MOSCOU, Imprimerie W. Gauthier, 1865. p. 20-21.
Disons en quelques mots comment, et de quoi se prépare le Saint Chrême, quand et comment il est béni ; et quel est son emploi.
Dans l'Église de l'Ancien Testament, le Saint-Chrême dont furent oints le tabernacle et tous les objets du culte, et dont, plus tard,
ont été oints les grands Prêtres, les Rois et les Prophètes, était préparé d'après le commandement du Seigneur, d'huile d'olive et
de quelques substances odoriférantes comme la myrrhe, le cinnamome, la canne aromatique, la cannelle (Exode xxx, 23 et suiv.). De même
dans l'Eglise du Nouveau Testament, selon le témoignage de Denys l'Aréopagite, le Saint-Chrême se composait de plusieurs aromates
représentant le parfum des différents dons de la grâce du Saint Esprit, communiquée à ceux qui se perfectionnent selon leur
dispositions intérieures. Présentement, d'après le cérémonial de notre Église Orthodoxe, le Saint-Chrême se compose de près de
trente éléments différents. Tels sont: l'huile, le vin blanc, le storax, le benjoin, l'encens ordinaire blanc et noir, le mastic,
la sandaraque, les fleurs de rosier, le basilic, les racines de violettes, de gingembre, d'iris, du galanga, le cardamome, le baume
de muscat, le baume du Pérou, la térébenthine de Venise, les huiles essentielles de bergamotte, de citron, de lavande,
de clou de girofle, de serpolet, de romarin, de bois de Rhodes, de rosé, de cannelle, de marjolaine, de fleurs d'orange et de muscat.
Le grand carême est le temps ordinaire de la composition et de la préparation du Saint-Chrême. Des la quatrième semaine, commence la
préparation préliminaire de l'huile et du vin, dans lesquels on met différents encens, différentes herbes et fleurs odoriférantes,
dans un endroit assigné pour cela. Mais la cuisson publique et solennelle du Saint-Chrême commence le lundi de la Semaine Sainte
dans l'appartement privé des Patriarches, où pour cela même un foyer en pierre est dressé sous un tabernacle de bois doré.
Dans la matinée de ce même jour, l'Eminentissime Métropolite ou un autre Evêque, assisté du haut Clergé, après avoir béni l'eau et en
avoir aspergé les ingrédients posés sur les gradins d'une pyramide de bois assez élevée et tout ce qui a rapport à la préparation du
Saint-Chrême, ordonne de verser dans les chaudières préparées l'huile, et le vin, ainsi que quelques-uns des autres ingrédients, indiqués
dans le cérémonial imprimé de la préparation du Saint-Chrême ; puis, il allume lui-même le feu sous les chaudières. En même temps
des Diacres commencent à mixtionner l'huile et le vin versés dans les chaudières, et des Prêtres lisent sans interruption pendant trois
jours les Saints Évangiles. Le mercredi soir, on ajoute à l'huile et au vin les huiles aromatiques, après quoi on verse le mélange
dans les vases que l'on pose sur des bancs recouverts jusqu'au jeudi Saint ; là même, sur une table à part, se pose un vase, nommé albâtre,
renfermant du Saint-Chrême béni antérieurement.
Le jeudi, avant la lecture des Heures, le Métropolite, revêtu de ses habits pontificaux, avec tout le clergé, précédé de la Croix
processionnelle, de cierges et d'éventails, s'achemine au son des cloches de la Cathédrale de l'Assomption, vers l'appartement
privé des Patriarches, où sont les vases préparés. Le prélat, remettant l'albâtre (cfr. infra) avec le Saint-Chrême au plus ancien Archiprêtre,
donne, avec sa bénédiction, l'ordre aux prêtres de porter les autres vases, et ils les portent solennellement au Sanctuaire de
la Cathédrale, où il les pose autour du reposoir, et les chœurs, pendant la procession, chantent : « Béni sois-tu, ô Christ notre Dieu,
qui as fait paraître de si sages pêcheurs… » etc.
À la grande Entrée de l'Offertoire, les mêmes prêtres portent les vases devant le pain et le vin destinés à être consacrés,
parce que comme ces Saints Dons, le Chrême doit être béni sur l'Autel. En tête de la procession, vient le plus ancien Archiprêtre
qui porte, entre deux Chérubins d'or servant d'éventail, le précieux albâtre ou vase rempli du Saint-Chrême perpétuel ; puis, suivent
les autres vases qui sont déposés aux deux côtés de l'Autel ; mais c'est le Prélat qui reçoit l'albâtre à la porte sainte et
le porte sur la Sainte Table.
Après la bénédiction des Saints Dons, et après les dernières paroles d'une prière qu'il prononce à haute voix : « Et que la grâce
du grand Dieu… » etc., l'Évêque ouvre, un à un, tous les vases et les bénit trois fois du signe de la croix, au nom du Père,
du Fils et du Saint-Esprit. Ensuite, il prononce à haute voix la prière de consécration sur le Chrême, en implorant le Seigneur
de miséricorde et le Père de la lumière de lui accorder la grâce d'accomplir les Saints Mystères ainsi que Moïse, Samuel et les
Apôtres, et que son Saint-Esprit descende sur ce Chrême et le fasse - onction spirituelle, conservation de la vie, sanctification
des âmes et des corps, l'huile de l'allégresse, etc. Après avoir prononcé cette prière, il s'adresse à toute l'Église en lui
souhaitant la paix, et, à l'appel du diacre, les fidèles inclinant leur tête, le Prélat s'approche de nouveau de l'Autel et remercie
le Seigneur à voix basse de lui avoir accordé la grâce du Sacerdoce. Enfin, après avoir glorifié à haute voix la Très-Sainte Trinité,
il bénit encore trois fois du signe de la croix chacun des vases et les recouvre.
Le Service Divin fini, le Saint-Chrême nouvellement consacré est reporté, au chant du psaume 44, au dépôt de la Sacristie Patriarcale
d'où, ensuite, selon l'urgence, il est distribué dans les diocèses par le Sacristain Synodal, chaque fois d'après un permis exprès du
Comptoir Synodal de Moscou.
Le Saint-Chrême s'emploie d'abord dans le sacrement de la confirmation, comme sceau visible de l'invisible sanctification de la grâce
communiquée à chaque Chrétien à sa renaissance dans les fonts mystérieux du Baptême ; c'est encore avec le Saint-Chrême que sont
oints l'Autel et les murs de chaque Temple chrétien nouvellement fondé, ou consacré de nouveau, où les fidèles offrent leurs actions
de grâces et de louange à Dieu, et où se consomme le Sacrifice non-sanglant ; c'est avec le Saint-Chrême enfin que sont oints nos
pieux Monarques à leur couronnement solennel, dans le même Temple où a lieu la consécration du Saint-Chrême lui-même.
Conformément à une si haute signification du Saint-Chrême, les vases dans lesquels il se prépare et se conserve, sont faits par
le zèle des Souverains avec toute la magnificence qui leur est due. Parmi eux, nous pouvons remarquer tout particulièrement un vase
que nous avons déjà mentionné : l'albâtre. Il s'agit d'un vase en cuivre à goulot étroit, recouvert d'écailles de nacre.
Il représente le vase dont Sainte Marie-Madeleine a répandu le parfum sur la tête et les pieds de Jésus (Marc. XIV, 3; — Jean XII, 3). Selon la
tradition, cet albâtre a été envoyé avec du Saint-Chrême à Kiev, de Constantinople, dans les premiers siècles du Christianisme en
Russie ; ensuite avec la translation de la Métropole Russe, il a été naturellement transporté à Moscou. Selon un antique usage, pendant
la consécration mystérieuse du Saint-Chrême dans la Cathédrale de l'Assomption, en signe de la continuité du Sacrement dans l'Église
Orthodoxe, on prend de l'albâtre quelques gouttes que l'on ajoute au mélange du Chrême, en remplaçant par le nouveau Saint-Chrême ce
qui se prend de l'albâtre, afin que la source sacrée ne tarisse jamais.