la substance de la majesté. Dans cet unique concept, la visée tombe in recto sur le substantif et poursuit in obliquo jusqu'à l'adjectif.

Ces expressions une fois expliquées, il est facile de comprendre leur rôle dans l'analyse d'un concept complexe. Donnons un exemple très frappant. Saint Thomas expose comment le « choix », electio, dépend et de l'intelligence par son caractère de délibération, et de la volonté par son caractère de décision définitive.

Voilà pourquoi - dit-il - Aristote, au sixième livre de l'Éthique, laisse en doute si le choix appartient plus principalement à la volonté ou à l'intelligence ; car il dit que le choix est ou bien « une réflexion voulue » ou bien un « vouloir réfléchi », vel est intellectus appetitivus, vel appetitus intellectivus. Mais au troisième livre de l'Éthique, Aristote incline à croire que le choix est plutôt un vouloir réfléchi ; car il l'appelle un « désir délibéré », desiderium consiliabile.

S. Thomas, I, q. 83, a. 3.

Observez, je vous prie, comment des formes mêmes du langage, saint Thomas déduit le sens de la visée conceptuelle.
Le « choix » répond à un concept qui, bien qu'indivisible, contient deux éléments, savoir : le jugement de l'intelligence et la décision de la volonté. La visée doit atteindre ces deux éléments ; mais par une nécessité de succession, elle atteint l'un de ces éléments d'abord, tout droit, directement, in recto, et elle le désigne par un substantif ; puis elle atteint l'autre par ricochet, de biais, indirectement, in obliquo, et elle le désigne par un adjectif.

C'est donc comme une sorte de « table à double entrée » pour parvenir à une réalité qui dépend à la fois de deux éléments différents. Suivant que, dans la considération du « choix », on attachera plus d'importance au caractère de délibération ou au caractère de décision, on prendra l'un ou l'autre pour substantif, c'est-à-dire on entrera in recto par ce caractère, et on ne tiendra compte de l'autre qu'à la façon d'un adjectif in obliquo. De là deux formes différentes d'une même visée totale ; deux formalités possibles d'un seul et même concept total.

J'ai insisté sur cette analyse, parce qu'elle jouera un grand rôle dans nos Études sur les théories rationnelles de la Trinité. La « personne » concrète est l'objet d'un unique concept à double notion, savoir la notion de Nature substantielle et la notion de subsistance individuelle. Or les théories, tout en mettant en œuvre ces deux notions, prennent des allures bien différentes, suivant que le concept vise telle de ces notions in recto, et n'atteint l'autre que in obliquo. Le déroulement du système est tout contraire, suivant qu'on définit la personne : talis natura suppositata - une telle Nature substantielle, comme les thomistes, ou bien : suppositum talis naturae - la substance d'une telle Nature, comme saint Bonaventure.

Contentons-nous ici de remarquer comment la successivité de notre intelligence nous contraint souvent à briser, d'une manière ou d'une autre, notre visée conceptuelle pour la faire pénétrer dans toute la réalité objective.


§ 2. — Résumé à l'aide d'un passage de saint Thomas.

Nous venons d'étudier toute la complexité que la limitation et la composition de notre faculté intellectuelle introduisent dans la formalité de notre concept. Pour résumer, je donnerai en entier un passage de saint Thomas, dont j'ai déjà fait quelque usage.

Vous y verrez enseigné le rôle actif de l'intelligence dans la distinction des raisons, c'est-à-dire dans la production des concepts formels. Vous y reconnaîtrez comment notre âme, forme substantielle d'un composé, est inclinée à dédoubler l'objet de sa notion pour y trouver un élément formel et un élément matériel. Surtout vous y apprendrez comment, dans une proposition affirmative, la synthèse entre le sujet et le prédicat est légitime, parce que cette affirmation est un jugement « analytique », qui reconstitue une unité réelle, perçue par « l'intellect » avant tout concept exprimé.

Saint Thomas se demande si nous pouvons à bon droit formuler plusieurs affirmations différentes, relativement à Dieu qui est la simplicité même, et il répond :

Dans toute proposition affirmative conforme à la vérité, il faut que le sujet et le prédicat signifient la même réalité sous quelque rapport, et deux choses distinctes suivant la raison. C'est ce qu'on observe soit dans les propositions où le prédicat est accidentel, soit dans celles où le prédicat est substantiel. En effet, il est manifeste que « homme » et « blanc » sont une même chose comme sujet réel, et qu'ils diffèrent par leur raison (c'est-à-dire leur concept formel) ; car autre est la raison d'« homme », autre la raison de « blanc ». De même, lorsque je dis « l'homme est animal », c'est bien le même qui est homme et qui est animal ; car dans le même suppôt existent, et la Nature sensible d'où le nom d'animal, et la Nature raisonnable d'où le nom d'homme. Donc ici encore le prédicat et le sujet sont identiques comme suppôt, mais répondent à des raisons différentes.

— La même discussion s'applique en quelque manière aux propositions où l'identité réelle est plus parfaite. L'intelligence fait jouer le rôle de suppôt à ce qu'elle prend pour sujet, et le rôle de forme existant dans le suppôt à ce qu'elle prend pour prédicat, conformément à cette règle que les prédicats sont comme des formes et les sujets comme des matières. À cette diversité rationnelle répond la pluralité du prédicat et du sujet ; mais l'intelligence, par là même qu'elle les compose, exprime leur identité réelle.

— Certes Dieu, considéré en lui-même, est absolument un et simple. Cependant notre intelligence le connaît sous différents concepts, parce qu'elle ne peut le voir comme il est en lui-même. Mais bien qu'elle le considère sous différents concepts, elle connaît cependant qu'à tous ses concepts correspond une seule et même réalité absolument simple. C'est ainsi que la pluralité des concepts est représentée par la pluralité du prédicat et du sujet, mais que l'unité réelle est représentée par l'affirmation qui compose le prédicat et le sujet.

S. Thomas, I, q. 13, a. 12.


§ 3. — Influence de l'imagination sur la formalité du concept.

Nous n'avons encore étudié que le rôle de l'intelligence proprement dite, dans la formation du concept explicite et réflexe. Mais, encore une fois, le concept dont nous avons conscience n'est pas un concept d'ange. C'est un concept d'homme. Entre son point de départ dans l'intelligence qui le conçoit et son point d'arrivée dans la conscience, il doit parcourir un long chemin à travers la partie sensible de l'homme, et subir bien des influences dont il conservera les empreintes. Entrons dans le détail.

Rappelons d'abord que l'homme n'est pas simplement une intelligence servie par des organes. L'homme est un composé de corps et d'âme. La Nature humaine est la réunion substantielle d'un principe spirituel et d'un principe matériel. Or telle nature, telle opération. Nous devons donc nous attendre à rencontrer quelque influence matérielle dans la détermination totale du concept explicite et vraiment humain.

Telle est, en effet, la cause de cette image, de ce fantôme (phantasma), pour parler la langue scolastique, qui accompagne, alourdit, matérialise nos concepts, sans que nous puissions nous en débarrasser. Un puissant penseur, qui certes avait tout fait pour amoindrir cette pesée du corps sur l'âme, saint Grégoire de Nazianze, exprime élégamment l'importunité de l'imagination.

De même - dit-il - que le voyageur a beau presser le pas, il ne peut dépasser son ombre, car plus il la fuit plus elle le poursuit ; de même que le regard ne peut atteindre les objets qu'à travers l'air et la lumière ; de même encore que les poissons perdent hors de l'eau toute leur agilité ; ainsi en est-il des âmes enfermées dans des corps. Elles ne peuvent s'unir aux objets intellectuels sans le secours des choses corporelles. Toujours quelque image sensible flotte dans la pensée, malgré tous les efforts faits par l'esprit pour échapper à la contagion de ces visions, pour se recueillir en soi-même, et pour y entrer en commerce intime avec les choses invisibles.

S. Grégoire de Nazianze, orat. XXVIII, § 12. — M. XXXVI, col. 41.

Afin de ne pas soulever ici une discussion qui pourtant serait intéressante et instructive, je n'interviens pas entre Aristote qui admet une véritable coopération du corps à l'acte de la pensée humaine, et la Scolastique qui, pour mieux sauvegarder l'immortalité de l'âme, ne reconnaît dans le « fantôme » qu'une simple concomitance. En toute hypothèse, il reste établi qu'ici-bas nous ne pouvons penser d'une façon réflexe sans le secours des fantômes. C'est l'enseignement formel de saint Thomas.

Notre intelligence, selon l’état de la vie présente où elle est unie à un corps passible, ne peut passer à l’acte sans recourir aux images (phantasmata).

S. Thomas, I, q. 84, a. 7.

Il est en outre incontestable que les dispositions de l'organisme exercent une influence considérable sur le travail de la pensée et l'élaboration des concepts. Par là s'explique l'action des excitants qui exaltent la perspicacité de la méditation et favorisent la précision des concepts. Par là encore, on rend compte de l'ivresse, du délire, de la folie ou de l'idiotisme.

Cette coopération, ou, si l'on aime mieux, cette intrusion de la puissance Imaginative dans l'acte de la pensée, joue un grand rôle dans la formation de nos concepts, qui ne parviennent à la conscience qu'incrustés, ou, du moins, qu'entourés d'une gangue matérielle. Faut-il s'étonner ensuite si trop souvent la vérité se cache sous des apparences trompeuses, ou si l'on rencontre plusieurs concepts soudés arbitrairement dans un même empâtement ? Autant de causes de nos illusions, de nos erreurs, de nos disputes.

Il a paru agréable de railler les distinctions et sous-distinctions de l'argumentation scolastique, comme si toute cette dialectique consistait dans le jeu puéril de fendre un cheveu en quatre. Pour être juste, ne devrait-on pas la comparer plutôt à l'adresse du minéralogiste qui sépare les cristaux en les nettoyant de leur gangue ?


§ 4. — Influence du tempérament.

Voici une autre influence physiologique sur la formalité du concept humain. Saint Thomas demande si un homme peut penser une chose mieux qu'un autre. Voici sa réponse, assez importante pour être rapportée tout entière.

Penser mieux - dit-il - peut s'entendre de deux manières. Ou bien le mot « mieux » tombe sur la chose pensée, et dans ce sens il n'y a pas du plus ou du moins dans la pensée de l'un ou de l'autre. Car penser une chose mieux ou pire qu'elle n'est, c'est la penser autrement qu'elle n'est, et par conséquent c'est ne point la penser, comme le montre très bien saint Augustin.

Mais la question peut être posée en telle manière que le mot « mieux » tombe sur l'acte même de la pensée ; et en ce sens, un homme peut mieux qu'un autre penser la même chose, parce que sa faculté intellectuelle est meilleure, de même qu'on voit mieux un objet lorsqu'on a meilleure vue.

— Cette diversité d'opération intellectuelle provient de deux côtés. D'abord du côté de l'intelligence même qui peut être plus ou moins parfaite. En effet, il est manifeste qu'un corps mieux organisé obtient en partage une âme meilleure, comme on le constate dans les espèces différentes. La raison en est que l'acte ou la forme est reçue dans la matière suivant la capacité de la matière. Aussi, parmi les hommes eux-mêmes, ceux qui ont un corps mieux organisé obtiennent en partage une âme de plus grande vertu intellectuelle, et Aristote, dans le second livre de l'Âme, déclare constaté que les hommes à chair molle sont bien doués en intelligence. La même diversité provient aussi des facultés inférieures dont l'intelligence a besoin pour ses opérations. Car on est mieux disposé pour l'acte de la pensée, lorsqu'on a plus d'imagination, de mémoire et de réflexion.

S. Thomas,.1, q. 85, a. 7.

De cet enseignement, fondé sur l'expérience, il faut conclure que la formalité de nos concepts dépend beaucoup de notre organisation sensitive. Diversité de complexion, de race, de langue, d'éducation : tout concourt à diversifier la manière de concevoir et d'exprimer une même vérité.

Cependant on peut rassembler toute cette variété de génie en deux classes, savoir : les natures intuitives et les natures discursives.

J'appelle natures intuitives les penseurs dont les visées embrassent à la fois plus d'objets et perçoivent plus immédiatement les vérités universelles, comme si leurs concepts se déployaient au sortir même de l'âme sans passer par les moules qui produisent des formalités différentes. Aussi les images qui accompagnent de tels concepts sont vastes, vagues, flottantes. C'est le ciel, l'océan, l'atmosphère ; quelquefois même le fantôme se réduit à un éclair.

— Brillantes natures qui semblent affranchies des conditions corporelles de la pensée humaine. Elles planent, sans bruissement d'ailes, presque au-dessus de tout nuage, et leur regard en descendant vers la terre suit la direction même de la lumière. Mais cette élévation a ses dangers : indécision de la pensée, confusion des réalités, mirages trompeurs, affirmations sans contrôle ; en un mot, sorte d'ivresse.

J'appelle natures discursives les penseurs dont les concepts sont nets, précis, parvenus au degré complet de formalisation. Le fantôme qui les accompagne est, ou bien une image à contours déterminés, ou bien simplement un mot à signification définie. De tels concepts sont stables, faciles à ranger dans la mémoire, faciles à retrouver, à manier, à enchaîner les uns aux autres dans un syllogisme.

— Solides natures, prudentes dans leurs affirmations, sûres dans leurs jugements. Elles marchent lentement à la conquête de la vérité, l'atteignent, et rien ne peut plus les en séparer. Mais leurs génies, alourdis par la matérialité des fantômes, ne s'élèvent qu'avec peine. Ils savent analyser, distinguer, contrôler ; ils sont moins aptes pour l'invention.

Toutefois ne tombons pas dans les exagérations des classificateurs. Le génie de Platon est intuitif, et cependant qui n'admire la méthode discursive suivant laquelle il conduit ses dialogues ? Le génie d'Aristote est discursif, et cependant quelle largeur et quelle intuition dans plusieurs de ses sentences ! Le privilège de tels hommes est d'avoir la pensée à la fois haute et ferme. Il n'en reste pas moins que leurs théories, comme leurs erreurs, sont différentes comme leurs génies ; et voilà pourquoi un docteur digne de les apprécier tous les deux, Albert le Grand, donnait cet avertissement aux jeunes étudiants :

Sachez que vous ne deviendrez jamais philosophe, si vous n'avez pas étudié et Platon et Aristote.

Albert le Grand, Métaphys., liv. I, traité 5, ch. 15.


§ 5. — Influence du langage.

On doit commencer à comprendre combien est grande la part subjective dans la formalité de notre concept explicite, et cependant nous ne sommes pas encore au bout des déterminations que notre pensée doit subir.

Notre idée, en tant que vérité, est essentiellement une, notre affirmation indivisible. Cependant nous ne pouvons l'exprimer qu'en nous conformant aux lois du langage. Il faudra donc chercher dans les casiers de la mémoire un substantif pour désigner le sujet et un verbe pour signifier l'action ou l'état. Mais quelques milliers de mots ne peuvent suffire pour la multitude indéfinie des concepts. Il faudra donc au substantif ajouter un adjectif qui le complète. Il faudra au verbe juxtaposer un adverbe qui détermine son allure. On fera appel à tous les éléments du vocabulaire.

C'est ainsi qu'une mosaïque reproduit une physionomie vivante par l'agencement de petits fragments de marbre coloré. Quel formaliste soutiendra que, dans l'original, toutes les couleurs sont juxtaposées en plaques polygonales, parce qu'elles le sont dans le portrait de pierre ? Par contre, qui n'admirera comment, avec des formalités si grossières, l'artiste a pu rendre la vérité de la réalité ?


- CHAPITRE V -
CONCLUSIONS PRATIQUES


§ 1. — Manière d'étudier un Docteur.

Je n'ai entrepris la discussion précédente sur la vérité et la formalité du concept humain, que pour disposer le lecteur à mieux comprendre les Pères de l'Église et les Docteurs de la Scolastique. Il est temps d'en venir à l'application.

— Lire : c'est entendre mentalement, c'est répéter une parole exprimée par l'auteur du livre.
— Comprendre cette parole : c'est affirmer un concept qu'on reçoit tout formé, c'est concevoir la vérité comme l'auteur l'a conçue.
D'où il suit que, pour profiter dans la lecture d'un livre, il faut s'efforcer de le penser comme il a été pensé. Chose difficile, si l'on songe à tout ce qu'il y a d'influence personnelle dans la formalité d'un concept humain amené au terme explicite d'une parole exprimée.

Il ne suffit donc pas toujours, pour avoir le véritable sentiment d'un auteur, de citer quelques phrases prises de-ci de-là dans ses œuvres. On doit les éclairer par le contexte, pour se rendre compte de l'état d'esprit de l'auteur lorsqu'il les a écrites. Plus que cela : il convient de vivre en commerce intellectuel avec l'auteur pour s'habituer à penser avec lui et comme lui.

Dans quelques traités théologiques de la grâce, je vois que l'on confirme une thèse par deux ou trois phrases très courtes de saint Augustin. Mais je constate à la suite cinq ou six pages d'objections qui sont tirées du même docteur, et dont on ne se débarrasse qu'à force de distinctions et de sous-distinctions. Ce contraste me laisse inquiet ; j'ai peine à croire que saint Augustin ait conçu la vérité sous la formalité de la thèse proposée.

C'est faire aux Pères de l'Église une injure gratuite, que d'entourer leur enseignement de tant d'explications. Leur génie était certainement de force à se suffire et à s'exprimer clairement. Abandonnez respectueusement un Docteur, si vous jugez qu'en un point il s'est trompé. Mais retenez bien ceci : vous ne serez certain d'avoir compris sa doctrine, que si vous estimez, en le lisant, qu'il ne pouvait s'exprimer plus clairement qu'il ne l'a fait.

Pour parvenir à penser ainsi comme un Docteur, il faut demeurer longtemps à son école. C'est là, pour le dire en passant, l'utilité de l'enseignement oral, le maître pétrissant peu à peu la raison de l'élève, la modelant à son image, pour l'amener à former ses concepts comme lui-même les forme. Et voilà pourquoi, dans nos Études, on trouvera de si longues citations, destinées à mettre le lecteur en commerce véritable avec les Docteurs de l'Église.


§ 2. — Des diverses écoles scolastiques.

Ou se demande quelquefois comment des systèmes opposés ont pu se perpétuer dans certaines universités ou dans certains ordres religieux, malgré d'interminables discussions. Thomistes et Dominicains, Molinistes et Jésuites, Scotistes et Franciscains : voilà des noms deux à deux synonymes, ou peu s'en faut. Et pourtant, il y a toujours eu dans chaque école des hommes de haut mérite, capables d'apprécier la valeur d'un argument et loyalement désireux de connaître la vérité. Disons plus : les déterminations de vocation religieuse ne tenant pas d'habitude à des raisons philosophiques, on peut augurer sans trop de témérité que la plupart des mêmes hommes, élevés dans d'autres cloîtres, eussent attaqué ce qu'ils défendent et défendu ce qu'ils attaquent.

Or, sans recourir à l'immense et incontestable influence de l'esprit de corps sur les convictions, on peut expliquer ce résultat paradoxal par la formation intellectuelle, surtout pendant la jeunesse. Qu'on me pardonne une comparaison triviale. L'éducation a façonné les tubes dans lesquels les concepts se moulent. Dans une école ces tubes sont à section carrée, dans une autre ils sont à section circulaire. Allez maintenant faire passer un concept d'un cerveau dans un autre. Humiliante condition de la pensée humaine, confirmant ce vieil adage que la matière est le principe de division et d'individuation !

Que faut-il pour en finir avec des luttes stériles, et pour reconstituer une philosophie vraiment scientifique, c'est-à-dire admise par tous sans contestation possible ? Apporter un texte de saint Thomas, comme une règle indiscutable ? — Mais trop souvent on sait en faire une règle de plomb, qui se plie et suit tous les contours que l'on veut !

La véritable manière de rendre à l'École son honneur et sa puissance est de chercher, non à se confondre mutuellement, mais à s'entendre. Pour cela, il faut que chacun sacrifie, autant qu'il se peut, ce qu'il y a de subjectif dans la formalité de ses concepts, afin de n'en conserver que la vérité objective. Il faut que chacun s'efforce d'assouplir sa faculté pensante, de telle façon qu'elle puisse s'assimiler un concept étranger. Or qui ne voit combien contribuera à ce résultat l'étude simultanée des différents Docteurs qui ont illustré la Scolastique ? Sans doute, saint Thomas reste le maître par excellence, soit à cause de son génie didactique, soit à cause de la place d'honneur que Léon XIII lui a attribuée. Mais les honneurs décernés par l'Église ont ce caractère qu'ils élèvent leur titulaire sans rabaisser ceux qui l'entourent. La préséance accordée à saint Thomas ne tourne pas au détriment de ses pairs. Loin donc de pratiquer systématiquement un exclusivisme qui contraste avec les larges intentions du Pape, il est utile d'étudier tous nos grands Docteurs, mais suivant la méthode expliquée plus haut, c'est-à-dire, en se faisant successivement le disciple de chacun, en s'efforçant de penser à sa manière pour le comprendre vraiment. C'est ainsi que, pendant le treizième siècle si fécond en illustres maîtres, les écoliers, pour récolter toute la science, voyageaient d'université en université.


§ 3. — Application à l'étude du dogme de la Trinité.

Le dogme adorable de la Trinité a été, plus que tout autre, opiniâtrement attaqué par l'esprit de mensonge, parce qu'il est le fondement même de toute la foi chrétienne. Mais aucun dogme n'a été étudié par des génies plus puissants et plus perspicaces, la Providence ayant l'habitude de proportionner la défense à l'attaque. Or les Pères de l'Église ne se sont pas contentés de réfuter les sophismes de l'hérésie et d'établir les formules exactes ; ils ont appliqué toutes les forces de leur intelligence à découvrir les harmonies concevables de l'incompréhensible mystère. À son tour, la théologie scolastique, recueillant les enseignements des Pères, s'est employée à réunir les données de la révélation dans une synthèse rationnelle.

Dans ce travail auquel ont pris part tant de grands génies, il y a deux parts : la part de la foi et la part de la raison. D'où résulte que l'unité de l'orthodoxie se prête à la variété de conceptions et de théories, comme une même statue s'offre aux dessinateurs sous de multiples aspects. D'ordinaire dans les cours de théologie, lorsqu'on rencontre plusieurs théories au sujet d'un même dogme, on les expose, on les discute, on choisit définitivement un système, et on le défend à outrance contre toutes les objections et jusque dans ses dernières conséquences. Certes il faut louer l'esprit méthodique qui introduit un lien rationnel entre toutes les propositions théologiques, et l'incomparable gloire de la Scolastique est d'avoir mis ainsi la raison au service de la foi. Mais, puisque les dogmes révélés sont incompréhensibles, on doit confesser que, si l'on peut reculer le point mystérieux, on finira toujours par le rencontrer au bout de toutes les explications systématiques.

Le choix exclusif d'un système a d'ailleurs un grave inconvénient. Les mystères divins sont comme le Soleil projetant des flots de lumière dans toutes les directions, et l'intelligence humaine est impuissante à réunir toute cette splendeur sur le tableau d'une même théorie. L'esprit de Dieu souffle comme il veut ; il ne s'est pas engagé à formuler sa doctrine suivant quelqu'une de nos étroites conceptions. Aussi bien, quelque beau que soit un système, il ne peut embrasser la révélation dans toute sa splendeur ; il se borne à faire valoir certaines de ses richesses, sans pouvoir tenir égal compte de toutes.

Veut-on connaître du plus auguste de nos mystères tout ce qu'il nous est donné d'atteindre, il est bon de ne pas s'inféoder à un système particulier, mais de puiser dans chacun quelque trait de lumière. Laissons aux écoles les débats contradictoires ; car la contradiction provient de l'élément humain qui, en systématisant le dogme, en rend la formule trop étroite. Peu nous importent les difficultés auxquelles la raison se trouvera toujours forcément acculée, lorsqu'elle tentera d'expliquer l'inexplicable. Ce qui doit nous intéresser uniquement, c'est la révélation , et nous la trouverons à l'origine de tous les systèmes.

« Moins comprendre, mieux connaître, » telle est la devise que je propose au lecteur. Voilà pourquoi j'essayerai de passer en revue les formules patristiques et les grandes théories de la Trinité, non pour faire un choix ou une exclusion, moins encore pour tout confondre dans un fade éclectisme, mais pour sucer partout la même moelle dogmatique.


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