Orthodoxie en Abitibi

Une Volonté extérieure à l'Univers

Étude II : Une Volonté extérieure à l'Univers

- P. Georges Leroy -

Cliquer ci-dessous, pour vous retrouver aux points correspondants du texte :

Navigation dans les grandes profondeurs
L'Un et le multiple
La Révélation
Le Trois qui n'est pas un nombre
Connaissance et inconnaissance
La structure de participation
La kénose


Quels sont les objectifs que nous nous proposons d'atteindre ?

Nous tâcherons de répondre à ces questions :
- pouvons-nous envisager l'existence d'une Volonté ontologiquement antérieure à l'univers ?
- cette Volonté est-elle une ou multiple ?
- quelle est la connaissance que nous pouvons en avoir ?
- comment cette Volonté peut-elle se manifester à nous ?


Les constantes cosmologiques

Nous avons parlé du « principe anthropique » : au fur des milliards d'années d'évolution, l'univers a produit un organisme d'une complexité suffisante afin qu'il puisse être conscient, qu'il puisse se dire « je sais que je pense !», et pour qu'il écrive ce présent texte...

Pour que tout cela ait pu être possible, il a fallu qu'un certain nombre de constantes cosmologiques aient été réglées avec une extrême précision, au tout début de l'existence de l'univers. Cette totale précision était indispensable, car l'univers est au plus haut point sensible aux conditions initiales, comme nous le prouve la « théorie du chaos ». Tout s'est donc passé comme si une Volonté supérieure avait réglé préalablement l'ensemble des constantes cosmologiques, de sorte que puisse surgir, après une longue évolution, un être conscient.

Bien sûr, une telle conception des choses a le don d'horripiler les tenants du matérialisme. Ceux-ci s'empressent de répondre : « ce n'est en aucun cas une preuve. La question de savoir qu'est-ce qui se serait passé si une ou plusieurs constantes cosmologiques avaient été réglées différemment ne se pose pas, car dans ce cas, nous ne serions pas là pour poser cette question » - Il n'est pas nécessaire d'avoir un grand diplôme pour saisir la faiblesse de cette argumentation, qui se résume en cette phrase : « les choses ne peuvent être autrement que ce qu'elles sont ! »

Pourtant, les matérialistes ont partiellement raison : rien ne peut ni ne pourra jamais prouver l'existence de cette « Volonté ontologiquement antérieure » (j'utilise le mot "ontologique", c'est-à-dire "relatif à l'Être", car l' "antériorité" de cette Volonté se situe au niveau absolu, en-dehors de toute temporalité).


La science du « comment » et la spiritualité du « pourquoi »

Cette absence de preuve se fonde sur une raison bien simple : la science tente d'expliquer le « comment », et la spiritualité nous donne l'intuition du « pourquoi ».

- Lorsque la science s'aventure dans le domaine du "pourquoi", elle commet un abus de pouvoir caractérisé.
- Lorsque la spiritualité veut expliquer le "comment", elle commet inévitablement des erreurs grossières.

L'existence de la « Volonté ontologiquement antérieure » relève typiquement du "pourquoi", et n'est pas incluse dans les frontières de la science. En envisageant l'existence de cette "Volonté", nous quittons ainsi les rivages de la science, pour atteindre les grandes profondeurs !

Ainsi donc, chacun est libre de douter de l'existence de cette Volonté, mais il faut remarquer que nous nous trouvons tous devant le choix de deux positions possibles : soit cette Volonté existe - Elle a voulu réellement l'existence de cet univers - soit l'univers s'est constitué par lui-même. Et dans ce dernier cas, la raison et le sens de notre existence sur cette terre seraient purement accidentels. Sommes-nous seulement des accidents de parcours, des irrégularités minuscules dans quelque coin reculé de l'univers ?

En ce qui me concerne, j'estime être parfaitement libre de considérer qu'une telle réponse est totalement insuffisante. On pourrait rétorquer qu'il ne sert à rien de reculer d'un rang cette question : au lieu de reconnaître les capacités créatrices de l'univers lui-même, on chercherait cette même capacité créatrice dans une Volonté hypothétique et antécédente. - Ce à quoi je pourrais répondre qu'il ne sert à rien de diviniser l'univers lui-même, car celui-ci est inconscient et anonyme. Cette Volonté absolue que nous évoquons est personnelle : Elle veut que j'existe ici et maintenant, avec amour et bienveillance.


Les décisions de la Volonté souveraine

Cette Volonté aurait très bien pu décider de ne pas créer l'univers : il s'agit d'une décision souveraine et arbitraire de sa part. Mais nous sommes ici pour en parler : cela prouve que cette décision a été prise.

La Volonté souveraine a pris une autre décision, lourde de conséquences : il s'agissait d'ajuster les constantes physiques afin que très rapidement, l'énergie se transforme en matière.

La matière est la caractéristique principale de notre univers. D'autres univers existent, qui sont fait uniquement d'énergie et d'information. L'un de ces univers faits d'énergie et d'information a interféré avec le nôtre, et continue à le faire : il s'agit de l'univers angélique. Ce sont des purs esprits, se déplaçant instantanément car ils ne sont pas ralentis par un corps ; ces esprits font preuve d’une intelligence elle aussi instantanée, car elle n'est pas ralentie par les échanges chimiques des neurones. Il s'agit d'un monde qui est établi sur des bases radicalement différentes des nôtres. Notre monde est fait de matière, et comme nous le verrons ultérieurement, il s'agit là d'un très grand privilège - alors que nous avons souvent tendance à considérer cette caractéristique comme une charge.

À partir du moment où la décision de la création de notre univers est prise, cette même Volonté absolue devait prendre la décision suivante :


La fabrication de robots est-elle l'activité la plus intéressante ?

- susciter l'existence de robots biologiques qui feraient ce pourquoi ils seraient programmés, ou :

- susciter l'existence d'êtres conscients capables de reconnaître - ou d'ignorer - l'existence et la présence de cette Volonté absolue dans laquelle ils trouvent la source de leur être.

Si cette Volonté absolue avait décidé de se contenter de créer des robots biologiques, notre terre n'aurait pas connu toutes les mésaventures dont l'Histoire humaine témoigne aujourd'hui. Mais cet univers aurait perdu beaucoup de son intérêt... D'ailleurs, rien n'interdit de penser que cette Volonté souveraine a créé de nombreux autres univers où règne simplement la réalité biologique, sous le regard du Créateur.


De l'importance de formuler la bonne question

Il faut noter ici un point important : en tant qu'êtres humains, par Nature, nous nous posons un grand nombre de questions à la fois philosophiques et existentielles. La formulation de la question conditionne en grande partie la réponse que nous pouvons recevoir. Si nous formulons notre question sous la forme d'une amère revendication, le ciel se ferme, et nous n'obtenons aucune réponse.

- Ou plutôt, nous obtenons la réponse qui est donnée à Job : « quel est celui-là qui brouille mes conseils par des propos dénués de sens? Ceins tes reins comme un brave : Je vais t'interroger et tu M'instruiras. Où étais-tu quand Je fondai la terre ? Parle, si ton savoir est éclairé... » (Livre de Job, chapitre 38, verset 1 à 4. Le livre de Job est l'un des grands livres de l'humanité !).

Par contre, si nous formulons notre question sous la forme d'une quête authentique, nous obtiendrons certainement cette réponse : « Cherchez et vous trouverez ; frappez et l'on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; et à qui frappe on ouvrira » (Mathieu, chapitre 7, verset 7 et 8).


La hardiesse de se mettre à la place de la volonté souveraine

Au lieu de critiquer amèrement la réalité qui nous entoure, mettons-nous hardiment à la place de cette Volonté absolue. Nous nous apercevons immédiatement que nous-mêmes nous aurions bien sûr pris la décision de nous lancer dans la création, et que nous-mêmes aurions assurément pris la décision de créer des êtres libres et conscients, quelles qu'en puissent être les conséquences.

Mais QUI est cette Volonté dont nous parlons jusqu'à présent ? Supposons un instant que nous désirions établir le contact avec des extraterrestres. Le premier problème qui se poserait, serait celui du langage. Comment se faire comprendre, car leurs mots à eux, leurs concepts seraient adaptés à une réalité totalement différente de la nôtre. Nous imaginons que des extraterrestres parleraient à peu près le même langage que nous. Nous pouvons constater cet anthropomorphisme candide dans la démarche qui consiste à graver des symboles mathématiques, sur un disque qui était accroché à une sonde destinée à se perdre dans le vide intersidéral après avoir accompli sa mission d'observation. Des siècles plus tard, cette sonde parviendra sans doute auprès d'autres systèmes solaires et, de façon très peu probable, peut-être une intelligence extraterrestre prendrait-elle possession de cette machine ? Dans ce cas, elle tomberait sur ce disque gravé, et comprendrait nécessairement ce qui est marqué dessus, car le langage mathématique est censé être universel...

Tout ceci ne prouve qu'une seule chose: c'est la candide naïveté de certains scientifiques. En fait, nous n'aurions bien certainement aucune façon de nous faire comprendre par des êtres qui vivent dans un monde différent du nôtre. Et pourtant, cela fait partie du même univers ! C'est dire que, lorsque nous communiquons avec cette Volonté absolue, nous ne pouvons la percevoir autrement qu’étant le Tout Autre. C'est bien ce que dit un moine du VIème siècle, Denis l'Aréopagite:

C'est dans le silence qu’on apprend les secrets de cette ténèbre
dont c'est trop peu dire que d'affirmer qu'elle brille
de la plus éclatante lumière au sein de la plus noire obscurité,
et que, tout en demeurant elle-même parfaitement intangible et parfaitement invisible,
elle emplit de splendeurs plus belles que la beauté
les intelligences qui savent fermer les yeux.

Œuvres complètes du pseudo-Denis l'Aréopagite.
Traduction de Maurice de Gandillac. Aubier Montaigne 1943. Théologie mystique. Ch 1er § 1. P. 177.

« Dieu » est un mot qui recouvre une multitude de significations, souvent contradictoires. Le mot « Dieu » est une boîte qui trop souvent, contient - soit la notion d’un « Dieu-Potentat » qui respire le parfum capiteux de nos louanges (notion que l’on trouvait dans les anciens catéchismes) - soit l’image d’un « domestique » qui est à genoux dans la boue, dehors, en attendant que l’on condescende à lui ouvrir la porte, pour qu’il puisse faire toutes nos volontés. Il y a de grandes chances que Dieu ne corresponde à rien de tout cela !


l'Un et le Multiple

Si nous analysons la question de façon un peu plus profonde, nous pouvons nous poser la question : « Dieu est-il un - ou multiple ? » C'est loin d'être une question gratuite : notre conception de Dieu et de l'univers en dépend.


Le Dieu des « religions »

Les philosophes répondront que Dieu est, de toute évidence, Un. Seul l'Un reflète la perfection. Dans ce cas, Dieu pourrait être symbolisé par une sphère parfaite, qui est une unité autosuffisante.

Ce Dieu Un est précisément le Dieu que nous trouvons généralement dans les religions : du haut de sa perfection, Il a donné l'élan initial qui fut à l'origine de la création. Il plane au-dessus de l'univers et communique éventuellement ses messages par l'intermédiaire de sages et de prophètes, qui viennent dire qu'il faut être bon et s'abstenir de toute méchanceté. Jamais Il ne communique Lui-même avec cet univers, car sa perfection est incompatible avec le caractère limité de notre monde. À la fin de l'existence de cet univers, Il va exercer un jugement et récolter les fruits qu’a produits ce monde, en termes d'excellence morale.

Dans un tel contexte, les créatures conscientes qui vivent dans l'univers ne peuvent réellement communiquer avec ce Dieu Un, absolu et parfait. La seule attitude possible est la soumission. Et c'est bien ce que demande ce Dieu Un. Dieu veut qu'on obéisse aux commandements donnés par Lui, disent les religions. À la limite, ces commandements peuvent parfaitement être arbitraires : si Dieu veut que l'on soit coiffé d'un chapeau rouge ou que l'on porte un anneau dans le nez, nous sommes tenus à exprimer notre soumission à Dieu, en portant un chapeau rouge ou un anneau dans le nez... L'essentiel n'est pas dans le contenu des interdits, mais bien dans l'attitude de soumission qui est censée être conforme à la volonté divine.

Dans ces religions, il n'est généralement pas question de vie spirituelle ; les gens qui cultivent la vie spirituelle sont marginalisés dans des cercles mystiques, généralement considérés avec suspicion et défiance. Ces religions deviennent très facilement des structures d’oppression, car la tentation est grande de se servir de la notion de Dieu pour obtenir la soumission des citoyens à l'appareil de l'État.


Le Dieu des animistes

L'autre option est de considérer que Dieu est multiple. C'est le Dieu des animistes : multiple, Il est présent dans tous les éléments de la création, et particulièrement là où jaillit une force cosmique. La force cosmique s'exprime dans l'éruption d'un volcan, dans le trajet fulgurant de la foudre, dans la puissance des grands animaux prédateurs. Elle s’exprime plus discrètement dans une source, dans la majesté d'un arbre, dans la forme originale d'une pierre remarquable qui ponctue le paysage par un phénomène d'érosion dû à un hasard géologique.

Dans tous les cas, l'être humain s'efforce de compenser sa faiblesse en tâchant de capter et de s'attribuer une part de la force cosmique. Un tel va faire réaliser sur son dos un tatouage qui représente la face d'un guépard. Il ne se fera pas tatouer une limace ou une tortue... En fait, il désire inconsciemment s'attribuer la force du guépard, un prédateur supérieur.

L'animisme est en pleine expansion aujourd'hui. Des tribus indiennes submergées par la modernité se réfugient dans un animisme de pure reconstitution, pour essayer de nier la colonisation religieuse dont elles ont été l'objet. Certains de nos contemporains adoptent une forme moderne de l'animisme, qui leur semble en conformité avec les enjeux écologiques du jour. Cela offre à leurs yeux l'avantage de s'éloigner du christianisme qui représente pour eux une forme d'oppression. Cette critique n'est pas fausse, car le christianisme lui-même s'est laissé contaminer par la religion du Dieu des philosophes.

Si Dieu est multiple, ils se confond totalement avec le cosmos et les forces qui l'animent. Alors qu'il est impossible de participer au Dieu absolu des philosophes, dans le cas de la spiritualité animiste, cette question ne se pose pas, car Dieu lui-même se confond avec l'univers qui nous entoure. L'animisme ne répond à aucune des questions fondamentales que se pose l'être humain. Si l'on est animiste, il faut se résigner au fait qu'à la fin de notre courte vie terrestre, nos éléments se mêlent à la terre et servent de nourriture à la prochaine génération d'êtres vivants. C'est une réponse bien peu satisfaisante à notre quête de survie au-delà de la mort physique. Dans la perspective animiste, nous restons enfermés dans ce monde-ci, captifs d'une Nature indifférente.


La pauvreté des concepts

Un Dieu Un auquel il nous est impossible de participer, et qui ne nous offre d'autre choix que la soumission ; un Dieu multiple qui se confond avec le cosmos et qui est indifférent à notre devenir : est-il possible de sortir de ce dilemme ?

Comment Dieu peut-il être à la fois Un et multiple ? Nous avons vu que si nous entrions en relation avec des extraterrestres, le premier problème qui se poserait serait de trouver un langage commun. Notre langage est étroitement adapté au monde dans lequel nous vivons. La plupart de nos mots désignent des objets concrets et nos concepts sont issus de notre expérience quotidienne.

En ce qui concerne Dieu, il est parfaitement évident qu'aucun de nos mots n’est commensurable avec sa Nature, et qu'aucun de nos concepts ne peut Le circonscrire. Alors quoi? La seule solution serait-elle d'être agnostique, c'est-à-dire de se résigner à ne pas Le connaître ? Assurément, Dieu est au-delà de nos mots et de nos concepts.


La théorie du chaos et notre concept de la divinité

Revenons à la théorie du chaos. Dans le cadre de cette théorie, nous savons que nous ne savons pas ; mais nous savons également que ce que nous affirmons est pourtant vrai. Par exemple, après un certain nombre de révolutions autour de la Terre, l'emplacement exact du satellite lunaire est impossible à prévoir. Mais pourtant, la loi de la gravitation reste exacte. Ce que nous savons est vrai, pourvu que nous précisions la dimension dans laquelle s'appliquent nos concepts. La bonne vieille physique traditionnelle reste vraie dans notre dimension, pourvu qu'on ne l'applique pas à l'infiniment grand ou à l'infiniment petit.

Toutes choses étant égales par ailleurs - comme on dit en latin « mutatis mutandis » - il nous faut affirmer la même chose de Dieu : en ce qui concerne nos concepts et nos mots, aucun d'entre eux ne s'adapte réellement à la réalité divine : nous savons que nous ne savons pas. Mais par ailleurs, cela ne nous interdit pas de dire quelque chose au sujet de Dieu. Et ce que nous disons au sujet de Dieu, nous savons que c’est vrai, car notre affirmation est basée sur ce que Dieu Lui-même nous révèle.


La Révélation

Ce que n'est pas la Révélation

Qu'est-ce qu'une révélation ? Il serait prudent de préciser tout d'abord ce qu'elle n'est pas... Une révélation ne saurait être quelque chose que nous pouvons découvrir par nos propres forces intellectuelles. Nous n'avons pas besoin de révélation pour dire que Dieu est bon, grand, infini... Tout cela, nous pouvons le déduire en voyant en Dieu l'inverse de notre méchanceté, de notre petitesse, de notre finitude. Nous n'avons pas besoin de révélation pour prêter à Dieu un message qui nous demande d'être bons, fraternels, de partager notre superflu. Ce que l'on appelle aujourd'hui du mot très élastique de « valeurs », tout cela peut être prêché et affirmé sur base d'une morale naturelle toute simple et évidente. De telles choses, qui constituent pratiquement 95% du message des Églises traditionnelles, tout cela est totalement étranger à la Révélation.


Ce qu'est la Révélation

Par contre, si Dieu est totalement au-delà de nos concepts, nous avons besoin de sa Révélation afin de savoir Qui Il Est.

Divers indices nous sont donnés dans les Écritures. Prêtons attention à ces paroles divines, que nous trouvons dans la Genèse : « Dieu dit : faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance » (Gn. 1; 26). C'est au pluriel. « Et Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu Il le créa, hommes et femmes Il les créa » (verset 27). C'est au singulier. « Puis le Seigneur Dieu dit : voilà que l'homme est devenu comme l'un de Nous » (Gn. 3 ; 22). C'est au pluriel. « Le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâtie » (Gn. 11 , 5). C'est au singulier. « Allons ! Descendons ! Et là, confondons leur langage » (Gn. 11 ; 7). C'est au pluriel. « Le Seigneur les dispersa de là sur toute la face de la terre » (verset 8). C'est au singulier. - Toutes ces paroles nous indiquent l'unité et la multiplicité divines.


L'apparition du « Trois »

Une autre indication précieuse nous est donnée un peu plus loin, dans le livre de la Genèse (Gn. 18) : « le Seigneur apparut (à Abraham) au chêne de Mambré, tandis qu'il était assis à l'entrée de la tente, au plus chaud du jour. Ayant levé les yeux, voici qu'il vit trois hommes qui se tenaient debout auprès de lui ; dès qu'il les vit, il courut de l'entrée de la tente à leur rencontre et se prosterna à terre. Il dit : Monseigneur, je t'en prie, si j'ai trouvé grâce à tes yeux, veuille ne pas passer près de ton serviteur sans t'arrêter. (...) Ils répondirent : fais donc comme tu as dit » (nous retrouvons cette alternance singulier - pluriel). Toute la conversation qui suit - cet extraordinaire débat entre Dieu et Abraham, où Abraham marchande littéralement avec Dieu afin de savoir s'Il condamnerait vraiment la cité de Sodome, alors qu'y résident quelques justes: « vas-Tu vraiment supprimer le juste avec le pécheur ? »

- Cette conversation se tient entre Abraham et « le Seigneur » (Gn. 18 ; 22 – 33). Le récit indique : « les hommes partirent de là et allèrent à Sodome. Abraham se tenait encore devant le Seigneur » (Gn. 18 ; 22), et, un peu plus loin : « quand les deux anges arrivèrent à Sodome sur le soir, Lot était assis à la porte de la ville » (Gn. 19 ; 1). Faudrait-il conclure à partir de cela que les trois hommes étaient en fait deux anges, et Dieu lui-même ? En fait, il ne faut pas systématiser ce récit : le récit veut montrer Abraham s'adressant à Un seul, et à plusieurs. Il s'adresse « aux trois » ; il s'adresse à un seul interlocuteur; il ne parle aucunement à deux interlocuteurs. C'est cela que le récit veut nous faire pressentir.

L'Ancien Testament nous montre donc des indices de cette unité et multiplicité du divin.

Avec le prophète Isaïe, nous trouvons quelque chose de nouveau. Les Séraphins « se crient l'un à l'autre ces paroles : Saint, Saint, Saint est le Seigneur Sabaoth » (Is. 6 ; 3). Le nombre Trois apparaît.


L'existence du Fils

Poursuivons notre quête : dans le psaume 2, trouvons cette parole : « le Seigneur m'a dit : Tu es mon Fils, Moi je T’ai engendré aujourd'hui » (verset 7). Cela signifie que Dieu est Père, puisqu'il a un Fils.

Toujours dans le psautier, nous trouvons cette parole dans le psaume 109 : « le Seigneur a dit à mon Seigneur : siège à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis l'escabeau de tes pieds » (verset 1).

Et un peu plus loin: « de mon sein, je t'ai engendré avant l'étoile du matin » (verset 3). Ce premier verset du psaume 109 fut cité par le Christ, dans le cadre d'une polémique avec les pharisiens. « Jésus leur posa cette question : quelle est votre opinion au sujet du Christ ? De qui est-il fils ? - Ils lui dirent : de David. - Comment donc, dit-il, David parlant sous l'inspiration l'appelle Seigneur dans ce texte » - et il cite le premier verset (Mt. 22 ; 41-46). Le Messie était censé être descendant de David. Or, le descendant n'est pas supérieur à son ancêtre, surtout dans cette culture où la provenance généalogique de quelqu'un était un facteur important de reconnaissance sociale.

La réponse que désirait susciter le Christ est la suivante : David fut un être humain ; le Messie qui est son descendant selon la chair est l'homme-Dieu. En tant que Dieu, Jésus peut s'affirmer comme étant « Seigneur » par rapport à son ancêtre David, qui est simplement un être humain. - Bien sûr, parmi les pharisiens, « nul ne fut capable de lui répondre un mot » (Mt. 22 ; 46) car aucun d'entre eux ne voulait reconnaître en leur interlocuteur, un Dieu incarné.

Les Écritures nous permettent de savoir que parmi les Trois, il y a un Père et un Fils.


La Sagesse

Le livre de la Sagesse pose cette question : « ta Volonté, qui l’aurait connue, si Toi-même n'avais donné la Sagesse, et n'avait envoyé d’En-Haut ton Esprit Saint ? Ainsi ont été rendus droits les sentiers de ceux qui sont sur la terre ; ainsi les hommes ont été instruits de ce qui Te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés » (Sg. 9 ; 17-18). Dans ce passage, nous apprenons que le Père donne la Sagesse et l’Esprit-Saint.

Le livre de la sagesse dit la parole suivante : « Alors qu'un silence paisible enveloppait toutes choses et que la nuit parvenait au milieu de sa course rapide, du haut des cieux, ta Parole toute-puissante s'élança du trône royal (...) Elle touchait au ciel et foulait la terre » (Sg. 18 ; 14-15). Ce passage se réfère à l'événement de la mort des premiers-nés égyptiens, survenu juste avant l'exode, au milieu de la nuit (Ex. 11 ; 4 - 12 ; 29). Celui qui s'élance du trône royal du Père pour accomplir la mission qui Lui est donnée, c'est le Christ « puissance de Dieu et Sagesse de Dieu » (I Co. 1 ; 24). La Sagesse est assimilée à la Parole divine, qui n'est autre que le Christ, Dieu incarné en la personne de Jésus. C'est en ce sens que le prophète Isaïe affirme : « comme la pluie et la neige descendent des cieux et n'y remontent pas sans avoir arrosé la terre (...), de même la Parole qui sort de ma bouche ne me revient pas sans résultat, sans avoir fait ce que je voulais et réussi sa mission » (Is. 55 ; 10-11). La Sagesse envoyée par le Père n'est autre que le Verbe, la Parole du père, Dieu incarné en la personne de Jésus.

Le Verbe affirme, dans la prophétie d'Isaïe : « et maintenant le Seigneur Dieu M'envoie, avec son Esprit » (Is. 48 ; 16). Le Père envoie le Fils-Verbe, et l'Esprit.
Plus loin dans le texte de la prophétie, nous trouvons cette parole du Verbe : « l'Esprit du Seigneur Dieu est sur Moi, car le Seigneur M'a oint » (Is. 61 ; 1). L'Esprit du Seigneur/Père est sur le Christ/Verbe, qui est oint (c'est ce que veut dire le titre Christ) par l'Esprit. Le Père envoie l’Esprit, qui « oint » le Fils.

« Les Trois » sont donc constitués du Père, du Fils et de l'Esprit.


Le Trois qui n'est pas un nombre

Suivant la théorie du chaos, en ce qui concerne les choses de notre monde, nous savons que nous ne savons pas, tout en sachant pourtant que ce que nous savons est vrai. En ce qui concerne le divin, nous savons que ce que nous disons est vrai, car cela a été - et est toujours - l'objet d'une Révélation. Nous savons que dans le divin, il y a « Trois ». Mais nous savons que nous ne savons pas, car nous savons que le monde divin est au-dessus et au-delà de nos concepts et de nos paroles. Ainsi, le « Trois » n'est pas un nombre.

Nous reconnaissons un Dieu unique, non par le nombre, mais par la Nature. En effet, tout ce qui est dit « Un » en nombre, n'est pas réellement « Un » ni « simple » par la Nature ; or Dieu est reconnu de tous comme étant simple et non composé ; donc Dieu n'est pas « Un » en nombre (...). Le nombre relève de la quantité, et la quantité est liée à la Nature corporelle ; donc le nombre appartient à la Nature corporelle.

Evagre le Pontique : Lettre sur la Foi. 2; 17-21, 31-34.


Le signe et le symbole

Le « Trois » est un symbole de l'unité dans la diversité.

Un signe est quelque chose qui désigne un autre objet ou une autre fonction d'une façon arbitraire et conventionnelle, tout comme un feu rouge dit qu'il faut s'arrêter.
Un symbole est quelque chose qui contient en soi la réalité évoquée. Un symbole est porteur de présence ; un symbole fait le pont entre deux réalités qui appartiennent à des mondes différents, et fait surgir la présence du monde spirituel au cœur même du monde matériel.

Le « Trois » est un symbole qui traduit le fait que Dieu est à la fois Un et multiple, car Il est incontestablement au-delà de l’Un et du multiple.
Le « Trois » est un symbole et n'est pas un chiffre : c'est le Père, le Fils et l'Esprit ; il n'y a pas de quatrième ! Comme il est dit dans la prophétie d’Isaïe que nous avons citée plus haut, le Père envoie sa Parole afin d'accomplir une mission bien définie, qui est la divinisation de l'être humain. Cette mission se réalise dans l'Histoire humaine, sous la motion de l'Esprit. Tout ce qui est germination, croissance, illumination dans le domaine spirituel, tout cela est du ressort de l'Esprit - et tout cela revient au Père. Le Père s'exprime dans le Fils ; l'Esprit revient auprès du Père avec les fruits de la sanctification ; il n'existe pas de quatrième Personne.

Est-ce dire que tout cela n'existe qu'en fonction de nous ? Dans ce cas, il n'y aurait pas trois Personnes divines, si l'être humain n'existait pas pour recevoir le message. Ne répondons surtout pas à une telle interrogation par les arguments du genre : « en Dieu, il ne peut y avoir rien d'accidentel ni de contingent ». Ce type d'argument ne convaincra que les philosophes ! En fait, ce questionnement nous permettra d'envisager la question avec plus de profondeur. Dieu est « trois ». Mais trois quoi ? Trois Personnes.


La Révélation des Trois Personnes

Tout ceci est synthétisé dans un événement, qui survint lorsque le Christ commença sa prédication (Lc. 3 ; 21 – 22 / Mc. 1 ; 9 – 11 / Mt. 3 ; 13 – 17.).

Il vint auprès de Jean-Baptiste, pour se faire baptiser par immersion. Lorsque Jésus remonta sur le rivage, l'Esprit fut aperçu « sous forme de colombe », et le Père fit entendre une voix qui disait : « Tu es mon Fils bien-aimé ». C'est la réalisation de ce que l'Ancien Testament nous montrait dans ses indices ; c'est la Révélation de ce que Dieu EST : Un en trois Personnes, le Père, le Fils et l'Esprit-Saint. Cette Révélation est d'une importance fondamentale. Cela explique le fait que la fête de la Théophanie revêt une importance capitale dans la liturgie de l'Église orthodoxe, et dans sa tradition théologique.


L'objet et la personne

Qu’est qu'est-ce qui différencie une personne d'une chose ? Sa complexité, certes. Un caillou est plus simple que Jean ou Marie. Sur le plan de la connaissance, il est possible de connaître parfaitement un objet. C'est très théorique, parce qu'en fait nous ne parviendrons jamais à connaître la position et la vitesse de toutes les particules qui constituent un caillou... Mais théoriquement, on peut le connaître.

Par contre, Jean ou Marie conserveront toujours un jardin de l’âme qui me restera inaccessible. Nul ne peut « faire le tour » d'une personne. Une personne pourra toujours nous présenter des richesses insoupçonnées. Ce qui distingue une personne d'une chose, c'est son caractère inconnaissable.

Dieu est trois Personnes, parce qu'il est inconnaissable. Nous sommes à l'image de Dieu, parce que nous sommes des personnes, et à ce titre nous sommes nous aussi inconnaissables.


La personne et la Nature

Moi-même, Jean ou Marie, nous sommes trois personnes qui partageons une même Nature humaine. La Nature humaine, c'est ce que nous avons en commun. Notre personne, c'est ce qui nous est propre à chacun.

Nous sommes à l'image de Dieu, qui lui aussi est une Nature divine que nous savons exister en trois Personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. La Nature divine, c'est ce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont en commun. Cette Nature possède diverses caractéristiques, qui ont été décrites par les théologiens. Nous leur laissons bien volontiers cette partie du travail... Chacune des Personnes divines se distingue par ce qui lui est particulier et distinct. Ce qui est particulier et distinct à chaque Personne divine se dit en peu de mots.

Le Père a comme caractéristique d'être inengendré, et surtout d'être la Source primordiale. Tout, absolument tout, jusque et y compris la divinité, provient du Père.

La caractéristique du Fils est d'être engendré par le Père. Que signifie l'« engendrement » pour le Fils ? Il est « engendré » par ce qu'Il reçoit sa divinité du Père. Le Fils est Dieu parce qu'Il est engendré par le Père. Cela ne veut absolument pas dire qu'il soit un « Dieu de seconde catégorie »... Dieu est Dieu ou ne l'est pas ; il n'existe pas de demi-mesure ! Le Fils est pleinement et absolument Dieu, même s'il est engendré par le Père.

Tout cela peut se dire précisément dans les mêmes termes, à propos de l'Esprit-Saint. Mais là, il ne s'agit plus d'« engendrement », mais bien de « procession ». C'est un terme différent, simplement pour montrer que l'Esprit reçoit sa Divinité du Père d'une façon différente dont le Fils la reçoit. Quelle cette différence ? Cette connaissance ne nous est pas accessible. Ce que nous savons, c'est que le Fils est distinct de l'Esprit, du fait que leur relation avec le Père - et donc la façon dont ils reçoivent la divinité - est différente. S'Ils étaient tous deux engendrés, ce serait la même Personne.


Connaissance et inconnaissance

Dieu est personnel, et donc inconnaissable. Pourtant nous savons diverses choses à propos de Dieu.

L'inconnaissance » n'est pas une « méconnaissance » : l'inconnaissance est un mode de connaissance, tout au contraire du défaut de connaissance qui surgit là où nous manquons d'informations sur le sujet traité. L’inconnaissance est la connaissance par voie de négations d'un sujet ou d’un domaine de recherche où les concepts et raisonnements habituels sont inopérants.

La connaissance et l'inconnaissance à propos de Dieu sont-ils deux domaines distincts, comme les deux faces de la lune : nous pouvons voir une face lunaire - toujours la même - tandis que l'autre face nous demeure à jamais invisible. Est-ce que « d'un côté » nous connaîtrions des choses valables à propos de Dieu, tandis que « de l'autre côté » règnerait l'impossibilité totale de connaître ? Si une telle conception est vraie, toute notre théologie serait inscrite sur une sorte de « face apparente » de la lune... Dans ce cas, nous dirions bien des choses, tout en sachant que 50 % du domaine nous est inaccessible.

Tel n'est pas le cas : il ne s'agit pas d'une « tarte » divisée en deux moitiés... Il n'existe pas de théologie de première classe, qui serait la théologie apophatique procédant par négations - et une théologie de deuxième classe, cataphatique, conceptuelle, qui emploierait les mots du raisonnement humain.

Une telle division entre les domaines de la connaissance aurait des conséquences immédiates sur la spiritualité : il existerait dans ce cas une spiritualité de première classe, faite de méditation et de temps de silence - et une spiritualité de deuxième classe, faite de psalmodies et de chants. Cela introduirait une division là où précisément devrait régner l'unité.

La connaissance et l’inconnaissance ne déterminent pas des domaines distincts. Bien au contraire, le plan de jonction entre connaissance et inconnaissance passe au cœur de chaque mot que nous employons : au cœur de chaque concept, se trouve le « trou noir » de l'inconnaissance - tout comme au cœur de la psalmodie et de l'Office liturgique, se trouve l'abîme du silence et de l'unité intérieure.


La connaissance antinomique

Nous avons vu que, selon la théorie de la relativité, lorsque nous approchons de la vitesse de la lumière, l'espace-temps se modifie radicalement. Il en est de même en ce qui concerne le divin : notre raisonnement devient inefficace et inopérant. Près de Dieu, les parallèles se rejoignent, les contraires s'identifient. En quelque sorte, l'espace-temps de la pensée n'est plus le même. Nous entrons dans le règne de l'antinomie : les contraires se rencontrent, alors que dans notre univers familier, cela est impossible.

Lorsque nous parlons de Dieu, il nous faut maintenir en même temps les deux affirmations : antinomiquement, Dieu est à la fois connaissable et inconnaissable. Il est inaccessible dans son Essence, et connaissable dans son Agir, dans son Rayonnement. Dans son Essence, Dieu est à jamais impossible à connaître. Lorsque nous serons de l'autre côté de la barrière des apparences, Dieu restera tout aussi inconnaissable dans son Essence. Même pour les Anges, qui se voilent la face en présence de Dieu, le Créateur continue d'échapper à toute connaissance.


Le Rayonnement divin

Mais nous ne pouvons pas nous limiter à cela : Dieu est connaissable dans son Agir. Il est comme un Soleil absolu, qui rayonne éternellement. Le soleil rayonne, qu'il y ait ou non des planètes pour recevoir sa lumière. De même Dieu rayonne de façon absolue et éternelle, indépendamment de l'existence éventuelle de créatures. Le Rayonnement divin ne dépend aucunement de l'existence d'êtres créés. Dieu est totalement présent dans son Rayonnement, car ce Rayonnement est incréé: il n'a rien à voir avec une création quelconque. On appelle ce Rayonnement de Lumière incréée, les « Énergies divines ». Le terme « Énergie » n'est pas bien choisi, car à l'entendre, on pense plutôt à une force cosmique. Et cela n'a rien à voir, bien sûr, avec une force cosmique, car il s'agit d'une Lumière incréée.


La Lumière de la Transfiguration

Le Christ, Dieu fait homme, est perpétuellement revêtu de cette Lumière incréée. Il a partiellement laissé voir cette Lumière lors de sa Transfiguration, sur le Mont-Thabor. Mais même là, Il n'a laissé voir qu'une extrêmement faible partie de sa Lumière à ses disciples, car ceux-ci auraient été non seulement aveuglés, mais encore anéantis par l'apparition d'une telle splendeur. Sur le Mont-Thabor, le Christ a laissé voir - à la mesure de la capacité de perception de ses disciples - la splendeur de la Nature humaine divinisée. C'est pourquoi la fête de la Transfiguration occupe une place stratégique dans la vie spirituelle de l'Église.

Initialement, l'Église célébrait « les Théophanies » c'est-à-dire les « manifestations de Dieu » le 6 janvier. C'était une fête d'idées, célébrant la manifestation de Dieu auprès de la créature humaine. Ce ne fut qu'au IVème siècle, en Orient (en 326 à Antioche) que l'on eut l'idée de célébrer séparément la Nativité du Christ, la Noël. Ce fait est remarquable, car il nous montre que l'Église des premiers temps avait une pensée qui était bien plus théologique que sentimentale.


Dieu inaccessible et participable

Dieu est à jamais inaccessible dans son Essence, et pleinement participable dans ses Énergies. Il ne s'agit aucunement d'une division en Dieu, mais d'un point de vue qui est porté sur Lui : si on Le considère en ce qu'Il est, Il est inconnaissable. Si on Le considère dans son rayonnement, Il est pleinement participable. C'est une antinomie, c'est-à-dire deux vérités contraires qui se rejoignent dans l'absolu. Mais on ne peut pas dire pour autant qu'il s'agisse de « modalisme » : Dieu ne change pas suivant le regard que l'on porte sur Lui. Il est et Il reste à la fois inaccessible et rayonnant, indépendamment de l'existence ou de l'inexistence des créatures.

Dieu est donc Père, Fils et Saint-Esprit, le Père étant Source absolue, le Fils engendré du Père, l'Esprit procédant du Père. Nous avons situé cette vérité dans une théorie de la connaissance, dégageant les notions d'Essence et d'Énergie. Nous constatons que la conception trinitaire de la divinité est authentiquement une Révélation, car l'esprit humain à lui seul n'aurait certes pas pu construire une telle conception.


La structure de participation

Maintenant, posons-nous la question : en ce qui nous concerne, en quoi la Trinité influence-t-elle notre vie humaine?
La Trinité est une structure de participation :

Un Dieu qui parle aux hommes,
déifiant par son union notre mortelle condition,
par tout l'univers vous l'avez annoncé
pour libérer le monde de l'errance des sans-Dieu ;
aussi, divins apôtres, sans cesse nous vous disons bienheureux.

Octoèque, Ton 6, le jeudi à Matines, Ode 9.

Le Fils et l'Esprit sont « les Mains du Père », selon l'expression de saint Irénée de Lyon (130-202 Saint Irénée était disciple de saint Polycarpe, lui-même disciple du saint apôtre et évangéliste Jean. L'enseignement de saint Irénée reflète directement l'enseignement apostolique.) :

L'homme est un mélange d'âme et de chair,
et d'une chair formée selon la ressemblance de Dieu et modelée par les Mains de celui-ci,
c'est-à-dire par le Fils et l'Esprit,
auxquels Il a dit : faisons l'homme.

Irénée de Lyon, Contra Haer. IV, Pr. 4. Cerf 1984, p. 405.

Le Christ est venu fondamentalement nous faire connaître le Père : « Philippe dit à Jésus : Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. - Voilà si longtemps que Je suis avec vous, lui dit Jésus, et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui M'a vu a vu le Père » (Jn. 14 ; 9).

Le Christ vient nous « connecter » avec le Père, afin que nous recevions de Lui la Vie dont il est la Source, une Vie qui n'a rien à voir avec l'existence biologique, mais qui se situe au-delà de la finitude et de la mortalité.

L'Esprit, quant à lui, rend féconde et fait croître en nous cette Vie communiquée par le Christ.

Les deux « Mains du Père » ne dépendent pas pour leur existence, des créatures que nous sommes. Bien évidemment, il existe une intense relation d'amour mutuel entre le Fils et l'Esprit, tout comme il existe une intense relation d'amour mutuel entre ces deux Personnes trinitaires et le Père. Dieu ne dépend aucunement de nous pour se réaliser.

Nous comprenons, par la figure des « Mains du Père » comment est résolue la grande question de la participation au divin. Ceci est une Révélation, car la logique humaine reste toujours prisonnière du dilemme: Dieu inaccessible, versus Dieu immanent.

Si nous étions à la place de Dieu, quel monde créerions-nous ?
Si nous étions une Volonté absolue, sans aucune limite de puissance créatrice, est-ce que nous nous contenterions de créer un monde qui ne contiendrait que des objets inanimés, ou des mécanismes biologiques ? Ne serait-il pas incomparablement plus captivant de susciter des créatures conscientes, qui soient capables par elles-mêmes de Me découvrir, de prendre l'initiative d'aller à ma découverte. Poser la question, c'est y répondre...

La deuxième question - qui fait suite à la première - est de savoir ceci : comment Moi, Volonté absolue, puis-je Me manifester à mes créatures conscientes ?

La réponse à cette question est loin d'être évidente : si J'apparais dans toute ma splendeur, dans le rayonnement absolu de ma puissance, J'anéantirais totalement ces créatures avant même qu'elles ne s'aperçoivent de ma présence. Pour eux, ma présence serait comparable à l'explosion d'une bombe nucléaire un milliard de fois plus puissante que la plus puissante de celles qu'ils ont eu la stupidité de fabriquer... – Par ailleurs, moi, Volonté absolue, suis parfaitement libre de limiter la puissance de mon rayonnement. Je puis adapter mon rayonnement aux capacités de vision et de compréhension de ma créature. D'ailleurs, c'est ce que J'ai déjà fait pour créer ce monde : Je suis Tout en tout, et - si l'on peut s'exprimer ainsi - il n'existait ni place ni lieu pour que ce monde puisse exister : par définition, Je remplis tout.


La kénose

Dieu limite volontairement sa puissance

Nous sommes bien d'accord : ces termes sont inappropriés, car l'espace-temps se constitue simultanément à la formation de l'univers. Mais ce que Je veux dire, c'est que pour faire exister ce monde, il a fallu préalablement que Je Me retire, que Je limite partiellement ma puissance, afin de laisser surgir quelque chose d'autre que Moi-même - tout comme la mer, en se retirant lors de la marée descendante, laisse découvrir le sable de la plage et ses coquillages. La première phase de la création fut la kénose - terme grec qui signifie « vider ». Dieu s’est vidé d'une partie de sa puissance, afin de nous laisser exister. Contrairement à ce que l'on aurait tendance à penser, la création n'est nullement une œuvre de la puissance divine, mais bien au contraire l'effet de sa kénose, de son retrait, de son affaiblissement volontaire.

Pour que Dieu puisse se manifester à sa créature consciente sans l'anéantir, il a donc fallu qu'il diminue sa puissance, qu'il se fasse discret, voire même imperceptible. Il ne s'agit pas seulement de ne pas anéantir la créature : il est nécessaire de sauvegarder sa liberté. La créature autonome et consciente a été voulue par le Créateur, afin qu'elle puisse d'elle-même se tourner vers Lui et apprendre à Le connaître. Elle doit donc être libre, et cette liberté est d'une importance primordiale. La démarche d'une créature contrainte et forcée n'a aucune valeur.

Nous pouvons nous étonner devant le fait que les institutions ecclésiastiques laissent si peu de place à la liberté humaine, alors que la notion de liberté est vraiment à la « pierre angulaire » du projet divin à notre égard. La seule façon de détruire à jamais le monde spirituel, c'est de nous contraindre à constater la présence du Créateur, par une évidence scientifique. Dans ce cas, aucune Foi ne serait désormais possible : nous ne pourrions faire autrement que de nous soumettre à l'évidence.

Heureusement, cela ne se produira jamais. Nous pouvons admirer à quel point la Nature a ouvert les trésors de sa diversité afin que nous demeurions toujours parfaitement libres d'accepter ou de refuser l'idée de l'existence d'un Créateur, quel que soit l'avancement de la science. À chaque fois que la science fait des découvertes majeures, elle ouvre une porte qui donne sur de nombreuses autres portes, chacune des portes posant un bon nombre de questions. Et à chaque fois, la question de l'existence de Dieu et de son action dans notre vie, la question même du sens à apporter à notre vie, reste ouverte...

Dieu doit se faire petit, voire même imperceptible, non seulement pour ne pas nous anéantir, mais encore pour nous laisser notre espace de liberté. Comment donc peut-Il se faire connaître ?


L'insuffisance d'une apparition

Il peut se faire connaître par une apparition, en prenant bien soin de moduler l'intensité de son rayonnement en proportion de nos capacités de perception. Apparaître, cela ne signifie pas partager notre sort. Après qu'Il soit éventuellement apparu, Dieu ne pourrait pas se permettre de nous juger en toute justice, car Lui-même n'aurait pas partagé notre sort. Son jugement serait aussi injuste que celui d'un souverain vivant dans un palais doré, décidant du sort d'un serviteur assis par terre dans la rue. Une simple apparition n'est pas suffisante. Ce que Dieu a voulu, c'est de devenir l'un d'entre nous. Et cela, l'être humain ne pouvait pas l'imaginer. « Dieu parmi nous » : il fallait vraiment une révélation pour nous apprendre qu'un tel événement soit possible.


Le cheminement dans un autre espace-temps

Quand Dieu a-t-il cheminé parmi nous, marchant avec nous « à la brise du jour » (Gn. 3 ; 8.) ?

Eh bien, la première fois, cet événement ne s'est pas passé dans notre espace-temps. Avec les découvertes récentes de la physique, et notamment avec la théorie des cordes, notre esprit s'est habitué à l'idée qu'il y a de nombreuses dimensions du réel, et par conséquent qu’il existe plusieurs univers. Notre univers et son espace-temps est un univers parmi d'autres (Cette idée n'est pas neuve. Déjà Origène (185–253) nous dit :

Il se peut que des mondes divers existent, avec des changements considérables : par certains aspects manifestes, l'état d'un monde peut être meilleur que celui d'un autre monde ; pour d'autres aspects, il peut être inférieur ; et pour d'autres encore, équivalent. J'avoue ne pas savoir quel nombre et quels types de mondes cela peut être. Si quelqu'un pouvait me l'expliquer, je l'apprendrai volontiers.

Traité des Principes II, 3, 6. Études augustiniennes 1976. p. 89 - 90.

Les Écritures se réfèrent à un autre univers et à un autre espace-temps, en parlant du « Paradis ». C'est un univers qui est matériel comme le nôtre, mais qui est très notablement différent du nôtre, puisque l'entropie n'y règne pas : pas de glissement du plus vers le moins, pas d'ombre, ni maladies ni infirmités. De ce monde, Dieu est tout proche.


L'objectif tracé initialement a-t-il été atteint ? ?

Nous avons trouvé les principaux éléments de réponse à ces questions :
- en ce qui concerne l'existence d'une Volonté ontologiquement antérieure à l'univers, nous avons vu que cette question ne se situe pas dans le domaine exploré par la science et, de ce fait, ne peut être prouvée. Mais nous avons vu également que l'existence d'une telle Volonté est probable, au plus haut point ;
- à propos de l'unité ou de la multiplicité possible de cette Volonté, nous avons vu que l'unité absolue ne permet pas notre participation, et ne nous laisse d'autre issue qu'une attitude de complète soumission, caractéristique de plusieurs courants religieux. Par contre, estimer que cette Volonté soit multiple entraîne le fait de la réduire à une force cosmologique ;
- en ce qui concerne la connaissance possible que nous pouvons avoir de cette Volonté, nous avons déduit qu'elle ne peut s'opérer que par voie de Révélation, et que cette Révélation nous donne la clé de l'Un et du Multiple, sous forme de "symbole" et d' "antinomie" ;
- enfin, en réponse à la question de la manifestation de cette Volonté, nous avons découvert qu'elle se fait par voie de "kénose", c'est-à-dire par une limitation volontaire de puissance, de la part de cette Volonté.

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T. des Matières

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