Les réflexions et commentaires que nous nous sommes permis d'ajouter au texte du P. Léonide Chrol, pour une
meilleure compréhension de ce texte, figurent en BLEU.
Les sous-titres sont ajoutés par le rédacteur, car ils n'existent pas dans le texte original.
Tout d'abord, rappelons les distinctions que le Père Léonide a tracées :
Dieu Lui-même est au-dessus du symbole du yin et du yang.
1) Père, Fils et Saint-Esprit : la Trinité incréée :
- L'Unité divine est réalisée par l'essence neutre : le Père.
- Le Fils présente un caractère positif ;
- L'Esprit-Saint présente un caractère négatif.
L'ensemble est la Trinité incréée.
2) La Trinité théandrique, figurée par le symbole du « Ying » et du « Yang » :
Le symbole lui-même, en son entier, est la Trinité théandrique,
où le divin est figuré par le blanc,
et la création par le noir.
a) Au cœur du divin, surgit le créé :
- Au cœur du blanc, surgit le point noir - au cœur du divin, surgit le créé : c'est la
Trinité créatrice,
c'est-à dire le PLAN DIVIN, suivant lequel est réalisée la création - relatif infini.
- L'essence est la Sagesse-Mère (Sophia) ;
- Le Verbe présente un caractère positif ;
- L'Église présente un caractère négatif (Prééglise).
b) Au cœur du créé, surgit le divin :
- Au cœur du noir, surgit le point blanc - au cœur du créé, surgit le divin : c'est la Trinité créée,
c'est-à-dire, la TRINITÉ EN RELATION AVEC LE CRÉÉ - relatif fini.
Sous le point de vue de notre relation avec le divin (montant vertical de la croix) :
- L'essence est la personne de la Mère de Dieu (reflet hypostatique de la Sagesse-Mère);
- Le Christ incarné présente un caractère positif (le Verbe en tant que créé);
- La fondation historique de l'Église présente un caractère négatif (l'Esprit en tant que créé).
Sous le point de vue de la situation relative de chaque créature (montant horizontal de la croix) :
- L'essence est la chose en soi ;
- la matière-énergie physique présente un caracrère positif ;
- les âmes non-visibles, à la fois unes et multiples, présentent un caractère négatif.
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1) La « Trinité créée » comme mystère divin :
La multiplicité des trinités créées, la multiplicité des individus animés ou inanimés,
commençant par les atomes et les grains de sable et finissant par les hommes et les anges, possède une unité, la
Trinité créatrice. Elle possède aussi son unicité, la Trinité créée. C’est ce que nous devons
étudier maintenant ; la Trinité créée exprime le côté humain de la Trinité théandrique universelle.
La Trinitée créée est donnée par le Créateur. En même temps, elle est une Trinité en devenir - comme tout dans
ce monde – à cette différence près que si tout change et tout disparaît, la Trinité créée demeure et se concrétise toujours.
Cette Trinité créée est appelée dans les Écritures « mystère divin ».
Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté (Éph 1, 9).
Par Révélation me fut communiqué le mystère, selon que j’ai brièvement écrit auparavant (Éph. 3, 3).
À moi, le moindre de tous les Saints, a été donnée la grâce (…) de mettre en lumière pour tous quelle est
l’Économie du mystère caché depuis les siècles en Dieu, Lui qui a créé toutes choses (Éph. 3, 9).
Le mystère caché depuis les siècles et au long des générations, maintenant a été manifesté à
ses Saints (de Dieu) (Co 1, 26-27).
Aux jours où l’on entendra le septième Ange, quand il devra sonner de la trompette, alors s’accomplira
le mystère de Dieu, comme Il en fit la Bonne Nouvelle à ses serviteurs les Prophètes (Ap 10, 7).
2) La révélation évolutive de la « Trinité créée » :
La Trinité créée sera révélée lorsque le monde aura atteint le sommet
ultime de son évolution. La Trinité créée se réalise au long une évolution plus ou moins longue, « éternelle »
en ce sens qu'elle exige plusieurs siècles pour se réaliser (siècle - Aion, d'où la notion de
l'éternité comme durée indéfinie, notion propre de l'idiome grec). La Trinité créée ne sera point
manifestée avant la fin de ce monde.
Par le fait de ce devenir ininterrompu, la Trinité créée - et par elle la Trinité théandrique en
son entier - ne constitue pas, strictement parlant, un objet de foi, mais bien l’objet de l'espérance.
Nous mettons notre orgueil dans l’espérance de la Gloire de Dieu (Rm 5, 2).
La création attend impatiemment la Révélation des Fils de Dieu (Rm 8, 19).
Nous avons été sauvés en espérance. Or, voir ce que l’on espère, ce n’est pas espérer. Qui donc espérerait
ce qu’il voit ? (Rm 8, 24).
La Trinité créée engendre, en union antinomique avec la Trinité théandrique, la vertu de l'amour qui dirige l'univers entier.
Maintenant demeurent ces trois : la foi, l’espérance et l’amour. Mais l’amour est le plus grand (1 Co 13, 13).
Nous aspirons en effet à la divinisation : « j'attends la vie du siècle à venir »
est-il dit dans le Symbole de Nicée-Constantinople.
La Trinité créée est la Trinité créatrice en en processus d’individuation : elle se
concrétise, sur le plan de la « moi-ïté ». À l’aboutissement de ce processus de personnalisation, la Trinité
créée devient une sorte de troisième Trinité, le point d'arrivée de la création. À ce point,
commence sa divinisation et sa transfiguration. Nous allons étudier cette question – qui est un point
d’une importance considérable - à la fin de ce chapitre.
1) La Maternité divine comme neutralité entre la Trinité incréée et la création.
La Sagesse divine créatrice, la Mère universelle, essence pure et lieu intelligible du monde futur, est impersonnelle avant et dans sa manifestation dans le monde.
En la Trinité créatrice, l'essence est la « Sagesse-Mère » - au départ impersonnelle, dans le sens de non-hypostatique.
Elle doit donc, en le créant, s'acquérir une personnalité, une moi-ïté, une hypostase.
Ses deux processions, les moiïtés créées du Verbe et de l'Esprit — le Christ et l'Église — doivent elles
aussi se manifester hypostatiquement dans la création.
En la Trinité créatrice, le sujet est le « Verbe » ; l'objet est « l'Église »,
en sa réalité spirituelle.
Tous deux, au départ, sont non-hypostatiques.
L'évolution de la création s’étend de Rien à Tout, de l'atome à l'univers ;
elle se
dirige de l'inconscient au conscient, de l'impersonnel au personnel.
La Trinité créatrice et la Trinité créée ne sont pas deux concepts philosophiques extrinsèques : ce sont des réalités vivantes qui suivent la dynamique du yin et du yang ; l'une surgit au coeur de l'autre :
Le monde, comme tension entre l'Un divin et le multiple créé, n’est pas uniquement
quelque chose d'intermédiaire entre les domaines du créé et du divin. Il est essentiellement divin ET humain :
il est théandrique. Cela n’a rien d'étonnant car l'acte créateur - comme tout acte - suppose l’interaction
de deux entités.
Dans l’acte créateur, interagissent une entité divine (le Créateur) et une entité
créée (le monde proprement dit). Ces deux entités ne peuvent point être séparées, à cause de l'unicité de
l'acte lui-même.
Ainsi, la Création en général, tout en étant évidemment un Dieu-Homme, est aussi un Homme-Dieu - l'homme
devenant Dieu, tout comme Dieu lui-même est devenu Homme.
Ce n'est que dans l'Homme-Dieu, l’Anthropothéos,
que le Dieu-Homme, le Théanthropos, est pleinement justifié et manifesté.
Du point de vue de la Trinité créatrice :
La première moiïté du complexe théandrique, « Dieu », est un produit immédiat de la Trinité incréée, la Création idéale ; la seconde moiïté, l'« Homme », est un produit médiat de cette même Trinité.
Du point de due de la Trinité créée :
Mais voici que du point de vue de la création, l'Homme devient un produit immédiat, et Dieu un produit médiat de la Création en elle-même.
L'essence est le point de vue neutre du trinôme « essence / objet / sujet ».
Si l'on
considère l'essence de la Trinité créatrice (la Sagesse-Mère) et l'essence de la Trinité
créée (la personne de la Mère de Dieu) :
Le mystère de la Maternité est celui de la neutralité mue par les deux
courants — la Trinité incréée et la Création.
Telle est la splendide lumière de l'Orthodoxie catholique ; tel est le résultat merveilleux auquel aboutit le
développement progressif de la création.
2) Une brève synthèse :
La Trinité divine comprend :
- Dieu le Père, essence divine ;
- Dieu le Fils, objet et Corps divin ;
- Dieu l'Esprit-Saint, sujet ou Âme divine.
La Trinité théandrique, l'Éternel Féminin de l'Éternel Masculin, comprend la Sagesse-Mère, manifestée
sur le troisième plan de l'existence (Premier plan : la Trinité incréée : deuxième plan : la Trinité
créatrice, dans la Trinité théandrique : troisième plan : la Trinité créée, dans la Trinité théandrique)
dans la « Mère de Dieu et toujours Vierge » Marie.
Le Christ-Époux, Dieu-Homme, Sagesse-Objet, Objet de la Création, se manifeste dans le temps par Jésus de Nazareth.
L'Église-Épouse, Dieu-Femme, Sagesse-Sujet, Sujet de la création, sa réalité animique, dans laquelle
s'anime l'Esprit de Dieu, a comme expression spatio-temporelle l'Église historique, militante.
Du point de vue de la Trinité créatrice :
Dans la partie créatrice de la Trinité théandrique, la seconde hypostase, le Christ,
est liée hypostatiquement avec le Logos divin. C'est dans le Logos qu'elle possède sa « moi-ïté », en dehors de la création.
À son tour la troisième hypostase, la « Prééglise », est liée hypostatiquement avec l'Esprit-Saint, en lequel
elle possède aussi sa « moi-ïté » dans l’Incréé.
Cette « Prééglise » est décrite par Hermas dans son « Pasteur » :
Voici, frères, une autre révélation qui me fut faite pendant mon sommeil par un jeune homme d’une
grande beauté : « La femme âgée, des mains de laquelle tu as reçu le petit livre – me dit-il – qui est-elle,
à ton avis ? La Sybille – répondis-je. Tu te trompes - reprit-il – ce n’est pas elle. Qui est-elle donc ?
- L’Église ! - Pourquoi est-elle âgée - lui demandais-je ? Parce que – me répondit-il – elle a été créée la
première, avant toute chose : voilà pourquoi elle est âgée ; c’est pour elle que le monde a été fait.
Le Pasteur d’Hermas (œuvre datant du 2ème siècle), 2, 4, 1.
...et plus tôt encore par l'auteur de la 2e épître aux Corinthiens, attribuée à saint Clément de Rome :
La « seconde épître de Clément » est le plus ancien sermon chrétien qui nous soit parvenu. Cette oeuvre remonte aux années 150. Nous y trouvons ces lignes :
C'est donc, frères, en faisant la volonté de Dieu notre Père que nous appartiendrons à la première Église spirituelle, qui fut créée avant le soleil et la lune. (...) L'Église qui était spirituelle est devenue visible dans la chair du Christ, démontrant ainsi que si l'un de nous garde l'Église dans sa chair sans la corrompre, il la recevra dans le Saint Esprit ; car cette chair est une copie de l'esprit : quiconque en corrompt la copie ne peut participer à l'original (14, 1-4).
3) Les deux voies de la création :
La question du Dieu-Homme est étroitement liée à celle de la Création d'une part,
et à celle de la Rédemption de l'autre. Le problème comprend ainsi les deux parties qui sont relatives aux
deux voies possibles pour la création, voies qui seront étudiées dans le chapitre suivant.
Si la création choisit la voie du « bien », notre problème ne sort pas du cadre de l'incarnation de Dieu
dans la création et de la divinisation de cette dernière - qui est la conséquence logique de cette incarnation.
Dans le cas contraire, le problème s'élargit, embrassant aussi le domaine de la restauration de la création déchue.
Ce complément, notons-le immédiatement, ne change rien dans le but final de la création, qui est sa divinisation.
Dans le cadre de l’Incarnation, la divinisation de la création ne doit sans doute pas dépasser certaines limites,
propres à la création.
Dans le cadre de la restauration de la création déchue, la divinisation devient hiérarchique, avec des degrés divers
de perfection, au lieu d'aboutir à l'état d'immortalité et de récapitulation de tous dans et
par le Christ.
4) Le Dieu-Homme objectif ; la Vierge et l'Église comme sujet :
Pour faciliter la compréhension de ce qui va suivre, nous nous voyons obligé de traiter d'abord du Dieu-Homme objectif,
du Verbe incarné. Car l'incarnation à proprement parler n'est possible que pour le Christ, Objet divin,
Corps divin.
L'Église-Épouse, par exemple, n'est point une « incarnation du Saint-Esprit » ; ce serait une contradictio in adjecto :
l'Esprit ne peut point s'incarner, étant Âme-Sujet de la divinité incréée.
L'Église est une anima-tion, une in-spiration de l'Esprit qui s'anime, s'inspire en l'Église - et anime,
inspire l'Église.
De même la Sagesse divine ne s'est point « incarnée » dans la Mère de Dieu : elle s'est manifestée dans la Vierge.
Ceci n'empêche point que cette animation et cette manifestation soient accomplies par voie de
l’union hypostatique de la Sagesse-Mère et de l'Esprit, avec la Vierge et l'Église. Le mode de cette union
est encore plus mystique et mystérieux que celui de l'union hypostatique du Verbe avec l'homme-Jésus.
Si cette dernière est objective et peut être plus ou moins démontrée, indiquée, les unions
hypostatiques des deux autres hypostases de la Trinité théandrique, subjective (l’Église) et essentielle (la Vierge-Mère)
ne peuvent être comprises que par analogie et même — nous le verrons ensuite — par dépendance directe de
l'incarnation du Verbe.
Cette dépendance s'explique par le fait que jusqu'à la divinisation définitive, nous restons dans le domaine de
la matière, de la visibilité, de la chair charnelle, et nos yeux intérieurs, spirituels, sont encore fermés.
1) Le Verbe Théanthropos.
Dans le prologue du quatrième Évangile, nous trouvons un exposé admirable de l'existence
éternelle du Verbe de Dieu qui, à un certain moment de l'Histoire, se fait chair (Jn 1, 1-18). Le Verbe était, En,
au commencement, En arkhè. Le Verbe, une fois devenu chair (Logos sarx egheneto Jn 1, 14) reste toujours
Verbe et Chair, Deus-Homo, Théanthropos.
Il était au commencement, en le principe, c'est-à-dire dans Dieu le Père (Pros ton theon) et était Dieu (Theos)
lui-même. Le mot Theos sans article peut indiquer qu'il est « moindre » que Dieu le Père dans le sein duquel
II demeure toujours (Jn 1, 18), mais n'en fait point un Dieu moins parfait. Il est Dieu en tout, sauf en ce
qui concerne le non-engendrement qui caractérise proprement Dieu le Père - et en raison duquel le Père est réellement
« plus grand » que lui (Le Père est plus grand que Moi Jn 14, 28).
Le Verbe est l'Auteur et le Créateur, la Cause de tout ce qui existe (Jn 1, 12) ; Il possède aussi la vie, et
cette vie est la lumière éclairant tout homme venant dans le monde. À tous ceux qui l'ont reçu, c'est-à-dire ceux
qui croient (Pisteuousin) en son nom, le Verbe a donné le pouvoir ou la puissance (Éxousian) de devenir
(Ghènèsthai) enfants de Dieu, nés de lui moyennant une naissance spirituelle (cfr. le dialogue avec Nicodème Jn 3, 3-8).
Soit ; mais comment ? Par le fait que le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous, tout en étant seul vraiment
engendré par son Père (Monoghenes para Patros, Jn 1, 14), rempli de grâce et de vérité, étant lui-même Vie,
Lumière, Vérité, Voie :
Je suis la Voie, et la Vérité, et la Vie : personne ne vient au Père sinon par Moi (Jn 14, 6).
Car personne n'a jamais vu Dieu ; c'est seulement le Fils seul-engendré, Objet divin, qui l'a
manifesté (Exèghèsato).
— C'est ce prologue constituant le cadre de l'Évangile johannique que l'Église romaine lit à la fin de chaque service
eucharistique (« messe ») et l'Église Orthodoxe orientale, solennellement et en plusieurs langues, la nuit
de Pâques exclusivement.
2) Le point de départ de la christologie.
Tel est le point du départ de la christologie catholique-orthodoxe. A côté du « Dieu pur » de la théologie apparaît le Christ de l'Économie (« Économie » signifie ici « dispensation du Salut »), — non uniquement comme la seconde personne de la Trinité divine, mais comme le « Verbe fait chair ».
Il y a un seul Dieu et un seul médiateur - mesitès - entre Dieu et les hommes – un homme : le Christ Jésus (1 Ti 2, 5).
Il y a un seul Dieu, et aussi un seul Médiateur, placé ainsi entre la divinité incréée et la création, — médiateur distinct de Dieu dès l'instant de son incarnation (il s'agit de la média substantia de Lactance). Dans la littérature apostolique, ce Médiateur conserve un caractère à la fois divin et humain. Les déductions d'après lesquelles le Christ des apôtres n'est pas Dieu mais « ayant valeur de Dieu », comme aurait dit Ritschl, sont au moins inexactes et, bien entendu, unilatérales.
3) Le nom de « Dieu » attribué au Père seul.
Ce qui est essentiel, même avant le moment de l'Incarnation, c'est le fait que le nom de « Dieu » est attribué en propre au Père seul, car le Fils n'est pas uniquement Dieu : II est un Dieu-Homme, il y a en lui quelque chose de réellement plus, et c'est ce plus qui devient tout-à-fait manifeste dans le fait de l'incarnation. Car, étant Dieu, le Verbe est aussi un homme véritable, « en tout semblable à nous sauf le péché ».
C’est pourquoi Il devait devenir en tout semblable à ses frères… (He 2, 17)
En effet, nous n’avons pas un Grand-Prêtre qui ne soit pas capable de compatir à nos faiblesses, car Il a été
éprouvé en tous points à notre ressemblance – mais sans pécher (He 4, 15).
Le titre qu'on lui attribue reste significatif : c'est Kyrios, remplaçant grec
de « Yahweh » (Ho ôn), nom que les Hébreux interdisaient de prononcer : Kyrios, Seigneur, c'est-à-dire
Emmanu-El, « Dieu avec nous », Dieu apparu sur la terre.
Cette apparition ne peut point être seulement fantomatique, irréelle, comme l'ont unilatéralement professé
les Docètes de toute sorte et de tous les temps (du grec Dokeo, paraître) ; le Christ avait assumé
l'état d'un homme, parfait et complet, — « corps, âme, esprit » (saint Irénée). Le terme « incarnation », Sarkosis,
est donc inexact et insuffisant ; il doit être complété par l'« inhumanation » - Anthropèsis, comme nous le
lisons dans le symbole de Nicée.
1) Nestorianisme et monophysisme.
Le point de vue catholique-orthodoxe unit antinomiquement les deux unilatéralités orientales : le
nestorianisme, cette quintessence de l'école d'Antioche, et le monophysisme issu d'Alexandrie.
Le nestorianisme affirme l'unité de la personne, c'est-à-dire l'unité d'un « masque » (Prosopon) extérieur,
derrière lequel sont cachées deux natures (Dyo physeis, d'où le surnom de « dyophysisme »), conçues comme
deux hypostases à part.
Le monophysisme, au contraire, considère les deux natures du Christ comme une seule nature (Mia physis)
après l'union ; le Christ a donc été composé de deux natures qui, après l'union, forment une seule nature composée.
Après une longue lutte acharnée — comme pour toute grande œuvre de l'Histoire — fut proclamée l'union en un seul Christ,
en une seule hypostase ou personne, « moi-ïté », des deux natures, humaine et divine. Le seul et même — Hèn
kai ho autos — Christ est un en deux, Mia hypostasis en duo physesi ou, plus exactement encore, Hèn en dyo - un
en deux, — formule dépassant complètement la raison humaine. Cette proclamation est l'œuvre du concile de
Chalcédoine (IVe concile œcuménique) de 451.
Après la proclamation du Homoousios nicéen, celle du concile de Chalcédoine constitue une nouvelle intervention
immédiate du Saint-Esprit dans la vie historique de l'Église. En vérité, ni le milieu conciliaire, ni les passions
politiques qui s'y mêlèrent, ne furent dignes d'un tel miracle, d'une telle transgression décisive des lois
de raisonnement.
2) Le juste milieu antinomique :
La question de l'union hypostatique demeure jusqu'à présent une des plus difficiles dans le domaine de la théologie pure ;
il n’est donc rien d'étonnant à ce qu'on n'ait jamais pu s'arrêter au juste milieu antinomique qui embrasse
toutes les périphéries - ce que nous offre le Christianisme intégral.
En l’absence de ce juste milieu antinomique, on inclinerait soit vers le monophysisme selon lequel
l'humanité du Christ était plus ou moins absorbée par sa divinité, soit vers un dynamisme qui ne considère
Jésus que comme un homme ordinaire, en lequel aurait résidé une puissance divine impersonnelle : Aretè -
qualité par quoi l'on excelle.
L'Orthodoxie universelle enseigne par contre la conservation totale dans l'union hypostatique des deux natures
en leur intégrité, sans aucune exaltation de la nature humaine et sans diminution de la nature divine (cette « diminution »
serait d'ailleurs impossible et insensée).
Jésus-Christ est un Dieu parfait et un Homme parfait, un Dieu-Homme unissant l'Absolu et le Relatif, conservant
intactes les propriétés caractéristiques des deux natures. Il les adopte et les unifie à un tel point que tout ce
qui appartient à l'humanité devient, grâce à lui, participant aussi de la divinité - et réciproquement.
Toujours selon le yin et le yang, en l'unique personne du Fils, la nature divine apparaît au coeur même de la nature humaine - et la nature humaine apparaît au coeur même de la nature divine, antinomiquement.
La méconnaissance de la valeur réelle de cette communication des idiomes fut la seule erreur du malheureux patriarche de Constantinople Nestorius, que l'on a tant blâmé. Ce qu'on nomme « nestorianisme » est le fait de Nestorius, dans la même mesure que le monophysisme est le fait de saint Cyrille d'Alexandrie.
3) La distinction - en Christ - des deux natures, sans distinction hypostatique :
L'Orthodoxie catholique affirme d'autre part la distinction complète et réelle entre les deux natures, sans
que ces dernières puissent être considérées comme deux hypostases indépendantes. Tel est le sens des quatre mots
célèbres dans le Horos remarquable de Chalcédoine : les deux natures sont liées entre elles Asygkhytos,
Atrèptos, Adiairetos, Akhoristos — sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation.
Ni le côté créé du Verbe formant la partie divine du complexe théandrique, ni son humanité n'ont jamais été,
avant l'incarnation, des « moi-ïtés », des hypostases à part.
- La Trinité créatrice, en son objet, comprend le Verbe-Fils dans sa plénitude.
- La Trinité créée, en son objet, comprend le Christ incarné, moïté céée du Verbe.
Dès le moment de la conception virginale du Christ,
l'homme Jésus était en union complète avec la moiïté créée du Verbe et, par cette dernière, avec le Verbe-Fils
dans sa plénitude.
Autrement dit, le Christ a revêtu non point un homme quelconque, mais la nature humaine complète. Il embrassa
aussi la personnalité, la moi-ïté humaine que l'on cherche, à tort, à séparer de la nature humaine (c'est l'erreur
fatale d'Aristote !).
La nature humaine en Christ, n'a jamais existé comme une individualité humaine séparée.
Par conséquent, la nature humaine du Christ constitue l’unicité de la multiplicité humaine — « l'Humanité idéale », aurait dit Platon.
De cette façon-là le Christ est devenu un nouvel Adam, plus grand que le premier. Le premier Adam n'était
qu'un homme ordinaire, tandis que le second Adam est « Homme du ciel » :
Le premier humain tiré de la terre, argileux - xoikos ; le second humain tiré du Ciel (1 Co 15, 47).
Le second Adam est l'Humanité toute entière ; Il est à la fois l’unité et l’unicité de la multiplicité des individus humains. Il explique à lui seul tous les problèmes de l'origine des races humaines, formées dans l'attente de cette unicité et grâce à elle. Cette unité-unicité devait en effet se réaliser tôt ou tard comme la justification même de cette multiplicité. Nous voyons ici une nouvelle raison de l'incarnation du Verbe, en-dehors du problème de la Rédemption de l'humanité déchue.
1) Le point de vue kénotiste et le point de vue théandrique.
Comment devrons-nous considérer, du point de vue catholique-orthodoxe, l’union hypostatique des
deux Natures en Christ ? Citons le célèbre verset de l'apôtre Jean : le Verbe a été Dieu (théos èn -
« èn » verbe être à l’imparfait) et est devenu chair (sarx eghénéto) — tel est le fait de l'Incarnation.
Ce verset peut être interprété d’une double façon :
- selon la première possibilité, le Verbe a renoncé à sa divinité (il s’agit de la kénose), a déposé sa Nature
divine et est devenu uniquement un homme. Celui-ci est de nouveau restitué progressivement dans la dignité
divine, sans perdre son humanité qui devient transfigurée, divinisée.
Lui-même s’est anéanti - ékénôsen - prenant forme d’esclave, devenu semblable aux hommes (Ph 2, 7-10).
- selon la deuxième possibilité, le Verbe n'a point cessé d'être Dieu, mais
en même temps Il est devenu homme, de façon théandrique.
Les deux possibilités — « kénotiste » et « théandrique » — sont également surnaturelles, également miraculeuses et,
remarquons-le, également suffisantes pour nous rapprocher du grand mystère. Le second point de vue - théandrique,
embrasse le premier – kénotiste.
Ce point de vue théandrique peut être considéré comme l'explication unique digne de l'Orthodoxie universelle.
C'est pourquoi telle a été l'attitude des conciles œcuméniques.
2) Le Christ : un EN deux.
Historiquement, on n'est pas resté fidèle à l'antinomisme divin, et l’on commença immédiatement
à tenter d’expliquer l'inexplicable. C'est ainsi que maintenant encore on aime à rationaliser et à simplifier le problème,
en disant que le Christ est Un selon l'hypostase, selon son « Moi », et Deux quant à ses Natures,
divine et humaine.
Une semblable interprétation est tout-à-fait analogue à la formule trinitaire des Cappadociens, qui essaie de
rendre plus accessible et plus compréhensible le dogme en question. Le Christ devient Un dans un sens et Deux dans
l'autre. L'antinomie est donc abolie.
Cette abolition de l'antinomie est purement verbale, car en réalité le Christ n'est pas un et deux, même
dans le même sens.
Plus exactement, Il est un en deux :
— une Nature en deux Natures,
- un Moi en deux Moi,
- une énergie en deux énergies, etc., et inversement.
Ce n'est que de cette manière-là que nous évitons le piège de la rationalisation que l'unilatérale raison humaine
nous tend à chaque instant. Le Christ est Mia physis - une Nature (c’est la position des monophysites avec saint Cyrille),
EN dyo physesi - en deux Natures : c’est la position des nestorio-antiochiens et chalcédoniens).
Telle est la vraie formule catholique-orthodoxe, la seule possible, la seule formule intégrale que souvent
l'on n'a pas vue à cause de l'unilatérale formule « apollinariste » Mia physis tou theou logou sesarkomènè – unique
Nature incarnée du Dieu Verbe.
Le concile de Chalcédoine en a exprimé une moitié, qui est la seconde partie que nous venons d’évoquer : « en deux natures » ;
la première moitié de la formule : Mia physis – une Nature est encore à confirmer.
La formule « unique Nature incarnée du Verbe » fut employée par saint Cyrille d’Alexandrie,
pour souligner l’unité de la personne du Christ.
Saint Cyrille d’Alexandrie pensait que cette formule provenait de saint Athanase – alors qu’en fait elle avait
été émise par Apollinaire de Laodicée, qui identifiait Nature et Personne et affirmait l’existence d’une seule
Nature en Christ. Du fait de l’usage de cette formule, saint Cyrille fut accusé d’Apollinarisme et de Monophysisme.
Cette formule causa d’énormes problèmes théologiques, car elle se présentait nantie de l’autorité théologique
de saint Cyrille. En fait, on aurait très bien pu dire - comme Denys l’Aréopagite - que la Nature du Christ
est divino-humaine, tout simplement. Cela aurait coupé court aux spéculations théologiques ultérieures.
Pourquoi ne l’a-t-on pas fait? C’est saint Maxime qui nous en donne la raison – envisageant la question sous
le point de vue de l’« agir », plutôt que de la Nature :
Certains disent : s’Il (le Christ) possédait une seule opération, celle-ci serait théandrique.
[S’Il a une opération unique], Il a perdu sa parenté de Nature vis-à-vis de son Père et de nous, dans la mesure
où ni Lui ni nous ne possédons une opération inhérente et essentielle qui soit théandrique.
Maxime le Confesseur, Opuscule VII, § 40. L’agonie du Christ MIGNE « Les Pères dans la Foi » 2007 pp. 82 – 83.
Si nous admettons que le Christ possède une « Nature théandrique », nous constatons que le Père et l’Esprit possèdent quant à eux, une Nature uniquement divine. Or entre les Personnes de la Trinité, il ne saurait exister de différences de Nature. Saint Maxime poursuit :
Diras-tu que le Christ a une volonté divino-humaine ? Je ne le crois pas. Car le Père
et l’Esprit-Saint n’ont pas de volonté divino-humaine. Oseras-tu parler de volonté composée ? Ce serait
une nouveauté pour la divinité.
Ibid. Opuscule XXIV, § 6. P. 57.
Certes, ici saint Maxime parle de « volonté » plutôt que de « Nature ». Mais la Nature divine et la Nature humaine ont respectivement leur propre « agir » ou volonté, car une Nature sans « agir » est réduite à l’état d’étiquette apposée sur une réalité qu’elle est incapable d’animer :
En confessant réellement l’existence de chacune des deux Natures intégralement préservées
dans l’unique Dieu incarné, nous confessons aussi parfaitement l’opération inhérente, de même donc que
la volonté.
Ibid. Opuscule XVI, § 68. P. 112.
Quant à la formule de saint Cyrille, malgré les difficultés qu’elle présente, elle a été
intégrée dans la doctrine orthodoxe :
- la doctrine de saint Cyrille « une unique nature incarnée du Dieu Verbe – en une chair animée, raisonnable et noétique »
est employée pour souligner l’unité du Christ persistante et sauvegardée dans son incarnation :
L’unité monadique [du Christ] vient de l’union hypostatique mais non de Nature » (le Christ est Un
car étant une seule Personne divine, mais en deux Natures). Par Économie (selon la Dispensation du Salut) [Le Christ] a
accepté par nous dans sa bonté de devenir composé tout en gardant intacte cette simplicité qui Le fait de même Nature
que le Père et consubstantiel, même après l’Incarnation. Car divinité et humanité ne sont pas identiques.
Si le Verbe de Dieu est devenu homme, c’est par assomption d’une chair noétiquement et indissolublement
unie par hypostase.
Maxime le Confesseur, Lettres. Cerf 1998. Lettre XVIII, p. 196.
- Quant à la formule Chalcédonienne des deux Natures et de l’unique Personne en Christ, elle est employée parallèlement è celle de saint Cyrille, quand il s’agit de souligner la dualité des Natures dans la Personne du Christ :
Il faut d’une part parler, d’après les Pères qui l’ont enseignée, de singularité-unicité - monadikos - par hypostase, il convient corollairement d’ajouter que la quantité (le chiffre deux) est la conséquence de la différence des Natures du Christ conservées après l’union, sans séparation ni confusion (ibid. p. 196).
Les deux formules dogmatiques coexistent finalement en un tout harmonieux.
Maintenant, rendons la parole au Père Léonide :
Est-ce que tout ceci nous explique l'union des deux Natures en une seule ? Non certes, car
c'est un mystère qui dépasse absolument la raison humaine ; mais notre « explication » permet à la raison humaine de
s'approcher le plus près possible vers ce mystère impénétrable.
Le Christ Dieu-Homme est la Dualité du Logos, et cette dualité est tout aussi nécessaire et possible que
son unité et sa multiplicité. La question de l'union hypostatique peut donc être abandonnée comme inutile : la
dualité du Christ ne peut être vaincue ; c'est un fait, et c’est même un fait absolument logique, car il n'existe point
d'unité en dehors de la dualité, de la triplicité, de la n-cité...
1) Rappel des distinctions évoquées par le Père Léonide :
La Trinité théandrique peut se distinguer entre :
1) la Trinité créatrice : - Dieu-Créateur - le Trois théandrique NÉGATIF) - Relatif infini
A/ - avec un pôle positif : le Logos/Verbe
B/ - et un pôle négatif : l’Esprit/Église.
C/ Entre ces deux pôles - positif et négatif - se trouve la Sophia ou Sagesse-Mère.
2) la Trinité créée : le monde, reflet créé de la Trinité créatrice - Relatif fini – qui, en tant que Reflet de la
Trinité incréée, comporte un :
A/ - pôle positif : le Christ - Verbe en tant que créé / incarné dans les limites de l’espace et du temps
B/ - et un pôle négatif : l’Esprit, en tant que créé / la fondation historique de l’Église.
C/ Dans la Trinité créée, nous avons l’expression hypostatique de la Sagesse-Mère, en la personne de la Mère de Dieu – reflet
de l’Esprit-Saint dans la Trinité incréée.
- La Nature divine du Christ est assimilée au Logos/Verbe de la Trinité créatrice.
- La Nature humaine du Christ est assimilée au Christ - Verbe incarné dans les limites de l’espace et du
temps, de la Trinité créée.
2) Chacune des Natures est considérée comme étant un « Moi » :
L'humanité du Christ est parfaitement identique à ce que nous avons plus haut nommé
moiïté créée du Verbe divin. Cette moiïté créée, comme toute entité créée en général, est limitée
et possède ainsi son commencement dans la durée. Elle est implicitement incluse dans la notion du Logos et
ne nécessite aucune autre justification de son existence.
Il nous faut seulement nous en tenir à une chose : garder la formule christologique exacte susindiquée,
comme écartant toute possibilité d'interprétation unilatérale. Une Nature : une Nature composée si
l'on veut (pourquoi peut-on parler, assez arbitrairement d'ailleurs, d'une « hypostase composée », selon saint
Léonce de Byzance et autres - et fuit-on une formule analogue concernant la Nature ?). Il est vrai que
ce dernier terme, avons-nous vu, est très imprécis ; et il vaudrait mieux s'en passer, en certains cas,
dans les questions théologiques ; mais n'en est-il pas de même avec tous les autres termes en usage ?
La notion de la personnalité, de la moi-ïté nous dit-elle quelque chose de précis ?
On peut dire que, dans certains cas, le mot « Nature » peut être parfaitement équivalent au « Moi ».
L'essentiel, c'est l’unité du terme dans les deux moiïtés de l'antinomie théandro-christologique. Mais quant
aux termes eux-mêmes, « une Nature en deux Natures » veut dire absolument la même chose qu'« un Moi en deux Moi ».
3) Les concepts cappadociens de Nature et de Personne considérés comme une rationalisation de la Christologie :
La rationalisation de la formule officielle, avons-nous vu, consiste en ceci
que le mot « Nature » est réservé à la dualité dans le Christ, et le terme « Moi » - ou bien l'ancien terme
d' « hypostase » - à son unité de personne, d'autoconscience.
Cette interprétation conditionnelle entraîne de très graves conséquences, car jusqu'à présent, elle continue
à séparer les chrétiens catholiques-orthodoxes de leurs frères « monophysites » (arméniens, coptes, éthiopiens, etc.)
et de plusieurs communautés nestoriennes, conservées en Chine et au Tibet.
4) Le tout antinomique du Moi en deux Moi.
« Un seul Moi » n'est pas équivalent à la « Mia physis » des monophysites, et ne donne pas de réponse à la question de la distinction réelle des deux Natures en un seul et même Christ, comme l'exigent les nestoriens - bien que la formule chalcédonienne est de beaucoup plus près du nestorianisme que du monophysisme.
Une Nature en deux Natures, un Moi en deux Moi, une volonté en deux volontés.
Voilà les formules exactes, embrassant en un tout antinomique le dyophysisme (doctrine
des deux Natures) antiochien et le dythélisme (doctrine des deux volontés) d'une part - ainsi que le monophysisme
avec son rejeton de monothélisme de l'autre.
Disons même davantage : les formules telles que « une Nature en deux Moi », « un Moi en deux Natures », veulent dire
absolument la même chose que les autres. Car chacune d'elles veut dire enfin que le Christ est un Dieu-Homme et un
Homme-Dieu, Théanthropos kai anthropo-théos, et non un Dieu et un Homme, Théos + Anthropos, — seule
considération interdite à cause de son absurdité.
Sa divinité et son humanité se pénètrent mutuellement, devenant divinité en état de création et humanité
en état de divinisation. Rappelons-nous bien que le Logos est Dieu-Homme, Homme céleste, avant même son
incarnation dans le monde ; cette incarnation n'est qu'une concentration du contenu créé du Logos en le
microcosme de l'Humanité - son apparition dans le domaine du créé.
5) Logos caché et Logos manifesté.
L'incarnation, en dépit de ce qu'on pense d'habitude, n'ajoute rien au Logos, car elle n’est qu'une manifestation de ce qui existe à l’état caché (Logos endiathetos) avant d'apparaître (Logos prophorikos).
Il n'y a rien de caché sans que ce caché soit manifesté (Mt. 4, 22).
En se manifestant, ce caché exprime dans cette manifestation tous les côtés
de ce caché, et par conséquent embrasse en soi tout ce qui est déjà manifesté dans le monde.
Le monde entier n'est qu'un reflet multiforme
des innombrables qualités divines contenues
dans le Logos
comme Objet divin.
Le Logos ne peut se manifester autrement que sous l'aspect humain. Il ne se manifeste
pas seulement sous un aspect individuel, mais aussi sous l’aspect commun, universel : la multiplicité humaine
devant être unifiée, elle ne peut l'être que dans le Logos comme dans un tout antinomique.
Le Logos unit en Lui les diverses propriétés exclusivement personnelles de chacun de nous. Tel est l'Homme
Kat’exothen - selon le dehors, la synthèse objective de l'univers entier.
L'homme résume en lui la création entière ;
le Logos incarné résume en soi tout le contenu de l'humanité,
étant Humanité de l'humanité.
Il est clair maintenant qu'en se manifestant dans les limites de la durée, le Logos
revêt la Nature humaine complète :
- le corps-objet,
- l'âme-sujet,
- et l'esprit-essence.
Tout « apollinarisme » soit psychique (Apollinaire lui-même - qui considérait que le Logos tenait lieu d’« âme »
dans le Christ), soit pneumatique (Boulgakov) est et restera toujours inévitablement unilatéral et inexact.
Il est vrai que par son âme et son esprit, le Christ appartient aussi à la Sagesse divine et à l'Église - deux
autres hypostases de la Trinité théandrique.
Le Verbe est le pôle positif de la Trinité incréée. Il vit avec le pôle négatif de la Trinité incréée qu'est la Sagesse, et avec l'essence de la Trinité incréée qu'est l'Église en tant que réalité spirituelle.
En ceci, il n’y a rien d'étonnant, car cette Trinité est en même temps Unité, Dualité, Multiplicité, etc. En tant qu'unité, elle est justement le Christ Chef et Membres, c'est-à-dire l'Église ; entre le Christ et l'Église existe une telle liaison qu'il est impossible pour un chrétien de parler de l'un sans parler en même temps - et dans le même sens - de l'autre.6) La concorde des deux Moi divin et humain :
Certes, en ce qui concerne l'humanité complète du Christ, nous prévoyons que se posent
certaines objections. Par exemple comment les deux « Moi », divin et humain, peuvent-ils être réduits à
une concorde complète et à jamais immobile ?
À cette ancienne question - nous répondons par une autre : et pourquoi doit-on penser nécessairement à la
possibilité d’une discorde complète et à jamais incurable, étant donné l'état de perfection de la nature
humaine du Christ ?
Toutes les objections semblables ne peuvent surgir que dans un esprit limité, plongé dans le péché ; tel est notre
cas à nous tous. Mais le Christ lui-même n'a point connu de péché et par conséquent avait une conscience claire
de son devoir - d'ailleurs la possibilité de la chute ne lui était point fermée, — bien le contraire ! — le
récit de sa tentation par Satan en est un raccourci divinement stylisé ; Il pouvait parfaitement, sans contredire
en rien à sa liberté humaine, être toujours en accord avec la volonté divine. Celle-ci ne peut jamais contrarier
la volonté humaine, lorsque celle-ci est en état de posséder une vraie connaissance du bien et du mal.
La concorde est une des conséquences du mystère de l'Amour qui meut l'univers entier. Et enfin pourquoi Dieu
peut-Il mieux se manifester par des objets matériels aveugles (buisson ardent, l'urim et le tummim)
ou bien dans les rêves ou visions, et ne peut-Il pas se manifester par la meilleure, la centrale de ses
créatures, l'homme ?
Ce ne sont point uniquement nos dispositions qui nous éloignent de Dieu, mais aussi notre limitation,
le fait lui-même que nous sommes finis tout en étant parfaits en notre genre. L'infini ne peut-il
point se manifester dans le fini, de sorte que cette manifestation ne soit autre chose que cet Infini
lui-même sans aucun changement ? C'est d'ailleurs sur cette possibilité antinomique que le Fini, lui
aussi nécessaire à l'Infini, peut participer aux perfections de ce dernier - telle est d'ailleurs l'unique
possibilité qui se présente à la création...
Les deux « Moi » peuvent être différents, tout en étant unanimes. Nous retrouvons
la même problématique dans la question des « deux volontés » en Christ, ou pour mieux dire, des deux « agir »
en une seule et même Personne du Christ.
Les monothélites, ceux qui niaient qu’il puisse exister deux volontés en Christ, c’est-à-dire que dans le Christ
l’humanité et la divinité possèdent chacune leur dynamisme propre, ne parvenaient pas à concevoir que
dans la Personne du Christ, il puisse exister deux « agir » spécifiques - sans que ces « agir » puissent
être en conflit.
C’est la confusion entre volonté différente et volonté contraire. Saint Maxime explique
cela admirablement :
Que le Christ possède par nature une volonté humaine, tout comme Il avait par essence une
volonté divine, le Verbe nous le montre clairement Lui-même, par son refus de la mort – refus conforme à
la Nature humaine – refus qu’Il exprima à cause de nous, selon la Dispensation du Salut, en disant : « Père,
s’il est possible, que cette coupe s’éloigne de Moi » Mt. 26 ; 39. […] Mais qu’en retour, cette
volonté (humaine) ait été complètement déifiée, donnant son consentement à la volonté divine elle-même, […]
cela apparaît évident par le fait qu’elle a accompli parfaitement cela seul que le Père avait décidé ;
conformément à cette décision, c’est en tant qu’homme qu’Il a dit : « Non pas ma volonté, mais que ta
volonté soit faite » (Lc. 22 ; 42). Par là Il s’est donné Lui-même à nous comme exemple, pour que
nous renoncions à notre volonté propre et accomplissions parfaitement celle de Dieu.
Maxime le Confesseur, Opuscule VII, § 25 – 26. L’agonie du Christ MIGNE Coll. « Les Pères dans la Foi »
2007 pp. 77 – 78.
Cette notion théologique de la conformité des volontés en Christ, est de grande
conséquence dans la vie spirituelle. Dans le Jardin des Oliviers, le Christ a accordé sa volonté humaine
à la volonté divine, même si initialement cette volonté humaine résista, face à la perspective de la mort.
Agissant au nom de toute l’humanité, le Christ nous montre la voie de la vie spirituelle : en toute liberté,
il s’agit de faire coïncider notre volonté humaine avec la volonté divine. S’il n’existe qu’une seule
volonté – la volonté divine – la seule attitude possible de la créature humaine en présence de Dieu, serait
la soumission. Ce n’est pas ce que propose le Christianisme.
1) Un seul Prère, un seul Verbe, un seul Esprit, une seule Vierge-Mère :
La Sagesse divine devient dans le temps et l'espace la « Mère de Dieu et
toujours Vierge Marie ».
Tel est le témoignage de toute la tradition chrétienne et de toutes les confessions et sectes chrétiennes,
dont chacune est obligée au moins de reconnaître que le Christ est né d'une femme.
En paraphrasant quelque peu saint Clément d'Alexandrie, on peut dire que le mystère de la religion chrétienne
consiste en ceci qu'il y a un seul Père de l'univers, un seul Verbe, un seul Esprit... et
également une seule Vierge-Mère (qu'il confond avec l'Église).
D'après saint Hippolyte, le Verbe premier-né, Prototokos Logos, est devenu l'Homme premier-né, Prototokos
anthropos, dans le sein de Marie qui devient par cela même un élément important dans la construction du monde.
Éternelle par le Saint-Esprit, l'incarnation du Verbe est temporelle.
L'incarnation du Verbe atteint ce monde
par la Mère de Dieu qui, tout comme la Sagesse divine dans le domaine du divin, engendre le Christ et par
cela même fait procéder de soi et par soi l'Église.
La Mère de Dieu est, avons-nous vu, le quatrième point dans la hiérarchie de l'univers divinisé. Ce fait est
expressément souligné par une icône d'origine occidentale, conservée dans la Laure de l'Assomption à Kiev : la
Sainte Vierge - expression parfaite de la Sagesse divine - est représentée en bas de l'icône, couronnée par
la Sainte-Trinité, le Saint-Esprit ayant la forme d'une colombe ; en voici l'inscription : « Ils la ceignent
de la couronne de l'éternelle gloire, le Père : la Fille, le Fils : la Mère, le Saint-Esprit : la Fiancée ».
Les textes liturgiques nous permettent de corriger l'inexactitude du premier et du dernier de ces trois épithètes :
dans l'Office oriental de la Nativité de la Vierge elle est nommée Fiancée (dans le sens de la Femme) du Père,
restant Mère aussi pour la manifestation de la moiïté « créée » du Saint-Esprit — « Mère de l’Église ».
On peut ainsi rétablir l’inscription de l’icône : « Ils la ceignent de la couronne de l'éternelle gloire, le Père : la Fiancée - le Fils : la Mère - le Saint-Esprit : l’Église.
2) La Mère de Dieu, première parmi les membres de l'Église - l'Âme universelle :
Généralement parlant, tout ce qui existe peut être nommé incarnation de la Sagesse, y compris le Christ lui-même comme Sagesse-Objet, unité et multiplicité des membres de son Corps qui est aussi l'Église.
Pour comprendre ces propos, il est utile de garder à l’esprit le schéma suivant :
Trinité incréée :
- Essence / Sophia ou Sagesse-Mère ; Énergie, activité créatrice de Dieu.
- Objet / Logos ; Corps mystique du Christ.
- Sujet / Esprit ; Âme universelle ; Âme de l’Église en tant qu'organisme spirituel.
Trinité créée :
Essence / expression hypostatique de la Sagesse-Mère ; la Mère de Dieu.
Objet / moiïté créée du Verbe ; le Christ en son incarnation.
Sujet / contenu créé de l’Esprit-saint ; fondation historique de l’Église.
a) Selon le premier point de vue objectif, matériel, corporel, la Mère de Dieu elle-même, en
tant qu'individualité humaine, entre dans l'Église, devient première parmi ses autres membres créés (elle
est représentée par le « cou » du corps du Christ, selon saint Bernard - en le corps mystique du Christ, faisant
fonction de liaison entre la Tête/Christ et les Membres/Église).
b) Selon le second point de vue subjectif, « animique », le Christ lui-même, sa Mère et le reste des membres de l'Église
sont surtout et exclusivement des organes du Saint-Esprit agissant et s'inspirant en eux. Telle est l'Âme de
l'univers, la Beauté de la Vérité, la Vie bienheureuse du Corps – ce Corps qui n'a pas de sens en dehors de cette Vie,
de cette lumière.
Cette Âme de l'univers n'était pas le Verbe, mais était dans (en, dans le Prologue)
le Verbe, comme étant une manifestation, un mouvement de l'Esprit-Saint.
De ce point de vue subjectif, en tant
qu'organe du Saint-Esprit, Marie est une Vierge pure, toujours Vierge, Aeiparthenos.
3) L'union hypostatique.
A/ L’Essence / Sophia ou Sagesse-Mère, dans la Trinité incréée :
c) Le troisième point de vue, point neutre, essentiel, est difficile
à saisir : c'est l'aspect de Marie-Mère, aspect d'origine de tous et de tout du Père par la Mère.
De ce point de
vue qui d'ailleurs conditionne les deux précédents (objectif et subjectif), c'est évidemment Marie-Mère qui
est le sommet et le centre, l'origine et le commencement de la création.
L'aspect de la Maternité est le premier,
le principal et aussi l'unique aspect de la Sagesse-essence, Sagesse-Mère.
B/ L’Essence / expression hypostatique de la Sagesse-Mère, dans la Trinité créée :
C'est précisément de ce point de vue que nous parlons de l’union hypostatique de Marie la Vierge avec la Sagesse-Mère. Ceci nous permet de définir enfin exactement la notion de cette union :
L'union hypostatique, c'est la manifestation de l'impersonnel dans le personnel
sous l’aspect de l'unité générique ou de l’unicité.
C/ L'Objet, dans la Trinité incréée et créée :
Le Père Léonide fait allusion à l’Objet / Logos, dans la Trinité incréée, qui répond à l’ l’Objet / moiïté créée du Verbe, dans la Trinité créée :
C'est ainsi que le contenu créé du Logos-Verbe se manifeste et se concentre en Jésus-Christ par la voie, unique possible pour le Logos-Objet, celle de l'incarnation, en tant que manifestation visible et palpable :
D’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le commencement les témoins oculaires… (Lc 1, 2);
Ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont touché au sujet du Verbe
de Vie… (Jn 1, 1-2).
L'incarnation témoigne de l'unité et unicité de la multiplicité de ceux qui participent à son Corps.
D/ Le Sujet, dans la Trinité incréée et créée :
Le Père Léonide fait allusion au Sujet / Âme universelle, dans la Trinité incréée, qui répond à au Sujet / contenu créé de l'Esprit-Saint, dans la Trinité créée :
C'est ainsi que le contenu créé de l'Esprit-Saint se manifeste et se concentre en l'Église-Épouse, Âme universelle, non-visible extérieurement, mais embrassant toutes les âmes, tous les sujets de l'univers, par la voie unique possible de l'animation, d'inspiration de tous en l’unité et l’unicité réelle des pensées, des dispositions et des mouvements psychiques et spirituels de chacun de nous.
E/ Le Sujet et l'Objet, dans la Trinité incréée :
Le Père Léonide fait allusion à ce qui dépend de l'Essence, dans la Trinité incréée, Objet / Logos, Corps du Christ, qui répond au Sujet / Esprit ; Âme universelle : Âme de l'Église :
Le lien ontologique qui nous unit tous en un seul et même organisme, le Corps du Christ
(Ac 4, 32-35), est ainsi vivifié par l'Âme de l'Église.
Cette Âme de l'Église, en vertu de la communication des idiomes, est aussi l'Âme du Christ ;
de même que le
Corps du Christ est en même temps aussi le corps de l'Église, par la voie négative que nous allons étudier à la fin
de ce chapitre.
De ce point de vue, l'âme de l'« homme Jésus » elle-même est une partie de l'Âme universelle ; l’âme de l’« homme Jésus »
est à la fois distincte et non distincte de l'âme du Christ : car la Trinité théandrique est une Trinité
consubstantielle et indivisible, tout comme est consubstantielle et indivisible la Trinité incréée.
Il est temps de souligner que le Christ, dans le temps, est né non du Père, mais notamment « du Saint-Esprit et de
Marie la Vierge », comme le dit le symbole de Nicée.
Marie la Vierge est à son tour une manifestation hypostatique de la Sagesse divine. Il ne s’agit pas de l'« incarnation »
de la Sagesse dans la « femme Marie », mais de la manifestation hypostatique de la Maternité universelle.
Cette manifestation hypostatique donne à chaque être une essence, un contenu intérieur qui est à jamais immuable :
c’est ce qui nous est accordé par et dans Marie, qui est la Mère commune.
C'est donc essentiellement que Marie nous révèle la Sagesse, tout comme le Christ nous la révèle corporellement :
En Lui (le Christ) habite corporellement la plénitude de la Divinité (Co 2, 9).
Le Christ nous la révèle la Sagesse corporellement, tout comme l'Église-Esprit nous la révèle animiquement et spirituellement, dans la divinisation générale. Telle est l'unicité des manifestations de la Sagesse divine ; telle est Marie la Vierge.
1) La Sagesse en-hypostasiée en la Mère de Dieu :
La Sagesse, première personne de la Trinité théandrique, est hypostase grâce à Marie Mère de Dieu. Elle est présente en Marie dans sa totalité, tout en étant présente aussi dans les autres choses qui forment — encore invisiblement à notre époque — une multiplicité essentielle autour de l'unité maternelle de la Vierge.
Le Père Léonide avait radicalement repoussé le terme d'« hypostase », dans l'acception que lui
avait donnée les Cappadociens : « ce qui est spécifique à la personne », par opposition à la « Nature », qui désigne
« ce qui est commun aux personnes ».
Ce qui est « spécifique à la personne », c'est « ce qui est à moi, et non à toi », c'est-à-dire les caractéristiques
particulières de chacun. Une telle catégorie ne pouvait convenir à l'esprit entièrement inclusif du Père Léonide.
Nous voyons ici qu'il reprend le terme d'« hypostase », mais en le revêtant d'un autre sens : ici, l'« hypostase »
est la récapitulation en une personne, d'un ensemble qui lui est ontologiquement antérieur : la Sagesse
est « hypostasiée » en la Mère de Dieu.
C'est pourquoi l'Église historique, comme on le voit dans ses applications liturgiques, considère la Sagesse - personnifiée sous une forme féminine dans le chapitre 8 du Livre des Proverbes et dans maints endroits du livre de la Sagesse - comme identique à la Mère de Dieu. Ces passages de la Bible sont, en Orient, lus à la vigile des fêtes de la Vierge ; l'Office oriental solennel de la Sophia divine est célébré le jour consacré spécialement à la glorification de Marie — le jour de la Dormition.
2) Identification de la Sagesse avec le Fils ou l'Esprit-Saint.
Si certains Pères identifient la Sagesse divine tantôt avec le Fils (pour la plupart) tantôt
avec l'Esprit-Saint, il n’y a rien d'étonnant à cela, car la Sophia divine, l’essence commune des moiïtés
créées du Verbe et de l'Esprit, entre comme telle dans la Trinité incréée en qualité d'activité
créatrice de Dieu, de son Energheia.
La Mère de Dieu devient ainsi le Saint des Saints du temple merveilleux de la Création. C’est le Lien mystique
réel d'où sort la Trinité théandrique, l’essence hypostasiée des deux autres hypostases de cette dernière,
sa manifestation dans la durée, qui est à la fois le point central de l'Histoire du monde et la base de
son existence à venir. Car le monde, engendré au sein de la Vierge-Mère, se révèle en effet comme une création
nouvelle, divinisée, définitive.
Tel est le vrai caractère de la sophiologie catholique-orthodoxe dont on parle si souvent ces derniers temps.
Cette sophiologie est donc essentiellement une mariologie,
- de même que la sotériologie chrétienne est une
christologie,
- et son ecclésiologie, une pneumatologie :
ESSENCE
Sophiologie
Mariologie
OBJET ------------------------------------------- SUJET
Sotériologie ----------------------------------- Ecclésiologie
Christologie --------------------------------- Pneumatologie
Inséparables, ces trois aspects forment une trinité qui est en tout semblable — à l’image
et à la ressemblance — de la Trinité incréée avec laquelle elle entre en une communion étroite et
divinisatrice, grâce au Christ et à son Épouse.
La Vierge occupe le sommet hiérarchique de la création.
L'essence de la Trinité incréée est le Père.
Au sein de la Trinité théandrique, l'essence de la Trinité créée est l'hypostase de la Mère de Dieu :
La Vierge forme la contrepartie du Père céleste en prenant sa place dans la Trinité d'ici-bas. Fille du Père, elle devient la Mère de son Fils incarné, c'est-à-dire, par l'intermédiaire du Saint-Esprit (et uniquement par cet intermédiaire), la Femme du Père.
« Épouse du Père » est une expression que l'on retrouve dans les textes liturgiques - même si l'on peut penser que cette expression, de par son caractère extrême, se situe aux limites de la compréhension humaine.
La Vierge est à la fois supérieure (du point de vue de la création) et
inférieure (au point de vue incréé) à son Fils.
Dans ce sens-là la Mère de Dieu, la Quatrième (Père / Fils / Esprit-Saint - Mère de Dieu ), peut être considérée
comme étant la caractéristique complète de la parfaite création divine, son fruit immaculé et sans tache. Don le
plus parfait, Réponse mystique de la création à son Créateur, elle est indispensable à notre Salut.
Sans elle l'incarnation du Verbe, acte théandrique qui suppose que l'activité divine est accompagnée de l'activité humaine,
ne peut se réaliser.
Mais voici qu'elle reste presque inconnue de cette création, alors que celle-ci est engendrée, sauvée et justifiée par elle.
Le fait de son élévation au ciel qui - sans revêtir le caractère d'un dogme au sens formel de ce mot - fait partie
de l'histoire hiératique du monde, n'a jamais été formulé par aucun concile ; la confirmation du terme
même Théotokos (Génitrice de Dieu) au troisième concile œcuménique d'Éphèse (431) passa presque inaperçue,
bien qu’elle soit toujours reçue en pratique. L'introduction dans le symbole de Nicée-Constantinople d'un mot
rendant l'idée de la perpétuité de sa virginité a même été positivement repoussée par les Pères du Vème
concile œcuménique (553) pour une cause purement formelle (l’interdiction de composer de nouveaux symboles de foi).
Fondement de la glorification des saints et étant elle-même la première sainte chrétienne (nous allons en parler plus tard),
la Vierge a pourtant ici-bas une histoire plus légendaire que celle de tel ou tel Saint. Sa vie terrestre demeure
toujours une énigme insondable pour la science historique positive — beaucoup plus que celle de Jésus. Dans les
Évangiles canoniques elle n'apparaît qu'incidemment, dans de brefs épisodes, si l'on excepte le 1er chapitre
de Luc et sa présence aux noces de Cana - et sa présence auprès de la Croix de son Fils dans l'Évangile de Jean.
Voici les modestes données dont nous disposons : elle est une vierge, fiancée à un homme nommé Joseph (dans le 3ème
Évangile, le nom de ce dernier n'apparaît qu'en passant : Lc. 1, 27); son nom est Marie ou plutôt MiRYaM (Cf. Ex 15, 20 :
«Myriam, la Prophétesse, sœur d’Aaron, saisit un tambourin…») ; il n'y a aucun indice positif qui permette d'affirmer
que dans l'Évangile de Marie, celui de saint Luc, la généalogie des ancêtres de Jésus soit celle de la Vierge.
En faveur de cette supposition n’existent que quelques arguments qui ne sont pas trop décisifs (le nom du père de
Joseph, Eli, forme abrégée d'Eliakim, peut donner, sous forme « yahwiste », loakim ou Joachin, nom conservé par
la tradition chrétienne pour le père de Marie).
D'autre part, dans l'Évangile de Matthieu, le plus hébreu de nos quatre évangiles canoniques, Joseph est appelé
simplement « époux » de Marie, quoique la naissance de Jésus par la vertu du Saint-Esprit exclut, bien entendu,
psychologiquement (pour ne pas dire spirituellement) toute vie conjugale ultérieure entre eux. Quelquefois
Marie semble ne rien comprendre à la mission et à l'œuvre de son Fils.
Eux (Marie et Joseph, après la fugue du Christ-enfant auprès des Docteurs du Temple) ne comprirent pas la parole qu’il venait de leur dire (Lc 2, 50). Ne saviez-vous pas que Je me dois aux affaires de mon Père ?
Sa présence aux noces de Cana ne nous révèle aucun trait de son caractère individuel,
sauf la compassion profonde et la certitude que son Fils peut vaincre tout obstacle et répondre à toute nécessité.
Son Fils était pour elle son Dieu et son Seigneur ; chair de sa chair, Il la dépassait infiniment par sa divinité,
quoique par son humanité Il lui fut toujours soumis. Quelle maternité étrange que celle qui engendre son Dieu !
Devenue à la mort de son Fils, sur son ordre, Mère aussi pour le « disciple bien-aimé », elle fut confiée par
le Seigneur à ses soins filiaux. Le jour de la Pentecôte, la Vierge était présente avec les Douze au moment de
la descente du Saint-Esprit, descente rendant accomplie l'union hypostatique de l'Esprit avec l'Église. En
ce moment la Vierge fut de nouveau remplie de l'Esprit, quoiqu’après cet événement elle soit toujours demeurée
elle-même, sans jouer de rôle apparent dans l'Église naissante ; cela ne convenait pas à une femme, bien que
cette même Église procédât de son sein. N'oublions pas que Pentecôte remplaça ou compléta pour les apôtres
le « baptême de Jean » qu'ils avaient probablement reçu - par le baptême chrétien.
Quant à la Vierge, la Pentecôte constitue le sommet de sa croissance spirituelle, commencée dès le premier moment
de son union hypostatique avec la Sagesse divine, et surtout depuis le moment de la conception de Notre Seigneur
dans son sein que nous célébrons le jour de l'Annonciation : « Je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit
fait selon ta parole » (Lc 1, 38). Ce consentement humble et modeste sauva l'Univers entier.
Saint Paul ne parle point de la Mère de Dieu. Dans l'Apocalypse, elle n'apparaît nulle part, car l'image de la
femme revêtue de la lumière du soleil (Ap. 12) n'est point la sienne non plus que celle de la Fiancée ou de
l'Épouse (Ap. 22), la première de ces images représentant le christianisme historique, et la seconde figurant l'Église.
Les premiers chrétiens ne nous parlent presque pas de la Mère de Dieu, sauf dans les
documents « apocryphes ». Mais voici que ce silence devient plus significatif que n'importe quelle parole humaine.
Notons avant tout que le mystère de la Trinité théandrique doit - selon le dessein divin dont il sera question
dans le chapitre suivant - s'accomlir invisiblement et presque imperceptiblement dans ce monde plongé dans
le mal et le péché.
Le rôle de la Mère de Dieu, d'importance primordiale, s'accomplit lui aussi dans le calme et le silence,
comme d'ailleurs tous les événements de la vie terrestre du Verbe incarné, y compris Sa résurrection et Son
ascension. Et si la gloire éternelle de Marie, sa résurrection et les événements de sa vie céleste restent
cachés des yeux physiques de ce monde, tous ces faits, dans la théologie liturgique de l'Église — si caractéristique
de l'Orthodoxie catholique — sont exprimés et expressément soulignés avec une telle force, qu'ils dominent
tous les arguments rationnels exigés par notre faible intelligence humaine, dépourvue de la grâce
et de la compréhension.
Voici que désormais toutes les générations me diront bienheureuse (Lc 1.48).
Cette prophétie de la Mère de Dieu pouvait-elle ne pas s'accomplir ? Et nous la voyons
se réaliser. C'est ainsi que le christianisme intégral considère liturgiquement la Mère de Dieu comme « plus vénérable
que les chérubins et incomparablement plus glorieuse que les séraphins » (chant liturgique oriental). L'usage pratique
du culte de la Vierge-Mère a, dans l'Église romaine et l'Orthodoxie orientale, de beaucoup devancé la pensée
théologique. Devant une telle évidence écrasante, l'Église n'a même pas jugé nécessaire de donner des définitions
dogmatiques exactes quant à la théologie mariale.
C'est ainsi que sont célébrées solennellement les fêtes de la Nativité de la Vierge, de sa présentation au temple et,
surnommée « chef (Kephalaion) de notre Salut », l'Annonciation, fête mariale ex professo. Cette fête
forme avec la Nativité de Notre-Seigneur et la Pentecôte une triade qui constitue un groupe à part dans le
cycle des grandes fêtes de l'année liturgique - les deux dernières fêtes glorifiant principalement et
intentionnellement les deux autres hypostases de la Trinité théandrique (Nativité : le Christ / Pentecôte :
l'Esprit-Saint).
En outre l'office oriental spécial de la Dormition, celui de l'« Ensevelissement de la Mère de Dieu », présente
une analogie parfaite entre la mise au tombeau de la Vierge et celle de son Fils. Car la Vierge, nous dit
la tradition antique, ressuscita du tombeau avec son corps glorieux et fut élevée au ciel, après avoir réchauffé
les germes de l'Église du Christ à Jérusalem, par ses soins maternels.
Elle fut la première de toute la génération humaine, sauf le Christ-Humanité, à être élevée à une telle hauteur,
car sa résurrection fut définitive, en tout semblable à celle de son Fils. Enoch et Elie (les deux témoins mentionnés
dans l'Apocalypse, 11, 3 ?) sont aussi montés aux cieux, mais dans un sens différent ; leur enlèvement, tout en
ayant un caractère surnaturel, ne pouvait être la résurrection définitive comme n'ayant pas été précédée par
une mort préalable :
Personne n'est monté aux cieux, si ce n'est que Celui qui est descendu du ciel, le Fils de Dieu qui est dans les Cieux (Jn 3, 18).
Dès le moment de sa résurrection glorieuse - et non pas auparavant, comme le pensent
unilatéralement les théologiens romains - la Mère de Dieu fut définitivement délivrée du joug du péché originel.
Elle y fut soumise – de même qu’à la mort - au premier moment de son union hypostatique avec la Sagesse divine,
au même titre que le reste de la création.
L'« Immaculée Conception », dans le christianisme intégral, a une signification infiniment plus profonde.
L'intervention spéciale du Saint-Esprit au moment de la conception de la Vierge au sein de sa mère Anne,
dans le but d'extorquer la Vierge de la puissance du péché originel, est une chose qui est certes possible
pour la toute-puissance divine à l'égard de n'importe quel être humain. Mais un tel acte est en fait
parfaitement impossible, non seulement à cause de son entière insuffisance et de son entière inutilité
pour la grande cause de notre salut, mais surtout du fait qu'elle détruit ainsi la participation réelle
de Marie au genre humain et par conséquent ne lui permet point de devenir Mère du Rédempteur de
ce genre humain.
Ce qui égare quelque peu la mentalité concrète des Latins, c'est le fait de l’existence d'un ordre beaucoup
plus profond, également surnaturel et exceptionnel, qui détruit pour ainsi dire toute « mécanisation » de la
vie de la Vierge et qui met en relief toute la valeur du mérite personnel de la Mère de Dieu dans l'œuvre de
notre Salut :
en vertu de son union hypostatique avec la Sagesse divine, la Mère de Dieu n'a point commis de péché personnel par lequel nous participons tous, personnellement, au péché originel d'Adam.
Elle est ainsi Très Pure, Immaculée, dès le premier instant de sa conception,
indépendamment de toute intervention spéciale du Saint-Esprit. Par conséquent la mort n'a pu la retenir ;
elle n'a point connu de corruption.
L'Immaculée Conception au sens catholique-orthodoxe ne concerne point la conception de la Vierge elle-même,
mais démontre solennellement et triomphalement qu'elle est l'Immaculée Conception du monde entier en Dieu,
comme sommet de la Création entière, ancienne aussi bien que « nouvelle ».
Si quelqu’un est en le Christ, il est une nouvelle créature (2 Co 5, 17).
Ce qui importe, ce n’est ni la circoncision, ni l’incirconcision, mais (le fait d’être une) nouvelle créature (Ga 6, 15).
Celui qui siège sur le Trône dit : voici, Je fais toutes choses nouvelles (Ap 21, 5).
Cette création obtient par elle une seconde naissance, déjà exempte du péché.
Qui croit en Lui (le Fils de Dieu) n’est pas condamné (Jn 3, 18).
Telle est la signification intégrale des quatre mots célèbres que l'on croit avoir été prononcés par la Vierge à Lourdes, et ceci notamment le jour de l'aurore de la création nouvelle, l'Annonciation... C'est ainsi que la Mère de Dieu, nova Eva, est la vraie « Mère de tout ce qui existe ».
L’homme appela sa femme Ève, parce qu’elle fut la Mère de tous les vivants (Ge 3, 20).
La Mère de Dieu est l'idéal de la Femme en général, qui se voile et s'humilie devant le monde entier ; elle se
trouve être en même temps la Souveraine suprême, unissant les deux aspects de l'Éternel Féminin — passif et cosmique.
Car c'est Elle qui, étant donné le caractère antinomique de son activité, — Vierge-Mère, Épouse sans époux, Génitrice de Dieu —
fait passer par soi et engendre spirituellement chacun de nous. Nous passons tous par elle ; c'est Elle qui, ayant
porté dans son sein Celui qui dépasse toute notion d'immensité, nous fait naître au Royaume glorieux du Christ et de Dieu ;
nous tous, nous devenons incorporés et concorporels à son Fils par l'intermédiaire de sa chair très pure.
Tel est le mystère de la seconde naissance de chacun de nous.
Ce caractère cosmique de la Vierge-Mère a été pressenti par l'antiquité païenne, d'une part par la vénération
des déesses-vierges et, d’autre part, par le culte de la Terre-Mère, et se trouve profondément enraciné dans la
sagesse populaire des peuples orthodoxes orientaux : « la Mère de Dieu est la Mère-Terre » disent les Russes croyants et,
ajoute le célèbre écrivain russe, Dostoïevsky, « en ceci consiste une grande joie pour l'être humain ». Ceci justifie
aussi la possibilité des icônes cosmiques de la Vierge, qui montrent souvent une composition très complexe. En
vertu de ce caractère cosmique de la Mère de Dieu, rendant pour nous palpables tous les mystères de la Sagesse divine,
Elle est non seulement Mère, mais aussi et nécessairement Vierge, car en elle est béni et sanctifié tout état humain.
La place de la nova Eva dans l'univers n'est point opposée à celle de la première Ève, mais elle en est pourtant complètement distincte : Elle engendre le second Adam lui-même. Elle devient ainsi « Dieu dans la création », comme Chef de la Trinité théandrique et sa première hypostase — tout comme l’est Dieu le Père dans la Trinité incréée.
En fait, en « Dieu en soi », le Père est l’Essence neutre de la Divinité.
En la Trinité théandrique – d’une part la Trinité incréée a comme Essence la Sophie-Sagesse,
et d’autre part la Trinité créée a comme Essence l’hypostase de la Mère de Dieu.
Avec ses deux pôles — la Sophie-Sagesse et Marie-Mère de Dieu ou « Dieu
la Mère » (n'abusons pas de ces termes) — Elle est l'unicité indispensable des manifestations multiples de
la Sagesse divine dans la création.
Et comme la Sagesse est aussi la double affirmation du contenu créé du Verbe et de l'Esprit, cette unicité
devait nécessairement se réaliser dans une personne humaine complète, tout comme le Verbe s'est manifesté en Jésus.
Rappelons pour mémoire, les distinctions opérées par le Père Léonide :
Trinité incréée :
ESSENCE
Dieu le Père
OBJET (+) ------------------------------------------- SUJET (-)
Fils --------------------------------------------- Esprit
Trinité théandrique - créatrice :
ESSENCE
Sagesse-Mèse / Sophia
OBJET (+) ------------------------------------------- SUJET (-)
Logos ------------------------------------- Esprit-inspiration
Trinité théandrique - créée :
ESSENCE
Expression hypostatique de la Mère de Dieu
OBJET (+) ------------------------------------------- SUJET (-)
Verbe incarné ------------------------------------- Église-Esprit
Une seule pensée doit être écartée résolument et avec insistance : celle de l'union quelconque de la Mère avec le Père (c’est l’erreur initiale et involontaire de la Christian Science) : le mystère de la Croix vivifiante avec ses quatre embranchements formés théandriquement par deux entités opposées doit être conservé tel quel :
INFINI
Dieu-Créateur
Relatif infini, absolu, éternel
AFFIRMATIF --------------- ENERGIE DIVINE --------------- NÉGATIF
Fils ------------------------ Sophia ----------------------- Esprit
Relatif fini, temporel
Choses créées
FINI
D'ailleurs la position de la Mère de Dieu dans la Trinité théandrique est diamétralement
opposée à celle que Dieu le Père occupe dans la Trinité incréée.
La Mère de Dieu comme cîme de l'Eternel Féminin n'a point dans la Trinité théandrique de rôle prépondérant
comme le Père dans la Trinité divine. Tandis que Dieu le Père est plus grand que les deux autres hypostases
de cette Trinité, la Mère de Dieu est moins que le Christ Dieu-Homme et l'Église-Esprit :
ESSENCE
Dieu le Père
OBJET (+) ------------------------------------------- SUJET (-)
Fils --------------------------------------------- Esprit
==========================================================
OBJET (+) ------------------------------------------- SUJET (-)
« Corps » ------- « Âme »
Verbe incarné ------- Église-Esprit
La Mère de Dieu est et reste toujours dans le domaine de la création, étant la Création intégrale ; tandis que le Christ et l'Église sont liés hypostatiquement, non seulement à la Création intégrale, mais aussi et surtout avec l'Objet et le Sujet de la Trinité incréée.
Dans la Trinité théandrique, le Christ incarné de la Trinité créée est lié au Verbe
de la Trinité incréée ;
l’Esprit en tant que « fondation historique de l’Église » de la Trinité créée est lié à l’« Esprit-inspirateur »
de la Trinité incréée.
Dieu le Père ne s'unit avec la Mère de Dieu QUE par l'intermédiaire de son Verbe
et de son Esprit — tout comme avec le reste de la création.
L'Énergie divine n'est pas l'Essence divine et ne peut pas l'être ou le devenir. La Mère de Dieu reste toujours
en dehors de la Trinité incréée, en-dehors du fait de son union avec cette Énergie-sagesse qui
trouve en elle son hypostase, sa personnalisation.
Ce fait nous garantit la préservation éternelle de la création en son Dieu, de même que la préservation de
l'auto-conscience personnelle de chacun d’entre nous. Sinon, la divinisation se transformerait en un retour
dans le chaos primitif, dans l'inconscient, le non-être au sens habituel de cette expression.
C'est pourquoi, bien que servante du Seigneur, la Mère de Dieu est vraiment Médiatrice entre la Trinité incréée
et la Trinité créée. Le consentement de la Marie à la conception du Fils de Dieu est absolument nécessaire
pour notre Salut, et l'Église militante, en Orient, l'invoque avec justesse : « Très sainte Mère de Dieu, sauve-nous »...
Dans sa description de la Trinité théandrique, le Père Léonide montre que l’« Essence »
de la Trinité incréée est la «Sagesse-Mère», tandis que l’« Essence » de la Trinité créée est Marie,
l’« expression hypostatique de la Mère de Dieu ».
En conférant à la Mère de Dieu le titre d’« Essence » de la Trinité créée, le Père Léonide donne à Marie
un rôle qui paraît être immensément plus important que celui qui est dévolu classiquement à la Mère de Dieu
dans la théologie de l’Église orthodoxe.
Le Père Léonide nous décrit la Mère de Dieu comme étant « la Création intégrale »,
comme étant la « Médiatrice entre la Trinité incréée et la Trinité créée ». Cela est-il compatible avec
la théologie mariale de l’Église orthodoxe ?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire de décrire
brièvement la place de Marie, Mère de Dieu, dans la Tradition orthodoxe - sans oublier la Liturgie
où la piété mariale s’exprime avec une particulière richesse et une grande abondance.
L'Église orthodoxe vénère abondamment la Mère de Dieu. Pendant l'Office divin, lorsque nous chantons un «tropaire» -
strophe poétique en l'honneur d'une fête ou en mémoire d'un saint — nous terminons toujours ce chant par celui
d'un « théotokion » qui est un hymne à la Mère de Dieu. L'Office est ainsi parsemé de prières à la Vierge.
Les mercredi et vendredi de chaque semaine sont consacrés à la Croix et à la Mère de Dieu ; de nombreuses
compositions poétiques sont chantées en cet honneur, suivant les Tons. L'année est ponctuée de fêtes en mémoire
de tel ou tel épisode de la vie de la Vierge : sa Conception, sa Nativité, la Présentation au Temple, sa Dormition.
La Mère de Dieu est aussi présente dans l'iconographie ; il n'est même pas besoin de le souligner. Dans
l'iconostase, à gauche des portes royales, se trouve bien en évidence l'icône de la Vierge portant le Christ-enfant.
Cette icône montre la venue historique du Christ, lorsqu'il s'est incarné sur cette terre. À droite, nous voyons
l'icône du Christ, tel qu'il viendra à la fin des temps, comme Juge de tous les peuples. Au milieu, nous avons
les portes royales, où nous communions aujourd'hui au Corps et au Sang du Seigneur, pendant l'Eucharistie.
Cette disposition désigne bien l'écoulement du temps : passé, présent et futur.
Généralement, au sommet de l'iconostase se trouve l'ensemble d'icônes que l'on appelle la « Déisis », l'intercession.
Il s'agit du Christ Pantocrator, tout-puissant, avec à sa droite et à sa gauche, la Mère de Dieu et saint Jean-Baptiste
qui portent devant Lui toute la prière de l'Église, qui intercèdent pour nous tous. Cette Déisis peut être développée
et inclure de nombreux autres saints. À ce moment-là, cet ensemble d'icônes montre clairement que la Mère de Dieu
fait pleinement partie de l'humanité, tout en ayant atteint la plénitude de la sainteté, suite à l'effusion de
l'Esprit qu'elle a reçue lors de l'Annonciation. Dans l'abside, au-dessus du saint Autel, nous pouvons voir dans
certaines églises une grande représentation de la Mère de Dieu en orante, les bras levés. Il s'agit du même
thème que la Déisis : elle porte nos prières auprès du Christ, qui est représenté dans la coupole centrale de l'église.
Pourtant, cette vénération qui est partout présente dans la prière de l'Église, garde une mesure, une sobriété au
sein même de l'exubérance poétique des textes liturgiques et de la multiplicité des représentations picturales.
L'Église orthodoxe désigne la mère du Seigneur sous le titre de « Théotokos » - Mère de Dieu, et évite généralement
de l'appeler « la Vierge ». Car le titre de Mère de Dieu est unique, alors que bien des vierges ont vécu au sein de
l'humanité. La Tradition de l'Église vénère toujours la Mère de Dieu avec le Christ, jamais sans Lui, ou
indépendamment de Lui. La Vierge n'est jamais isolée du Christ. C'est réellement le critère orthodoxe en ce
qui concerne la vénération de la Vierge. Cela n'a jamais été dogmatisé. C'est une sagesse qui a toujours existé
implicitement dans l'Église.
L'iconographie souligne fortement cet aspect des choses: la Mère de Dieu est toujours représentée en relation avec
le Christ : soit elle porte l'Enfant-Dieu, soit elle s'incline vers son Fils dans le cadre d'une Déisis, soit elle
Le porte en son sein, lorsqu'elle Le prie en orante dans l'icône de Notre-Dame-du-Signe, soit le Christ Pantocrator est
figuré dans la coupole de l'église, et la Mère de Dieu élève les bras vers Lui, lorsqu'elle est représentée dans l'abside.
Jamais la Mère de Dieu n'est représentée en elle-même, ni priée pour elle-même. Toujours, elle nous dit, comme
elle le fit à Cana : « tout ce qu'il vous dira, faites-le » (Jn 2. 5). Elle se tourne vers le Christ, et nous Le désigne.
Elle serait la première à s'opposer à ce que nous fassions d'elle le terme exclusif de notre prière, indépendamment
du Christ. Elle ne veut rien nous dire de plus que d'écouter le Christ et de suivre son enseignement.
Vénérer la Vierge indépendamment du Christ et, à la limite, sans Lui, est un dérapage qui peut s'avérer
dangereux pour la Foi chrétienne. Cet excès est favorisé par une vision linéaire de la relation entre l'être
humain et Dieu. Si nous voyons cela comme un jeu d'émanations, nous avons un Père lointain et pratiquement inconnu,
puis en-dessous le Christ, déjà nettement plus vénéré, puis encore en-dessous, la Vierge, qui est une sorte d'intermédiaire
entre l'humanité et la divinité, et, pourquoi pas ? - une autorité ecclésiastique qui serait un intermédiaire
de plus entre nous et la divinité. Cette conception donne trois effets : le Saint-Esprit n'y trouve pas sa place
et est pratiquement oublié, la Vierge est exaltée au point de lui donner presque le rang de divinité, et cela
donne une hypertrophie du rôle du clergé dans la vie spirituelle.
Les Pères grecs, à l'inverse, partent de ce que l'on voit dans l'Évangile, et tout particulièrement lors de l'Épiphanie.
Dieu y apparaît sous la Personne du Père, dont la voix retentit, du Fils, qui vient se faire baptiser pour prendre sur
ses épaules le péché du monde, et de l'Esprit, qui apparaît sous forme de colombe, ce même symbole qui montrait à Noé
qu'une vie nouvelle avait surgi. Le Père est cette source intarissable de Divinité que le Fils est venu nous faire connaître.
Nous sommes au départ prisonniers d'une vie limitée, finie, assiégée de toutes parts par la maladie physique et spirituelle.
Le Christ nous convie à nous abreuver, à nous connecter à la Vie absolue du Père, totalement affranchie de toute mortalité,
de toute négativité. Cette Vie divine nous est communiquée par le Christ et l'Esprit, qui sont les deux « bras » avec lesquels
le Père agit dans la création, alors que Lui-même ne s'est jamais révélé. (Il est bien entendu que les Personnes divines
existent de toute éternité, indépendamment de leur action dans la création). Lorsque le Fils retourne au Père, Il nous insuffle
l'Esprit, afin que son message soit gardé vivant jusqu'à la fin des temps.
Le Christ et l'Esprit interagissent mutuellement auprès de nous. Nous communions au Corps et au Sang du Christ, qui
est consacré par l'Esprit. La Mère de Dieu a enfanté le Christ, mais elle l'a fait par la venue de l'Esprit. La Vierge
partage entièrement notre humanité, mais elle est le modèle par excellence de la sainteté, car elle été parfaitement
illuminée par l'Esprit. Personne plus qu'elle n'a connu le Christ. Nul n'a été davantage illuminé de l'Esprit Saint que la Vierge.
Nous sommes ainsi appelés à nous greffer sur cet Arbre vivifiant que sont le Christ et l'Esprit, trouvant leur origine
dans le Père. Même si la barrière entre ce qui est créé et ce qui ne l'est pas subsistera toujours, nous devenons
nous-mêmes vecteurs de la Vie divine pour l'univers entier qui nous entoure. Nous sommes appelés à être des
sarments, et à nous-mêmes porter des fruits. Il ne s'agit plus d'émanations linéaires, mais d'une croissance organique
qui vise à inonder de Lumière spirituelle l'entièreté de la création. La Mère de Dieu est un modèle d'humanité ; elle
est parvenue à la plénitude de la sainteté, et peut tous nous inspirer.
À la fin des ecténies, nous disons : « Faisant mémoire de notre Dame, la très-sainte, très-pure, toute-bénie et
glorieuse Mère de Dieu et toujours Vierge Marie ainsi que de tous les Saints, offrons-nous nous-mêmes, les uns
les autres et toute notre vie au Christ notre Dieu ». La Mère de Dieu est placée au premier rang de tous les Saints,
mais elle en fait partie ; rien ne vient l'arracher à la Communion des saints qu'elle partage avec tous
ceux qui sont parvenus à la plénitude de la perfection.
Lors de la Divine Liturgie, le prêtre commémore tous les Saints, immédiatement après l'Epiclèse : « Nous t'offrons
encore ce Culte raisonnable pour tous ceux qui ont trouvé le repos dans la Foi : les Ancêtres, les Pères,
les Patriarches, les Prophètes, les Apôtres, ...» - à la suite de cette liste de formes diverses de sainteté,
le prêtre cite la Mère de Dieu : « Et en premier lieu pour notre très sainte, immaculée, toute bénie et glorieuse
Souveraine, la Mère de Dieu et toujours Vierge Marie ». Une fois encore, la Mère de Dieu est agrégée au Corps
mystique des Saints. Elle en est la première, mais elle en fait partie intégrante. Il n'y a aucune séparation
entre le Corps spirituel des Saints et la Vierge : elle fait partie de l'humanité, et montre la perfection de sainteté
à laquelle nous sommes appelés. Cela écarte tout danger de faire de la Mère de Dieu une sorte de semi-divinité,
en l'arrachant de l'humanité, et en rendant inopérant, par le fait même, le rôle qui est le sien : montrer à l'humanité
la voie de perfection.
Le Père Léonide nous dit que « la Pentecôte constitue le sommet de la croissance spirituelle (de la Mère de Dieu),
commencée dès le premier moment de son union hypostatique avec la Sagesse divine et surtout depuis le moment de
la conception de Notre Seigneur dans son sein ». En ce qui concerne la représentation de la Pentecôte,
deux traditions existent : l'une montre la Mère de Dieu au milieu des disciples, l'autre laisse la place vide,
avec l'absence visible de la Vierge lors de l'effusion de l'Esprit-Saint sur les Apôtres.
Ceux qui peignent une icône de la Pentecôte avec la Vierge au milieu des disciples disent qu'elle était assurément
présente lors de cet événement, et de plus qu'elle est figure de l'Eglise. Ceux qui peignent une place vide affirment
qu'il est erroné de représenter la Vierge recevant l'Esprit, car la Pentecôte personnelle de la Mère de Dieu se
déroula lors de l'Annonciation. La flamme de l'Esprit reposa sur la Vierge lors de la Conception du Christ.
Sa place n'était donc pas à la Pentecôte. L'Eglise est représentée par le corps des Apôtres ; il n'est pas
opportun de doubler ce symbole par la représentation de la Mère de Dieu en cet endroit. Elle est présente au
milieu des Apôtres sur l'icône de l'Ascension mais là, il n'est pas question de la constitution de l'Eglise
et de la réception de l'Esprit-Saint. En ce qui nous concerne, il me semble qu'il est mieux de ne pas représenter
la Vierge sur l'icône de la Pentecôte, mais je vous en laisse juge : chacun est libre d'avoir son avis sur la question.
Au point de départ, la Mère de Dieu n'avait pas de privilège particulier. Elle avait exactement la même liberté que la nôtre,
lorsque survint l'appel divin. Elle a répondu positivement, et pouvait répondre « non », précisément de la même
façon que nous, lorsque la vie nous met en face de la question du sens de l'existence. Nous pouvons saisir
l'occasion d'un événement de la vie, pour nous mettre en marche dans le chemin de la découverte de Dieu — à moins
que nous ne décidions de faire la sourde oreille aux signes qui nous sont destinés.
Il est toujours étrange de voir l'être humain préférer l'affirmation que la vie est absurde, qu'elle est une sinistre
aventure qui se termine abruptement par la dissolution la plus abjecte - à l'appel divin, source de joie et de paix
intérieure, qui considère l'existence dans la perspective de l'Infini, et donne une stature grandiose à l'existence
la plus modeste et inconnue.
Nous trouvons un bon exemple de l'auto-destruction de l'être humain par le refus d'une dimension spirituelle, en ce texte :
Je vis sans vivre,
et j'attends une vie si haute
que je meurs
de ne pas mourir.
Ces vers désespérants et désespérés sont gravés dans le pavement du Musée Paul Éluard (1895-1952), à St. Denis - Paris.
Il est toujours étonnant de constater avec quelle énergie l'être humain échafaude
ses mythes pour se persuader à grands frais qu'il est un bipède captif d'une biosphère, un animal parmi d'autres,
à peine plus intelligent que d'autres mammifères tellement plus inadapté à son environnement et incroyablement vulnérable...
La Mère de Dieu a construit sa vie spirituelle sur base des mêmes éléments qui constituent notre vie humaine. De ce fait,
elle est pleinement notre modèle de vie spirituelle. Elle a franchi les étapes du processus de découverte de Dieu,
tout comme nous les franchirons, si nous prenons au sérieux l'appel de notre Créateur. Comment s'est exprimé son amour de Dieu ?
Elle a gardé les paroles du Christ dans son cœur ; elle a dit aux autres « faites ce qu'il vous dira » ; elle s'est
tenue au pied de la croix ; elle a partagé la prière des Apôtres après la Résurrection. Tout cela est aussi loin
que possible des effusions d'un amour sentimental, tout cela est empreint de sobriété. Comme le dit le Père
Léonide : « le rôle de la Mère de Dieu, d’importance primordiale, s’accomplit dans le calme et le silence ».
Nous voyons donc que la théologie de l’Église orthodoxe accorde à la Mère de Dieu une place d’une grande importance,
mais contenue en des limites strictes : Marie est notre maîtresse et initiatrice dans la Vie spirituelle, ayant reçu
sa « Pentecôte personnelle » à l’Annonciation. Elle est parvenue à la plus haute vie spirituelle et intimité avec le
Christ, sous la motion de l’Esprit. Marie est intégralement humaine, elle est « des nôtres »; rien ne peut l’arracher
à l’humanité – et c’est à ce titre qu’elle est notre modèle de prière et de vie illuminée par l’Esprit. La vénération
que nous lui adressons est toujours assortie à l’adoration que nous portons au Christ, son Fils et notre Dieu.
Jamais nous ne la prions en elle-même, indépendamment du Christ. Une vénération de la Mère de Dieu en elle-même dégénère
vite en mariolâtrie, et déséquilibre gravement toute la vie chrétienne.
Le Père Léonide considère que la Mère de Dieu est « l’essence de la Trinité créée ». Selon lui, la Vierge « forme la
contrepartie du Père céleste en prenant sa place dans la Trinité d’ici-bas ». Est-ce que cela ne mène point à un culte
idolâtrique de la Vierge ? Le Père Léonide s’empresse de nous répondre : non, car « la Mère de Dieu reste toujours
dans le domaine de la création, étant la Création intégrale » ; « la Mère de Dieu reste toujours en-dehors de la Trinité
incréée » ; « la Mère de Dieu est moins que le Christ Dieu-Homme et l’Église-Esprit ». Il convient de garder
ces précision à l’esprit, afin de ne pas hypertrophier l’image et le rôle de la Mère de Dieu dans la mise en œuvre du Salut.
1) L'Église comme troisième donnée de la Trinité théandrique :
L'Église, Épouse du Christ, est la troisième hypostase, la troisième donnée ou le Sujet de la Trinité théandrique. Comme telle, elle est liée hypostatiquement au Saint-Esprit qui, selon Hermas, nous parle sous la forme de 1'Église, En morphè tes ekklesias.
Morphè :Similitudes (paraboles)
9, 1, 1 : Je veux te faire voir tout ce que t’a déjà montré l’Esprit-Saint, qui s’est entretenu avec toi sous
la figure de l’Église. Naissance des Lettres chrétiennes, A. Hamman. DDB 1979 p. 208).
L'Esprit et l'Église sont inséparables ; là où il y a l'Église, là aussi est l'Esprit ; là où il y a l'Esprit, là aussi se trouve l'Église. Comme Âme, le Saint-Esprit s'anime dans l'Église, anime et inspire l'Église par son énergie ou grâce vivifiante, dont nous allons parler plus tard.
2) Les images de l'Église :
Cette union hypostatique de l'Esprit avec l'Église ne possède cependant point d'expression extérieure, visible,
au moins à l'époque actuelle : en vain chercherions-nous une manifestation visible de l'Église sous la forme concrète
d'une personnalité humaine féminine formant un pendant au Christ-Jésus.
Cette manifestation n'existe pas pour les yeux charnels ; elle n’est que négativement visible. L'Église, étant Sujet,
ne se manifeste point par une quelconque entité corporelle, bien qu'elle soit parfaitement personnelle en son intégralité.
Ce qui est Objet est compatible avec le langage ; ce qui est Sujet ne l'est pas.
Exception faite des images tout-à-fait occasionnelles (que nous trouvons dans Hermas, etc.) ou bien des figures symboliques (dans l’Apocalypse), il n'y a qu'un seul livre triomphant où l'Église, à la fois Sœur et Épouse de son Fiancé, apparaît nettement sous la forme concrète de « la plus belle des femmes » — nous parlons du sublime, du merveilleux Cantique des Cantiques.
3) Unité et diversité :
Le « Yin » et le « Yang » : L'Église, Sujet de la Trinité théandrique, apparaît au
coeur du corps du Christ, qui est Objet.
Ainsi, l'Église est l'âme du corps mystique du Christ,
ce corps qui englobe toute la création :
L'Église, Âme de la Trinité théandrique, est aussi l'âme du corps du Christ, âme agissant
dans le corps du Christ.
Ce corps — ne l'oublions pas — n'est déjà plus uniquement le corps de l'homme Jésus, mais l'unicité de
tous les autres ; il est la Création entière, embrassant ainsi le domaine du dehors en son intégralité.
Le « Yin » et le « Yang » : L'unicité positive est Objet, car elle est concrète, saisissable. Elle aussi, elle apparaît au coeur de la non-unicité, qui est Sujet :
Pour l'Esprit-Âme de l'univers, il n'existe qu'une unicité négative : la non-unicité ne peut se manifester qu'à travers et par l'unicité positive, visible, palpable. Cette manifestation, comme nous le verrons ensuite, transforme l'unicité positive elle-même, la transfigure, l'anime, en unissant les divers membres disparates en un seul organisme vivant, le Corps du Christ. C'est par l'activité de l'Esprit que nous devenons membres de ce corps.
4) Corps et âme :
Le Christ, Corps de la Trinité théandrique, est également le Corps de l'Église.
À l'Esprit-Saint, Âme unique de l'univers, participent toutes les âmes de la création, y compris celle du Christ-Jésus
lui-même.
5) Unité et diversité :
Le Christ est le Chef mystique du corps mystique portant son nom.
L'Esprit est l'agent principal de ce corps en concordance avec le Christ.
C'est pourquoi l'Église, le Corps du Christ, est en même temps l'Esprit-Saint qui vit dans l'humanité et l'unit en
un seul organisme.
Le « Yin » et le « Yang » : La multiplicité objective est Objet, car elle est concrète, saisissable. Cette multiplicité objective elle apparaît au coeur de la unicité négative, qui est Sujet :
Cet organisme est uni en cette unicité négative dont nous avons parlé plus haut.
Cette
unicité négative n'existe point en elle-même objectivement ; elle existe dans la multiplicité objective,
l'unissant à l'image de son unicité, celle du Christ. Cela est illustré par les deux paroles scripturaires :
Ne savez-vous pas que nos corps sont des membres du Christ ? (Objet)
Vos corps sont le temple du Saint-Esprit qui est en vous. (Sujet)
1 Co 6, 15, 19.
1) De l'unité vers la multiplicité :
Le Christ se développe à partir de l'unité de son Corps vers la multiplicité - et ce développe ment est en même temps l'œuvre du Saint-Esprit.
De la multiplicité vers l'unité :
L'Église, par un mouvement opposé, tend de la multiplicité vers l'unité, et cette tension est, à son tour, elle aussi l'œuvre du Christ.
L'Église, à la fois Corps du Christ et Âme de la création :
En tant que corps, l'Église est le Corps du Christ, elle est le Christ ;
- en tant qu'Église, elle est l'Âme de la création, cette Âme du monde qui suppose une multiplicité des
âmes qui est unie par l'unicité du Corps du Christ.
Il est impossible de donner ici des descriptions exactes en employant des formules mathématiques. Il s’agit
de la même communication des idiomes que nous avons vu exister entre les trois hypostases de la Trinité théandrique.
Cette communication souligne à l'extrême le caractère strictement personnel de chacune des
trois moiïtés.
2) La communication des idiomes entre le Christ et l'Église :
C'est justement dans l'impossibilité absolue pour le Saint-Esprit de s'incarner,
de se manifester objectivement que consiste, d'une part, la kénose subjective et, de l'autre, la toute-puissance
de l'Esprit, en vertu de laquelle le péché contre lui ne peut pas être pardonné.
Étant donné la communication des idiomes, les noms qui appartiennent proprement au Christ deviennent
aussi caractéristiques de l'Église, et inversement. Tout en Christ et en l'Église est lié à un tel point qu'ils
constituent véritablement l'Androgyne mystique de l'Époux et de l'Épouse ; ils sont un seul corps et une seule âme.
Nous sommes Syssoma, Symphytoi (Rm. 6,5), « concorporels » au Christ, et Sypsykha, « co-animés » à l'Église
par l'action de l'Esprit qui nous fait Symmorphous, « conformes » au Christ, comme s'exprime saint Cyrille
d'Alexandrie.
L’argumentation de saint Cyrille d’Alexandrie est basée sur la supposition que l'Esprit lui-même soit la « forme »,
Morphé, du Christ, forme qui « imprime » en nous l'empreinte, figurationem, Tropon, du Christ.
Cette conformité s'opère par l'intermédiaire de la Mère de Dieu, Génitrice du Christ Dieu-Homme et Productrice de
l'Église Dieu-Femme. De cette manière-là l'Église, tout en étant Âme et non-visible, est aussi Corps
et par conséquent visible ; elle se réalise aussi dans notre monde, dans les conditions de l'espace et du temps.
La notion d’« Église invisible » est en quelque sorte une contradictio in adjecto - contradiction dans les termes,
étant donné le sens du mot Ekklésia - communauté dans la littérature grecque profane.
3) L'Église, organisme théandrique vivant.
De ce point de vue, nous pouvons établir l'équation Église = Création ; nous l’avons déjà
fait en ce qui concerne la Vierge-Mère et le Christ.
Le monde entier est en effet destiné à devenir l'Église in actu - c'est-à-dire réalisée concrètement, comme le
monde est depuis le commencement l'Église en puissance - potentielle. Il n'y a ainsi point d'Église militante
et d'Église triomphante : il n'y a qu'un seul organisme théandrique vivant, l'Épouse du Christ, Ève nouvelle
du nouvel Adam, produite par l’Ève universelle, la Vierge-Mère de l'univers.
L'Église apparaît nécessairement dans l'Histoire, sortant du côté percé du Christ, tout comme la première Ève
fut formée de la côte du premier Adam.
De ce côté percé ont jailli le sang et l'eau que le monde a reçu comme gage de son salut — le sang et l'eau qui
sont depuis lors précieusement gardés dans le monde conçu comme un calice précieux, le Saint Graal (Boulgakov). Ce
sang et cette eau constituent la semence mystérieuse qui assurent la vraie évolution du monde.
Avant la venue du siècle futur, cette évolution du monde consiste désormais en le développement d'un seul Christ,
en une multiplicité de ses semblables constituant l'Église. L'incarnation du Christ, Chef du Corps glorieux de
l'Église, nous ouvre les portes de la filiation divine, en tant que cette dernière soit la participation à
l'essence divine, à la nature de la divinité.
Le terme de la divinisation consiste en notre ascension au ciel dont l'Ascension du Christ est le point de départ.
Cette ascension est assurée par notre nouvelle naissance, qui fut précédée par notre nouvelle conception immaculée
au sein de l'Église-Mère. Cette conception est réalisée dans et par l'Esprit-Saint. La multiplicité des conceptions
et des naissances trouve son unité-unicité dans la croissance progressive de l’homme Jésus en Christ-Sauveur - croissance
se terminant par sa nouvelle naissance après sa résurrection.
4) La croissance évolutive, du corps psychique au corps pneumatique :
Cette croissance évolutive du Christ en tant qu'homme est évidente d'après les quatre
récits évangéliques: Jésus, d'abord enfant, devient adolescent, puis atteint l'âge mûr de 30 ans, reçoit le baptême - devenant
ainsi conçu de l'Esprit-Saint - et commence l'accomplissement de sa mission publique après s'y être préparé
par son jeûne de 40 jours et sa résistance à la tentation du malin.
Après sa résurrection, son corps subit un changement : il devient un corps spirituel, dépassant la matière,
c'est-à-dire né de l'Esprit-Saint - « nouvelle naissance » dont il est question dans la conversation nocturne
du Christ avec Nicodème.
Comment, dira-t-on, le Christ a-t-il pu avoir été conçu de l'Esprit-Saint au moment du baptême ? N'était-Il pas
déjà incarné de l'Esprit-Saint et de Marie la Vierge, comme nous l'enseigne le symbole de Nicée ?
Oui certes, mais son corps psychique devait être transfiguré en un corps pneumatique, spirituel.
Après le Christ et à son exemple, c’est aussi la destinée de chacun d’entre nous, et cela constitue l'œuvre
personnelle de l'Esprit-Église dans l'univers.
5) Le moment de la naissance spirituelle du Christ en tant qu'homme :
Au moment de la conception du Christ au sein de la Vierge, l'œuvre du Saint-Esprit consista
uniquement à assurer la formation du corps du Christ et à animer ce corps.
D'après une pensée profonde de saint Augustin, la conception du Christ fut l'œuvre commune des trois Personnes
divines : là où est l'Esprit, là est aussi le Fils ; c'est vraiment Celui-ci qui s'est incarné Lui-même, sans
rester passif au moment de l'incarnation, qui est accordée par Dieu le Père. L'Esprit-Saint a joué dans
l'incarnation du Christ le même rôle que dans la naissance éternelle du Verbe au sein de son Père : un rôle médiateur.
Le moment de la naissance spirituelle du Christ en tant qu'homme est précisément celui de sa résurrection :
alors seulement II dit à ses disciples en soufflant sur eux, « recevez l'Esprit-Saint » (Jn 20, 22). Nous, les
membres du Corps mystique participant à la nature divine, nous suivons la même voie du développement spirituel
que le Christ. Car le Christ est unité et unicité de ceux qui participent à lui ; Il est aussi le
Fils de Dieu, unité de la multiplicité des fils de Dieu.
Tous les actes de sa vie terrestre englobent les actes particuliers de ceux qui - par l'acte baptismal et par
leur vie ultérieure conforme aux promesses de cet acte - arrivent à se trouver, Eurethein, dans le Christ :
Pour le Christ, j'ai accepté de tout perdre afin d'être trouvé en Lui, n'ayant plus ma justice à moi,
mais la Justice par la foi au Christ.
Philippiens 3, 9.
En suivant la même voie que le Christ, nous traversons les mêmes étapes qu’il a suivies
jusqu'à la résurrection des morts. Celle-ci est pour chacun de nous, une nouvelle naissance spirituelle. Comme
le Christ, nous naissons sur cette terre, nous recevons le baptême et le don du Saint-Esprit, nous grandissons
dans la foi, nous subissons les tentations des forces du mal, nous mourons et nous ressuscitons dans un corps
glorieux comme celui du Christ ressuscité.
Nous sommes donc les « fils adoptifs » de Dieu, l'adoption étant la participation à la filiation « naturelle » du Verbe.
Nous entraînons à cette filiation la création toute entière, puisque nous en sommes le centre et le sommet.
1) États et aspects de l'Église.
Combien maigres semblent être, devant cette plénitude, toutes sortes de définitions unilatérales que donne à l'Église la théologie officielle : l’Église comme « société » par exemple, — société qui, comme telle, a été fondée par le Christ à un certain moment de l'histoire mondiale !
On trouvait effectivement de type de définition de l’Église, dans la théologie d’école. Nous avons,
par exemple, cette définition de l’Église, dans la « Théologie dogmatique » de Macaire :
L’Église du Christ est
la société de tous les êtres raisonnables et libres, c’est-à-dire des Anges et des Hommes, croyant en le Christ
Sauveur et unie en Lui, comme en leur unique chef ».
Théologie dogmatique orthodoxe, par Macaire,
Docteur en théologie, évêque de Vinnitza, Recteur de l’Académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg. Cherubliez,
1860. Vol II, p. 219).
Une telle définition de l’Église était pour le moins réductrice !
L'Église éternelle :
Cette Église historique, extérieure, Ekklèsia prophorikos - Église proférée, n'est pour ainsi dire qu'une partie, un maigre reflet de l'Église comme telle, l' Ekklèsia endiathetos - Église immanente, qui embrasse aussi toute l'histoire du monde, passée et future.
L'Église historique :
Le stade actuel de l'Église historique, c'est celui d'un devenir ininterrompu. Ce devenir est déjà passé par plusieurs phases de son développement : la création du monde, puis la vie historique avant le Christ – l’époque de l'« Église stérile des païens » (expression liturgique grecque) et des « chrétiens avant le Christ », les élus de diverses religions, — enfin de l'Église chrétienne proprement dite. La tâche de l'Église durant cette période historique qui sera close par le Millennium, est de condenser en soi le monde tout entier, conçu comme Église en devenir.
L'Église en état de gloire :
Le troisième stade de la vie de l'Église, c'est son apparition à l'état de gloire, en qualité d'Épouse du Christ, de Vierge pure, distincte de la Mère de Dieu. Cet état, nous l'attendons tous, nous aspirons à lui, avertis par la promesse divine. Conçue de cette sorte, l'Église devient à la fin du siècle le Royaume de Dieu (Rm 14, 17), Royaume à venir parce que existant déjà sur la terre.
L'Église de l'Esprit, celle du Royaume :
L'oraison dominicale, cette quintessence de la prière chrétienne, au lieu des mots « que Ton règne vienne », portait, dans les anciens manuscrits, « que Ton Esprit vienne » (Lc 11, 2). C'est précisément par la révélation complète de la troisième hypostase, de l'Esprit, que ce Royaume sera caractérisé.
L'Église du Christ, porteur du Nom :
Les paroles de l’oraison dominicale « que Ton nom soit sanctifié », se rapportent au Fils qui est le Verbe, la Parole de Dieu, la Parole qui prononce le Nom divin parce qu'étant Lui-même ce Nom, l'Objet divin. Ce nom nous est connu, et cette connaissance remplit l'époque actuelle de l'histoire mondiale – époque placée à la lumière de l’Évangile.
L'Église du Père, celle du retour :
L'époque plus ancienne, préparatoire à l'évangélisation et privée de la grâce, est celle du Père. « Que Ton Nom soit sanctifié » signifie que le Verbe rentre le plus tôt possible (retour = divinisation = sanctification) vers le Père - par cette voie de retour qui est celle de la révélation complète de l'Église, de l'avènement du Royaume de Dieu. « II y a beaucoup de demeures dans la maison de Mon Père... Je vais vous y préparer une place »... « il vous est bon que Je m'en aille ; car, si Je ne m'en vais pas, le Consolateur ne viendra pas en vous » (Jn 14, 2; 16, 7). Car « Je suis sorti du Père, et Je suis venu dans le monde ; maintenant Je quitte le monde, et Je vais au Père » (Jn 16, 25) ; ce retour est le commencement de la manifestation extérieure de l'Église-Royaume. Cette manifestation est assurée en son intégrité par le Fils — « II prendra du mien et vous le donnera » (Jn 16, 14).
2) L'Église, Échelle de Jacob entre le Ciel et la terre :
L'Église n'est donc pas un organisme uniquement surnaturel, comme on aime, à tort,
à le souligner, et ceci même dans les sectes les plus rationalistes, mais — nous y revenons, y reviendrons toujours !
— elle est un organisme essentiellement théandrique, parfait et indépendant de quoi que ce soit même à l'époque actuelle,
lorsque le Royaume est encore à venir.
Car le passé et l'avenir sont complètement identiques pour l'Église, comme d'ailleurs tous les autres traits
mutuellement opposés qui la caractérisent : invisible et inconnaissable, elle l'est parce qu’elle est évidemment
visible et connaissable ; manifestation hypostatique de l'Esprit, elle l'est parce qu’elle est le Christ Chef
et Membres du Corps spirituel.
C'est l'« échelle de Jacob » unissant le ciel et la terre, vraie colonne de la vérité annihilant la tour de Babel
de la création déchue ; c'est un organisme hiérarchique parce que anarchiqu, bien que monarchique ;
en d'autres termes, elle est « une, sainte, catholique et apostolique », absolument nécessaire pour notre salut :
extra ejus nulla sit salus - en-dehors d'elle, il n'est pas de salut.
3) L'Église, don objectif et création subjective.
Rappelons-nous que la seconde hypostase de la Trinité divine, le Christ, est celle du jaillissement
de la divinité, est la voie de l'unité vers la multiplicité, est celle de l’objectivation de Dieu. Ainsi
comprendrons-nous facilement que le Christ, du fait de son incarnation, devient pour l'Église, pour son Église,
la source de tout bien, la source de la grâce, qui nous lance vers la voie qui fait de nous des fils de Dieu.
Cette grâce unique, gratis data - donnée gratuitement, est l'œuvre du Saint-Esprit, et possède sa
multiplicité dans la diversité des dons de ce dernier(I Co 12).
L'Église nous est donnée objectivement par le Christ. En tant que création intérieure, subjective, l’Église
est opérée en nous par le Saint-Esprit. C’est grâce au Saint-Esprit que le Fils nous est apparu, étant « incarné
de l'Esprit-Saint ». L'incarnation du Fils, fin naturelle de la création, est également le commencement de la
création surnaturelle, « pneumatique ».
4) La capacité d'évolution de l'être humain.
Le centre de la création somatique, l'homme, est doué, par l'Esprit, des capacités dont sont
privés les anges mêmes. La nature angélique, par sa destination, n'admet aucune évolution, aucun mouvement en avant.
Mais l'homme est capable d'évoluer - et comme devant sa face il n'y a qu'un seul être, son Créateur,
son unique idéal sera l'union avec ce dernier.
Cette union sera non seulement extérieure, celle dans laquelle les deux êtres restent quand même étrangers l'un à l'autre,
mais complète - à la fois extérieure, objective, et intérieure, subjective.
Cette union entre l’être humain et son Créateur, nous ne la voyons réalisée que dans le Dieu-Homme qui n’est
autre que l’Homme-Dieu, en qui se récapitulent l’unité, l’unicité, la multiplicité... Le Christ est le Dieu-Homme
que Nietzsche n'avait pas discerné à travers son surhomme. Le Christ est le seul Surhomme possible : Il est le but
de l'évolution de la création. Celle-ci, depuis l'apparition de l'homme, se concentre en Lui.
5) La voie de la divinisation.
Cette union entre l’être humain et son créateur aboutit à son tour et inévitablement à l'apothéose
de toute la création, à la réalisation parfaite de la Trinité créée. Celle-ci forme avec la Trinité divine,
la Trinité théandrique, divine et humaine à la fois.
Telle est la voie de la divinisation, car pour devenir un homme-dieu, chacun de nous reçoit un don individuel de
l'Esprit-Saint qui nous transfigure à l'image de la Transfiguration de Notre-Seigneur au Mont Thabor.
Cet événement de la vie du Christ est une solennité qui est particulièrement soulignée par l'Orthodoxie catholique.
En ceci consiste précisément la nouvelle création dont nous parle souvent l'Ecriture : c'est une nouvelle vie,
non seulement selon la chair, c’est-à-dire la visibilité, l'objectivité — qui est néanmoins, elle aussi,
parfaitement honorable — mais surtout une nouvelle vie selon l'esprit, c’est-à-dire la subjectivité,
justifiant l'objectivité initiale. Cette vie selon l'esprit, elle ne peut nous être donnée que par l'Esprit Kat’exothen -
vers le dehors - l'Esprit-Saint, par et dans sa manifestation dans le créé que nous
nommons Église.
C'est donc l'Église et elle seule qui contient la grâce par laquelle nous devenons participants à la Trinité divine. Cette
grâce possède diverses formes. Tout en étant une et unique, elle est aussi multiple et multiforme, se divisant indivisiblement
en dons et charismes communs et particuliers. Ces dons, accordés personnellement à chacun de nous, deviennent inséparables
de notre être. Si seulement nous arrivons, avec bonne volonté, à nous soumettre à leur action bienfaisante et divinisatrice,
nous devenons chacun un homme-dieu et recevons non seulement la possibilité du salut — ceci nous a déjà été accordé
et assuré par le Christ — mais le salut lui-même, la délivrance.
1) L'ordre objectif :
Résumons-nous au préalable. Il existe deux ordres de choses :
L'ordre objectif, selon lequel les choses sortent de Dieu et se réalisent dans la durée en
qualité d’objets divers de ce monde.
À leur tour, ces objets possèdent leurs propres sujets, mais uniquement en tant que ces objets
nécessitent les sujets pour se réaliser.
Dans les conditions actuelles, les âmes sont soumises aux corps et à leurs volontés - indépendamment, remarquons-le
immédiatement, de toute question du mal.
Le monde des âmes charnelles.
Le monde des choses est inévitablement un monde visible en son invisibilité, ces deux opposés « aporiques » étant propres à l'Objet divin ; il est aussi un monde d’âmes charnelles, existant uniquement dans et pour les corps qu'elles soutiennent. C’est le monde des animae carnales et aussi celui des carnes animales, des chairs animées. L'humanité sortie des mains de son Créateur n'était provisoirement qu'une humanité de la « chair » :
Le Seigneur dit : que mon esprit ne soit pas indéfiniment humilié dans l'homme, puisqu'il est chair (Genèse 6, 3).
Ce ne sont souvent, en vertu du péché, que des êtres « psychiques, ne possédant pas d'esprit » :
Ce sont eux qui créent des divisions, ces êtres psychiques qui n'ont pas d'esprit (Jude 19).
Ces êtres tombent ainsi au niveau des animaux supérieurs, des « sur-animaux » possédant avec les animaux ordinaires « le même esprit » :
Le sort de l'homme et de la brute est le même : l'un meurt, l'autre aussi ; ils ont le même souffle tous les deux ; la supériorité de l'homme sur la bête est nulle : tout est vanité (Ecclésiaste 3, 19).
2) L'ordre subjectif :
Le second ordre est un ordre subjectif ex professo, — ordre par lequel
toutes les choses sont réintégrées dans la divinité - ordre essentiellement spirituel où se manifeste
proprement le rôle du Saint-Esprit dans la création.
Car c'est Lui qui, animant d'abord les éléments de la création, les spiritualise ensuite, les faisant rentrer
en Dieu qui est esprit :
Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c'est en esprit et vérité qu'ils doivent adorer (Jn 4, 24).
Cet ordre essentiellement spirituel est une entité qui est ni visible ni invisible, etc ; les choses doivent être rendues invisibles pour devenir unes avec les demeures célestes et éternelles.
Il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père (Jn 14, 2).
Un homme dans le Christ (L’Apôtre Paul) fut ravi jusqu’au troisième Ciel (2 Co 12, 2-4).
Telle est la rentrée des choses, rentrée qui nécessite avec évidence - sinon une création entièrement nouvelle - au moins et en tous cas une transfiguration de la création ancienne, moyennant une « nouvelle naissance » spirituelle des choses qui, de cette manière-là, ne seront plus seulement chair, mais aussi esprit - cette multitude des esprits constituant l'Église universelle.
3) De la chair animale à la chair spirituelle.
La caro animalis devient de cette façon la caro spiritualis, semblable en tout au corps du Christ après sa résurrection, — «chair et os» en même temps qu'«esprit vivifiant». Le Christ dit à ses disciples après sa Résurrection :
Palpez-Moi - psèlafèsate - et voyez qu’un esprit n’a ni chair ni os (Luc 24, 39).
Le premier homme Adam fut un être vivant ; le dernier Adam – un esprit vivifiant (1 Co 15, 45).
Car si dans le Christ habite la plénitude de la divinité « corporellement » Somatikos,
En Lui (le Christ)habite corporellement la plénitude de la divinité (Colossiens 2, 9).
...cette même plénitude habite en l'Esprit-Saint « spirituellement », Pneumatikos.
Telle est l'œuvre personnelle de l'Esprit-Saint dans la création.
Le Saint-Esprit communique à chaque être
créé un don spécial de sa grâce — grâce qui, tout en étant invisible et spirituelle, se manifeste aussi
d'une manière objective, corporelle.
Elle agit sur, dans et par le corps devenu son instrument obéissant.
Cette action ne se limite pas à l’âme, comme on aurait pu le croire au premier abord.
4) L'âme, comme consentement de l'Esprit-Saint.
L'âme - nous le savons déjà et le verrons encore bientôt - ne constitue à proprement
parler qu'une participation, une contribution, un consentement de l'Esprit-Saint à l'œuvre créatrice du Fils
qui est Créateur de toutes choses visibles et invisibles.
De même la grâce corporelle, la corporéité de la grâce, constitue à son tour la participation du Christ à
l'œuvre de l'Esprit. Tel est l'homme intérieur dont nous parle avec une netteté toute particulière saint Paul.
…afin qu’Il vous donne (…) d’être fortifiés par son Esprit en l’homme intérieur (Eph 3, 16) ;
Que votre parure ne soit pas extérieure, (…) mais (qu’elle soit l’aspect) caché - kruptos - du cœur humain,
dans l’incorruptibilité - en tô afthartô - d’un doux et paisible esprit, qui est d’un grand prix
devant Dieu (I Pe 3,4).
5) Mouvelle naissance et ressemblance divine.
Telle est aussi la naissance complète « de l'eau » (activité objective du Fils)
« et d'esprit » (activité subjective et subjectivante de l'Esprit) dont s'entretient le Christ lui-même avec Nicodème.
C'est aussi le domaine de la ressemblance divine proprement dite ; la divinisation de la création faisant de nous
des hommes-dieux.
6) Le péché contre l'Esprit.
Nous comprenons ainsi la sentence du Christ selon laquelle le péché contre le Saint-Esprit
ne sera jamais pardonné : c'est l'Esprit qui nous divinise de fait, le Christ ne nous ayant donné que la
possibilité de la divinisation.
Bien entendu, cela ne diminue et n'atteint en rien le « mérite » du Christ, car sans son incarnation et l’ensemble
de son œuvre, la rencontre théandrique définitive entre Dieu et la création n'est point réalisable - la possibilité
et la réalisation n'étant d'ailleurs qu'une seule et même chose.
7) Le MOI théandrique.
Voici maintenant l'équation que nous pouvons établir :
L'âme est à l'esprit - comme le corps animal est au corps spirituel.
L'âme n'est pour ainsi dire qu'un abaissement, une kénose de l'esprit, comme
Origène l'a si bien senti mais si maladroitement et même faussement exprimé.
Comment pouvons-nous nous représenter cet homme intérieur ? est-ce une entité à part, comme dans le Christ
ses deux Natures ne sont point confondues en une seule ? est-ce une entité qui remplace simplement celle que
l'homme possède actuellement ?
L'homme intérieur sujet, doit être conçu comme une entité inséparablement séparée de l'homme extérieur
qui constitue son objet : ce dernier constituant la visibilité du non-visible.
L'objet est toujours une entité à part, qui ne peut être confondue jusqu'à l'indistinction avec son sujet.
Dans le complexe d'un Dieu-Homme ou Homme-Dieu, dans cette dualité essentielle, la notion de l'objet s'étend sur
tout le domaine de l’homme : le corps physique, l’âme, l’essence spirituelle.
8) L' Atman :
Entre ces deux trinités - qui nous rappellent exactement la Trinité divine et la Trinité créée dans le domaine de l'univers théandrique - s'établit une union nouvelle et à tout jamais inséparable, une conscience nouvelle, un « Moi » supérieur qui unit le « Moi » divin et le « Moi » humain. C’est le Moi théandrique, le « Je » en lui-même, par lui-même, tout comme le «Moi» incréé, que les religions indiennes ont essayé à désigner sous le nom d'Atman.
L’« Atman » est un concept de la philosophie indienne, qui désigne le « Soi » par opposition à l’« Ego » - qui exprime le principe essentiel sur base duquel s’organise tout vivant. L’« Atman » est à la fois personnel et cosmique : c’est un « Soi » individuel qui est en même temps l’âme du monde.
Examinons le schéma ci-contre. Nous avons un triangle équilatéral représentant
la Trinité incréée. Son sommet, (P), représente le Père ; le point de gauche, (F), le Fils ;
celui de droite, (S), le Saint-Esprit.
Nous avons ensuite le même triangle équilatéral renversé, le triangle de la création, dont le sommet
(M), se trouve en bas, ce qui exprime l'impossibilité foncière d'une confusion indistincte de Dieu avec la création,
ou bien du Créateur avec l'Incréé.
La rencontre de ces deux triangles nous donne les points de divinisation (f) et (s) - qui nous servent pour désigner
le Dieu-Homme et l'Homme-Dieu.
Le Moi théandrique est représenté par l'hexagone régulier formant l'« intérieur »
de l’« étoile de Salomon ».
Les six points de l’hexagone et son centre « A » donnent sept points remarquables.
Le Dieu-Homme posséderait
en ce sens une nature septuple, ce qui nous explique l'emploi si fréquent et si mystérieux du nombre 7 dans la Bible :
1) le Atman le « Je », (Kat’exothen - intégral, selon le tout),
2) le corps spirituel (mental ou astral),
3) l’esprit (âme spirituelle),
4) l’essence divine,
5) l’essence humaine,
6) le corps matériel,
7) et l’âme charnelle.
L'Orthodoxie catholique ouvre la porte à tout ce qu'il y a de juste dans la théosophie et dans l'anthroposophie.
L'ordre objectif concerne de qui « sort » de Dieu.
L'ordre subjectif concerne ce qui « retourne » à Dieu.
On aurait tendance à penser que :
- l'« Atman » soit l'essence ;
- que le complexe essence divine / âme spirituelle / corps spirituel du Dieu-Homme (le Christ incarné) soit le sujet,
- et que le complexe essence humaine / âme charnelle / corps matériel de l'Homme-Dieu (l'homme divinisé)
soit l'objet.
Et pourtant, une telle conception est erronée, parce que trop réductrice, trop peu englobante :
Notons le fait qu'il est tout à fait impossible de séparer dans l'Homme-Dieu les parties
correspondantes des deux trinités :
c'est ainsi que le corps matériel ET le corps spirituel forment ensemble, théandriquement, l'objet du Dieu-Homme ;
l'âme spirituelle ET l'âme charnelle forment ensemble son sujet,
et les deux essences, divine et humaine, constituent une seule essence de l'Homme-Dieu.
- L'objet de l'homme est constitué par sa nature (corps matériel et corps spirituel) ;
- Le sujet de l’homme est constitué par sa surnature (âme charnelle et âme spirituelle);
- les deux font appel à leur essence intérieure (essence humaine et essence divine), le Atman en trois « composants ».
Quelle impuissance que celle de nos pauvres mots...
Imaginons deux plans parallèles :
- le « premier plan » comprend le sujet (âme charnelle) et l'objet (corps charnel) de l'Homme-Dieu.
- le « deuxième plan » comprend le sujet (âme spirituelle) et l'objet (corps spirituel) du Dieu-Homme.
- Les deux plans parallèles étant « reliés » - d'une façon impossible à représenter graphiquement - par l'« Atman »,
Dieu tout en tous.
Telle est la Trinité théandrique de l'Homme-Dieu, qui est en même temps Dieu-Homme.
Le Atman, c'est donc cette Trinité théandrique en son entier, qui n'a pas d'existence propre en dehors
de ce tout qu'elle embrasse, — le « Tout » Kat’exothen - intégral, selon le tout.
9) Le Panenthéisme.
Dans le Dieu-Homme universel, le Atman est, d'après l'expression de saint Paul, Ho Theos panta en pasin,
« Dieu tout en tous » (I Co 15, 29). Cela signifie que Dieu le Père sortira de son inaccessibilité et deviendra aussi
toutes choses, sans cesser d'être le Père invisible et impalpable.
Dieu se manifestera dans chaque être créé ; chaque être créé sera participant à la divinité, sans perdre son
individualité propre : « nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est » (I Jn 3, 2). Tel est
le grand mystère qui a été caché pendant les siècles et qui maintenant est ouvert aux saints de Dieu (Col 1, 26).
Tel est le principe vivifiant de deux en l’unité et de un dans la dualité. Tel est aussi le
pan-en-théisme (Pan en Théo) catholique-orthodoxe.
10) L'activité propre de l'Esprit.
Faisons maintenant un effort suprême : mettons tout en place, dans l'exposé qui précède...
Ce qui est du domaine du sujet n'est pas compatible avec le langage :
Nous avons déjà vu que l'activité propre de l'Esprit, tout en étant opposée à celle du Fils,
est de caractère tel qu'elle nous enlève toute possibilité de l’indiquer, même avec nos pauvres paroles humaines...
La Révélation divine elle-même ne nous indique point le mode de procession de l'Esprit-Saint du Père : Il « procède »
simplement de lui (Jn 16, 26).
De même si la création objective des choses (l’objectivation de l'univers) par le Fils peut et doit être
plus ou moins comprise - la compréhension totale étant équivalente à la création elle-même - leur non-création
par l'Esprit est absolument en-dehors de notre portée et même ne sera peut-être jamais comprise.
Indéfinissable théologiquement, le Saint-Esprit l'est aussi dans sa non-activité non créatrice.
Il est aisé
de dire qu'il crée la réalité subjective du monde, mais l’établissement plus ou moins précis d'un fait,
de son pourquoi et de son comment sont deux choses bien différentes.
Le mode de création négative
nous échappe entièrement - à tel point qu'on l'assigne aussi au Fils, dans la mesure où le Saint-Esprit lui-même
est l'Objet du Fils et « procède », tire son origine du Père par lui.
Dans la Divinité, chaque personne trinitaire est objet en ce qu'elle reçoit, et sujet
en ce qu'elle donne.
Ainsi, l'Esprit-Saint, envers le Père, est objet, car l'Esprit reçoit du Père la procession.
D'autre part, l'Esprit-Saint, envers le Fils, est sujet, car l'Esprit donne au Fils son « repos » - car l'Esprit
repose sur le Fils.
11) L'activité propre du Fils.
Ce qui est du domaine de l'objet peut s'exprimer au moyen du langage :
Toute notion, soit divine, soit humaine, appartient au Fils seul.
Pour l'Esprit, le terme même d'« Esprit » ne peut lui être appliqué : le Fils lui-même, dernier Adam,
étant aussi « esprit vivifiant » (I Co 15, 45). L'Esprit n'est même pas l'Opposé du Fils, car l'opposé,
soit diamétral, soit partiel, comme notion réelle, n'est propre qu'au Fils et se trouve en lui seul.
C’est une nouvelle raison pour considérer définitivement la création entière, objective et subjective, comme
dépendant uniquement du Fils.
Le Père Léonide mène ensuite à son extrême la plus absolue, la négation du langage, en ce qui concerne l'Esprit-Sujet :
Ainsi, l'Esprit n'est pas non plus le Sujet de la Trinité incréée, comme nous étions forcés jusqu'ici de l'admettre pour éviter de confondre ce qui ne peut et ne doit être confondu... Nous restons donc, avec notre pauvre langue et nos non moins pauvres pensées, absolument interdits devant des phrases aussi justes que les suivantes :
« la non-création / non est ».
Les deux derniers mots ne sont point identiques à « n'est pas » ; le « — » multiplié par « — » ne donne « + » que d'après notre pauvre logique humaine. Cette logique possède, bien entendu, elle aussi sa pleine valeur — elle est simplement insuffisante pour résoudre nombre de problèmes.
« le non-sujet / non est / le non-objet »,
« la non-vie / non est / égale non égale à la / non autre / non-vie »,
etc...
La grâce de l'Esprit n'est donc pas uniquement une grâce, c'est aussi la non-grâce.
La grâce au « positif » est, d'après saint Paul, « de Notre-Seigneur Jésus-Christ » ;
il n'y a que la « communion »
qu'il laisse, inspiré par l'Esprit, au Consolateur (phrase finale de 2 Co).
12) L'auto-sacrifice de l'Esprit et la sublimation de l'être humain.
Sommes-nous interdits sans espoir ? NON, car... voici la lumière splendide, la lumière
qui transperce, en le transfigurant entièrement, notre univers tout entier : si tout pour notre existence, notre
vie et notre salut nous a été accordé, assuré et donné par le Fils, par ses souffrances et ses « mérites »
(n'abusons pas de ce terme), notre tâche à nous, c'est de nous approprier tout cela, de nous faire entrer
pleinement — corps, âme, esprit — dans cette atmosphère de divinisation.
Atmosphère est l'un des termes commodes pour parler des « aspirations indicibles de l'épître aux Romains :
La création en attente, aspire à la révélation des fils de Dieu (Ro 8, 19).
L'Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables (Ro 8, 26).
Cette tâche, à nous, c'est essentiellement l'œuvre créatrice (« non-créatrice »)
de l'Esprit. Le sacrifice suprême de l’Esprit, l'autosacrifice, consiste précisément en ceci que, tout en
agissant abondamment dans le monde et ses destinées, en s'exprimant aussi en nous par nos intentions, nos pensées,
notre activité toute entière - nous accordant tout, la vie dans la joie et la certitude du salut, les révélations
multiples et multiformes, personnelles, particulières et communes, en transfigurant et déifiant le monde entier,
le Saint-Esprit ne se manifeste point personnellement, et ceci non seulement à l'époque actuelle de la
vie du monde, mais peut-être aussi même lors de l’achèvement de toutes choses en Dieu - ce non-sacrifice de
sa part, assurant l'activité sacrificielle et sacrifiante du Verbe.
Ces deux activités sont en effet liées entre elles si intimement, si indistinctement, que nul d’entre nous ne
peut appeler Jésus « Seigneur » sinon et uniquement par l'Esprit (I Co12, 3), de même que tout ce que
l'Esprit fait, Il le « prend » pour ainsi dire du grand trésor du Fils :
C’est de mon bien (du Christ) qu’Il (le Père) prendra pour vous en faire part (Jn 16, 14).
En nous sublimant merveilleusement, l'Esprit nous rend ainsi non seulement « semblables » à Dieu — nous l'étions déjà au moment d'être faits selon la ressemblance divine (c'est en ceci que consistait la non-participation de l'Esprit à l'œuvre créatrice du Fils) — mais nous divinise au sens complet et immédiat de ce mot, tout en restant caché lui-même dans les profondeurs du Père dont Il est l'Esprit ou — ô pauvre langue humaine ! — Non-Esprit.
13) La divinisation des limites de la vie humaine.
Grâce à cette action interne et indicible, la non-action de l'Esprit,
tous les détails dont abondent les vies des Saints - détails caractérisant et caractéristiques de la
vie dans l'Esprit dont il est souvent question dans la tradition chrétienne orale et écrite à partir
de la Bible - tous ces détails deviennent parfaitement compréhensibles, parfaitement explicables.
C'est ainsi par exemple que nos corps parviennent à vaincre, à sublimer, à diviniser les limites de la vie
qui sont d’ordinaire conditionnées par les lois habituelles de la nature (n'oublions pas que tout ce que
nous voyons et considérons maintenant dans et à travers la nature est déformé, pétrifié, enlaidi à
l'extrême par le péché !) — tout comme le corps du Christ
lui-même après la résurrection passait partout les portes fermées, parvenait à vaincre les autres
obstacles d'ordre physique, disparaissait enfin tout en restant corps, « chair et os » et pas seulement
esprit, comme le Christ lui-même l'a expérimentalement déclaré à Thomas devant les autres disciples.
Nous aurons ainsi aussi l'entière possibilité - sans quitter ou changer de place - de sentir tout ce
qui se passe dans l'univers, de contempler la vie des gens de loin, de prévoir et prédire l'avenir, de
contempler et de comprendre le sens véritable du passé qui est, lui aussi, un avenir et réciproquement
(l'avenir « évolutionniste » avec toutes ses possibilités richissimes et ses nuances les plus fantastiques
et les plus fantaisistes l'est uniquement en vertu du passé créateur qui est richissime lui aussi),
visiter les corps célestes visibles et les cieux invisibles - le « premier », « second » et « troisième » ciel -
comme ceci a eu lieu avec l'Apôtre Paul qui ne savait même pas si c'était avec le corps ou en dehors du
corps, comme il l'écrit lui-même (2 Co 12, 1-4).
L'activité des âmes transfigurées sera elle aussi remplie des œuvres merveilleuses — guérison des malades, expulsion
et purification de tout mal (les démons en notre temps nous possèdent bien davantage qu'autrefois, et ceci
dans la plupart des cas sans aucun signe visible et sous des formes qu'à juste titre l'on pourrait
caractériser de « raffinées »), don des langues, connaissance profonde des choses allant jusqu'à leur
reproduction immédiate, don des arts parfaits et sublimes, etc.
Quant à notre esprit, il possédera en abondance les traits merveilleux caractérisant notre
union complète et intégrale avec l'Esprit-Saint dont nous avons déjà parlé : l'amour, la joie, la paix,
la patience, la mansuétude, la bonté, la fidélité, la douceur, la tempérance, etc, (Ga 5, 22-24) — les fruits du
séjour de l'Esprit en nous tous... Et tout ceci nous est donné sans que l'Auteur sublime de ces
choses se fasse connaître :
Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix : mais tu ne sais d'où il vient ni où il va ; ainsi est chacun qui est né de l'Esprit (Jn 3, 8).
Le seul moyen de reconnaître l'Esprit, c'est son affirmation que Jésus-Christ est vraiment venu dans la chair... jamais rien de soi-même, jamais rien pour soi-même :
En ceci vous connaîtrez l’Esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu dans la chair, est de Dieu – et tout esprit qui ne confesse pas Jésus, n’est pas de Dieu » (I Jn 4, 2).
En vertu de cet autosacrifice, ses épithètes les plus souvent en usage
sont celles de Consolateur (Paraklètos), Vivificateur, qui remplit tout, qui inspire tout... Il est
même parfaitement possible que, rendus dignes de voir Dieu et son Fils à la consommation de toutes choses,
nous ne verrons l'Esprit que par voie d'intuition ou mieux encore, nous le verrons en voyant le Père et le Fils...
Mais... il nous faut nous arrêter — la description intégrale des merveilles de la vie en l'Esprit à venir,
qui osera l'entreprendre à notre pauvre époque ?
14) La structure intérieure de la Nouvelle Jérusalem : la Mère de Dieu.
La Mère de Dieu est à la fois sommet et centre de la sainteté théandrique, de la
hiérarchie des Saints de Dieu. Elle est l'unité des Saints dans leur multiplicité, car c'est sur sa sainteté,
celle de toute la création qui sort de l'Immaculée Conception, qu'est fondée celle des Saints.
La Mère de Dieu est Pure - d'une part en vertu de son union hypostatique avec la Sagesse divine, et d’autre part,
par l'absence en elle de tout péché personnel. Elle est Vierge avant et après l'enfantement. Elle est le
Saint des Saints dans le sens d'un superlatif de perfection, et sans Elle aucune sainteté ne serait possible.
Tous les Saints sont de sa génération, comme Elle s'est exprimée elle-même lors de son apparition à l'un
des saints russes les plus remarquables, Séraphim de Sarov ; les Saints sont coessentiels avec Elle,
étant aussi concorporels au Christ et coanimés de l'Esprit-Église.
D'autre part - et il faut comprendre toute la valeur de ce fait - c'est nous qui avons donné au ciel la
Sainte Vierge. Elle est de notre génération humaine. Elle justifie pour ainsi dire toute la création devant
les yeux justes de la divinité. Unie avec la Sagesse divine, essence-substance du monde, la
Vierge-Mère est le monde réintégré en son Dieu, le monde qui, sorti de Dieu-néant, est arrivé à percevoir
dans ce néant l'infinité des perfections et de possibilités divines. Tous les problèmes de l'histoire
du monde et de ses fins dernières trouvent ainsi leur solution dans la Mère de Dieu.
15) La structure intérieure de la Nouvelle Jérusalem : les Saints.
À l'image de la Vierge-Mère sont appelés « saints » ceux qui réussissent au cours de cette vie à atteindre un état de perfection : étant de la génération de la Vierge, ils participent à tous les privilèges dont Elle jouit : ils intercèdent pour nous devant Dieu, dispensent les grâces, deviennent pour nous des instruments auxiliaires du salut. Car voici le privilège suprême propre aux Saints de Dieu : ceux qui meurent en le Christ, ne viennent point au jugement, mais passent de la mort à la vie.
Amen, Amen. Je vous le dis : celui qui écoute ma Parole et croit en Celui qui M’a envoyé,
a la Vie éternelle et ne va pas en jugement, mais il est passé de la mort à la Vie (Jn 5, 24).
Il leur disait : Amen, Je vous le dis : certains qui sont ici ne goûteront pas la mort jusqu’à ce qu’ils
voient le Royaume de Dieu venu avec puissance (cf Mc 9, 1).
Est-ce hors du corps ? Oui et non, car le corps qu'on doit posséder au ciel pour
se sentir vivant est un corps spirituel, différent du corps terrestre, charnel, matériel, quoique lié
indissolublement avec ce dernier et formant avec lui le côté objectif de tout être vivant.
Il existe donc un lien mystique unissant la partie disparue montée « vers Dieu », avec le corps d'ici-bas
qui demeure au tombeau jusqu'à la résurrection générale, et qui devient chez les Saints une source de
bienfaits et de grâce. Seule la Vierge est déjà glorifiée sans aucune réserve avec son corps déjà ressuscité.
Ces Saints et guides spirituels dirigent l'Église intérieurement - par leurs prières, par les dons du Saint-Esprit
qui abondent en eux. Le christianisme intégral croit à l'existence d'une ceinture des Saints qui demeurent pour
la plupart inconnus au monde et grâce auxquels le monde subsiste encore. Une hiérarchie de grâces conduit
l'Église à travers les âges ; elle en est le magistère normal. L'identification de cette hiérarchie avec celle
de la sainteté est caractéristique de l'Orthodoxie catholique qui réalise l'« échelle de Jacob » par la voie
de l'union organique des éléments différents.
Remarquons le fait que le titre de « Saint » est déféré à chaque chrétien en particulier, en tant qu'il était Éklektos - élu,
séparé de la masse des autres êtres humains (KLÉTOS, convoqué, appelé, d'où le terme même d'« Église », ÉKKLÈSIA, organisme
des « appelés », des élus). Mais un Saint à proprement parler, c'est celui qui réalise dans la pleine mesure la vocation d'homme-dieu.
C’est celui qui déjà en cette vie devient un surhomme, ayant réalisé et développé tous les dons de la grâce aussi bien
personnelle que commune (celle des « mystères » dont nous allons encore parler) qui lui sont accordés. Dans la pléiade
des Saints, chacun trouve sa place propre dans le Christ, place qui convient adéquatement à lui seul et qui par
conséquent lui sera réservée pour l'éternité.
Ainsi saint Jean-Baptiste, selon la tradition catholique-orthodoxe, est le plus grand des Saints après la Vierge-Mère ;
« le plus grand parmi ceux qui ont été engendrés par les femmes », il est pourtant, dans les conditions terrestres,
« moins grand que le plus petit dans le Royaume des cieux » (Mt 11, 11). Énoch et Élie, Moïse et tous les grands prophètes
ont une place à part dans la hiérarchie de la sainteté ayant le Précurseur pour chef ; ce sont probablement eux que
l'Apocalypse représente par les vingt-quatre anciens entourant le trône du Très-Haut.
16) La structure intérieure de la Nouvelle Jérusalem : les Anges, les Apôtres, les Martyrs.
Les anges eux aussi, surtout ceux qui supportent ce trône, sont pourvus d'une place exceptionnelle
dans l'échelle de Jacob, à titre de principes formateurs hypostasiés du monde.
À cette échelle appartiennent ensuite, outre la triade de Joseph l'Époux, David Roi-psalmiste et Jacques frère du Seigneur,
les « saints, glorieux et très-loués Apôtres », ces saints ex professo, comme nous l'avons vu ; leurs successeurs
dans la hiérarchie de la sainteté sont les martyrs.
Le titre de Martyrs est donné aux apôtres comme au Christ lui-même :
Jésus-Christ, le Témoin fidèle, le Premier-né d’entre les morts… (Ap 1, 5)
...ce qui nous dessine la tâche des martyrs : ils ont été des témoins (MARTYRES) fidèles de Jésus, ainsi que le souligne l'Apocalypse au sujet de l'évêque-martyr Antipas de Pergame :
Tu n’as pas renié ma Foi, même aux jours d’Antipas, mon témoin fidèle, qui fut mis à mort chez vous… (Ap 3, 14).
Sanguis martyrum semen fidei est - le sang des martyrs est semence de la Foi, pourrait-on dire en transposant la phrase célèbre de Tertullien. C'est pourquoi l'Église considère la mort des martyrs comme équivalente au baptême chrétien par l'eau et le Saint-Esprit, et la nomme « baptême de sang ».
17) La structure intérieure de la Nouvelle Jérusalem : les Docteurs, les Saints égaux aux Apôtres,
les saints Pères moines et théophores.
Dans le domaine du « service de la parole », les apôtres eurent comme successeurs les
grands « docteurs et maîtres de l'univers » dont les représentants les plus caractéristiques furent, par exemple,
les pontifes Basile le Grand, Grégoire le Théologien et Jean Chrysostome, saint Nicolas, archevêque de Myre en Lycie,
saint Grégoire le Grand, pape de Rome...
L'Église orientale connaît en outre le groupe des saints « égaux aux apôtres » dont elle considère la mission
comme aussi importante que la leur — tels sainte Marie Madeleine, saint Constantin, premier empereur chrétien,
sa mère Hélène ; saints Cyrille et Méthode, évangélisateurs des peuples slaves, sainte Olga et saint Vladimir
qui donnèrent à la Russie la lumière de la foi chrétienne, sainte Nina, évangélisatrice de Géorgie, saint Boniface,
apôtre de l'Allemagne, et les autres.
Viennent ensuite ceux qui ont essayé de suivre le Christ dans la voie et la vie d'ascèse — les « saints Pères
moines et théophores » — tels saint Antoine le Grand, saint Benoît, saint Serge de Radonège... — ensuite,
les « ancêtres de Dieu » Joachim et Anne, représentants des saints époux, plusieurs saints locaux et inconnus,
enfin le reste du genre humain et «tout ce qui respire» en général. Les détails de cette échelle varient
suivant les diverses localités, mais l'ordre reste au fond le même.
Ceci ne signifie point, bien entendu, que dans cette échelle il y a quelque chose de plus haut et de
plus bas, — le sommet et le fondement, le haut et le bas sont identifiés en Dieu. Dans le Royaume de
gloire à venir, avons-nous vu, il n'y a rien d'inégal, rien d'égal, car tout est lié ; chacun occupe la place
qui lui est spécialement réservée et qui, dans son individualité, garantit la solidité de la construction entière :
tous en chacun et chacun en tous.
18) Validité des liens d'ici-bas.
La vie bienheureuse dans le Royaume de Dieu conservera en outre tout ce qu'il y a déjà de
précieux dans la vie d'ici-bas. Guidée par son omniscience mystique, l'Église glorifie des couples de saints
qui furent ici-bas amis (Cyr et Jean, Barbe et Julienne, Menas et Eugraphe...), frères (Zénobios et Zénobie,
Boris et Gléb...) ou bien époux (Hadrien et Nathalie, Séleucos et Stratonique...), les groupes de saints
formant une même famille (Térence, Néonile et leur fils, Côme et Damien avec leur mère, Mammas avec ses parents),
marquant ainsi que les liens contractés ici-bas peuvent conserver leur valeur et leur validité pour l'éternité.
David le Psalmiste continue au ciel à chanter son Dieu ; Pantéléimon et les autres saints médecins continuent
à guérir les maladies, saint Georges et les autres à accorder la victoire aux défenseurs d'une cause juste.
Les Offices liturgiques en l'honneur de tel ou tel Saint nous donnent un matériel précieux pour soulever
le voile des valeurs éternelles du trésor de l'Église ; c'est une tâche encore à accomplir que l'exploration
de ces richesses liturgiques et aussi iconographiques : ce serait un beau livre à écrire.
19) Les différentes classes de saints.
L'Apocalypse nous donne une indication précieuse sur laquelle on n'insiste pas généralement avec l'attention qui lui est due. L'on doit distinguer deux classes de saints. La première, demeurant toujours avec l'Agneau de Dieu en qualité de cohorte fidèle et d'entourage immédiat, est celle de 144.000 élus de tous les endroits et de tous les peuples de la terre ;
Ils « n'ont point connu de femme, car ils sont vierges, et ils suivent l'Agneau de Dieu partout où il va (Ap 7,4; 14,4).
Ils réalisent dans la pleine mesure la possibilité de devenir des hommes-dieux ; supérieurs aux anges même, ils sont en tout pareils au Christ Dieu-Homme, Réalisateur unique de l'antinomie capitale de la création (bien entendu, parmi ces saints figurent des femmes qui n'ont point connu de mari). Il est très probable que ce nombre de 144.000 représente réellement le nombre des saints élus, le petit troupeau du Christ recevant la plus haute récompense, la nature divine.
La seconde classe est nommée la « grande multitude ».
Voici qu’apparut à mes yeux une foule immense, impossible à dénombrer, de toute nation, race, peuple et langue (Ap 7, 9).
Elle comprend ceux qui n'ont peut-être pas tout à fait réalisé individuellement le haut appel de
devenir hommes-dieux, au plein sens de ce mot ; inférieurs des 144.000 qui constituent le sacerdoce royal, ils ne
sont que les lévites, selon le symbole de ceux de la Loi mosaïque.
L'on aperçoit enfin dans l'Apocalypse une trace nette de la troisième classe, formée par tous ceux qui sont revenus
sous telle ou telle forme non seulement à l'état d'Adam avant le péché — posse non mori — mais à l'état de la
divinisation, celui de non posse mori.
Cette surhumanité nouvelle, composée de tous nos frères morts et ressuscités, possédera la « nouvelle terre », le
paradis nouveau, lieu de communion pleine et parfaite entre l'humanité reconstituée et son Dieu.
Telle est la divinisation du monde, actuellement en état de devenir ininterrompu. Ce point de suprême exaltation
sera atteint tôt ou tard à la consommation de toutes choses, et le fait qu'actuellement nous sommes encore plongés
dans les ténèbres, le péché et la détresse ne l'éloigne point : la voie de l'épreuve que nous avions choisie
en Adam n'est qu'un des moyens possibles qui permette d'atteindre le but désiré. Aucun plan de l'adversaire,
aucune ruse de sa part ne saurait détruire ce que Dieu a désigné à jamais pour être réalisé.
Tel est le problème que nous allons étudier dans le chapitre suivant.